******************************************************** DC.Title = ULYSSE, TRAGÉDIE. DC.Author = CHAMPREPUS, Jacques de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:02:13. DC.Coverage = Grèce DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CHAMPREPUS_ULYSSE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4337h DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ULYSSE TRAGÉDIE FRANÇAISE. 1603. DE JACQUES DE CHAMP-REPUS. Dédiée à Monsieur Maistre Jean de Bregel, Conseiller du Roi et Lieutenant-général de la Baronnie de Fougères. À ROUEN. ARGUMENT DE LA TRAGÉDIE. Ulysse, fils de Laerte et d'Anticlée, eut pour femme Pénélope, de laquelle il eut un fils appelé Télémaque. Quelque temps après, les Barons et Princes de la Grèce allèrent assiéger Troie, par le commandement d'Agamemnon, afin de ravoir la belle Hélène, femme de son frère Ménélas, laquelle avait été ravie par Pâris. Ulysse fut contraint d'y aller avec eux, après avoir recherché toutes les inventions qu'il put excogiter pour s'en exempter. Il se porta si bien en cette guerre, qu'Homère n'appelle point Ajax, ni Achille, expugnateurs des villes, mais Ulysse. Car il avait en lui le savoir, la vaillance, l'autorité et l'heur qui sont les marques d'un sage et vaillant capitaine. Sa femme, durant l'espace de vingt ans qu'il fut absent, traversant les mers et rodant les terres pour connaître les diverses moeurs et conditions des hommes, amusa une troupe d'amoureux qui la recherchaient à mariage, leur promet tant ce qu'ils le lui demandaient quand la toile qu'elle avait entre les mains serait parachevée (or elle défaisait la nuit ce qu'elle avait tissu le jour), et en cette sorte les tint le bec en l'eau, jusques au retour de son mari : lequel étant averti de toute l'affaire par Pallas, à la persuasion d'icelle, il s'accoutra en habit de servant et revint en cette équipage à sa maison, où il observa longtemps la contenance et geste de cette gaillarde troupe qu'il passa au fil de l'épée. Ces choses étant faites, Circé qui avait eu de lui un fils nommé Télégon, s'avisa de lui envoyer, et lui bailla un coutelas empoisonné, afin de mieux venir au dessus de ceux qui voudraient entreprendre contre lui. À l'entrée du château d'Ithaque s'émeut quelque différent entre lui et les gardes, Ulysse, sortant au bruit, fut tué de son fils qui ensanglante la catastrophe de cette tragédie. Ceux qui en voudront voir davantage lisent l'Odyssée d'Homère d'où est pris le sujet. ENTREPARLEURS. ULYSSE, Roi d'Ithaque. ARLANGIN, soldat. PANARETE, soldat. FLORIDAN, soldat. PALLAS, Déesse. TÉLÉMAQUE, fils d'Ulysse et de Pénélope. EUMÉE. PHILÈTE. PÉNÉLOPE, femme d'Ulysse. LAERTE, Père d'Ulysse. UN MESSAGER. TÉLÉGON, fils d'Ulysse et de Circé. ACTE I [I]. Ulysse, Arlangin, Panarete, Floridan, Pallas. ULYSSE. Hé ! Grands dieux, quel soleil chamarré de lumièreVient sur mes yeux, brillant d'une rouge crinièr,Et de neuf traverser les étages des cieux,Me faisant voir encor ces miens champs gracieux,Et les rochers cambrés des montagnes d'Ithaque, Après avoir flotté sans esquif et sans barque.Bien que j'aie passé un océan d'ennuisÀ l'oeuvre de Bellone, et les jours et les nuits,Cela ne m'est plus rien puisque mes terres crochesMe soutiennent parmi de leurs plus hautes roches. Dieu vous gard donc, citer, bastilles et châteaux,[Note : Ravelin : Terme de fortification. Synonyme de demi-lune. [L]][Note : Boulevard : Ouvrage de fortification extérieure d'une place forte, rempart de terre, terre-plein en avant d'un rempart. [L]]Dieu vous gard, ravelins, boulevard et créneaux.Je vous salue aussi, puissants dieux tutélaires,Qui m'avez garanti des fatales misères.Sus, beau séjour natal, reçois ton nourrisson, Et autant que pourras fais retentir son nom.Lui seul a mérité le vert chapeau d'olive,Lui seul l'a conquêté, d'une main non oisive,Et lui seul l'a reçu, pour avoir, plus rusé,[Note : Laomédontins : Troyens, de Laomédon ancêtre de Priam.]Les Laomédontins a bravement abusé. [Note : Artisé : construit [Champrepus]]Ni les murs d'Ilion artisés par Neptune,[Note : Simoïs : fleuve de Phrygie, proche de Troie.]Ni Simoïs enflé, ni son onde importune,Ni les Troyens armés, ni Mars, ni sa rigueur,Ni le bruit, ni le sang, n'ont tins son mâle-coeur.Maugré le vieil Priam, maugré tous ses gendarmes, Lances, épieux, boucliers, camisades, vacarmes,[Note : Dam : Dommage, préjudice (matériel ou moral) [L]]Maugré Troïle, Hector, ai-je pas à leur damSurpris et affronté Rhésus, et tout son camp ?Comme quand un sanglier a l'oreille disposte,Oit tran-taner un cor, près sa relente grotte, Hérissonne son poil, vire, tourne ses pasVers la meute aboyante, et la culbute à bas,[Note : Acravanter : Écraser, anéantir en écrasant. [DMF]]Tout ainsi j'ai foulé leur tête acravantéeSous mes pieds indomptés, semblable au fort Antée.[Note : Sarpedon : Fils de Jupiter, tué par Patrocle.]Ce fils de Jupiter, ce vaillant Sarpedon, Chersidamas, Thoas, Alcandre, Ceranon,Et tant d'autres guerriers, sentirent bien mes forces,[Note : Palladion : Statue de Pallas [DMF]]Quand le Palladion je ravi par amorces.Si vous vîtes jamais un dogue Albionnois[Note : Chevreux : Ancienne forme de chevreuils.][Note : Sente : Synonyme populaire de sentier. [L]]Guerroyer les chevreux par les sentes des bois Et les presser si fort, et de pied et de tête,Qu'ils lui servent enfin de curée funeste,Croyez qu'en cas pareil, j'ai d'un bras vigoureux[Note : Carguer : Terme de marine. Serrer et trousser les voiles contre leurs vergues, au moyen des cargues. [L]]Cargué les Phrygiens, aux armes courageux.Atterrés de mes mains, dessus la terre dure, Ils servaient aux corbeaux et aux chiens de pâture.Combien de paladins qui princes, qui héros,Allèrent rendre hommage à l'infernal Minos ?Combien de cavaliers, favoris de Bellonne,Churent sous le ciseau de la parque félonne ? Car le nombre des morts fut si grand, si épais,[Note : Faix : chose qui pèse, chose lourde. [DMF]]Que les poteaux d'enfer croulaient dessous le faix.Maintes fois je brossais entre les longues piques,[Note : Phalange : Nom que les Grecs donnaient à leur infanterie. Plus particulièrement, phalange macédonienne, bataillon formé de huit mille hommes armés de piques et de boucliers, qui se composait de seize files en profondeur ; les cinq premières files croisaient leurs piques, et les onze dernières appuyaient les leurs sur les épaules des hommes placés devant eux. [L]]Frappant et renversant les phalanges Troïques,Qu'on entendait partout les rages, les fureurs, Des gendarmes mourant sous le fer des vainqueurs,Avec un tintamarre, et qui passait des gruesEt des oies au long col les criardes venues.[Note : Ajax est le fils de Télamon.]Ai-je pas fait paraître au fils de TélamonQue j'étais plus que lui en vertu et renom, Lorsque je remportais par mon docte langageD'Achille Pelion le gentil équipage ?Osant me prévaloir de science et de fait,Que j'étais capitaine et orateur parfait :[Note : Atrides : Nom donné aux fils d'Atrée : Agamamnon et Ménélas.]Dont Ajax fut confus devant les deux Atrides, Assistés des Barons et princes Argolides.Après ces beaux exploits le siège étant levé,Je m'abandonne au flot, à l'instant élevé.J'aborde en Ciconie, et delà calant voile,Je m'en viens droit surgir, sans phare et sans étoile, Aux fins de la Sicile, et puis l'horrible portDe Circé me reçut, que parvenant au bord[Note : Chenu : Tout blanc de vieillesse. Fig. Couvert de neige. [L] Ici, l'écume.]De l'Océan chenu, je fais un sacrifice,Je descend aux enfers, je reviens devers Circé,Circé qui transforma mes compagnons féaux De sa verge sorcière, en sales animaux,Et pour les emphiltrer, marmonnait à voix bassePlusieurs enchantements à l'entour de sa tasse.La laissant, ô grands dieux ! connus-je pas les voix,[Note : Filles d'Achéloïs : sirènes.]Connus-je pas les chants des filles d'Achelois ? Et lorsque ma cohorte offensa Phaetuse,Saccageant ses troupeaux, las ! Fus-je pas (ô ruse)Contraint de me sauver sur le mat du vaisseau,Bouleversé, lassé des bourrasques de l'eau ?Tandis que Calipso me tint en Ogygie, Et voulut de nectar m'entretenir la vie.Néanmoins tout cela, le Dieu olympienN'eut plutôt envoyé l'oiseau Cyllénien,[Note : Empourper : Terme de marine. Prendre un vaisseau en poupe, en parlant du vent. [L]]Qu'un vent paisible et doux empoupa mon navire.Je traversais les mers, où la bouillonnante ire De Neptune j'endurai. Las ! c'était fait de moi,Sinon que Leucothé, contemplant mon émoi,Me présenta un ais, dessus lequel j'arriveCalmement aux sablons de la Pheaque rive.De là, chers compagnons, vous m'avez amené. Voici, voici le port par les dieux ordonné,Mais si jamais j'ai eu quelque désir (ma troupe)Le premier c'est de voir ma femme Pénélope. ARLANGIN. Sire, après tant de maux que vous avez portés,Après tant de labeurs que vous avez domptés, Vous êtes en repos, vous avez récompenseD'avoir tant fatigué par une patience.Ainsi toujours les vents ne font sauter la mer,S'avoisinant des cieux, à force d'écumer,Et toujours Jupiter dardant son vite foudre, [Note : Sourcilleux : Fig. et poétiquement. Haut, élevé. [L]]Les sourcilleuses tours ne veut réduire en poudre. ULYSSE. [Note : Tors : Synonyme de tordu ; tors est l'ancien participe passé de tordre. [L]]Tant que les fleuves tors en la mer rouleront,Que les pâles jumeaux les cercles porteront,Soit qu'ailleurs, soit qu'ici tant soit peu je m'arrête,[Note : Arète : Reine des Phéaciens. Ceux-ci fournirent un navire à Ulysse pour retourner en Ithaque.]Toujours me souviendra de votre Reine Arète : Mais quoi, est-ce Morphé qui coule lentement,Attiré, d'aile d'or, en mon entendement ?Est-ce point l'air marin qui fait que ma paupière[Note : Baisoter : Diminutif et fréquentatif de baiser. Familièrement. [L]]Baisote l'autre, ainsi que ma tête guerrièreSe laisse ores gagner ? Hélas ! Combien de fois, Les armes sur le dos, j'ai résisté aux loisDe ce Dieu sommeilleux, et puisqu'à l'abordéeIl me rende pantois, dessus ma terre aimée,En sorte qu'il me faut malgré moi reposer,[Note : Accoiser : Rendre coi, calme, tranquille. [L]]Pour essayer un peu mes esprits accoiser. PANARETE. Faut-il que l'Ithaquois, après tant de vacarmes,D'escarmouches, d'assauts, de combats et d'alarmes,[Note : Flateux : variante ancienne et poétique de Flatueux : Terme de médecine. Qui cause des vents. Certains aliments sont flatueux.]Soit désormais dompté par un sommeil flateux ?Faut-il que la vertu d'un prince belliqueux[Note : Acasaner : Ne permet que leurs esprits s'abâtardissent ou s'acasanent en voluptés.]S'acasane si tôt, contre son fort courage, La terreur des Troyens, leur perte et leur dommage.[Note : Féru : Fig. Être féru d'une personne, d'une chose, en être très épris. ]Voyez de quels ennuis sont férus les mortels,Avant que de porter sur les sacrés autelsLes palmes, les lauriers, qui les seigneurs des terresHaussent jusqu'au cristal des rayonnantes sphères. Pourtant je suis fâché que nous laissions cet homme[Note : Languide : Qui est dans la langueur. [L]]Sans qu'il soit éveillé de ce languide somme.[Note : Raboteux : Par analogie, il se dit d'une superficie inégale, et particulièrement du terrain, des chemins. [L]]Mais voici son pays, aux coteaux raboteux :Il est en sûreté, c'est le vouloir des Dieux. FLORIDAN. Soldats, avançons-nous, sortons de cette terre, Ulysse est garanti des hasards de la guerre,Il sommeille à son aise, il prend le doux repos,Sans crainte de Telephe et de tous ses suppôts.[Note : Rouaux : roues.]En vain nous redoutons les rouaux de fortune,Il est en son royaume où la paix est commune. Nous pouvons le laisser à la rade du portQu'il a tant souhaité. Donc, sans autre discord,Rentrons dans les vaisseaux, voguons sur l'Amphitrite.On connaît ce Grégeois, on connaît son mérite :Ne tardons en ce lieu, mettons la voile au vent. Je sais que désormais la Reine nous attend. ARLANGIN. C'est assez discouru, n'en parlons davantage,Il est temps que chacun serre son équipage.De cheminer plus outre il ne nous est permis :Car nous avons été tant seulement commis Pour le conduire ici, en son île d'Ithaque,Où il sera reçu de son fils TélémaqueEt de tous ses sujets comme un roi généreux.Il faut donc démarrer ; cinglons à qui mieux mieux. PANARETE. Puisqu'ores il peut voir les montagnes Ithaques, Il nous faut rembarquer, pour tirer aux Pheaques. FLORIDAN. Adieu, la fleur des Grecs, or' adieu sa patrie,Qu'il aime cent fois plus que la fertile Asie.Vraiment, il est bien vrai que le pays natalÀ ne sais quel appât sur cet homme fatal. [II]. Pallas, Ulysse. PALLAS. Délaissant le séjour des tours Cecropiennes,Mon peuple tant aimé, mes eaux Tritonniennes,Je viens pour secourir Ulysse, mon mignon,Pour lui donner moyen d'entrer en sa maison.Je veux comme je fis le menant chez Arete, Le faire ores entrer finement chez Laerte.[Note : Vers 167, aucun vers ne rime avec étendu.]Mais hélas ! Je le vois de son long étendu.Quoi ! Quel morne sommeil harasse ta pensée ?Dis moi, Dulychien, qui d'une âme assuréeAs rompu des Troyens les escadrons guerriers, Et devant tous les Grecs, remporté les lauriers,Sans jamais succomber pour travail ni pour peine,Dégouttant de sueur, et basane d'arène,Le harnais endossé : mais ton coeur vigoureux[Note : Faitard : Terme vieilli. Qui tarde à faire quelque chose, paresseux. ]Devient ores faitard, bizarre et paresseux. Sus, Dieu chasse-souci, sus, Dieu aux pieds de laine,[Note : Amignoter : Traiter avec tendresse une personne que l'on aime; tenter de s'attirer les faveurs de quelqu'un par la douceur. [TLFI]]Cesse d'amignoter ce puissant capitaine,Repasse allégrement les hauts-baissés sillons,Tour t'aller reposer sous tes doux pavillons.Ulysse, éveille-toi, Ulysse, qu'on s'éveille, Écoute mon discours, captive ton oreille.T'ai-je fait revenir pour être fainéant,Tour être un endormi, un homme de néant ?Tu dors, et ta moitié, las ! Pour t'être fidèle,N'a point fermé les yeux, depuis que tu fis voile : [Note : Dameret : Homme dont la toilette et la galanterie ont de l'affectation. [L]]N'ayant aucun repos d'un tas de damerets[Note : Adonisé : Paré avec une grande recherche. [L]]Au poil adonisé, et la main tu n'y mets.Ceux de l'île de Same et de la haute Zante,Même les Ithaquois, bande en luxe vivante,Polybus, Antinos, Pysandre, Damastor, Eurimaque, Eocles, le fils de Polictor,Irus, Melanthius, les quels traîtres font rageDe gâter tes troupeaux avec ton héritage,[Note : Rapiner : Prendre injustement, en abusant des fonctions dont on est chargé. Ce fournisseur rapine sur tout ce qu'il achète. [L]]Possèdent ton palais, et tes biens rapinants,Sifflent, moquent ton fils et battent tes servants. Ils se jouent de toi, à leur grand avantage,Accroissent leurs moyens de ta perte et dommage.Montre-leur donc comment tu as de la valeur.Émousse-moi leur chef, sus, venge ton malheur.Tout ainsi qu'un lion, aime-sang, aime-proie, Ne tient en son marcher aucun chemin ni voie,Aussitôt qu'il se sent de la faim oppressé,Il court, il rode, il voûte, au carnage pressé,Afin de rencontrer, l'orée d'un bocage,Le bétail porte-corne allant au pâturage, Et le trouvant par sort, il lui donne l'assaut,Et de ses pieds griffus, déchire d'un plein saut[Note : Planure : s'est dit au XVIe siècle pour une plaine. [L]]Les taureaux ricanants par le long des planures[Note : Évaltonner : Prendre un ton dégagé, s'émanciper, égaré, hagard pour une personne. Ici, un emploi.]Et lieux évaltonnés des secondes pâtures :Tout de même je veux qu'avant beaucoup de jours, Tu bornes de par moi leur vie et leurs amours. ULYSSE. Ha, Dame des combats, ma guerrière princesse,[Note : Haut-tonnant : Jupiter ou Zeus.]Fille du haut-tonnant, guide de ma vieillesse,Que je baise tes pieds, ha ! Que je baise encor[Note : Rudache : arme.]Ta lance, ton rudache et ce crin à fil d'or. Sainte race du ciel, hé ! Suis-je encor digneD'apprendre de ta part d'où dépend ma ruine ?Toi, la terreur de Mars, daignes-tu bien, et quoi !Me venir consoler quand je suis en émoi ?Tout ainsi qu'on peut voir la nourrice qui garde Endormir son enfant, et soigneuse le gardeQu'il ne soit offensé, ores d'un pareil soinTu te montres vers moi, m'assistant au besoin.Vierge, combien de fois, en dépit de NeptuneEt des vents orageux, j'ai vaincu la fortune ? Vierge, combien de fois ton assuré conseil M'a été favorable, en danger tout pareil ?Je sais que tu connais la fin de mes affaires,[Note : Drillement : on dirait plutôt brillement.]Non par le drillement des étoiles plus claires,Ni par le gazouillis des prophètes oiseaux, Ou te penchant dessus les consultés boyaux,[Note : Ains : mais.]Ains d'un rare savoir et science parfaite.Tu me dis ce qu'on fait chez mon père Laerte,Déesse, dis-moi donc, dis-moi donc la façonDe tirer ces mignons de hors de ma maison. PALLAS. Ôte-moi ces habits, cette pompe royale,Ôte ce coutelas, prends un vieil habit sale,Jains que tu veux servir, mais cependant il fautSavoir bien endurer. ULYSSE. Madame, il ne m'en chaut.Plutôt j'endurerai cent mille bastonnades, Puisque me conseillez leur dresser embuscades. PALLAS. Aussi je te promets qu'en après tous ces mauxQue tu auras souffert, qu'après ces durs travaux,Bravement tu feras broncher l'outrecuidanceDe ces sots qui voulaient ébranler la constance De ta chaste moitié : car entends-tu, je veuxQue choisissant le temps, tu te rues sur eux,Et là je t'aiderai. Que si tu fais, Ulysse,Tout ce que je t'ai dit, fortune t'est propice. ULYSSE. Doncques non autrement qu'un taureau mugissant S'en va de parc en parc heurtant et tracassant,Sans redouter les loups tapis en leur tanière,Il me faut les bourrer sans tirer en arrière. PALLAS. Crois qu'ainsi tu viendras au bout de ton projet. ULYSSE. Bien, vierge, vous verrez que cela sera fait. ACTE II [I]. Télémaque, Eumée, Philete. TÉLÉMAQUE. Si d'un brave seigneur la prouesse admirable,Malgré les envieux, doit être redoutable,Si un coeur martial a jamais méritéDe buriner son nom au mont d'éternité,C'est de mon père seul, le premier de la Grèce Qui eut tant de vertu, tant de force et d'adresse,Les Dardanes campant, que leurs hauts bâtimentsFurent bouleversés jusques aux fondements.Néanmoins ceux de Same, hardis par son absence,Ne redoutent le fer de sa guerrière lance. Qui plus est sans raison, ils gaspillent ses biens,Et si m'ont dechassé, comme n'étant des siens.Ô Dieux ! Quelle douleur me plombe la poitrine,Quand je viens à parler de l'orage et ruine.Mes sens sont pleins d'horreur, je suis hors de chez moi Aussitôt que je pense à tout leur désarroi.Ces couards, ces mutins, sans avoir l'âme atteinte[Note : Pointeler : Guider, aiguilloner. [Godefroy]]D'un pointelant remord, m'ont-ils pas, quelle crainte,Réduit presqu'au tombeau, quand j'avais entreprisD'aller trouver Nestor, au conseil bien appris. Si je savais trouver en l'Arabique terreWon géniteur, mon Roi, la foudre de la guerre,Je l'irais rechercher, pour lui conter les mauxQue nous font ressentir ses sujets, ses vassaux.Ni l 'horreur des rochers, des lions, ni des ourses Ne tarderaient mes pas, ni les plus longues courses.[Note : Brandon : Bouquet de paille enflammé, dont on se sert pour s'éclairer. [L] Ici métaphore du soleil.]Soit que dedans les cieux le perruqué brandon[Note : Tithon : Prince Troyen, frère de Priam, était si beau que l'Aurore l'enleva pour en faire son époux. [B]]Déchasse les nuaux du coucher de Tithon,Pour tôt faire avancer l'aurore coutumière[Note : Roussin : Cheval entier un peu épais et entre deux tailles. [L]]D'atteler les roussins du char porte-lumière, [Note : La fin du vers est dans la source : "Chex, u"]Ou soit qu'après son cours il baigne asens chevaux,Et penche son brancard vers les baltiques eaux,[Note : Détire : Tirer en tout sens. [L]]Un travail angoisseux mon coeur ronge et détire,Sans avoir nul repos. C'est pourquoi je désireQu'ainsi qu'un léopard bourrelé de la faim, Que l'hiver a serré en un creux souterrain,S'éventant peu à peu, galope par la plaineEt dévore, cruel, l'escadron porte-laine,De même mon cher père alarme ces amants,Qui misérable m'ont réduit parmi ces champs. Je t'invoque, grand Dieu, qui forges et martèlesLe tonnerre grondant, aux rouges étincelles.Je t'invoque, Phébus, qui luis de toutes parts,Qui écartes la nuit de tes cheveux épars.Je t'invoque, Cypris, la race de Diane, Toi aussi l'autre enfant de la belle Latone :[Note : Méchef : Terme vieilli. Fâcheuse aventure. [L]]Et vous tous, autres Dieux, témoins de ce méchef.Foudroyez ces tyrans et écrasez leur chef.Que si tel accident davantage demeure,Il me convient en bref qu'ici près vous je meure. EUMÉE. Prince, si vous aimez ; le conseil et raison,Ne vous fâchez jamais qu'à bonne occasion :Je sais qu'ils sont pervers, leurs tours assez le disent,[Note : Rader : du latin radere. raser. [L]]Pillant, radant vos biens, et ne s'en assouvissent.Il vous faut néanmoins modérer votre coeur Pour demeurer un jour leur maître et leur seigneur.Et lors vous gagnerez un superbe trophée,[Note : Corrival : rival. [L]]Quand de ces corrivaux l'île sera purgée.J'espère que les dieux y porteront vos mains,Si bien à temps et lieu, que tous ces inhumains Seront exterminés et verront sur leur têtePleuvoir du ciel vengeur une horrible tempête.Comme les louveteaux, nourris au coin d'un boisPar leur mère gloutonne, ayant fait plusieurs foisAux hameaux d'alentour un extrême dommage, Ores mangeant un boeuf au milieu de l'herbage,Ores une brebis, une vache, un agneau,Une chèvre, ou un bouc écarté du troupeau,Enfin sont assommés par la rustre brigade,Après plusieurs aguets, en forme d 'embuscade : Faites en cas pareil, espionnez leurs pas,Et me les dévidez aux aveugles ébats.Le Dieu porte-trident, après la grand' tourmente,Rassérène les flots et rend la mer plaisante.Les Dieux m'envoient jamais des malheurs aux humains, Sans leur donner aussi des remèdes soudains,Et jamais les méchants ne dominent sur terre,Sans Alcides Thébains qui leur fassent la guerre.Attendez, endurez, constant en chaque lieu :(Cela fait estimer un homme demi-dieu,) Quand il bon-bondirait trop plus de maux encore,[Note : Pandore, première femme dans la mythologie grecque, ouvrit une boite de laquelle s'échappèrent tous mes maux et la referma soudain en y laissant l'espoir.]Qu'il n'en sortit du vase et l'infecte Pandore.[Note : Piper : Fig. Tromper, séduire, enjôler. [L]]Les plus galants esprits sont perdus et pipés[Note : Faitard : (fétard dans le texte) Terme vieilli. Qui tarde à faire quelque chose, paresseux. [L]]Et deviennent faitards s'ils ne sont occupés.Si un brave gendarme est trop en une place, Il en rabat beaucoup de sa première audace.Bref ce qui est dessous la cambrure des cieux,Est sujet au labeur pénible et rigoureux.Ainsi la flamme et l'eau se choquent, se tourmentent,L'air va en contre-fil, de peur qu'ils ne s'assemblent : [Note : Globeau : Corps sphérique relativement petit. [DMF]]De sorte que les corps de ce globeau terreurSe rangent au travail, sans se montrer oiseux.Comme les postillons de la saison frileuse[Note : Rhodope : Montagne de Thrace.][Note : Coupeau : Partie la plus haute de quelque chose, sommet. [DMF]]Assiègent le coupeau de Rhodope neigeuse,[Note : Maugré : Ancienne forme de malgré. [L]]Et pensent tenir fort maugré le clair Titan, Qui les fait débusquer, exterminant leur camp,Si bien que les Sylvains, les nymphes et les fées[Note : Cotte : Jupe de paysanne, plissée par le haut à la ceinture. Cotte d'armes, habillement que mettaient autrefois les chevaliers sur leurs armes, tant à la guerre que dans les tournois, et qui était porté par les hérauts d'armes. [L]]Y reviennent danser à cottes agrafées,J'espère tout ainsi, et tels sont mes désirs,Que ce brouillard obscur, cause de vos soupirs, Sera bien dissipé par l'arrivée heureuseDe votre père. Et lors fortune plus joyeuse .Nous rira. C'est pourquoi vous ne devez ainsiVous plonger en douleurs, mais endurer ici. TÉLÉMAQUE. Ha ! Quel sage conseil découle de ta bouche, [Note : Eumée : porcher d'Ulysse et de son père Laërte.]Eumée, mon grand ami, qui de si près me touche.J'ai toujours bien appris que non pour autre finQue pour moi, tu n'avais le discours si divin.Je sais qu'on doit peiner pour avoir la couronneQu'attend un mâle-coeur, qui plus âpre rayonne Que le flambant soleil, dont le lustre au teint d'or[Note : Pourpris : Enceinte, habitation. [L]]Enrichit le pourpris des habitants du Nord.Voyez-vous par aussi comment, hélas ! J'endureCe travail soucieux, qui si longuement dure ?Car jugeant que j'étais contraint par mon malheur De quitter le logis, où il ne fait plus sûr,[Note : Quand et quand : loin de. [L]]J'ai laissé quand et quand cette royale altesse,Les fragiles honneurs, et la vaine richesse.Tête des gouverneurs, des rois, des magistrats,Et de tous ceux qui ont les charges et États. C'est parmi les torrents que Tantale travailleTour étancher sa soif, et qu'il s'ouvre et qu'il baille[Note : Besson : Jumeau, jumelle ; l'un des deux enfants d'une même couche. Vieux et inusité, si ce n'est dans quelques provinces. [L]]D'une lèvre bessonne à l'eau qu'il voit courir,Et ne peut, altéré, sa douleur secourir.Mais comme le Liban résiste contre Éole, Je ferai des efforts de fait et de parole :Si bien que vous oirez de leurs funestes crisLes astres résonner fâchés d'un tel mépris.Que deuil ce temps-pendant, de tant vivre en servage,Au lieu de commander dessus son héritage. Les pertes, les dangers s'offrent parmi ces lieux,Comme flambeaux ardents qui brillent dans les cieux,Et ne se trouve aucun qui de m'aider souhaite,Sinon toi (cher Eumée) avec le bon Philète. PHILÈTE. [Note : Surgeon : Fig. Descendant, rejeton d'une race (vieilli en ce sens). [L]]Prince, surgeon sacré d'Ulysse valeureux, Il faut aux accidents se montrer vertueux.Ainsi Hercul[e], Thésée et les héros antiquesAcquièrent grand renom parmi les Républiques.Les vices effrontés s'opposent aux vertus,Qui leur brisent le chef comme à monstres têtus. Car ainsi que la mer est souvent agitée[Note : Autan : Vent du midi. En poésie, un vent violent. [L]]Des autans furieux, et que l'onde obstinéeSe hausse vers le ciel, ne cessant d'écumer,De sorte qu'on dirait que tout va s'abîmer :De même les grands rois suit l'obscure tempête, Et parmi leurs grandeurs vient assaillir leur tête.Mais comme un bon pilot[e], qui voit courroucer l'eau,Sauve les mariniers et le voguant vaisseau,Ainsi la galantise et sagesse d'un princeConserve son pays et ceux de sa province. Ne perdez plus ainsi la chère libertéSans tirer ces faquins hors de votre cité. TÉLÉMAQUE. Pensez que la victoire est de telle manièreQu'elle arrive souvent aux soldats journalière,[Note : Belliqueur : guerrier. ]Et traçant à l'acier le prix d'un belliqueur On est ores vaincu, incontinent vainqueur. PHILÈTE. Mettez-nous en devoir afin de les surprendre.Vous verrez que pourrons assaillir et défendre[Note : Carguer : Terme de marine. Serrer et trousser les voiles contre leurs vergues, au moyen des cargues. [L]]À pied et à chenal, carguer de près, de loin,Reculer, arrêter, quand il en est besoin : Pour-pensant que ceux-là, qui leur seigneur révèrent,Et pour un bon sujet au combat persévèrent,Mieux se démêleront des martiaux dangersQue couards, que poltrons, que fats, que mensongers. TÉLÉMAQUE. Ô quel comble de maux ! De voir ainsi rebelles Nos hommes, nos cités, et sans justes querelles.[Note : Bastant : Suffisant. [L]]De s'en vouloir venger, nous ne sommes bastants,Ce serait donc en pain d 'y mettre notre temps. EUMÉE. À un coeur généreux toute chose est facile,Le plus âpre conflit ne lui est difficile. On trouve bien souvent le grand nombre inutile.Un soldat aguerri en vaut parfois dix milles.L'avis et le conseil sert plus dans les arméesQue les gros régiments d'Achille ou Thésée.Ne vous laissez donc point gagner au désespoir, Il vous viendra quelque heur de contre votre espoir.Que savez-vous si Dieu, devenu plus propice,Conduira point de bref en ce pays Ulysse ?Et tandis c'est à vous, doué d'un gentil coeur,À disposer vos gens, ainsi que le pasteur À souvent de coutume, arrivant sur la brune,De dresser ses troupeaux en l'herbeuse commune. [II]. Les Mêmes, Ulysse. ULYSSE. [Note : Fureter : Fig. Fouiller, chercher partout. [L]]Je sens un feu brûlant, qui furète mes osMon coeur et mes poumons, sans avoir nul repos:Mille et mille dangers ont dessus moi puissance, Avant que de ranger sous mon obéissanceMes cités, mes maisons au surdoré lambris,Que tiennent mes vassaux qui m'ont en tel mépris.En faveur de Pallas, dont la divine audace,Devance les beaux faits du colonel de Thrace, Je gravirais dessus le Caucase neigeux,Au travers des haliers et buissons épineux,Trouvant pour lui servir agréable ma peine,Vu que sans son secours mon entreprise est vaine.Plutôt les Neustriens aux batailles hardis Se laisseront frauder des guirlandes de prix,Que je fausse jamais d'un seul point ma promesseOu le commandement de ma chaste déesse.Je veux donc achever comme j'ai commencé,En équipage tel. J'ai tout bien pourpensé. Je vais premier aux champs où mes troupeaux de bêtesSont gardés. Mais (ô dieux ! Je reconnais aux gestesMes gens que je vois là, sans beaucoup de souci,Lesquels savent fort bien comme tout va ici.Vois-je point arrêté mon serviteur Eumée ? Si c'est lui j'entrerai dans ma cité aimée.Je m'en vais donc à lui. EUMÉE. Dieux ! Quel homme voilà.J'ai grand pitié de lui voyant l'habit qu'il a.Vraiment je l'attendrai. ULYSSE. Ami, les dieux te gardent,Et que dorénavant d'un bon oeil me regardent. Que vous êtes heureux entre les pastoureaux,D'estre ainsi à repos sous l'ombre des ormeaux.Vous oyez le babil des fontaines sacréesEt voyez à plaisir l'émail des belles prées,Des pentes, des rochers, nourrissons des ruisseaux, Superbement couverts de feuillus arbrisseaux.Vous sarmentez l'oeillet, la gaie pâquerette,Et joignez au pavot la pâle violette,Tandis que vos troupeaux bricolent sur le vert.Ce vous est un plaisir façonner a couvert Des bouquets doux flairants, de fleurs entrelacées,Qui rendent des odeurs diversement mêlées.Vous sautez comme Pan, lorsque dedans les bois[Note : Flageol : ou Flageolet. Sorte de flûte à bec percée de six trous et armée de clefs, qui a des sons très aigus. [F]]Il désire embaucher son flageol ou haut-bois :Un bataillon de soins ne rompt votre pensée, [Note : Arigot : Sorte de fifre.]Quand mêlez l'arigot à la flûte dorée,Selon les sifletis et musicaux détoursDes peuples emplumés qui vantent leurs amours,Des ailes trémoussants, ou bien quand l'un s'égaye[Note : Gringotter : Familièrement. Il se dit des personnes qui fredonnent mal. [L]][Note : Coudraie : Lieu planté de coudriers. [L]]À gringotter plus haut dans l'épaisse coudraie. Lors vous savez quels chants et quels célestes tonsEnsembles découpaient ces chantres oisillons.Mais quand je vois du ciel la maligne influence.Qui épanche sur moi un Nil de déplaisance,De travaux et de faim, il me fait tant souffrir, Que je viens pour chercher quelque maître à servir.La nuit a pris deux fois sa capeline noire,Depuis que mon corps est sans manger et sans boire :C'est pourquoi je vous prie que je puisse or' aller,Chez Ulysse, duquel j'ai tant ouï parler. PHILÈTE. Après tant de soupirs en forme de complainte,Et les cuisants ennuis qui ont votre âme atteinte,Je pense que les dieux vous donneront secours,Premier que le soleil parachève son cours.Marchés quand et quand nous, du long ces frais ombrages, Compagnes des forêts, des antres et rivages,Où broutent nos moutons, nos chèvres, nos agneaux[Note : Lambruche : Nom vulgaire donné, dans quelques cantons du midi de la France, à des ceps de vigne croissant spontanément et sauvages. [L]]La lambruche bâtarde et les bas arbrisseauxPlantez en échiquier, à l'entour des vallées,Des tertres, des couteaux, des plaines bigarrées En diverses couleurs, si bien que les Sylvains,Les satyres, les pans et les faunes terrains,Viennent sauter, courir dans l'herbeux pâturage,Où paissent nos troupeaux le serpolet sauvage.Sortons donc, compagnons, de ce bocage vert, Il semble que Phebus nous appelle au couvert,Et hâte ses coursiers d'approcher de Nérée,En tirant les rideaux sur sa couche dorée,Pour permettre a la nuit de ramener aux cieuxLes azurés flambeaux et les feux radieux. Déjà de l'océan el' poste brune et sombre,[Note : Encourtiner : Garnir de courtines, de tapisseries, de rideaux. [L]0 Assombrir.]Encourtinant les cieux et les montagnes d'ombre.Il est temps de trier nos scadrons encornésQui sont confusément ça et là détournés,[Note : Tect : du latin Tectum Toit.]Pour les mener au tect. Demain dès que l'Aurore Aura pris le manteau que l'Orient décoreD'une blonde couleur, dès qu'ainsi s'avançantEll' guidera du jour le flambeau rougissant,(Puisque vous désirés de voir l'hôtel d'UlysseQui est ores absent, à qui Dieu soit propice), Ensemble nous irons, par l'orée des bois,Aborder les parois du donjon Ithaquois.Là je crois que le ciel d'une grâce sereine,Vu que c'est votre but, vous tirera de peine,Et un autre dessein paisible et gracieux Ira vous caressant jusques dedans les cieux,Avecque le plaisir des riches édifices,[Note : Comices : Terme d'antiquité. Nom que les Romains donnaient à leurs assemblées pour l'élection des magistrats, et pour d'autres affaires publiques. [L]]Des chapiteaux, des tours, des thermes, des comices. EUMÉE. Mais il faut vous résoudre aux Syrtes et aux flots,Car les servants y sont battus à tous propos : Et qui pis est encor sa femme PénélopeTravaille jour et nuit plus qu'un sueux cyclope,Pour se désempétrer d'une bande d'amants[Note : En fin de vers on lit Tans, nous lui préférons temps.]Qu'elle amuse si bien qu'ils y perdent leur temps.Que si son cher mari, Ulysse, roi d'Ithaque, La vient jamais revoir et son fils Télémaque,Ceux qui mangent ses biens, et à son déshonneurConsomment leur jeunesse auprès son chaste coeur,Je chante leur tombeau, je chante leur ruine,[Note : Rapine : Action de ravir quelque chose par violence. Volerie, larcin, concussion. [L]]Comme dernier ressort de leur longue rapine. Je chante le tourment et le cruel effort.Qui leur fera premier que de sentir la mort.Ils se vautrent lascifs dans les molles délices,[Note : Gêne : La question qu'on faisait subir aux accusés pour leur arracher des révélations. Par extension, douleurs très vives comparées à celles de la question. [L]]Qui seront les bourreaux, leurs gênes, leurs supplices :Et ceux que le destin sauvera des mains du Roi, Honteux seront contraints d'aller mourir chez soi.Les ces esprits mutins, en écumant de rage,Recevront le loyer de leur superbe outrage. ACTE III [I]. Pénélope, Laerte. PÉNÉLOPE. Puis-je pas bien blâmer les mouvements des cieux,Vénus, reine d'Eryce, et son fils furieux ? Puis-je pas maintenant a bon droit le mal plaindreQue j'ai de ces tyrans, qui me veulent astreindreD'adorer leur beauté, leurs grâces et leurs yeux,[Note : Stygieux : qui a les qualités sombres du Styx, fleuve de l'Enfer.]Que j'ai plus en horreur que le fond stygieux ?Plutôt je passerai l'infernale rivière Que je veuille obéir à leur vile prière.[Note : Clothon et Atropos : Parques, Clothon tisse le fil de la vie, et Atropos le coupe.]Que faites-vous, Clothon, compagne d'Atropos ?Venez, courez, sortez à mes faibles propos.[Note : Parfiler : Défaire fil à fil une étoffe ou un galon, soit d'or, soit d'argent, et séparer l'or et l'argent. [L]]Ha ! Filles de la nuit, parfilez vos fusées,[Note : Achérontées : Qui a les qualités de l'Acheron, fleuve des Enfers.]Et m'envoyez en bref aux eaux Acherontées. Que le fatal coton qui causera ma nuit[Note : Ciseler : Terme de découpeur. Ciseler du velours, découper avec agréments et en manière de fleurs le dessus du velours avec la pointe des ciseaux. [L]]Soit ciselé menu et en poudre réduit !Ô astres lumineux ! Ô terres ! Ô vous rivières,Je me complains à vous, oyez donc mes prières,Et vous pareillement, esprits tempêtueux Qui punissez les maux des hommes outrageux,Vengez sans différer ces rigueurs, ces encombres,Et me les engouffrez aux plutoniques ombres,Avec un tel fracas qu'il semble entièrement[Note : Glandier : arbre qui fabrique des glands : le chêne.]De glandiers ou de pins abattus par le vent. Jamais l'oeil Delien ne vit telle détresse,Passe-filant le tour de sa luisante tresse,Que l'angoisseux tourment, de quand Ulysse preuxEn qui gît tout mon bien, ce prince généreux,[Note : Dans l'Illiade, Hélène, enlevé par Pâris, est la fille de Léda et Tyndare.]Fît voile pour ravoir la Tyndaride Hélène, Cause de mes ennuis et de ma dure peine.Pourquoi, vieillard Neptune, quand Pâris vint par merLa ravir contre droit, ne fis-tu abîmerSon corsaire vaisseau, et que l'eau furieuseTôt ne l'engloutissait en son onde écumeuse ? [Note : Panopée : Est une des filles de Nérée (néréïde) dans la mythologie grecque.]Vous, moites déités, Panopée et Tritons,Pourquoi ne l'avez-vous plongé sous vos maisons,Et puis fait trébucher dans la frêle navireDu renfrogné Charon, nocher du bas empire ?Et vous, esprits venteux, qui boursouflez les eaux, Qui les faites bondir par dessus les bateaux,[Note : Havre : Anciennement, port de mer quelconque. [L]]Que ne le jetiez-vous dans le havre de Troie,Dès qu'il eut le vouloir de prendre ceste voie ?Que maudit soi Amour, ses traits et son carquois,Puisque par lui je perds mon loyal Ithaquois. Je suis incessamment sur ma toile tendue,Sans en pouvoir sortir que triste et éperdue.Hélas ! Mon père Icare en est bien averti, Et si veut que pourtant je prenne autre parti,Que je veuille laisser mon Ulysse, ma vie, Mon support, mon soulas, que j'ai cette envie,Que je veuille laisser mon cher prince et mon roi,Que je rompe jamais ma promesse et ma foi,[Note : Zante : île grecque de la mer Ionnienne.]Pour tous ces courtisans, pour ces mignons de ZanteEt de l'ile Samos, tourbe en excès vivante. [Note : Planir : aplanir. [DMF]]Plutôt les monts bossus planiront leurs coupeauxEt suivront les dauphins aux entorses des eaux,Plutôt le clair soleil ralentira sa course,[Note : Ourse : Il s'agit ici de la Constellation de L'Ourse composée de sept étoiles.]Plutôt les sept Trions s'éclipseront de l'Ourse,Et plutôt de Thétis sera le flot tari, Que je veuille jamais avoir d'autre mary.[Note : Laërte : Père d'Ulysse.]Mais quoi, voici Laërte, d'une face dolente,Qui me cherche en tandis que seule je lamente[Note : Poindre : Piquer [L]]La grandeur de mon mal, qui jour et nuit me point.Je m'en vais l'accoster (Dieu aidant) bien à point. LAERTE. Ruminant à par moi les obscures tempêtes,Que le ciel tournoyant décoche sur nos têtes,Je suis presque confus et ne puis que penserParmi tant de malheurs qui nous viennent frapper,[Note : Colérer : se mettre en colère. [L]][Note : Las : Tournure vieillie pour "Hélas".]Sinon las ! Que les Dieux colérés contre nous Suscitent ces amants plus sauvages que loups.Encore te ne plains point ma pénible souffrance,Pourvu que m'assuriez d'avoir persévérance,[Note : Paphien : Originaire de Paphos, surnom du dieu Amour.]Contre ce Paphien, aime-jeux, aime-ébats,[Note : Dédale : Fig. Embarras, complication, confusion. [L]]De peur que ne tombions en dédales plus bas : Car si vous contractiez avec eux alliance,[Note : S'engréger : s'agraver, s'accumuler.]Mon mal s'engrégerait, sans espoir d'allégeance.Par le fol Cupidon on perd l'entendement,Les sens et la raison avec le jugement.Par le fol Cupidon on n'a rien que tempête, Que regrets, que soupirs qui vont rongeant la tête,Enfin pour un plaisir on a mille douleurs.Après son bel accueil ce ne sont que malheurs.[Note : Diffame : substantif du verbe diffamer signifiant déshonneur.][Note : Hôteler : Loger, recevoir chez soi. [L]]N'hôtelez donc l'amour, de peur d'un tel diffame,C'est une grand[e] vertu de comprimer sa flame. PÉNÉLOPE. Je ne sentis jamais si confite douceurQue vos propos, après un si grand crève-coeur.Cependant je ferai que le temps qui tout brise,Ne pourra ombrager ma beauté tant exquise,De myrte verdoyant, consacré au plaisir. Mon père dites-moi (si vous avez loisir)D'où s'engendre l'amour ? LAERTE. D'une passion folle. PÉNÉLOPE. Que peut faire l'amour ? LAERTE. Les sages il affole. PÉNÉLOPE. Et qu'est-ce que l'amour ? LAERTE. Un fin enchantement,Un doux venin couvert de morne pansement. PÉNÉLOPE. Combien dure l'amour ? LAERTE. Autant que fait la vie. PÉNÉLOPE. Peut-il durer toujours ? LAERTE. Mourant il reprend vie. PÉNÉLOPE. Ô amants alterés, transis et souffreteux,Secouez le fardeau que portez tant honteux.Aussitôt que le jour a ses portes décloses Et qu'on voit s'avancer l'Aurore aux doigts de roses,Vous venez devers moi, sous de belles raisons,[Note : Rest : Filet pour prendre du poisson, du gibier. [L]][Note : Pipeur : Celui qui trompe de quelque manière que ce soit. [L]]M'appâter en vos rets et pipeurs hameçons[Note : Grief : Douloureux. [L]]Mais vous gagnez autant pour votre griève peine[Note : Cil : terme vieilli pour celui.]Que cil qui conterait le sable de Sardaigne ; Car le dur souvenir de mon mal enduréVa emmurant mon coeur dans un plastron ferré,Dont ma pudicité aussi ferme se fonde[Note : Ceraunean : qualifie les Montagnes de l'Epire en Grèce.]Qu'un roc Ceraunean battu du ciel, de l'onde,Si bien qu'aucun amour en moi n'est retrouvé, Qui ne soit vertueux et d' Ulysse approuvé. LAERTE. Vante amour qui voudra par un docte langage,Et le face un grand Dieu, selon son fol courage :Pour moi je reconnais qu'il tend à décevoirCeux qui veulent cher eux gaiement le recevoir. Ses traits sont si pointus qu'ils rebouchent la vueEt rendent la raison confuse et éperdue.Ce Thébain monstricide, Hercule vertueux,[Note : S'accouardir : Rendre couard.[L]]En bref s'accouardit, devenu amoureux[Note : Tistre : Il signifie tisser et est usité seulement au participe passé tissu, et aux temps qui en sont composés. [L]]D'Iole, qui sonnent le contraignit de tistre Et tourner le fuseau (ô changement sinistre).[Note : Alcide : Nom d'Hercule dont on se sert pour désigner un homme très fort. C'est un alcide.]Alcide tu-géant, après avoir domptéLe monde spacieux, d'amour est surmonté,Et jette sa massue aux deux pieds de sa dame,Tour vêtir les habits d'une impudique femme. [Note : Pyrame : Personnage de la mythologie, nourrissant une passion pour Thisbé.][Note : Méchef : Terme vieilli. Fâcheuse aventure. [L]]De Pyrame est certain l'infortuné méchef,Lorsqu'il trouve à l'écart le poli couvre-chefDe Thysbée sanglant, au bord de la fontaine.[Note : Pourpenser : Méditer longuement ; penser mûrement à un but donné. [L]]Pourpensant que son coeur, que sa douce inhumaineEut senti la rigueur d'un lion furieux, Il se tua premier, en maudissant les cieux.Elle après arrivant, s'extase sur la place,[Note : Naturer : Qui façonne qui crée. [DMF]]Et se naturant le corps, moururent face à face.La fille au roi de Thrace, éprise de l'amour[Note : Démophon : fils de Thésée.]Du brave Demophon, second astre du jour, De qui les traits mignards faisaient honte à l'auroreCourtisant son Titon sur l'Indique Bosphore,Pour que ce trop longtemps à Cethine se tint,D'un lien s'étouffa, avant qu'il en revint.La seule volupté, prodigue de la vie, Est sans aucun repos de tempête suivie.[Note : Héro se jeta à la mer pour rejoindre Héro et mourut.]Ainsi mourut Héro dans les flots de la merAuprès de Léandre qui venait pour l'aimer.On sait pourtant que Mycre, et Menephre, et CorebeTombèrent par l'amour ès plages de l'Erebe. Or si les Dieux n'ont pu éviter ses attraits,À peine les mortels résist[e]ront à ses traits.Il contraignit Jupin de changer sa figure[Note : Ribler : Aiguiser une meule neuve avec de l'eau ou du sable sec, et en la frottant contre une autre. [L]]En un taureau cornu, riblant par la pâture,Et ce grizard Neptune, monarque de la mer, Ne craignit sa grandeur en cheval transformer.[Note : Pomone : Dans le mythologie gréco-romaine, déesse des jardins.]Pomone le sait bien, si fait aussi Méduse.Jadis il semonça se servir d'autre ruseL'Atlantique courrier, et le puissant Dieu Mars,Les faisant se ranger dessous ses étendards. Vainquit-il pas Phebus qui aux astres commande,[Note : Houppelande : Espèce de douillette ou vêtement long, ouaté, non ajusté, à manches, à col plat, que les hommes mettaient par-dessus leur habit, et que les prêtres portent encore l'hiver par-dessus leur soutane. [L]]Lui faisant d'un berger vêtir la houppelande ?Que des sphères partant, plus vite qu'un ballonIl devint amoureux, comme un autre Pluton.Bref ce qui est au monde, et en ciel, et en terre, Se ressent travaillé d'une amoureuse guerre. PÉNÉLOPE. J'ai souffert par l'amour tant d'assauts, tant d'alarmes,[Note : Pergames : Citadelle d'Asie mineure. Ici la citadelle de Troie.]J'en ai plus supporté que les Troyens Pergames,Qu'on ne voit de fleurs, au Printemps, dans les champs,N'y d'épis hérissés sur les plis ondoyants De la robe à Cerès, richement étofféeDe frisés crépillons, à la couleur dorée. LAERTE. Prenez ; encor courage et portez les tourments,Les pertes, les rumeurs que nous font ces amants.Aussi vous acquerrez une grand' renommée, Que le temps oublieux ne rendra consommée. PÉNÉLOPE. Mon père bien aimé, je ferai que l'amourNe charmera les yeux qui me donnent le jour :Vous le pouvez penser, mesurant ma constance,Mon port et mon maintien, arcades d'assurance, Et qui sur piédestal tiennent ma volontéDans les plis gardiens de ma pudicité :Attendu que Venus n'a changé mon courage.Depuis que j'ai tramé le fil de mon ouvrage,[Note : Journalier bradon : le soleil.]Le journalier brandon a roulé dans les cieux, Quatre lustres entiers, son coche radieux,Et durant tout ce temps je n'ai point au de cesseDe tistre et de filer, non sans beaucoup d'adresse.Aussitôt que le jour commence à s'auancer[Note : L'Aurore aima Céphale.]Et l'amie a Cephal[e] son chemin commencer, [Note : Petits feux : étoiles.]Chassant les petits feux de la nuit azurée,[Note : Ouvrer : travailler. [L]]Je ne cesse d'ouvrer tout du long la journée.Puis alors que Phébus détourne ses chevaux[Note : Espagnoles eaux : l'ouest.]Pour gagner le séjour des Espagnoles eaux,Je défais fil à fil, aux rayons de la lune, Ce que j'avais tissu sur ma gaze importune,Si bien que Cupidon, décochant ses durs traits,Perd ses coups, tant sur moi peu valent ses attraits.Mais qui me fâche plus, las ! Ce sont mes servantes,Qui portent dans leurs coeurs les dardes flamboyantes D'Amour porte-carquois, de chaleur enflammé,Qui leur a fait sentir son feu envenimé,Que perdant sentiment sur la fin de leur âge,[Note : Idalien cordage : l'arc de cupidon.]Elles n'ont pu fausser l'Idalien cordage.[Note : Cuidre : Croire, penser.]Las ! Ils cuident ainsi mon courage domoter, Qui ne craint les canons du tonnant Jupiter.Agitez vos esprits, tourmentez-moi sans cesse,J'aurai pour mon secours l'effroyable DéesseQui fit mourir Ajax pour avoir defloré[Note : Cassandre : Fille de Priam, qui, prédisant l'avenir, n'était jamais crue des Troyens. [L]]La fille de Priam après son autel sacré. Redoutez son pouvoir, de peur qu'une tempêteDe cailloux foudroyés ne vous brise la tête,Ou que ses rais aigus de sa vue clartéN'empierrent vos cerveaux d'horrible cruauté :Car avant d'oublier de mon mari la grâce, Le feu, la terre et l'eau franchiront de leur place,Et le père des Dieux échauffé de courroux[Note : Foudre : Poétiquement et au masculin. Catastrophe, destruction. [L] ]M'écrasera le chef de son foudre à tous coups.[Note : La soeur jumelle de Phébus est Diane.]Soeur jumelle à Phébus, chasseresse agréable,Prends le soin de mes jours, en ce temps misérable, Et fais que Cupidon, aveugle et furieux,Détourne ses brandons élancés vers mes yeux.Je ne puis plus souffrir l'effort de son martyre.C'est pourquoi maintenant d 'ici je me retire,[Note : Le Mopnt Cinthe ou Cynthus se situe dans l'ile grecque de Délos.]Et m'en vais au sommet de Cinthe, le haut mont, Où les troupeaux sacrés des chastes Dames vontApaiser leurs ennuis, avec les Nymphes saintesEt d'autres déités, toujours ensemble jointes. LAERTE. Différez ce dessein. Je crois que votre épouxEst dedans ce château. PÉNÉLOPE. Quoi le penseriez-vous ? LAERTE. Il a un tel maintien, et les traits du visageM'en donnent pour certain je ne sais quel présage.Télémaque, Euryclée et les pasteurs l'ont cherAvec le chien Argus, qui vient le caresser.Si bien que maintenant il faut par artifice Savoir d'eux finement si c'est mon fils Ulysse. ACTE IIII [I]. Ulysse. ULYSSE. le sais de fil en fil l'état de ma maison.Me reste seulement prendre l'occasion[Note : Attouche : attouchement.]De tuer ces rivaux, qui d'une vile attouche,S'efforcent diffamer la splendeur de ma couche. Sur ce flagrant délit, d'un beau sang animé,Je veux donner de force au milieu, tout armé,Les astramaçonnant d'une ardente furie,Au péril de mon bien et risque de ma vie.[Note : Poltroniser : Terme vieilli. Faire le poltron ; se conduire en poltron. [L]]C'est trop poltroniser en habit de servant, Il faut m'evertuer contre eux dorénavant,Tout ainsi qu'un fier tigre, époinçonné de rage,Au parmi du bétail faible et débile, enrage,[Note : Pâtis : Lande ou friche, où l'on fait paître les bestiaux. [L]]Le faisant çà et là par les pâtis courirSans arrêter ses pas, qu'il ne l'ait fait mourir : [Note : Ragas d'eau : torrent.]Ou comme vu ragas d'eau dévalant des montagnes,Rompt de son bredouillis les secondes campagnes,Et ne peut modérer son cours impétueux,[Note : Bled : nom donné à un ensemble de céréales blé, seigle (...).]Qu'il ne gâte les bleds et jardins fructueux,[Note : Maugré : Ancienne forme de malgré.]Maugré le vain effort du criard populace, Qui pleure son labeur, fuyant de place en place :Car les vassaux qui ont leur seigneur outragé,N'ont jamais de repos, qu'il ne s'en soit vengé,Et bien que pour un temps il cèle sa détresse,Néanmoins son courroux incessamment le presse : Non autrement que l'air chargé d'un gros fardeau,Lâche débordement une tempête d'eauQui tintamarre autant que grêle bondissante,Au profond de l'hiver sur la terre béante,Par l'éventail austral, qui, au ciel ténébreux, [Note : Nuaux : nuages, nuées.]Effondre des nuaux l'amas obscur et creux.[Note : Fille de Jupin : Minerve.]Ô fille de Jupin, des guerriers la princesse,Guide mon coutelas, seconde mon adresse,Et humble je t'irai offrir d'un coeur non feintDes présents solennels, dedans ton temple saint, Et près l'autel fameux où tu es adorée,[Note : Appender : Déployer, répandre, envoyer. [L]]Dévot j'appenderai l'honneur de ce trophée. [II]. Pénélope, puis le messager PÉNÉLOPE. Las ! Soit que le soleil dresse sur nous son cours,Ou qu'il gagne les eaux, je travaille toujoursSur ce que j'ai tramé de toile et broderie, Sans pouvoir soulager les douleurs de ma vieEn aucune façon. Mais que veut ce courrier ? MESSAGER. [Note : Chapeau de laurier : couronne de vainqueur.]Ulysse a mérité le chapeau de laurier. PÉNÉLOPE. Héraut, mon bon ami, dis moi quelle nouvelle,[Note : Déceler : Faire connaître (ce qui est secret), dévoiler qqc., révéler l'existence de qqc. [DMF]]Dis-la moi, je te prie, et tôt me la décèle. MESSAGER. Chaste fille d'Icar{e], vrai modèle d'honneur,[Note : Ores : maintenant. [CSP]]C'est ores que les Dieux bornent votre langueur,Puisque votre mari est revenu de Troie.Io par tout Io, Madame, prenez joie.Déjà il a fait voir d'un champion habile [Note : Débile : Qui manque de force, au physique et au moral. [L]]Les martiaux efforts, sans si montrer débile.[Note : Maugré : Ancienne forme de malgré. [L]][Note : Targe : Espèce de bouclier. [L]]Maugré les fiers amans, leurs targes et leurs dards,Ulysse, mon seigneur, a saisi les remparts,Ulysse, mon seigneur, en qui gît votre vie,[Note : Cypride envie : désirs amoureux.]Ce jour les a punis de leur cypride envie. C'est fait de Pisander, d'Irus, de PolyctorEt même des Zantois, amis de Damastor.L'expert Dulychien, prudent, disert et sage,[Note : Adextre : Habile, qui a donné dextérité.][Note : Navigage : action de naviguer. [DMF]]Imite le nocher adextre au navigage.Bien que la frêle nef s'échoue sur les flots, Il la sauve pourtant et se met à repos.Ainsi ce grand héros, voyant tous ses rebellesVous traiter rudement avec vos gens fidèles,Les attaque si bien, de fureur irrité,Que ce jour il vous met en pleine liberté. PÉNÉLOPE. Ce sont discours en l'air, et apparences folles,Je ne croirai jamais vos flatteuses paroles. MESSAGER. Voyez-vous point encor ce large coutelasTout empourpré de sang qui coule sur mes bras ? PÉNÉLOPE. Ces tigres furibonds m'ont fait tant de misère, Qu'ils fraudent mon esprit de ce qui peut lui plaire.Mais si par la faveur du monarque des cieuxIls étaient terrassez dans le choc furieux,[Note : Frondoyant : Se couvrant de feuillage. [L]]Quel rameau frondoyant, quelle sainte prièrePourrais-je consacrer à sa vertu guerrière ? MESSAGER. Madame, croyez donc qu'Ulysse, Roi fameux,Ce jour a triomphé de tous les amoureux. PÉNÉLOPE. Las ! Que le ciel vengeur me serait favorable.[Note : Printaner : commencer, fleurir.]S'il faisait printaner un temps si agréable.Que de revoir encor l'inflexible destin [Note : Bénin : Fig. Propice, favorable. [L]]Se montrer devers moi d'un visage bénin,Je quitt[e]rais mes regrets sans autre contenance. MESSAGER. Vous les pouvez quitter, dessus mon assurance,En jonchez donc la terre et d'herbes et de fleurs,Changeant votre chagrin en grâces et douceurs, [Note : Soulas : Soulagement, consolation, joie, plaisir. [L]]De sorte que l'accueil, le soulas et franchise[Note : Bienveigner : Souhaiter la bienvenue à qqn, l'accueillir amicalement. [DMF]]Soient prêtes à bienveigner votre mari Ulysse. PÉNÉLOPE. C'est mon tout, c'est mon bien, c'est lui seul que je veuxHonorer et servir, comme un Roi généreux,Qui suis de ses vertus si bien enamourée, [Note : Cavallerisse : promesse, cajoleries.]Que nulle cavallerisse à mon âme n'agrée.Et quand contraire avis en moi fera séjour,Les cercles lumineux ne fassent plus leur tour.Mais si longtemps y a qu'il tarde sa venue. MESSAGER. Croyez qu'il est céans, et avant que la nue De son manteau obscur embrunisse les cieux,Il viendra vous trouver d'un maintien gracieux.[Note : Déesse emplumée : La Renommée.]Ores de ses vertus la déesse empluméeEmbouche les effets de sa belle arrivée,Avec langues et yeux, qui partout en passant Vont de votre mari la grandeur annonçant,[Note : Dulyche est un île où Ulysse était seigneur. Voir Pline Liv. XXV.][Note : Trope : ici Troupeau.]Si bien qu'on sait déjà que la Dulyche tropeA mis en sûr repos la chaste Pénélope. [III]. Ulysse, Pénélope. ULYSSE. Pénélope, mon coeur, ma vie et mon amour,Me voici retourné de mon fâcheux séjour, Ha ! Que je suis content sur la fin de mon âge,De vous revoir encor, après si long voyage.Ô puissant Dieu Hymen, sur tes riches autelsJe ferai pétiller mille feux solennels,Puisque dessous ton joug deux fois ne s'est rangée Ma constante moitié, d'un chacun désirée.Car je connais combien en mes tristes malheursTu m'as prêté l'appui de tes saintes faveurs. PÉNÉLOPE. Ulysse, mon époux, las ! Que votre venueDepuis vingt ans passés est céans attendue. Durant un si long temps les superbes ZantoisOnt jouis de vos biens, en dépit de nous trois,Chacun d'eux les tirait, comme j'étais seulette,Ils battaient Télémaq[ue], se moquaient de Laerte.Mais ainsi que la Palme est propre à résister [Note : Onéreux : lourd.]Aux fardeaux onéreux, sans point s'acravanter,De même ne chopant pour aucune tempête,Je suis en dépit d'eux votre belle conquête. ULYSSE. Or puisque la splendeur de mes rares vertusA chassé Cupidon et ses monstres têtus, Par troublants mon état, qui gâte et précipiteLeurs sinistres desseins aux ondes du Cocyte,J'ai, qui peux me vanter d'avoir été l'effroiDe ces mignons de cour ennemis de leur Roi,Plus animés au sang, au butin, au carnage, Que tigres, que lions courant, bramant de rage,Trahissant leur pays, dessous l'autoritéQu'ils tiennent de mon sceptre et de ma royauté.Doncques les scélérats qui s'enflent le courageContre leur prince et Roi, n'en ont que du dommage. Au lieu de foisonner en richesses et biens,[Note : Quand et quand : en même temps. [L]]Ils risquent quand et quand leur vie et leurs moyens,Avec les factieux qui endossent les armes,Contre les preux héros résolus aux vacarmes,Ressemblant aux géants, qui à force de bras, Roulèrent de gros monts, cuidant d'un tel amasEscalader le ciel, veillé par le tonnerre,Et détrôner Jupin, qui les rua par terre.Ceux qui se sont ligués contre ma majestéOnt reçu le loyer de leur perversité: Car jamais il ne faut follement entreprendre,Contre un plus grand que soi, de peur de quelque esclandre.[Note : Malfait : Méfait, mauvaise action, péché. [L]]La crainte du malfait accompagné du deuil,Ne quitte les tyrans qu'ils ne soient au cercueil.Jà la mort est leur vie, et pensent à toute heure [Note : Larvale demeure : dans le tombe, chez les morts.]Qu'on va les culbuter en larvale demeure.Les rebelles enfin sont, ainsi qu'une tour,[Note : Coupeau : Sommet d'un coteau, d'une montagne. [L]][Note : Torche du jour : soleil.]Qui porte son coupeau près la torche du jour,[Note : Borrée : personnification du vent du Nord.]Qu'on dirait qu'el' ne craint de Borée l'audaceQui la rue toutefois et en bas la terrasse. PÉNÉLOPE. Mon ami, je vous prie de rompre ce discours.Ja déjà le soleil parachève son cours,Et sa soeur en postant par la voûte éthérée[Note : Morphée : Dieu du sommeil.]Dépêche devers vous le fantasque Morphée. ULYSSE. Ce dieu n'a nul pouvoir d'assoupir mes esprits Tandis que je vous vois, et l'eut-il entrepris.Mais toutefois allons voir mon père Laërte,Et mon fils Télémaq[ue], pour faire ensemble fête. ACTE V [I]. Ulysse, Télémaque. ULYSSE. Pourquoi, destin, plutôt travailles-tu un RoiQu'un champêtre bouvier, le mettant en émoi ? Ores tu sais comment le travail ni la crainteN'ont rompu mes projets, quand j'avais l'âme atteinteD'une chaude fureur, ruminant le pouvoir,[Note : Argiens : grecs.]Qu'entre les Argiens le ciel m'a fait avoir.[Note : Amphitrite : Terme de mythologie. Déesse de la mer, et, poétiquement, la mer elle-même. [L]]Après avoir vogué longtemps sur l'Amphitrite, Les filles de la nuit remportent mon mérite :Car dormant j'ai songé que mon fils TélégonHélas ! Doit me tuer entrant dans ma maison. TÉLÉMAQUE. Croie ; que Télégon n'en aura la puissance.[Note : Proterne : ou Proterve, Sans mesure, insolent, arrogant. [DMF]]Nous pouvons rembarrer sa proterne arrogance, Avecques la vertu de vos humbles sujetsQui pareront le coup de tels craintifs objets.Et vous, l'honneur des Grecs, n'avez-vous le courageAssez brave, assez fort, pour brider cet orage? ULYSSE. [Note : Clothon : ou Clotho. Mythologie. Celle des trois Parques qui file le fil de la vie des hommes. [L]]Ha ! Que dis-tu, mon fils, la félonne Clothon Achève de mes jours le filandreux coton,Le terme est déjà près, sans heure ni demie[Note : Les trois soeurs : les parques.]Des trois fatales soeurs, et la force ennemie.J'aperçois maintenant mes membres refroidis.Et de grande frayeur mornes et engourdis, C'est pourquoi je deviens chétif et misérable,Sans pouvoir désormais m'être plus secourable.Les présages futurs m'épouvantent aussiEt le vol des corbeaux je considère iciAvec croassements, que le corps m'enfrissonne. À leurs augures saints de bon coeur m'abandonne. TÉLÉMAQUE. Ô ciel, trop importun, quels changements diversTournent les beaux exploits des mortels à l'envers ?Avec le cours du temps toute chose s'efface,Ou bien en s'altérant de l'une à l'autre passe. [Note : Vite : rapide, soudain.]Quel vite tourbillon, quel orage venteux,Coupe le fil des jours des mortels malheureux. ULYSSE. J'apercois maintenant que l'homme est périssable,Comme la fleur des champs, vermeille et délectable.Il peut se comparer aux feuillages divers, Qui touffus, qui crêpés, qui ombrageux, qui verts,Tombent de haut en bas, et perdent leur verdure,rDès qu'ils ont supporté d'Aquilon la pointure.Tel est l'instable sort du Microcosme humain.Il est huy bien dispos, et au tombeau demain. Les spectres, les grandeurs, les châteaux imprenables,Occuper et perdus, enfin sont recouvrables :Mais depuis que la Parque a tranché de nos joursLe fatal peloton, il n'y a nul recours.Ô Roy infortuné, ô Roi plein de misère, N'ayant de parangon en l'Avernal repaire.Où est ce front hautain qui Hector étonnaitEt ce brave maintien qui si bien paraissait ?Hélas ! quelle douleur, quelle tristesse amèreEngendre Télégon à Ulysse son père ! Quels regrets, quels soupirs Itaque répandra,Lorsque sur le pavé un chacun me verra[Note : Naturé : Qui est façonné, créé. [DMF]]Nauré d'un coup mortel, trébuchant, misérable,Sans jamais échapper cette plaie incurable. TÉLÉMAQUE. Il faut se disposer afin que Télégon Ne brasse rien de mal, entrant dans la maison.Télémaq[ue], mon cher fils, par les Dieux je t'adjureDe me favoriser. TÉLÉMAQUE. Oui vraiment je le jure.Allons donc mettre gens en guet de tous côtés,De peur que ne soyons couverts d'adversite. ULYSSE. [Note : Rameux : Il se dit du bois des cerfs. [L] Rapport à la ramure.]Je suis comme les cerfs, aux cornes plus rameuses,Qui souvent malmenés par les forêts ombreuses,Courent de change en change, et plus sont pourchasse ;À chevaux de relais, si bien qu'étant lassés,Sont pressés, aux abois. Alors les chiens sans crainte Endentent dessus eux mainte sanglante atteinte.Mais il faut m'écarter en quelque lieu désert. {II]. Télémaque, Télégon. TÉLÉMAQUE. Las ! Contre le destin le changement peu sert. TÉLÉGON. Avant que le soleil à la perruque blondeBaigne ses limoniers dedans la mer profonde, Je veux sans différer aborder le château[Note : Laertien : ici Ulysse.]Du grand Laërtien, des Grégeois le flambeau.Or voici son pays, voici ses terres sombres.Je vois déjà du fort les tremblotantes ombres,Les créneaux, les remparts, les fossés et les murs [Note : Mavors : Forme archaïque puis poétique de Mars. [L]]Qui dépitent Mavors et ses guerriers plus sûrs.Que si quelque bravache, à la crêpe jouvence,[Note : Agendarmer : gendarmer. Saisi d'une irritation qu'on témoigne. [L]]Pensait m'agendarmer, ou me faire défense,Par discours ampoulés, d'entrer en la maison,Malheur, malheur sur lui, et sur la garnison : Car j'ai si grand désir de voir mon sage père,Qu'il n'y aura danger qui me soit adversaire. TÉLÉMAQUE. Que c[h]erchez-vous, parlez, parlez à cette fois. TÉLÉGON. Je veux aller dedans le château Ithaquois. TÉLÉMAQUE. C'est assez avancé du premier que d'entendre: La part d'où vous venez. Donc sans plus entreprendre,Dites-nous vitement votre lieu, votre nom,Vos parents, vos aïeux, s'ils sont gens de renom. TÉLÉGON. Je suis d'Ulysse fils, dont la force est connueDe la terre, de l'onde et de l'onde chenue. Ne soyez maintenant davantage en émoi,Car je suis Télégon, fils de Circé et du Roy. TÉLÉMAQUE. Sus, c'est trop cajolé, sur ce qu'on vous demande.Retirez-vous en bref, le prince vous le mande. TÉLÉGON. J'entrerai là dedans. TÉLÉMAQUE. Quoi ! Le penseriez-vous ? Alarme, compagnons, venez, secourez-nous.Qu'on se mette en devoir pour avoir la victoire,Et qu'un coup meurtrissant lui soit enfin pour gloire.Venons donc au combat. [III]. Télémaque, Télégon, Ulysse. ULYSSE. Hé ! Bon Dieu, tout s'enfuit.[Note : Choquement : Action de choquer ou de se choquer. [L]]Quels cris, quels choquements, quel cliquetis, quel bruit ! À moi, enfants de Mars, tournez, tournez visage,Frappez, donnez dessus, qu'on ne perde courage. TÉLÉMAQUE. Voilà mon père mort. Las ! Quel sanglant méchef,Nous revient désormais tomber dessus le chef.Mon père, permette ; qu'ores je vous embrasse, Et avant que mourir je baise votre face.[Note : Sourcilleur : Fig. et poétiquement. Haut, élevé. [L]]Hélas ! On voit à l'oeil que les pins sourcilleuxSont plutôt fracassés du foudre impétueux,[Note : Coupelles ; coupeaux, sommets.]Que coudriers touffus qui portent leurs coupellesAu profond des vallons, éloignez des étoiles. [Note : Enfondre : Rompre, briser. [L]][Note : Abayant ; variante de Aboyant. Participe passé d'Aboyer.]Ainsi l'onde abayante enfondre dans les flots[Note : Bachot : Petit bateau. [L]]Plutôt les grandes nefs que les petits bachots.Ainsi les hauts coupeaux des scabreuses montagnesSont plutôt eventés que le plat des campagnes.Ainsi les gouverneurs, les princes et les Rois Sentent plutôt la mort que simples villageois.Je ne peux à ce corps meilleur office rendreQue dresser un tombeau pour y serrer sa cendre. TÉLÉGON. Quoi ! J'ai tué mon père, en pensant, courageux,Aborder le château de mes nobles aïeux. [Note : Franchise : pardon]Ô terrible courroux, sans espoir de franchise,[Note : Reprise : reproche]Ô le triste forfait très digne de reprise,Ô ciel par trop mobile. Hélas ! Tout le malheurEst causé de par moi, et me navre le coeur.Que faites-vous, Clothon, superbe filandière ? Sorte ; tonne ; hurle ; déesse meurtrière ;Entendez mes regrets, et vos deux autres soeursAccourent avec vous, terminer mes douleurs.Je soufre plus d'ahans, d'angoisses et de peines,Qu'on ne saurait porter sur vos noires arènes. La roue où est roué le perfide IxionNe sera suffisante à ma punition.[Note : Belleide soeurs : Filles de Bélus, les Danaïdes.]Des Béleides soeurs je dépite les cribles,Le caillou de Sisyphe et les douleurs terriblesDe l'infame Tithye, à qui paît un vautour Le foie renaissant, havement à l'entour.Je dépite les fouets des fières Euménides[Note : Stymphalide : contrée du Péloponèse.]Et l'affamé troupeau des oiseaux Stympha1ides.AEque doit trouver des supplices nouveauxQui puissent égaler la grandeur de mes maux. Sus donc, monstres hideux, qui tenez le rivageDe l'Enfer Avernal, plein d'horreur et de rage,[Note : Ribler : Aiguiser une meule neuve avec de l'eau ou du sable sec, et en la frottant contre une autre. [L]]Virez, tournez, riblez à mes funestes cris,Et venez sans tarder des antres plus noircis,Grondants, jappant, hurlant d'une façon terrible, Sans séjourner la bas dans le manoir horrible.[Note : Tisiphone, Alecton, Mégère sont les Furies.]Tisiphone, Alecton, Mégère, aux noirs cheveux,Vous voulez, vous, dormir, non, non je ne le veux ;Non, dis-je, je ne veux, furies Cocythides,Que vous soyez toujours de vous trois homicides. Vous ombres, vous serpents, vous Hydres, vous pythons,Entrouvrez le conduit de vos gosiers gloutons.Ne craignez d'aborder, enfler d'énorme vice.Il faut que Télégon vous serve d'exercice.[Note : Fourrier : Autrefois, officier qui servait sous un maréchal des logis et dont la fonction était de marquer le logement de ceux qui suivaient la cour. [L]]Vous aussi, vous, Démons, fourriers du vieil Charon, Laisser vos lits ferrer dans le triste Acheron.[Note : Cerbère : chien à trois têtes qui garde l'entrée de l'Enfer.]Vous spectres, vous marais, vous chien à triple tête,Vous paniques terreurs, redoublez la tempête,Accablez-moi ici, et les affreux espritsApaisent la rigueur de mes sombres ennuis. Vous, race d'Apollon, qui redorez le monde,[Note : Nérée : métaphore de la mer.]Poussez-moi sous les flots de Nérée profonde.Vous, Hécate, à trois noms, déesse des forêts,Faites tomber sur moi des accidents épais.Et vous, astres errants, privez-moi de lumière, Sans plus me torturer d'une telle manière.Mon fait vous est ouvert, vous le savez, Pluton,Et vous, tous autres dieux, chacun en son canton.[Note : Radamante et Minos : Juges des Enfers.]Il faut que Radamante et Minos implacableDevisent donc entre eux de mon mal déplorable, [Note : Gênes : La question qu'on faisait subir aux accusés pour leur arracher des révélations. [L]]Et qu'ils cherchent partout et gênes, et travaux,Pour moi quand je serai dans leurs obscurs caveaux.Quoi ? Faut-il que mon bras ait fait ce parricide ?Faut-il qu'il soit, hélas ! De mon père homicide ?Je veux tôt le punir en maudissant les cieux, Le tonnant Jupiter et les monstres aqueux.Ha ! Méchant coutelas, tu m'as bien montré commeEst hasardeux un coup, lâché dessus un homme,[Note : Detrenchier : découper, diviser. [L]]Faute qui me poignarde et detrench[i]e le coeur,Me causant à jamais une amère rancueur, La terre en a dépit et la mer et le pôle,Et ne se trouve rien qui ça bas me console.Enfin je veux tenter quelle sorte de mortJe dois en bref choisir, sans qu'un pâle remord[Note : Pointelle : petite pointe. [L]]Me ronge le cerveau et toujours me pointelle Les flancs et, les poumons d'une passion telle.Tant plus que je séjourne en ce tapis herbeux,De tous cotés les maux s'offrent devant mes yeux.C'est trop, c'est trop penser à ce que je dois faire,Tardant le coup fatal de ma main sanguinaire. Sus donc, acier tranchant, sus donc, dague mutine,Fais couler un ruisseau de sang de ma poitrine.Quoi ! Dois-je me tuer ou prolonger mes jours ?Dois-je me retirer des lugubres séjours ?Il me semble pourtant qu'il vaut mieux que la Parque Diffère à m'envoyer en le styrgienne barque,Vu qu'on dit qu'il ne faut d'un mal en faire deux.Pourquoi je veux laisser ces tertres raboteux.Afin de me tirer aux fins de l'Italie,Pour y passer mon deuil le reste de ma vie. Hélas ! Je ne pensais, la porte envisageant,Tramer un tel malheur de mon bras inconstant.Je vous supplie, forêts, vents, grottes et rivages,Lamentez avec moi par les monts et boccages.[Note : Langard(e) : (Celui qui est) bavard (gén. avec une idée de tromperie ou de médisance) [DMF]]Et vous, langarde Echon, rechantez dans les bois Les cris que j'éventrai de l'estomac pantois,Ains incontinuement que je sanglote et pleureJusqu'à tant que je sois en la pâle demeure. ==================================================