******************************************************** DC.Title = LE CAFÉ BORGNE, COMÉDIE DC.Author = CARMONTELLE, Louis de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Proverbe DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:18:07. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CARMONTELLE_CAFEBORGNE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE CAFÉ BORGNE PROVERBE DRAMATIQUE. de CARMONTELLE. PERSONNAGES MADAME LAVADE, maîtresse du café de l'Abondance. TROTIN, son garçon de boutique. MONSIEUR TRÉPANILLAC, Gascon et chirurgien-chambellan. MONSIEUR FRAC, maître tailleur. MONSIEUR TRESSANT, maître perruquier. La scène se passe dans un de ces petits cafés qui ne sont guère fréquentés que par des artisans qui vont le soir y boire de la bière et jouer aux dames. LE CAFÉ BORGNE SCÈNE I. Madame Lavade, Monsieur Trépanillac et Monsieur Frac, jouant aux dames auprès du poêle. MONSIEUR TRÉPANILLAC. Jé bous bouffle, Monsieur Frac. MONSIEUR FRAC. Oh ! Je vous souffle, je vous souffle : un moment, ma dame n'est pas jouée. MONSIEUR TRÉPANILLAC. Eh bien ! Réposez en paix votre dame, et prenez, c'est votre métier... Non pas celle-la... Justement, nécessité pour ce côté. MONSIEUR FRAC. Eh bien ! J'en prends deux... Ah ! Misérable ! J'en donne trois. MONSIEUR TRÉPANILLAC. Moins qué cela, Monsieur Frac... Jé n'en prends qué cinq d'une main... Prenez encore cellé-ci... Bon, et moi jé mé contente dé ces deux seulettes... Un moment, Monsieur Frac, un moment de réflétion, uné fontange à cetté dame pour qu'ellé sé promène. MONSIEUR FRAC. J'ai perdu ! J'ai perdu ! MONSIEUR TRÉPANILLAC. Vous avéz dé grandes résources, Monsieur Frac : rétournéz-vous du côté de la lisière. MONSIEUR FRAC. Oh ! Vous avez beau plaisanter : si j'avais pris garde à mon jeu... MONSIEUR TRÉPANILLAC, chantant. Cé qué je dis est la vérité même. MONSIEUR FRAC. Oh ! Vous avez beau gasconner, si j'étais à mon jeu, vous dis-je... MONSIEUR TRÉPANILLAC. Lé fait est constant, vous êtes plus fort, mais bous avéz la distration contre vous, car, pour lé fond du jeu, qué je quitte la vie tout à l'heure si mortel lé posséde comme vous. Arrangeant les dames.Allons, le tout d'aujourd'hui. MONSIEUR FRAC. Non, je ne suis pas en train, j'ai la tête trop occupée : il faut que je coupe deux habits écarlates, et je n'ai que treize aunes d'étoffe. MONSIEUR TRÉPANILLAC. Miséricorde ! C'est donc pour le colosse de Rhodes ; ah ! Monsieur Frac, jé suppose que bous pouvéz, sur cette coupe, mé léver largement une ligature. MONSIEUR FRAC. Ah ! Ah ! Chacun sait son métier, M. Trépanillac. MONSIEUR TRÉPANILLAC. Malepeste ! Je consens qué vous possédéz lé vôtre : lé ciseau se joue dans votre main... Allons, encore uné partie. MONSIEUR FRAC. Non, pas davantage. MONSIEUR TRÉPANILLAC. Mme Lavade, écrivéz donc, si c'est votre bonté, trente-quatre tasses de café et vingt-neuf vabaroises pour le compté de Monsieur Frac, et au profit de botre serbiteur. TROTIN, en essuyant une table à côté. Vous voilà nourri pour quinze jours. MONSIEUR TRÉPANILLAC. Un moment, garçon, ne perdons pas la tête, une bûche au poêle. MADAME LAVADE, d'un air revêche. Un verre d'eau et la gazette, n'est-ce pas ? MONSIEUR TRÉPANILLAC. Je vous apporterai demain, sans faute, cetté chanson qué je vous ai promise. MADAME LAVADE. Oh ! Pour des chansons, on n'en manque pas avec vous. MONSIEUR TRÉPANILLAC. Et le billet dé comédie, cé sera pour dimanche, sans faute. MADAME LAVADE. Après la grand... MONSIEUR TRÉPANILLAC. Que jé fondé près dé ce poêle comme la glace, si jé manque d'une seconde : quand jé vous dis qué jé lé dois recevoir de Mlle Sautreda, la première figurante de la comédie, qué j'ai guérie récemment, et qui doit lé demander à M. Pirouette, premier figurant, qui s'est chargé de l'obtenir à M. Piano, troisième violon dé l'orchestre, qui n'attend qué lé moment favorable pour lé réquérir dé la femme de chambre dé Mlle Camille. MADAME LAVADE. Oh ! Je vois que c'est immanquable. MONSIEUR TRÉPANILLAC, en montrant le damier à Monsieur Frac. Eh bien ! Qué dit lé coeur ? MONSIEUR FRAC. Non, je suis trop distrait : je sens que je perdrais aujourd'hui jusqu'à ma perruque. MADAME LAVADE. Peste ! Vous jouez gros jeu. MONSIEUR FRAC. Il est vrai que je ne saurais trouver un perruquier qui me coiffe à l'air de mon visage. MONSIEUR TRÉPANILLAC. Madame Frac ne s'en mêle donc pas ? MADAME LAVADE. Taisez-vous, mauvais plaisant. MONSIEUR TRÉPANILLAC. Sérieusement, jé suis caution pour cette affaire ; si vous voulez, jé parlerai au meilleur coiffeur de Paris ; jé fus garçon major dans sa boutique tandis que j'étudiais à Saint-Côme. Madame le connaît, c'est Monsieur Tressant, lé voisin. MADAME LAVADE. C'est la vérité. Oh ! Pour celui-là, c'est un habile homme, mais c'est à savoir s'il voudra : il est si occupé ! MONSIEUR TRÉPANILLAC. Jé mé charge de la négociation. Il vient ici cé soir. S'il vous prend en amitié, votre affaire est bonne ; il faut lé flatter, entendez-vous ? Né l'a pas qui veut ; tenéz, lé voilà : il vient peut-être ici... Justement. SCÈNE II. Les Précédents, Monsieur Tressant. Monsieur Tressant est coiffé avec un petit bonnet sur lequel il y a peu de poudre, mais peigné avec le plus grand soin ; son habillement est un surtout de drap gris, une veste et une culotte de satin de pareille couleur, des bas de soie à côtes, assortis au reste, et une très petite canne à pomme d'or avec laquelle il se joue : tout le monde se lève quand il entre. MONSIEUR TRESSANT, sans regarder Trépanillac ni Frac qui se tiennent debout. Bonjour à la dame de céans : toujours charmante, quoiqu'un peu mal coiffée. MADAME LAVADE. Ah ! Monsieur Tressant, quand vous voulez bien en prendre la peine, cela allait mieux. MONSIEUR TRESSANT. Il y a longtemps, Mme Lavade, il y a longtemps de cela, mais je dis envoyez-moi votre coiffeur, je lui donnerai des conseils, si je puis en trouver le moment... Pas la minute à moi, ma chère, pas la minute : je sors un instant de mon atelier pour me dissiper, je ne sais auquel entendre : sept garçons, quatre apprentis, dix tresseuses ; trente perruqes à rendre toutes les semaines pour tous les ordres de l'État, sans compter les étrangers qui me persécutent, je dis ; c'est Vienne en Autriche, c'est Londres en Angleterre, c'est Madrid en Espagne : de tous les coins et recoins des quatre parties du monde ! si j'avais voulu la pratique du Grand Seigneur de Constantinople... mais je n'ai pas voulu de ces huguenots-là : pour la province, il y a longtemps que je l'ai remerciée, je n'y aurais pas suffi ; et puis, je dis, on voit tomber son ouvrage dans les mains d'un misérable barbier qui vous l'arrange en deux coups de peigne, cela ne fait aucun honneur. MADAME LAVADE. Voilà ce que c'est que la réputation ! Je voudrais bien que ma boutique fût achalandée comme la vôtre. Au mot de boutique, Monsieur Tressant fronce le sourcil. MONSIEUR TRÉPANILLAC. Voilà Monsieur Frac qui né manque pas dé talent, et qui, sur la renommée dé votre réputation, Monsieur de Tressant, désire cultiver votré connaissance. MONSIEUR TRESSANT, regardant Monsieur Frac avec protection. Monsieur est artiste aussi, apparemment ? MONSIEUR FRAC. Je me pique d'habiller ce qu'il y a de mieux à la Cour. MONSIEUR TRESSANT. Monsieur est tailleur ; mais c'est z'un métier z'assez honnête, quoiqu'on en dise ; surtout, je dis, quand on z'y a de la réputation. MONSIEUR FRAC, à Monsieur Tressant. Monsieur, souhaiterait-il me faire l'honneur d'accepter un doigt de bière ? MONSIEUR TRÉPANILLAC. Oui, Monsieur Tressant l'aime beaucoup ; holà ! Garçon ! N'entendéz-vous pas ? Monsieur démande dé la bière. MONSIEUR FRAC, au garçon. Vous monterez tout de suite deux bouteilles, des échaudés. MADAME LAVADE, au garçon. Prenez la corbeille, allez-en chercher, et vous diminuerez ceux qu'on a reportés ce matin. MONSIEUR TRESSANT. Ce n'est pas la peine, je boirai z'un verre de bière seulement. MONSIEUR TRÉPANILLAC. Vous avez raison, et moi j'aime mieux uné croûte de votre pain dé ménage. TROTIN, en versant la bière. Cela est plus solide. MONSIEUR TRÉPANILLAC, au garçon. Holà ! Ne faités pas tant mousser. MONSIEUR FRAC. Si Monsieur de Tressant voulait bien me permettre d'avoir l'honneur... Monsieur Tressant approche son verre d'un air distrait, et Frac, après avoir bu, fait signe à Trépanillac de proposer la perruque. MONSIEUR TRÉPANILLAC. Sur ma foi, d'honneur, jé né me lasse point d'admirer la grâce dé cetté coiffure dé Monsieur dé Tressant : c'est une simplicité, une élégance, un jé né sais quoi... MONSIEUR TRESSANT. C'est ce que me disait ce matin le prince de... qui se plaignait que les siennes n'allaient jamais bien ; mais, Monseigneur, je dis, c'est que vous autres grands, vous ne savez pas porter une perruque : il faut connaître la marche de cela, je dis : il y a un art à faire une coiffure, il n'y en a pas moins à la porter : c'est une tournure, un effet pittoresque, là, je dis... MONSIEUR TRÉPANILLAC. Eh ! Monsieur Tressant, comme vous avez un goût délicat, c'est ce que me disait tout à l'heure Monsieur Frac, Monsieur voudrait pour tout au monde que vous lui fissiez... MONSIEUR TRESSANT. Et le duc de... avec qui je déjeunais avant-hier, il me jurait qu'il n'avait jamais vu personne raisonner son art aussi... Là... MONSIEUR FRAC, très affectueusement. Si c'était la bonté de Monsieur... MONSIEUR TRESSANT. Il est vrai que cela ne paye pas : il me doit dix-huit cents livres. MONSIEUR TRÉPANILLAC. Uné petite requête de la part de Monsieur Frac, quatre cheveux seulement arrangés dé votre main... MONSIEUR TRESSANT. Et le président de... Oh ! Il a du goût celui-là pour sa coiffure : il a profité des principes que je lui ai donnés, mais on n'en peut tirer un sou : il me doit près de mille écus. MONSIEUR FRAC. Moi, je suis dans le même cas ; mais cela n'empêche pas que je paye comptant, et sans marchander, quand une chose me plaît : si, par votre moyen, je pouvais espérer... MONSIEUR TRESSANT, souriant. Je vous vois venir, Monsieur Frac, je vous vois venir ; mais je vous préviens que cela serait long : je n'ai plus guère, pour cette année, que six cents coiffures à fournir, et vous voyez que je n'ai pas trop de marge. MONSIEUR FRAC. Eh bien ! Pour le nouvel an. MONSIEUR TRESSANT. Nous verrons, dans le temps comme dans le temps. MONSIEUR FRAC. Si vous vouliez toujours avoir la complaisance de me prendre une mesure, cela vous engagerait peut-être plus tôt. MONSIEUR TRESSANT, éclatant de rire. Une mesure ! Ah ! Ah ! Ah ! Une mesure ! Est-ce que le génie a besoin de mesure ? Oh ! Cela ne se traite pas comme une culotte, Monsieur Frac. MONSIEUR FRAC. Le génie n'a pas besoin de mesure, mais la tête est, je crois, comme le corps : il faut bien, pour connaître la proportion... MONSIEUR TRESSANT. Point du tout, je dis ; j'envisage une figure, je fixe les traits d'une physionomie, et je vois d'un coup d'oeil ce qui convient au caractère du visage. MONSIEUR FRAC, à Monsieur Trépanillac. Tous nos compliments sont inutiles ; ceux qu'il se fait lui-même ne lui laissent seulement pas le temps de nous écouter. MONSIEUR TRÉPANILLAC, bas. Laissez-moi faire. Haut.Ah ! Monsieur ; si Monsieur l'ambassadeur, pour qui vous faites cet habit ponceau brodé d'or, entendait raisonner Monsieur Tressant, qu'il serait content ! C'est un amateur de coiffure, c'est un curieux, celui-là ; né vous disait-il pas hier qu'il né trouvait qué des cruches pour lui faire des perruques ? En lui portant son habit, il faut lui dire qué vous avez trouvé son affaire : s'il sé coiffait une fois de Monsieur Tressant, Monsieur Tressant coifferait bientôt tous les étrangers. Monsieur Tressant regarde avec attention Monsieur Frac.Oh ! Je connais Monsieur Frac, vous n'avez pas besoin dé lé regarder : il est l'homme à lé faire, jé né connais personne au monde dé plus serviable. MONSIEUR TRESSANT, plus affectueusement. Ce n'est pas cela que j'examine : je regarde que Monsieur Frac porte une figure qui invite à le coiffer. MONSIEUR FRAC. C'est ce que me dit tous les jours Madame Frac. MONSIEUR TRESSANT, portant la pomme de sa canne sous le menton de Monsieur Frac. Regardez-moi z'en face.. Là.. Pas tout à fait bien... Tournez à présent la tête de trois-quarts. MONSIEUR FRAC. Comment dites-vous ? Vous trouvez que ma figure a trois-quarts de long ? MONSIEUR TRESSANT, regardant Mme Lavade avec un sourire de pitié qui retombe sur Monsieur Frac. Eh ! Non, mon cher ami ! Que l'on voie les trois quarts de votre figure... Bon !... De profil à présent ; vous savez ce que c'est qu'un profil, peut-être... Fort bien ! À merveille ! Je dis, votre tête est là. En mettant le doigt sur le front.Je vous ferais mille coiffures sans en manquer une. MONSIEUR FRAC. Cela serait bien long. MONSIEUR TRESSANT. Pas tant que vous croyez, un instant, je dis, un instant. Il réfléchit de l'air d'un homme occupé du plus grand projet.Tout juste. Holà ! Trotin, allez-vous-en à la maison, dites à mon premier commis qu'il m'apporte, là... Ce petit bonnet indécis, commandé pour Monsieur l'Abbé C... lorsqu'il sort à pied le soir... Il sait bien ce que c'est... Au surplus... Oui, justement, c'est le numéro 784. Il faut avoir tout cela dans la tête, je dis ; si l'on n'avait pas un certain ordre, on n'y tiendrait pas. MONSIEUR FRAC. Ah ! Monsieur, vous me faites le plus grand plaisir ; dites-moi, s'il vous plaît... MONSIEUR TRESSANT. Eh ! Non, ce n'est pas la question ; c'est qu'il fallait m'apprivoiser avec votre figure : il fallait saisir, vous comprenez bien ; z'à présent, c'est la plus petite chose du monde et je me flatte que vous allez convenir que j'ai mon coup d'oeil juste. Oh ! Pour cela, c'est mon fort que le coup d'oeil, et le coup de peigne : voila tout mon secret. MONSIEUR TRÉPANILLAC. Oh ! Vous né dités pas tous vos autrés coups. SCÈNE I.I. Les Précédents, Un Garçon Perruquier, avec une veste blanche croisée, les cheveux relevés avec un peigne et un grand linge autour de lui. MONSIEUR TRESSANT, à Monsieur Frac. Dépouillez cette infamie. Après que Monsieur Frac a ôté sa vieille perruque, Monsieur Tressant s'assied et le fait mettre à genoux entre ses jambes.Point de façon, je dis, c'est mon usage, je ne coiffe pas autrement tous nos seigneurs. Il pose la perruque, la serre et rejette le peigne que son garçon lui présente ; il appuie légèrement la main, relève quelques cheveux avec une grosse épingle et dit du ton le plus grave.Levez-vous et regardez dans cette glace. Toute l'assemblée bat des mains, et il se promène dans le café d'un air satisfait. MONSIEUR FRAC. Eh ! Monsieur, si vous voulez m'en faire une, il n'y a rien que... MONSIEUR TRESSANT, toujours plus digne. Fi donc ! je ne travaille point par intérêt ; j'aime mon art, et je suis charmé qu'il soit utile à un galant homme. Frac veut ôter la perruque...Eh bien ! Le malheureux, qu'est-ce qu'il veut faire ? MONSIEUR FRAC. Mais votre garçon attend pour la remporter. MONSIEUR TRESSANT. Eh ! Non, vous dis-je, elle est sur votre tête, elle y va passablement, il faut qu'elle y reste : on en fera une autre. MONSIEUR FRAC, transporté, saute au cou de Monsieur Tressant. Ah ! Monsieur Tressant, il faut que je vous embrasse : tenez, mon ami, Il donne un petit écu au garçon.[Note : Scubac : Usquebac. Nom d'une liqueur qui n'est autre que du whisky (eau-de-vie de grain), dans lequel on a dissous du safran et quelques aromates, et qui est usitée dans les hautes terres d'Écosse. [L]][Note : Topette : Nom de petites fioles de verre blanc. [L]]Voilà pour avoir des aiguilles ; Trotin, garçon, Mme Lavade, vite une topette d'eau des Barbades, de Scubac, d'huile de Vénus, ce qui fera le plus de plaisir à Monsieur Tressant. Il se regarde dans la glace.Allons donc, garçon, des biscuits, des massepains, des macarons, ce que Monsieur Tressant aime le mieux... Ma femme va être bien contente, car nous avions toujours querelle sur ma coiffure : oh ! Elle ne me connaîtra pas. MONSIEUR TRÉPANILLAC, en prenant la vieille perruque de Monsieur Frac du bout des doigts. Et cetté rélique, où l'enchâsserons-nous ? MONSIEUR FRAC. Ma foi, où il vous plaira. MONSIEUR TRÉPANILLAC, à Trotin. Tiens, garçon, tu né diras pas qué jé né té donne jamais rien. TROTIN. Bien obligé, gardez-la pour vous. MONSIEUR TRÉPANILLAC. Mon avis est qu'on en fasse un sacrifice en l'honneur dé la gloire de Monsieur Tressant : allons, un holocauste. Il la prend avec les pincettes, la met dans le poêle, et tandis qu'elle grille, il veut faire danser Monsieur Frac, Monsieur Tressant et Mme Lavade autour du poêle ; mais la gravité de Monsieur Tressant s'y oppose. MONSIEUR FRAC, en mettant la main à la poche. Voilà qui est fort bien, mais parlons d'affaires. MONSIEUR TRESSANT. Fi donc ! Vous dis-je, fi donc ! C'est une misère. MONSIEUR FRAC. Mais, Monsieur, encore faut-il... MONSIEUR TRESSANT. Eh bien ! Nous arrangerons cela ; la plus petite chose du monde, un rien : vous me ferez une culotte de velours noir. MONSIEUR FRAC, avec embarras. Pardonnez-moi, c'est que... MONSIEUR TRESSANT. Oh ! J'entends : c'est qu'il faut que vous me preniez la mesure, vous, n'est-ce pas ? MONSIEUR FRAC. Non, monsieur, c'est que... MONSIEUR TRESSANT. Vous êtes pressé d'ouvrage, tant mieux ; je ne le suis pas moins ; à votre aise, Monsieur Frac, à votre aise. MONSIEUR FRAC. Ce n'est pas tout à fait cela, c'est que... MONSIEUR TRESSANT. C'est que vous trouvez que ce serait trop cher peut-être ; mais je vous avertis qu'il ne sort point de coiffure de chez moi à moins de quatre louis, et je vous traite, comme vous voyez, en ami, en artiste. MONSIEUR FRAC. Oh ! Monsieur, bien de l'honneur à moi, je n'y regarde pas de si près ; c'est seulement... MONSIEUR TRESSANT. C'est que, c'est que ; expliquez-vous donc. MONSIEUR FRAC. Excusez-moi, Monsieur, si je prends la liberté de vous dire..., mais c'est que je vous dirai que je ne travaille que pour des seigneurs. MONSIEUR TRESSANT, est d'abord indigné de cette insolence, puis il éclate tout d'un coup. Comment, Monsieur Frac ! Que pour des seigneurs ! Et moi, jamais pour un manant de tailleur. Il lui arrache sa perruque de dessus la tête. Frac est d'abord tout interdit de se trouver sans perruque ; mais il prend son parti et en lève celle de Tressant, qui métamorphose à son tour en enfant de choeur ; et il se sauve en se coiffant avec. Les bras tombent au sublime Monsieur Tressant, et Madame Lavade et le garçon de boutique étouffent de rire de voir cette tête pelée et cette figure stupidement étonnée ne pas songer seulement à se couvrir de celle qu'il vient d'ôter au tailleur, et qu'il tient encore dans sa main. MONSIEUR TRÉPANILLAC. Vous allez faire un rhume, Monsieur Tressant, et puis il faudra qué jé vous guérisse : mettez dessus sans façon, point dé cérémonie. MONSIEUR TRESSANT, sort furieux. L'insolent me le payera quelque jour, tôt z'ou tard. MONSIEUR FRAC. Un instant, permettez : je suppose en cette occurrence que c'est vous qui avez tort, car vous ne pouvez ignorer le proverbe. ==================================================