******************************************************** DC.Title = LA NOCE DE VILLAGE, COMÉDIE DC.Author = BRÉCOURT, Guillaume MARCOUREAU de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 21/08/2023 à 06:14:42. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BRECOURT_NOCEDEVILLAGE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62763275 DC.Source.cote = BnF LLA 8-YTH-12703 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA NOCE DE VILLAGE COMÉDIE M. DC. LXXXI. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. Par Brécourt À PARIS, Chez JEAN RIBOU, au Palais, dans la Salle Royale à l'Image Saint-Louis.Achevé d'imprimé pour la première fois le dernier jour de juin 1681. Représenté pour la première fois en juin 1666 à l'Hôtel de Bourgogne ACTEURS. COLIN, le marié. NICOLAS, garçon de la noce. CLAUDINE, la mariée. GRAND FRANÇOIS, père de Claudine. GROS JEAN, père de Nicolas. LE JUGE DU VILLAGE. LE GREFFIER. MONSIEUR BERTRAND, Tabellion d'Aubervilliers. MARION, Fille du Grand François. UN PAYSAN. UN VIELLEUX. TROUPE DE CONVIÉS. LES DANSEURS. LES CHOEURS DE VOIX. La scène est dans le logis du Grand François, dans la salle de la rue. LA NOCE DE VILLAGE SCÈNE PREMIÈRE. Colin, Nicolas. COLIN. Jarnigué, Nicolas. NICOLAS. Et jarnigué toi-même.Margué comme tu fais ; tu deviens tout blasphèmesPartant que je t'ai dit deux paroles. COLIN. Margué.Tatigué, jarnigué, vois-tu bien ? Ventrigué,Je suis un bon garçon, tout franc, mais tatiguene, Je ne suis point un sot, franchement. NICOLAS. Hé, marguene,En suis-un, moi, Colin ? COLIN. Et si tu l'es tant mieux,Qu'est-ce qui t'en dis rien ? Mais, margué, j'ai deux yeux ;Tu le sais bien. NICOLAS. Et bien, quand tu z'en naurais quatre. COLIN. Margué, je veux me battre. NICOLAS. Et contre qui ce battre. COLIN. Jarnigué contre ceux qui me diront du mal. NICOLAS. À qui, guiabe, en as-tu ? Dis donc, gros animal. COLIN. Laisse-moi là, vois-tu ? Je ne veux point tant rire,Moi. NICOLAS. Pargué, dis moi donc... COLIN. Je ne te veux rien dire. NICOLAS. Et bien, ne dis donc rien. COLIN. Je dirai si me plaît. NICOLAS. Parle donc tout ton son. COLIN. [Note : Plaid : Audience d'un tribunal. [L]]Margué t'as bien du plaid ;Mais vois-tu ! Nicolas ? Je suis, pargué, bon frère,Veux-tu savoir pourquoi que je suis en colère. NICOLAS. Et bien pourquoi ? Dis donc. COLIN. C'est que je suis fâché ;Jarnigué l'autre jour comme j'atais caché...Non, c'est que j'acoutoes par le trou de la porte,C'est à dire qu'enfin... Mais bref, tanquia, n'importe.Or donc, car ventrigué, vois-tu bien Nicolas ? Je ne suis point un gnais. NICOLAS. Non dà, tu ne l'es pas. COLIN. Nanain, margué, nanain, je nel fuis, pargué, goutte. NICOLAS. Et bien, tan mieux pour toi. COLIN. Tant mieux, voirment, accoure,Nicolas, tu sais bien que je fon bon amis,Et tu sais bien encore que je somme pormis La fille au Grand-François avec moi par ensemble. NICOLAS. Et bien. COLIN. Mais ventriguenne, est-ce don qui te semble,Que quand qu'on est pormis, margué, qu'enN'ait rien fait. NICOLAS. Et bien, susse. COLIN. Et bien donc, margué, comme d'effes ;Tu sais bien que je fime avant-hier nos fansailles. Et qu aujourd'hui, margué, je son les épousailles. NICOLAS. Est-ce là tout, Colin ? COLIN. Non-dà, ce n'est pas tout ;Je m'en vois commencer tout par le droit fin bout,Hayer, come esgeveny d'avaNnt notre prairie,J'entris cheul Grand-François pour viriter not mie, Margué j'apercevy par le trou du grand huis,Que tu batifolais tout l'environ du puitsAveuc elle. NICOLAS. Avec qui ? COLIN. Morgues avec Glaudenne ;Aux enseigne, aga quien, que tu prenis la peineDe mettre tes deux mains soura vau son brechet, Et puis tu lui baillis comme un colifichet...Margué je m'entends bien ; tu lui disais, Glaudenne,Lorgne-moi par un peu, n'ai-je pas bonne mène ?A donc, tu la ptenis par le chignon du cou,Et tu t'allis fourrer dans le jardin au chou Aveuc elle. NICOLAS. Bon, bon. COLIN. Il ne faut point tant rire.Nicolas, j'ai tout vu. NICOLAS. Bon, bon. COLIN. Que veux-tu dire ? Bon, bon : car vois-tu bien, si j'avais été prompt,Margué, je t'aurais fait pût-être un grand affront. NICOLAS. Bon, bon, qu'arais-tu fait. COLIN. Si je n'eusse été sage, Margué je l'arais dit par tout notre village.Et quem sonsige-moi ? Ventregué, dans l'honneurJe suis pis qu'un démon, car rien ne me fait peur.Comme dit l'autre, on za biau prenre une fumelle,Margué n'en prend toujours queuque mâle aveuc elle. NICOLAS. Ardé le grand malhûr. COLIN. Et bonhûr si tu veux, Je ne veux point porter les cornes si je peux :Et que sait-on ? Parfois un désespoir peut prendre.Marguene, pour un rien qu'un cocu s'irait prendre,Je le sais, pargué bien, j'en connaissons plusieurs... NICOLAS. Hé, margué, tu ferais comme les gros Monsieur.Hé ! Que t'es fou, Colin ! COLIN. Ho ! Margué fou toi-même,Je ne veux point de lait quand un autre à la cr7me. NICOLAS. Bon, bon. COLIN. Mais ventrigue aveuque ton bonIl faut point tant de lard pour faire un quarteron. NICOLAS. Bon, bon. COLIN. Pela morgoine, il ne faut point tant rire.Veux-tu le battre ? NICOLAS. Non. COLIN. Quien, tu n'as rien qu'à dire ? NICOLAS. Et non, Colin, nanain voire dà, queu marchant ! COLIN. Ô margué, je te veux, moi. NICOLAS. T'es donc bien michant ? COLIN. Oui, margué, je le suis. NICOLAS. [Note : Diable à quatre : faire beaucoup de bruit, causer beaucoup de désordre (locution qui provient d'une représentation scénique du moyen âge qu'on appelait la grande diablerie à quatre personnages ; celle où il n'y en avait que deux se disait la petite diablerie) [L]]Tu fais le diable à quatre : Mais Colin, dis-moi donc, pourquoi veux-tu te battre. COLIN. Morgué, pour mon plaisir, de quoi te mêles-tu ?Se bat-on pas toujours quand qu'on devient cocu. NICOLAS. Et l'es-tu ? COLIN. Palsangué je m'attends bien de l'être ;[Note : Bissêtre : Mot inusité présentement, qui signifiait malheur, malaventure. [L]]Mais morguene avant coup je yeux faire bissêtre ; Jarnigué, par point bas, je veux me battre en deuil. Colin ôte son pourpoint et son rabat.Déchaussons le rabat, margué, bon pied, bon oeil.La main fait tout. NICOLAS. Fi donc, Colin, n'en te regarde. COLIN. Il présente le poing à Nicolas.Je n'ai coeur, ventrigué, boute toi dans ta garde. NICOLAS. Oh ! C'est donc tout de bon ? Margué, vêla pour toi. COLIN. Ah morgué, Nicolas ! te moques-tu de moi ?Tu bailles dans less dents. NICOLAS. Margué, que me soucie-je ?Tant mieux. COLIN. Ô vantrigué, laisse-moi là, te dis-je. NICOLAS. Quien, c'est pour t'agacer. COLIN. Ouf, margué, Nicolas,Quien, jarny, queuque jour ? Tu t'en repentiras. NICOLAS. Et que me feras-tu ? COLIN. Margué ! NICOLAS. Quoi ? COLIN. Ventriguene. NICOLAS. Hey. COLIN. [Note : Glaudenne : Claudine.]Quien, je le dirai dres ce soir à Glaudenne :Tu le verras plutôt, mais pargué la voici. SCÈNE II. Claudine, Colin, Nicolas. CLAUDINE. Bonjour, me doux Colin, m'en amoureux souci. COLIN. Laisse loi là, marguenne. CLAUDINE. Hé coeur de ma poitrenne, Petit cochon de lait, qu'as-tu donc ? COLIN. Ô la chienne ! CLAUDINE, [Me] tredine, qu'a-t'il ? NICOLAS. C'est qu'il se bat en deuil. COLIN. Ventrigué, je t'aurai queuque jour seul à seul,Laisse faire. NICOLAS. Hé margué, viens-y donc tout à l'heure. COLIN. Oh, jarnon, dans les dents ! CLAUDINE. Hé quoi ! Tu pleures ? Et d'où vient donc ? COLIN. Marguenne, hé. CLAUDINE. Bonjour, Nicolas. COLIN. Oh chienne ! Queuque jour tu t'en repentiras.Patience ? CLAUDINE. Et de quoi bien aimé ? COLIN. Va je te battrai bien quand tu seras ma femme,Baille moi deux épingues. CLAUDINE. Hé mon quieu ,les voila. Il l'a piqué en prenant l'épingle. [COLIN]. Carogne. CLAUDINE. Chouf, Colin. COLIN. Ce n'est rien que cela.Je t'en ferai bien pis. NICOLAS. Pourquas que tu la piques ? COLIN. [Note : Besicles : Familièrement. Vous n'avez pas bien mis vos besicles, vous y voyez mal. [L]]Margué t'en as menti, boute mieux besicles. NICOLAS. J'ai menti ? CLAUDINE. Nicolas, tredin, tenez vous coi. COLIN. Oh marguene au secours, à moi queu qu'un à moi. SCÈNE III. Le Grand-François, Gros-Jean, Colin, Nicolas. GROS-JEAN. Qu'est-ce qui n'y a ? GRAND-FRANÇOIS. Tatigué, c'est mon gendre. COLIN. Biau père, tatigué, venez pour me défendre. GROS-JEAN. Nicolas. GRAND-FRANÇOIS. Et Colin, dis donc qu'as tu mangé ? GROS-JEAN. Marguenne y sont tous deux pires qu'un enragé. COLIN. Oh nargué, je t'aurai. GROS-JEAN. Peste soit de la bête, Jem donne au diable, van je te romrai la têteSi tu zy revien plus. GRAND-FRANÇOIS. Oh, vous n'en ferez rienGros-Jean. GROS-JEAN. Et que sais tu ? GRAND-FRANÇOIS. Je le sais pargué bien,Car j'y avon regardé. GROS-JEAN. [Note : Lorgner : Observer à la dérobée, en tournant les yeux de côté. [L]]Je t'en réponds, mon borgne,Je te crains margué bien. GRAND-FRANÇOIS. Margué comme tu lorgnes, Veux tu que je fassions le coup de poing nous deux ? NICOLAS. Margué ne dites rien, vous êtes le plus vieux,Montrez-vous le plus sage. GROS-JEAN. Oh, gna sage qui quieneMargué, s'il a du coeur, ventrigué qu'il y vienne. GRAND-FRANÇOIS. Oh, si je non du coeur, vois-tu, j'on du quarriau, Et si t'en veux jaser vien t'en dessous l'ormiauTu le verras. GROS JEAN. [Note : Pagnorte : pagnote. Qui est sans courage, sans énergie. [L]]Margué, tu n'es rien qu'un pagnorte. GRAND-FRANÇOIS. Oh, j'avon pourtant vu le Chaquiau de la Motte. Et si j'avons porté des farcine à Rocroy. GROS JEAN. Oui par dessus l'épaule. GRAND-FRANÇOIS, Et parqué, je le crois. GROS JEAN. Va, va, je savons bien queussuq c'est que la guerreJ'on mangé queuquefois du l'art de militaire,Je savons, margué, bien, tirer un coup mousquetSans nous brûler les doigts a vus tous VOS caquets ;Ô dont vous voyez bien, c'est pour vous faire entendre Que si vous nous baquiais, je saurions nous défendre. GRAND-FRANÇOIS, Ô margué, j'en on vu d'aussi futés que toi ;Quand on se bat, vois-tu, chacun y va pour soi :[Note : Drille : Fantassin, soldat à pied. [L]]Crois-tu que je n'on pas queuque fois vu les drilles ?Tatigué tous les coups n'en ne fait pas neuf quilles Et j'en avon tant vu de ces regneux de Guieu,Aveuc ta parmission que je te crève un yeux. COLIN donne un soufflet à Nicolas quand il y pense le moins. Margué, vela pour toy, j'avons notre revanche. NICOLAS. Ouf, j'ai le nez cassé. GRAND-FRANÇOIS. Tatigué, queu Dimanche. NICOLAS. Oh ventrigué, Colin, c'est de la trahison, Mais margué, queuque jour j'aurons notre raison. COLIN. Ô, viens-y, Nicolas, je te ferons bien rire. GROS JEAN. Marguene, Grand-François, qu'est-ce qu'ou voulez dire ?Est-ce là l'action d'un brave homme de bien ? GRAND-FRANÇOIS. Quoi ? GROS JEAN. De frapper les gens, margué, sans dire rien. GRAND-FRANÇOIS. Mais marguene, à proupos d'où yien donc la querelle. GROS JEAN. Bon, palsanguié, samon, vous nous la baillez belle.Est-ce que j'en sais rien ? GRAND-FRANÇOIS. Pargué ni moi non plus. GROS JEAN. Marguene, pourquoi donc nous serions-je battus ? GRAND-FRANÇOIS. Je m'en sais pargué rien ; Colin, pourquoi serait-ce ? COLIN. Margué, veyez-vous bien, que mon péché n'en croisse, Je crois que Nicolas m'a quasi fait cocu,Et vela pourquoi que c'est qu'ou vous seriais battu. GRAND-FRANÇOIS. Cocu ! GROS JEAN. Cocu ! NICOLAS. Cocu ! CLAUDINE. Cocu ! COLIN. Cocu, marguene. CLAUDINE. Ho, Colin, pour si peu ce n'en est pas la peine. GRAND-FRANÇOIS. Et n'est-ce que cela, gros sot ? COLIN. Et ce n'est rien. GRAND-FRANÇOIS. Pargué le grand malheur, aga, je le suis bien.Et gros Jean aussi. GROS JEAN. Moi ? GRAND-FRANÇOIS, C'est pour lui faire accroire. GROS JEAN. Margué, rayez cela de dessus vos grimoires,Je n'ai jamais reçu, parguene un tel affront. CLAUDINE. Cocu, c'est quand on a des cornes sur le front,Tâte bien si t'en as, Colin. COLIN. Hé bonne bête,Ce que l'on plante aux pieds vient-il dessus la [truffe] ?Quien pour nous marier je suis ton serviteur,Je son pauvre, vois-tu, mais javon de l'honneur. CLAUDINE. Hé mon Guieu, que t'es chose ! COLIN. Oh gna chose qui quienne, Il veut s'en aller.Je devions nous marier aujourd'hui, mais marguene,Il n'en fera rien, ou... final, je m'entends bien. GRAND-FRANÇOIS l'arrefttnt. Pargué va, t'a raison... comme il n'en fera rien ;Margué, je ne... GROS JEAN. [Note : Bile : Fig. Mauvaise humeur, colère. [L]]Tout biau, vous vous chauffez la bile. GRAND-FRANÇOIS. Ho, je suis d'une himeur tout à fait domicile,Mais margué dans l'honneur je suis pis qu'un Satan.Hé comment ! Tout est press... GROS JEAN. Et bon, cela s'entend,Margué vous avez tort, Colin. COLIN. Et j'ai le Diable. GROS-JEAN. À ton col, hé Marchand, on ne y fait le capable ! GRAND-FRANÇOIS. Colin, quien si tu veux que je s[oy]ons bons amis,Marguene il faut tenir le mot que t'as promis. COLIN. Pargué, je m'en bas l'oeil. GRAND-FRANÇOIS. Oh, je m'en bats les fesses,Marguene, je te frons, margué, bien tenir tes promesses,Ou je plaiderons bien. COLIN. Et bien je plaidrons, Et si nous faut trembler, margué je tremblerons. GRAND-FRANÇOIS. Jarnigué, je ferons quoique nouviau grabuge. COLIN. Palsanguè je varrons, vecy Monsieur le Juge. SCÈNE IV. Le Juge, La greffier, Grand-François, Claudine, Gros-Jean, Colin, Nicolas. Colin présente un siège au juge, et comme il veut se seoir, Colin retie le siège comme pour le nettoyer, et le juge tombe. COLIN. Monsieur le Juge, ardè, tenez boutez vous là. LE JUGE, tombant. Hé. COLIN. C'est que notre siège était sale par là, Reboutez vous. LE JUGE. Et bien ? COLIN. Monsieur j'avons querelle. GRAND-FRANÇOIS. Oh, margué, j'en appelle. COLIN. Oh, c'est moi qu'en appelle. LE JUGE. [Note : Intimé : L'intimé, l'intimée, personne qui, ayant gagné son procès en première instance, est appelée devant un tribunal supérieur par sa partie. L'appelant et l'intimé. [L]]Lequel est l'appelant des deux ou l'intimé ? COLIN. Monsieur... LE JUGE. Dans le procès chacun est-il nommé ? COLIN. Monsieur... LE JUGE. Est-il verbal, ou bien si la partie Est appointée en droit ? COLIN. Monsieur... LE JUGE. L'antipathieEst une étrange chose ! COLIN. Il est vrai, mais. LE JUGE. Au moinsDedans le fait et cause avez-vous des témoins ? COLIN. Ventriguene, Monsieur... LE JUGE. Répondez donc. COLIN. Ô peste ! Monsieur. LE JUGE. Votre innocence est assez manifeste. COLIN. Je vous... LE JUGE. Explique-moi la chose comme elle est. COLIN. Acoutez, vous saurez... LE JUGE. Voulez-vous un arrêtQui soit au défenseur conforme à la sentence ? COLIN. Et non, Monsieur, je veux. LE JUGE. Un peu de patience:Dites, que voulez-vous ? COLIN. Monsieur enfin... LE JUGE, au Greffier. Hola, Faites faire silence. LE GREFFIER. Et là, Messieurs, paix là,Monsieur n'sait ce qu'il dit. COLIN. Ho, faites-nous la grâce... LE JUGE. On poudrait bien aussi juger par contumace,Fors aux cas réservés à l'hymen clandestin. COLIN. Margué ? je n'entends point tous vos mots de Latin. LE JUGE. Si vous êtes absurd és termes de pratique,Il faut donc que quelqu'un pour votre cas s'explique.Parlez-vous, Grand François. GRAND-FRANÇOIS. Monsieur... LE JUGE. Ne parlez plus.C'est assez, vous Gros-Jean, répondez là-dessus. GROS JEAN. Monsieur... LE JUGE. Hola, tase. Parlez, Colin. COLIN. Marguene... LE JUGE. Bon, voila qui va bien, répondez vous Claudine. CLAUDINE. Monsieur... LE JUGE. Qu'un jugement est un grand embarras ! COLIN. Oh bien. LE JUGE. Laissez un peu répondre Nicolas. NICOLAS. Moi ? Je n'ai rien à dire. LE JUGE. Il faut que chacun parle. COLIN. Margué, ja veux chiffler pu fort que notre Marle. TOUS ENSEMBLE. Vous saurez donc, Monsieur, que comme je venoua AJe nous esquième tous auparavant allé ÉCheux Colin pour y voir la noce d'aujourd'hui IMais comme je veniens, Monsieur, tout aussitôt, OQu'en ce rencontre y la je nous seriens battu. U LE JUGE. Bénit soit le procès de l'A, E, I, O, U.Écrivez donc Greffier. LE GREFFIER. Monsieur, je n'entends goutte. LE JUGE. Et quoi ? Ne faut-il pas que le Greffier écoute. GRAND-FRANÇOIS. Oh bien, Monsieur, vela, j'avons dit l'action,C'est à vous à bailler voute contusion. LE JUGE. Je conclus, concluant par conclusion brèveQue vous serez très tous pendus en pleine Grève,Et si vous appelez d'un si beau jugement,Je conclus, concluant, conclusitivement,Pour ne vous plaindre point de notre procédure, Que je ne conclus rien de peur de mal conclure. Le Juge et le Greffier s'en vont. COLIN. Bon, nous vela pas mal. GRAND-FRANÇOIS. Pargué, d'effet, samon,Mais marguene, Colin, aveuc tout ton sarmon.Que veux-tu dire aussi, tiens si tu m'en veux croire,Margué, tu larras là toute ta belle Histoire, Vela le festin prêt qui vient subitement,Et nargué tu nous viens bailler du compliment,Allons, gros Jean, prenez Nicolas par la patte :Et faut-Il pour un rien qu'un bon ami se batte ?Donne ta main, Colin. COLIN. Marguene... GRAND-FRANÇOIS. Do[nne] don. COLIN. Non, jarnigué, je veux qu'il demande pardon. NICOLAS. Et de quoi ? COLIN. Ô de quoi ? GROS JEAN. Oui de quoi ? COLIN. Ventriguene,De ce qu'il a voulu coucher avec Glaudenne. NICOLAS. Il n'est margué pas vrai. COLIN. Margué, je dis que si. GROS JEAN. Et puisqu'il n'est pas vrai, Colin, t'as tort aussi. COLIN. Et bien, margué, n'importe, il faut qu'il le confesseOu je ne ferons rien. NICOLAS. Mais ventriguene.... GRAND-FRANÇOIS. Et qu'est-ce?Dis qu'oui. NICOLAS. Je le veux bien. COLIN. Mais margué de franc coeur. NICOLAS. Oui, parguene. COLIN, embrassant Nicolas. Ô bien don je suis ton serviteur. GRAND-FRANÇOIS. Ah, voila qui va bien ; bon voici le notaire. Bonjour, à Monsieur Bertrand. SCÈNE V. Monsieur Bertrand, Grand François, Gros Jean, Claudine, Colin. NICOLAS. Ah bonjour, vieux frère. GROS JEAN. Bonjour, Monsieur Bertrand. BERTRAND. Bonjour, bonjour, Gros-Jean.Or ça, je viens ici... COLIN. Bonjour, Monsieur Bertrand. BERTRAND. Bonjour. GRAND-FRANÇOIS. Nous venez vous lire des hereticles ? BERTRAND. Oui, si Dieu plaît. GRAND-FRANÇOIS. Et bien, boutez donc vos besicles. BERTRAND, lit. [Note : Chasse-chien : Portier, bedeau. [L]]Par devant Bertrand Douillet, Tabellion d'Aubervilliers. Furent présents en leurs personnes Jean Laurens, dit Grand-François, demeurant audit Aubervilliers ; et Perrette Cre sa femme, d'une part : Guillaume Buttan, Maître Carillonneur et premier Chasse-chien de la grand'Église dudit lit à Catherine Vigreux sa femme, lesquels de leur bon gré ont reconnu et confessé avoir fait et font les promesses et accords de mariage qui ensuivent, à savoir de Colin Battan et de Claudine Vigreux, tous bourgeois dudit lieu tant du côté paternel que maternel ; l'un à l'autre agés de chacun dix neuf ans environ, plus ou moins sans conséquence. Pour la grande affection qu'ils se portent, pour avoir gardé par l'espace de dix ans les vaches ensemble, ils ont désiré se conjoindre par lien matrimonial sous le bon plaisir de leurs parents et amis. Lequel Guillaume Buttan non ici présent pour être détenu au lit d'un coup de pierre au beau milieu du dos, a donné et donne - Colin Battan son fils et futur époux, par ces présentes, en faveur de mariage un arpent d'héritage assis audit Aubervilliers. Plus une charrue attelée d'un boeuf et d'un âne âgés de quarante cinq ans ou environ ; ensemble ses habits, savoir un paletot d'écarlate noire doublé de jaune cramoisie, un fonds de chauffe de blanchet gris, une chemise garnie de son colet de toile à boussette. Item une paire de guêtres et de souliers de vache tout neufs ; en outre la somme de onze livres quinze sols six deniers tournois en belle pistole, et monnaie blanche. Et quant au dit Laurent, dit Grand-François, père de la future épouse, pour la bonne amitié qu'il porte, lui a donné en faveur dudit mariage un quartier et demi de pré fraîchement tondu, assis au lieu et territoire de la Motte, plus une vache sous poil grivelé avec le pot à traire et autres ustensiles de ménage, et outre son trousseau garni de deux draps et une nappe frangée d'une aune un douze ou environ avec ses bagues et ses joyaux, desquels ledit Colin Battan, futur époux, s'est tenu à tient pour content, et a donné et donne ladite future épouse de la somme de quatorze sous six deniers tournois, pour icelle avoir et prendre sur une masure sise en la plaine de Long-Boyau, et est accordée entre lesdites parties qu'au cas que l'un desdits futurs époux décède sans enfants procrées de leur mariage, le survivant remportera ce qu'il aura apporté ainsi qu'ils ont présentement accordé. Et quant à tout, etc. et obligeant, et renonçant, et fait et passé, etc. LE GRAND FRANÇOIS. Bon, voilà qui va bien, donnez, je signerons.François, s'écrit-il pas avec deux O ronds ? BERTRAND. Tout comme il vous plaira. GRAND-FRANÇOIS, après avoir signé. Véla qu'a bonne menns BERTRAND. Allons Monsieur Colin. COLIN. Quoi ! Faut-il que je senne ? BERTRAND. Belle demande ! GRAND-FRANÇOIS, à Colin qui prend la plume de la main gauche. [Note : Jobelin : Jeune jobard, petit jobard. [L]]Bon, peste du jobelin. BERTRAND. De l'autre main ! COLIN. Ah, oui, P, G, C, Q, Colin. BERTRAND. À vous, Claudine, allons. CLAUDINE. Je ne sais point écrire,Monsieur Bertrand. GRAND-FRANÇOIS. Pargué va, tu nous fais bien rire :Hé, prend la plume, allons, boute là tes cinq doigts. CLAUDINE. Je m'en vais seulement faire cinq ou six croix ; Sera-ce assez ? COLIN. Fais-en plutôt plein un carrosse. SCÈNE VI. Marion, les conviés, Grand-François, Colin, Gros-Jean, Nicolas, Claudine, Bertrand. MARION. Voici tous les Monsieux qui venons la nôce,Mon père, ma Grand dit que vous dongniez la cléPour avinre des noix dans le grenier au blé. GRAND FRANCOIS. La vela, quien, allons, que l'on boute la nappe. BERTRAND, après que Claudine a signé. Vous écrivez fort bien. CLAUDINE. Mon Guieu, le coeur me tape. BERTRAND. Or ça, Messieurs, adieu. GRAND-FRANÇOIS. Bonsoir, Monsieur Bertrand. BERTRAND. Au moins vous savez bien... GRAND-FRANÇOIS. Marguene, allez-vous-en.Ne savons-je pas bien tout sen qui faudra faire ? On fait paraître une table servit rustiquement. COLIN. Glaudenne, ventrigué, je ferons bonne chère. GRAND-FRANÇOIS, aux Conviés. Vous qerez mal traitez, mais margué, voyez vous,Messieurs, vous y serez tout enfin que chez vous,Boutez-vous donc tretous... COLIN. Pargué sans simonie. GRAND-FRANÇOIS. Allons donc, Nicolas, Gros-Jean, jarni ma vie,Boutez-vous donc, Messieurs. SCÈNE VII. Marion, Grand-François, Le Vielleux, Gros-Jean, Nicolas, Claudine, Les conviés. MARION. Voici les violons. UN VIELLEUX. Bonjour Messieurs. COLIN. Bonjour. LE VIELLEUX. Voici deux bons garçons,Qui vont pargué jouer des branles d'importance. COLIN. Ho, je somme bien fous, après pause la danse.Jouez. UN VIELLEUX. Je ressemblons à l'oisiau de cheu nous,Je ne saurions chiffler si je ne sommes fous. Il boit.Aveuc vot parmission ; margué, le front me sue. COLIN. Et là, là, tirez bas, de crainte de la vue. LE VIELLEUX. Véla qu'est bien, ronflons. CHANSON. Aga Piarot le terrible accident,J'avions fait acheter une fort bonne éclanche, J'esperions la manger, et l'était belle et blanche.Maturenne qui a le coeur grandVoulait régaler nos parents,L'estions auprès du feu les mains dessus les hanches,Je buvions demistié tourjour en attendant, Mais hélas dans le même instantUn matin l'atrapit sur le bout d'une planche,Et nous la croquit sur le champ,Il n'en laissit rien que le manche ;Aga Piarot le tarible accident. COLIN. Hé margué Nicolas, Puis je sont bons amis, pargué, tu danseras. NICOLAS. Je ne sais point danser. Laisse-moi là. COLIN. Pargué,Hé danse un tantinet pour l'amour de Glaudene. UN CHOEUR DE PAYSANS. Pargué, vive Glaudenne. UN AUTRE CHOEUR. Et vive aussi Colin. GRAND-FRANÇOIS. Chacun s'aille coucher, Messieurs, jusqu'à demain. ==================================================