******************************************************** DC.Title = LES NICANDRES OU LES MENTEURS QUI NE MENTENT POINT, COMÉDIE. DC.Author = BOURSAULT, Edme DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:07:44. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BOURSAULT_DEUXFRERESGEMEAUX.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k74006f DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES DEUX FRÈRES GÉMEAUX OU LES MENTEURS QUI NE MENTENT POINT COMÉDIE M. DC. LXV. AVEC PRIVILÈGE DU ROY. À PARIS, Chez N. PÉPINGUÉ, à l'entrée de la rue de la Huchette. Et en sa boutique au premier pilier de la Grande Salle du Palais, vis à vis les consultations au Soleil d'Or.Achevé d'imprimer pour la première fois le 5 Décembre 1664. Les Exemplaires ont été fournis. PERSONNAGES ISIDORE, homme savant, Père d'Hipolite. EUTROPE, Père d'Ismène. HIPOLITE, Parisienne, Amoureuse du premier Nicandre. JACINTE, Suivante d'Hipolite. ISMENE, Lyonnoise, vêtue en homme, Amante du second Nicandre. LE PREMIER NICANDRE, Amant d'Hipolite. LE SECOND NICANDRE, Amant d'Ismène. ROBIN, Valet du second Nicandre. RAGOTIN, valet du premier Nicandre durant le premier Acte, puis Valet d'Ismene. UN COMMISSSAIRE. UN SERGENT du Châtelet. DES ARCHERS MUETS. La Scène est en Prison. Frères Gémeaux, qui se ressemblent si fort, qu'on les prend à tous moments l'un pour l'autre, et qui se rencontrent fortuitement à Paris, sans que l'un ni l'autre le sache ; où ils s'habillent par hasard tous deux d'une même façon. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Hipolite, Jacinte. HIPOLITE. Me trompais-je, Jacinte, est-ce là sa demeure ? JACINTE. C'est là même. HIPOLITE. Et tu dis qu'il viendra tout à l'heure ? JACINTE. Il me suit. HIPOLITE. Ah, Jacinte ! JACINTE. Et quoi donc... HIPOLITE. Je me plains,Ce que je souhaitais, à présent je le crains :D'une fille en aimant le mal-heur est extrême Alors qu'elle est réduite à le dire elle-même,Et que l'Objet charmant qui la comble d'ennuiA donné de l'amour sans en prendre pour lui.Je m'étais résolue à parler de ma flamme,Mais Jacinte au moment... JACINTE. Au moment, quoi Madame ? À qui cherche à vous plaire expliquez votre mais ;Mais ? HIPOLITE. Mais je ne crois pas que j'en parle jamais. JACINTE. Courage ; quand la chose est si bien préparée,Faire la scrupuleuse, et la sainte sucrée ?Et que lui direz-vous, car il vient sur mes pas ? HIPOLITE. En ne lui disant rien, que ne dirai-je pas ?Quand on voit ce qui plaît quoi qu'une âme projetteLes yeux ont une voix si la langue est muette,Et pour bien découvrir son aimable tourmentAffecter le silence est parler clairement. JACINTE. Et de cette façon vous croyez faire entendre...Je vous le disais bien j'aperçois ce Nicandre,Il avance. SCÈNE II. Le premier Nicandre, Hipolite, Jacinte, Ragotin. LE PREMIER NICANDRE. Madame, il doit m'être bien douxDe jouir du bonheur qui m'approche de vous ;Mais achevez, de grâce, et pour comble de joie De vous mieux obéir découvrez une voie,Parlez. RAGOTIN. [Note : Diablezot : ]Comme elle parle, écoutez, Diablezot. JACINTE. Ma maîtresse, Monsieur, parle sans dire mot. LE PREMIER NICANDRE. Dites-moi, sans frayeur ce que c'est qui vous touche,Je suis homme... JACINTE. Et là là, parlez lui de la bouche, Madame. LE PREMIER NICANDRE. Vous croyez que me dire un secretC'est peut-être... HIPOLITE. Nicandre, éloignez ce valet. LE PREMIER NICANDRE, à Ragotin. Dans une heure au plus tard tu viendras me reprendre. RAGOTIN. Mais... LE PREMIER NICANDRE. Sors. RAGOTIN. Mais... LE PREMIER NICANDRE. Sors te dis-je, et te va faire pendre. RAGOTIN. Et votre honneur, Monsieur, il est fort en danger, Quand on n'en a plus guère il le faut ménager. LE PREMIER NICANDRE. Qu'elle est belle ! Vois-tu ? J'en ai l'âme surprise. RAGOTIN. Déjà de son honneur tout le reste agonise.Qu'il est âpre ! LE PREMIER NICANDRE. Sors donc. RAGOTIN. Mais. LE PREMIER NICANDRE. Encor une fois ? RAGOTIN, s'en allant. Adieu l'honneur. SCÈNE III. Hipolite, Le premier Nicandre, Jacinte. HIPOLITE. Nicandre, et mes yeux, et ma voix... Je me sens interdite, et le charme qui brille...Quand on est inquiète, et qu'on est une fille...Le mérite sublime a pour moi tant d'appas...J'ose... le trouble... Et quoi, ne m'entendez-vous pas ? LE PREMIER NICANDRE. Moi, Madame ! HIPOLITE. Jacinte, il ne veut pas m'entendre. JACINTE. Parlez sans façonner, et vous faites comprendreAussi ; car le moyen jusqu'ici qu'il ait pu ?Si vous dites deux mots c'est en bâton rompu ;Laissez moi lui parler je suis bien plus hardie.Permettez, ô Monsieur qu'à présent je vous die. Ma Maîtresse Hipolite a depuis peu de jours...Quand on est en son âge, et qu'on rêve toujours...Je ne puis deviner, mais enfin je suis sûre...À tous ses mouvements j'aperçois qu'elle est mûre...Je ne sais quoi pour elle a des charmes si doux... Dites-moi, s'il vous plaît, Monsieur, m'entendez-vous ? LE PREMIER NICANDRE. Me jouer c'est vous plaire, et je m'offre moi-même... JACINTE. À quoi tant de façons ? Ma maîtresse vous aime. LE PREMIER NICANDRE. Ciel ! HIPOLITE. Ô Dieux ! JACINTE. Dame, ô Dieux, je ne puis niaiser. LE PREMIER NICANDRE. Madame... HIPOLITE. Il n'est plus temps de vous rien déguiser. Je vous aime ; ce mot est sans doute blâmable ;Il m'échappe à regret, mais il est véritable,Je vous aime. LE PREMIER NICANDRE. Est-il vrai, m'aimez-vous ? HIPOLITE. Je l'ai dit. LE PREMIER NICANDRE. De vos rares bontés je me sens interdit,Mais, Madame... JACINTE. Ce mais pourra bien la confondre. HIPOLITE. Mais enfin... LE PREMIER NICANDRE. Mais enfin, je ne puis y répondre. JACINTE. Justement. HIPOLITE. M'exposer à ce honteux mépris,Ô Ciel ! LE PREMIER NICANDRE. De vos appas je connais tout le prix,À me favoriser votre coeur se dispose,Mais un serment horrible à mon bonheur s'oppose : Pour ne pas en douter écoutez seulement. JACINTE. Écoutons. LE PREMIER NICANDRE. D'où je sors on vivait noblement. JACINTE. Après. LE PREMIER NICANDRE. Ma mère est morte, aussi bien que mon père. JACINTE. Pour cela. LE PREMIER NICANDRE. De parents je n'ai plus qu'un seul frère. JACINTE. Hé bien. LE PREMIER NICANDRE. Ce frère et moi sommes frères jumeaux. JACINTE. Qu'en est-il ? LE PREMIER NICANDRE. Tous ses traits à mes traits sont égaux. JACINTE. Est-ce tout ? LE PREMIER NICANDRE. Pour nos moeurs il en est tout de même. JACINTE. À la fin ? LE PREMIER NICANDRE. Ce qu'il aime est aussi ce que j'aime. JACINTE. Et qu'importe ? LE PREMIER NICANDRE. Entre nous tout paraît si communQue pour voir tous les deux il ne faut en voir qu'un. JACINTE. Quoi... HIPOLITE, à Jacinte. Ne l'interromps plus qu'au plus vite il achève.D'avoir dit mon secret je déteste. JACINTE. Et je crève,Il se pâme de joie à présent qu'il sait tout,Voyez vous du depuis comme il tient son bon bout,Le manoeuvre ? HIPOLITE. Jacinte, est-ce là ta conduite ? LE PREMIER NICANDRE. De mon âpre malheur pour apprendre la suite,De ce frère si cher dont j'ignore le sort,De qui j'ai le visage, et la voix, et le port ;De ce frère, en un mot qui si fort me ressembleQu'on nous prend l'un pour l'autre à nous voir être ensemble ; D'un frère... JACINTE. Et foin du frère, et du frère éternel,Concluez. LE PREMIER NICANDRE. De mon frère un serment solennelMadame... HIPOLITE. De ce frère un serment vous engage... LE PREMIER NICANDRE. Depuis plus de six ans je voyage, il voyage,Mais en nous séparant nous jurâmes tous deux De jamais à l'Hymen ne contraindre nos voeuxQue de l'un, ou de l'autre une bouche fidèleDe la mort ou la vie eut appris la nouvelle.Voyez donc à mon sort quelle peine se joint,Je le cherche, il me cherche, et ne nous trouvons point61 ; Je ne puis deviner quel endroit le recèle :Et pour comble de maux je vous trouve si belle,Qu'il fallait que mon coeur qu'Hipolite asservitOu jamais ne jurât, ou jamais ne vous vid62.Adieu Madame. SCÈNE IV. Hipolite, Jacinte. HIPOLITE. Hé bien, que dis-tu ? JACINTE. Moi, j'enrage. HIPOLITE. Le serment qu'il a fait de jamais... JACINTE. Badinage.Il se raille, Madame. HIPOLITE. Est-il vrai ? JACINTE. Tout de bon. HIPOLITE. Mais il m'aime, tu vois. JACINTE. [Note : Tarare : Interject. du style familier. Bon, bon ! je m'en moque ; je n'en crois rien. [FC]]Lui ? Tarare pompon.Je m'en suis aperçue, il biaise, il bricole,Quand il parle de frère il vous fiche la colle ; Je vous le garantis franc donneur de canards. HIPOLITE. Tu crois donc que quelqu'autre ait surpris ses regards ? JACINTE. Si je le crois ? Vraiment ; ce matois, ce Nicandre... SCÈNE V. Ismène vêtue en homme, Hipolite, Jacinte. ISMÈNE, vêtue en homme. Nicandre ! Le serait-ce ? Essayons de l'apprendre.Ce Nicandre, Madame, à mon coeur est bien cher, Je le cherche. HIPOLITE. Hé Monsieur, vous pouvez le chercherPeu m'importe. ISMÈNE. Peut-être, il vous plaît, il vous touche,Avouez. JACINTE. Dépêchez, que Monsieur se recouche,Il déplaît, c'est tant pis, et s'il plaît, c'est tant mieux. ISMÈNE. Ce n'est pas sans raison que je suis curieux ; Il vous aime ? HIPOLITE. Peut-être. ISMÈNE, bas. Il l'adore, le traître.Vous, l'aimez-vous, Madame, à votre tour ? HIPOLITE. Peut-être. ISMÈNE, à Jacinte. L'aime-t elle ? JACINTE. Selon. ISMÈNE. Sera-t-il son époux ? JACINTE. C'est selon. ISMÈNE. Justes Dieux ! HIPOLITE. Vous en êtes jaloux ? ISMÈNE. De celui que je dis si vous êtes l'épouse Je puis être alarmée, et paraître jalouse ;L'infidèle ! HIPOLITE. Jalouse ! JACINTE. Ah ! Madame, voyezCe que c'est que nos yeux qui s'étaient fourvoyés ;Elle est fille, elle même elle s'est éclaircie ;Ah le joli garçon par la superficie ! Qu'il est drôle ! HIPOLITE. Elle est fille ! ISMÈNE. Il est vrai, je la suisEt ce que vous aimez est ce que je poursuis.L'infidèle Nicandre.... HIPOLITE. Achevez, l'infidèle... ISMÈNE. Dans Lyon à ses yeux je parus assez belle,Je lui plus, il me plut, et dans un même jour Je donnai tout ensemble et reçus de l'amour.Il me voit, me demande, et m'obtient de mon père,On nous veut épouser, et le traître diffère,Et pour toutes raisons parle confusémentEt de frère semblable, et d'horrible serment : Me soutient qu'il m'adore, ardemment me conjureDe ne pas endurer qu'il devienne parjure,Et d'une âme charmée, et qui l'aime toujoursPour rejoindre ce frère il exige huit jours ;Il me quitte, le traître, et j'en sens mille peines, Cependant du depuis j'ai compté huit semaines,Et tel est de mon sort le cruel traitementQue je trouve Nicandre, et je perds mon amant. JACINTE, à Hipolite. D'où naissait le refus qui si fort vous afflige ?Voyez-vous ? HIPOLITE. Apprends... JACINTE. Paix. HIPOLITE. Mon courroux... JACINTE. Paix, vous dis-je, Et ne lui dites rien qui nourrisse ses feux. ISMÈNE. Il vous peut à son aise adresser tous ses voeux ;Demander son logis serait perdre ma peine,Redoutez seulement la présence d'Ismène ;De rivale à rivale on ne s'accorde rien, Mais je puis le trouver par un autre moyen.Je vous laisse. SCÈNE VI. Hipolite, Jacinte. JACINTE. Il vous aime ? HIPOLITE. Il me hait, l'infidèle. JACINTE. Vous devez au Seigneur une belle chandelle,Madame, il a pour vous une grande amitié ;Je ne me défends pas d'en payer la moitié, Car enfin la nature est aisée à surprendre ;Et si pour votre époux vous aviez eu NicandreAvecque son valet qui n'a point mauvais air[Note : Pas de clerc : faute par ignorance.]Mon honneur eut pu faire un méchant pas de Clerc.Haïssez désormais, aussi bien cette fille... HIPOLITE. Elle est belle, bien faite, et paraît de famille,Elle cherche Nicandre, et j'en ai du souci ;Mais l'amour est aveugle, et je la suis aussi.Que Nicandre l'adore, ou Nicandre l'abuse,Qui n'a point de mérite a du moins de la ruse, Et peut-être... JACINTE. Madame, il revient dans ce lieu. SCÈNE VII. Le second Nicandre, Hipolite, Jacinte, Robin. HIPOLITE, en raillant. À la fin votre frère est trouvé. LE SECOND NICANDRE. Plût à Dieu ! HIPOLITE. Je l'ai vu. LE SECOND NICANDRE. Quoi Madame... HIPOLITE. Il vous est tout semblable. ROBIN. Madame, êtes-vous Ange ? Ou bien êtes-vous Diable ?Quoi, sans vous dire mot vous savez nos secrets ? LE SECOND NICANDRE. Il est vrai que tous deux nous avons mêmes traits,J'ai la voix, le visage, et la taille de même,J'ai l'humeur... JACINTE. Comme il fait l'innocent quatrième !De vous poussez à bout le perfide a fait voeu. LE SECOND NICANDRE. Vous le connaissez donc, ce frère ? HIPOLITE. Quelque peu. LE SECOND NICANDRE. Il vous voit ? HIPOLITE. Quelquefois. ROBIN. [Note : Bigot : Qui est livré à une dévotion étroite et superstitieuse. [L]]Ah, la bonne bigote !Dirait-on qu'elle y touche ? JACINTE. Un valet vous ballotte,[Note : Bâtier : Ouvrier qui fait des bâts [on dirait chargeur, cariste]. [L]]Et je pense... Madame admirez ce bâtier[Note : Galefretier : Terme vieilli qui signifie homme de rien, homme sans feu ni lieu. [L]]Ce n'est pas son valet que ce galefretier :Avec cette finesse il prétend qu'on s'embourbe. LE SECOND NICANDRE. Ainsi... HIPOLITE. Levez le masque, on connaît votre fourbe,Et vous vous y prenez de mauvaise façon. ROBIN. Parbleu, pas tant bigote, elle change de ton. LE SECOND NICANDRE. Et quoi... HIPOLITE. Qui vous aimait a pour vous de la haine. LE SECOND NICANDRE. On me hait ! Mais Madame... HIPOLITE. On connaît votre Ismène. LE SECOND NICANDRE. Mon Ismène ! ROBIN. Bon, bon ; mordez vous-en les doigts ;Il demande huit jours, et demeure deux mois. LE SECOND NICANDRE. Mon Ismène, bons Dieux ! Ô parole cruelle ! ROBIN, appelle son maître au coin du Théâtre. St, st, une autrefois battez moins la semelleMonsieur. LE SECOND NICANDRE. Tes sots discours... ROBIN. Je parle à coeur ouvert. JACINTE. Il enrage tout vif de se voir découvert,Il ne se doutait pas qu'on eut pu tout apprendre. LE SECOND NICANDRE. Et comment croyez-vous qu'on me nomme ? HIPOLITE. Nicandre.Fourbe, artificieux, diseur de faussetés. ROBIN. Puis qu'il ne répond rien, d'accord des qualités. LE SECOND NICANDRE. Il est vrai qu'à l'amour je n'ai pu satisfaire,Mais par votre moyen si je trouve mon frèrePour rendre un juste hommage à de rares appasIsmène... HIPOLITE. Dites donc que vous ne l'aimez pasImposteur ? LE SECOND NICANDRE. Je l'adore, ou le Ciel me foudroie, La servir est ma gloire, et l'aimer est ma joie :Pour quelque autre beauté qui respire le jourJ'ai des civilités et non pas de l'amour.Son intérêt vous touche, et je vous en rends grâce,Embrassez... HIPOLITE. Vous saurez l'intérêt que j'embrasse, Et je vous ferai voir dés ce jour, si je puisComme Ismène me touche, et ce que je lui suis.Vous verrez qu'à l'outrage une fille est sensible,Qu'à ses voeux méprisés il n'est rien d'impossible ;Et quoi que depuis peu vous soyez à Paris Ainsi que votre nom je sais votre logis,Pensez-y bien. Elle sort. SCÈNE VIII. Le second Nicandre, Jacinte, Robin. LE SECOND NICANDRE, arrête Jacinte, et lui dit. De grâce, ayez plus de tendresse,Dites-moi qui des deux est suivante ou maîtresse ;Je vous trouve bien faite, est-ce vous qu'elle sert ? JACINTE. Oui. LE SECOND NICANDRE. Madame... JACINTE. Courage. ROBIN. Elles sont de concert Les gaillardes. LE SECOND NICANDRE. Madame, écoutez, en revanche... JACINTE. Voyez-vous cette main au fin bout de ma manche ?Elle pourrait tomber dessus votre museau ;Allez vous-en chercher votre frère jumeau ;Ou dessus cette joue un puissant cataplasme... Adieu. SCÈNE IX. Le second Nicandre, Robin. ROBIN. Connaissez-vous cette bonne Madame ? LE SECOND NICANDRE. Nullement. ROBIN. Nullement ? LE SECOND NICANDRE. Je ne la vis jamais. ROBIN. Songez bien. LE SECOND NICANDRE. Plus j'y songe, et moins je la remets,Je ne la vis jamais en aucune manière. ROBIN. À la première vue elle est bien familière. Des soufflets tout d'abord ! LE SECOND NICANDRE. Tu m'en vois tout surpris.D'hier au soir seulement j'arrivai dans Paris. ROBIN. De la nuit noire en Diable il était plus d'une heure. LE SECOND NICANDRE. Et déjà toutes deux ont appris ma demeureRobin. ROBIN. [Note : Pousse-cul : terme odieux dont on qualifie les Recors [assistants du sergent] des Sergents, et autres qui servent à mettre et à pousser les gens en prison. [F]]Les Pousse-culs sont de vilaines gens, Gare après votre queue un troupeau de sergents,Et si votre personne est par eux attrapée,Vous aurez une femme, ou la tête coupée.Ce n'est pas qu'entre nous je ne sache fort bienQu'avec une maîtresse on ne fait souvent rien ; Mais à votre prison pour donner une causeVous serez accusé d'avoir fait quelque chose ;Et vous en sortirez si le Ciel vous y met[Note : Un adage populaire dit que la mariage, c'est se passer la corde au cou. Ici il y a le double sens.]Pour aller à la noce, ou du moins au gibet. LE SECOND NICANDRE. Quoi, tu penses qu'Ismène ait si peu de constance... ROBIN. Je ne sais par ma foi ce qu'il faut que je pense ;Il faut bien vous aimer pour attendre toujours,Et je trouve deux mois bien plus longs que huit jours.En laissant à Lyon cette belle lionne,[Note : Poupon : Petit enfant au visage plein et potelé. [Littré remarque que] Thomas Corneille a fait poupon du féminin. [L]]Tu me crèves le coeur, disiez-vous, ma pouponne, Mais enfin mon départ ne doit pas t'irriter,Je te quitte un moment pour ne plus te quitter ;Laisse agir mon amour, je te tire de peine,Ou je me donne au Diable, et dans une semaineMon Fanfan ; de mon frère, ou la vie ou la mort Me remet le pouvoir de conclure mon sort ;De quelqu'un que je crois j'en aurai la nouvelle,Depuis à vous attendre elle fait sentinelle,Tandis qu'en galopant et par vaux et par montsNous passons vous et moi pour de francs vagabonds. Voyez si la Donzelle a sujet de bien rire. LE SECOND NICANDRE. Ah Robin ! De ce frère on n'a pu me rien dire,Je m'en meurs. Cependant va dedans mon logis,On me veut faire pièce, et j'ai peur d'être pris :Dis qu'il n'est pas besoin qu'aujourd'hui l'on m'attende. ROBIN. Si je suis pris pour vous, et qu'après on me pendeAussi ? LE SECOND NICANDRE. Te pendre ! À tort on l'aurait prétendu. ROBIN. Et qu'importe comment on puisse être pendu ?Soit à tort, soit à droit, n'est-ce pas toujours l'être ? LE SECOND NICANDRE. Tu te moques, te dis-je, obéis à ton maître. Je t'attends en ce lieu. ROBIN. Mais, Monsieur... LE SECOND NICANDRE. Hâte-toi. ROBIN, revient sur ses pas. Daignez donc pour le moins me répondre de moi,Car enfin... LE SECOND NICANDRE. Va te dis-je, et retient cette place. Robin sort.Attendant qu'il revienne allons voir Clidimace,Comme dans cette ville il a bien du crédit Cet ami... SCÈNE X. Ragotin, le second Nicandre. RAGOTIN. Je reviens comme vous m'avez dit,Est-ce fait ? LE SECOND NICANDRE. Que veux tu ? RAGOTIN. Je reviens. LE SECOND NICANDRE. Que je meure... RAGOTIN. Dites en conscience, ai-je mis plus d'une heure ? LE SECOND NICANDRE. Que veux-tu, mon ami ? Dis le moi. RAGOTIN. Je reviens. LE SECOND NICANDRE. Accordons un peu mieux tes discours et les miens, À tout ce que tu dis je ne puis rien comprendre. RAGOTIN. Il ne vous souvient pas que je viens vous reprendre ?Le secret de la Dame à la fin est-il su ?Dites-moi. LE SECOND NICANDRE. Mon enfant, je ne t'ai jamais vu,Quel es-tu ? RAGOTIN. Qui je suis ? Qu'ai-je accoutumé d'être ? Ragotin. LE SECOND NICANDRE. Ragotin, je ne puis te connaître,Passe ton chemin, passe. RAGOTIN. Il le fait tout exprès ;Moi je vous connais. LE SECOND NICANDRE. Toi me connaître ? RAGOTIN. À peu prés. LE SECOND NICANDRE. Tu t'abuses, mon cher, ton erreur est extrêmePasse. RAGOTIN. Il n'est donc pas vrai que vous êtes vous-même Est-ce pas ? LE SECOND NICANDRE. Je commence à beaucoup m'ennuyer. RAGOTIN. [Note : Gambade : Fig. Faire la gambade, payer en gambades, payer en monnaie de singe, se défendre de payer une dette par toutes sortes de raisons, répondre à une demande sérieuse par des plaisanteries. [L]]En gambades je pense il prétend me payer.Je vous sers. LE SECOND NICANDRE. Tu me sers ! RAGOTIN. Hé nenni. LE SECOND NICANDRE. Je m'irrite,Maraut... RAGOTIN. Payez-moi donc, et sortons quitte à quitte. LE SECOND NICANDRE. Je te dois quelque chose ! Insolent, je vois bien... RAGOTIN. Si vous me devez ! Non, vous ne me devez rien.Et qui peut me devoir quinze mois de mes gages ? LE SECOND NICANDRE. Laisse là ta sottise, en un mot tu m'outrages,Je me fais violence, et je dois de ce pas... RAGOTIN. Vous devez, il est vrai, mais vous ne payez pas. LE SECOND NICANDRE. [Note : Nasarde : chiquenaude que l'on donne sur le bout du nez. |F]]Sais-tu bien, goguenard qu'à bons coups de nasardes[Note : Goguenarder : Faire le goguenard, c'est à dire qui plaisante en se moquant. [L]]Si tu railles encore, et que tu goguenardes,Que de tes mots bouffons tu me fasses l'objet... RAGOTIN. Je bouffonne ! Vraiment j'en ai bien du sujet !Mis dehors, pas le sou, ne savoir chez qui vivre... Quoi, vous vous en allez ? LE SECOND NICANDRE. Et tu penses me suivre ? RAGOTIN. Je le pense, et repense. LE SECOND NICANDRE. Et tu ne penses pasQue si tu l'entreprends je te casse les bras.Suis-moi donc si tu veux, viens, tu n'as rien à craindre. Il sort. SCÈNE XI. RAGOTIN, seul. Il ne faut que cela pour m'achever de peindre. Peu courtois courtisan en chassant ton valetQue la peste t'étouffe, et te saute au collet.Qu'au fin fond des Enfers le grand diable te plonge.Mais j'enrage de faim, à propos, quand j'y songe,Pour branler la mâchoire, et nous faire laquais [Note : Degré du Palais : escalier du Plais de justice.]Allons chercher fortune aux degrés du Palais. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. LE PREMIER NICANDRE, seul. La charmante Hipolite a pour moi de l'estime,Et je n'ose répondre au beau feu qui l'anime !À mon cruel serment tous mes sens occupés... SCÈNE II. Ismène, le premier Nicandre. ISMÈNE, en habit d'homme. Ou je vois l'infidèle ou mes yeux sont trompés. C'est lui-même, le traître. À quoi rêve Nicandre ? LE PREMIER NICANDRE. Et par quelle raison souhaiter de l'apprendre ? ISMÈNE. Vous m'aimiez autrefois, et j'ai dû présumer... LE PREMIER NICANDRE. Si je vous ai connu, j'ai bien pu vous aimer ;Où vous ai-je pu voir ? Tirez moi d'une peine. ISMÈNE. À Lyon. LE PREMIER NICANDRE. À Lyon ! Votre nom c'est... ISMÈNE. Ismène. LE PREMIER NICANDRE. J'ai beau pour vous connaître employer mes efforts... ISMÈNE. Je ne vous parois pas ce que j'étais alors,Vous savez que l'on change. LE PREMIER NICANDRE. Il est indubitable,Mais c'est beaucoup changer qu'être méconnaissable ; À Lyon j'ai pu faire un passable séjour,Mais... ISMÈNE. Mais quoi qu'il en soit vous rêviez à l'amour ? LE PREMIER NICANDRE. J'y rêvais, je l'avoue, une Dame si belle... ISMÈNE. Vous l'aimez ? LE PREMIER NICANDRE. Si je l'aime ? ISMÈNE. Et vous êtes fidèle ? LE PREMIER NICANDRE. Vouloir toute ma vie adorer ses appas... ISMÈNE. Ingrat, c'est le paraître, et c'est ne l'être pas ;Ouvre les yeux. LE PREMIER NICANDRE. Monsieur... ISMÈNE. Dis mon nom, si tu l'oses,De ton frère, perfide, as-tu su quelques choses ? LE PREMIER NICANDRE. Un langage si haut me rend tout interdit... ISMÈNE. Ta maîtresse, infidèle, est dessous cet habit ; Vois Ismène, vois traître, et que l'oeil te dessille. LE PREMIER NICANDRE. Quoi dessous cet habit j'aperçois une fille !Ah Madame... ISMÈNE. Volage, à quoi m'obliges-tu ?Ta honteuse inconstance a trahi ma vertu :Sont-ce là ces huit jours ? Est-ce là cette flamme... LE PREMIER NICANDRE. Expliquez cette énigme, et de grâce Madame... ISMÈNE. Cet énigme, volage, ah cruel, plût aux Dieux !Mais ton crime visible a-t-il rien de douteuxInfidèle ? LE PREMIER NICANDRE. Mon crime ! ISMÈNE. Âme double, et traîtresse,Est-ce donc ta vertu que trahir ta maîtresse ? LE PREMIER NICANDRE. Moi, trahir ma maîtresse ? ISMÈNE. Oui, toi lâche. LE PREMIER NICANDRE. Moi ? ISMÈNE. Toi. LE PREMIER NICANDRE. Je ne vous connais pas, et j'ignore pourquoi... ISMÈNE. Tu ne me connais pas ? Toi perfide ? Toi traître ?Hé bien, je veux t'apprendre à pouvoir me connaître,Et te faire toi même à toi même avouer Que tu m'as oubliée, et n'ai pu t'oublier.Prends-y garde. SCÈNE III. LE PREMIER NICANDRE, seul. J'ignore à quoi tend sa querelleÀ l'entendre, autrefois je soupirai pour elle :Moi bon Dieux ! Moi pour elle avoir pu soupirer !Je ne la vis jamais, et ne puis pénétrer... Mais à quoi je m'amuse ? À quoi songe mon âme ?Si j'ai quelques moments je les dois à ma flamme ;Hipolite... Jacinte en ce lieu se fait voir ;Jacinte... SCÈNE IV. Jacinte, le premier Nicandre. JACINTE. Il dit mon nom ! Qui vous l'a fait savoir ?Vous me démaîtressez maître fourbe. LE PREMIER NICANDRE. Où s'adresse... JACINTE. Dites-moi qui des deux est suivante ou maîtresse ?Je vous trouve bien faite, est-ce vous qu'elle sert ? LE PREMIER NICANDRE. Parlez plus clairement, avez-vous découvert... JACINTE. Rien du tout. LE PREMIER NICANDRE. D'où vient donc que je comprends à peine... JACINTE. On connaît... LE PREMIER NICANDRE. Quoi ? Parlez, qui connaît-on ? JACINTE. Ismène. LE PREMIER NICANDRE. Je vous entends Jacinte, Hipolite sait bien... JACINTE. Que gens faits comme vous ne vaudront jamais rien,[Note : Passe-volant : Fig. et familièrement. Homme qui s'introduit dans une partie de plaisir sans payer sa part de la dépense commune, ou qui entre au spectacle sans payer, quoiqu'il n'en ait ni le droit, ni la permission. [L]]Adieu, passe-volant. LE PREMIER NICANDRE l'arrêtant. Demeurez, et pour cause,Au malheureux Nicandre apprenez une chose,J'allais voir Hipolite... JACINTE. Hipolite ! Vous ? LE PREMIER NICANDRE. Moi. JACINTE. C'est bien fait. LE PREMIER NICANDRE. Croyez-vous... JACINTE. Oui, sans doute, je crois.Je crois si vous osez dans sa chambre paraîtreQue vous n'en sortirez que par une fenêtre.Hipolite piquée... LE PREMIER NICANDRE. Elle ? JACINTE. Non, qui donc ? Moi ? LE PREMIER NICANDRE. Et qui l'a pu piquer ? JACINTE. Votre... je ne sais quoi, Vos discours outrageants, votre langue qui joue... LE PREMIER NICANDRE. Ma langue est imprudente, et je la désavoue ;Non, je ne prétends pas qu'elle parle jamaisS'il ne faut d'Hipolite applaudir les attraits.Me hait-elle, Jacinte, avouez ? JACINTE. L'idiote Pour vous aimer encore est peut être assez sotte,Mais si j'en étais crue... LE PREMIER NICANDRE. Elle ne me hait pas !Pour me bien obliger retournez sur vos pas,Dites-lui tout l'excès de ma flamme amoureuse,Dites... JACINTE. Allez ailleurs chercher une menteuse, Monsieur. LE PREMIER NICANDRE. Mettez ma flamme au degré le plus haut,Et ce sera... JACINTE. Mentir justement comme il faut. LE PREMIER NICANDRE. Puisque vous refusez d'aller dire que j'aimeOffrez-moi le moyen de le dire moi même,Que je voie Hipolite, et lui puisse parler, Qu'un moment... JACINTE. J'ai bien peur de me laisser aller.Vous l'aimez ? LE PREMIER NICANDRE. Je l'adore, et j'adore elle seuleOu... JACINTE. Qui dit courtisan dit toujours fort en gueule ;De vous croire moi-même en secret je rougis ;Cependant sans façon je retourne au logis : J'allais faire un message, et pour vous je diffère ;À propos, Hipolite accompagne son père,Mais il peut la quitter, il ne faut qu'un instant... LE PREMIER NICANDRE. À la prochaine rue un intime m'attend ;Je m'en vais le trouver, où vous dois-je reprendre ? JACINTE. Dans une petite heure ayez soin de vous rendre...Où dirai-je ? Ici même, en ce coin à l'écart. LE PREMIER NICANDRE. C'est assez, et de plus... JACINTE. Et de plus, Dieu vous gard. SCÈNE V. LE PREMIER NICANDRE, seul. Téméraire serment sors de cette mémoire,Ne fais pas un obstacle à l'excès de ma gloire, Depuis plus de six ans je me suis défendu... SCÈNE VI. Robin, le premier Nicandre. ROBIN. Monsieur, vous ne serez ni roué, ni pendu,Je n'ai vu ni records, ni bourreau, ni charrette,Tout va bien. LE PREMIER NICANDRE. [Note : Bélître : Gueux qui mendie par fainéantise, et qui pourrait bien gagner sa vie. Il se dit quelquefois par extension des coquins qui n'ont ni bien, ni honneur. [T]]De quel air ce bélître me traite !À qui parle... ROBIN. Pour moi, quoi que simple valet, Dans la peur que j'avais d'être pris au colletJ'ai joué de finesse, et l'ai mis dans ma pocheVoyez vous ? Pour l'hôtesse elle tourne la broche,Elle dit qu'en tout cas votre lit sera prêt,Que peut-être... LE PREMIER NICANDRE. À cela, je n'ai point d'intérêt. Où vas-tu ? D'où viens-tu ? Dis le moi toute à l'heureEt je crois... ROBIN. Je ne vais, ni ne viens, je demeure.[Note : Gausseur : Celui, celle qui se gausse [moque] des autres. [L]]Comme il fait le gausseur, d'où je viens, me dit-il,[Note : Alguazil : C'est un mot espagnol qui est connue depuis quelque temps en France pour signifier Sergent ou Exempt. Il est venu des Arabes, chez lesquels il signifie un officier de justice qui exécute les ordres du magistrat. [F]]Il a crû tout d'abord que j'étais alguazil,Et qu'en vrais pas-de-loup je venais le surprendre. LE PREMIER NICANDRE. Sais-tu, mon ami, qu'on me nomme Nicandre,[Note : Badin : folâtre, enjoué, peu sérieux, qui fait des plaisanteries. [F]]Et que l'on me déplaît quand on fait le badin ? ROBIN. Savez-vous bien, Monsieur, qu'on m'appelle Robin ? LE PREMIER NICANDRE. Moi, je saurais ton nom ? ROBIN. Comme je sais le vôtre,Et nous nous connAissons aussi bien l'un que l'autre. LE PREMIER NICANDRE. Camarade... ROBIN. PaiX. LE PREMIER NICANDRE. Dis moi, traître, es-tu saoul ? ROBIN. Mon cher maître, avouez que vous êtes bien fou. LE PREMIER NICANDRE. Moi ton maître ? ROBIN. Et qui donc ? LE PREMIER NICANDRE. Il a pu se méprendre.Je t'ai dit, mon ami, qu'on m'appelle NicandreQu'un sot conte me choque, et qu'enfin... ROBIN. Et qu'enfin... Je vous ai répondu qu'on me nomme Robin. LE PREMIER NICANDRE. Et ce nom de Robin suffira pour m'apprendre... ROBIN. Tout comme il me suffit de celui de Nicandre. LE PREMIER NICANDRE. Mais de bien te connaître offre moi le moyen,Que veux-tu ? Quel es-tu ? ROBIN. Mon Dieu, je ne suis rien ; Je suis ce que je suis, qui que je sois je m'aime,Et je ne voudrais pas ne pas être moi-même,Je me garantis tel. LE PREMIER NICANDRE. Mais pourquoi... ROBIN. Mais pourquoi...Puisque vous êtes vous, je puis bien être moi. LE PREMIER NICANDRE. Mon valet... ROBIN. Je le suis. LE PREMIER NICANDRE. Ta folie est extrême. ROBIN. À tout autre que vous je dirais fou toi-même,Et je pense... LE PREMIER NICANDRE, en s'en allant. [Note : Maraud : Terme injurieux qui se dit des gueux, des coquins qui n'ont ni bien ni honneur, qui sont capables de faire toutes sortes de lâchetés. [F]]Maraud, tu veux être battu,Et si je n'avais hâte insolent... Où vas-tu ? ROBIN. Où vous même allez-vous ? J'accompagne mon maître. LE PREMIER NICANDRE. Je dois si je le suis te le faire paraître Il t'en faut une preuve impudent, la voilà. Il lui donne un soufflet. SCÈNE VII. ROBIN, seul. Il a parbleu raison, il le prouve par là.Le secret est joli pour se bien faire croire !De sa chienne de patte enfoncer ma mâchoireEt souffrir sans souffler qu'il me donne un soufflet, C'est bien être le maître, et Robin le valet.Quelle peste de preuve il me force de prendre ![Note : Frère frappart : s'est dit d'un moine libertin et débauché. [L] Ici, le sens est aussi celui qui frappe.]Ce bon frère frappart est sans doute NicandreCe sont là de ses coups je les sens à leur poids,J'en reçois règlement prés de cent tous les mois Et de tous ses soufflets ce n'est pas là le moindre ;Mais où Diable à présent le pourrai-je rejoindre ?Sa valise restée au logis d'où je viensOù parmi ses habits sont aussi tous les miensEn tout cas... Le voici la gueule enfarinée Le bon traître ! SCÈNE VIII. Le second Nicandre, Robin. LE SECOND NICANDRE. Qu'heureuse est pour moi la journée !Ah Robin ! Un ami généreux, bien faisant,Et non pas un ami comme ceux d'à présent,Dont la langue est dorée, et dont l'âme est de boue ;Mais un ami sincère, obligeant... ROBIN. Ah la joue ! LE SECOND NICANDRE. De me voir Clidimace a les sens tous ravis,Dans sa propre maison il me donne un logis,À tous mes intérêts tout entier il se voue,Et je veux ce qu'il veut, pour lui plaire. ROBIN. Ah la joue ! LE SECOND NICANDRE. Quel sujet te fait plaindre, et pourquoi le cacher ? C'est peut être une dent qu'il te faut arracher,Une dent peut suffire à gâter une bouche,Songes-y. Mais répond sur le fait qui me touche,As-tu vu mon hôtesse, aura-t-elle tout prêt... ROBIN. À cela, mon ami, je n'ai point d'intérêt ; Où vas-tu ? D'où viens-tu ? Dis-le moi tout à l'heure. LE SECOND NICANDRE. Que me dit ce Coquin ? Je t'assomme ou je meure,Parle ; dois-je tout craindre, ou ne redouter rien ? ROBIN. Mais de bien te connaître offre moi le moyen,Que veux-tu ? Quel es-tu ? LE SECOND NICANDRE. Qui je suis, double traître ? Je puis facilement te le faire connaître,Et sans avoir besoin d'être si retenu... ROBIN. [Note : Démantibuleur : Celui qui casse la mâchoire autrefois appelée mantibule.]Ah démantibuleur je l'ai trop reconnu.De ne pas l'ignorer à présent je me pique,Et ma joue en peut être un témoin authentique. Faire pleine recette à deux doigts de mon nezD'un soufflet plantureux, et des mieux assenés,D'un soufflet qu'une main bien plus noire que blancheDepuis plus de six mois mitonnait dans sa manche,D'un soufflet qui par terre quasi a répandu... Si vous ne le payez je veux être pendu. LE SECOND NICANDRE. Est-ce pure gageure ? Ou bien si tu déterres... ROBIN. C'est gageure. LE SECOND NICANDRE. Gageure ? ROBIN, montrant sa joue. [Note : Erres : Fig. Suivre les erres, aller sur les erres de quelqu'un, l'imiter dans sa conduite ; adopter ses opinions, ses sentiments. Reprendre, suivre les premières erres, les dernières erres, reprendre une affaire où on l'avait laissée. [L]]On m'en donne des erres. Il chante de rage.Voyez-vous ? Mon cadet... Là, là, là, là, là, là. SCÈNE IX. Jacinte, Hipolite, le second Nicandre, Robin. JACINTE, sortant avec Hipolite. Il vous attend Madame, et c'est lui que voila, Avancez. À Nicandre.À vous voir je l'ai fait condescendre,Prés d'une heure Hipolite a voulu s'en défendre,Mais j'ai tant de vos feux appuyé le parti,J'ai tant dit que mes soins vous avaient pressenti,Tant de fois répété que toujours pour Ismène Loin d'avoir de l'amour vous auriez de la haine... LE SECOND NICANDRE. De la haine pour elle, ah ! Je brûle d'amour,Non, non... HIPOLITE à Nicandre. De vos mépris vous voila de retour,Je l'ai su de Jacinte, Ismène est pourtant belle. LE SECOND NICANDRE. Elle est toute charmante, et je n'adore qu'elle, Son aimable visage a des charmes si doux... JACINTE. Il se moque, Madame, il n'adore que vousIl me l'a dit. LE SECOND NICANDRE. Moi ? JACINTE. Vous. LE SECOND NICANDRE. En parlant de ma flammeLoin de vous avoir dit que j'adore Madame... JACINTE. Quoi, vous n'avez pas dit à moi même, en ce lieu... LE SECOND NICANDRE. Rien du tout. JACINTE. Rien ! Madame il offense bien DieuLe méchant homme ! LE SECOND NICANDRE. Quoi... JACINTE. Quoi, vous-même hypocriteQuand vous êtes venu pour lui rendre visite... LE SECOND NICANDRE. Moi visite ! Robin pourra dire au besoin... ROBIN. Je vous sers de valet, et non pas de témoin. LE SECOND NICANDRE. Mais tu sais... ROBIN. Je ne sais si je sais quelque chose,Mais je me tais. HIPOLITE, à Jacinte. Tu vois où ton zèle m'exposeÀ ton rapport sans doute il n'a pas consenti. JACINTE. J'ai dit vrai, je vous jure, et Nicandre a menti,Je n'ai pas grâce à Dieu, la mémoire débile, Il fallait que pour lors son valet fut en villeLui seul en cette place il faisait l'idiot. LE SECOND NICANDRE. Quand vous m'avez parlé j'étais seul ! Réponds. ROBIN. Mot. LE SECOND NICANDRE. Où donc, lors que Jacinte a commencé sa guerreÉtais-tu ? ROBIN. Dans le Monde. LE SECOND NICANDRE. En quel lieu ? ROBIN. Sur la terre. LE SECOND NICANDRE. L'endroit, c'est... ROBIN. Dans la France, à Paris, que je crois. LE SECOND NICANDRE. En présence... ROBIN. En présence ? En présence de moi. LE SECOND NICANDRE. Mais perfide Robin le dessein où tu butes... ROBIN, montrant sa joue. Il ressouvient toujours à Robin de ses flûtes. LE SECOND NICANDRE. Ils s'entendent, Madame, un indice trop grand... JACINTE. [Note : Moule de gant : main.]Si je lui déchargeais un bon moule de gant,Madame, laissez-moi lui bailler sur la crête. ROBIN, à Jacinte. Ne prends point de conseil que celui de ta tête ;[Note : Rosse : Cheval sans force, sans vigueur. Fig. et populairement, il se dit, par injure, des personnes. [L]]J'en suis de moitié rosse. HIPOLITE. Enfin, il m'est honteuxD'avoir pu vous apprendre où j'adresse mes voeux ; Ne vous souvenez pas qu'Hipolite vous aime,Oubliez... LE SECOND NICANDRE. Vous m'aimez ! HIPOLITE. Je l'ai dit à vous même,Ingrat, et ma faiblesse est allée à ce point... LE SECOND NICANDRE. En vérité, Madame, il ne m'en souvient point.Vous m'avez, dites-vous, adorable Hipolite... HIPOLITE. Une feinte si basse, et m'outrage, et m'irrite,Je ne suis pas Jacinte, et vous vous méprenez... JACINTE. [Note : Paumer : Terme populaire. Paumer la gueule de quelqu'un, lui donner un coup de poing sur le visage. [L]]Paumez-lui moi la gueule, et lui cassez le nez,Faut-il tant de façons ? J'en enrage d'envie,Son valet qui me pousse à cela me convie. LE SECOND NICANDRE. Tu la pousses, perfide, et ton coeur est si bas... ROBIN. Moi loin de la pousser je lui retiens le bras,Elle a menti. JACINTE. Madame, admirez l'autre traître,[Note : Goberger : Terme familier. Prendre ses aises. Il se gobergeait dans un bon fauteuil. Se divertir. Se moquer. [L]]Le valet se goberge aussi bien que le maître ;Oses-tu ?... Voyez-vous, il fait signe des yeux... ROBIN. Vous mentez comme un Diable impudente. JACINTE, lui donne un soufflet. Moi ? ROBIN. Deux ;C'est le compte tout rond, et ma joue aplatie...Ah maîtresse coureuse, ou du moins apprentie... JACINTE. Quoi bélître... LE SECOND NICANDRE. La belle, il faut moins s'émouvoirVotre sexe, et Madame ont ici tout pouvoir, Essayez ma petite à vous rendre plus sage :Pour vous, c'est à regret que ma voix vous outrage,D'avoir pu vous choquer j'ai beaucoup de douleur,Et de peur qu'il n'arrive un semblable malheurJe sors. ROBIN, à Jacinte. Je sors aussi, mais avant que je sorte À ton peste de bras qui n'a pas la main morte[Note : Gale : Maladie cutanée et contagieuse caractérisée par de petites vésicules, la présence d'un insecte nommé acarus ou acare, et de grandes démangeaisons. [L]]Je souhaite la gale, et qui mine ton corps ;À tes pieds tout crochus je souhaite des cors ;À ta jambe une ulcère ; à ta cuisse une goutte ;Que de toi désormais tout chacun se dégoûte ; Je souhaite à ton ventre une canine faim, Et que pas un mortel ne te donne du pain ;Loin d'avoir des appas, et des charmes qui brillent,[Note : Brandiller : S'agiter en l'air sur une blanche, sur une corde, etc. [F]]Je souhaite à ton sein des tétons qui brandillent ;À ton bas de visage un menton fort pointu ; À tes dents une brèche à passer tout vêtu ;A ton nez la roupie ; aux yeux cire, au front crasse ;Et que de tes cheveux dont tu tires ta grâceOn fasse des licous au bourreau de ParisPour pendre les laquais qui sont au Paradis. [Note : Cagne : Vieux mot qui signifiait autrefois chienne. Il ne se dit plus que par injure à des femmes qu'on veut taxer d'infâme prostitution. [F]]Peste de cagne. SCÈNE X. Hipolite, Jacinte. HIPOLITE. Hé bien ? JACINTE. Sans perdre une paroleDépêchez vitement de jouer votre rôle.Au secours, à la force, embrassez l'intérêt...Tout va le mieux du monde, Isidore paraît,Isidore ! SCÈNE XI. Isidore, Hipolite, Jacinte. ISIDORE. Il s'exhibe où le cri prend son être Qu'est-ce ? HIPOLITE. Comme un éclair il vient de disparaître ;Il faut qu'assurément il vous ait entendu. ISIDORE. Éclaircis ta matière à mon individu ;À ma mémoire active à comprendre la choseDe sa voix attractive incorpore la cause, Articule tes mots, et divulgue le fait ;Puis après de la cause on descend à l'effet.Déduits ta malencontre en manière succincte. HIPOLITE. Il est venu... Monsieur, demandez à Jacinte. ISIDORE, à Jacinte. Oculaire témoin du malheur qu'elle tait, Toi, qui peut à son père inculquer son secret,De le développer j'interpelle ton âme. JACINTE. Il est venu... Monsieur, demandez à Madame. HIPOLITE. J'appréhende si fort de vous voir indignéQu'enfin... ISIDORE. [Note : Géniture : Terme familier. L'enfant par rapport au père et à la mère. [L]][Note : Forligner : dégénérer, ne pas suivre la vertu, et le bon exemple de ses ancêtres, de ce dont on est issu ; faire quelque chose digne de leur race. [F]]Ma géniture, aurais-tu forligné ? HIPOLITE. Ah ! JACINTE. Ah ! ISIDORE. Dieux des savants, l'une et l'autre soupire !D'où dérive... HIPOLITE. Autre part je saurai vous tout dire,Et puisqu'un prompt remède est ici de saisonVous forcerez le traître à m'en faire raison. ACTE III SCÈNE PREMIERE. Ismène, Le Commissaire. ISMÈNE. Enfin de mon mal-heur vous avez connaissance, Je vous ai de ma honte assez fait confidence,Je vous ai découvert de quel sexe je suis,Et le nom et l'ingrat qu'à présent je poursuis :Mais tout ingrat qu'il est, comme il a du courageIl peut vous outrager, et je crains qu'on l'outrage ; Car enfin, à la haine il a beau m'animer,Mon naturel usage est l'usage d'aimer :En m'ôtant son amour, il retient ma tendresse ;Ainsi pour s'en saisir il faut user d'adresse,Puis que de tous côtés je redoute les coups, Soit qu'ils viennent de lui, soit qu'ils viennent de vous. LE COMMISAIRE. Vous craignez vainement qu'il se puisse défendre,Jusques dans son logis on le peut aller prendre,Et quinze ou seize archers aux captures forts prompts... ISMÈNE. Ah ! De grâce, à Nicandre épargnons ces affronts, L'ingrat m'est toujours cher, tout cruel qu'il puisse être ;Et quoi qu'il soit éteint, son amour peut renaître :Écoutez le biais que je crois le plus doux,Je lui fais un appel, et je prends rendez-vous ;Je m'en dis offensé, sans lui dire autre chose ; [Note : Cours : Le Cours de la Reine est au bout à l'ouest des Jardins de TTuileries. Lieux de rendez-vous et de promenades.]Je lui mande qu'au Cours il en saura la cause ;Que je suis gentilhomme aussi noble que lui ;Et qu'au lieu que je marque il peut même aujourd'hui... LE COMMISAIRE. Et sur votre parole il aura l'assurance... ISMÈNE. Il a tant de courage et si peu de prudence, Qu'à sa seule valeur osant trop se fierDans le Cours de la Reine il sera le premier.Là, vous et vos archers ayez soin de vous rendre,Et sous un faux-semblant de vouloir nous défendre,Nous ayant désarmés par votre autorité, Vous pourrez le saisir avec facilité.Cette voie est plus douce, et me semble plus sûre. LE COMMISAIRE. Mais enfin d'une femme il verra l'écriture,Et d'un coeur amoureux prévenant le dessein... ISMÈNE. [Note : Cartel : écrit qu'on envoie à quelqu'un pour le défier à un combat singulier, soit pour des tournois, soit pour un duel formé. [F]]Vous croyez mon cartel fabriqué de ma main ? Une main empruntée a pris soin de l'écrire ;Et pour en peu de mots achever de tout dire,Un valet que j'ai pris aux degrés du PalaisMieux vêtu mille fois que mille autres valetsServira ma colère, et fera mon message ; Vous de votre côté commencez votre ouvrage,Amassez tous vos gens, et selon mon espoirFaites-les rendre au Cours à six heures du soir :Voila ce que de vous j'ai voulu me promettre,Et tandis qu'au Courrier mon valet va remettre... Il revient, il me cherche, allez tout dépêcher,Adieu. Le Commissaire sort. SCÈNE II. Ragotin, Ismène. RAGOTIN. N'est-ce pas vous que je viens rechercherDites-moi ? ISMÈNE. C'est moi-même ; As-tu beaucoup de zèle ?Car je ne doute point que tu ne sois fidèle,Et de ta part enfin je crains peu d'accidents. RAGOTIN. N'ai-je pas dans Paris cinq ou six RépondantsPour me cautionner s'ils me sont nécessaires ?J'ai trois laquais, un page, et deux clercs de notaires,Diable je suis connu par d'honnêtes Messieurs !J'ai l'honneur, qui plus est, d'être aimé de plusieurs, Et je conte cela mon plus bel avantage. ISMÈNE. Il est grand, mais écoute, as-tu bien du courage ? RAGOTIN. Du courage ! J'en crève... En mon juste courroux...Produisez quelques-uns qui me tâtent le poux,Est-ce brave ? Soldat ? Mousquetaire ? ISMÈNE. Moi-même. RAGOTIN. Vous, Monsieur ? ISMÈNE. Moi ? RAGOTIN. Pour vous mon respect est extrême,Je suis votre valet. ISMÈNE. Mais enfin... RAGOTIN. Mon Dieu, maisC'est un point chatouilleux que l'honneur d'un laquais,Je suis plein de courage, et n'en fus jamais vide,Mais j'aurais du regret de faire un maîtricide : Vous ne l'ignorez pas les honnêtes chrétiens... ISMÈNE. Tu conçois à rebours le discours que je tiens,J'ai querelle. RAGOTIN. Querelle ! Est-il vrai ? ISMÈNE. J'ai querelleEt je veux éprouver à quel point va ton zèle :Pour porter un cartel de toi seul j'ai fait choix. RAGOTIN. Donnez-vous bien souvent de semblables emplois ? ISMÈNE. Selon. RAGOTIN. Dites-moi donc sans donner de bricoleSi c'est que je me loue, ou bien si je m'enrôle ? ISMÈNE. As-tu peur ? RAGOTIN. Moi ? Non, mais... ISMÈNE. Mais point tant de façon,Si tu sens de la peur tu peux le dire. RAGOTIN. Et... non, Mais... ISMÈNE. Voila le cartel, prends le soin de le rendre,Tu liras le dessus, il s'adresse à Nicandre. RAGOTIN. À Nicandre ? ISMÈNE. À Nicandre, il demeure ici près ;À ce nom tu frémis que je crois ? RAGOTIN. Moi ? Non, mais... ISMÈNE. S'il demande le nom de celui qui t'envoie, Il pourra le savoir, puis qu'il faut qu'il me voie ;[Note : Rue de Ours : C'est une rue de Paris située dans le 3ème arrondissement au nord-est des Halles.]Je vais dans mon logis, rue aux Ours, au Dauphin,De ce jour ennuyeux attendre le déclin,Cela fait dans ce lieu tu viendras me reprendre,Adieu. SCÈNE III. RAGOTIN seul. Je vais porter un cartel à Nicandre ! [Note : Madré : Qui sait plus d'une tour. [L]]À lui qui me veut battre, et qui fait le madré,Ah Nicandre, ma foi tu seras Nicandré !Tu t'en vas étrenner mon épée. Il avance,Mais il ne songe pas à ceci que je pense ;Dieu sait si le cartel le va rendre éperdu ! SCÈNE IV. Le premier Nicandre, Ragotin. LE PREMIER NICANDRE. Jacinte assurément m'aura trop attendu ;Il m'a trop retenu cet ami, j'en déteste.Où pourrai-je à présent la trouver ? Ah, ah. RAGOTIN, lui allongeant une botte. [Note : Botte : Terme d'escrime. Coup de fleuret ou d'épée. [L]]Zeste. LE PREMIER NICANDRE. Tu reviens à belle heure, et tu penses qu'au cas... RAGOTIN. Oui, je pense, pourquoi ne penserais-je pas ? Je veux penser. LE PREMIER NICANDRE. Coquin, je puis t'être funeste,Et si tu fais le fou tu ne doute[s] pas... RAGOTIN, allongeant encore une autre botte. Zeste. LE PREMIER NICANDRE. [Note : Maroufle : Terme injurieux qu'on donne aux gens gros de corps, et grossiers d'esprit. [F]]Où crois-tu que tu sois, dis maroufle. RAGOTIN. Pourquoi ?J'ai mon droit comme vous sur le pavé du Roi,De quoi vous mêlez-vous ? Qu'est-ce donc ? J'y veux être. LE PREMIER NICANDRE. Mais à qui donc es-tu ? RAGOTIN. Moi je suis à mon maître,Avec autre que vous on se trouve un peu mieux ;Tenez quasi défunt, jetez ici les yeux,Puis après au Seigneur recommandez votre âme. LE PREMIER NICANDRE. Cet infâme... RAGOTIN. Tantôt vous aurez de l'infâme ; Vous m'avez querellé, vous avez fait le fat,[Note : Intestat : Terme de jurisprudence qui ne s'emploie que dans ces phrases : mourir, décéder intestat, mourir sans avoir fait de testament. [L]]Vous en mourrez, beau Sire, et mourrez intestat,Lisez. LE PREMIER NICANDRE, lit. Sans que je me nomme,Nicandre vous saurez que je suis Gentilhomme,Qui l'épée à la main ai dessein de vous voir, Du sujet que j'en ai j'ose tout me promettre :C'est au Cours de la Reine à six heures du soir ;Et j'aurai le second qui vous rend cette Lettre. Nicandre continue.Tu ne me sers donc plus, Ragotin ? RAGOTIN. Non ma foi. LE PREMIER NICANDRE. Je n'en murmure point, cela dépend de toi, Tu te rends le second de celui qui m'appelle ?Tu le dois, c'est ton maître, et j'admire ton zèle ;Voyons si ta valeur à ton zèle répond. Il tire l'épée, et Ragotin remet la sienne. RAGOTIN. Que ne suis-je premier aussi bien que second !Voyez-vous de courroux comme le nez me fronce ? LE PREMIER NICANDRE. Quoi tu crains... RAGOTIN. Écoutez je vais vous rendre réponse ;Si vous vouliez m'attendre un moment dans ce lieu ? LE PREMIER NICANDRE. Je le veux... RAGOTIN. Mettez là votre main. Sans adieu,C'est assez, si j'y viens que le Diable m'emporte. Bas. SCÈNE V. LE PREMIER NICANDRE, seul. Ciel vous m'êtes propice, et l'on ouvre la porte ; Le bonheur de vous voir va donc m'être accordéHipolite, Jacinte, ai-je point trop tardé ?Si vous pouviez savoir quel plaisir vous me faites,Je jure... SCÈNE VI. Jacinte, Le premier Nicandre. JACINTE. [Note : Peautre : Vieux mot signifiant lit, mauvais lit, grabat ; inusité, sauf dans cette locution populaire, qui tombe elle-même en désuétude : envoyer quelqu'un au peautre ou aux peautres, le brusquer pour le congédier, pour le chasser. Aller au peautre, se perdre. [L]]Allez vous-en au peautre, à qui vous êtes. LE PREMIER NICANDRE. Quoi Jacinte me laisse, et dans cet embarras... JACINTE. Allez vous-en au Diable, et ne me touchez pasVous dis-je. LE PREMIER NICANDRE. Mais Jacinte, il me semble... JACINTE. Il me sembleQu'on ne vaut pas la peste alors qu'on vous ressemble,Qu'être lâche, perfide, hypocrite, emballeur,Méchant comme la grêle, insolent suborneur, Qu'avoir l'âme du Diable à tous coups possédée,C'est de votre peinture une légère idée ;Il me semble cela. LE PREMIER NICANDRE. Mais au moins... JACINTE. Au moins mais... LE PREMIER NICANDRE. Mais vous m'avez promis... JACINTE. Mais je vous dépromets.Et de plus laissez-moi, j'ai des mains, je dévore. SCÈNE VII. Eutrope, Jacinte, Le premier Nicandre. EUTROPE. Est-ce pas prés d'ici que demeure Isidore ? JACINTE. Oui, le voulez-vous voir ? EUTROPE. Ah ! Je le voudrais bien. JACINTE. Attendez. LE PREMIER NICANDRE, à Jacinte. Vous pouvez par le même moyen...À tout ce procédé, je ne puis rien comprendre,Jacinte... EUTROPE. Ou je m'abuse, ou je vois le Nicandre, Je le vois, c'est lui même. À la fin je te tiens,C'est en vain que tes bras sont plus forts que les miens.Qu'as-tu fait de ma fille ? JACINTE, appelle à une fenêtre. Isidore ! Allons vite. À Eutrope.Tenez ferme, tenez ; car il faut qu'on le gifle.Isidore ! LE PREMIER NICANDRE. Monsieur lâchez-moi de ce pas, Ou du moins... JACINTE. Tenez ferme, et ne le lâchez pas ;Son filou de caquet m'a su rendre éblouie. SCÈNE VIII. Isidore, Jacinte, Eutrope, Le premier Nicandre. ISIDORE, à la fenêtre. Une voix transcendante a percé mon ouïe.Apprêtez-vous... JACINTE. Monsieur, venez vite au secours, À Eutrope.Vénérable vieillard, tenez ferme toujours, D'une fille de bien, de famille assez grandeAyant pris tout l'honneur, il faut qu'il me le rendeOu qu'il crève. EUTROPE. De rage, il m'en voit tout en feuLe déloyal, le traître ! LE PREMIER NICANDRE. Est-ce conte ? Est-ce jeu ?Quoi Jacinte elle même aura donc de la joie... JACINTE. Venez vite, Monsieur, vous saisir de la proie,C'est Nicandre. EUTROPE. Lui-même. LE PREMIER NICANDRE. Il est vrai, mais confus... ISIDORE, en bas. [Note : Jupin : Autre nom de Jupiter.]Rendons-en grâce, et Ios à Jupin de la sus.[Note : Téréus : Térée. Personnage de la mythologie grecque qui se maria avec Procné, fille du roi d'Athènes, puis tomba amoureux de sa soeur Philomèle. Il enferma Procné et lui coupa la langue. Cette dernière et sa soeur se vengèrent.]Ô malin Tereus de qui l'âme trop noireD'une Philomella contamines la gloire ; Toi qui dans le vrai centre où l'on prend les plaisirs,[Note : Immatriculer : Mettre le nom d'un rentier dans le registre d'un payeur, en faire l'immatricule. [F]]Veux immatriculer tes coupables désirs ;[Note : Patibulaire : Qui appartient au gibet. [F]]Un saut patibulaire est le prix que j'annexeAux torrides souhaits dont l'outrage me vexe ;Et par un sort tragique âprement avancé Du terrestre climat tu seras expulsé. JACINTE. Prenez l'occasion qu'un bon Ange vous offre,Tandis qu'il est ici permettez qu'on le coffre,Je m'en vais au plus vite amener le Coffreur. Elle sort. LE PREMIER NICANDRE, tenu par les deux bras. Quoi, de l'un et de l'autre éprouver la fureur ! D'un courroux si bizarre apprenez-moi la cause ;Soit à vous, soit à vous, ai-je fait quelque chose ?De qui m'ose arrêter que je sache le nom,Est-ce vous ? Est-ce vous ? EUTROPE. C'est moi-même. ISIDORE. [Note : Ego sum : Locution latine "Je suis".]Ego sum.[Note : Vitupère : Vieux mot, qui vient du latin. Reproche, blâme qu'on fait à une personne ou à une famille. [F]][Note : Effleurer : Est aussi un terme de fleuriste, qui signifie, ôter les fleurs. [F] Ici le sens semble métaphorique.]Une fille effleurée est un grand vitupère. EUTROPE. Et cela de bien prés touche un malheureux père.Isidore. ISIDORE. Isidore ! Hé vous me connaissez ? EUTROPE. Je ne vous ai point vu depuis dix ans passez,Un tel temps a rendu ma mémoire affaiblie,Cependant de vos traits elle est toute remplie ; Eutrope aime Isidore, et le Ciel a permis... ISIDORE. [Note : Parangon : Vieux mot qui signifiait autrefois une chose excellente et hors de comparaison. [F]]Eutrope ! Ah parangon des fidèles amis !Charissime Collègue incapable de noises,Relégué par le sort aux rives Lyonnaises,Si vous êtes fertile en tendresses pour moi, Étreignez Isidore, et plaignez son émoi :C'est Eutrope ! EUTROPE. Vous voir est ce que je souhaite,Mais ma joie Isidore est pourtant imparfaite,Une fille abusée... ISIDORE. Ah ! EUTROPE. Ah ! ISIDORE. Ah ! EUTROPE. Ah ! Isidore et Eutrope lâchent Nicandre, et s'embrassent en pleurant, tandis que Nicandre s'échappe. LE PREMIER NICANDRE. DestinJe suis débarrassé de leurs mains à la fin ; Mais le faible malheur que celui que j'éviteSi le triste Nicandre est haï d'Hipolite ;Elle est seule chez elle, allons-y de ce pas. Il entre chez Hipolite. SCÈNE IX. Le second Nicandre, Robin, Eutrope, Isidore. ROBIN, chargé d'une valise. Ah ! Que déménager est un rude tracas !Peste soit la valise, elle est diablement lourde, Haie ! Au meurtre ! Ah l'échine ! Les deux vieillards étant embrassés, Robin passe auprès d'eux, trébuche, se laisse tomber, et les fait tomber tous deux. EUTROPE. Ah maudite balourde ! ISIDORE. J'ai les muscles froissés, et le corps mutilé. LE SECOND NICANDRE. Ce coquin... Dieux Eutrope ! Il paraît désolé :Quoi le père d'Ismene est dedans cette ville !À la première porte attrapons un asile, Fuyons. Il entre aussi chez Hipolite. SCÈNE X. Eutrope, Isidore, Robin. EUTROPE. Est-ce pour rire, ou du moins es-tu fou ? ROBIN. Oui vraiment c'est pour rire ; on se casse le couPour rire. C'est Eutrope, il faudra qu'on achève...Monsieur ! Je crois ma foi que le Diable l'enlève,[Note : Faire gilles : Pour dire s'enfuir. [F] ]Ho, Nicandre ! Il fait gille, et je suis retenu ; Dites-moi, s'il vous plaît ce qu'il est devenuMessieurs ? EUTROPE. Le voyez-vous le malicieux traître ?Il nous a fait tomber pour faire fuir son maître :Quoi perfide Robin, oses-tu nous choquer ? ISIDORE. Dans la prison prochaine il le faut colloquer, Et que touchant son maître une réminiscence... ROBIN. Moi, Messieurs, en prison ? Vous raillez que je pense. EUTROPE. Dis l'endroit qui le cache, ou du moins nous le rend. ROBIN. Si le Diable l'emporte, en puis-je être garantMessieurs ? EUTROPE. Laisse la feinte et paraît plus sincère, Le malheur d'une fille émeut l'âme d'un père ;Peut-être est-elle grosse, et je sais le moyen... ROBIN. Ma foi grosse ou menue il n'y va rien du mien.De ce qu'à cette fille on peut dire les causes,Et ne pas se méprendre en faisant choix des choses : Si dedans un cachot je me voyais cachéJe ferais pénitence, et je n'ai pas péché ;De quoi que mon étoile aujourd'hui me menaceOu souffrez que je pèche, ou qu'un autre le fasse ;Je ferais à regret pénitence gratis. ISIDORE. Empêchons que nos voeux ne soient pas mi-partis,[Note : Tollé : Terme populaire, qui témoigne l'indignation qu'on a contre quelque grand crime, contre quelque homme scélérat et odieux. [F]][Note : Ratiociner : Terme usité seulement dans le style dogmatique. User de la raison. [L]]Themis veut qu'on le tolle, et s'il ratiocine... ROBIN. [Note : Baragouiner : Estropier les mots d'une langue en parlant, c'est-à-dire en altérer le son au point de les rendre difficiles à comprendre. Il baragouine d'une manière affreuse. [L]]En son chien de patois qu'est-ce qu'il baragouine ?Ma mort est résolue, il le dit en Hébreu.À condamner Robin différez tant soit peu Et qu'un jour à venir le bon Dieu vous le rendeCharitables Messieurs qui voulez qu'on me pende,Et qui tous acharnés sur un pauvre garçon...Mais que voici des gens de méchante façon ;Ah ! Combien les bourreaux ont de valets de Chambre ! SCÈNE XI. Eutrope, Isidore, Jacinte, Un Sergent, Robin, des Archers. LE SERGENT. Messieurs, de la Justice ayant l'heur d'être membre... ROBIN. Membre, vous ? LE SERGENT. Oui-dà, Membre ; et je dirai de plus... ROBIN. Diable, que la justice a les membres dodus ! JACINTE. On dirait qu'à vos voeux toutes choses réponde[nt],Ces Messieurs tous ensemble attendaient d'autre monde, Et Nicandre... Le traître où s'est-il retiré ? ISIDORE. Imperceptiblement il s'est évaporé ;[Note : Pleige : Ancien terme de jurisprudence. Celui qui sert de garant, de caution. [L]]Mais voila qui le pleige, il faut qu'on l'appréhende ;[Note : Chartres : Ville de la Beauce au moins d 90km au sud-ouest de Paris, connue pour sa Cathédrale. ]Que dedans une Chartres après on le descende ;Et son procès en suite étant fait, et parfait [Note : Putrefait : Corrompu, gâté, puant. [F]]Qu'il serve d'holocauste à mon sang putrefait. EUTROPE. Votre sang, dites-vous ? C'est le mien qu'on outrage. ISIDORE. C'est le mien. EUTROPE. C'est le mien. ROBIN. J'ai le dos bon, courage. À Eutrope.Votre fille à ce compte a perdu son honneur ? EUTROPE. Oui perfide. ROBIN, à Isidore. La vôtre a le même malheur ? ISIDORE. [Note : Pécore : se dit figurément en burlesque pour signifier une personne sotte, stupide, et qui a de la peine à concevoir quelque chose. [F]]Oui, pécore. ROBIN, à Jacinte. Et le tien ? JACINTE. Moi ? Je l'ai. ROBIN. Chose vraie ?Car si tu ne l'as plus il faut bien que je l'aie ;Crois-moi tâtes-y, tâte, et ne déguise rien,Tu peux parmi le leur faire passer le tien ;Cependant que d'honneur tout le monde me charge, Signe au bas de la feuille, et te mets à la marge.Ton honneur, si tu l'as... JACINTE. Si ? Comment si fripon ?Moi, si j'ai mon honneur ? Si je l'ai ? ROBIN. Que sait-on ?On te voit du grand monde imiter la méthode,Tu veux comme ce monde enchérir sur la mode, Ce qu'il fait tu le fais, et pour cette raisonLe Si, dont je te parle est assez de saison.Si donc... JACINTE. Quoi, vous souffrez que ce perfide cause ? LE SERGENT. Si de mon ministère il vous plaît quelque chose,Messieurs... EUTROPE. C'est ce pendard qu'il faut prendre. ROBIN. Qui ? JACINTE. Toi. ISIDORE. [Note : Acciper : Subjuguer, prendre de force ou par surprise. ]Accipez. EUTROPE. Saisissez. JACINTE. Prenez. LE SERGENT, saisissant Robin. De par le Roi... ROBIN. Vrais suppôts de Satan, effroyable couvée...Peste comme le Membre a la tête levée !Il me va mener pendre, il n'est rien si constant ;Membre qui démembrez ne me tirez pas tant. Aux Archers.Vous petits membrillons dont je crains la présence,Vous, qui du Maître-Membre accroissez la puissance,Happes-chairs de mon âme, ah ne permettez pointQue de pierre de taille on me fasse un pourpoint.Je suis valet de bien, et c'est pure malice. EUTROPE. D'un méchant ravisseur c'est l'infâme complice,Et l'honneur d'une fille a rendu désolé... ROBIN. Eh Monsieur qu'on me fouille on verra si je l'ai.L'honneur est nécessaire en de bonnes familles,Et j'en voudrais avoir pour donner à vos filles. Si pour prendre le mien dans ce lieu l'on m'a prisMessieurs... ISIDORE, au Sergent. [Note : In manibus vestris : expresion latine, entre vos mains. ]Vous le tenez in manibus vestris,Suffecit ; Domine vous saurez m'en répondre,[Note : Profondre : mot non trouvé, hypothétiquement : enfoncer profondément, enfouir.]Dans un sombre manoir vous devez le profondre,Puis quand dans la prison vous l'aurez intégré, L'hôtel de Nicandre vous sera démontré.[Note : Mucer : cacher, vieux mot.]Sur tout vers sa demeure ayez soin qu'on se muce,Employez à sa prise et la fourbe, et l'astuce,L'amiable Hyacinte ira guider vos pas.Vous Eutrope in domum venez prendre un repas, Et lors qu'à vos douleurs vous aurez donné trêveVous me clarifierez le sujet qui vous grève.Venez. EUTROPE. Vous le voulez, j'accomplis vos souhaits, Au Sergent.Débonnaires Messieurs vous serez satisfaits ;Mais au traître Robin daignez joindre Nicandre. SCÈNE XII. Robin, Le Sergent, Jacinte, Les Archers. ROBIN, au Sergent. Membre, nous sommes seuls, on ne peut nous entendre,Dites-moi, puis-je pas un moment vous parler ? LE SERGENT. Tu le peux un moment, que veux-tu ? ROBIN. M'en aller,Ô cher Membre. LE SERGENT. Il raisonne, on dirait qu'il méprise... ROBIN. Menez donc à ma suite en prison la valise Ô Gigot de Justice, et traînez avec moiMon malheureux paquet dans la Maison du Roi. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Hipolite, Le premier Nicandre. HIPOLITE. D'une indigne faiblesse à ma gloire mortelleTu viens de recevoir une preuve nouvelle ;Je cherchais à te perdre, et tu m'as su toucher, Je voulais qu'on te prit, et j'ai su te cacher :Je sais qu'il est honteux que mon sexe soupire,Mais tel est de l'amour l'inévitable empire ;Et le feu qu'en son âme une fille ressentPour être plus contraint n'en est pas moins puissant. C'est en vain que d'un coeur où l'amour a pris placeLa pudeur en tumulte autorise l'audace ;N'aimer rien que d'aimable est un faible si doux... LE PREMIER NICANDRE. Ah que ce faible est beau quand on brûle pour vous !Ma flamme impétueuse est pour vous trop fidèle Pour convaincre d'erreur une bouche si belle :Pourtant quelques respects dont je sois combattuCe que vous nommez faible est toute ma vertu.Il est doux d'être aimé, c'est avoir de la gloire ;Mais s'il est doux de l'être, il est doux de le croire ; Vous avez tant d'appas, je mérite si peu,Qu'un équitable doute accompagne mon feu :Je dois à l'apparence un amour qui m'honore,En voyant mes défauts m'aimerez-vous encore ?Consultez-vous, Madame, et sans précipiter... HIPOLITE. Toi-même, ingrat, toi-même ose te consulter.Avoue ingénument que tu ne peux sans peinePour aimer Hipolite abandonner Ismène ;Et que de mes bontés l'injurieux excèsDe ta première flamme empêche le succès. Afin que ton destin à mon destin s'attacheJ'ai su faire moi-même à moi-même une tâche ;On me croit abusée, on te croit suborneur,Et l'on doit te contraindre à me rendre l'honneur.Je te l'ai déjà dit, et ton âme est instruite... LE PREMIER NICANDRE. Je l'avais oublié généreuse Hipolite,Mais il m'en ressouvient, et d'un coeur amoureuxL'obligeante imposture a rempli tous mes voeux.De mon amour aussi daignez être certaine,Je soupire pour vous, et non pas pour Ismène, De vos seules beautés je connais le pouvoir,Vos yeux seuls... HIPOLITE. S'il est vrai, tu le peux faire voir,On me croit abusée, et l'honneur te convie... LE PREMIER NICANDRE. Je vous entends, Madame, et j'en brûle d'envie,Je dois à votre feinte accorder mon aveu ; Mais l'endroit est mal propre à parler de mon feu.Vous m'aimez, je vous aime, il me suffit, Madame,Apaisez votre père en faveur de ma flamme,Dés demain je m'apprête au bonheur de le voirPourrez-vous l'apaisez ? HIPOLITE. J'y ferai mon pouvoir, Adieu. LE PREMIER NICANDRE. Donc à ma flamme il n'est rien de contraire... HIPOLITE, retourne sur ses pas. Si je fais mon pouvoir je pourrai beaucoup faire,J'oubliais de le dire, adieu. LE PREMIER NICANDRE. Mais... Elle sort.Ne sois plus un obstacle aux douceurs de mon sortMon frère, et souffre au moins qu'une flamme si belle... [Note : Cours de la Reine : voie arborée qui longe la Seine à l'ouest de la place de la Concorde de Paris. ]Mais au Cours de la Reine enfin l'heure m'appelle :Je n'ai point de Second, mais du moins j'ai du coeur,Et de plus mon épée est de bonne longueur.Il est vrai qu'assez faible est le bras qui seconde... SCÈNE II. Robin, le premier Nicandre. ROBIN, avec une bouteille à la main. Ah mon bon Dieu ! Pourtant je ne vois point de monde. [Note : Houspilleur : celui qui houspille, Fig; Maltraiter quelqu'un en paroles, le réprimander avec aigreur. [L]][Note : Driller : Courir, aller vite et légèrement. [L]]Ces maudits houspilleurs comme ils m'ont fait driller. Apercevant Nicandre.Autre chasse-coquin qui m'entend babiller ;Il me lorgne. Ah c'est vous, ô Messire Nicandre,Bonjour. LE PREMIER NICANDRE. Dis promptement ce que tu veux m'apprendre,Je ne puis faire ici qu'un moment de séjour, Si tu veux me parler parle vite. ROBIN. Bonjour.Des mains de la Justice est-ce ainsi qu'on s'arrache ?Eh que si le bonhomme eût trouvé votre cache ! LE PREMIER NICANDRE. Si je me cache ou non que t'importe ? ROBIN. Si faitIl m'importe. LE PREMIER NICANDRE. Il t'importe ! As-tu quelque sujet Maraud... ROBIN. Faudra-t-il point que je vous rende grâceDe ce qu'au lieu de vous en prison on m'enchasse ? LE PREMIER NICANDRE. On t'a mis en prison ! ROBIN. Et bien mis, qui plus est,Les bourreaux. LE PREMIER NICANDRE. C'est, dis-tu, pour mon seul intérêt ? ROBIN. Nenni, c'est pour le mien ; je suborne des filles ; [Note : Abatteur de quilles : vantard.]Et je suis en amour grand abatteur de quilles. LE PREMIER NICANDRE. Ne veux-tu me donner que de sottes raisons ? ROBIN. [Note : Grison : On appelle un cheval grison, lorsqu'il est gris : et un âne s'appelle absolument un grison, parce qu'il est ordinairement gris. [F] ]Ne vous souvient-il pas des deux chiens de grisons[Note : Maigre-échine : personnne fort maigre.]Votre futur beau-père, et son cher maigre-échine ? LE PREMIER NICANDRE. Hé bien. ROBIN. Tudieu, Monsieur, la méchante vermine ! À peine de leur vue étiez-vous échappéQu'un gros peste de Membre aussitôt m'a grippé ;L'un et l'autre grison ne savait où se prendre ;Moi n'ayant point d'honneur que je pusse leur rendreAu redoutable son d'un seul, De par le Roi [Note : Pousse-cul : terme odieux dont on qualifie les Recors [assistants du sergent] des Sergents, et autres qui servent à mettre et à pousser les gens en prison. [F]]Cinq ou six pousse-culs se sont jetez sur moi,Et par tant de côtés m'ont fait coure si viteQu'à la fin, grâce aux Dieux ils m'ont mis dans le gîte.On nous croit de concert, et l'on s'est fourvoyé. LE PREMIER NICANDRE. Voyant ton innocence on t'a donc renvoyé ? On s'est donc aperçu de cette erreur extrême ? ROBIN. Je m'en suis, par ma foi, revenu de moi-même.Considérez le tour que je viens de jouer ;Mes archers occupés à me faire écrouerAvaient mis à la porte un niais à merveille ; Moi trouvant sur un banc cette chère bouteilleD'une joie effrontée étouffant mon chagrinJe lui suis allé dire, Où vend-on de bon vin ?J'ai céans des amis que je veux faire boire.À la belle épousée, ou bien à la Croix noire, Me répond bonnement mon niais d'apprenti ;Aussitôt porte ouverte, aussitôt moi sorti,[Note : Enfiler la venelle : expression signifiant s'enfuir.]Puis plus vite qu'un Basque enfilant la venellePassant d'une ruelle en une autre ruelle,J'ai tant fait qu'à la fin j'ai trouvé le moyen... Mais, ô Monsieur, Monsieur... Ne bougez, ce n'est rien.Votre bourreau d'amour à cent craintes m'expose. LE PREMIER NICANDRE. De ton dernier malheur je suis la seule cause,Mais n'appréhende plus de t'y voir exposé,Ma maîtresse est contente, et son père apaisé. On m'attend de ce pas dans le Cours de la Reine,Je veux à mon retour reconnaître ta peine ;Je reviens dans une heure, attend-moi dans ce lieu. ROBIN. Mais tout est apaisé ? LE PREMIER NICANDRE. Je te le jure, Adieu,Désormais de sergents ne crains nulle surprise. SCÈNE III. ROBIN, seul. Il n'a pas dit le mot concernant sa valise,Elle est pourtant restée, et puissai-je mourirSi jamais j'ai dessein de l'aller requérir.Quelque fou. SCÈNE IV. Robin, Jacinte. ROBIN. [Note : Cauteleux : Rusé, précautionneux.]Te voici cauteleuse pucelle,(Ou du moins s'il n'est vrai, fille soi-disant telle ; Car d'oser en jurer j'aurais peu de raison.)Te voici. JACINTE. Le perfide, il est hors de prison ! ROBIN. Te voici donc, te dis-je et te voici toi seule ;[Note : Carogne : terme injurieux, qui se dit entre les femmes de basse condition, pour se reprocher leur mauvaise vie, leurs ordures, leur puanteur. [F]]Ta carogne de main m'a baillé sur la gueule,Tu le sais, la pucelle ? JACINTE. Et bien oui, je le sais. ROBIN. Et sais-tu bien aussi que j'en suis offenséLa pucelle ? JACINTE. Moi ? Non. ROBIN. Mais dis-moi, la pucelle... JACINTE. Mais toi-même, dis-moi si tu cherches querelle ?Tu me nommes pucelle, et prétends te moquerJe le vois ; mais apprend si tu m'oses choquer Que je suis de colère à toute heure pourvue,Et que si je m'y mets je te saute à la vue ;Sache qu'en ma furie acharnée à ta peauJ'en saurai de chaque ongle arracher un lambeau :Et si plus en raillant tu me nommes pucelle Pour te mieux faire voir qu'en effet je suis telle,Sache que mon courroux qu'on ne peut égaler... ROBIN. Ah tout beau ! Je suis prêt de te dépuceler !Si ce n'est que cela n'ayons point de querelle,Qui peut empuceler aisément dépucelle ; Et si tu sens de l'être une démangeaison... SCÈNE V. Le second Nicandre, Jacinte, Robin. LE SECOND NICANDRE sortant de la maison d'Isidore. À la fin je te quitte, ô propice maison.Eutrope en me voyant m'aurait fait de la peine,Mais enfin... JACINTE, apercevant tout_à_coup Nicandre. Je vous cherche, ô l'esclave d'Ismene. LE SECOND NICANDRE. Dieux ! Jacinte me cherche ! Aurait-on prévenu... ROBIN. Que du Cours de la Reine il est tôt revenu !Diable ! LE SECOND NICANDRE, à Jacinte. Que voulez-vous, la belle ? ROBIN. Pour la belleBaste ; mais gardez bien de l'appeler pucelle,Vous lui feriez tort. LE SECOND NICANDRE. Traître... Enfin dites-moi donc... JACINTE, arrêtant Nicandre par le bras. Vous me paierez ma peine, et paierez tout du long ; Celle qui vous aimait est si fort en colèreQue de vous faire prendre elle a prié son père. LE SECOND NICANDRE. Me croit-elle volage ? Elle dont le pouvoir... JACINTE. Mon Dieu, ce qu'on vous croit vous pourrez le savoir,Et si tantôt son père avait eu la puissance... LE SECOND NICANDRE. J'ai pris soin, il est vrai, d'éviter sa présence ;Mais il n'était pas seul, et je n'ai pas osé... ROBIN, à Nicandre. La maîtresse est contente, et le père apaisé.Ah ! Le menteur. LE SECOND NICANDRE. Ta langue un peu trop s'émancipe. ROBIN. Si le membre repasse, et que l'on me regripe ? LE SECOND NICANDRE. L'insolence d'un traître ira donc jusqu'au point... ROBIN. C'est de l'honneur qu'on cherche, et vous n'en avez point. LE SECOND NICANDRE. Tu mens traître, j'en ai, mais si tu n'appréhendes... ROBIN. En aurez-vous assez pour deux filles friandes ?Si de les contenter vous n'avez le moyen Ayant pris votre honneur elles prendront le mien. Montrant Jacinte.Elle même est d'honneur tellement amoureuseQue vous n'en aurez pas pour sa seule dent creuse ;Ainsi quoi que l'on fasse en un tel embarrasDeux honneurs si petits ne leur suffiront pas. Pensez-y bien. LE SECOND NICANDRE. Perfide, ainsi donc ton audace...Mais laissez moi, Jacinte, et daignez... JACINTE. Point de grâce.Celle qui vous aimait a le seul intérêt...Mais pour votre malheur la voila qui parait. SCÈNE VI. Hipolite, Jacinte, le second Nicandre, Robin. JACINTE. Venez vite, Madame, autrement il m'échappe, Il faut faire si bien que Mendoce l'attrape ;Je le viens de quitter qu'il attend le retour... HIPOLITE. Ce qu'il avait dans l'âme il l'a su mettre au jour.Je ne suis plus, Jacinte, Hipolite irritée,Je donne ma tendresse à qui l'a méritée, Et de peur que mon père entendit vos discoursJe suis venue en hâte embrasser son secours.Qui l'outrage m'outrage, et mon âme et la sienne... ROBIN, à Jacinte. Je veux t'aimer aussi bonne peste de chienne. JACINTE. Toi m'aimer ? Tu veux donc oublier le soufflet... ROBIN. Je mets tout sous les pieds, et je suis ton valet. JACINTE. Quoi, tu pourrais... ROBIN. Mon Dieu, je ne cours pas grand risque,[Note : Bisque : Terme de jeu de paume. Point donné au plus faible pour égaliser le jeu. ]Si je suis ton mari je reprendrai ma bisque,Et dessus ton visage appliquant tous mes doigtsPour un soufflet reçu je t'en donnerai trois. LE SECOND NICANDRE. Quelles grâces, Madame, ai-je droit de vous rendre ?Hipolite elle même a voulu me défendre !Que ferai-je pour vous qui réponde jamais... HIPOLITE. Vous savez le moyen de remplir mes souhaits.C'est cela qu'il faut faire, et j'attends de Nicandre... LE SECOND NICANDRE. Robin, que me dit-elle ? Et que viens-je d'entendre ?Moi, je sais le moyen de remplir ses souhaits ! ROBIN. Si vous le savez ? LE SECOND NICANDRE. Moi, je le sais ? ROBIN. À peu prés. LE SECOND NICANDRE. Que ferai-je ? Pour faire une chose qui plaise... ROBIN. Et que fait-on ? Pour faire une fille bien aise, Idiot ? LE SECOND NICANDRE, à Hipolite. Vous servir m'est un bien précieux,Mais daignez vous résoudre à vous expliquer mieux ;Je vous veux obéir, j'y mets toute ma gloire,Mais... HIPOLITE. Vous avez, Nicandre, une faible mémoire,N'attendez plus pourtant de si libres propos, J'ai trop... ROBIN, à Nicandre. Concevez-vous ce que disent ces mots :Pauvre fille ! JACINTE, à Hipolite. Expliquez aussi votre pensée. ROBIN. Son honneur la suffoque, elle en est si presséeQu'elle étouffe. Ma foi je vous sais mauvais gréCar si vous le vouliez vous seriez honoré. LE SECOND NICANDRE. Mais je ne comprends pas quel sera le service... ROBIN. Vous ne comprenez pas, mais c'est pure malice,Car il ne tient qu'à vous de comprendre. LE SECOND NICANDRE. Elle veut... ROBIN, à Hipolite. Madame, comprenons, si comprendre se peut... LE SECOND NICANDRE. Impertinent... De grâce, excusez si ce traître... HIPOLITE. Le valet ne fait rien qu'à l'exemple du maître.Vit-on jamais Jacinte un si volage amant ? JACINTE. [Note : Normand : Fig. C'est un Normand, c'est un fin Normand, c'est un homme adroit et à qui il ne faut pas se fier. [L]]Pourquoi vous fiez vous à ce chien de NormandAussi ? LE SECOND NICANDRE. Si je savais qui vous met en colèrePeut-être... HIPOLITE. En ta faveur j'eusse apaisé mon père, (Car tu viens de sortir de ce même logis.) LE SECOND NICANDRE. Il est vrai que j'en sors, mais au moins... HIPOLITE. Je rougisDe ce qu'un infidèle en a fait son asile. LE SECOND NICANDRE. Il m'a donné, Madame, une retraite utile ;Mais insensiblement je m'y suis égaré. Une cour dérobée où j'étais retiré... HIPOLITE. L'imposteur ! ROBIN, à Nicandre. Cum licence, ôtez-moi d'une peineMonsieur, en quelle rue est le Cours de la Reine ? LE SECOND NICANDRE. Maraud. ROBIN. Vous en venez, vous devez le savoir. HIPOLITE. Dans ce même logis tu n'as donc pu me voir ? LE SECOND NICANDRE. Moi vous voir ! HIPOLITE. Toi qui mens avec tant d'assurance ?Toi qui d'un galant homme as la seule apparence.Toi qu'un sang assez bon semble avoir élevé,Et qui n'est cependant qu'un perfide achevé.Je t'ai de ce logis aplani la sortie. LE SECOND NICANDRE. Vous Madame ? HIPOLITE. Moi traître, et ton âme l'oublie. LE SECOND NICANDRE. Vous ? HIPOLITE. Moi. LE SECOND NICANDRE. Quoi qu'il en soit j'en prends peu de souci,Puisque vous le croyez je le veux croire aussi,Je me retire. Adieu trop charmante Hipolite,Ce n'est pas sans regret que Nicandre vous quitte : Mais Ismène elle seule a droit de me charmer,Et pour peu que je reste il faudra vous aimer,Adieu. ROBIN, à Jacinte. Je me retire, et pourtant, ô friponne,Ce n'est pas sans regret que Robin t'abandonne ;Car quand dés ce matin je t'ai vue en ce lieu... C'est ma foi plutôt fait de ne dire qu'Adieu188. SCÈNE VII. Hipolite, Jacinte. HIPOLITE. Si jamais tu m'aimas, cours après ce Nicandre,Fais si bien par tes soins qu'on le puisse surprendre,Il s'en va du côté que Mendoce l'attend. JACINTE. Mais Madame... HIPOLITE. Cours vite, et ne parle point tant ; Vole s'il est possible, et fais qu'on le saisisse.Mais que vois-je ? Jacinte sort. SCÈNE VIII. Ismène, Hipolite. ISMÈNE, revenant du Cours, où elle a fait saisir le premier Nicandre. À vos voeux tout semble être propice,Il vous aime Nicandre, et me fait un affrontL'ingrat. HIPOLITE. S'il m'aime, il fait ce que bien d'autres font. ISMÈNE. À donner coeur pour coeur vous avez été prompte. HIPOLITE. Je n'ai pas entrepris de vous en rendre compte. ISMÈNE. De ses premiers liens vous l'avez arraché. HIPOLITE. Donc assez faiblement il était attaché. ISMÈNE. D'accord. Mais vos appas ont de telles amorces... HIPOLITE. S'ils vous ont fait trembler ils ont assez de forces. Non sans votre soupçon que je crusse en avoir ;Mais qui les appréhende en connaît le pouvoir. ISMÈNE. Jugez-en mieux, Madame, un honteux artificeDe vos faibles appas a su faire l'office ;C'est cela qui me choque, et cela qui m'aigrit. HIPOLITE. Qui charme sans appas n'a pas manque d'esprit. ISMÈNE. Je le crois. Savez-vous le destin de Nicandre ? HIPOLITE. Non je ne le sais pas : mais on va me l'apprendre.Écoutez ma Suivante, elle vient droit ici. Ragotin vient d'un côté, et Jacinte de l'autre. ISMÈNE. Point Madame, vous-même écoutez celui-ci ; Mais tremblez de frayeur. HIPOLITE. Ayez-en l'âme atteinte. SCÈNE IX. Ismène, Hipolite, Ragotin, Jacinte. ISMENE, avec beaucoup de fierté. Hé bien cher Ragotin ? HIPOLITE, avec beaucoup de fierté. Hé bien chère Jacinte ? RAGOTIN, à Ismène parlant du premier Nicandre. Il est enseveli dans le grand Châtelet. JACINTE, à Hipolite parlant du second Nicandre. En ma propre présence on l'a pris au collet. RAGOTIN. [Note : Morgue : Le second guichet où l'on tient quelque temps ceux qui entrent en prison, afin que les Guichetiers les regardent fixement, et s'impriment si bien l'idée de leur visage dans leur imagination, qu'ils ne puissent manquer de les reconnaître. Tenir un prisonnier à la morgue. [F]]Je l'ai vu dans la Morgue, où je crois qu'il enrage. JACINTE. Pour apprendre à chanter on l'a mis dans la cage. RAGOTIN. Il ne présumait pas qu'on lui fit cet affront. JACINTE. Il ne se doutait pas d'un orage si prompt. RAGOTIN. Il vous nomme perfide. JACINTE. Il vous nomme cruelle. ISMENE, à Hipolite. Écoutez. HIPOLITE, à Ismène. Écoutez. ISMÈNE. Que dit-il ? HIPOLITE. Que dit-elle ? ISMÈNE. Vous le voyez, Madame, on l'a mis en lieu sûr. HIPOLITE. A qui vient de si loin cela semble assez dur :Mais plaignez son malheur, soupirez sans rien craindre. ISMÈNE. Je ne l'ai pas fait prendre à dessein de le plaindre,On l'a pris par mon ordre, HIPOLITE. On l'a pris par le mien. ISMÈNE. Le savez-vous, Madame ? HIPOLITE. Oui, je le sais. ISMÈNE. Mal. HIPOLITE. Bien. RAGOTIN. C'est par l'ordre à Monsieur. JACINTE. C'est par l'ordre à Madame. RAGOTIN. Effrontée. JACINTE. Arrogant. RAGOTIN. Impertinente. JACINTE. Infâme. RAGOTIN. Ne raisonne pas tant, je t'en prie. JACINTE. Et pourquoiHé ? RAGOTIN. Si dans ma fureur je me jette sur toi Tu verras beau jeu. JACINTE. [Note : Ladre : Attaqué de ladrerie, de lèpre ou éléphantiasis. Par extension de l'insensibilité morale, excessivement avare. [L]]Ladre. RAGOTIN. Aiguillon de vipère. JACINTE. Croyez-m'en Hipolite, appelons votre père,Isidore ! SCÈNE X. Isidore, Eutrope, Ismène, Jacinte, Ragotin. ISIDORE. [Note : Audire : entendre en latin.]Audio, cela veut dire l'oi,C'est le présent du verbe Audire. ISMÈNE. Je le vois. RAGOTIN. Qui, Monsieur ? ISMÈNE. Ragotin ma surprise est extrême. RAGOTIN. Qui voyez-vous ? ISMÈNE. Ce l'est, c'est mon père lui-même. ISIDORE, à Jacinte. Définis-moi la cause, et dis-moi la raison... JACINTE. La cause est que Nicandre est dans une prison :Mais ce demi Monsieur qui dessous sa jaquette... ISMÈNE. Ne passe plus outre impudente Soubrette, Découvrant qui je suis tu prétends me punir,Pour te punir toi-même il te faut prévenir.Un aveu légitime autorise ma flamme,Je suis demi Monsieur ; mais entière Madame,Ce vieillard est mon père, et c'est tout mon bon heur, J'ose... RAGOTIN, à Ismène. Vous êtes donc une fille, Monsieur ? EUTROPE. Quoi ! Ma fille... ISMÈNE. Mon père ! EUTROPE. As-tu pu me connaître. RAGOTIN, à Ismène. Je couchais d'ordinaire aux côtés de mon maître,Il était si peureux que j'étais son appui ;N'êtes-vous point peureuse aussi bien comme lui ? ISMENE, à Eutrope. Je partis de Lyon sans vous en rien apprendre,Pour venger mon injure, et pour perdre Nicandre ;J'ai trouvé que Madame en a fait son amant ;Mais sa lâche inconstance aura son châtiment,Il est pris. HIPOLITE, à Isidore. Vous savez ce que m'a fait Nicandre. ISIDORE. Maculée. HIPOLITE. À la fin je l'ai su faire prendre ;Mais Madame qui l'aime, et qui vit sous sa loi... ISMÈNE. Il est vrai que je l'aime, et c'est à faire à moi ;Mais il faut que mon père en secret m'interroge,Allons où vous logez, ou venez où je loge, Si jamais la tendresse ébranla votre coeur,Si jamais... EUTROPE. Tu sais bien que j'ai peu de rigueur. À Isidore.Et vous quoi que pour moi votre bonté paroisse,N'attendez nullement que je la reconnaisse,Puis que quoi que Nicandre ait commis contre vous, Je veux que de ma fille il devienne l'époux :C'est être ingrat ami, mais c'est être bon père. ISIDORE. J'ai trop eu pour Eutrope indulgence plénière,[Note : Mes huis : maintenant.]J'eusse récidivé ; mais je veux que mes huisMon esprit se gendarme à l'encontre de lui, Vale. Isidore s'en va d'un côté, et Eutrope de l'autre. HIPOLITE, à Ismène. Consolez-vous, vous pouvez tout prétendre,Demain dans la prison vous reverrez Nicandre. ISMÈNE. Vous dites vrai, Madame, et ce qui m'est bien doux,Vous le verrez aussi sans qu'il puisse être à vous. JACINTE, à Ismène. Adieu donc voyageuse. ISMENE. Adieu bonne rusée Intrigueuse. JACINTE. Adieu donc fille garçonnisée. RAGOTIN, à Jacinte. Elle garçonnisée, instruits-moi de son sens ? JACINTE. Elle l'est par dehors. RAGOTIN. Et tu l'es par dedans. Hipolite et Jacinte s'en vont du côté d'Isidore, et Ismène et Ragotin du côté d'Eutrope. ACTE V La scène paraît une cour de prison. SCÈNE PREMIÈRE. Le second Nicandre, Robin en caleçon et une boite à quêter en main. LE SECOND NICANDRE. À voir de mon amour l'aventure bizarre,On dirait que le sort contre moi se déclare ; Moi coucher en Prison ! Moi qui sais le moyen... ROBIN. Moi qui crois vous valoir, Monsieur, j'y couche bien.Dites-moi, votre gîte est-ce un gîte passable ? LE SECOND NICANDRE. On n'a dans la prison point de chambre agréable ;Mais l'endroit où je couche est pourtant assez beau. C'est dans la Chambre-neuve. ROBIN. Et moi dans le Berceau :Le bon peste de gîte ! On dirait d'une cave ;D'une vieille muraille on ramasse la bave,Et de soin tout pourri les petits brins éparsSont sans cesse traînés par Messieurs les piquarts. LE SECOND NICANDRE. Mais d'où vient que si tard ta personne est si nue ? ROBIN. On m'a pris mes habits pour ma bonne venue,Et tous mes compagnons, les filous de céans,[Note : Filoutage : habitude de filou. Se dit d'un coupeur de bourse.](Qu'au filoutage prés je trouve braves gens ;Car ils sont si bénins que de peur de rancune [Note : Pécune : ou pequeune. Vieux mot qui signifiait autrefois de l'argent. [F]]Ils ont pris mon bagage au défaut de pécune.) LE PREMIER NICANDRE. Tes habits sont mangés ? ROBIN. Oui, Monsieur. LE SECOND NICANDRE. Est-ce ainsi... ROBIN. S'ils m'avaient pu manger ils l'auraient fait aussi :Peste, ces affamés sont de vrais fripe-sausses. LE SECOND NICANDRE. Quoi, tu n'as ni pourpoint ? Ni casaque ? Ni chausses ? Ils ont tout avalé sans rien mettre à l'écart ? ROBIN. Nenni pas tout à fait, j'en ai mangé ma part.Mais ce qui me contente ils ont l'âme assez franche,Outre qu'ils m'ont promis que j'aurais ma revanche,Ils souffrent bonnement que je rie avec eux, Et j'ai déjà la boite à quêter pour les gueux.J'y ferai bien mon compte. LE SECOND NICANDRE. Et comment, Ridicule ? ROBIN. Et par le petit trou quand on ferre la mule.Ah que j'aurai bientôt regagné mon habit. LE SECOND NICANDRE. On n'y met rien. ROBIN. Ma foi, l'on me l'a déjà dit. Mais si l'on m'y mettait c'était bien mon affaire. LE SECOND NICANDRE. Ce n'est certes qu'à moi que le sort est contraireMais sortons de ce lieu, je vais faire un écrit... ROBIN. N'en sortons point, Monsieur, que je n'aie un habit,Je vous en prie. LE SECOND NICANDRE. Écoute, en cas qu'on me demande Tu viendras me quérir, et diras qu'on m'attende,Ou du moins si tu veux tu pourras m'appeler. Il sort. SCÈNE II. ROBIN, seul. Il a le Diable au corps de vouloir s'en aller.Du fidèle Robin le bonheur l'importune,Il mourrait de regret si je faisais fortune, Et de sortir d'ici le bourreau n'a desseinQu'à cause qu'à présent il me voit dans le gain.Mais l'on ouvre ; l'on entre ; allons faire la quête. SCÈNE III. Robin, Ismène. ROBIN. Mettez-vite, Monsieur, de l'argent dans la boîte. ISMÈNE. Une autre fois. ROBIN. Mettez ; on n'a point de crédit. ISMÈNE. Mais l'ami... ROBIN. Mais l'ami... J'ai besoin d'un habitMonsieur. ISMÈNE. Ou je me trompe, ou je crois te connaître.Quel es-tu ? ROBIN. Moi ? Je suis tout ce que je puis être,Receveur (Il est vrai qu'à ne vous celer rienLa recette est petite, et ne va pas trop bien ; Mais faut-il de regret que je m'en aille pendre ?) ISMÈNE. Je t'ai vu dans Lyon souvent suivre Nicandre. ROBIN. Si vous m'avez vu là, vous me voyez ici. ISMÈNE. Tu ne me connais pas ? ROBIN. Il me semble que si.À remettre vos traits j'ai pourtant de la peine ; Ne vous nommez-vous pas Monsieur, Madame Ismene ? ISMÈNE. Oui, Robin, c'est Ismène. Et ton maître, l'ingrat ?Le perfide ? ROBIN. Mon maître ? Il est fort délicat.J'ai peur dans la prison qu'il n'amasse du rhume. Ismène met deux Louis dans la boîte de Robin, et Robin qui fait ses efforts pour en faire tomber quelqu'un, voyant qu'il ne le peut, parle en lui-même si justement au sens d'Ismene, qu'elle croit qu'il réponde à ses demandes. ISMÈNE. Va, sa flamme l'échauffe, et l'amour le consume ; Mais voila deux Louis, reçois-les de ma main,Et du traître Nicandre apprends-moi le dessein.N'a-t-il point de regret de ce qu'il m'a perdue ?Ne veut-il pas me rendre une foi qui m'est due ?Agis. Par ton moyen si l'ingrat se résout... ROBIN, parlant des Louis qu'il ne peut avoir. Je suis trop malheureux pour en venir à bout. ISMÈNE. Toi qui sers cet ingrat, ne peux-tu faire en sorte,Robin... ROBIN, parlant des Louis. Si je le puis, que le Diable m'emporte. ISMÈNE. Tu ne le peux ? Le traître a donc bien du méprisD'un amour réciproque il dédaigne le prix ; Croyant à son départ qu'il m'adorait dans l'âmeJ'ai mis tous mes plaisirs à répondre à sa flamme ;J'ai mis tous mes plaisirs au bonheur d'être unis ;J'ai mis... ROBIN, parlant des Louis. Où Diable aussi les avez-vous là mis ? ISMÈNE. Que veux-tu ? Je l'aimais ; il me semblait sincère, À son volage coeur je croyais être chère ;J'avais en sa faveur des sentiments si doux,Robin... ROBIN, songeant à ce qu'Ismene dit. Plaît-il ? Quoi ? Qu'est-ce ? et que me dites-vous ?Vous voulez voir mon maître, ayez soin de m'attendre.Non, ne m'attendez pas, je l'appelle. Nicandre ! LE PREMIER NICANDRE, à une fenêtre grillée. Qui m'appelle ? ROBIN. C'est moi. LE PREMIER NICANDRE. Qui ? ROBIN. C'est moi. LE PREMIER NICANDRE. Qui toi ? ROBIN. Moi. LE PREMIER NICANDRE. Et qui donc est-ce là que je vois avec toi ? ROBIN. C'est elle. LE PREMIER NICANDRE. Qui ? ROBIN. C'est elle. LE PREMIER NICANDRE. Et qui donc ? Dis. ROBIN. C'est elle. LE PREMIER NICANDRE. Qui que ce soit n'importe, il suffit qu'on m'appelle.Je descends. ISMÈNE, à Robin. Que dis-tu, de la peine qu'il a ? N'as-tu pas aperçu... Mais l'ingrat le voilà. SCÈNE IV. Ismène, Le premier Nicandre, Robin. ISMÈNE. Hé bien, Nicandre ? LE PREMIER NICANDRE. Hé bien, Madame, êtes-vous lasseDe me jouer des tours de si mauvaise grâce ?Quels appas avez-vous qui puissent me charmer ?Et par quel privilège ai-je dû vous aimer ? Y suis-je obligé, moi ? Voulez-vous m'y contraindre ? ISMÈNE. Si tu n'as pu m'aimer volage, as-tu dû feindre ?Et ne fallait-il pas pour le bien de mes joursOu ne m'aimer jamais, ou bien m'aimer toujours ?Mais écoute, il est temps que tu m'ouvres ton âme, Je t'ai fait mettre ici, tu le sais ? LE PREMIER NICANDRE. Oui, Madame,Et sans perdre un moment en propos superflus,Sachez... ROBIN, à Nicandre. Depuis quand donc ne l'adorez-vous plusNotre cher ? LE PREMIER NICANDRE. Dis-tu moi ? J'ai plutôt de la haine... ROBIN. Que diable dites vous étourdi ? C'est Ismène Que vous aimez tant. LE PREMIER NICANDRE. Moi ? Je n'ai jamais pensé... ROBIN. C'est Ismène, vous dis-je, êtes-vous insensé ?Elle qui dans Lyon arrêta votre course... ISMÈNE. Moi qui de son bonheur voulais être la source.De publier sa honte on m'épargne le soin, Dans son propre valet je rencontre un témoin,Et par un procédé qui sent l'âme de boueIl fait un désaveu qu'un valet désavoue.Poursuis, Robin, poursuis, et d'un maître pareil... LE PREMIER NICANDRE. Il a suivi, Madame un si rare conseil. Vous l'aviez bien payé pour m'appeler son maître,Mais par mal-heur pour vous je n'ai pu le connaître.L'artifice était faible, et je suis délicat,Madame. ROBIN. Ah justes Dieux, le maudit renégat !C'est donc quand il vous plaît que vous êtes mon maître ? LE PREMIER NICANDRE. Jamais je ne le fus, et ne veux jamais l'être.J'aurais trop de regret si la moindre union... ISMÈNE. Et qui donc te servait quand tu vins à Lyon ?Mais tu n'y fus jamais, tu le vas faire accroire. LE PREMIER NICANDRE. J'ai trop peu de faiblesse, et trop bonne mémoire. On m'a vu dans Lyon faire assez de séjour,Mais ce n'est qu'à Paris que j'ai pris de l'amour. ISMÈNE. Ah méchant ! LE PREMIER NICANDRE. Moi méchant ! C'est me faire injustice. ROBIN. Renier un valet c'est un beau petit vice.Il appelle cela des chansons ISMÈNE. Résous-toi ; Vois qui tu veux aimer d'Hipolite ou de moi ;Épargne à mon amour le regret de te nuire,J'oublierai ton forfait si tu veux t'en dédire,Et pour mieux te contraindre à paraître surprisJ'aurai plus de bonté que tu n'as de mépris. LE PREMIER NICANDRE. Et moi qui suis sensible, et qui vois qu'on m'abuseJ'aurai plus de mépris que vous n'aurez de ruse ;De ce lâche coquin je fuirai l'entretien ;Il me dira son maître, et je n'en croirai rien ;Dédaignant les défauts, honorant le mérite, Je saurai vous haïr comme j'aime Hipolite ;Et n'était votre sexe, eût-on dû m'en blâmer,Vous seriez en état de jamais ne m'aimer.Sortez. ISMÈNE. Pardonne ingrat ma visite obligeante.Au reste agonisant d'un amitié mourante, Qui pour ton intérêt augmentant de moitiéArrachait un avis à ma lâche pitié ;Tu ne m'écoutes pas, mais redoute mon père,Adieu, je vais moi-même irriter sa colère,Dans assez peu de temps nous serons en ce lieu. Ismène sort. SCÈNE V. Le premier Nicandre, Robin. ROBIN. Vous voila justement, comme il plaît au bon Dieu.Vous venez là de faire un bon chien de ménage.Continuez, l'ami. LE PREMIER NICANDRE. Tais-toi, traître, ou... ROBIN. J'enrage,Et je souhaiterais que chacun souhaitâtQu'au milieu de la grève on vous décapitât. Un tendron l'idolâtre, et Monsieur le néglige ;Une Ismène l'adore, et Monsieur... LE PREMIER NICANDRE. Paix, te dis-je,Ou bien si de ta voix rien n'arrête le coursDis-le nom d'Hipolite, et m'en parle toujours :Su tu veux que pour toi mon courroux se désarme Détruis un nom haï, par un nom qui me charme,Et pour l'un et pour l'autre agissant tour à tourEn approuvant ma haine applaudi mon amour.Là-dessus, cher ami le Seigneur te console,Jusqu'au revoir. Nicandre s'en va. SCÈNE VI. ROBIN, seul. Et toi, le bourreau te décolle Fou des plus achevés, dont les sens abêtisPensent... Mais des verrous j'entends le cliquetis,Quelqu'un entre. SCÈNE VII. Robin, Jacinte. ROBIN, apercevant Jacinte. Bonjour. JACINTE. Ah c'est toi ! ROBIN. Belle bêteA voir ce que je porte on connaît que je quête ;Tout questeur que je sois si tu fais un souhait Tu peux tendre ta boîte, et je donne mon faitJ'ai deux Louis, je t'aime. JACINTE. Il n'est pas temps encoreJe viens voir... ROBIN. Vois traîtresse un Robin qui t'adore,Et qui pour t'avoir vue un peu plus qu'il ne faut,N'est vêtu que de toile, et s'il brûle de chaud. JACINTE. Je viens dire... ROBIN. Dis-moi, femelle insecourableSi l'on peut longtemps vivre, et brûler comme un Diable ;Et si tu n'agis pas d'une ingrate façonDe me voir être braise, et que tu sois glaçon. JACINTE. Je viens faire... ROBIN. Toi faire ? Hé bien fille mauvaise, Il ne tiendra qu'à toi de me faire bien aise ;Ou du moins connaissant que tu m'aimes si peuSouffre glace pour glace, ou me rend feu pour feu. JACINTE. Je viens pour... ROBIN. Tu viens pour ? Ce n'est pas assez dire ;Viens-tu pour m'obliger, ou viens-tu pour me nuire ? Et puisque assurément dans ce lieu tu viens pour,Dis-moi si c'est pour haine, ou si c'est pour amour. JACINTE. C'est pour amour. Ton maître en a-t-il l'âme atteinte. ROBIN. Le maître aime Hipolite, et le valet Jacinte. JACINTE. Tu te railles, peut-être, et te moques de nous, Car Ismène... ROBIN. [Note : On lit Dône au lieu de dame dans l'édition originale.]La Dame a ma foi du dessous.Elle vient de sortir qui déteste Nicandre,De lui-même à lui-même elle a dit pis que pendreIl avait le dessein de lui rompre le cou. JACINTE. Aime-t-il Hipolite ? ROBIN. Il en est parbleu fou. Quand on parle d'Ismene on le choque, on l'irrite,On le touche on le charme en parlant d'Hipolite,Et ce nom par lui-même est si fort répété... JACINTE. Attend, mon cher Robin, tu seras contenté.Voyons dans la geôle, Hipolite y doit être, Elle m'a fait entrer pour pressentir ton maître,Et puisqu'enfin Nicandre à l'aimer se résoutDisons-lui qu'elle vienne, et l'informe de tout.Hipolite ! Hipolite ! SCÈNE VIII. Hipolite, Jacinte, Robin. JACINTE. Allons-donc, paresseuse,Nicandre est amoureux, comme vous amoureuse ; Et Robin que voila qui soupire pour moiM'en répond corps pour corps, et m'en jure sa foi.C'est vous seule qu'il aime, et qu'il trouve d'aimable. HIPOLITE. En est-il bien certain ? ROBIN. Oui, je me donne au Diable. HIPOLITE. Mais Ismène l'adore, elle veut recouvrer211... ROBIN. En ma propre présence il la vient de sevrer.Mais voyez, on dirait que le Ciel nous l'envoie. JACINTE. Si tu penses... ROBIN. Jacinte, il va mourir de joie ;Je le sais de science, et je t'en donne avis ;Jamais nul amoureux n'eut les sens si ravis ; Et tu vas voir. SCÈNE IX. Le second Nicandre, Hipolite, Jacinte, Robin. LE SECOND NICANDRE. Ma lettre à la fin est écrite,Mais que vois-je, ô bons Dieux ! N'est-ce pas Hipolite ? ROBIN. Hipolite elle-même, avancez, mal ému. À Jacinte.Que disais-je ? De joie il est si prévenuQu'il a changé de note au moment qu'il a vue. LE SECOND NICANDRE. Madame, à votre aspect je me sens l'âme émue... ROBIN, à Jacinte. L'âme émue ! Entends-tu ? Sans amour l'aurait-on ?Que t'en semble ? JACINTE. Il le dit d'un assez vilain ton. HIPOLITE. Si d'un coeur qui vous aime on vous fait une offrande... LE SECOND NICANDRE. Je veux dans une fille une vertu plus grande ; Et quand d'autres que vous ne me charmeraient pasVotre extrême faiblesse avilit vos appas.A ne pas vous connaître et voir votre visageJ'aurais pu vous aimer si j'eusse été volage ;Mais fussai-je volage, à vous connaître mieux Vous seriez la dernière à surprendre mes yeux.Je vous fais par pitié d'équitables reproches. JACINTE. Robin ! ROBIN. Je suis penaud comme un fondeur de cloches. JACINTE. Tu disais... ROBIN. Je disais ; mais je ne dis plus rien. JACINTE. Quoi le traître... ROBIN. Il est fou, ne le vois-tu pas bien, Il fait bon se fier à de semblables drilles ? JACINTE. Est-ce comme cela que l'on traite des filles ?Le perfide... ROBIN. Il est fou, je te l'ai déjà dit. HIPOLITE. Ton brutal procédé rend mon coeur interdit... LE SECOND NICANDRE. Et le vôtre me choque, et le vôtre m'étonne, Je suis honteux pour vous de ce qu'on m'emprisonneJe ne suis dans ce lieu que par votre moyen,Mais aussi... HIPOLITE. Quoi, mais ? LE SECOND NICANDRE. Mais... ROBIN. Mais vous ne valez rien. LE SECOND NICANDRE. J'ai de la quereller un sujet raisonnable,Tu sais... ROBIN. Que les menteurs sont les enfants du Diable, Et pour cette raison je vous fais à sçavoir215Que Monsieur votre père est un père fort noir,C'est Ismène en ce lieu qui vous a fait conduireMenteur. HIPOLITE. Point, c'est moi-même et je cherche à lui nuire ;Loin de le déguiser j'en demeure d'accord. JACINTE. Un habile fauteur pour le craindre si fortMa foi ! HIPOLITE. Je t'ai fait prendre, et non pas ton IsmènePerfide. LE SECOND NICANDRE. Elle est trop bonne, et vous êtes trop vaine ;Mon sort est déplorable, et mon sort serait douxSi c'était mon Ismène aussi bien que c'est vous Méchante. JACINTE, à Robin. Qu'il est traître ! Et qu'il a de malice ! ROBIN. Feu Judas prés de lui n'eut été qu'un novice ;S'ils se fussent connus celui-ci l'eut forcéÀ venir de sa bouche écouter l'A, B, C.Il a fait tout son cours à l'école traîtresse, D'autres nomment trahir ce qu'il appelle adresse ;Et si de ce qu'il sait je savais les trois quartsAu plus tard dans trois jours je serais Maître ès Arts.Il est savant. HIPOLITE. Dis-moi ce que tu veux résoudre,Apprends-moi... LE SECOND NICANDRE. Dans vos mains je pourrais voir la foudre En redouter la chute, en sentir les éclats,Et la peur de périr ne m'ébranlerait pas.J'aime Ismène, je l'aime, et non pas Hipolite,J'aime Ismène... HIPOLITE. C'est trop, ton audace m'irrite,Traître. Tu sais Jacinte où mon père m'attend ? JACINTE. Oui je le sais Madame, et je vais à l'instant...Il prévient mon voyage, et le voila qu'il entre.Voyez. SCÈNE X. Isidore, Hipolite, Robin, Le second Nicandre, Jacinte. ISIDORE, entrant. [Note : Forfaiteurs : celui qui commet des forfaits.]Des forfaiteurs c'est donc ici le centre ?Nicandre... HIPOLITE. De l'ingrat le mépris est trop grand,À toute ma tendresse il est indifférent, De son perfide coeur la fierté me ravale,Et vous devez... Mais Dieux j'aperçois ma rivale,Elle vient. SCÈNE XI. Ismène, Eutrope, Isidore, Hipolite, le second Nicandre, Robin, Jacinte, Ragotin. ISMÈNE. Infidèle, il est temps de parler. HIPOLITE. Volage, il n'est plus temps de rien dissimuler. ROBIN. S'il s'en peut démêler il n'est pas malhabile. LE SECOND NICANDRE, à Eutrope. Monsieur... ISMÈNE. Tu cherches, traître, une ruse inutile ;Tu n'abuseras plus ni mon père, ni moi. LE SECOND NICANDRE. Votre père ! Madame, est-ce vous que je vois !Est-ce Ismène ! ROBIN. Nenni, c'est une autre. Ah le traître ! LE SECOND NICANDRE. Est-ce Ismène ! ISMÈNE. Tu feins de ne pas me connaître Lâche. ROBIN. [Note : Merle : Fig. et familièrement. Fin merle, homme adroit, rusé drôle, rusé compère ; locution qui vient de la défiance qu'a le merle des pièges et des chasseurs. [L]]C'est un fin merle, il sait bien d'autres tours. HIPOLITE, à Isidore. Parlez ; souffrirez-vous qu'il lui parle toujours ? ISIDORE. [Note : Gener : Gendre (Latin).][Note : Immond : impur (forme amputé de immonde)]Sois mon Gener, Immond, ou descends au sépulcre,[Note : Pulcre : Bien (Latin).]Tu vois bien que ma fille est passablement pulcre ;Sois mon Gener, sinon... EUTROPE. Mais ma fille a sa foi. ISMÈNE. L'ai-je pas, volage ? LE SECOND NICANDRE. Oui. HIPOLITE. L'ai-je pas aussi, moi ? LE SECOND NICANDRE. Non. HIPOLITE. Non traître ! Oses-tu... ISMÈNE. Je sais qu'elle te touche,Je le sais. LE SECOND NICANDRE. Vous ? ISMÈNE. Moi. LE SECOND NICANDRE. Vous ? ISMÈNE. Je le sais de ta boucheEffronté. LE SECOND NICANDRE. Vous, Madame ? Ô grands Dieux qu'est-ceci ! JACINTE. Je le sais aussi, moi. RAGOTIN. Moi je le sais aussi. ROBIN. Si pas un de ceux là ne vous semble croyable,Je le sais aussi, moi, témoin irréprochable,Je le sais. LE SECOND NICANDRE. Quoi Robin, quoi j'aurais consenti... ROBIN. C'est dire en mots couverts tout le monde a menti. LE SECOND NICANDRE. Tu n'as point de raison, car tu dois faire entendre... ROBIN. J'aurai tort si ce lieu loge plus d'un Nicandre.Voyons. LE SECOND NICANDRE. Mais... ROBIN. Mais voyons. Ho Nicandre ! J'ai tortComme il répond. Nicandre ! Est-ce pas assez fort ?[Note : Caterreux : Qui est flegmatique, sujet aux fluxions, et aux caterres.]Ho Nicandre ! Écoutez caterreuse cervelle,J'ai tort. SCÈNE DERNIERE. Le premier Nicandre, Le second Nicandre, Eutrope, Isidore, Hipolite, Ismène, Jacinte, Robin, Ragotin. LE PREMIER NICANDRE. Qui donc encor est-ce là qui m'appelle ? ROBIN. Qui Diable est celui-ci qui s'en vient droit à nous ? LE SECOND NICANDRE. Que vois-je ? LE PREMIER NICANDRE. Qu'aperçois-je ? LE SECOND NICANDRE. Est-ce vous ? LE PREMIER NICANDRE. Est-ce vous ? LE SECOND NICANDRE. Quoi mon frère est ici ! LE PREMIER NICANDRE. Quoi, je vous vois paraître ! ROBIN. Dites-moi s'il vous plaît qui des deux est mon maître. ISMÈNE. Dites-moi qui des deux m'a fait don de sa foi. HIPOLITE. Dites-moi qui des deux s'est pu donner à moi.Est-ce vous ? Est-ce vous ? Rendez m'en plus instruite,Qui des deux... LE PREMIER NICANDRE. C'est-moi-même, ô ma chère Hipolite,C'est moi qui dans l'espoir de me voir vôtre époux... LE SECOND NICANDRE, à Ismène. Hé bien, suis-je Madame infidèle pour vous ? Rendez-moi vôtre amour, reprenez votre haine. ISMÈNE. Mais lorsqu'on vous a pris dans le Cours de la Reine... LE PREMIER NICANDRE. Lui Madame ? C'est moi qu'on a pris dans ce lieu. JACINTE. Tout va le mieux du monde, ou je me donne à Dieu ;Car aucun contre aucun n'aura sujet de plainte. ROBIN. Puisqu'Ismene est aimée, Hipolite, et Jacinte,Sans nous embarrasser d'aucune autre raisonPrenons chacun la nôtre, et sortons de prison.Que dis-tu de l'avis, dis-moi donc ma petite ? LE SECOND NICANDRE. Pour moi, j'adore Ismène. LE PREMIER NICANDRE. Et j'adore Hipolite. LE SECOND NICANDRE. Pourrons nous être à vous, et souffrirez vous bien. ISMÈNE. Demandez à mon père. HIPOLITE. Et demandez au mien. EUTROPE. Puis qu'il est si sincère, il a droit de prétendreEt le nom de mon fils, et le nom de mon gendre ;Et si touchant sa fille Isidore m'en croit Envers l'autre Nicandre il fera ce qu'il doit. ISIDORE. Que Nicandre la Sponde, et foi de Philosophe,Je serai bénévole envers sa catastrophe ;C'est le coeur qui le dit, et s'il est trop obscurEx abundantia cordis os loquitur. LE PREMIER NICANDRE. Quelles grâces vous rendre ! Une gloire parfaite... ROBIN. Tournez-moi les talons, votre besogne est faiteMonsieur. Toi que dis-tu ? JACINTE. Moi ? Ce que tu voudras. ROBIN. Je t'aime bien, et toi ? JACINTE. Moi ? Je ne te hais pas. ROBIN. Je me veux marier aussi bien que mon maître, Et toi, dis ? JACINTE. Dis-tu moi ? Je voudrais déjà l'être. ROBIN. Je te veux, me veux-tu ? Concluons tout ici. JACINTE. Ma foi, si tu me veux, je te veux bien aussi. ROBIN. [Note : Toquer : heurter. [F]]Toque-là. JACINTE. Tiens. ROBIN, aux deux Nicandres. Et vous avant votre sortieAllez dans une chambre y conter votre vie, Et faites qu'en tous lieux on vous loue en ce pointQu'on vous a crû MENTEURS, et vous ne MENTIEZ POINT. ==================================================