******************************************************** DC.Title = CHAMPAGNE LE COIFFEUR, COMÉDIE DC.Author = BOUCHER DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 12:57:02. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BOUCHER_CHAMPAGNELECOIFFEUR.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** CHAMPAGNE LE COIFFEUR COMÉDIE M. DC LXII. de Boucher Représenté pour la première fois en 1662 au Théâtre du Marais. NOTICE SUR BOUCHER de Victor FOURNEL (1875) Boucher, l'auteur de la petite comédie que nous reproduisons ci-après, est fort peu connu. Ni la biographie, ni la critique ne s'en sont jamais occupés. Seulement le "Dictionnaire des anonymes", de Barbier, et après lui le "Manuel du libraire" et le "Catalogue Soleinnes" lui attribuent la "Pompe funèbre de Scarron", petite pièce assez curieuse qui fut publiée en 1660, à la mort de l'écrivain burlesque. C'est à peu près tout ce que nous pouvons dire sur notre auteur. Il y avait, vers 1660, un Boucher libraire et un autre secrétaire du roi [1] : nous ignorons si l'un ou l'autre doit se confondre avec celui qui nous occupe, mais il n'est pas probable que Boucher fût libraire, puisqu'il a publié "La Pompe funèbre" chez Ribou et sa comédie chez Charles de Sercy. Champgne le coiffeur, comédie en un acte, en vers (Ch. de Sercy, 1663, in-12; privilège du 14 octobre 1662 ; achevé d'imprimer le 14 novembre suivant), est dédié à M. le baron de Gentilly, maître d'hôtel ordinaire du roi. Nous apprenons, par le titre même, qu'elle fut jouée au Marais, et par la dédicace, qu'elle n'a pas déplu sur le théâtre. C'est une de ces pièces coulées dans le moule de la vieille farce, écrites en petits vers octosyllabiques et roulant sur des sujets de circonstance, sur les hommes et les choses du jour, comme les aimait le Marais et comme nous en avons déjà vu des exemples avec les ouvrages de Chevalier. Toutefois, si loin qu'elle soit d'être un chef d'oeuvre, la comédie de Boucher est bien supérieure à celles de l'acteur-auteur dont nous venons de parler. La versification en est aisée et parfois assez bonne. Cette bluette agréable renferme quelques scènes plaisantes, mais elle est trop longue, d'un comique généralement un peu lourd et qui ne sait pas s'arrêter à temps. L'intrigue, très sommaire se développe avec une lenteur extrême. Elle nous donne du, moins des détails curieux sur les modes et les artifices de la toilette féminine, particulièrement sur l'art de la coiffure et sur l'artiste célèbre et parfaitement historique qu'elle met en scène. C'est surtout à ce point de vue que nous reproduisons la pièce de Boucher, qui est, d'ailleurs, une rareté bibliographique. Champagne ne fut pas seulement un des plus fameux coiffeurs du XVIIème siècle, mais le véritabLe créateur de la profession. On annonçait ses voyages, ses retours, sa rentrée à Paris, comme ceux d'un personnage important. Nous lisons dans la Muse historique de Loret, à la date du 22 octobre 1650 : Enfin le renommé Champagne, Ayant fait quatre ans de campagne, En un pays assez lointain, Est de retour entier et sain. Déjà dans Paris il exerce Son talent, science et commerce Quoiqu'il soit sec, maigre et menu, Il est partout le bien venu, Et quantité de belles fées En ont été déjà coiffées. Il y a là un jeu de mots, qui fait allusion aux succès de plus d'un genre de cet artiste gâté par les dames. Il faut lire surtout l'historiette de Tallemant des Réaux car Tallemant [2] n'avait garde d'oublier cette curieuse figure dans sa galerie, pour savoir jusqu'où Champagne, enivré par ses talents, et les flatteries dont on l'entourait de toutes parts, poussait sa fatuité d'homme à bonnes fortunes et à quel prix il estimait ses moindres coups de peigne. Il se vantait d'avoir conquis les faveurs de Mme de Choisy. « Ce faquin, par son adresse à coiffer et à se faire valoir, se faisait caresser et rechercher de toutes les femmes. Leur faiblesse le rendit si insupportable, qu'il leur disait tous les jours cent insolences il en a laissé telles demi-coiffées ; à d'autres, après avoir fait un coté, it disait qu'il n'achèverait pas si elles ne le baisaient; quelquefois il s'en allait, et disait qu'il ne reviendrait pas si on ne faisait retirer un tel qui lui déplaisait, et qu'il ne pouvait rien faire devant ce visage-là... Avec tout cela elles le couraient, et il a gagné du bien passablement ; car, comme il n'est pas sot, il n'a pas voulu prendre d'argent, de sorte que les présents qu'on lui faisait lui valaient beaucoup... Il était medisant comme le diable il n'y avoit personne à sa fantaisie. » Champagne était le coiffeur de toutes les grandes dames de la cour, particulièrement de la princesse Marie de Gonzague ; qui s'était engouée de lui : J'enrage quand je vois Champagne Porter la main à vos cheveux. s'écriait Maître Adam Billaut dans ses Chevilles, en s'adressant à la princesse : Vous ternissez votre louange Souffrant que cet homme de fange Maîtrise des liens qui font tout soupirer. Au mariage de celle-ci, que le roi Ladislas épousa par procuration à Paris, le 6 novembre l645, Champagne assistait Mme de Sénecé, quand elle posa la couronne sur la tête de la nouvelle reine, dans la chapelle du Palais-Royal, à la suite de la messe. [3] Marie de Gonzague l'emmena avec elle en Pologne : de là, dit Tallemant, « il alla en Suède, et revint ici avec la reine Christine ». Il y a dans cette dernière phrase une erreur : on a vu, par le passage de Loret cité plus haut, que Champagne était revenu en 1650, tandis que le premier voyage de Christine en France n'est que de 1656. Son excursion en Suède probablement, et son retour avec la reine Christine, si Taltemant ne s'est pas trompé sur ce point, sont certainement postérieurs à ce premier voyage. Quant à ce que dit l'auteur de notre pièce de son voyage en Turquie, c'est sans doute une pure fiction, n'ayant d'autre but que d'amener un de ces travestissements orientaux à la mode sur le théâtre dans le genre de celui que Molière devait imaginer avec le mamamouchi M. Jourdain. D'ailleurs, même en son absence, Champagne n'avait pas été oublié. Il est nommé dans "l'Enfer burlesque" de l'abbé de Laffemas [4] publié en 1649, et la même année encore, l'auteur de la Mazarinade : "le Ministre d'État flambé", passant en revue tous les industriels et artistes ruinés par Mazarin, rencontre tout naturellement au bout de sa plume le nom de Champagne : Cardelin semble être perclus,... Carmeline, en un coin reclus, Voit ses pélicans superflus ; Le Coutelier même sommeille, Et Champagne ne coiffe plus Que la poupée ou la bouteille. Enfin l'abbé d'Aubignac, ayant à parler de la science de coiffer dans sa "Relation du royaume de coquetterie" [5], s'est tout de suite rappelé son nom. La réputation de Champagne était conforme aux traditions du métier. Les coiffeurs pour dames passaient généralement pour des messagers d'amour, des instruments d'intrigues galantes et la plupart des coiffeuses n'avaient pas meilleure réputation. Leurs maisons servaient de rendez-vous ; leur art fournissait un prétexte et un couvert à bien des aventures [6] : « Sa principale profession, dit Scarron en parlant d'une entremetteuse dans la "Précaution inutile", était d'être conciliatrice des volontés, possédant éminemment toutes les conditions requises à celles qui veulent s'en acquitter, comme d'être perruquière, revendeuse, distillatrice, d'avoir quantité de secrets pour l'embellissement du corps humain. » La plupart de ces secrets étaient l'apanage du coiffeur pour dames et de la coiffeuse. Leur rôle ne se bornait pas seulement à la chevelure, qui eut déjà suffi surtout avec le développement pris par les perruques au XVIIème siècle, pour leur donner une importance particulière. Ils se distinguaient des perruquiers, dont les fonctions étaient beaucoup plus restreintes. Les eaux de senteur, les pâtes, les onguents, les mouches, tout cela les regardait, et ils empiétaient même quelquefois sur le domaine des modistes. D'innombrables pièces volantes, des satires et beaucoup de comédies, parmi lesquelles je citerai seulement celle de Douville, la "Coiffeuse à la mode", qui roule en entier sur ce sujet et peut fournir matière à quelques rapprochements curieux, attestent les développements qu'avait pris alors cette partie de la mode. Champagne occupa le plus haut rang peut-être parmi ces artistes de la coiffure et de l'ajustement au XVIIème siècle, au nombre desquels nous citerons encore la Darancey, la Jeanneton, la Poulet, la Bariton, la Prime et le Métayer, que nomme l'auteur de la pièce, Paysan, que nous avons vu dans "l'Académie des femmes" de Chapuzeau, la Martin, Melle la Borde et le baigneur la Vienne, dont il est fort question dans Mme de Sévigné. Nous n'avons pas la date de la naissance de Champagne, dont l'origine était probablement fort humble, comme l'indique son état et comme semble l'indiquer aussi son nom. Mais il était déjà célèbre et en vogue à la cour en 1638, car c'est après le voyage qu'il fit à Paris à cette date et la visite qu'il rendit alors à la princesse Marie, que maitre Adam composa la pièce citée plus haut. Il mourut juste vingt ans après, d'une manière tragique, non pas toutefois sous le bâton, comme on pourrait croire, mais sur la grande route, dans le midi de la France, où l'avait appelé peut-être l'exercice de son art, sollicité de tous les cotés. Loret a enregistré cette catastrophe, à la date du 2 novembre 1658 : Un bruit venant de ta campagne Nous apprend que le sieur Champagne Que deux ou trois reines du Nord Estimaient et cHérissaient fort... Dans un rencontre inopiné Fut l'autre jour assassiné Entre, dit-on, Vienne et Grasse, Par cette détestable race Que l'on appelle des bandits. Ou voit, et il était facile d'ailleurs de le conjecturer d'avance, qu'il ne fut mis sur le théâtre qu'après sa mort. Les cinq ans écoulés depuis son assassinat n'avaient pas encore réussi à faire oublier cet homme illustre. 1. Moreau, "Bibliographie des Mazarinades, I, 398, II, 224. 2. Edit. Mommerque, t. VII, p. 166-8. 3. Mémoires de Mme de Motteville, Amsterdam, 1739, t. 1, p. 333. 4. L'Enfer burlesque, ou le 6ème livre de l'Énéide occomodé à l'histoire du temps, par M.C.P.D. : Ne la trouvez-vous pas mignonne, La demoiselle Tisyphone, Et Champagne avec ses fers chauds, Coiffait-il mieux par serpenteaux ? 5. 1654, in-12, p. 51,52. 6. V. "La Fille capitaine" de Montfleury. II, sc. 10; III sc. 3. PERSONNAGES. BONIFACE. ÉLISE, fille de Boniface. LISETTE, servante d'Élise. MONSIEUR THOMAS, voisin et ami de Boniface. CLÉANDRE, Champagne, amant d'Élise. GUILLOT, valet de Champagne. La scène est à Paris. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Cléanre, Guillot. GUILLOT. Pour ce coup votre affaire est faite ;Monsieur, je viens de voir Lisette,Elle m'a dit et répétéQu'Élise en la captivitéOù la retient son fol de père, Est dans le dessein de tout faire,Si vous la jugez à propos,Pour assurer votre repos CLÉANDRE. Guillot, l'agréable nouvelleQue m'apportes-tu de ma belle ! Quelle adresse trouverons-nous ? GUILLOT. J'en ai mille; vous moquez-vous ? CLÉANDRE. Guillot, il n'en faut trouver qu'une,Et je réponds de ta fortune. GUILLOT. Tant mieux ; mais la ferez-vous bien ? CLÉANDRE. Dis. GUILLOT. Non, celle-là ne vaut rien.Je m'en vais en trouver une autre.Où diable est donc l'adresse nôtre ?Ha ! J'en tiens une... Mais voiciVotre Élise et mon cher souci ; L'une et l'autre de nous s'approche. SCÈNE II. Cléandre, Guillot, Ruse, Lisette. ÉLISE. Monsieur, je m'expose au reproche,Et peut-être à pis, pour vous voir. CLÉANDRE. [Note : Heur : rencontre avantageuse. (...) [F] [antonyme de malheur]]Mon heur ne se peut concevoir. LISETTE. Mon cher Guillot, je te rencontre ! GUILLOT. C'est mon bon démon qui me montre. ÉLISE, à Cléandre. Je ne respire que pour vous. CLÉANDRE. Vous faites mes soins les plus doux,Ainsi que mes inquiétudes. ÉLISE. Que je passe de moments rudes Près d'un père capricieux ! CLÉANDRE. C'est ce qui me rend malheureux. GUILLOT, regardant Lisette. Hay, hay. LISETTE. Quoi, Guillot, tu soupires !As-tu quelque chose à me dire ? GUILLOT. Devine ! Aussi bien je ne puis Te dire l'état où je suis ;Tâte-moi le pouls, je te prie. LISETTE. Il est ému. GUILLOT. C'est de furie. LISETTE. Toi furieux ! Depuis quel jour ? GUILLOT. Depuis que j'enrage d'amour. Peux-tu n'enrager pas de même ?Pour peu qu'il soit vrai que tu m'aimes,Permets. LISETTE. Arrête-toi, badin. GUILLOT. Mon amour mourra donc de faim ! CLÉANDRE. Ha ! Ne soupçonnez pas ma flamme, Je n'en sens que pour vous, Madame. ÉLISE. Pour justifier votre foi,Agissez pour vous et pour moiSongez que je suis renfermée. CLÉANDRE. Songez que vous êtes aimée, Et qu'il n'est rien dont un amantNe vienne à bout fort aisément. ÉLISE. Cette assurance me console. CLÉANDRE. L'effet suivra cette parole. ÉLISE. Je tremble en vous parlant ici. LISETTE, à Guillot. Te voilà donc bien radouci ? GUILLOT. Ha ! Si tu voulais, ma Lisette,[Note : Brebiette : Dimintuif de brebis. [L]][Note : Moutonne : Est aussi une coiffure qui a été longtemps en usage chez les femmes. C'est une tresse de cheveux fort touffue et frisés, qui s'appliquait sur le front. [F] Ici, féminin de mouton qui est une invention de Boucher. ]Ma moutonne, ma brebiette,Mon coeur, mon tendron, mon toutou. LISETTE. Tais-toi, Guillot, tu deviens fou. GUILLOT. Si tu voulais, bête farouche,J'apposerais dessus ta boucheLe cachet de mes chauds désirs. ÉLISE. Épargnez-moi les déplaisirsQue j'aurais, si j'étais surprise. CLÉANDRE. Ne craignez rien, ma chère Élise. ÉLISE. Mais mon père n'est pas bien loin ;Il m'observe avec tant de soinQue, sitôt qu'il me perd de vue,Il pense que je suis perdue : L'ombre d'un homme lui fait peur. GUILLOT. C'est qu'il n'est pas de votre humeur. LISETTE. Finissez, j'entends Boniface ;Je crains bien pis que la menace. ÉLISE. Il est rentré par le jardin. CLÉANDRE. Madame, vous craignez en vain,Si vous ne vouliez pas l'attendre. ÉLISE. Je n'oserais rien entreprendre. LISETTE. Hélas ! Sauvons-nous au plus loin ! ÉLISE. Non, non, cachons-nous à ce coin, Et vous, Monsieur, prenez la fuite.En quel état suis-je réduite ! CLÉANDRE. Vous abandonner au courrouxDe ce bizarre ? ÉLISE. Éloignez-vous. CLÉANDRE. Il ne me connaît point. ÉLISE. N'importe, Retirez-vous devant qu'il sorte. GUILLOT. Ha ! Monsieur, ne répliquez pas,Retirons-nous, doublons le pas[Note : Extravaguer : Dire ou faire quelque chose mal à propos, indiscrètement, et contre le bon sens, ou la suite du discours, ou la bienséance.]Cet homme est prompt, il extravague,Il pourra donner de sa dague. CLÉANDRE. S'il extravague, j'en rirai. GUILLOT. Et s'il dague ? CLÉANDRE. Je périrai,Plutôt que perdre ce que j'aime. GUILLOT. Ha ! Votre furie est extrêmeDe risquer votre dernier jour Pour une chimère d'amour. SCÈNE III. Cléandre, Élise, Guillot, Lisette, Boniface. BONIFACE, crie dans son logis. Ma fille, ma fille, Lisette ![Note : Plie toilette : Cette expression proverbiale se prenait en deux sens, comme synonyme de dévaliser ou de s'enfuir précipitamment.]Elles ont plié la toilette :Hélas ! Je suis déshonoré. LISETTE. Il est au bas du grand degré, Il va sortir. ÉLISE. Je suis perdue,S'il me rencontre dans la rue. BONIFACE, sortant de son logis. Au secours, voisins, au secours !... LISETTE. À quoi donc aurons-nous recours ? BONIFACE. Il n'est ni servante, ni fille ! Cherchons partout, courons la ville. ÉLISE, bas. Lisette, rentrons au logis. BONIFACE. Au secours, voisins, mes amis ! LISETTE, rentrant. Ma foi, l'occasion est bonne. BONIFACE. Quoi, tout le monde m'abandonne Maître Claude, maître Thomas,Hé quoi, ne m'entendez-vous pas ?Voisins, que Dieu puisse confondre,Vous ne daignez pas me répondre !Les traîtres, les maudits voisins ! Qu'ils riront tantôt, les vilains,Apprenant ma déconvenue !Hélas ! Je l'avais bien prévue,Et je devais, la prévoyant,Être beaucoup plus défiant. Ha ! Si j'attrape l'infidèleJe serai sa garde éternelle. CLÉANDRE, bas à Guillot. Suis-moi je conçois un desseinQui pourra réussir. BONIFACE. EnfinRedoublons ici les alarmes Au secours, aux armes, aux armes ! SCÈNE IV. Boniface, Monsieur Thomas. THOMAS, sortant brusquement de son logis. À quel secours faut-il aller ?Faut-il battre ? Faut-il parler ?À quoi faut-il qu'on remédie ?Est-ce rapt, larcin, incendie ? Faut-il avoir recours à l'eau,Au prévôt, au juge, au bourreau ?Est-ce duel ? Est-ce rencontre?Faut-il dégainer pour ou contre ?Qu'est-ce? BONIFACE. Ce n'est point tout cela, Mais bien une partie... THOMAS. Holà,De vos maux allons à la source.Vous a-t-on coupé votre bourse ?[Note : Pendants : On dit, les pendants d'une bourse, d'un demi-ceint. Les pendants d'un baudrier, d'un ceinturon, sont les ouvertures par où passe l'épée. [F]]Vous en reste-t-il les pendants ?Quel argent aviez-vous dedans ? BONIFACE. Ce n'est pas ce que je regrette. THOMAS. [Note : Brette : Estocade, épée qui est plus longue que celle que les Gentilhommes portent d'ordinaire. [F]]Vous a-t-on donné de la brette ?Vous a-t-on donné du bâton,[Note : Etrivière : Courroie de cuir, par laquelle les étriers sont suspendus. Donner les étrivières, c'est châtier des valets de livrée, les fouetter avec les étrivières. [F]]Ou bien des étrivières ? BONIFACE. Non. THOMAS. Ces affronts sont insupportables, Souvent ce sont maux incurables. BONIFACE. Mais. THOMAS. "Mais" est un terme importun.Étaient-ils deux ? N'étaient-ils qu'un,À vous faire une telle injure ? BONIFACE. Je me plains... THOMAS. De quelle aventure ? BONIFACE. Mais vous m'interrompez toujours ! THOMAS. Mais pourquoi crier au secours ? BONIFACE. Pourquoi ? Parce que l'on m'opprime. THOMAS. L'oppression est un grand crime,Et la justice en pareil cas Devrait bien ne s'endormir pas ;Car quand on néglige une affaire,Souvent on manque au nécessaire.Ainsi... BONIFACE. Laissez-moi donc parler. THOMAS. Ha ! Laissez-moi vous consoler : Je connais ce qui vous afflige. BONIFACE. Ha ! Laissez-moi parler, vous dis-je. THOMAS. Mais, compère, vous avez tortJe viens vous secourir. BONIFACE. D'abordJe l'ai cru ; mais las j'en enrage. THOMAS. Vous êtes un sot personnage.Mon compère, mon cher voisin,Pourquoi vous plaignez-vous en vain ? BONIFACE. Moi me plaindre en vain ! L'apparence,Après une si grande offense ! THOMAS. Je commence à souffrir pour lui. BONIFACE. Ha ! Compère, je meurs d'ennui. THOMAS. Le sujet ? BONIFACE. J'ai perdu ma fille ! THOMAS. Adieu l'honneur de la famille !Par quel accident, par quel sort ? BONIFACE. Elle vient de prendre l'essor. THOMAS. Je vous l'avais bien dit, compère,Qu'il aurait été nécessaireDe la garder soigneusement.Mais savez-vous certainement Qu'elle vous ait fait banqueroute ?Savez-vous aussi quelle routeElle tient, s'éloignant d'ici ? BONIFACE. C'est de quoi je suis en souci. THOMAS. Connaissez-vous bien qui l'enlève ? BONIFACE. Non, et c'est là ce qui m'achève ;Cependant je le veux chercher,Le prendre vif et t'écorcher. THOMAS. C'est bien résoudre; mais, compère,Il faut refréner la colère. J'estime donc qu'en cas pareilTout homme a besoin de conseil ;C'est pourquoi je veux vous déduireChose qui ne vous pourra nuire. BONIFACE. Il n'en est pas besoin. THOMAS. Les Grecs Jadis pour un pareil succès,Bon gré malgré les destinées,Guerroyèrent plusieurs années ;Hélène, que ravit Paris,De cette guerre fut le prix. BONIFACE. À quoi bon ?... THOMAS. Écoutez le reste. BONIFACE. Secours importun et funeste ! THOMAS. Or la femme de Ménélas,Qui causa dix ans de combats... BONIFACE. Ah ! L'insupportable boutade ! À quoi bon citer l'Iliade ?J'enrage... THOMAS. Pour vous faire voirTout ce que vous devez prévoirEn vous armant pour votre fille;Car comme Ulysse, Hector, Achille, Patrocle, Achille, Ulysse, Hector.Je veux être votre Nestor,Et faire plus, par ma prudence,Que cent autres par leur vaillance. BONIFACE. Hé, de grâce, maître Thomas, Souffrez... THOMAS. Mon pauvre Ménélas,En une occasion pareille,Il est bon que je vous conseille.[Note : Ilion : Nom poétique de Troie.]Pour assiéger un IlionIl faut de gens un million, Il faut avoir des dieux propicesIl faut des Ajax, des Ulysses,Il faut des démons familiers,[Note : Bélier : Est aussi une grosse poutre de bois ferrée par le bout, et qui a parfois des pointes en forme de corne de bélier. [F]][Note : Cheval de bois : construction imaginée par Ulyse pour entrer dans Troie et détruire le ville.]Des chevaux de bois, des béliers,Et cent mille autres ustensiles Propres à renverser des villes. BONIFACE. Au diable soit le conseiller ! THOMAS. Vous n'aimez point à batailler ?Hé bien, conseillons d'autre sorte. BONIFACE. Que le grand diable vous emporte ! Si je puis parler une fois,Je parlerai pour plus d'un mois. THOMAS. Il faut donc pour... mais, non, je pense...Pourtant, enfin, l'expérience.Voyez-vous, je conseille bien. BONIFACE. Au diable si j'y comprends rien ! THOMAS. Maudite soit la tête folle ! BONIFACE. Tâchons à prendre la parole. THOMAS. [Note : Enleveur : (de quartiers) C'est ainsi qu'on appelle des soldats, qui forcent, qui prennent et enlèvent d'autres soldats qui sont à l'armée logé dans leurs quartiers. [F] Ici, celui qui enlève.]Oui, quant au traître d'enleveur,Je veux en être l'étrangleur. BONIFACE. S'il tombe sous mes mains, je jure[Note : Fressure : Parties intérieures de certains animaux, comme le foie, le coeur, la rate, le poumon, prises ensemble. [F]]De lui déchirer la fressure.Si quelque diable familierJe l'enverrai voir son grand-père[Note : Styx : Fleuve qui, selon la mythologie, coulait aux enfers ; les dieux juraient par le Styx, et ce serment ne pouvait être violé. [L]]Par delà la fleuve Styx. Moi seul j'en pourrais battre dix.Quand la colère me transporte,Je suis vaillant de telle sorteQue devant moi les plus hardis... THOMAS. Je suis aussi... BONIFACE. Les Amadis, Ces paladins si redoutables,Ceux que l'on vante dans les Fables,Les demi-dieux, les Gérions,Les Encelades, les Tiphons,Ceux de fabrique plus nouvelle, Les petits-fils de Gargamelle,Roland, Ogier le Danois,Rodomont, l'honneur des Gaulois,Fierabras, et toute leur suite,Ne sont bons qu'à prendre la fuite. THOMAS. C'est trop en dire pour un coup. BONIFACE. Vous ignorez. THOMAS. [Note : Voir le loup : Avoir de l'expérience : on ne m'en apprend pas.]J'ai vu le loup. BONIFACE. Sachez qu'à la fleur de mon âgeJ'étais un rude personnage[Note : Géuridon : Sur Guéridon et les guéridons, chansons et pièces comiques ou satiriques, etc., qui avaient pris nom de ce personnage burlesque, fort à la mode surtout pendant la première moitié du XVIIème siècle, on peut voir une longue note de M. Ed. Fournier (Variétés hist. et litt. t. VIII, p. 279).]À la guerre des Guéridons Je battais les plus furibonds,[Note : Soudrille : Terme de raillerie. Méchant et misérable soldat dont on ne fait point de cas. [F]]Je donnais leçons aux soudrilles,J'étais grand enleveur de fillesParce que j'étais furieux,On m'appelait le dangereux. Mais admirez, mon cher compère :Ce que jadis j'aimais à faire,Sans pitié du malheur d'autrui,Je me le vois faire aujourd'hui. THOMAS. Or... BONIFACE. Je vous plains, pauvres familles, Qui nourrissez de belles filles !Qu'heureuses sont les nationsFertiles en précautions ! THOMAS. Donc. BONIFACE. Qu'il fait sûr en Italie !Qu'il fait encor bon en Turquie ! Que l'on y garde bien l'honneur !Que ne suis-je le Grand Seigneur !J'aurais des gardes très fidèles,Qui répondraient de mes femelles. THOMAS. Quoi, je ne pourrai plus parler ! BONIFACE. Au diable puissiez-vous aller ! THOMAS. Au diable soit votre infortune ! BONIFACE. Au diable soit qui m'importune !Mais on a fermé ma maison. THOMAS. Cela sent bien la trahison ! Gardez-vous donc, mon cher compère,De faire ici le téméraire. BONIFACE. Aurais-je bien, dans mon effroi,Tiré cette porte après moi ? SCÈNE V. Boniface, Monsieur Thomas, ÉLISE et LISETTE. Qui va là ? THOMAS. Qui va là ! La peste ! L'intelligence est manifeste.Le suborneur a pris son tempsPour mettre garnison dedans ;Si j'entre, je veux qu'on m'étrille.Quelqu'un paraît à cette grille : C'est la femme du commandant. LISETTE. Quel est ce sot, cet impudent,Qui heurte avecque tant d'audace ? THOMAS. C'est un ami de Boniface. LISETTE, ouvrant la porte. N'est-il pas bien Monsieur pour vous ? THOMAS. Compère, halte à votre courroux !Votre fille s'est retrouvée. BONIFACE. On ne l'a donc pas enlevée. ÉLISE, à Lisette. Descends. BONIFACE. Mais l'avais-je rêvé ? THOMAS. D'un grand mal vous voilà sauvé ; Votre fille vient de paraître,Et je l'ai bien su reconnaître. BONIFACE. Ouvrez, ouvrez, ma fille, ouvrez. LISETTE. Entrez, Monsieur, Monsieur, entrez. BONIFACE. Dois-je la quereller, compère ? THOMAS. Avez-vous sujet de le faire ? BONIFACE. Hé bien donc, ne lui disons rien.Rentrez, sotte. Par quel moyenMe suis-je abusé de la sorte ? THOMAS. C'est que le soupçon vous transporte. BONIFACE. Ce soupçon n'est point mal fondéUn de mes amis m'a mandéQue j'observasse bien ma fille.Le scandale est dans ma famille,C'est ce qui me rend indigné ; [Note : Forligner : dégénérer, ne pas suivre la vertu, et le bon exemple de ses ancêtres, de ce dont on est issu ; faire quelque chose digne de leur race. [F]]Sans doute qu'elle a forligné. THOMAS. Mais n'avez-vous point quelque idéeDes gens dont elle est obsédée ! BONIFACE. Non, je crois que c'est un sorcierDe qui je me dois défier. SCÈNE VI. Boniface, Monsieur Thomas, Guillot. GUILLOT. Bien courir est un avantageQui me tire d'un grand naufrageGrâce au ciel me voilà sauvé.Comment ne m'ont-ils point crevé ?Comment ai-je évité le piège De cette graine de collège ?Mais, après tant de coups rués,Suis-je point au rang des tués ?M'ont-ils laissé la vie entière ?Je suis vif devant ; par derrière Ne m'auraient-ils point amorti ?Non, ou je n'en ai rien senti. BONIFACE. [Note : Sic, au lieu de appropinqua dans l'édition originale et unique, où nous avons du corriger plusieurs fautes grossières d'impression. [V. Fournel]]Appropinque, mon galant homme. GUILLOT. Ha ! Ce mot de latin m'assomme. THOMAS. Qu'as-tu ? GUILLOT. Je perds un bon métier : Depuis dix ans je suis portierDu collège de Crassinaille ;Mais une maudite canailleQue l'on instruit mal dans ce lieu,Soit par rancune, soit par jeu, Externes et pensionnaires,Se sont montrés mes adversaires,Et m'ont fait tant de maux divers,Que, las de les avoir soufferts,Afin de vivre d'autre sorte, Je renonce à garder la porte ! BONIFACE. Pourquoi, si tu t'y trouvais bien,Y renonces-tu ? GUILLOT. Quel moyenDe rester parmi tant de diablesQui sont irréconciliables ? Je les ai trop désobligés,Ils en voudront mourir vengésLas ! Ils me poursuivent en poupe. THOMAS. Gros boursouflé, gros ventre à soupe,Pourquoi les désobligeais-tu? GUILLOT. Pourquoi suis-je homme de vertu ?Ah ! Si j'avais souffert leurs vices,Leurs impudences, leurs malices,J'aurais été portier chéri !Mais las ! Je serais bien marri D'avoir gagné leur bienveillancePar une lâche connivence.Combien ai-je empêché le coursDe leurs criminelles amours ?Combien arrêté de commères, De revendeuses, de fruitières,Et d'autres gens qui, sous tels noms,Venaient friponner les fripons? BONIFACE. Cet homme est bien mon fait, compèreQu'en dites-vous? THOMAS. Rien de contraire. BONIFACE. Ami, voudrais-tu me servir ? GUILLOT. Monsieur, je suis prêt d'obéir. BONIFACE. Je suis veuf, et n'ai qu'une filleQui met le trouble en ma famille,Parce qu'elle a l'esprit coquet, Et qu'elle aime fort le caquet.Ce qui me met plus en cervelle,Plusieurs coquets sont aimés d'elle ;Ainsi je crains à tous momentsDe naturels événements, Et que quelque ardeur sensitiveNe porte à la copulative.Pour prévenir ces accidents,Et suivre des conseils prudents,Soit que ma fille, ou non, s'en fâche, Je veux donner à cette vacheDes Argus pour la surveiller. GUILLOT. Je n'aime point à sommeiller,Ou je dors la paupière haute ;Ainsi je ne puis faire faute. THOMAS. Mais la gardant, garderas-tuCe que l'on appelle vertu ? GUILLOT. Oui, monsieur. THOMAS. Je te tiens habile ;Mais, vois-tu, l'honneur d'une filleEst un oiseau prompt à partir. GUILLOT. C'est bien fait de m'en avertir.Après cela, laissez-moi faire :[Note : Grec : Fig. être grec en quelque chose, y être habile, trop habile.[L]]Je suis grec eu pareille affaire. BONIFACE. Allons le mettre en faction.Ça, viens prendre possession De ton emploi. GUILLOT. J'en meurs d'envie. BONIFACE. Compère, attends-moi, je te prie. THOMAS. Je le veux ; mais je suis un fat,De ne pas songer que le chatPourrait bien desservir ma table. C'est trop faire le secourable. SCÈNE VII. Monsieur Thomas, Cléandre, habillé en Turc. CLÉANDRE, bas. Voici quelqu'un de ses voisins. THOMAS. Allons-nous, bourrer les boudinsAvec notre grand voisin Cosme.D'où diable est sorti ce fantôme? [Note : Rétif : Qui s'arrête, ou recule au lieu d'avancer. [F]]Si je fais ici le rétif,Je vais être empalé tout vifFuyons. CLÉANDRE. Monsieur, restez de grâce. THOMAS. Je n'oserais le voir en face. CLÉANDRE. Daignez me parler un moment. THOMAS. [Note : Mohamétan : Celui ou celle qui fait profession de mahométisme. [F] C'est à dire qui suit les les écrits de Mahomet en matière de Religion.]Ah ! Monsieur le Mahométan,Je suis un pauvre misérable,Qui craint un Turc autant qu'un diable. CLÉANDRE. Sortez de votre illusion :Je suis de votre nation. Quoi que mon habit me déguise,Ma naissance me déturquise. THOMAS. Vous n'êtes pas Turc ? CLÉANDRE. Non, monsieur. THOMAS. Je ne sais si c'est une erreur,Ni même ce que j'en dois croire. CLÉANDRE. Un petit bout de mon histoireVous en instruira pleinement. THOMAS. J'aime l'histoire horriblement :Apprenez-moi la toute entière. CLÉANDRE. J'y trouverais trop de matière. SCÈNE VIII. Thomas, Cléandre, Boniface. CLÉANDRE. [Note : Il y a évidemment ici deux Vers passés à l'impression on le voit à la double lacune du sens et des rimes masculines. Mais, comme il n'existe qu'une édition de la pièce, I n'y a aucun moyen de les rétablir.]Très volontiers ; prêtez silence.Mais je vois quelqu'un qui s'avance. THOMAS. C'est mon voisin, ne craignez rien. BONIFACE. Ha ! Compère, que tout va bien ![Note : Trogne : Terme burlesque qui se dit d'un visage gros et laid, ou qui est rouge et boutonné, comme celui d'un igvrogne. [F]]Mais quelle est cette étrange trogne ? THOMAS. Chut, chut! CLÉANDRE. La reine de PologneS'en allant pour trouver son roiComme elle avait besoin de moiPour l'entretien de sa coiffure,(Car je coiffe mieux qu'en peinture) [Note : Il s'agit de Marie de Gonzague, partie, vers la fin de 1645, pour aller rejoindre le roi de Pologne, Ladislas, qui l'avait épousée par procuration le 10 novembre à Paris. Elle emmenait avec elle Champagne le coiffeur. [V. Fournel]]Me voulut avoir dans son trainSous espérance de grand gain,Je suivis cette grande reineQui m'a bien payé de ma peine.Las d'être si loin engagé, Je lui demandai mon congé,Afin de retourner en France ;Je l'obtins, puis en diligenceJe m'embarquai pour mon retour.[Note : Le voyage en Pologne est vrai, mais le séjour en Turquie est sans doute une invention de Boucher, afin d'avoir un prétexte à introduire sur la scène Champagne déguise en Turc, et de produire une de ces mascarades qui étaient à la mode sur le théâtre, et dont Molière allait bientôt donner un exempte singulier avec le mamamouchi du Bourgeois gentilhomme. [V. Fournel]]Mais, hélas ! Dès le premier jour, Venant d'éviter un naufrage,Je tombai dedans l'esclavage ;Par un vieux corsaire d'Alger,De chaînes je me vis charger,Ainsi conduit droit en Turquie, Où je croyais passer ma vieDans le serail du Grand Seigneur,Où je fus placé par bonheur,Pour y coiffer toutes les belles,Et même pour veiller sur elles. THOMAS. [Note : C'est fort possible, en effet, et Champagne était un personnage assez connu pour que la Gazette s'en occupât. Je dois dire pourtant que je n'y ai trouvé nulle mention de Champagne, en cherchant aux trois dates qui eussent dû le plus naturellement amener cette mention, c'est-à-dire en 1645, dans tous les numéros où il est question du mariage de Marie de Gonzague et de son départ pour ta Pologne, en 1650, lors du retour de Champagne, et à la fin de 1658, à sa mort. [V. Fournel]]La Gazette a parlé de vous ;Et je vais gager entre nousToutes les richesses d'EspagneQue vous êtes monsieur Champagne. CLÉANDRE. Vous l'avez deviné, monsieur : Je suis Champagne le coiffeur. THOMAS. Votre aventure est admirable ! CLÉANDRE. Elle m'a rendu misérable ;Ha ! Que les Turcs sont inhumains ! THOMAS. Vous ont-ils fait sentir leurs mains ? CLÉANDRE. Hélas ! THOMAS. Mais encor, quel martyreVous ont-ils fait ? CLÉANDRE. À vous le dire,J'aurais trop de confusion :Ha ! La barbare nation ! BONIFACE. Mais ils n'empalent plus le monde. CLÉANDRE. Leur rage est pourtant sans seconde.Las ! Que ne m'ont-ils empalé,Écorché tout vif et brûlé !J'aurais assouvi leur envie,Sans regret de quitter la vie. BONIFACE. Vous croyez donc qu'il est un sortBeaucoup plus rude que la mort ?Serait-ce point ? Mais j'appréhendeDe faire une sotte demande. THOMAS. Ils vous ont donc, les inhumains, Rendu léger de quelques grains ? CLÉANDRE. Monsieur, vous... THOMAS. Votre langue hésiteVous êtes de ces gens d'éliteDont tout le sérail est rempli ?Votre teint en est embelli. Avouez entre nous la chose,Et je vous promets bouche close. BONIFACE. Qu'est-ce qui le rend si craintif ? THOMAS. C'est qu'il n'est plus génératif.Ce secret demande le vôtre. BONIFACE. Ha ciel ! Quel bonheur est le nôtreMon ami, dites franchement,Voudriez-vous présentementPrendre emploi ? CLÉANDRE. C'est bien mon attenteSi l'occasion s'en pésente. BONIFACE. He bien donc, sans autre raisonJe vous offre dans ma maisonUne charge, avec un asile:La charge est de garder ma fille. THOMAS. Vous entendez bien le détail. CLÉANDRE. Ayant servi dans le Sérail,Je sais ce qu'il faut que j'observe,Et je suis à vous sans réserve. BONIFACE. Devant que d'entrer au logis,Un petit mot de votre avis Comme je sais l'humeur d'Élise,De crainte qu'elle soit surpriseDe ces domestiques nouveaux,Trouverez-vous pas à proposQue j'ôte à son âme crédule Et le soupçon et le scrupuleQu'elle pouvait sans doute avoirD'un juste et rigoureux pouvoir ?Car les filles sont ombrageuses :La mienne aime fort les coiffeuses : La Durancey, la JeannetonLa Poulet et la Bariton,L'attirent chaque jour chez ellesAu bruit des coiffures nouvelles.Or c'est un prétexte qu'elle a D'aller courir par-ci par là.Donc, pour flatter sa fantaisie,D'une façon fort adoucie,Je veux lui faire pressentirQue Champagne est pour la servir ; Que, comme en cet art il excelle,Je l'ai pris tout exprès pour elle.Ainsi, de son consentement,Il fera sa charge aisément,Sans que jamais on le soupçonne. THOMAS. Certes votre raison est bonneLa suivant on ne peut faillir. BONIFACE. Çà donc, je m'en vais l'avertir.Hola, hola, hola, Lisette ! LISETTE, paraît à la porte. Monsieur, je mettais la toilette ; Mademoiselle attend après. BONIFACE. Quand elle le ferait exprès,La chose ne pourrait mieux être. LISETTE. Que vous plaît-il donc, mon cher maître ? BONIFACE. Ouvre la salle promptement, Et qu'Élise au même momentS'y rende, et Guillot avec elle ;Et surtout dis lui pour nouvelleQue j'ai pris pour mon serviteurChampagne, l'illustre coiffeur. Penses-tu que cela lui plaise ? LISETTE. Monsieur, que je vais la faire aise ! THOMAS. Puisque vous retournez chez vous,Comme tout est libre entre nousTrouvez bon que de même j'entre En ma maison, comme en mon centre,Certain qu'au premier carillon,Aussi vite qu'un tourbillon.,Je fondrai sur vos adversaires,Si... BONIFACE. J'ai mis ordre à mes affaires. THOMAS. Bonsoir et bonne nuit. BONIFACE. Bonsoir. THOMAS, s'en allant. Turc, faites bien votre devoir. SCÈNE IX. Boniface, Cléandre, Guillot, Lisette. La salle s'ouvre. BONIFACE. Ma fille, êtes-vous satisfaiteDe l'élection que j'ai faite ?Cet homme entend l'ajustement, [Note : La Prime était l'un des plus célèbres coiffeurs de l'époque. Tallemant des Réaux nous apprend, dans Historiette de Voiture, qu'on lui donnait 800 livres de pension pour coiffer Mme de Fénestreaux, et l'abbé d'Aubignac, dans sa Relation du royaume de coquetterie, parle de « la science de coiffer, en deux parties, dont l'une est intitulée La Prime et l'autre Champagne. » [V. Fournel]]Mieux que La Prime assurément. ÉLISE, devant sa toilette. On m'a tant vanté son adresse,Que déjà le désir me presseDe voir mes cheveux en ses mains. CLÉANDRE. Quoi que chacun ait ses desseins, Je fais toujours que ma méthodeEst le modèle de la mode.Sur tout je donne des leçons.Je sais natter en cent façonsJe coiffe en coquette, en Diane, En impératrice, en sultaneEn cheveux longs en cheveux courts,Selon la taille et les atours.Je sais prendre l'air du visage,Selon les traits et selon l'âge [Note : Taper les cheveux : Friser les cheveux en les battant un peu avec le peigne pour les faire tenir contre le visage. [F]]Je sais taper, je sais friser,Je sais posticher et raser,Je tourne la boucle à merveille ;Bref, mon adresse est sans pareille.En Pologne j'ai réussi, Et dedans le sérail aussi,Si bien que je prétends encoreVous coiffer mieux que n'est l'Aurore. ÉLISE, étant devant sa toilette. Que dites-vous de mes cheveux ? CLÉANDRE. Ils sont beaux et déliés. ÉLISE. Je veux [Note : Moustaches : les perruques étaient souvent garnies de moustaches, c'et à dire de longs appendices qui tombaient sur les côtés, derrière l'oreille. [V. Fournel]]Que vous défrisiez mes moustaches. CLÉANDRE. Madame, on vous les tient trop laches,[Note : Papillote : Et aussi un petit morceau de papier de taffetas dans lequel on enferme les cheveux, afin qu'ls se tiennent frisés. [F]]La papillote pend trop bas. ÉLISE. Pour ce coup il n'importe pas. CLÉANDRE. Voyez, l'une en l'autre se fourre. BONIFACE. Tournez-les bien en tire-bourre.Bon, c'est ainsi que je l'entendsPour le reste prenez du temps.Cependant je m'en vais écrireQuelques dépêches pour l'Empire. SCÈNE X. Élise, Cléndre, Guilot, Lisette. CLÉANDRE. Après ce que j'ose pour vous,Madame, mon sort serait doux,Si l'occasion opportunePouvait achever ma fortune.La chose est en votre pouvoir, Vous n'avez donc qu'à le vouloir. ÉLISE. Ha, ne me pressez point, Cléandre,Lorsque je ne puis me défendre .Usez en généreux vainqueurDe la conquête de mon coeur. Votre foi fait mon assurance,Mais faisons tout avec prudence. LISETTE. Madame, vous parlez trop haut,C'est là toujours votre défautVotre père a l'oreille bonne. Comme je sais qu'il vous soupçonne,Et vous observe incessamment,Il faut parler plus nettement,Pour conclure votre retraite,Qui déjà devrait être faite Mais comme il est bon de presser,Entre vous daignez y penser. GUILLOT. Mignonne, dis-moi, la toilette... LISETTE. Hé bien, qu'est-ce ? GUILLOT. Est-elle complète ? LISETTE. Tant que nous en avons besoin. GUILLOT. En la mettant, as-tu pris soinD'y ranger toutes les denréesPar qui beautés sont réparées ?As-tu mis sous ce taffetasLe magasin des faux appas? LISETTE. Insensé,que me veux-tu dire ?Penses-tu que je veuille rire ? GUILLOT. Je te prie, aimable animal,Ne prends pas les choses si mal.Avec mon humeur ingénue, Je n'ai pas toujours la berlue,Et je sais de fort bonne partQu'il est peu de beautés sans art,J'entends, qui ne se débarbouilleOu bien plutôt qui ne s'enrouille, Quoi qu'il en soit, qui pourrait bienParaître sans employer rienMais, pour être plus regardées,Toutes veulent être fardées.Vois-tu, je le sais mieux que toi, Et tu dois croire, sur ma foi,Quoi que ta maîtresse soit belle,Que sa fraîcheur soit naturelle,Que son teint soit blanc et rosé,Qu'elle n'ait point le cuir bronzé, [Note : Bouche bien meublée : Qui a toutes les dents.]Que sa bouche soit bien meublée,Qu'elle ait la taille bien taillée,Je crois que dessous ce satinElle a mille drogues et son train.Ça, visitons cette toilette. Que tu fais la sotte, Lisette !Laisse-moi voir à mon loisir.Bon, voici du noir à noircir ;C'est pour les sourcils. LISETTE. Tu te moques ?Que garde-t-on en cette coque ? Des pépins de coins, et de l'eau. GUILLOT. Pour gommer, le secret est beau,Parce que la gomme arabiqueEst trop forte en cette pratique.Qu'est ceci ? LISETTE. [Note : Alun : Espèce de sel fossile et blanc, qui se trouve mêlé parmi la terre. [F]]C'est un peu d'alun. GUILLOT. Et là ? LISETTE. C'est du rouge commun. GUILLOT. Le vermillon et la céruseSeront là, si je ne m'abuseOuvrons ces papiers : j'ai bien dit.Ne crèves-tu point de dépit? LISETTE. Ha ! Guillot, laisse-là le reste. GUILLOT. Crie, ou prie, ou menace, ou peste,Je veux me satisfaire enfin.Qu'est-ce que je sens sous ma main ?Un ratelier de dents, sans doute ; Il faut le voir, quoi qu'il en coûte.Non, c'est un bracelet de prix ;Pour ce coup je me suis mépris.Est-ce ici que l'on prend la mouche? LISETTE. Tu peux bien voir ce que tu touches. GUILLOT. Tu prends plaisir à bégayer.Elles sont de la Mestayer :Je les connais bien à la taille ;Les autres ne sont rien qui vaille.Lisette, approche ton menton, Que je t'y mette ce gros ton.Sans doute en cette boîte noire,Sont yeux d'émail, et dents d'ivoireHa ! J'ai tort, ce sont des cheveux.En voici pour plaire à tous yeux. Quoi qu'en brun j'estime ta mine,Approche que je te blondine.À quoi sert ce petit outil ? LISETTE. C'est pour arracher le sourcil. GUILLOT. Voyons tout le reste à la hâte [Note : Opiate : terme de médecine. C'est un nom qu'on donne souvent aux confections, antidotes et électuaires. C'est une général un remède interne diversemment composé de poudres, de pulpes, de liqueurs, de sucres ou de miel. [F]]De l'opiate, de la pâte,Tant pour les mains que pour les dents.Que renferme-t-on là dedans ?De la brique pulvérisée !Ma vue est ce coup abusée C'est plutôt du sang de dragon,[Note : Coral : ou Corail. Plante maritime qui croît au fond de la mer. [F] Au XVIIème, le Corail est une plante et no n un animal.]Ou du coral en poudre ; bon !Ha ! Voici la fine pommadeDont on guérit le teint malade ;La boîte aux peignes, la voilà. Je crois qu'il s'en faut tenir là.Hé bien, Lisette, dis encoreQue tant de beautés qu'on adoreSont sans emprunt et sans défaut,Et je te croirai, s'il le faut. LISETTE. Si j'osais croire mon courage,Je déchirerais ton visageMais je crains de faire du bruit. CLÉANDRE. Voyez à quoi je suis réduit,Et puisque la feinte est propice, Profitons de cet artificeAllons, Madame, éloignons-nous. ÉLISE. Oui, je consens à tout pour vous.À la charge que l'hyménéeNous unira cette journée. CLÉANDRE. J'accepte la condition.Donnons dedans l'occasion. GUILLOT. La porte est ouverte, la belle,[Note : Venelle : Terme populaire qui se dit en cette phares "enfiler la vennelle", pour dire s'enfuit.]Enfilez vite la venelle. ÉLISE, en sortant. Sauvez-moi d'un père irrité. CLÉANDRE. Fiez-vous en ma probité. SCÈNE XI. Cléandre, Élise, Guilot, Lisetten Thomas. GUILLOT. Ha ! Monsieur, que faut-il qu'on fasse ?Voici l'ami de Boniface. THOMAS. Quoi, Turc, vous quittez la maison ? CLÉANDRE. Tais-toi. THOMAS. Trahison, trahison ! ÉLISE. Comment sortir de ces alarmes ? THOMAS. Aux armes, Boniface, aux armes ! CLÉANDRE. [Note : Maraud : Terme injurieux qui se dit des gueux, des coquins qui n'ont ni bien ni honneur, qui sont capables de faire toutes sortes de lâchetés. [F]]Maraut, vois-tu bien ce poignard ?Je t'en perce de part en part,Si tu t'opposes à ma retraite. THOMAS. La mienne sera bientôt faite,;Monsieur, je ne m'oppose à rien,Car j'aurais tort. CLÉANDRE. Tu feras bien. THOMAS. Si vous avez besoin d'escorte... CLÉANDRE, s'en allant. Je t'en remercie. THOMAS. À ma porte, Et devant moi me maltraiterJe devais bien les arrêter. GUILLOT, revenant sur ses pas. [Note : Coquin : terme injurieux qu'on dit à toutes sortes de petites gens qui mènent une vie libertine, friponne, fainéante qui n'ont aucun sentiment d'honnêteté.]Hé quoi, coquin, tu nous regardes !As-tu point peur qu'on te poignarde ? THOMAS. Monsieur, je ne regarde pas. GUILLOT. Vois-tu, si... THOMAS. Je mets armes bas.Boniface en tient pour son compte. SCENE XII. Monsieur Thomas, Boniface. BONIFACE. Allons réparer notre honte. THOMAS. Où sont-ils ? Qu'est-ce qui va là ?C'est donc vous, traistre ! BONIFACE. Hola, hola. THOMAS. Morbleu, je ne fais point de grâce. BONIFACE. Doucement je suis Boniface.Avecque ce maudit outilVous m'avez blessé le nombril. THOMAS. Mon pauvre ami, c'est chose faite, Les enleveurs ont fait retraiteJ'en suis encor tout plein d'effroi. BONIFACE. Quoi, l'on abuse ainsi de moi !Qu'en dira-t-on parmi la ville ? THOMAS. Pourquoi refuser votre fille À des partis avantageux ? BONIFACE. Hélas, que je suis malheureuxJe me vois sans fille et sans gendre.Que n'acceptais-je ce CléandreQu'un ami m'avait proposé ! Ah ! Que je fus mal avisé ! SCÈNE DERNIÈRE. Boniface, Monsieur Thomas, Cléandre, Élise, Guillot, Lisette. THOMAS, voyant venir Cléandre. Voisin, notre mort est certaine. CLÉANDRE. Monsieur, pour vous tirer de peine,Je viens... BONIFACE. Ha traître, il faut mourir. CLÉANDRE. Je saurai bien m'en garantir, Si l'on me force à me défendre. GUILLOT. Dites que vous êtes son gendre;Aussi bien il s'en faut très peu. THOMAS. Je n'ose me mêler au jeu. CLÉANDRE. Apprenez que je suis Cléandre, Qui veut devenir votre gendre. BONIFACE. N'est-ce point encor m'abuser ? CLÉANDRE. Mon dessein me peut excuser. GUILLOT. Pour rendre t'excuse parfaite,J'offre aussi d'épouser Lisette. THOMAS. Je suis d'accord de l'union. BONIFACE. Je suis plein de confusion.Mais vous étiez tantôt Champagne. CLÉANDRE. Champagne est mon nom de campagne. ÉLISE. Mon cher père, pardonnez-nous. CLÉANDRE. Acceptez-moi pour son époux. GUILLOT. Mon maître est homme de mérite ;D'ailleurs je vous en sollicite. BONIFACE. Hé bien donc, je consens à tout. GUILLOT. Lisette, nous sommes au bout De nos travaux. LISETTE. Oui, que t'en semble ? GUILLOT. Que nous serons bientôt ensemble,Et que devant trois fois trois moisTu chanteras à pleine voix[Note : Pâtés : On dit d'une femme en travail d'enfant qu'elle crie les petits pâtés, pour dire qu'elle crie bien haut, qu'elle souffre beaucoup. à (Leroux, Dictionnaire Comique.). Parmi les cris de Paris, ceux des marchands de petits pâtés comptaient au nombre des plus bruyants. [V. Fournel]]Des petits pâtés. LISETTE. [Note : Folâtrer : Faire des actions ou avoir des entretiens folâtres, plaisants, agréables, peu sérieux ; badner, faire des petites folies. [F]]Tu folâtres. GUILLOT. Tu te feras tenir à quatre,Quand viendront ces petits marmots.Que nous en aurons de GuillotsLa race de ta GuillotièreSera comme une pépinière. ==================================================