******************************************************** DC.Title = JÉSUS-CHRIST, TRAGÉDIE DC.Author = BOHAIRE-DUTHEIL, Nicolas de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:18. DC.Coverage = Israël DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BOHAIRE_JESUSCHRIST.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9606250q DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** JÉSUS-CHRIST OU LA VÉRITABLE RELIGION. TRAGÉDIE 1792 Par M. DE BOHAIRE À PARIS, Chez la Veuve DUCHESNE et Fils, Libraires, rue Saint-Jacques, au Temple du Goût. LETTRE de l'Auteur, aux Comédiens du Théâtre de la Nation. Messieurs, Je vous ai présenté ma Tragédie, intitulée: Jésus-Christ, ou la véritable Religion. Ce genre étant nouveau, vous avez paru désirer qu'il acquît une sorte de consistance dans le Public auparavant de vous décider à la représenter. Les Cultes sont libres, la nature l'a dit avant nos lois ; la morale du nôtre paraît la plus conforme à la raison, surtout quand on s'en tient à l'Évangile. Mon but est d'en apprécier, en quelques sorte, le véritable sens en faisant parler, mettant en action ses différents caractères, et d'ajouter, s'il est possible, à la publicité du sublime d'une oeuvre, que J.-J. Rousseau lui-même a citée comme divine. Je déclare d'ailleurs , que je n'ai pas entendu, et que je n'entends point prendre aucune part dans les querelles scolastiques, et autres, relatives à la Religion ; ma Tragédie n'est que l'extrait de l'Évangile : heureux ! si mon style a pu atteindre l'énergie de ce prodige en morale ! Je dois prévenir, que la lecture d'un ouvrage aussi important, ne convient pas aux esprits faibles et susceptibles de préjugés ; ces gens-là ne voudront jamais voir d'un bon oeil, la représentation d'un tel sujet sur le théâtre. Je désire modeler le spectacle de cette pièce sur celui d'Athalie ; former des choeurs et même des danses. Je me propose, de vous engager à prier l'Académie de Musique de vouloir bien se prêter à contribuer, autant qu'il sera en elle, à l'éclat et à la pompe de la représentation, en y faisant paraître aussi les sujets dont les talents nous sont si précieux dans le chant et la danse. Certes, un spectacle qui donnerait un ensemble aussi parfait, ne pourrait manquer d'avoir un grand succès, il s'exécuterait tour-à-tour dans la salle de l'Opéra et dans la vôtre. J'enverrai des exemplaires aux différentes personnes en place ; en les suppliant de s'y intéresser, et de faire en sorte que mon projet soit exécuté. Je terminerai, Messieurs , par vous renouveler une observation que je vous ai déjà faite, relativement à la manière dont vous décidez du sort des nouvelles pièces. L'acteur est, sans-doute, un des premiers à consulter sur cet article ; mais avec tout cela, la réputation de l'auteur ne doit pas dépendre de la seule opinion du comédien. Or, l'on sait qu'à force d'intrigues, vous vous trouvez assaillis, et forcés quelquefois d'accueillir le faux mérite, tandis que par la même raison, le véritable talent ne pourrait s'approcher de vous. Il faudrait donc un Comité, pour juger les nouvelles Pièces. Gardons-nous de le composer comme nos nouveaux Tribunaux. Que la morgue de l'Acteur n'égale pas celle de certains Avocats [1]. Ces derniers se sont distribués les places de Juges : ne les avoir choisi presque tous que parmi les avocats, cela a été aussi abusif, que si on ne les eût pris que parmi les procureurs. Les uns dédaignent trop la forme, et les autres en sont les esclaves. Pour éviter un abus semblable, il faudrait que le Comité fut composé d'un nombre égal d'auteurs et d'acteurs. L'auteur pourrait défendre sa pièce, être présent à la décision; on établirait d'ailleurs le régime nécessaire : la Comédie en corps ne serait jamais consultée, que d'après la décision du Comité ; en tout temps, il lui serait libre de faire ou de ne pas faire la dépense de la représentation ; de manière que, comme on le voit, ses droits seraient toujours conservés. Seulement, les ouvrages acquerraient plus de crédit ; on ne ferait pas attendre aussi longtemps les auteurs; et si la Comédie refusait de faire la dépense de la représentation, la gloire de l'auteur n'en souffrirait pas au moyen de la décision du Comité, quand elle serait favorable, et alors elle pourrait s'imprimer et publier avec succès. Dira-t-on que les Auteurs refuseront de se trouver avec les Acteurs ? Ils seraient bien petits ! S'il leur restait encore des préjugés, surtout, dans le temps où nous existons. À cet égard, je suis toujours étonné qu'un corps tel que celui des comédiens, aussi utile aux beaux arts , aussi considérable dans l'État, n'ait pas un seul sujet à l'Assemblée Nationale et à l'Académie. Par exemple , MM. de Larive et Monvel, ne valent-ils pas ces Cuistres d'Avocats, qui déshonorent ceux dont j'ai parlé ? L'un serait-il donc si déplacé à l'Assemblée, et l'autre à l'Académie [2] ? Ô préjugés !.... préjugés! Et nous nous vantons de n'en avoir plus ! Ah ! Que nous sommes encore éloignés du but que nous prétendons avoir atteint ! Monarque ou Sujet, Général ou Soldat, Auteur ou Danseur, Orateur ou Scribe, avec tous, ce monde est un Théâtre, chacun en est l'Acteur, pour jouer le rôle que le hasard lui a distribué: mais les vertus et les talents, seuls, distinguent le Comédien, tel que soit son genre, sublime ou mince, triste ou gai. Je suis avec la plus grande considération, Messieurs, Votre, etc. [1] Je dis certains, parce qu'il s'en fait bien que je veuille attaquer en général l'ancien ordre et le nouveau ; l'on sent en effet que parmi les Jurisconsultes, il y a de grands sujets, et beaucoup. [2] La profession de Comédien était honorable à Syracuse et à Athènes. ACTEURS JÉSUS. PILATE. CAÏPHE. MADELEINE. ZÉLINE, Confidente de Madeleine. PRINCES DES PRÊTRES. PRÊTRES ET DOCTEURS. PEUPLE ET SOLDATS. La scène est à Jérusalem, savoir : pour le premier Acte, sur une Place ; pour le second, dans le Temple ; pour le troisième, dans le Jardin des Oliviers ; pour les quatrième et le cinquième, dans un lieu pris le Calvaire. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Pilate, Caïphe. CAÏPHE. Quoi ! Seigneur ! Vous pourriez croire à telle imposture ! Confondre l'Éternel avec sa Créature ! Le fils d'un charpentier, le plus vil séducteur,Vous ferait respecter son culte et son erreur. PILATE. J'admire sa sagesse et prise son système ; Ce sont ses qualités que j'estime et que j'aime ;Une morale pure anime ses discours,Et par la bienfaisance, il dirige ses jours,L'aménité le guide, et tant de modestie,Par le moindre forfait n'est jamais démentie. Juste, humain et traitable , ou pauvre ou fortuné,L'homme de bien, par lui, fut toujours couronné :Jusqu'à ses ennemis, il leur pardonne en frère.Ha ! S'il n'est point leur Dieu, n'est-il donc pas leur Père ? CAÏPHE. Ainsi ce personnage, avec humilité , Peut se déifier , vous aurez la bontéDe l'adorer partout, de croire en ses miraclesQue ses moindres propos nous sont autant d'oracles ;Et ses Disciples même , enhardis par vos voeux,.Se font donner aussi pour autant de vrais Dieux ; Eux, des grossiers humains, ramassés sur des placesEt confondus avec de viles populaces !Voilà quels sont les Dieux qu'il nous faudra choisir ?Non, non, Pilate, en vain on veut nous avilir !Grand Dieu ! Dieu d'Abraham ! Ha ! Par un faux mérite, Laisse-tu triompher un fourbe , un hypocrite ?Est-ce là le Messie, est-ce là le SauveurQui pour ton peuple, au Ciel est le médiateur ?Souffriras-tu que moi , le premier de tes Prêtres,Sois forcé de céder à des intrus, des traîtres ? Caïphe t'en conjure, ô vrai Dieu d'Israël,Éloigne un imposteur menaçant ton autel !Et si, pour nous sauver, tu dois par un MessieDe tes divins décrets remplir la prophétie,Honore dans ton choix un plus noble sujet Qui de tout ton éclat nous montre au moins l'effet.Puisses-tu couronner la richesse ou naissance,Ne point nous avilir dans l'affreuse indigence ! PILATE. Si je me peins un Dieu, je me peins ses vertus, Et se le peindre ainsi, c'est le voir dans Jésus. Votre Religion vous promet un Messie ;Vous attendez l'effet de cette prophétie.Un Dieu, m'avez-vous dit, sous les traits d'un mortel, Doit descendre ici bas pour nous ouvrir le ciel.Et quel mortel plus digne en ces lieux d'injustice , Peut chasser de vos coeurs la noirceur, la malice ? Il est affable et doux, il pardonne aisément, Et pour faire du bien il est toujours ardent. Qu'on soit puissant ou riche , ou bien dans la misère, Il aime son prochain, et tout homme est son frère. Il fait grâce au coupable, et par lui consolé, Pour s'éloigner du crime, il devient plus zélé ; Et c'est par sa douceur, cette grande clémence , Que du Peuple en ces lieux il a la confiance. Puisqu'il vous faut un Dieu, choisissez celui-ci, Et nous autres Romains, ha ! Puissions nous aussi En avoir un pareil ! Car, à voir nos idoles, Qui pourrait retenir ses écrits, ses paroles ? Nous adorons, la pierre ; et le bois bien sculpté Est, comme un Dieu, par nous dans Rome respecté ; Et plus grossiers encor les Égyptiens barbares ; Dans leur aveuglement, se font des Dieux bizarres : L'encensoir à la main, suivant les animaux, Ils s'estiment bien moins que leurs vils bestiaux. Jésus veut réformer tous ces absurdes cultes ; Contre les siens et lui pourquoi tant de tumultes ?... Loin de le traverser, vous Ministre d'un Dieu , Accueillez son projet ; et Pilate en ce lieu Estimant votre zèle et suivant votre exemple,D'un mortel vertueux ornera votre Temple. CAÏPHE. Quoi ! Vous Pilate ! Aussi, vous, notre Gouverneur !L'envoyé des Romains ! Pour un tel imposteur Vous prêtez votre organe ? Et de votre Patrie Trahissant tous les Dieux, vous voulez un Messie ? PILATE. Je ne vous trahis point, je défends les vertus ; Je vous vois à regret calomnier Jésus ; Mais dans un autre instant vous parlant sans mystère Je vous dirai ce que je blâme ou considère ; Nous pourrons raisonner de la religion, Qui nous convient à nous à votre Nation. J'aperçois Madeleine ; elle gémit, soupire, Hélas ! Dans ses remords chacun ici l'admire ? Ne l'interrompons point, laissons son coeur en paix ; Puisses-t-il être heureux au gré de ses souhaits ! SCÈNE II. MADELEINE. Ô grand Dieu ! Madeleine à tes pieds prosternée, Implore ta clémence ! Elle-même étonnéeDe l'état déplorable où ses affreux excèsOnt plongé sa jeunesse ; et craignant les progrèsDe sa faiblesse extrême, elle fond dans ses larmes,Et ne voit plus la fin de ses sujets d'alarmes. En vain la pénitence , en vain l'austéritéLui présentent l'espoir d'exciter ta bonté :Grand Dieu ! Si tu ne vois mon repentir sincère.Madeleine périt de douleur et misère !Ô Jésus ! Ô mon Maître ! Ô vertueux Pasteur ! Tout nous annonce en vous un Messie, un Sauveur.Daignez prier pour moi, que le Dieu votre Père ,Connaissant mes remords, apaise sa colère !Ciel ! Le voici Jésus !... Environné des siens ,Et suivi, dans ces lieux, de plusieurs citoyens ! SCÈNE III. La Précédente ; Jésus, Disciples, Peuple, Prêtres, Docteurs. MADELEINE, se prosternant. Jésus !... JÉSUS. Relevez-vous !.... Allez , ô Madeleine ! La foi, le repentir vont briser votre chaîne. En vain l'esprit impur, pour régner sur vos sens , Accable votre coeur de funèbres accents ; Cette âme est toute au Ciel ; désormais la sagesse, Par le calme et la paix, portera l'allégresse... Relevez-vous, vous dis-je, et connaissez un Dieu, Un Père et juste et bon, indulgent en tout lieu  ;Consolant ses enfants, et loin d'aigrir votre âme,À le glorifier soyez toute de flamme ! Allez, marchez en paix ! SCÈNE IV. Les Précédents, excepté Madeleine. UN DOCTEUR. L'ai-je bien vu, Seigneur ? Vous-même pardonnez aux vices de son coeur. JÉSUS. Il faut vous expliquer pourquoi je la console ;Je vais vous réciter certaine parabole :« Un riche Pharisien avait deux débiteurs, Qu'il venait à l'instant d'aider dans leurs malheurs :L'un de cinq cents deniers et l'autre de cinquante ;Il avait su calmer leur détresse pressante ;Il leur remit la dette.» Or, dites-moi , Docteur,Lequel devait le plus à son vrai bienfaiteur ? LE DOCTEUR. Sans doute le premier. JÉSUS. Ainsi, la bienfaisance Est le vrai contre-poids de la reconnaissance. Allez , je vous le dis ; plus vous accorderez , Plus on vous aimera, plus vous vous aimerez, Plus vous serez heureux ; c'est la tendre indulgence Qui, d'un être immortel, consacre l'existence. Heureux le Citoyen, Soldat ou Général, Qui peut, par des bienfaits, s'attacher son égal ! Devant l'Être-suprême un homme n'est qu'un home, La grandeur d'ici bas n'en accroît pas la somme. Ou vrai juste, ou pêcheur, n'est-on pas son enfant ?Remettre en droit chemin un être chancelant,Est un signe certain de la vaste puissanceD'un Dieu qui veut régner par l'auguste clémence. SCÈNE V. Les Précédents ; Un Bourgeois. LE BOURGEOIS, à Jésus. Une veuve , Seigneur, et plusieurs orphelins, Réclament le bonheur de vos secours divins  ;Ils désirent vous voir : en danger et malade,Pressé par le besoin, l'un d'eux, se persuadeQue vous seul, à ses maux, pouvez remédier.Pour que vous l'alliez voir je viens vous supplier. JÉSUS. Je marche sur vos pas. SCÈNE VI. Il reste deux Prêtres. L'UN D'EUX. Je connais ce malade,Je le sais incurable, et s'il se persuadeDe pouvoir le guérir, Jésus, dès aujourd'hui,Va dessiller les yeux de ce peuple séduit ;Mais, avançons plus loin, et que je t'entretienne... Je vois venir ici Zéline et Madeleine. SCÈNE VII. Madeleine, Zéline. MADELEINE. Je m'attache à Jésus, et l'amour le plus pur,Pour marcher vers le Ciel, me montre un chemin sûr ;Mon coeur est tout à lui, je lui donne mon âme ;Va, rien ne peut changer cette céleste flamme. ZÉLINE. Si Jésus est un Dieu, croyez-vous que l'amourPeut vous faire espérer le plus léger retour ?Aux bonnes actions Jésus toujours se livre,Et c'est le seul plaisir dont son âme s'enivre :Vous pouvez l'adorer ; mais l'aimer dans l'espoir Qu'une amante pourrait avec un autre avoir,C'est se tromper, Madame : en vain d'une allianceVous pouvez pour un Dieu méditer l'espérance. MADELEINE. J'aime, j'aime en Jésus et la gloire et l'honneur ;Non, aucun fol espoir n'a prise sur mon coeur. Qui peut aimer un Dieu sait maîtriser son âme,Et je ne serai point son amante ou sa femme :L'aimer et l'adorer forment mon seul désir,Et je le chéris trop pour vouloir l'avilir ;Mais je suis aux abois, dans ces lieux où des traîtres Veulent faire périr le plus humain des maîtres.Ses disciples, en vain, par les soins les plus vifs,Prétendent le sauver de la fureur des juifs ;Leurs Prêtres animés contre le vrai Messie,Voient dans ses bienfaits, des torts pour leur patrie, Mais leur seul intérêt leur fait haïr Jésus :Ne pouvant dénigrer sa gloire et ses vertus,Ils le font insensé ; ce n'est qu'un faux prophète ,De nos divins décrets imposteur interprète.Tantôt, pour le chasser, ils font de vains efforts ; Et toujours, lui prêtant des crimes et des torts ,Caïphe ici, surtout, excite la tempête ; Seul il conduit la trame, en secret il l'apprête ;Il ne peut pardonner qu'on admire en Jésus,Ce qu'on ne lui voit point des moeurs et des vertus ! ZÉLINE. Madame, vers ces lieux, il s'avance des Prêtres Parlant avec chaleur.... MADELEINE. Ah ! Dieu ! Fuyons ces traîtres ! SCÈNE VIII. Plusieurs Prêtres et Docteurs. L'UN DEUX. Amis, faut-il attendre en ce séjour de paix ,Que l'autel renversé nous ruine à jamais ?Jésus marche à grand pas : sa nouvelle doctrine Surprend les citoyens, et leurs esprits domine.Ses succès sont certains, et ses vils compagnonsN'en triomphent que trop, surtout dans ce canton.Notre religion succombe avec ces traîtres ;Et sans religion,non, il n'est plus de prêtres. Quand on en souffrirait, la secte de JésusNe chérit que la foi les moeurs et les vertus.Nous serons dépouillés, et la triste infortuneVa donc nous reléguer dans la classe commune.Nous étions opulents ; chez eux la pauvreté , L'honneur et la sagesse, avec l'humilité,Leur tiennent lieu de tout : il ne faut pas attendreQu'impunément ici l'on puisse nous surprendre ;Il faut perdre Jésus, il en est temps encor ;À la vengeance, ici , donnons enfin l'essor ; Allons le lapider, et qu'accablé de pierres,Il reçoive le prix de ses folles prières. UN DOCTEUR. Au temple il vient encor : il veut que les marchandsS'éloignent de ces lieux ; il les nomme brigands ,Et veut que de négoce on prive enfin ce temple , Ce qui donne, dit-il, un très mauvais exemple.Ainsi, cet hypocrite, en voulant nous frustrerD'un produit conséquent, il semble nous livrerÀ la fureur du peuple ; il surprend les crédulesDe miracles sans fin, d'actions ridicules, Dont ses disciples seuls aperçoivent les traits,Et dont aucun d'entre eux ne peut prouver les faits.Ici, c'est un malade ; ailleurs, c'est le mort mêmeSauvé, ressuscité ! Dans tout il est extrême ;Il a guéri les sourds, fait parler les muets ; D'autant plus dangereux dans ses vastes projets,Que, d'un air humble et doux, il prêche sa moraleAu pauvre qui, pour lui, nous trahit et cabale. LE PREMIER. S'il blasphème et se dit le fils du Tout-puissant,Ne peut-on l'accuser de ce crime important ? Il mérite la mort, et, par ce stratagème,Nous pouvons le livrer à Pilate lui-même,Étant le Gouverneur , il doit nous conserver ;Il faut qu'il nous défende, et puisse nous sauver.Il paraît dans ces lieux, demandons-lui ce traître, Et qu'enfin, sur la terre, il reconnaisse un maître. SCÈNE IX. Les Précédents, Pilate. UN DOCTEUR. Depuis longtemps, Seigneur, vous êtes informé Qu'il se trame un complot, dont le peuple alarmé Vous demande justice : on veut changer le Culte, Et Jésus parmi nous cause tout ce tumulte. PILATE. Je vous entends, Messieurs, il faut perdre JésusCe n'est pas votre Culte ? Ha ! Vous craignez bien plusLa perte du crédit, celle de la fortune !L'intérêt seul vous guide, et ce qui m'importuneMe fait grand déplaisir, c'est de voir la furie Que l'on met à poursuivre et ses jours et sa vie. UN AUTRE DOCTEUR. Pourquoi veut il changer le culte du vrai Dieu ?Qu'il nous laisse en repos, paisibles en ce lieu.[Note : Brigue : Désir ambitieux qu'on a d'obtenir quelque charge [responsabilité ou propriété rémunératrice] ou dignité, où l'on tâche de parvenir plus par adresse que par mérite. [F]]Sommes-nous donc les seuls, qui d'une telle brigue,Blâmons les procédés ? On connaît leur intrigue ; Et des négociants une divisionVous apprendra, Seigneur, que la ReligionN'est pas seule en danger : il veut trancher du MaîtreJusque dans notre temple ! Il n'est rien pour ce traîtreQui paraisse sacré... Mais voici nos marchands : Ils vont vous expliquer de ses complots méchantsLe véritable but. SCÈNE X. Les Précédents, Plusieurs négociants. UN NÉGOCIANT. Depuis bien des années, Vous le savez, Seigneur, nos loges fortunées Présentaient dans le Temple un coup-d'oeil enchanteur ;Jésus aidé des siens, ce prétendu Sauveur , Veut nous faire chasser ; il ne veut pas qu'au templeDu négoce et trafic les Juifs donnent l'exemple.Mais ce temple, Seigneur, est un lieu fréquenté ;Malgré notre trafic, le Prêtre est respecté ;Il reçoit un salaire aux achats et aux ventes ; En tire un grand produit, un fixe avec des rentes. PILATE. Certes, je ne suis point de votre nation,Je ne suis pas non plus de sa religion ;Et pourtant, je le dis, il me paraît étrangeQu'un Temple ait des bureaux de commerce et de change : Ces lieux doivent servir au vrai Culte des Dieux,Et non pour enrichir des gens luxurieux.Je vous en avertis, le parti qu'on opposeMe paraît formidable, et c'est d'un Dieu la cause :Jésus, pour la gagner, se trouve défendu ; Par de bons citoyens il se dit soutenu ;Tous paraissent armés, l'affaire est délicate,Et passe les pouvoirs que peut avoir Pilate. LE NÉGOCIANT. Eh bien ! Seigneur ! Eh bien ! Puisque nos intérêts Vous sont indifférents, on verra les effets D'une juste colère. Amis, il faut qu'en arme Je vous conduise au Temple : il faut rompre le charme Des talents dangereux du prophète nouveau. PILATE. Voyez, réfléchissez ; car, en un tel assaut, Je ne puis d'un secours vous donner l'assurance , Et sur de vains efforts n'ayez point d'espérance. LE NÉGOCIANT. Seigneur, nous agirons... SCÈNE XI. Les Précédents, excepté Pilate. LE NÉGOCIANT. Amis, on nous trahit, Et Pilate lui-même à Jésus obéit. Veillons donc de plus près sur nous, notre fortune, Et qu'à la conserver notre ardeur soit commune. Toi, mon cher Manassé, du côté du midi,Tu défendras la porte : et toi, vaillant Hadi,Tu conduiras tes gens vers les autres issues,Tandis qu'avec Zénon, toutes les avenuesNous bloquerons ensemble. Allons vers nos quartiers, Pour défendre nos droits trouvons-nous les premiers. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Troupe de peuple, Bourgeois et Négociants armés. LE NÉGOCIANT. Aux armes ! Citoyens ! Jésus, suivi d'un groupeDe vils séditieux, s'avance avec sa troupe ;Il nous menace tous, et dans nos magasinsCes brigands vont piller ! Empêchons leurs larcins. Les prêtres sont pour nous, vous les voyez en armes,Et prêts à partager nos dangers, nos alarmes. SCÈNE II. Jésus paraît au milieu de son parti, qui donne la chasse aux négociants, renverse leurs loges : L'action s'engage vivement ; les négociants succombent ; Jésus, tandis que les siens poursuivent, se trouve enveloppé par un reste du parti, qui lui lance des traits et des pierres ; mais par la manière précipitée dont les ennemis se sont placés, ces pierres et ces traits tombent sur eux-mêmes : Jésus élève les mains, et la foudre, lancée vers les voûtes du Temple, écrase ou dissipe les ennemis. JÉSUS. Amis, vous le voyez, Dieu combattait pour nous ! Soyons dans la victoire et cléments et plus doux. Sauvons tous les débris des loges abattues ; Qu'à leurs maîtres, enfin, toutes choses rendues Leur prouvent bien encor, que rien de personnel, N'a pu nous engager à venger l'Éternel De ce trafic honteux manoeuvré dans son temple, Offrant un grand scandale, un très mauvais exemple ! Ayons soin des blessés ; ah ! Décernons aux morts Des funèbres honneurs, et déplorons leurs torts ! Ô Dieu ! Dans ta vengeance, apaise ta colère ! Daigne des ennemis soulager la misère ! S'ils furent criminels, certes, leur repentir T'en fera promptement perdre le souvenir ! Mais pour nous, satisfaits d'avoir vengé ton culte, Ah ! Nous profitons tous de la fin du tumulte,Pour te glorifier, célébrer tes bienfaits, Et dans nos coeurs ici les graver à jamais... Mais j'entends bien du bruit ! Une femme éplorée D'une troupe de gens me paraît entourée ? Ils s'avancent vers nous... SCÈNE III. Les Précédents : Une Femme, Troupe de Bourgeois. UN BOURGEOIS. Cette femme, Seigneur, Surprise en adultère avec un malfaiteur, A mérité la mort ; notre loi la condamne : Parlez, et nous allons lapider la profane ; Des pierres en ces lieux... Ah ! De notre courroux Il faut lancer les traits... JÉSUS, vivement. Que celui d'entre vousSe trouvant sans péché, ramasse cette pierre,Et que sur cette femme il jette la première. Ils sortent avec confusion, la femme reste. SCÈNE IV. JÉSUS. Femme, vous le voyez... et vos accusateurs,Loin de vous condamner, ont respecté vos pleurs. LA FEMME, prosternée et voilée. Ah ! Seigneur ! C'est à vous que je dois l'indulgenceD'un crime impardonnable ! Ô justice ! Ô clémence !... JÉSUS. Allez en paix ! Allez, et puisse votre coeur, Mériter désormais les bontés du Sauveur ! SCÈNE V. Les Précédents, excepté la Femme. JÉSUS. Vous êtes étonnés ! Croyez-en ma parole ;Jugez de ma clémence en cette parabole :« Un père de famille ayant des ouvriersLoués de grand matin, il plaça les premiers, Et leur dit de partir pour cultiver sa vigne :Il convint d'un denier, et leur donna le signePour aller au travail : étant sorti plus tard,Il retint de nouveau des gens, que, par hasard,Il aperçut oisifs pendant la matinée ; Il en retint de même en toute la journée.Ensuite, il fit venir ces gens, ces ouvriers,Payant également derniers comme premiers.Mais ceux-ci murmuraient de voir que leurs confrèresRecevaient du bourgeois de semblables salaires. Nous avons, disaient-ils, travaillés plus longtemps,Ils sont venus fort tard nous aider dans les champs ;Vous leur avez donné la même récompense !Or, il leur répondit : Dès que ma bienfaisanceNe vous fait point de tort, je vous dois un denier ; Vous ai-je donné moins ? Ou dernier, ou premier,J'en veux agir ainsi. Quoi ! Votre ingratitude,De médire toujours, vous donne l'habitude ?Recevez mes bienfaits, et ne les jugez pas.Seriez-vous mécontents, si, dans quelque embarras De trouver de l'ouvrage, ou vous eût retenu,Et qu'un vrai bienfaiteur payât le temps perdu ? » Je vous le dis encor, qu'une tendre indulgenceEntre frères, amis, cimente l'alliance. SCÈNE VI. Les Précédents, Un Discipline. LE DISCIPLE, à Jésus. Seigneur, en cet instant, Lazare est en danger. JÉSUS. Je vole vers ce juste, et vais le soulager. Vous, Pierre, il faut rester, pour veiller sur ce temple, Et de notre clémence à tous donner l'exemple. PIERRE. J'accomplirai, Seigneur, vos désirs bienfaisants, J'aurai le plus grand soin des prêtres, des marchands. SCÈNE VII. Pierre, Un Autre Disciple. LE DISCIPLE. Maître, Pilate, ici, de quelque confidenceVeut vous entretenir : en secret il s'avance.Il parle d'un complot tramé contre Jésus,Il vient vous faire part de bruits sourds et confus.Le voici. SCÈNE VIII. Les Précédents, Pilate. PILATE. Je le vois, aux vertus de ton maître, Pierre, il se trame encore quelque projet de traître : On en veut à Jésus ; les prêtres et les Juifs, Se sont ligués entre-eux, et les soins les plus vifs Sont employés ici pour tâcher de corrompre Les magistrats du peuple. On voudrait interrompre Les succès de Jésus ; pour le sacrifier On manoeuvre partout, et de le crucifier Ils forment le dessein ; les prêtres les séduisent, Des volontés d'un Dieu , les vengeurs ils se disent. Le peuple révolté se porte en mon palais ; Il réclame justice, et sans aucuns délais. Prévenez votre maître, et que cette contrée, De sa présence, enfin, ne soit plus illustrée. Si vous avez besoin de quelques prompts secours, Parlez, vous le savez, mes bienfaits pour toujours... PIERRE. Connaissez mieux Jésus ; il craint peu pour sa vie ;C'est un Être divin : si, dans sa prophétie,Le Souverain des Dieux n'a désigné sa fin,Vainement contre lui, les Juifs, le genre humain ,Réuniraient leurs traits : d'une seule parole, Il pourra dissiper leur brigue injuste et folle. PILATE. Voilà de vos défauts ; j'admire les vertus ,Et j'admire surtout les talents de Jésus ;Mais je vois avec peine, en toute sa conduite,Qu'en véritable Dieu l'on vous mène à sa suite. Sa morale est superbe, on la dirait d'un Dieu :Que dans Jérusalem... qu'il la prêche en tout lieu,Je suis prêt d'y souscrire, et même à ses miraclesJe veux bien croire encor , ainsi qu'à ses oracles :Mais l'adorer en Dieu ; croire un homme divin, Parce qu'il est honnête ? Ho non ! Un vrai Romain,Bien qu'il méprise au fond ces encens, ces idoles,Qui dirigent les voeux de populaces folles ,Et qu'il préférerait voir l'image d'un DieuEn son semblable, en lui... mais pourtant en ce lieu Le Peuple est éclairé ; quoique Jésus surprenne,Il est homme , il est homme.... et, pour qu'on s'y méprenne,Il faudrait s'aveugler !... PIERRE. Mais vous savez, Seigneur, Que l'on croit au Messie ; on attend le Sauveur ;Et cette opinion nous vient de nos Prophètes, Des volontés d'un Dieu seuls et vrais interprètes. Et pourquoi le Messie, envoyé dans ce lieu, Ne serait pas Jésus ? S'il faut un homme-Dieu, Vous l'avez dit vous-même, est-il ici personne,Ah ! Qui plus sagement pense, agit et raisonne ? Je ne vous parle point des miracles sans fin,Des bonnes actions de cet Être divin ;Sa grande âme est l'essence, en tout de la sagesse,De la pure équité ; son extrême tendresseÉclate pour le pauvre ; il est son seul ami ; Il l'appelle son frère ; il n'est point l'ennemiD'aucun être ici bas, innocent ou coupable,Heureux ou malheureux, ou riche ou misérable ;Il défend tout le monde ; et, pour faire du bien,Il s'expose partout et ne ménage rien. Cet homme surprenant, sans doute, est le Messie ;Talents, candeur, vertus, tout nous le certifie ! PILATE. Je suis loin d'attaquer votre religion,D'affaiblir pour Jésus la juste opinionQu'on doit à son mérite ; il est digne qu'on l'aime : Mais pourtant le danger est urgent, est extrême  !La Pâque va se faire, et je crains un malheur :Ah ! Je vous le répète, on veut perdre l'auteurDu schisme qui s'opère ici , dans cette secte !La vôtre en ces climats déplaît, paraît suspecte. J'ai dû vous avertir, adieu. Non, suivez-moi :Caïphe vient, paraît, les docteurs de la LoiLe suivent en ces lieux : évitons leur présence ;Mon amitié pour vous et l'irrite et l'offense. SCÈNE IX. Caïphe, Prêtres et Docteurs. UN PRÊTRE. Eh quoi ! Seigneur ! Ici lorsqu'il faudrait agir, Notre juste courroux semble s'anéantir :Ce n'est donc pas assez que Jésus dans la villeSe présente en vrai Dieu ? La colère stérileDes Prêtres, des Marchands, celle des citoyens,Loin de pulvériser, couronne ses moyens, Et sa fausse vertu nargue notre faiblesse ?Attendrons-nous, enfin, que sa candeur traîtresseAit détruit tous les noeuds, dont la religion,Entre le peuple et nous cimentait l'union ? CAÏPHE. Va, j'y pensais ; crois-moi, daigne en croire ton maître, Avant la fin du jour, j'aurai perdu ce traître : Ses Disciples sur nous ont vainement les yeux ; Je les tromperai tous, et remplirai vos voeux.Déjà l'un de mes gens a séduit ses apôtres, Qui, sous l'air hypocrite, avaient surpris les nôtres. Judas doit me livrer ce prétendu sauveur ; Et, s'il hésite encor, ce n'est point la frayeur Qui le guide ou retient ; il marchande son maître. Trente pièces d'argent, pour surprendre ce traître, Suffisent, m'a-t-on dit ; et je cours à l'instant Les lui faire compter pour gagner ce brigand. Mais j'entrevois quelqu'un. Que vient-on nous apprendre ? Judas a-t-il changé ? A-t-il pu le surprendre ? SCÈNE X. Les précédents, Un Autre Prêtre, déguisé. UN PRÊTRE. Seigneur, j'ai sa parole, et cet homme, ce soir, Nous livrera Jésus... je venais de le voir. C'est aujourd'hui la Pâque, et son maître à la cèneDoit se trouver bientôt ; ensuite il se promèneAu champ des oliviers : on dit que dans ce lieu ,En méditant sans cesse, il adore son Dieu ;Et c'est dans ce jardin , oui, c'est là que le traître Promet de nous livrer son seigneur et son maître. CAÏPHE. Suivi de son parti, Jésus vient vers ces lieux ;Nous, allons au prétoire et consultons les cieuxSur un projet qui doit faire honneur à leur culte ;Parmi le peuple et nous apaiser le tumulte. SCÈNE XI. Jésus, Disciples. JÉSUS. Il le faut donc remplir, mon destin en ce lieu !Exécuter en tout les décrets de mon Dieu !Allez, mon temps s'approche, et mon heure est venue !Amis, jusqu'à la mort, mon âme est abattue...Enfin, ce sacrifice ; ah ! Je le dois subir ! Ô mon Père ! Ô mon Dieu ! C'est à moi d'obéir...Nous sommes à la Pâque, et le lieu de la cèneSe trouve près d'ici. Vous, avant qu'on y prenneVotre fidèle Maître, allez aux Oliviers,Préparez ce qu'il faut, soyez-y les premiers : N'oubliez point les lois d'un Dieu, de son Prophète ;Lui seul , lui seul, toujours, il en est l'interprète. PIERRE. Pourquoi vous alarmer des craintes de la mort ?Tout respecte, Seigneur, vos destins, votre sort ; Vos vertus, vos bienfaits, et de si grands prodiges De vos vrais ennemis dissipent les prestiges. Dites un mot, Seigneur, ces mêmes ennemis, Se verront confondus, seront anéantis. JÉSUS. Je vous le dis encor, oui, mon heure est venue ;Et, jusqu'à cet instant, l'âme triste , abattue Mais j'aperçois Caïphe ; allez aux Oliviers,Faites tout préparer sous ces arbres fruitiers. SCÈNE XII. Jésus, Caïphe. CAÏPHE. Malheureux ! Je veux bien me compromettre encor Pour te sauver ici des dangers de la mort ! Mais fuis ! Il en est temps, ou tu perdras la vie. Oses-tu bien te dire un prophète, un messie ? Va, je t'estime assez , pour parler avec toi, Non, comme un Dieu, mais comme un docteur de la loi. Insensé ! Conçois-tu quelle est ton entreprise ?Ce qu'elle coûterait, comme elle nous divise ? As-tu pu l'espérer, de gagner nos docteurs,Et qu'ils accueilleraient tes oracles trompeurs ?Va prêcher ta morale aux viles populaces ,Que toi, tes compagnons, fréquentez sur les places.Écoute, faux Prophète ? Il faut croire en un Dieu , Pour croire en un Messie, et je t'en fais l'aveu ,Certes, je ne crois rien ni de l'un, ni de l'autre,Et notre opinion, va, ressemble à la vôtre.Penses-tu nous ravir la fortune et l'État,Et que nous souffrirons ce perfide attentat ? Il faut nous massacrer, avant d'avoir la place ;Je pourrais te punir, je viens t'offrir ta grâce :C'est à condition de sortir de ces lieux.Tu passe ici pour juste ; on te dit vertueux :Allons, n'abuse plus de ton charlatanisme ; Redoute la fureur du plus noir athéismeOuvre les yeux, connais nos prêtres, nos bourgeois ;Sur la religion ils empruntent ma voix :Nous n'obéissons tous qu'à la seule nature ;C'est, pour fuir toute erreur, la route la plus sûre. Le hasard fait tout naître, et le hasard détruit.Oui, la nature en tout produit et reproduit ;Les éléments ensemble entretiennent la sève ;Tout être végétal de lui-même s'élève ;Il croît comme il décroît, son principe est en lui ; Où finit le principe, il n'est plus reproduit.Et quant à notre Dieu, voit-on une chimèreQu'on dise plus inepte ? Et quel est l'atmosphèreOù tu le trouveras ? Définis-donc ce Dieu :Peux-tu l'apercevoir ? En quel temps, en quel lieu ?... JÉSUS. Je devrais mépriser les discours d'un athée,Et plaindre les noirceurs de son âme irritée ;Mais avant de mourir pour la Religion,Il faut bien lui donner, ah ! Quelque instruction.Tiens, voilà ma réponse, écoute ma prière, Puisses-tu la porter dans le sein de mon père !Ô Dieu de l'Univers ! Rends-moi bien vertueux ;Quand on est juste et sage, on est toujours heureux.Que si tu me fais riche, alors, pour l'indigence,D'un tendre régisseur, j'aurai la bienveillance. Je prendrai soin du pauvre, et ton or dans mes mains,Ne sera qu'un dépôt pour aider les humains.Que la discrétion, le zèle et l'indulgence.,L'amitié, la candeur, fixent mon existence.Grand Dieu ! De ton aspect ne m'éloigne jamais ! T'aimer, te contempler, est un de tes bienfaits.Quand mon âme est en toi, je la trouve parfaite ;Mais ton éloignement la ferait indiscrète.Que si tu me rends pauvre, alors, sans murmurer,On dira qu'à ton ordre on me voit déférer. Non, non, je ne dois pas, atome, ver de terre,Critiquer, ô mon Dieu ! Ta bonté, ta colère !Quand tu fais un arrêt, qui peut le mieux sentir !Tu sais, quand il le faut, récompenser, punir :Tes suprêmes décrets, ton éternelle essence, De la pure équité ne sont que la substance.Je m'abandonne à toi, tu fus mon créateur,Et toi seul as le droit d'être mon destructeur.Patient, modéré, la peine et l'infortune,Ne m'arracheront plus ni plainte, ni rancune. Je bénirai ton nom, et, subissant mon sort,Je chanterai ta gloire aux portes de la mort.Rapportant tout à toi, c'est, en réglant sa vie,Qu'on trouve le bonheur, et qu'on se glorifie.Quant à ton existence, ô chef-d'oeuvre des Cieux ? C'est à lui En fixant Caïphe.qu'il faut dire : Impie ! Ouvre les yeux !Où tu vois ce chef-d'oeuvre, il faut un ouvrier,Et plus il est parfait, plus il est régulier, Plus il faut que sa main soit céleste et divine.Vois-donc ce firmament, réfléchis, examine ; Vois cet astre du jour, et ces champs, et ces boisLes rivières, la mer, tant de divins exploits,Serait-ce ton ouvrage, ou bien de ton semblable ?La nature est un mot ; mais cet être admirableQui dirige son but, n'est-il pas le vrai Dieu ? Va , tu le connaîtras quelque jour en ce lieu.Et quant à ta menace, ainsi que tes injures ,Je remplis mes destins, et par des routes sûres,Je pourrais d'un seul mot te perdre et te punir ;Mais les plus grands décrets il me faut accomplir. Ton âme vile et basse est loin de les comprendre,Je ne veux point du tout te gagner ou surprendre,Et mes voeux et ma gloire ont tous autres motifs,Qu'il n'est pas encor temps de révéler aux Juifs.Adieu. SCÈNE XIII. CAÏPHE, seul. Tu le veux donc, eh bien ! Ô faux Messie ! En ce jour, dans ces lieux, tu vas perdre la vie !...Mais j'aperçois Pilate, il protège Jésus,Et je dois lui cacher des desseins résolus. SCÈNE XIV. PILATE, seul. Quel embarras cruel ! Deux partis dans la villeAgitent les esprits ; ma prudence inutile Veut en vain les calmer, car la ReligionEst le prétexte faux de cette passion.L'un paraît animé par l'honneur et la gloire ;L'autre ourdit en secret la trame la plus noire.Grand Dieu ! Si, d'un mortel écoutant les raisons, Tu me permets ici quelques réflexions,J'oserai définir ton éternelle essence ,Et même combiner ta divine existence.A tes oeuvres, sans doute, on reconnaît un Dieu ;De vouloir te cacher qui pût te donner lieu ? On ne voit parmi nous aucune architecture,De tes moindres sujets égaler la nature ;Mais, enfin, un héros, dont j'aperçois les faits,N'es-t-il plus un grand homme alors qu'on voit ses traits ?Puisque ta volonté nous fait rois de la terre, À tes enfants chéris dois-tu celer un Père ?Crains-tu que ta présence ils ne puissent point voir ?Mais de la contempler donne leur le pouvoir ;Désignant ton ouvrage, achevant tes miracles,Pour te montrer à nous écarte les obstacles ; Dis seulement un mot, et d'un oeil paternel,Honore l'Univers dans un jour solennel.Que ne vint-il ce jour ? hélas ! que ta présenceEût épargné de sang ! L'erreur en ton absenceSe plut à nous aigrir ; pour toi l'absurdité A commis tant d'abus ; par-tout la cruautéImmola l'innocent, et de tristes victimesSubirent des destins qui ne sont dûs qu'aux crimes.Un seul signe de toi, un seul de tes regards,Nous eût tous préservés de funestes écarts. Il règne en tes hauts faits, un ordre magnifique ;Notre félicité est seule hyperbolique ;Bien souvent en danger, rarement le bonheurDes jours les plus sereins fait goûter la douceur.Si richesse et vertu contentent tout le monde, De ces dons précieux que l'univers abonde ;Un Dieu n'a qu'à parler, il fait tout, il peut tout,Et l'on est ici bas suivant qu'il le résout :Il dispense à son gré le vrai bonheur des hommes,En partage à son choix les différentes sommes. Quant à notre existence, est-elle ce bonheur ?Et la mort même, enfin, est-elle un vrai malheur ?De notre individu la fin toujours hideuse,De ce corps corrompu, la perspective affreuse...Mais avant d'exister, quand on est au néant, Que pour le bien, le mal, on n'a point de penchant,Que me ferait alors de venir sur la terre,Pour supporter des maux la cruelle misère ?A-t-on quelque plaisir ? On a mille embarras ;Car pour de vrai bonheur, non, non, il n'en est pas. Or, respirer ici pour être dans la peine,Être toujours en transe, et toujours dans la gêne :Au moins, dans le néant, si vous n'avez du bien ,Les maux qu'on souffre au jour vous ne sentez en rien.C'est pourquoi je calcule, et, dans cette aventure, Réfléchissant au bien, pour le mal que j'endure,Si l'essence est trop forte en ce mauvais côté,J'entends préférer l'autre avec grande équité.Au néant, au sommeil, on est comme insensible ;Quel bonheur de sentir ce qui nous est nuisible ! Il vaut mieux n'être pas, qu'être dans le malheur ;Si je n'ai du plaisir, je n'ai point de douleur.Peignons-nous le tableau des revers détestables,De nos gémissements, sources intarissablesEt nous verrons alors que sortir du néant, Pour pleurer et souffrir, n'est pas un beau présent. Cependant, de nos soins surveillons cette ville : Puisse mon zèle à tous leur être encor utile ! ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Les Disciples de Jésus. UN-DISCIPLE. Amis, oui, tout est prêt sous ces arbres fruitiers,Et pour la cène ici Jésus est des derniers : Voyez ? Nous l'attendons ce bon, ce divin maître...On vient de l'annoncer, sans doute il va paraître.Le voici. SCÈNE II. Les Précédents, Jésus. JÉSUS. Banquet.Plaçons-nous... Je vous l'ai déjà dit,Ah ! Mon heure s'approche et tout vous est prédit !Je vais être livré ; des ennemis avides Du sang de votre maître, en leurs complots perfidesVont consommer leur crime ! JUDAS. Eh ! Qui pourrait, Seigneur, Vous trahir à tel point ! Quel est le malfaiteur Qui puisse vous livrer ? JÉSUS. Ah ! Judas ! C'est vous même. JUDAS. Qui, moi ? Livrer Jésus, que j'honore et que j'aime ?... JÉSUS. Oui, vous-même, vous dis-je... PIERRE. Ah ! Se peut-il grand Dieu !... JÉSUS. Oui... mais vous, Pierre aussi, votre maître en ce lieuVous allez renier... PIERRE. Moi ! Que plutôt la vie Je perde en cet instant... Ah ! Voir telle infamie !... De ma fidélité ne doutez-point, Seigneur ! Vivre et mourir pour vous forment mon vrai bonheur ! JÉSUS. Allez, n'en parlons plus ; en tout la prophétieLe prédit de la sorte, et doit être accomplie :Je vous dois maintenant un gage précieuxDe l'éternelle paix que j'apporte en ces lieux. C'est le prix de mon sang, celui du Fils-de-1'homme :Il faut qu'un sacrifice à la fin se consomme ;Que le pain et le vin consacrés désormais,Et bénits de vos mains vous présentent mes traits.Ce sera le mystère et le voeu de mon culte, De celui d'un vrai Dieu, qu'en tout j'aime et consulte.Pierre, soyez le chef de la religion ,Et prêchez l'Évangile en cette région.[Note : v. 688, rien ne rime avec chaumière.]Se répandra partout ; oui , depuis la chaumière  ? ................................ Jusques dans les Palais, on connaîtra mes lois. Celle de votre Dieu, qui parle par ma voix... Mais voici les docteurs et les princes des prêtres... Ah ! C'est pour me tenter que s'avancent les traîtres  ! SCÈNE III. Les Précédents, Les Princes des Prêtres, Les Docteurs. UN DOCTEUR, à Jésus. Maître ! Que faut-il faire ici bas, en ces lieux, Afin de mériter le Royaume des Cieux ? JÉSUS. Docteur, que dit la loi ? Que vous commande-t-elle ? LE DOCTEUR. Chérissez votre Dieu d'une ardeur éternelle. JÉSUS. Aimez votre prochain. LE DOCTEUR. Qui nommez-vous ainsi ? JÉSUS. Par une parabole, il faut l'apprendre ici. « Près de Jérusalem un voyageur s'égare ;Il tombe entre les mains d'un assassin barbare,Qui le vole et dépouille, et le laisse pour mortUn Prêtre passe là ; sans pitié de son sort,Il ne s'arrête pas : il y passe un Lévite , Loin de porter secours, le voyant il l'évite.Mais un Samaritain, survenant par hasard,Prend pitié du blessé, malgré qu'il fut très tard ;En ayant eu grand soin, et pansé sa blessure,Le met sur son cheval, et dans cette aventure, Devenant charitable, humain et bienfaisant,Dans une hôtellerie il le mène en pleurant,Le recommande bien à son hôte, à l'hôtesse,Et les paye d'avance avec zèle et largesse ».Or, lequel donc des trois vous semble le prochain ? LE DOCTEUR. Certes, c'est le dernier, c'est le Samaritain. JÉSUS. Eh bien ! Faites de même envers votre semblable ;Usez des procédés d'une âme charitable,Et vous serez heureux... LE DOCTEUR. Il faut être opulent, Pour en agir ainsi ; s'il n'eût pas eu d'argent ? JÉSUS. Croyez-moi, je le dis ; si pour servir deux maîtres Vous calculez toujours, à l'un vous serez traîtres ; Vous ne pouvez servir l'argent et votre Dieu ; C'est pourquoi dans ce temps, ici, comme en tout lieu, Ne perdez-point de vue une vérité sûre, C'est qu'un Dieu tout-puissant oblige sans mesure : De l'oeil de la justice il voit cet univers, Si le soleil l'éclaire en ses rayons divers : Dieu nourrit ses enfants, c'est une providence Qui domine partout, et porte l'abondance ; Alimente tout être, insectes et lions. Les soutient ou détruit dans les occasions. Voyez le lys des champs, l'herbe la plus grossière, Une main invisible est de tout l'ouvrière ;Et Salomon lui-même, en son plus grand éclat, [Note : Seringat : Arbuste qui produit des fleurs blanches à l'odeur agréable.]Ne fut pas mieux vêtu que l'est le seringat.Ne vous défiez point de cette providence,Et pour faire du bien, toujours courez sa chance.Le céleste Royaume et la gloire d'un Dieu,Du véritable juste animent le beau feu. Parlez et n'agissez qu'en votre conscience,Consultez-la dans tout, c'est la seule scienceEt le miroir de l'âme. Adieu , soyez en paix :Pour moi, mon temps n'est plus, je m'en vais à jamais... SCÈNE IV. Les Précédents, excepté Jésus et ses Disciples. L'UN D'EUX. « Je m'en vais à jamais ! » Aurait-il connaissance Du complot que lui cache à tous notre prudence ? Il est bien étonnant qu'en voulant le tenter, Il ait toujours raison ? À l'entendre citer, La vertu, la candeur, et l'extrême sagesse De ses moindres discours consacrent la justesse. Comment concilier tant de traits différents D'une vertu sans tache et des plus grands talents, Avec les faits bien sûrs de cette hypocrisie Qui le porte à se dire un prophète, un messie ? Comment apprécier les vertus des humains, Quand on voit ces vertus voiler les faits certains D'une intrigue perfide, attaquant les mystères De la Religion qui nous vient de nos pères ? Mais il est temps, enfin, de purger son pays D'un imposteur adroit, qui dit être le fils [Note : La fin du vers 760 est illisible]Du souverain des Dieux (...)De notre secte à tous le souverain pontife.Je le vois qui s'avance... SCÈNE V. Les Précédents, Caïphe. CAÏPHE. Oui c'en est fait, enfin,Jésus sera livré ; c'est là, dans ce jardin,Que Judas l'a vendu ; la troupe doit le prendre, Et puis des Oliviers ensuite nous le rendre.Il ne tardera pas ; j'entends déjà du bruit,Et c'est sans doute lui qu'on amène et conduit.Que pour juger ce traître on mande ici Pilate.De punir ce faussaire il faut bien qu'on se hâte , À moins de révolter les prêtres et docteurs.Mais le voici pourtant le Dieu des imposteurs.... SCÈNE VI. Les précédents, Jésus et Suite. CAÏPHE, à Jésus. Eh bien ! Perfide ! Eh bien ! Ton supplice s'approche !Et de le mériter ah ! Ton coeur se reproche !Tes forfaits ont lassé le souverain des Dieux Et lui-même il te livre à nous suivant nos voeux.Combien de fois cruel ! Par de vives instances,Pour déjouer le cours de tes extravagances,Ne t'ai-je pas montré cet abîme profond,Où le plus fol espoir te jette et te confond ? Non non , il n'est plus temps ! Le ciel te fait justice,Lui seul, je te l'ai dit, dispose ton supplice.Mais j'aperçois Pilate environné des Juifs,Ils demandent Jésus ; leurs voeux sont expressifs, Et nous allons, enfin, jouir de la vengeance. SCÈNE VII. Les Précédents, Pilate et Suite. PILATE. Si vous voulez sa mort, que vous fait ma présence ?Pourquoi me demander, dans le sang innocent,Caïphe à vous venger ? Cruel et trop ardent,Ne trempez pas vos mains !... Mais quel est donc son crime ? Hélas ! Qu'a-t-il donc fait pour perdre votre estime ? CAÏPHE. Ce qu'il a fait ! Ô Ciel ! Il se dit notre Roi !Il se dit un prophète, et prétend sur sa foi,Qu'on doit le croire un Dieu, qu'il est le vrai Messie :Il vient pour nous sauver, telle est sa prophétie.Vous pouvez demander... PILATE, à Jésus. Vous vous dites leur Roi, Parlez, l'êtes vous donc ? JÉSUS. Vous l'avez dit, c'est moi... PILATE. Vous l'entendez, Seigneur, c'est ainsi qu'il blasphème ?Et que faut-il de plus ? L'imposture est extrême !Il se dit notre Prince, il se dît notre Dieu,Et tel crime est puni de la mort en tout lieu. Le peuple animé par les prêtres.Qu'il soit crucifié !... PILATE. Moi, de son innocence , Je suis trop convaincu, pour rendre la sentence : La prenez-vous sur vous ? LE PEUPLE. Oui, Seigneur, que son sang, Rejaillisse sur nous ; que le dernier enfant Des tribus d'Israël, en naissant en réponde, Car de cet Imposteur il faut purger le monde. PILATE. Je ne me mêle point de cette iniquité ;Je ne me souille pas de votre cruauté :Je me garderai bien de m'en rendre complice.De l'attentat, je sais le faible et la malice. Certes, vous l'avez dit, le sang de l'innocentRetombera sur vous : un Dieu toujours présentEt toujours équitable, aura cette justice ;Et tôt ou tard, sans doute, ha ! D'un tel sacrifice !Vous serez tous punis ! Allez, sortez d'ici ; Et que ce jour, enfin, ne soit plus obscurci,De l'horreur de vous voir... SCÈNE VIII. PILATE, seul. Serait-il donc possible Qu'à mes voeux pour Jésus on devînt inflexible ? Mais Judas en ces lieux demande à me parler. SCÈNE IX. Pilate, Judas. JUDAS, désespéré, égaré. Seigneur, ma trahison je viens pour réparer... J'ai reçu de l'argent pour leur livrer mon maître.. Je ne puis voir le jour depuis que je suis traître Le destin m'aveuglait... J'ai servi d'instrumentÀ la fatalité ; mais mon coeur la démentIl faut qu'il s'en punisse, et ce fer homicide Ah ! Va vous délivrer d'un sujet parricide..., Il se tue. PILATE. Ciel ! Quel acharnement ! Un si grand repentir Annonce bien le Dieu qu'il venait de trahir ! On entend un grand bruit. SCÈNE X. UN BOURGEOIS. Une sédition s'élève dans la ville,Seigneur, de la calmer il sera difficile, Si, par votre présence, imposant aux mutins,Vous ne rompez bientôt leurs criminels desseins.On demande Jésus, et deux partis se formentPour le perdre ou sauver , tous ; deux s'arment, informent ;Les prêtres, les marchands ont déjà pris les armes, Les quartiers sont remplis de troubles et d'alarmes.[Note : Malchus : Serviteur de Caïphe dont Pierre coupe l'oreille au jardin des Oliviers, Jésus le guérit.]L'un des disciples, Pierre, à combattu MalchusMais lui, ses compagnons dispersés et battus,Semblent abandonner leur bon malheureux maître ;Tous redoutent Caïphe, et déjà par ce traître Jésus est condamné ; les apprêts de la mort,Se disposent ici, l'on pleure sur son sort.Il a fait tant de bien en toute la contrée,Que du peuple attendri la fureur s'est montrée ;Mais le parti contraire, ha ! l'emporte en ce jour, Si vous ne paraissez, tout espoir sans retourVa faire triompher les soldats de Caïphe ;[Note : Pontife : Chef religieux chez les Romains.]Tous craignent les complots de ce premier Pontife ?Entendez les clameurs, le bruit des combattants,On aperçoit d'ici leurs bataillons sanglants ; Ils semblent, s'avancer : évitons leur vengeance,Ils confondraient, Seigneur, le crime et l'innocence. SCÈNE XI. Prêtres, Soldats, Peuple, Madeleine. UN PRÊTRE. La victoire est à nous ! Disposant de Jésus,Nous vengerons nos droits : les ennemis vaincus ,Se sauvent devant nous, les gens du faux Prophète Sont enfin dissipés ; ce perfide interprète ;De nos bras et nos traits n'a pu se préserver ;Et d'un juste courroux, en vain pour se sauver,Il eût prié son Dieu ; le nôtre véritableS'est fait connaître à tous vainqueur et redoutable ; Allons jouir du fruit du plus heureux combat,Dont se soient illustrés l'officier, le soldat. Plusieurs fuyards.[Note : Le vers 826 ne rime avec aucun autre.]Des gens saisis de peur courent, se précipitent........................................ SCÈNE XII. MADELEINE, seule. Eh quoi ! Jésus leur est enfin livré, De ce malheur affreux mon coeur est pénétré...Je le sais trop, hélas ! Les docteurs et les prêtresVoudront sacrifier le plus humain des maîtres,Ils voudront sur Jésus rejeter leurs forfaits ;Déjà de leur fureur on reconnaît les traits. Ah ! Puissé-je mourir avec Jésus, mon maître !Et son disciple, ici, Judas, ingrat et traître,A donc pu le trahir ! Dieu juste ! Dieu vengeur...Souffriras-tu ce crime ? Un prêtre, un imposteurRéussirait enfin dans ses complots perfides ! Du meurtre de Jésus, ces cruels homicidesJouiraient en ce jour ! Je ne puis le penser,Si je le supposais, je croirais t'offenser...Cependant ô mon Dieu ! Ton fils, le vrai Messie,Ah ! Suit de tes décrets la sage prophétie ! Il a fallu, dit-on, qu'il fût ainsi trahi,Et l'arrêt de sa mort doit être en tout suivi.Le sang de l'innocent doit sceller ce mystère,Et, pour nous sauver tous, ainsi le veut son Père.Puisqu'il le faut subir ce destin rigoureux. Je ne survivrai pas au sort le plus affreux.Oui, Jésus, en ce jour, oui, je me sacrifie ;S'il faut que tu périsse, ah ! Je perdrai la vie ;Je m'attache à tes pas. Ô Jésus ! Tes douleursVont être le signal de mes sanglots, mes pleurs ; Tes cruels ennemis, et ces prêtres barbares,Avides de ton sang, dont ils seraient avares ,S'ils avaient tous mon coeur ; ils ne lanceront pasUn seul trait, un seul coup, qu'au plus affreux trépas.Je ne m'expose aussi ! Toi le meilleur des maîtres, Oui, je te sauverai de la fureur des traîtres, Ou leurs sanglantes mains arracheront ce coeur Qui ne veut respirer que pour son Créateur... Dans cette extrémité, Pierre éperdu, sans armes, Paraît nous annoncer de nouvelles alarmes. SCÈNE XIII. Madeleine, Pierre. MADELEINE. Jésus est-il sauvé ? PIERRE. Je ne le connais pas... Que voulez-vous me dire ?... Est-ce pour le trépas... Que l'on veut tenter Pierre ?... MADELEINE. Ah vous ! Vous, son intime ! Quoi, vous l'abandonnez ! Quelle faiblesse ! Ô crime ! PIERRE. Je ne le connais pas ! cessez de m'éprouver, MADELEINE. Il renonce son maître, et cherche à se sauver ; Ainsi, c'en est donc fait ; ce sanglant sacrifice, Il va donc s'accomplir ! Ce que peut l'artifice, La noire calomnie, ah ! Tout est disposé, Et de sauver Jésus il serait mal aisé : Allons, puisqu'il le faut, mourir avec mon maître ; Leurs complots, leurs forfaits, achevons de connaître...Pilate qui paraît, voudrait bien contenirDes prêtres factieux cherchant à le trahir. SCÈNE XIV. PILATE, seul. Caïphe tu l'emportes, et les princes des prêtres Refusent d'obéir aux Romains , leurs vrais maîtres !Disposant son supplice, ils vont perdre Jésus ;Rien ne les touche en lui, sa candeur, ses vertus...Mais je vois un bourgeois... SCÈNE XV. Pilate, Un Bourgeois. LE BOURGEOIS. Seigneur en votre absence,Non, il n'est point d'horreurs, dont leur extravagance N'ait comblé les forfaits ; et sur un malheureuxIls cumulent ici des supplices affreux.Sa douceur, son sang-froid, et tout, jusqu'à ses larmes,Excitent dans les coeurs les plus vives alarmes  !De bourreaux et soldats il est enveloppé, Il a paru bénir celui qui l'a frappé.Il n'est sortes d'affronts, dont le sanglant outrageNe soit fait à Jésus ; partout à son passage.C'est peu d'être jouet de leurs dérisions,Ils l'accablent de coups, de malédictions ! Il souffre l'impossible, et pourtant nulle plainte,De son cruel martyr, n'annonce la contrainte ;Et déjà de la mort les horribles apprêts,Nous montrent qu'en ce lieu les plus affreux décretsVont être exécutés, sans qu'aucune puissance En retarde aujourd'hui l'exécrable sentence.Couronné d'une épine et le visage en sang,De tous ces assassins, Jésus est vers le flanc,Un roseau dans la main , vêtu de l'écarlate,Suivi de Madeleine, et Marie, et de Marthe. Dans leurs forfaits, c'est peu de le mystifier ;Ils ont déjà la croix pour le crucifier.Ils veulent l'en charger, et lui-même au suppliceDoit porter l'instrument de l'affreux sacrifice.Venez, Seigneur, venez, et qu'un chef des Romains, Sauve, enfin, l'innocent de leurs sanglantes mains ? ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Quelques Bourgeois. L'UN D'EUX. Ciel ! En vain les Romains, d'une action infâmeVoulant parer le coup, cherchent de cette trameÀ sonder les replis, et Jésus va mourir ,Sans que les assassins on puisse ici punir ! [Note : Prétoire : Originellement, quartier du général des troupes romaines. Ici, palais de Pilate où Jésus fut condamné. ]Je sortais du prétoire, et la foule empresséeÀ cette injuste mort semblait intéressée.Vainement pour sa vie on implorait les Juifs,Il s'est trouvé proscrit par leur cris excessifs.Ses vertus, ses talents, n'ont point touché leurs âmes, Ils poursuivent le cours de leurs funestes trames,Leurs coeurs sont endurcis, et déjà condamné, Jésus vers le supplice est, dit-on , entraîné. Vous entendez leurs cris ? On l'a chargé lui-même De porter l'instrument de leur fureur extrême. Ah ! Courbé sous sa croix, à peine il peut marcher ! Suivi de ses bourreaux je le vois s'approcher. SCÈNE II. Jésus, Peuple, Soldats. JÉSUS. Jésus couronné d'épines, vêtu d'une tunique d'écarlate, la croix sur une épaule, la soutenant d'une main, et de l'autre un roseau, paraît affaissé et succombant : il tombe vers le milieu de la scène comme écrasé par le poids de la croix ; un garde veut le percer d'un coup de lance ; Jésus se relève avec tout le courage que lui permet sa position, et dit :Réservez-moi ce coup. Ah ! Pour ma dernière heure !J'ai bien plus à souffrir, avant qu'ici je meure ;Telle est la loi d'un Dieu, les prophètes l'ont dit, Tout, suivant leur décret, en ce jour s'accomplit.Ô mon Dieu ! Dieu puissant ! Puisque le Fils-de-l'hommeDoit de ces maux cruels subir toute la somme,Épargne mes bourreaux ; à la fatalitéImpute, ô juste Dieu ! Toute leur cruauté ! Marchons. SCÈNE II. Les Précédents, Pilate à la tête d'un groupe de Romains et bourgeois armés. PILATE. Non ! Arrêtez ! Ô barbare Caïphe !Voilà donc les excès d'un prêtre, d'un pontife !As-tu bien pu le croire , ah ! Que de vrais RomainsNe pussent arracher de tes sanglantes mainsLe juste et l'innocent ? Il faut que ta furie À vous, à vos Soldats, vous coûte à tous la vie,Frappons... Combat, évolutions de troupes, Jésus est enfin entraîné au supplice. UN DISCIPLE. C'en est donc fait, et le Peuple vainqueur, Veut, va sacrifier son plus grand bienfaiteur. PILATE. Tu triomphes Caïphe et les barbares prêtres, Pour flatter tes désirs sont autant de vrais traîtres. Mais Peuple, écoutez-moi ; j'ai le droit dans ce temps De sauver un coupable une fois tous les ans,Au lieu de Barrabas, sauvons votre prophète ;Que parmi vous encor, Jésus soit l'interprèteDe la Religion ; respectez sa candeur, Et si toujours pour vous il eut un si bon coeur,Ne persécutez point la vertu, la sagesse ;Craignez de votre Dieu la fureur vengeresse. LE PEUPLE. Non ! Sauvez Barrabas et laissez-nous Jésus. PILATE. Rien ne peut attendrir, de vos coeurs corrompus, L'affreuse barbarie , âmes viles, cruelles ,Vous répondrez un jour de vos mains criminelles.Quel crime a-t-il commis pour le faire mourir ?En est-ce un d'être sage et de vous pervertir ?Que lui reprochez-vous en tous lieux, comme au temple, D'une piété vraie, il vous donnait l'exemple ?Il soulageait le pauvre, honorait la vertu,Et le vice par lui fut toujours combattu ;S'il trouvait un coupable et son disciple en faute,Par une parabole, ou bien une anecdote, Il savait le reprendre et jamais par l'aigreur,De son frère en public il découvrit l'erreur.Ménageant son prochain, épargnant son semblable,Jésus était clément, humain et charitable ;Il pardonnait à tout, même à son ennemi, Et des hommes toujours il fut vraiment l'ami ;Mais voici Madeleine... SCÈNE III. Les Précédents, Madeleine. MADELEINE. Ah ! Seigneur ces barbares Dans leur vengeance atroce, inhumains et bizarres... Ils ont assassiné le plus doux des humains !Si vous les eussiez vus de leurs clous dans ses mains, Enfoncer les poignards, son sang jaillir sur terre,Il subit ces tourments sans fiel, ni colère...On l'élève à la Croix, entre deux criminels ;Il leur donnait encor des avis fraternels ;Il les encourageait, et ses vives prières , Pour les porter au bien, sont des traits de lumières.Enfin sur cette croix, avili dans ce lieu,Son corps annonce un homme et son esprit un Dieu ;C'est la seule vertu, c'est la seule sagesse,Qui sur Jésus attire une fureur traîtresse ; Et tout prêt d'expirer, ah ! Jésus prouve aux Juifs,Que malgré leurs forfaits, leurs efforts excessifsPour le calomnier ; s'il n'est point leur Messie Il mérite de l'être. Oui, si la prophétieParut nous annoncer un être tout divin, N'en doutons point Seigneur, Jésus est cet humain ;C'est le mortel choisi pour régner sur nos Pères,Un jour on connaîtra le plus grand des mystères. Tonnerre, pluie de feu, tremblement de terre, des ombres sortent des tombeaux.Mais j'aperçois déjà la vengeance d'un Dieu ;La terre et les Enfers tout s'agite en ce lieu. Reconnaissez ô Juifs ! Au bruit de ce tonnerre,À ce bouleversement et tremblement de terre,Cet Être tout divin. Quelle confusion !Tout semble consterné... dans l'agitation....Des morts ressuscités, et du temple la voûte Par un coup de tonnerre abattue et dissoute....Ces soldats renversés... Dieu ! Prend pitié de nous,Et que sur les seuls juifs soient lancés tous tes coups.Dieu conserve mon Maître, ah ! Sauve-lui la vie ;Puissai-je me jeter aux pieds de ce Messie, Le revoir, l'arroser du torrent de mes pleurs !Ô Ciel, daigne calmer, apaiser ses douleurs !Mais Caïphe en ces lieux, il ose encor paraître ;Il faut que de ma main je punisse ce traître....Non, Dieu saura venger ses insignes forfaits ; Il en connaît le but, la noirceur et les traits ? SCÈNE IV. Les Précédents, Caïphe, Suite. MADELEINE. Scélérat tu le vois, et la nature entièreSemble enfin condamner ta fureur meurtrière.Mais quels nouveaux malheurs vient-on nous annoncer ?... SCÈNE V. Les Précédents, Un Prêtre. LE PRÊTRE, à Caïphe. Seigneur tout est perdu, tout paraît renverser Nos voeux et nos projets ; le Peuple avec surpriseVoit la sinistre fin d'une telle entreprise,Ah ! Vous l'apercevez, on veut nous condamner (Et le Ciel contre nous vient de se déclarer.Des Bourgeois éperdus s'arment l'un contre l'autre, Aucun malheur ici, non, n'égale le nôtre.N'entends-t-on pas des cris ? Voyez nos CitoyensAh ! De leur propre sang ils vont tendre leurs mains. Citoyens et Soldats se combattant avec confusion et paraissant s'entretuer.N'en doutons pas, Jésus était le vrai Prophète,Qui du Ciel annonçait le divin interprète ; Mais Pierre consterné s'avance vers ces lieux. SCÈNE VI. Les Précédents, Pierre. PILATE. Ah ! L'âme de Jésus retourne vers les Cieux,Le crime est consommé ; la mort la plus hideuseVient de nous enlever cette âme vertueuse ;Un Soldat en furie a lancé vers son coeur Le dernier coup, hélas ! De toute leur fureur.Jusqu'au dernier moment assouvissant leur rage,Pour étancher sa soif du vinaigre en breuvage,Ils ont avec l'éponge offert à leur Sauveur.Le Ciel vient de venger un aussi grand malheur, Et la nature enfin a su faire connaîtreQu'en immolant Jésus, on immolait son Maître.Mais moi tout le premier l'ai-je bien pu ;Il me l'avait prédit,... ma trop faible vertu...J'ai pu le renier... ô Ciel toute la vie J'aurai regret d'avoir été traître au Messie.Ainsi donc par les siens il vient d'être trahi,Judas l'aura livré, dans le crime endurciIl a perdu son maître ; et moi craintif et lâcheJe n'ai pu l'avouer : ah ! Quel affreuse tache À nous, ses compagnons, qui de tant de bienfaits,De ses tendres avis ressentions tous les traits :Il était notre père, il était notre maître :Et moi le plus zélé je suis devenu traître.Judas s'en est puni, je crains donc bien la mort... Pour avoir pu survivre à ses jours, à son sort.Qui nous rendra seigneur ce guide doux et sageQui de notre salut s'était rendu l'otageRiches, ou malheureux tous le mortels enfin :Vous perdez ses bienfaits ; la veuve et l'orphelin Seront sans défenseur. Ah ! Jésus notre maîtreÉtait le seul ici qui se plaisait à l'être.Allez je le prédis, notre ReligionSera seule partout digne d'attention.Cette secte à son chef devra donc la fortune En vain pour se venger, la fureur peu communeDes Prêtres et des Juifs inventant les détoursD'un homme vraiment Dieu pouvait trancher les jours.Ils se verront les seuls, leur noire perfidieNe peut se soutenir contre notre Messie. Qu'on cite une Morale, une ReligionEt plus sainte et plus belle, où les sens la passionLiés avec plus d'art puissent dans leur faiblesseAttacher les humains aux moeurs, à la sagesse.[Note : Regratter : ratisser quelque chose de vieux, la raccommoder pour le faire paraître neuf, ou prolonger sa durée. [F] ]Sainte Religion tu régneras un jour L'Univers en entier ; Jésus par son amour,Par ses grandes vertus, enfin par son courageRetire les humains du barbare esclavageDe funestes erreurs. Les mortels en ce lieuComme en tout l'Univers, verront que d'un seul Dieu Il nous faut reconnaître et les droits, la puissanceEt que pour l'adorer nous avons l'existence.Lui seul, oui ce vrai Dieu fut le grand ouvrierDe tout ce qui respire en l'Univers entier.Un auteur à fait tout, c'est l'effet à la cause ; Certes c'est blasphémer que penser autre chose.Car rien n'est fait par rien, ce qui n'est pas prescrit,Ou n'est pas ordonné, tout, tout le contredit.Le haSard manque tout et sur nulle assuranceOn ne pourrait au moins en calculer la chance Il faut donc un esprit, un être tout divinQui détermine ici le principe et la fin.Naturaliste, Athée examine l'ouvrage,Et vois si le hasard d'un si riche assemblageA combiné l'essor ; ce temple, ce vaisseau, Cette horloge superbe et ce que le pinceauPourrait nous peindre ici, tout enfin est l'ouvrageD'un homme et d'un auteur ; mais lui seul, son imageLa Nature en ensemble, un Dieu juste et PuissantEst, est vraiment l'auteur de ce tout surprenant... Mais songeons au malheur... MADELEINE. Puisqu'en cette journéeNotre infortune ici, la triste destinéeNous ont privé d'un maître, allons l'ensevelir L'embaumer et lui rendre avant que de périr Tous les derniers honneurs qu'on doit à sa mémoire, À nous, à nous amis consacrons en la gloire... J'aperçois ses bourreaux, fuyons.... SCÈNE VII. Caïphe et suite. L'UN D'EUX. Ce faux MessieAjoutant aux forfaits, ainsi qu'à sa folie,S'est flatté devant nous.... nous... et publiquementQu'il ressusciterait, il en fit le serment ; Seigneur pour le garder, permettez que des PrêtresVeillent sur le tombeau du premier de ces traîtres ;Évitons leur mensonge, et que quelqu'autre erreurNe ressuscite pas le prétendu Sauveur. CAÏPHE. Allons, que des Soldats placés sur le Calvaire, Oui, même après sa mort, veillent sur le faussaire. ACTE V SCÈNE I. Disciples, et suite. PIERRE. [Note : Aposter : attirer quelqu'un, le mettre en avant pour épier, tromper, ou surprendre quelqu'un. [F]]Des Soldats apostés du tombeau de Jésus,Gardent dans le secret les chemins défendus :Mais que peut contre un Dieu toute leur vigilance.En vain ils y mettraient la moindre confiance, Et tout le genre humain garderait ce tombeau,Que Dieu l'écraserait comme un frêle arbrisseau,S'il voulait que Jésus, ainsi qu'un vrai Messie ;Ressuscitât pour nous suivant la prophétie... Mais que viens-je d'entendre, un coup de foudre, hélas ! Semble entrouvrir la terre encor dessous nos pas, Un nuage éclatant.... Ce nuage et d'autres qui sortent du calvaire, au lieu du sépulcre, se succèdent rapidement, le dernier porte Jésus ayant sa croix à son côté au milieu des éclairs et d'un tonnerre dont les Gardes ont été foudroyés. SCÈNE II. Les Précédents, Jésus, sur le nuage vers le milieu de la scène. JÉSUS. Allez, qu'aucune crainte De me voir parmi vous ne trouble cette enceinte,Soyez en paix, croyez que le fils d'un vrai Dieu Pour le salut de tous a souffert dans ce lieu Vos Prophètes ici prédirent ces souffrancesDont il fut la victime avec zèle et constance ;Je ne vous quitte pas, et toujours avec vousCe sera pour mon coeur les instants les plus doux. Je vole vers mon Père, et sous diverses formes Vous me verrez souvent ; que vos désirs conformesÀ la Religion que je viens d'établir, Vous retrouvent partout enclins à me servir Soyez en paix, adieu. PIERRE. Ah ! Seigneur, de ta gloire Nous allons célébrer les hauts faits, la mémoire ; Il est ressuscité, nous sommes les témoins Que les décrets d'un Dieu sont suivis en tous points.Puisque Jésus encor daigne habiter la terre,Le malheureux, le pauvre ont retrouvé leur Père ;Il ne nous quitte point, lui-même l'a promis En parlant à nos coeurs éperdus et surpris.Il veillera sur nous, il guidera le zèle,Qui pour le bien servir en tous lieux nous appelle.Mais des Gardes, sans doute, ont prévenu les Juifs,Car tous vers le tombeau paraissent attentifs, Ils le voient ouvert, il semble en cette criseQu'ils soient comme accablés d'une telle surprise,Évitons ces bourreaux, et laissons à leurs prêtresLe soin de découvrir les complots de ces traîtres. SCÈNE III. Plusieurs Prêtres et Docteurs. UN DOCTEUR. Serait-il donc possible, et ces bruits répandus, Qu'ils ont vus sous leurs yeux ressusciter Jésus ?Pourraient-ils donc se croire ? Eh mais ! Non, la natureN'a point tracé les faits de semblable aventure.Tout arrêt de la mort qui fut exécuté,Jamais ne fit revoir l'homme ressuscité ; Sans doute un Dieu peut tout ; mais de cette merveilleAucun exemple encor n'a frappé notre oreille ,Du moins jamais nos yeux n'en ont été témoins.Et cette histoire ici paraît fable en tous points.C'est pour séduire encor le peuple qu'on abuse De ce nouveau détour, c'est vainement qu'on use ;Les lois de la nature ont tracé le seul butOù le mortel finit, tel qu'il est, tel qu'il fût ;Et tout être ici bas qui prétend le contraire,Est un vil imposteur traçant une chimère. UN PRÊTRE. Soyez bien assurés et retenez au moinsQue de semblable fable, on n'aura pour témoinsQue gens intéressés à faire croire la chosePour en exagérer et l'effet et la cause.Prévenons ce malheur, notre Religion Doit nous faire nier la résurrectionD'un Criminel proscrit, et qui n'eût dans sa vieRien de si surprenant, sinon l'hypocrisie.C'est peu d'avoir du maître étouffé les forfaits,Il faut que de sa secte on détruise à jamais Les Disciples séduits ; dissipons leurs cohortes.Éloignons-les, il faut les chasser de nos portes :Craignons l'hypocrisie et leur air suborneur,Il n'en est pas un seul qui ne soit imposteur ;Ils veulent tout changer, et je sais que les traîtres De notre culte ici disent être les maîtres :Allons donc leur apprendre, en les massacrant tous,Qu'ils méritent les traits du plus juste courroux. On entend les gémissements d'une femme. SCÈNE IV. MADELEINE, seule. Madeleine, ô mon Dieu ! Pleurant en ton absence !Ne cesse d'invoquer ta divine présence ! Telle est de son amour le zèle et la ferveur,Qu'elle ne vivrait point sans son Dieu, son Sauveur.Qui formerait ses voeux ? De tout abandonnée,Eh ! Que ne suis-je, hélas ! À la mort condamnée ?Quoi ! Je n'entendrais plus en ces tristes climats Celui qui par sa voix savait guider mes pas ;Ô mon Dieu ! Trop longtemps à moi-même livrée,Je devins le jouet d'une faiblesse outrée.En vain le repentir a réparé mes torts ;Je ne puis étouffer les sinistres remords Qui m'accablent toujours, ô Jésus ! Ô mon Maître,Mon vrai Consolateur, le seul qui puisse l'être !Connaissez ma détresse et détournez mes pleurs ;Ah ! Daignez, s'il se peut, apaiser mes douleurs. SCÈNE V. Madeleine, Jésus sans se faire connaître. JÉSUS. Femme, soyez en paix et retenez vos larmes ; Pourquoi cette douleur, tant de sujets d'alarmes ?Vos remords ont suffi ; pensez-vous donc qu'un DieuSoit injuste et barbare ? Ah ! Croyez qu'en tout lieuIl aime à pardonner, et c'est cette clémenceQui vous démontre en tout l'auguste Providence. Mais hélas ! Pour Jésus il a fallu qu'iciDes plus noirs attentats il fut en tout noirci :Dieu l'avait décidé ; ses plus sages Prophètes,De son affreuse mort furent les interprètes ;Ce mystère est d'un Dieu, vous ne devez entrer Dans ses desseins secrets ; loin de les pénétrerAdorez en silence, et sachez qu'il fait grâce,Qu'en bontés et bienfaits rien ici le surpasse. MADELEINE, avec enthousiasme. C'est Jésus, c'est mon Dieu, c'est lui, c'est mon SauveurQui me parle si bien, avec tant de douceur ! Seigneur je me prosterne... Ah ! Cette prophétieQui faisait mon espoir, elle est donc accomplie...Il est ressuscité mon vrai Maître... Ô Jésus !...Je le puis donc encor, contempler vos vertus.L'existence à Jésus en ces lieux fut ravie ; Mais la mort fut contrainte à lui rendre la vie ;Le vrai Dieu qui la donne a renoué le fil,Et Jésus va le suivre à présent sans péril.L'éternité pour vous va célébrer la gloire,Du Père et de son Fils, d'un Dieu dont la mémoire Restera toujours là... C'est là... C'est dans ce coeurQue sont gravés les traits de mon divin Sauveur... Jésus sort sans être aperçu. SCÈNE VI. MADELEINE. Mon Maître est disparu ; Jésus quitte la terreIl retourne régner au céleste hémisphère.Ah ! Je vais méditer dans ma félicité Les moyens de jouir de toute sa bonté...Pilate avec Caïphe en ces lieux va paraîtreLeur démarche et leur voix je pense reconnaître. SCÈNE VII. Caïphe, Pilate. CAÏPHE. Quoi ! Vous ? Pourriez encor, Seigneur, ajouter foiÀ ce mensonge affreux ? Ah ! Certes quant à moi, La résurrection me paraît un vrai songeBien digne du mépris où leur secte les plonge. PILATE. Mais permettez, Seigneur, votre ReligionN'est pas exempte en tout de telle fiction. CAÏPHE. Vous allez comparer notre sainte écriture À ces faits inventés de la folle aventure,Dans ces vils suborneurs boursouflent le récit.Qu'avons-nous de commun avec un Anté-Christ ?Avons-nous fabriqué des histoires pareilles ? PILATE. Votre religion de semblable merveilles Partout est un tissu ; le seul attouchementDu prophète Elisée eut tel enchantement ;Un mort ressuscita ; depuis notre naissance.Ah ! Pour notre malheur, tout n'est qu'extravagance.Depuis Adam, Noé ; depuis Eléazar, Tout n'est qu'enchatement de l'une et l'autre part ;Ici, c'est Noé le merveilleux déluge,Et plus loin c'est Moïse qui, grand prophète et juge,Dicte de décalogue, en un nuage épais,Sur le mont Sinaï, dont il fait un Palais Éclatant de lumière et de feux et de foudre,Paraissant menacer de mettre tout en poudre.Et là, c'est Daniel dans la fosse aux lions...Où des anges aux Cieux, différents escadrons,Fixant les éléments, les changeant de nature, Pratiquant sur les eaux la route la plus sûre,Ôtant la force au feu, arrêtant le soleil ;Sans cesse nous montrant quelqu'accident pareil.Et sur ces faits pourtant croyants opiniâtres,Les autres vous traitez de païens, d'idolâtres. Mais la mythologie et ses religions,Comme la vôtre folle en leurs opinions,Dénaturent les Cieux et chacun se croit sage ;Mais c'est Dieu qui l'est seul, le sera dans tout âge.Que lui sert en effet qu'un Être si petit [Note : La rime du vers 1304 s'écrit "rit" pour rimer à l'oeil avec "petit".]Observe dans son culte ou l'un ou l'autre rite ?N'est-il pas au dessus de leurs folles prières,Des honneurs qu'on lui rend dans nos fourmilières ?Il a pitié de l'homme, et loin de se venger,Il met toute sa gloire à ne pas y songer. ne critiquez donc pas votre nouveau Messie,Respectez ses vertus et votre prophétie ;Et puisqu'enfin il faut une Religion,Honorez dans chacun sa propre illusion. CAÏPHE. Il faudra donc quitter les Dieux de sa Patrie, Honorer, encenser l'astuce et l'industrieDes premiers charlatans qui se diront des Cieux Les envoyés secrets ; des docteurs captieuxLoin d'être réprimée, il sauront donc la gloireDe commander au peuple et de lui faire croire Tout ce qu'il leur plaira : disposant de nos biensIls pourront ruiner l'État, les citoyens.Il faudra contenter leur extrême avarice,Se résoudre à souffrir le plus affreux supplice ;Et les prêtres privés de leur religion ; Et forcés d'assouvir la rage et passion De ces crues intrus, ils verront leurs richesses,Leurs rangs, leurs dignités, des peuples les largessesÊtre bientôt la proie, en ces siècles de fer,Du premier imposteur qui pour les étouffer Et les perdre à son gré par son hypocrisie,De paraître un prophète aura la frénésie. PILATE. Puisqu'enfin ils sont traîtres et imposteursQu'importent leurs défauts, les vertus des docteurs ;Ne suffit-il donc pas qu'on puisse reconnaître Les perfides desseins et les talents d'un traître ?Devant sur tout choisir, c'est le plus vertueuxQui mérite le plus de gouverner les Cieux.Or, entre nous, Jésus par sa sage morale,Ses grandes qualités, cette vertu loyale Qui dirigeait ses pas, s'il fut un imposteurIl était un grand homme : il n'est point de docteurQui dans Jérusalem ait prêché plus l'exemple,Aux places, dans les champs, la cabane, ou le Temple ;Non, jamais l'intérêt et l'ostentation Ne le portèrent point à la Religion ;Il était pauvre et humble, et modeste et vrai sage ;De vous autres docteurs il abhorrait l'usage ;Ce qu'il aimait le plus, il l'enseignait aussi,Jamais, jamais en faute on le surpris ici. Et pour lui pardonner, en vain ma voix plaintiveImplora de vos Juifs la fureur trop active ;Vous avez tous pensé qu'en le faisant mourir,Vous pourriez étouffer jusqu'à son souvenir :Le Ciel vous en punit, ses vertus et sa gloire Survivront dans nos coeurs au temple de mémoire :Entendez-vous ce peuple et des cris et ces chants ?Tout de leur allégresse annonce les accents. SCÈNE VIII. Peuple, Disciples, et suite de Jésus. L'UN D'EUX. Il est ressuscité ce vrai Dieu, ce Prophète,Qui de nos voeux à tous fut toujours l'interprète ; Il a donc triomphé des prêtres, des docteurs,Qui l'avaient outragé de propos imposteurs.Ce dieu toujours clément pardonne à leur furie,De son affreuse mort l'hideuse barbarie :Loin d'aigrir dans son âme un sentiment vengeur, Il vient pour nous prouver qu'un Dieu, qu'un vrai sauveurNous devait un exemple, il le donne à nos prêtres,À tous nos faux docteurs qui s'érigent en maîtres.Vainqueur, glorieux il règne dans le Ciel,Couronné sur un trône auprès de l'Étrenel. SCÈNE IX ET DERNIÈRE. Les précédents ; Tonnerre, Nuages portant Jésus. JÉSUS, sans descendre de l'un de ses nuages. La paix soit avec vous ; de vos tendres hommagesJ'accepte dans ce jour les plus heureux présages,Je vous ai tous sauvés, méritez ce bonheur,Et garantissez-vous à jamais de l'erreurDu culte des feux Dieux ; mais ayez pour maxime Que la vertu surtout méritât mon estime :Chérissez votre frère, idolâtre ou chrétien,S'il est honnête et juste il sera toujours bien :Fut-ce un jour de Sabat, il faut d'un bon office,Autant que vous pourrez, lui rendre le service, Mais sans bruit, sans éclat ; ne confondez jamaisLes mots avec la chose, et sachez désormaisQue les mets en tous temps souilleront moins votre âme,Que fait le médisance ou bien une épigramme.Innocent ou coupable, aimez votre prochain, Avec zèle et candeur présentez-lui la main ;N'adorez qu'un seul Dieu, soulagez votre frère,Eussiez-vous éprouvé son injuste colère.Le véritable culte est dans la charité,Ainsi qu'en vos vertus et dans la chasteté : Et c'est par ces vertus que de toute la terreVous pourrez triompher dans ce vaste hémisphère.La philosophe en tout, fut-il un vrai païen,Reconnaîtra son Dieu dans les lois d'un chrétien,Ah ! C'est par sa morale aussi juste que pure Qu'il chérira l'Auteur d'une sainte Écriture.Allez, soyez en paix, adorant le vrai Dieu,Donnant l'exemple en tout, en public, en ce lieuQue l'homme ne doit plus esclave en sa patrieDe la foi des docteurs, et de l'idolâtrie. En même temps que les nuages et Jésus remontent au bruit de la foudre, la toile se baisse. ==================================================