******************************************************** DC.Title = L'ÉCOLE GALANTE OU L'ART D'AIMER, COMÉDIE DC.Author = BIANCOLELLI, Pierre François DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 22/06/2022 à 06:08:44. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BIANCOLELLI_ECOLEGALANTE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'ÉCOLE GALANTE OU L'ART D'AIMER PAR ARLEQUIN COMÉDIE M. DCC. XI. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. Mise au Théâtre par M. Dominique. À PARIS. Chez CLAUDE et JEAN-BAPTISTE BAUCHE, Quai des Augustins, au Chemin du Ciel, et JACQUES EDOUARD, Parvis Notre-Dame, prés l'Hôtel-Dieu, aux trois Rois. Représentée à Lyon pour la première fois, le 26 Septembre 1710, dans la Salle de l'Opéra en Belle-Cour. Préface Quoique cette Comédie n'ait point été représentée à Paris, elle n'en mérite pas moins la lecture des personnes de bon goût. Le succès qu'elle a eue à Lyon, est une preuve de la capacité du jeune auteur, dont la réputation est déjà si répandue : le nom de Dominique portera un Lecteur délicat à lui accorder ici les mêmes applaudissements. Ce fut le 26 Septembre 1710 que cette pièce commença à paraître pour la première fois sur le Théâtre de Lyon ; elle fut jouée prés de trois mois de suite avec le même nombre de spectateurs que le premier jour ; Monsieur de Meliand Intendant de Lyon, en était un des principaux, et fut toujours un des plus assidus. On connaît parfaitement dans cette comédie le caractère d'une femme sujette au changement : car il est bien rare de n'être point dupé dans l'art d'aimer ; et il n'y a presque point de scène dans cette comédie où les différents détours dont ce sexe est capable ne soient parfaitement dépeints. Notre auteur surtout s'est appliqué à caractériser les fourberies et les déguisements dont elles se servent la plupart, pour exprimer leur amour, souvent le plus trompeur, lorsqu'on se le persuade le plus sincère : en un mot l'École Galante servira peut-être de guide à ces jeunes étourdis, qui trop prévenus de leur mérite, ou plutôt trop entêtés de faire un choix à la boulvue, sans consulter la raison, ou sans se consulter eux-mêmes, acceptent aveuglément un parti auquel ils ne sont nullement destinés, et qui dans la suite est la source de tous les malheurs de leur vie. Tout le monde convient que les Comédiens Italiens surpassent toujours les Comédiens Français dans le temps de leur établissement à Paris ; et ils peignaient avec tant d'art les moeurs et les différents états de la vie, que chacun se trouvait instruit et diverti en même temps. Cependant Paris, cette superbe Ville, si abondante en toutes choses, et si magnifique dans ses plaisirs, se trouve aujourd'hui privée de celui de ces représentations italiennes : on ne peut plus entremêler ses divertissements ; il faut toujours, malgré qu'on en aie, voir les mêmes pièces françaises, ou s'il s'en présente une nouvelle, c'est souvent avec une si grande confusion, qu'il n'y a point d'agrément d'en voir les représentations. Tout Paris a été témoin de cette foule de peuple qui allait aux Représentations italiennes qu'on a vu sur le Théâtre depuis quelques années, et dont le sucés a causé de si grands démêlés entre des gens qui étaient d'autant plus jaloux des applaudissements qui étaient donnés à ces Fragments italiens, qu'ils étaient chagrins de voir le Théâtre Français désert. C'est enfin pour satisfaire au public, qu'on donne l'édition de cette Comédie nouvelle, pour délasser, et pour consoler en partie ceux qui ont regretté et regrettent encore la suppression ces illustres acteurs, qui par leur mérite naturel propre à la Nation Italienne, s'attiraient sans contredit, le titre glorieux d'hommes accomplis dans leur profession. Il est à propos d'avertir le Public, que ce n'est pas seulement dans cette pièce que le génie du sieur Dominique pour le Théâtre s'est fait connaître; dans toutes les provinces où il a paru, les personnes du premier rang se faisaient un plaisir d'être très assidus aux nouvelles pièces qu'il produisait. On pourra dans la suite en faire part au public, et comme c'est toujours lui qui décide mieux que personne de tout ce qui est nouveau, on a commencé par donner l'École Galante de cet Auteur, et on se flatte par avance qu'elle sera bien reçue. L'approbation qu'elle a eue de quelques personnes, dont le goût pour toutes les pièces d'esprit est sûr, en est un préjugé certain. ACTEURS LE DOCTEUR. SPINETTE, Fille du Docteur. ARLEQUIN, Maître d'Ecole. ARGENTINE, Promise à Arlequin. OCTAVE, Amant de Spinette. SCARAMOUCHE, Valet d'Octave. LÉANDRE. MEZZETIN, Valet de Léandre. PIERROT. DANSEURS. LA CHANTEUSE. TROUPE DE MASQUES. La Scène est à Lyon. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Argentine, Arlequin. ARGENTINE. Quel plaisir trouvez vous à me désespérer ?Vôtre coeur aux soupçons ne fait que se livrer. Vous êtes inquiet, jaloux à toute outrance,Croyez-moi, c'est trop loin pousser la défiance,Vous mériteriez bien qu'à vôtre vilain front Puisque vous m'outragez, je file quelque affront. ARLEQUIN. Hélas ! pardonnez-moi mon aimable Argentine,J'ai tout à redouter de vôtre humeur badine ;Vos yeux vifs, et perçants, me font avec raison,Craindre de vôtre part un peu de trahison. Je ne puis m'empêcher de me rendre justice,Je suis à parler net un fort vilain Jocrice ;Si j'étais plus joli je serais moins jaloux ;Mais enfin vous savez ce que j'ai fait pour vous.J'ai moi-même pris soin d'élever vôtre enfance ; Donnez-moi vôtre coeur pour toute récompense.Je vous fais aujourd'hui la maîtresse du mien,Je vous donne ma main, mon amour, et mon bien,Je suis maître d'École, et marchand de Fromage,Je vais tout disposer pour notre mariage, Dés demain vous serez admise dans mon lit,Cela vous devrait bien aiguiser l'appétit. ARGENTINE. Dés demain, dites-vous ? C'est trop tôt, rien ne presse. ARLEQUIN. Ah ! Ce terme est encor trop long pour ma tendresse. ARGENTINE. Il vaut bien mieux laisser passer un peu de temps, Ce sera, je vous jure, assez tôt dans dix ans. ARLEQUIN. Dans dix ans, ma Bellotte, ah ! Qu'oses-tu me dire ?Quelle extrême rigueur ! Tu veux donc que j'expire,Tu prétends me ravir des biens si souhaités,Lorsque je suis pressé de mes nécessités. Non, non, point de délai : la chose est résolue.Tu seras du logis la maîtresse absolue,Je te ferai porter perles, et bracelets,Toi seule auras le soin de gronder les valets,Tu feras le matin mitonner mon potage, Et tu n'oublieras point d'y mettre du fromage,Je ne puis m'en passer, je l'aime autant que toi,Et c'est, mon cher amour, t'en dire assez, je crois ;Je me suis consulté, je ne puis plus attendre,À mes justes désirs ma belle il faut se rendre. ARGENTINE. Quoi c'est donc tout de bon ? vous n'en démordez pas,Vous ferez dés demain la noce, et le repas ?Ah ! Différez de grâce. ARLEQUIN. Il ne m'est pas possible :A toutes tes beautés mon coeur est trop sensible ;Et certaine raison m'oblige fortement à marquer pour l'hymen beaucoup d'empressement.Non mon coeur je ne puis différer, ou je meure,Et si je m'en croyais, ce serait tout à l'heure ;Va, va, n'affecte point ces dehors spécieux,Tu le veux, comme moi, je le vois à tes yeux. Adieu, tout de ce pas, je vais chez le Notaire,Cette cérémonie est ici nécessaire,Pourtant si tu voulais je m'en passerais bien. ARGENTINE. Puisque vous le pouvez, Monsieur n'en faites rien. ARLEQUIN. Non, je veux que demain tu partages ma couche L'hymen est un morceau qu'on prend de broc en bouche,Le plutôt est le mieux, point de réflexion,Lorsque l'on veut former une longue union.Donne-moi deux baisers. ARGENTINE. Vraiment, je suis trop sage. ARLEQUIN. Je rabattrai cela sur notre mariage. ARGENTINE. Les hommes, ce dit-on, en rabattent assez,Prés de nous cependant ils font les empressez,Débitent galamment un amoureux langage,Et pour nous obtenir mettent tout en usage ;Quand ils sont une fois les maîtres du Logis, En moins de quinze jours ils sont bien refroidis.Nous ne les voyons plus attachez à nous plaire,A peine peuvent-ils fournir le nécessaire,Les époux sont ma foi d'étranges animaux ! ARLEQUIN. Les hommes d'aujourd'hui ne sont pas tous égaux, Tu ne te plaindras point, mon aimable Argentine,Toujours bon vin en Cave, et bon pot en Cuisine :Je te laisse, mon coeur, pour un petit moment. SCÈNE II. ARGENTINE, seule. J'ai tout à craindre hélas ! De cet empressement,Je ne puis le souffrir, et malgré mon envie Il veut que dès demain le noeud d'hymen nous lie ;Il croit se faire aimer, mais son espoir est vain,Je ne puis consentir à lui donner la main ;Que demande Pierrot ? SCÈNE III. Pierrot, Argentine. PIERROT. Bonjour la brune-blonde,Il faut auprès de vous que mon coeur se débonde ; Si vous le souhaitez je ferai vôtre Amant,Et je m'en vais vous faire un petit compliment.Je commence, écoutez. Le feu de ma tendresseAllumé par les yeux de ma belle Maîtresse...Cela fait que l'amour... Ne m'interrompez pas, Cela fait donc tout juste... Un autre en pareil casPourrait bien se brouiller ; mais je ne suis pas bête.Ors donc je vous dirai, que si vous êtes prête,Je suis tout disposé, vous n'avez qu'à parler...Dame ! Je voudrais bien avec vous m'enrôler. ARGENTINE. Je veux feindre un moment d'applaudir à sa flamme ;Vous m'aimez donc Pierrot ? PIERROT. Qui vraiment, ma chère âme,Quand je ne vous vois pas je suis absent de vous ;Quand je m'emporte un peu, je me mets en courroux.En un mot je vous aime, et vous n'avez qu'à dire, Je suis un drôle, allez, je vous ferai bien rire. ARGENTINE. Que vos expressions charment mon tendre coeur !Je ne m'en défends point, vous êtes mon vainqueur,Et je n'ai pu vous voir sans vous rendre les armes. PIERROT. On me l'a toujours dit ; que j'avais bien des charmes, Je suis un beau garçon ; pour la taille, je croisQu'on n'en saurait trouver de mieux bâti que moi. Bas.Elle en tient pour le coup. ARGENTINE. Non, il n'est pas possibleQu'en vous voyant si beau je paraisse insensible :On ne peut résister à de puissants appas. PIERROT, bas. Elle va se pâmer, je pense, entre mes bras.Eh, Ventrebleu, pourquoi suis-je un fi beau brin d'homme.Ça, je vois bien qu'il faut vous acquitter la somme,Et vous ne voulez point des lettres de répit,Embrassez-moi ma fille, et sans faire grand bruit... SCÈNE IV. Argentine, Pierrot, Arlequin se met au milieu, Pierrot l'embrasse. PIERROT. Ah ! Je me suis mépris, et cela me chagrine :Au lieu de toi, je dois embrasser Argentine,Je vais recommencer pour te faire plaisir. ARLEQUIN. Il n'en est pas besoin, modère ce désir.Hé bien, je vous y prends, Madame la carogne, Et vous, que faites-vous ici Monsieur l'ivrogne ? PIERROT. Tu m'as interrompu, que je suis malheureux !Ta prétendue, et moi je badinions tous deux.Je me dégourdissais de la belle manière,Va t'en pour un moment, crois-moi, laisse-moi faire. ARGENTINE, à Arlequin. Vous êtes trop jaloux, c'est là tour mon souci,Et vous ne deviez pas venir sitôt ici. ARLEQUIN. Je conviens que j'ai tort, et je devais attendreLe joli dénouement d'un entretien si tendre.Vous voulez donc toujours m'en donner à garder, A vôtre opinion la mienne doit céder,Sur le point d'occuper la couche maritale,Vous donnez une entorse à la foi conjugale ? PIERROT. Puisqu'il demeure ici, sans faire du fracas,Mène-moi dans ta Chambre, il ne le saura pas. ARGENTINE. J'y consens. ARLEQUIN. [Note : Drille : Méchant soldat. Se dit aussi de tout autre malheureux qui porte l'épée, quoi qu'il ne soit point enrôlé. [F]]Ah ! Tout doux, et vous Monsieur le drilleDécampez au plutôt. PIERROT. Lâche-moi cette fille,Va, je te la rendrai dans un petit moment. ARLEQUIN. Morbleu, craignez l'effet de mon emportement ;Apprenez que demain j'épouse cette belle, Que je veux qu'elle soit toujours sage, et fidèle. ARGENTINE. Bon cela ne se peut, Arlequin, croyez-moi,Gardez de m'imposer une si dure loi.Fi donc vous vous feriez berner de tout le monde :Un Mari trop jaloux mérite qu'on le fronde, La sagesse est un monstre, et les femmes ont soinDe ne le regarder ni de près, ni de loin. ARLEQUIN, à Pierrot. Que faites-vous ici ? PIERROT. Moi, j'attends que tu sortes.Pour rester en ces lieux j'ai des raisons bien fortes. ARLEQUIN, prend son coutelas. Veux-tu te retirer, ou je te romps les bras. PIERROT, en s'en allant. Hé bien, je reviendrai quand tu n'y seras pas. ARGENTINE. Vos manières Monsieur, ne font que me déplaire !De tous ces vains soupçons songez à vous défaite,Je vous l'ai déjà dit, vous devez profiterDes leçons qu'Argentine a voulu vous dicter. Je veux goûter en paix les douceurs de la vie,Folâtrer, badiner au gré de mon envie,Adieu souvenez-vous, et soyez convaincu,Que quand on est jaloux, on est bien-tôt cocu. Elle rentre. ARLEQUIN, seul. Franchement ce discours n'est point énigmatique, Elle veut m'encorner malgré ma rhétorique,Mais je ne serai point sujet au grand malheurQui de tant de maris fait naître la douleur,Et je prendrai morbleu, de si bonnes mesures,Que ma femme à mon front ne fera point d'injures. SCÈNE V. Léandre, Octave. OCTAVE. Se peut-il, cher ami, que ton coeur à son toutRefuse de se rendre au pouvoir de l'amour ?Tu fais gloire en tous lieux de ton indifférence ;Ah ! c'est faire au beau sexe une sensible offenseQue de marquer pour lui si peu d'empressement, Et de voir sans l'aimer l'objet le plus charmant.Crains donc, pour te punir, que le fils de CythèreNe te livre aux effets de sa juste colère,Et que ce fier vainqueur renversant tes projetsSur ton coeur dédaigneux ne lance tous ses traits. LÉANDRE. Pourquoi me blâmes-tu ? Ta remontrance est vaine,Je cède avec plaisir au penchant qui m'entraîne,Content de mon état, satisfait de mon sort,J'ignore les effets d'un amoureux transport.Un paisible repos est le bien où j'aspire, Un coeur qui le possède a tout ce qu'il désire ;Est-ce un charme ? dis-moi, de languir sans espoir,D'adorer un objet que l'on a peine à voir,De pousser des regrets, de répandre des larmes,De ressentir toujours de mortelles alarmes ; L'amour m'accablerait sous ses funestes coups,Et me ferait former mille soupçons jaloux ?Inquiet, agité, je craindrais que ma belle,Malgré ma tendre ardeur ne devint infidèle,Chaque instant ne ferait que redoubler mon mal. Je verrais avec peine un trop heureux rival !Ami je vis en paix, rien ne trouble ma vie :Au calme de mon coeur tu dois porter envie,Puisque rien n'est égal à ma félicité,Laisse-moi m'applaudir de ma tranquillité. OCTAVE. Non c'est injustement que tu veux te défendreD'un doux engagement ; et d'un commerce tendre :Chacun doit, cher ami, se laisser enflammerEt nul n'échappe enfin au Dieu qui fait aimer. LÉANDRE. Inutiles efforts pour soumettre mon âme, Aux tyranniques lois d'une volage femme !Et qui par un esprit, faible, capricieux,Reçoit tous les objets qui lui frappent les yeux.De ce sexe enchanteur l'approche est trop fatale :Une femme est toujours d'une humeur inégale, Aujourd'hui ses transports font des plus violents,On la trouve demain au milieu des galants,Affectant d'imiter les airs d'une coquetteBadiner avec eux, répondre à la fleurette,Et pour donner du lustre à ses trompeurs appas Inspirer une ardeur qu'elle ne ressent pas. SCÈNE VI. Arlequin, Léandre, Octave. ARLEQUIN. Messieurs mes écoliers quel nouveau soin vous presse ?Venez-vous dans ces lieux chercher quelque Maîtresse ?Vous étés faits d'un air à ne pas en manquer,Et je vous crois tous deux d'âge à prévariquer ; Du temps que vous étiez sujets à ma féruleJ'étais, vous le savez, d'une humeur ridicule,Je vous interdisais les plaisirs amoureux ;Mais pour lors vous n'étiez que des petits morveux :Je crois que maintenant une telle défense, Ne ferait qu'augmenter votre concupiscence,Et je puis affirmer, sans passer pour menteur,Que vous en savez plus que vôtre précepteur. OCTAVE. Je fais ce que je puis pour convaincre Léandre ;Mais à tous mes discours il ne veut rien comprendre, Et persistant toujours dans sa frivole erreur,Du plus charmant plaisir il conçoit de l'horreur ?Pour lui le mot d'amour est un obscur langage,Et je ne vis jamais un garçon si sauvage. LÉANDRE. Je ne sais ce que c'est : pour tout indifférent J'avouerai qu'en amour je suis fort ignorant. ARLEQUIN. Je veux par mes leçons le rendre plus habile :Laissez-le moi, dans peu vous le verrez docile ;Je consens de tout perdre, et de passer pour fou,S'il n'est dans quelque temps plus tendre qu'un matou. OCTAVE, à Léandre. Ami, pour un moment d'ici je me retire ;Le Seigneur Arlequin aura soin de t'instruire,Malgré ta fermeté, bien-tôt sur ton espritSes savantes leçons auront quelque crédit. SCÈNE VII. Arlequin, Léandre. ARLEQUIN. Ici nous sommes seuls, rien ne nous importune. Se peut-il, qu'insensible à la Blonde, à la Brune,Dans cette inaction tu passes tes beaux ans ?Tu devrais, cher Léandre, employer mieux le temps.Un garçon sans maîtresse est un vaisseau sans rame,Une Ville sans porte, enfin un corps sans âme, Un canon sans affût, c'est un fleuve sans eau,Palais sans fondement, et lame sans fourreau,Tu n'aimes rien, dis-tu, fi donc c'est vivre en bête,Tu peux facilement faire quelque conquête :La beauté la plus fière en l'écoutant parler, D'elle-même aussi-tôt viendra capituler.Tout aime dans le monde, et c'est pure folie,De narguer les appas d'une femme jolie,Les plus braves héros sensibles à leur tour,[Note : Bellone : dieu qui personnifie la guerre et accompagne Mars.]Ont sans peine accordé Bellone avec l'amour. Ce Dieu dans tous les coeurs s'insinue, et se glisse,[Note : Bérénice  : Princesse juive qui fut aimé par Titus, empereur romain, et dont l'histoire inspira la tragédie éponyme de Jean Racine et une autre de Pierre Corneille.][Note : Omphale : Reine de Lydie, femme de Tmolus, resta maîtresse du trône après la mort du prince. Elle acheta Hercule, lorsqu'en expiation des ravages et des massacres dont il s'était souillé pendant sa démence, il fut vendu comme esclave par Mercure. [B]]Titus malgré son deuil aima sa Bérénice.Hercule d'un beau feu fut contraint de brûlerEt pour la Reine Omphale il voulut bien filer.À des désirs ardents peut-on mettre des bornes ? [Note : Jupin  : autre nom de Jupiter.]Pour Europe Jupin voulut prendre des cornes.Il n'est point d'animal qui n'aime tendrement :Le singe la guenon, le cheval la jument,[Note : Europe : Fille d'Agénor, roi de Péhnicie, et soeur de Cadmus, fut aimée de Jupiter, qui l'enleva sous la forme d'un taureau, et l'emmena dans la partie du monde qui porte son nom. [B]]Le coq aime la poule, et l'âne son ânesse,Le gros taureau soupire, et mugit de tendresse, La chaste tourterelle aime son tourtereau,Et la belle perdrix brûle pour son perdreau.Le lion plein de feu rugit pour sa lionne,Et le goujon frétille auprès de sa goujonne,La Chatte en miaulant appelle le matou, Et la sombre chouette est folle du hibou.Toujours le bécasseau vole après la bécasse,Pour l'aimable crapaud la grenouille coasse,Dans l'Empire des flots les Poissons amoureuxMalgré l'humidité brûlent des plus beaux feux. Un carpeau suit de près une carpe fidèle ;Et le maquereau vert pourchasse sa femelle,Tant d'exemples tracés ne suffiront-ils pasPour te déterminer à marcher sur leurs pas ? LÉANDRE. Pour me persuader à fuir l'indifférence, Vous employez en vain toute vôtre éloquence :J'ignore le secret de triompher d'un coeur,Daignez donc m'éclaircir, Monsieur mon précepteur :Lorsque vous m'aurez dit comment je dois m'y prendre,Peut être malgré moi chercherai-je à me rendre, Si vous m'instruisez bien je saurai galammentPratiquer vos leçons prés d'un objet charmant. ARLEQUIN. Pour soumettre à tes lois une beauté charmante.Suis avec un grand soin ma maxime savante.Sitôt que tu verras une belle au balcon, Campe-toi tout d'abord... là... de cette façon.Fais-lui la révérence, et d'un oeil plein de flammePour la mieux amorcer regarde cette Dame.Qu'un soupir amoureux s'échappe de ton coeur,Mord ton gant, affectant une douce langueur, Exprime en mots pompeux ta nouvelle tendresse,Et la belle aussi-tôt, fût-elle une Lucrèce,Lors qu'en termes choisis tu conteras tes feuxNe refusera point de répondre à tes Voeux. Arlequin fait tout ce qu'il dit ci-dessus, d'une manière toute comique.Dis-lui qu'en la voyant, trop sensible à ses charmes, Tu n'as pu t'empêcher de leur rendre les armes.Que jusques au tombeau tu veux être constant,Et qu'enfin tu serais parfaitement contentSi d'un objet si beau tu faisais la conquête.Après un grand discours demande un tête à tête, Tu verras que sans peine elle t'accorderaTête à tête, baisers, peut être.... Et cetera. LÉANDRE. Je vois qu'il faut céder, et qu'à vôtre éloquenceOn ne peut opposer qu'une vaine défense ;Je vais tout de ce pas en fidèle écolier Suivre vôtre leçon, et la bien essayer. Il s'en va. ARLEQUIN. Moi, je vais sur le champ avertir le NotaireDe se rendre chez moi pour finir mon affaire. SCÈNE VIII. Octave, Scaramouche. OCTAVE. C'est vivre trop longtemps loin de l'objet aimé ;Rien ne doit arrêter un coeur bien enflammé. Lorsque je ne vois point la charmante SpinetteMes sens sont agitez, mon âme est inquièteCette jeune beauté fixe tous mes désirs,Loin d'elle je ne puis goûter de vrais plaisirs,J'aime son air naïf, sa manière innocente, Et sa simplicité me ravit, et m'enchante :Que dis-tu de mon choix ? SCARAMOUCHE. À parler franchement,C'est un vilain métier que celui d'un Amant :Vous passez sans dormir les nuits les plus tranquilles,Vous êtes comme un Chat qui rode sur les tuiles, Pour moi je ne sais pas quel plaisir vous trouvez !Vos draps depuis deux mois n'ont pas été lavezEst ce pour épargner les frais du blanchissageQue vous dormez si peu ? quel Diable de ménage !Aussi vous devenez maigre comme un anchois, Et vous avez morbleu le plus fichu minois !J'enrage ; car il faut aussi par complaisance,Que je veille avec vous sans me farcir la panse.Moi qui toute ma vie ai bien mangé, bien bu,Ma foi, je n'ai jamais été si mal repu. Aussi, je m'aperçois que ma graisse est fondue,Je deviens tous les jours plus sec qu'une morue,À peine suis-je à table, aussitôt vous criezScaramouche... d'abord il faut lever les pieds.Tu mangeras tantôt, va porter cette lettre À Spinette, à présent elle est à sa fenêtre,Et tu la lui rendras sans qu'on puisse te voir ;Cet ordre rigoureux me met au désespoirLa nuit lorsque je crois reposer à mon aise,Scaramouche ! Viens-t'en me mettre sur la chaise, Pendant toute la nuit voilà quel est le train,Cela dure souvent jusques au lendemain ;Je crois que vous rendez votre amour par derrièreEt vous m'empoisonnez avec vôtre matière. OCTAVE. Veux-tu bien terminer de si fades discours Sans rime, et sans raison tu plaisantes toujours. SCARAMOUCHE. Le vilain loup-garou qui n'aime pas la joie ! OCTAVE. Cours appeler Spinette il faut que je la voie. SCARAMOUCHE. Oui, mais si le docteur était dans la maisonIl me régalerait de cent coups de bâton : Le drôle quand il bat n'y va pas de main morte,Je le sais. OCTAVE. Ne crains rien, va frapper à sa porte. SCARAMOUCHE. Allons je le veux bien, et si je suis battuJe vous rendrai ma foi ce que j'aurai reçu. OCTAVE. Finiras-tu maraud ? SCARAMOUCHE. Qu'il a l'humeur farouche ! Hola ! Quelqu'un, c'est moi ? Il frappe. SCÈNE IX. Spinette, Octave, Scaramouche. SPINETTE. Que veux-tu Scaramouche ? SCARAMOUCHE. Madame en vérité... pour moi je ne veux rien, SPINETTE, en s'en allant. Adieu donc. SCARAMOUCHE. Serviteur, parlez, Monsieur. OCTAVE. Hé bien !Qu'as-tu donc fait ? SCARAMOUCHE. J'ai vu la charmante Spinette,Qu'elle a l'air engageant ! morbleu qu'elle est bien faite ! Elle m'a demandé pourquoi je l'appelais,Elle a voulu savoir ce que je lui voulais,Et moi j'ai répondu, je ne veux rien Spinette,Aussi-tôt elle a pris la poudre d'escampette.Voilà ce que j'ai fait. OCTAVE. Ah L le joli garçon Et qu'il s'acquitte bien d'une commission. Il va frapper à la porte.Hola ! SPINETTE. Que veux-tu donc, ah ! c'est vous ! OCTAVE. Oui, ma belle,Vous me voyez ici... SCARAMOUCHE. Bonjour Mademoiselle,Mon maître n'a pas tort, elle a bien des appas,Le pauvre Scaramouche en ferait ses choux gras. OCTAVE. Hé bien puis- je former une douce espérance ?Vôtre coeur ressent-il les tourments de l'absence ?Et quand vous me voyez, goûte-t-il les plaisirsOù doivent se borner ses uniques désirs ? SPINETTE. Douteriez-vous encor de mon ardeur parfaite ? Quoi, vous ne croyez pas d'être aimé de Spinette ?Que je suis malheureuse ; après ce que j'ai fait,Vous êtes trop jaloux. OCTAVE. Je le suis en effet :Si je ne vous aimais avec délicatesse,Je ne craindrais pas tant, ma charmante Maîtresse, Ah ! Loin que mes soupçons vous soient injurieux,Ils doivent leur naissance à l'excès de mes feux. SPINETTE. Par où donc, cher Octave, ai-je pu vous déplaire ?Pour vous tant allarmeR que me voyez-vous faire ?Du matin jusqu'au soir je suis dans la Maison ; Quand vous me soupçonnez vous n'avez pas raison ;A de pareils discours je ne puis rien comprendre. Elle pleure. OCTAVE, à Scaramouche qui pleure. Tu pleures ? SCARAMOUCHE. Oui, Monsieur ; c'est que j'ai le coeur tendre. OCTAVE. Daignez sécher les pleurs qui coulent de vos yeux. SCARAMOUCHE, en pleurant. Monsieur, jusqu'à demain nous pleurerons tous deux ; Aussi pour quoi lâcher le robinet des larmes :Que de beaux yeux en pleurs ont d'agréables charmes ! SPINETTE. De moi, je le vois bien, vous faites peu de cas,Vous me grondez toujours, et vous ne m'aimez pas. OCTAVE. Pardonnez-moi Spinette, et croyez que mon âme Saura brûler pour vous d'une éternelle flamme,Belle, vous me voyez soumis à vos genoux... SPINETTE. Dites moi donc, Monsieur quand nous marierons-nous ?Mon père est bien méchant, vous aurez de la peineÀ gagner son esprit. OCTAVE. Non, vôtre crainte est vaine, Il faudra qu'il consente, et je suis assuré... SCARAMOUCHE. Ah ! Que je serai beau quand j'aurai bien pleuré ! SPINETTE. Vous m'avez tant de fois promis des sérénades,Quand m'en donnerez-vous ? j'aime fort les aubades. OCTAVE. Ce soir. SPINETTE. N'y manquez pas, les filles du quartier Ont toutes ce plaisir, et je dois l'envier,J'aime les instruments on ne peut davantage. SCARAMOUCHE. C'est assez là le goût des filles de vôtre âge. OCTAVE. Votre père n'est pas à présent au Logis.Entrons-y. SPINETTE. Mais par lui si vous étiez surpris, Il me maltraiterait d'une étrange manière. OCTAVE. Entrons sans différer, ne craignez rien ma chère ;Scaramouche aura soin de l'écarter d'ici :Entends-tu ? Ils entrent. SCARAMOUCHE, seul. Peste soit de l'amoureux transi :Cet emploi m'est à charge, et ne me convient guère, Tout franc je suis bien las d'un pareil ministère,Moi qui jamais n'ai craint en amour de rivaux,Aujourd'hui l'on m'emploie à garder les manteaux :Mais voici le Docteur. SCÈNE X. Le Docteur, Scaramouche. LE DOCTEUR. Non, je n'y puis suffire :C'est souffrir trop longtemps un rigoureux martyre : Quoi, je ne puis jouir d'un moment de repos !Le moyen d'écouter tant de fades propos ;L'un me vient aborder, un inconnu m'embrasse,Et cet autre me tient des discours à la glace :Comment vous portez-vous ; que dit-on de nouveau, Pour aller prendre l'air le temps est assez beau.L'un parle de sa voix, et l'autre de sa danse ;Celui-ci prend le soin de vanter ma science :De pareils entretiens ne me conviennent pas,Peste des importuns, j'en trouve à chaque pas : Horace avait raison d'en craindre la poursuite,Et de fuir avec soin cette race maudite ;Et le plus sûr moyen de fuir tous ces fâcheux,C'est d'entrer au Logis, et de m'éloigner d'eux. SCÈNE XI. Scaramouche, Le Docteur. Scaramouche vient avec précipitation, en nommant à haute voix le Docteur, pour se faire entendre à Octave qui est dans la Maison ; et dans le temps que le Docteur vent entrer chez lui, Scaramouche le repousse vivement, lui racontant qu'il vient de prendre son parti contre des personnes qui le traitaient d'ignorant, et qu'il en est venu aux mains avec ces mêmes personnes ; en disant : Sortez ; Monsieur le Docteur est ici, mais c'est pour se faire entendre d'Octave. Après le récit de cette dispute, qui consiste en plusieurs coups, que le Docteur reçoit de Scaramouche, pour lui faire, à ce qu'il dit, mieux comprendre de quelle manière le combat s'est passé ; le Docteur est contraint de après quoi Scaramouche appelle Octave, en lui disant de sortir. SCÈNE XII. Octave sortant de la Maison du Docteur, Scaramouche. OCTAVE. Hé bien puis-je sortir, et n'ai-je rien à craindre ? SCARAMOUCHE. Le Docteur est bien loin, et j'ai su le contraindreA partir de ces lieux en le chargeant de coups,De peur qu'il ne revienne, allons, retirez-vous. SCÈNE XIII. Argentine à sa fenêtre tenant un Livre à la main, Léandre qui survient. ARGENTINE. Que l'état d'une fille est triste et déplorable !Lors qu'en proie aux rigueurs du destin qui l'accable, Elle doit obéir, et que son coeur gêné,À fuir un doux penchant est enfin condamné.Non, je ne puis subir cette loi tyrannique. LÉANDRE, bas. Il faut pour m'égayer que je mette en pratique La leçon qu'Arlequin m'a tracée en ces lieux. Que vois-je ! Quel objet se présente à mes yeux !Je vais, comme il m'a dit, me camper devant elleD'un air de petit Maître, et sourire à la belle. Il se campe devant la fenêtre, et se donnant des airs.Bon, j'en fuis aperçu, tout va bien jusqu'ici ;Jouons de la prunelle en amoureux transi, Lançons-lui tendrement une oeillade engageante,Pour la faire bien-tôt répondre à mon attente :Ce soupir plein de feu va la déterminer ;J'ai commencé l'ouvrage, il faut le terminer :Je dois mordre mon gant ; elle se met à rire, Je crois que j'obtiendrai tout ce que je désire. Il s'approche après avoir fait tout ce qu'il a dit ci-dessus.Madame, permettez que ma naissante ardeurÉclate, et que le feu qui dévore mon coeurSe découvre à vos yeux, puis qu'eux seuls l'ont fait naître.Il est trop violent pour craindre de paraître, Et jusques au tombeau je prétends vous aimer,Ma belle à vôtre tour laissez-vous enflammer ;Et pour prix de l'ardeur qui prés de vous m'arrête,J'ose vous demander en grâce un tête à tête. À part.Qui ne dit mot consent ; elle l'accordera, Et je suis déjà sûr d'avoir l'et cetera. ARGENTINE. Un tel aveu, Monsieur, a lieu de me confondre ;Vous m'embarrassez fort, je ne sais que répondre ;Cependant je veux bien vous dire ingénumentQu'en cet instant mon coeur goûte un plaisir charmant ; Et comme je voudrais éviter l'esclavage,Pour me soustraire au joug d'un fatal mariage,Où prétend me soumettre un jaloux odieux ;Je braverais pour vous ses transports furieux ;Mais je crains de former une vaine espérance. LÉANDRE. Non, non, assurez-vous de ma persévérance ;Jusques à ce moment j'ai méprisé l'amour,Mais je vois qu'à ce Dieu chacun cède à son tour.Vous seule êtes l'objet de ma première flamme,Et vous avez enfin triomphé de mon âme : Pour vous faire échapper aux rigueurs du jaloux,Les plus affreux périls me sembleront trop doux, ARGENTINE. Que mon sort serait beau, si vous étiez ; sincère !Mais je n'ose penser... LÉANDRE. N'en doutez point ma chère. ARGENTINE. Hé bien, s'il est ainsi, je vous attends demain, Pour vous communiquer en secret mon dessein ;Ensemble nous prendrons des mesures certaines,Pour entrer dans vos fers, je briserai mes chaînes.Je crains que mon jaloux ne vous trouve en ce lieu,Il faut vous retirer. LÉANDRE. Vous me quittez. ARGENTINE. Adieu. LÉANDRE. Déjà... ARGENTINE. Dans un moment il doit ici se rendre ;Dites-moi votre nom. LÉANDRE. On m'appelle Léandre. ARGENTINE. C'en est assez, Léandre, il ne tiendra qu'à vousDe posséder ma main en qualité d'époux. LÉANDRE. Ah ! Puisqu'à vous aimer mon coeur se détermine, Apprenez-moi du moins vôtre nom. ARGENTINE. Argentine,Mon cher Léandre, adieu, j'attends vôtre retour,Songez au rendez-vous accordé par l'amour. LÉANDRE, seul. Quel changement soudain ! je me vois sans défense,Qu'êtes-vous devenue heureuse indifférence ! Quoi l'amour à ses lois a soumis ma raison !J'ai pris, je le vois bien, du goût à la leçon ;Et ce Dieu tout à coup s'est vengé sur moi-même,Du mépris que j'ai fait de son pouvoir suprême. SCÈNE XIV. Octave, Scaramouche, Plusieurs Valets avec des Lanternes, La Chanteuse, Spinette à la fenêtre. SCARAMOUCHE, aux Symphonistes. Préludez s'il vous plaît, Messieurs du Violon, Et faites de Musique un joli carillon. Les Symphonistes jouent une Ritournelle. LA CHANTEUSE. Un amant soumis à vos lois,Languit pour vous, belle Spinette ;Il brûle d'une ardeur parfaite,Et n'a pu faire un plus beau choix. Il cherche sans cesse à vous plaire.Ah ! daignez répondre à ses feux !Si vous voulez le rendre heureux,Il n'aura plus de voeux à faire. SCÈNE XV. Le Docteur d'un côté, Arlequin de l'autre. LE DOCTEUR. Que font ces insolents plantez devant ma porte, Je veux les étriller, mais de la bonne sorte. ARLEQUIN. Messieurs les amoureux, je vais vous régaler,Et bientôt de ces lieux vous faire détaler. Arlequin et le Docteur frappent sur tous les Valets qui se défendent, et font un, combat fort plaisant : le Docteur dans l'obscurité de la nuit frappe sur Arlequin, Arlequin en-fait de même, et après plusieurs lazzi entre Scaramouche, le Docteur, Arlequin, et les Valets, le premier Acte finit par uns Danse de quatre valets. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. MEZZETIN, seul en chantant. Vive le jus de la treillePour dissiper le chagrin : Lorsque je tiens ma bouteille,Je goûte un heureux destin.J'aime mieux rougir ma trogneQu'aimer un objet charmant :Rien n'inquiète un ivrogne, Et tout alarme un amant.Ma foi c'est un plaisir de chanter et de boire,Le joyeux Mezzetin en fait toute sa gloire ;Fi de ces amoureux languissants et transis,Qu'accompagnent toujours les peines, les soucis ; Pour moi, grâces au Ciel, je n'ai point le coeur tendre,Dans ses filets tendus l'amour ne peut me prendre :[Note : Incaguer : défier quelqu'un, se moquer de lui. C'est un homme qui me menace beaucoup, mais je l'incague. [F]]J'incague son pouvoir, je me ris de ses traits,Et le Cabaret seul a pour moi des attraits.Je m'enivre souvent, et je suis un bon drille, [Note : Briscambille : Brusquembille. Jeu de cartes qui peut de jouer à deux trois ou quatre joueurs. [L]]Je fume quelquefois, je joue à Briscambille ;En moi d'un bon grivois on peut voir le portrait,Je suis sur mon honneur un Lyonnais parfait.Je voudrais bien savoir où s'est fourré mon Maître...Mais le voici qui vient, et je le vois paraître. SCÈNE II. Léandre, Mezzetin. LÉANDRE, pensif. Étrange état d'un coeur que l'amour a soumis !De trouver du repos il ne m'est plus permis. MEZZETIN, en lui voulant parler. Monsieur... LÉANDRE, en se promenant. Loin de l'objet de ma nouvelle flammeJe ne puis vivre en paix, tout agite mon âme. MEZZETIN. Monsieur... LÉANDRE, se promenant toujours. À le revoir je borne tous mes voeux, Et son aspect charmant peut seul me rendre heureux. MEZZETIN. Monsieur... LÉANDRE, apercevant Mezzetin. Ah ! Mezzetin que j'ai d'inquiétude !L'amour me fait souffrir le tourment le plus rude. MEZZETIN. La soif me désespère et me fait enrager. LÉANDRE. Je cherche un beauté... MEZZETIN. Moi je cherche à manger. LÉANDRE. Non, rien n'est comparable aux attraits d'Argentine. MEZZETIN. Non, rien n'est plus charmant qu'une grande Cuisine. LÉANDRE. Et le coeur le plus fier doit enfin lui céder. MEZZETIN. Oui, je voudrais toujours m'emplir et me vider. LÉANDRE. Que dis-tu, Mezzetin, et quel est ce langage ? MEZZETIN. Pour moi le mot d'amour est un sensible outrage,Parlez plutôt de boire, est-il rien de plus doux[Note : Glouglou : Terme burlesque, qui ne se met que dans les chansons bachiques, pour signifier le bruit, ou le murmure que fait le vin en sortant de la bouteille. [F]]Qu'un son harmonieux d'agréables glouglous ?Rien ne peut approcher de cette mélodie. LÉANDRE. Je croyais sans aimer passer toute ma vie ; Mais depuis que j'ai vu l'objet qui m'a charmé,Mon coeur indifférent s'est d'abord enflammé :Pour ne pas l'adorer ma Maîtresse est trop belle,Je dois dans un moment m'introduire chez elle ;Tu pourrais interrompre un si doux entretien, Retire-toi d'ici. MEZZETIN. Ma foi je le veux bien ;Vous n'avez qu'à jaser, et conter la fleurette,[Note : Chopine : petite mesure de liqueur qui contient la moitié d'une pinte. [F] Chopinette, diminutif de chopine. ]Moi, je vais chez Muri boire la chopinette. Il s'en va. SCÈNE III. Léandre, Arlequin, qui survient. LÉANDRE. Voici l'heure, je pense, où je dois lui parler.Je suis bien amoureux, à ne le point celer ! Parbleu, c'est tout de bon ; mais j'aperçois mon maître. Il court au-devant d'Arlequin, et l'embrasse.Comment, cher Arlequin, pourrai-je reconnaîtreVotre bonté pour moi, vos soins officieux ? ARLEQUIN. Croyez, mon cher enfant, que j'ai fait de mon mieux :Avez-vous profité d'une leçon fi belle ? Vous étiez à l'amour terriblement rebelle. LÉANDRE. Ami, ce temps n'est plus, mon coeur est bien changé,Et dans d'aimables fers il se trouve engagé.J'ai suivi bien à point vôtre douce maxime :C'était contre l'amour commettre un trop grand, crime, Que de ne pas céder à des appas vainqueurs,Et je suis revenu de mes vaines erreurs. ARLEQUIN. Ah ! que j'en suis ravi, voila ce qui s'appelle,À voir un écolier et soumis, et fidèle ;Je suis trop satisfait que ma sage leçon Ait fait en peu de temps un élève si bon. Çà ne me cachez rien, la belle s'est rendue ?Parlez, qu'avez-vous fait depuis nôtre entrevue ? LÉANDRE. J'ai d'abord pratiqué ce que vous m'avez dit :Vos préceptes étaient gravez dans mon esprit. Ainsi je ne pouvais qu'à mon grand avantageAppliquer la leçon que j'ai mise en usage.Un objet tout charmant s'est offert à mes yeux,Cette jeune beauté loge prés de ces lieux,Elle est, je l'avouerai, tout à fait engageante ; La Belle a répondu sans peine à mon attente,Pour la mieux amorcer j'ai d'abord employé,Les soupirs, les regards, je n'ai rien oublié :Enfin dans un moment je dois entrer chez elle. ARLEQUIN. Dites-moi donc comment le nomme cette belle. LÉANDRE. Son nom est Argentine. ARLEQUIN. Ha ! Que me dites-vous ? LÉANDRE. Elle est entre les mains d'un brutal, d'un jalouxQu'elle ne peut souffrir, et que son coeur déteste. ARLEQUIN, à part. Oh ! pour le coup j'en tiens, il m'a donné mon reste,L'ai-je bien entendu ? Peste de la leçon, Peut-être il s'est mépris, et quelle est sa Maison ? LÉANDRE, en lui montrant la Maison. C'est là. ARLEQUIN. Vous vous trompez. LÉANDRE. Non : c'est là sa demeure. ARLEQUIN, en montrant avec le doigt une autre maison. C'est peut-être plus bas. LÉANDRE. Non Monsieur, où je meure. Il touche avec la main la maison d'Argentine.C'est ici. ARLEQUIN. Juste Ciel ! je n'en dois plus douter,Il a de me leçon su trop bien profiter. Ce Diable d'écolier en sait plus que le Maître. LÉANDRE. Dans un moment j'espère encore la mieux connaître :Son jaloux est dehors, elle m'introduiraDans son appartement. ARLEQUIN. Gare l'et cetera. LÉANDRE. Si vous vouliez Monsieur pour couronner l'ouvrage, Entrer chez me Maîtresse, et voir si ce sauvage,N'est point dans le Logis, vous m'obligerez fort.Ne refusez donc pas de servir mon transport :Vous êtes si zélé, d'une humeur si traitable ! ARLEQUIN. Que j'ai lieu d'espérer... Ce serait bien le Diable, Cet ouvrage sans moi saura se terminer,Et vous allez, Monsieur, bien-tôt le couronner. LÉANDRE. Quoi, vous ne voulez pas ? Votre refus m'offense. ARLEQUIN. Non, ma foi, je ne puis le faire en conscience,Adieu. LÉANDRE. Vous me quittez ; Ah ! restez en ces lieux, Pour voir.... ARLEQUIN. Je ne suis pas à présent curieux.Ah ! Maudit écolier ! que la peste te crève.Qui l'eût jamais pensé : j'ai fait une bel élève ;Mais je veux à l'écart observer tout ceci. Il se retire. LÉANDRE. Qu'elle tarde à venir, juste Ciel ! La voici. SCÈNE IV. Argentine, Léandre, Arlequin à l'écart. LÉANDRE. C'est donc vous ? Argentine, enfin vôtre présenceSatisfait aux transports de mon impatience.Je vous vois, et je suis parfaitement heureux. ARGENTINE. Au plaisir d'être à vous je borne tous mes veux :Vous seul pouvez parer le coup qui me menace, Et me faire éviter une affreuse disgrâce ;Je ne puis consentir d'épouser un magot. ARLEQUIN, à l'écart. Comme elle me connaît ! Que je suis un grand sot !Ne lui devrais-je pas donner une bourrade...[Note : Gourmade : Coup de poing donné en se battant. [F]]Mais non : je suis poltron, et je crains la gourmade. LÉANDRE. Oui, de vôtre jaloux je veux vous délivrer,Ma belle, c'est de quoi je puis vous assurer,Et les noeuds de l'hymen nous uniront ensemble. ARGENTINE. Ciel ! S'il nous surprenait ! Ah ! Léandre je tremble... LÉANDRE. Non, non, ne craignez rien, s'il troublait nos discours, Ce serait fait de lui j'abrégerais ses jours. ARLEQUIN, bas. Oh ! vous pouvez parler avec toute assurance,Après l'avoir instruit, la belle récompense ! ARGENTINE. Souhaitez-vous entrer ? ARLEQUIN, bas. Eh non qu'il n'entre pas. LÉANDRE. Belle, je ne veux point vous causer d'embarras, Je vais tout disposer pour nôtre mariage. ARLEQUIN, bas. S'il veut nous nous mettrons tous les deux en ménage,Moi je l'aurai la nuit, et lui l'aura le jour. ARGENTINE. Léandre, au nom des Dieux, pressez vôtre retour,Puissent-ils protéger des ardeurs si fidèles ! LÉANDRE. Ma chère, de l'amour j'emprunterai les ailes.Pour voler jusqu'à vous, et pour vous garantir... ARGENTINE. Ce n'est pas sans regret que je vous vois partir. LÉANDRE. Tantôt de mon dessein vous serez mieux instruiteEt nos amours auront une agréable suite. SCÈNE V. ARLEQUIN, seul. Hé bien qu'en dirons-nous ! sont-ce là des chansons !Non pas, voilà l'effet de mes belles leçons,Je m'en suis bien douté, quand cette matinéeJe peignais avec soin me tête infortunée :Le peigne ne pouvait entrer dans mes cheveux, J'avais beau le pousser, et peigner de mon mieux,Quelque chose de dur lui faisait résistance ;Il faut pourtant avoir recours à la vengeance :Vite qu'un bon canon, une bombe, un mortier,Une carcasse, enfin un arsenal entier, [Note : Carogne : terme injurieux, qui se dit entre les femmes de basse condition, pour se reprocher leur mauvaise vie, leurs ordures, leur puanteur. [F]]Punisse ma carogne, et seconde ma rage,Quoi l'on me Vulcanise à la fleur de mon âge ? Il pleure à sa manière.Ma foi, je suis bien fou de répandre des pleurs :Car si tous las Maris sujets à tels malheurs.Pleuraient amèrement pour pareilles alarmes On ne verrait ici que des yeux plein de larmes. Il s'en va. SCÈNE VI. Le Docteur, Spinette. LE DOCTEUR. Je dois pour quelque temps m'absenter du Logis :Le soin de la Maison par moi vous est commis.Balayez bien ma chambre, et songez au ménage,Lorsque je reviendrai que je trouve un potage, Et que la porte soit fermée à double tour,Gardez-vous de l'ouvrir jusques à mon retour. SPINETTE. Je vous obéirai : le devoir me l'ordonne.Si quelqu'un vient frapper... LE DOCTEUR. Ne recevez personne.Faites ce que je dis, restez dans la Maison ; Surtout je vous défends de paraître au Balcon. SPINETTE. Ferais-je un si grand mal, si pendant vôtre absenceJe prenais un peu l'air ; pourquoi cette défense ?Quand je suis seule, hélas ! je m'ennuie a la mort,Et tout le monde dit que vous avez grand tort De me faire subir un si rude esclavage,Et qu'enfin il est temps de me mettre en ménage.Que déjà je devrais être avec un époux,Et que je me pourrais fort bien passer de vous.Car à ce qu'on m'a dit je suis fille nubile Je ne le sens que trop. LE DOCTEUR. Vous faites l'indocile, [Note : Embryon : Se dit ironiquement, et pour mépriser quelque chose. Ce n'est qu'un petit embryon, un avorton, un homme de néant. [F]]Voyez cette morveuse, et ce bel embryon ! SPINETTE. Je ne mérite pas, mon père, un pareil nom.Vous m'appelez morveuse, et moi je vous assureQu'on peut cueillir la poire aussitôt qu'elle est mûre, Et qu'il ne tient qu'à moi... suffit, je m'entends bien. LE DOCTEUR. Plaît-il ? Que dites-vous ? SPINETTE. Qui moi ? Je ne dis rien. LE DOCTEUR. Taisez-vous, je suis las d'entendre ce langage,Un semblable entretien, et m'échauffe, et m'outrage,Songez à m'obéir en tout ce qui me plaît, Ou vous m'obligerez à vous donner le fouet. SPINETTE. Ne vous emportez pas, je crains vôtre colère,Mon cher petit papa. LE DOCTEUR, à part. Ma foi l'on a beau fairePour gêner un esprit on se fatigue en vain ;Nature est la plus forte et va toujours son train. SCÈNE VII. Spinette, Octave, qui survient. SPINETTE. Mon père me contraint et veut me rendre esclave ;Mais il n'en sera rien, si je voyais Octave,Maintenant au Logis je le ferais entrer,Peut-être viendra-t-il, j'ai tout lieu d'espérer ;Je l'aperçois enfin. OCTAVE. Quelle bonne nouvelle ? SPINETTE. Pour nous voir en secret l'occasion est belle,Mon père de longtemps ne viendra dans ces lieux. OCTAVE. Entrons, et profitons d'un moment précieux. SCÈNE VIII. LE DOCTEUR. Je suis bien dissipé, je sors pour une affaire,Et j'oublie au Logis ce qui m'est nécessaire, Un Billet, sans lequel je ne puis recevoirLa somme qui m'est due et que je veux avoir. En voyant la porte fermée.A mes ordres prescrits ma fille obéissante,Ainsi qu'elle le doit, répond á mon attente :Elle a fermé sa porte. Un père est trop heureux, Quand sa fille veut bien satisfaire à ses voeux ;Et je rends grâce au Ciel, dont la bonté suprêmeM'a fait naître un enfant d'une sagesse extrême. Spinette ne sait pas ce que c'est qu'un amant,C'est ce qu'en une fille on trouve rarement ; Mais pour m'ouvrir la porte il faut que je l'appelle :Spinette, hola Spinette ! À présent que fait-elle ?Sans doute elle s'amuse à tricoter un bas,Je suis bien assuré qu'elle ne m'attend pas. SCÈNE IX. Spinette surprise en voyant son père, Le Docteur. SPINETTE, ouvre la porte. Que deviendrai-je hélas ! Juste Ciel, c'est mon père ! Courage, un stratagème est ici nécessaire.Ah ! Mon père je suis en proie à la douleur,Il vient de m'arriver le plus cruel Malheur...Vous allez à coup sûr me faire une querelle. LE DOCTEUR. Ma fille que dis-tu ? SPINETTE. Cette robe si belle Que vous prîtes le soin vous-même d'acheter. LE DOCTEUR. Hé bien ? SPINETTE. Mon cher Papa je viens de la gâter :Elle est toute tachée. LE DOCTEUR. Ô Ciel, est-il possible ! SPINETTE. Jugez à ce malheur si mon coeur est sensible !Attendez un moment, j'entre pour la chercher, Vous verrez si sans peine on peut la détacher. Elle entre. LE DOCTEUR, seul. Parbleu, je suis touché d'un accident semblableCette perte est vraiment assez considérable,Et j'en suis pénétré plus qu'on ne peut penser,On n'est pas en état toujours de dépenser. Spinette déploye la robe devant la porte, le Docteur la tient par un bout, et Octave sort par dessous sans que le Docteur le voie. SPINETTE. Prenez-la par un bout, regardez bien mon père,Pour moi je ne sais pas comment on pourra faire,La tache est grande, et moi je ne saurais penserQue quelque effort qu'on fasse on puisse l'effacer. LE DOCTEUR. Où donc est-elle ? SPINETTE. Là. LE DOCTEUR. Tu te moques, je pense Je n'y vois rien. SPINETTE. Ici. LE DOCTEUR. C'est une extravagance... SPINETTE, après qu'Octave a passé sous la robe. Ah ! Je sais ce que c'est, je dois me consoler,La tache d'elle-même a voulu s'en aller. LE DOCTEUR. Entrons. SPINETTE. Je le veux bien, je n'ai plus rien à craindre,Et je puis à présent le voir sans me contraindre, S'il fût entré chez nous sans faire un grand effort,Il aurait découvert la tache tout d'abord. SCÈNE X. Arlequin armé de pied en cap, avec des fusils, des épées, une scie, un marteau, une broche. ARLEQUIN. LE dessein en est pris, je vais faire carnage,Rien ne peut modérer ma fureur et ma rage :Il faut que l'infidèle expire sous mes coups, Et qu'elle soit l'objet de mon juste courroux.Je ne puis mieux punir le traître qui m'offense,Qu'en faisant sur sa belle éclater ma vengeance.Allons donc ... mais comment la ferai-je mourir !Pourquoi m'embarrasser ? Elle a de quoi choisir. D'un coup de Mousqueton si je casse sa tête,Cela lui fera mal ... bon je suis une bête,Je ne puis la tuer et lui faire du bien ;Plutôt avec l'épée ... ah ! cela ne vaut rien,Je pourrais la blesser, la pauvre créature, Puis il faudrait payer les frais de sa blessure.Ne perdons point le temps en discours superflus,Je prétends qu'elle meure, ainsi n'en parlons plus.Hola ! SCÈNE XI. Argentine, Arlequin. ARGENTINE. Que vois-je, ô Ciel ! Que prétendez-vous faire ? ARLEQUIN, lui présentant un mousqueton comme s'il voulait tirer sur elle. Rien, je veux vous purger, et vous tirer d'affaire : Hé bien, c'est donc ainsi, Madame la guenon,Que sans avoir égard à l'honneur, au renom,D'un vilain bois de Cerf vous arborez ma tête ?Il faut que vous mouriez, allons êtes-vous prête ? ARGENTINE, se met à genoux. Quoi, vous vous préparez à terminer mes jours, Et vous voulez vous-même en abréger le cours ?Détournez loin de moi cet appareil terrible,Qu'à mes vives douleurs vôtre coeur soit sensible.De tout ce que j'ai fait, ingrat est-ce le prix ?Par où donc ai-je pu m'attirer vos mépris ? Ha, de mes tristes yeux voyez couler mes larmes,Et daignez dissiper mes mortelles alarmes.Quand je veux vous donner le nom de mon époux,Que je cherche à répondre à vos voeux les plus doux,Vous pouvez vous résoudre à m'arracher la vie ! Vôtre fureur sur moi doit-elle etre assouvie ?A vos jaloux soupçons vous voulez m'immoler,Et c'est par vous, cruel, que mon sang, doit couler ? Pendant qu'Argentine dit ces vers, Arlequin petit à petit laisse tomber toutes ses Armes en pleurant à sa manière, et faisant des lazzi tout plaisants, après quoi Argentine prend un mousqueton et va sur Arlequin, qui se met à genoux devant elle en criant. ARGENTINE. Non, c'est sur toi qu'il faut qu'éclate ma colère,Je veux exécuter ce que tu n'as su faire, C'est à présent mon tour, et je vais te purger.C'est donc ainsi, faquin, que tu veux te venger ?[Note : Magot : Gros singe sans queue du genre des macaques. Fig. et familièrement. Un magot, un homme fort laid. [L]]Ah ! Le vilain magot, apprends à me connaître,Si tu viens au Logis, ma foi, par la fenêtreJe te ferai sortir. ARLEQUIN. Mais... ARGENTINE. Tu parles, je crois ? Je te conseille encor de te jouer à moi ;Dans ta bouche je veux mettre quelque pilule,Mais non, de te tuer je me fais un scrupule,Tu n'en vaux pas la peine : adieu, maître poltron ;C'est ainsi que je sais punir un fanfaron. Elle entre. ARLEQUIN, seul. Voilà comme l'on doit se tirer d'une affaire,Ma foi, j'ai bien du coeur, et l'on ne peut mieux faire,Ah ! Chien de naturel ! J'admire ma valeur,Une femme aujourd'hui m'outrage et me fait peur ! SCÈNE XII. PIERROT, seul. Petit fouille-partout, Dieu plus méchant qu'un Diable, Amour, c'est trop long temps me rendre misérable :Depuis que sur Pierrot décochant tous tes traits,Tu l'as fait par malice entrer dans tes filets,Il ne fait que languir, pleurer, gémir, et braire,Ma foi pour me guérir je ne sais plus que faire. J'ai depuis quelque temps un cours de ventre affreux :Argentine, mamour, doux objet de mes voeux,Quand soulagerez-vous le tourment que j'endure ?Vous avez un onguent très bon pour la brûlure.Aouf, quel gros soupir ! Non ce n'est pas un jeu, Je brûle là dedans, au feu, Messieurs, au feu. SCÈNE XIII. Scaramouche, Pierrot. SCARAMOUCHE. Pourquoi crier au feu, ta Maison brûle-t-elle ? PIERROT. Hélas, c'est que l'amour me trouble la cervelle :Je suis devenu fou par faute de raison,Et dans mon estomac je sens comme un tison, Qui petit à petit par les deux bouts s'allume ;Je crains bien qu'à la fin ce feu ne me consume :Argentine est l'objet qui me fait tant languir,Elle m'aime beaucoup, et ne peut me souffrir. SCARAMOUCHE. Aux dépens de Pierrot, ma foi je prétends rire : C'est donc-là la beauté pour qui ton coeur soupire ?Comment pauvre nigaud veux-tu t'en faire aimer ?Peut-on en te voyant se laisser enflammer ?Un habit de meunier te sert de couverture,Tu n'as point de cheveux, et ta laide figure Doit plutôt dans une âme inspirer du mépris :Aujourd'hui, mon enfant, on s'attache aux habits,Et quand tu serais beau comme un petit Narcisse,Si tu n'est bien vêtu, tu seras un Jocrisse, PIERROT. Comment, c'est donc l'habit qui donne de l'amour ? SCARAMOUCHE. Aux habits, à l'argent les femmes font la cour :Est-on riche et bien mis, on doit s'attendre à plaire,La femme aime l'éclat, et non pas la misère.Fagoté de la sorte avec ce vêtement,On te prendrait ma foi pour un sac de froment : Mais si Pierrot voulait reformer sa figure,Et comme un petit Maître affecter la parure,Se mettre tout en frange, et se poudrer le dos,Il serait en amour reçu comme un héros.Oui tu serais couru de toutes les coquettes, Des Dames du grand air, et même des grisettes :Je vais, si tu le veux, pour te mettre en crédit,Dans ce même moment te chercher un habit. PIERROT. Tope, je le veux bien, que j'aurai bonne mine !Je suis sûr de charmer mon aimable Argentine, Quand elle me verra couvert d'un bel harnois :Dans le fond je n'ai pas un trop vilain minois, Ce n'est que cet habit qui seul me défigure,Sans cela j'aurais eu quelque bonne aventure. Scaramouche revient avec un habit tout garni de franges de soie, le chapeau et les gants de même ; il habille Pierrot, après quoi il lui dit qu'il est trop pâle, et qu'il faut lui donner un peu de couleur ; il prend une palette de Peintre, et lui barbouille le visage avec différentes couleurs ; il lui met ensuite une Perruque et le poudre par tout, en disant que c'est la mode d'être en frange et bien poudré : après plusieurs jeux de théâtre il le laisse en lui disant qu'il va avertir Argentine de le venir voir ; mais il dit qu'il veut le faire rosser, et que pour cet effet il va envoyer des gens de sa connaissance qui en feront l'office. PIERROT, seul. Voilà ce qui s'appelle être sur le bon pied, Au Diable l'habit blanc, fi je faisais pitié :Sous ces beaux ornements je pourrai bien paraître,Je crois qu'ainsi vêtu j'ai l'air d'un petit Maître. Quatre Danseurs avec des bâtons entrent au son des violons, font une danse figurée, en chargeant Pierrot de coups ; après quoi ils prennent un tapis, le mettent dedans, et l'emportent en cadence. Pierrot crie, et le second acte finit. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. OCTAVE, seul. Quand du puissant amour nous ressentons les feux,Ce vainqueur aisément nous rend ingénieux ; A qui subit ses lois il n'est rien d'impossible,Ce Dieu fait surmonter un obstacle invincible :C'est par lui que Spinette a trompé le Docteur,Ce tour est merveilleux, et j'en ris de bon coeur.Mais il faut au plutôt m'assurer de la belle, Quoique son père fasse exacte sentinelle,Je prétends l'enlever, le dessein en est pris,Et je ne puis enfin être heureux qu'à ce prix. SCÈNE II. Léandre, Octave. LÉANDRE. Cher ami, vos conseils ont engagé mon âmeA brûler comme vous d'une fidèle flamme ; Les leçons d'Arlequin m'ont su déterminer,Je vous fais un aveu qui doit vous étonner :L'indifférence était de mon coeur, le partage,Mais l'amour aujourd'hui s'y fait un doux passage. OCTAVE. Vous aimez ? LÉANDRE. C'en est fait, j'ai cédé malgré moi, Je n'ai pu me soustraire à l'amoureuse loi :Vainement les plus fiers cherchent à s'en défendre,Et cent fois plus que vous, ami j'ai le coeur tendre.Pour marquer à ma belle un violent amour,Je la dois enlever avant la fin du jour ; Et pour la délivrer du jaloux qui l'obsède,Cette grande entreprise en est le seul remède. OCTAVE. Nos desseins sont égaux, pour preuve de mes feux,Je tromperai les soins d'un père trop fâcheux ;Par un enlèvement digne de ma tendresse, Je m'assure aujourd'hui de ma chère Maîtresse :Mais quelle est la beauté dont vous êtes épris ?Vous le savez assez, je suis de vos amis,Ne me déguisez rien. LÉANDRE. Non, c'est vôtre voisine,Elle loge ici près, et se nomme Argentine. OCTAVE. Comment, que dites-vous ? Vous me surprenez fort,Argentine ! Vraiment d'un si tendre transportVôtre Maître Arlequin vous sera redevable,Vous en usez fort bien avec ce pauvre Diable,Qui charitablement vous a tantôt instruit : Il devait, ce dit on, l'épouser cette nuit. LÉANDRE. Arlequin, dites-vous ! L'aventure est plaisante,Je ne le savais pas. OCTAVE. Un tel aveu m'enchante. LÉANDRE. Je l'ai trouvé tantôt, et comme un imprudentJe l'ai de mes secrets rendu le confident, En l'instruisant d'abord de ma flamme nouvelle :Mais que faire ? Mon cher, j'adore cette belle,A ses yeux Arlequin est un monstre odieux,Si j'en crois ses discours, je lui plais beaucoup mieux :M'avoir pour son époux est ce qu'elle désire, Et mon coeur amoureux à ce bonheur aspire.Malgré le noir souci du jaloux Arlequin,J'ai chargé d'un billet mon valet Mezzetin ;Lui-même à cette belle aura soin de le rendre ;Il sait où la conduire, et moi je vais l'attendre. OCTAVE. De grâce, cher ami, ne m'abandonnez pas,Je veux avec Spinette accompagner vos pas,Et dans le même endroit conduisant nos Maîtresses,Nous ferons éclater nos égales tendresses.Le Docteur doit dans peu sortir de la Maison, Vous pouvez me servir en cette occasion. LÉANDRE. Octave j'y consens. Et vôtre amour me touche. OCTAVE. Voici fort à propos mon valet Scaramouche. SCÈNE III. Scaramouche, Octave, Léandre. OCTAVE, à Scaramouche. Attends ici Spinette. Il faut enlever,Avec elle bien-tôt tu viendras me trouver Au coin de cette rue, où nous allons l'attendre. SCARAMOUCHE. Vous êtes de moitié, vous et Monsieur Léandre,Et vous avez acquis ce bien à fond perdu. OCTAVE. Réponds-moi comme il faut, m'as-tu bien entendu ? SCARAMOUCHE. Qui ne vous entendrait serait bien dur d'oreille. OCTAVE. Il la faut enlever... SCARAMOUCHE. Je comprends à merveille.Vous êtes en amour tous deux associés,J'y serais pour un tiers si vous me receviez. OCTAVE. Si-tôt que le Docteur aura quitté Spinette,Cours l'appeler, et songe à battre la retraite ; Adieu, nous t'attendons. SCARAMOUCHE. Allez toujours devant, Et pendant ce temps là voyez d'où vient le Vent. Il s'en va.Voici le dénouement de notre comédie :Quand le Docteur saura que sa fille est partie,D'abord contre mon Maître il fera décréter ; [Note : Pousse-cul : terme odieux dont on qualifie les Recors [assistants du sergent] des Sergents, et autres qui servent à mettre et à pousser les gens en prison. [F]]Messieurs les pousse-culs viendront le visiter,Ils me prendront aussi, moi j'avouerai l'affaireComme étant du complot je ne pourrai rien taire :J'entendrai contre moi prononcer un arrêt,[Note : Gibet : Lieu destiné pour exécuter les criminels, ou le lieu où on expose leurs corps en public. [F]]On fera tout d'abord préparer le gibet, Et Scaramouche ira sans en avoir envie,Danser la Sarabande en bonne compagnie.Belle réflexion ; mais voici le Docteur,Retirons nous... SCÈNE IV. Le Docteur, Scaramouche à l'écart. LE DOCTEUR, sortant de la Maison. Je vais chercher mon débiteur.Et me faire payer la somme qui m'est due. Son Obligation dés longtemps est échue,Il n'aura pas, je crois, de peine à l'acquitter ;D'ici pour un moment il me faut écarter. Il s'en va. SCARAMOUCHE. Ne perdons point de temps ; hola Mademoiselle !Descendez au plutôt, la gloire vous appelle. SCÈNE V. Spinette avec une coiffe et une écharpe. SCARAMOUCHE. Suivez-moi, s'il vous plaît, mon Maître vous attend,Je suis son Substitut, son Commis, son Agent,Il m'a passé son ordre, afin qu'en son absenceJ'acquitte son Billet au temps de l'échéance ;Je vais vous le payer en espèce ayant cours. SPINETTE. Scaramouche, partons, et finis tes discours,Je crains que dans ces lieux mon père ne revienne.Enlève-moi donc vite. SCARAMOUCHE. Ah, qu'à cela ne tienne,L'enlèvement vous plaît. SPINETTE. Je ne puis t'exprimerLe plaisir que j'éprouve ; oui, je me sens charmer, Ne nous arrêtons pas, je meurs d'impatience,Ce doux enlèvement flatte mon espérance. SCARAMOUCHE. D'où vous vient cette joie ? SPINETTE. En lisant des romans,J'ai pris beaucoup de goût pour les enlèvements.Allons trouver Octave. SCARAMOUCHE. Il faut vous satisfaire, Quand je serais pendu ce n'est pas une affaire. SCÈNE VI. MEZZETIN, seul. Mon Maître honnêtement veut se servir de moi,Et de Courtier d'Amour il me donne l'emploi :Aujourd'hui ce métier est assez en usage,Avec un grand plaisir j'en fais l'apprentissage ; Pour mieux me distinguer, et me faire un beau nom,Je devrais bien porter des ailes au talon,Chacun me connaîtrait, et me rendrait hommage :Mais allons au plutôt faire nôtre message :[Note : Poulet : signifie aussi un petit billet amoureux qu'on envoie aux Dames galantes, ainsi nommé, parce qu'en le pliant on y faisait deux pointes qui représentaient les ailes d'un poulet. [F]]À sa belle je dois remettre le poulet, Et m'acquitter de tout en fidèle Valet.Il m'a fait voir l'endroit où je dois la conduire,Faisons donc promptement ce que son coeur désire. Il frappe. SCÈNE VII. Argentine, Mezzetin. ARGENTINE. Que voulez-vous, l'ami ? MEZZETIN. Vous rendre ce billet,De la part de Léandre. ARGENTINE. Ah, donnez s'il vous plaît. MEZZETIN. Vous êtes, je le vois, fort âpre à la curée,Et fillette en amour n'est jamais modérée. ARGENTINE, lit. Pour vous dérober au pouvoirDu Jaloux odieux que votre coeur abhorre,N'écoutez point un barbare devoir, Et répondez au feu qui me dévore ;Avec mon Valet Mezzetin,Dans le lieu qu'il connaît vous n'avez qu'à vous rendre,Et vous y trouverez Léandre,Qui vous prépare un plus heureux destin. LÉANDRE. MEZZETIN. Madame suivez-moi, vous n'avez rien à craindre. ARGENTINE. C'est assez, je ne puis plus longtemps me contraindre,Attendez un moment, je reviens sur mes pas. Elle rentre. MEZZETIN, seul. [Note : Tendron : La partie fort tendre de quelque chose. Se dit figurément et burlesquement, de filles au dessous de vingt ans. [F]]Ce petit tendron-là ne me déplairait pas,Cette fille est mignonne, une telle bouteille Rappelle par ma foi son buveur à merveille :Mon Maître est bon gourmet, il a fait un beau choix,Le gaillard en sait long, c'est un futé matois,Il se plaît d'en conter aux femmes comme aux filles,Et c'est un pèlerin qui vend bien ses coquilles. La voici de retour. SCÈNE VIII. Mezzetin, Argentine couverte d'une coiffe, et d'une écharpe, Arlequin qui vient ensuite. MEZZETIN. Hé bien partirons-nous ? ARGENTINE. Ah ! pour le refuser ce plaisir est trop doux !Je vous suis... Juste Ciel mon importun s'avance ! MEZZETIN. Comment ? C'est Arlequin... Un peu de patience,Couvrez-vous le visage, et ne redoutez rien, C'est un franc animal, je le duperai bien. ARLEQUIN. Où vas-tu Mezzetin avec cette femelle ? MEZZETIN. Et morbleu, gardez vous d'effaroucher la belle,C'est une jeune Enfant, qu'au gré de mes désirsJ'ai prise seulement pour mes menus plaisirs, Je l'enlève, mon cher, puisqu'il faut tout vous dire,En lieu de sûreté je prétends la conduire. ARLEQUIN. Et ne pourrait-on pas voir la Belle au minois ? MEZZETIN. Non pas, mais vous pourrez la voir une autre fois,Elle a de la pudeur, et craint d'être connue, Cette fille en un mot ne veut pas être vue. À Argentine.Adieu... Venez Madame il est temps de partir. ARLEQUIN, seul. Moi seul de mes projets je dois me repentir,D'un objet tout charmant j'élève la jeunesse,Je lui donne mes soins, ma main, et ma tendresse, Et l'ingrate pour prix de ma sincérité,Accorde à mon Rival ce que j'ai mérité.Que trouve-t-elle en moi qui puisse lui déplaire ?Arlequin n'a-t-il pas de quoi la satisfaire ?J'ai du bien, de l'esprit, je ne suis pas mal fait, Et je suis ce me semble un assez beau brunet ;Que sur le coeur de l'homme une femme a d'empire,Tout cède à ses appas, quoique l'on puisse dire !Trompe-t-elle un amant, bien loin de la blâmer,Il l'excuse sans peine, et vent toujours l'aimer, On peut avec le temps se garantir du vice,On évite aisément un affreux précipice.De la fureur du jeu, l'on sait se détacher,Au pouvoir d'une femme on ne peut s'arracher,Pourtant à mon avis elle est plus dangereuse, Qu'un Bois, un Précipice, une Mer Orageuse,Il n'est point d'Antidote à son mortel poison,Et contre un tel écueil se brise la raison.Entrons dans le Logis pour voir si cette Belle,Voudra pour un moment cesser d'être cruelle, Tâchons de ramener son esprit et son coeur,Et pour y réussir employons la douceur. Il entre. SCÈNE IX. LE DOCTEUR, seul. Que le Ciel soit loué, j'ai fini mon affaire,Mon homme m'a reçu de la belle manière. Il vient de me païer en bon argent comptant, Et de son procedé, je suis enfin content. ARLEQUIN, sort de chez lui d'un air tout effaré. Je suis assassiné, que faut-il que je fasse ?Ah ! Monsieur, le Docteur, secourez-moi de grace,Dans les occasions, on connoit ses amis. LE DOCTEUR. Quelle verve vous prend ? ARLEQUIN. Hélas ! Dans le logis Je ne retrouve plus la charmante Argentine,Ah ! Si je la tenais, dans mon humeur chagrine,De son ventre morbleu je ferais un fourreau,Oui, je la percerais.... LE DOCTEUR. Tout beau, Monsieur, tout beau,Il faut vous consoler, calmez cette colère, On doit bien réfléchir avant que de rien faire :Jamais un philosophe en son adversité,Ne doit faire paraître un esprit agité. ARLEQUIN. Quel homme flegmatique ! Ah, de bon coeur j'enrage, LE DOCTEUR. Modérez vos transports pour imiter le sage, Sans vous abandonner a de vaines douleurs,Soyez toujours constant dans les plus grands malheurs ?Vous pleurez, ah ! De grâce apaisez vos alarmes :Les femmes, les enfants ont bien recours aux larmes,Mais un homme d'esprit en verse rarement, Et vous vous démentez, vous dis-je, entièrement :Adieu, conservez-vous. Il s'en va. ARLEQUIN, seul. Que le Diable t'emporte,Il veut que je surmonte une douleur si forteQuand j'ai tant de sujet pour me désespérer,Dans mes justes fureurs puis-je me modérer ! Que ferai-je à présent sans la belle Argentine !Le fourbe Mezzetin emmenait la coquine,Il n'en faut plus douter, et rien n'est plus certain ;L'oiseau s'est envolé, quel sera mon destin ? SCÈNE X. Le Docteur sortant tout transporté de sa Maison, Arlequin. LE DOCTEUR. Au secours. ARLEQUIN. Qu'avez-vous ? LE DOCTEUR. On a volé ma fille, Peut-on ainsi traiter un père de famille !Ah ! mon cher Arlequin ne m'abandonnez pas ;Unissons-nous tous deux, venez, suivez mes pas, ARLEQUIN, contrefaisant le Docteur. Ah ! Tout doux s'il vous plaît, calmez vôtre colère,Il faut bien réfléchir avant que de rien faire : Un philosophe doit modérer son chagrin,Et dans l'adversité garder un front serein. LE DOCTEUR. Vous vous moquez de moi quand le malheur m'accable. ARLEQUIN. Consolez-vous, Monsieur. LE DOCTEUR. Allez-vous en au Diable,Avec vôtre Doctrine, et vôtre air radouci. ARLEQUIN. Fi ! vous ne devez pas vous emporter ainsi,Mon flegme devrait-il alarmer vôtre Oreille,Vous avez tort, Monsieur, je vous rends la pareille, LE DOCTEUR. Il n'est pas temps, vous dis-je, ici de plaisanter :Cette fuite m'étonne, et me doit irriter, Ma fille, juste Ciel, qu'est-elle devenue ?Quel est l'audacieux qui la cache à ma vue ?Qu'il paroisse, et bien-tôt l'accablant sous ses coups,Le Docteur.... ARLEQUIN. Argentine en quels lieux êtes-vous ?Faut-il que je sois veuf avant le Mariage ! LE DOCTEUR. Arlequin vengeons-nous, unissons nôtre rage,Que je suis malheureux ! mes chagrins sont cuisants. Il pleure. ARLEQUIN. Les femmes seulement, et les petits enfantsS'amusent quelquefois à répandre des larmes,Monsieur ne pleurez pas. LE DOCTEUR. Allons, courons aux armes. ARLEQUIN. Je suis un peu poltron, ne comptez pas sur moi. LE DOCTEUR. Vous voulez badiner. ARLEQUIN. Non j'en jure ma foi. LE DOCTEUR. À l'aide ! ARLEQUIN. À la Justice ! LE DOCTEUR. Au meurtre ! ARLEQUIN. On m'assassine. LE DOCTEUR. Spinette m'a quitté. ARLEQUIN. Moi, je perds Argentine. SCÈNE XI. Pierrot, Arlequin, Le Docteur. PIERROT. [Note : Tintamarre : Bruit que font les vignerons en frappant sur leur marre pour se donner quelque signal. Signifie aussi toute sorte de grand bruit, crierie, tumulte. [F]]D'où vient ce tintamarre ; et pourquoi tant crier ? Parbleu, vous alarmez la moitié du Quartier. Au Docteur.Je vous ai toujours vu d'une humeur pacifique,Qu'avez-vous aujourd'hui, la pierre, la colique,La migraine, la toux, la goutte, et cetera. LE DOCTEUR. Non, j'ai perdu ma fille. PIERROT. On la retrouvera. ARLEQUIN. Il faut avoir le coeur aussi dur qu'une Roche... PIERROT, à Arlequin. Fille ne se perd pas comme un couteau de poche,Qu'avez-vous ? ARLEQUIN. J'ai perdu ce que j'aime le mieux,Argentine. PIERROT. Ma foi vous êtes fous tous deux. ARLEQUIN. Argentine est partie avec Monsieur Léandre. PIERROT. Peut-être elle viendra, vous n'avez qu'à l'attendre,Lorsque de cette belle il se sera servi,S'il veut me la donner je serai son MariCes restes-là sont bons, je suis peu difficile. LE DOCTEUR. Mon soin pour la garder était donc inutile ? Je crève dans ma peau, je me sens étouffer. PIERROT. La fille est comme un arbre il la faut bien greffer,Quelque bon jardinier aura pris cette peine. ARLEQUIN. La fille est, je l'avoue, une méchante graine. PIERROT. Nous en voyons souvent sortir de bons pépins. LE DOCTEUR. [Note : Argus : personnage de la mythologie gréco-romaine, c'était un géant qui avait cent yeux dont cinquante ouverts pendant que cinquante étaient fermé et dormaient.][Note : Quinze-vingts : Hôpital fondé à Paris en 1254, par Saint-Louis pour 300 gentilshommes (15 fois 20) à qui les sarrasins avaient crevé les yeux. et que le roi avait ramené de la Terre-Sainte avec eux. Cet hôpital avait été originairement bâti entre le Louvre et le Palais-Royal. [B]]Ma foi les plus Argus sont de vrais Quinze-vingts,On fait de vains efforts pour bien garder les filles. PIERROT. [Note : Limaçon : Petit insecte qui a des cornes longues et déliées, qui est enfermé dans une coquille et qui jette une humeur gluante et luisante. [F]]Ce sont des limaçons qui quittent leurs coquilles. SCÈNE XII. Léandre, Octave masqués, Argentine, Spinette en Espagnolettes, Mezzetin masqué, Scaramouche en Cupidon, Troupe de Masques, Le Docteur, Arlequin, Pierrot, La Chanteuse. Les Violons jouent une marche. LE DOCTEUR. Masques, vous pourriez bien ailleurs porter vos pas. PIERROT. Peut-être leurs chansons ne vous déplairont pas. LA CHANTEUSE. En vain pour garder une belleUn jaloux veille nuit et jour,Quoi qu'il fasse la sentinelle,Rien n'est impossible à l'amour.Pour se soustraire à l'esclavage, Une jeune beauté va souvent autre part,Et l'oiseau que l'on tient en cageS'envole tôt ou tard. Les Masques dansent. ARLEQUIN. Qui peut nous interrompre, au Diable la Musique ;Messieurs je n'aime point du tout le ton lyrique, De grâce laissez-nous ; passez vôtre chemin,Cela ne convient point quand on a du chagrin ;Ne voyez-vous pas bien que nous parlons d'affaire. PIERROT. Messieurs, démasquez-vous. LÉANDRE, se démasquant. À Arlequin.Il faut vous satisfaire.Me reconnaissez-vous, répondez s'il vous plaît ? ARLEQUIN. C'est Léandre. SCARAMOUCHE. Je suis Cupidon le cadet. ARLEQUIN. Ah ! Le bon écolier ! Voyez comme il s'applique,J'ai de la théorie, et lui de la pratique. LÉANDRE. Argentine est à moi, je puis en disposer,De vôtre bon précepte on ne peut mieux user. ARGENTINE, à Arlequin. Consolez-vous, Monsieur, cette peine est légère,Vous ne me convenez en aucune manière. OCTAVE, au Docteur. Monsieur, je suis Octave homme de qualité,J'ai pris, je le confesse, un peu de liberté,L'amour doit excuser la faute que j'ai faite, J'aimais depuis longtemps la charmante Spinette,Je prétends par l'hymen réparer son honneur. LE DOCTEUR. Non, je veux me venger.... OCTAVE. Ah ! Monsieur le Docteur.Ne vous emportez pas. SPINETTE. En vérité mon père,Je le ferais encor si j'avais à le faire. LE DOCTEUR. Il y faut consentir : car un enlèvement,Pourrait déshonorer ma fille entièrement, À Octave.Allons, je vous pardonne, et vous comme mon gendre. SCARAMOUCHE. Quant à moi je croyais que l'on m'aurait fait pendre, PIERROT. Argentine mamour, tu ne m'aimes donc pas ? J'avais pour toi tantôt fait emplette d'appas. LE DOCTEUR. Qu'est-ce donc Arlequin, vous gardez le silence ? PIERROT. C'est qu'il enrage hélas ! Bien plus que l'on ne pense. ARLEQUIN. Ô Ciel, est-il possible ! Ah fuyons de ces lieux,Partons, éloignons nous de ce Monstre odieux ! À Argentine.De cette trahison, ton coeur était capable ?Basilic, léopard, scorpion redoutable,Le siècle est corrompu, tous les coeurs son gâtés, Je n'y vois que larcin, fraude de tous côtés,L'artifice est chéri dans le temps où nous sommes, Je vois de toutes parts de détestables hommes,La femme est le miroir de la légèreté,Le fidèle portrait de l'infidélité,Tout me reproche ici mon indigne faiblesse,Mais pour en triompher, j'étouffe ma tendresse, Je te hais cent fois plus qu'on ne peut exprimer,Et beaucoup plus encor, que je ne sus t'aimer,Malheureux qui se fie à tes promesses vaines,Ton sexe n'est formé que pour causer des peines,Mon coeur pour tes appas fut sensible à son tour, Je quittai la Sagesse, et je suivis l'Amour,Argentine est-ce ainsi que tu me récompenses ?Mais va, je te punis bien plus que tu ne penses,Puis qu'après tout l'amour dont mon coeur fut épris,Il ne me reste plus que haine, et que mépris. Oui, je veux habiter une Caverne obscure,Adieu serpent cruel, adieu femme parjure :Ici tout me déplaît, tout y blesse mes yeux,J'y vois avec horreur des objets odieux.Me livrant tout entier à la Philosophie, Au gré de mes désirs, je finirai ma vie,Éloigné pour jamais des traîtres, des menteurs,Je ne rencontrerai, ni fourbes, ni flatteurs.Tout me paraîtra beau, tout flattera mon âme,Puisque dans ce réduit, je n'aurai point de femme. Il veut s'en aller.Cette intrigue à vous seul doit son commencement,Du moins, cher Arlequin, voyez le dénouement ;Vous n'êtes pas le seul trompé, sur ma parole,Lorsque le coup est fait, le chagrin est frivole,Et puis qu'à cet hymen, j'ai voulu consentir, Pour terminer la fête il faut nous divertir. Après plusieurs danses on chante les couplets suivants. LA CHANTEUSE. Si le plaisir vous intéresseCédez à des appas vainqueurs,Et vous livrant à la tendresseGoûtez ses flatteuses douceurs : Si l'amour est une faiblesse,C'est la faiblesse des grands coeurs. LÉANDRE. Un coeur au Dieu d'amour rebelleTôt ou tard se doit enflammer :À peine ai je vu cette belle, Que je me suis laissé charmer,Et comme un écolier fidèle,J'ai bien pratiqué l'art d'aimer. ARGENTINE, à Léandre. Arlequin vous a fait connaîtreDe l'amour le charmant sentier Et ce précepteur a fait naîtreDans vôtre âme un ardent brasier,En pareil cas souvent le MaîtreEst moins heureux que l'écolier. ARLEQUIN. Vous qui de l'amoureux Empire Ignorez les biens les plus doux,Qu'un soin curieux vous attire,Ici je vous attendrai tous,Ma pièce saura vous instruire,Venez à l'école chez nous. MEZZETIN. Vainement un pédant se vanteDe régenter avec succès,Sa Doctrine trop fatiganteFait rarement de bons effets,Mais dans une école galante, On fait bientôt d'heureux progrès. PIERROT. On prend une peine inutile,En gardant un jeune tendron,Pour ouvrir toutes les serruresL'amour a des passes-par-tout, Quand on conserve trop la viandeTôt ou tard la mouche s'y met. SCARAMOUCHE. En vain on renferme une fille,Elle s'échappe bien souvent ;Et quand elle voit un bon drille Elle en fait d'abord son galant,C'est une anguille qui frétille,Un moulin qui tourne à tout vent. ARLEQUIN, au parterre. Je n'aurai plus de voeux à faireSi vous secondez mes desseins, Et si ma pièce a su vous plaireDonnez-m'en des signes certains,J'en serai sûr si le parterreVeut bien carillonner des mains. ==================================================