******************************************************** DC.Title = LES COMÉDIENS ESCLAVES, PROLOGUE DC.Author = LELIO, DOMINIQUE, ROMAGNESI DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Prologue DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:04. DC.Coverage = Maroc DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BIANCOLELLI-RICCOBONI-ROMAGNESI_COMEDIENSESCLAVES.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES COMÉDIENS ESCLAVES PROLOGUE Représenté pour la première fois par les Comédiens Italiens le 10 août 1726.. M. DCC. XXVI. Avec Approbation et Privilège du Roi. Par Messieurs LELIO fils, DOMINIQUE et ROMAGNESI. À PARIS, Chez BRIASSON, rue saint Jacques, à la science. Représentée pour la première fois sur le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne, par les Comédiens italiens ordinaires du Roi, le 10 août 1726. ACTEURS ACMET. HALI. ARLEQUIN. PANTALON. LE DOCTEUR. SCARAMOUCHE. MEZETTIN. LE ROI. SUITE. La scène est dans le Palais du Roi. LES COMÉDIENS ESCLAVES. SCÈNE PREMIÈRE. Acmet, Hali. ACMET. [Note : Cochenille ; Insecte hémiptère, famille des gallinsectes, vivant sur le nopal et fournissant le principe colorant avec lequel on fabrique les plus belles teintures écarlates. [L]]Par Mahomet nous avons fait une prise singulière ; il en faudrait bien de pareille pour nous enrichir. Je croyais quand j'ai vu ces grands coffres si bien ferrés, qu'ils étaient pleins de poudre d'or ou de cochenille ; et je ne me serais jamais imaginé qu'ils ne renfermassent que des cordes, que des poulies, et des morceaux de toile très mal peinte. SCÈNE II. Les Comédiens, Acmet, Arlequin. ARLEQUIN. Le diable vous emporte, maudits Marocains, je voudrais bien savoir Messieurs les marabouts, pourquoi vous nous ôtez nos habits de voyage, et faites mettre ceux-ci ? ACMET. Pour me réjouir ; je vous demande plutôt pourquoi ces habits étaient dans vos coffres ? À quel usage vous servaient-ils ! Le plaisant équipage ! Quelle figure ! Si c'est avec ces marchandises que vous négociez dans votre pays, on y fait un drôle de commerce. PANTALON. si vous connaissiez la propriété de ces habits, vous ne vous moqueriez pas tant d'eux, Messieurs les Turcs ; et c'est avec cela que nous avons gagné beaucoup d'argent à Paris. ACMET. Beaucoup d'argent ; nous ne vous en avons point trouvé. ARLEQUIN. C'est que nous avons pris des lettres de change. ACMET. Des lettres de change ? Où sont-elles ? ARLEQUIN. Nous avons été obligés de les jeter en mer pour soulager le vaisseau dans la tempête. ACMET. Vous avez très mal fait ; n'y pouviez vous pas jeter autre chose ? ARLEQUIN. Hélas ! Il ne ne nous restait que nos femmes et les habits que vous nous voyez, et on n'ose se défaire de ces meubles là qu'à la dernière extrémité. À propos, que sont-elles devenues nos pauvres femmes ? ACMET. Ne craignez rien, elles sont en sûreté ; mes compagnons les gardent, elles n'échapperont pas. ARLEQUIN. Que je les plains ! Elles vont être vendues indubitablement, nous serons séparés d'elles pour jamais. ACMET. Ne vous affligez point, la coutume du pays est avantageuse aux captifs mariés. ARLEQUIN. Comment donc ? ACMET. Ils ont la consolation d'être enfermés avec leurs femmes, et ils ne se quittent point jusqu'à ce qu'ils aient payé leur rançon. ARLEQUIN. Quoi ! Ils sont toujours ensemble ? ACMET. Depuis le matin jusqu'au soir. ARLEQUIN. Cela est fort consolant. PANTALON. Heureusement pour moi j'ai laissé la mienne à Paris. LE DOCTEUR. Qu'allons-nous devenir, mes chers camarades ? SCARAMOUCHE. Si j'avais prévu le malheur qui m'arrive, je n'aurais pas quitté Paris... LE DOCTEUR. Dites-moi, Monsieur Mahomet, votre Roi est-il un peu affable aux étrangers ? ACMET. Il a de très bons moments, et je souhaite que vous soyez assez heureux pour le trouver dans son humeur badine. SCARAMOUCHE. Quoi, il aime donc à rire et à se réjouir ? ACMET. N'en doutez point. ARLEQUIN. Bon, voilà ce qu'il nous faut. ACMET. Je suis sûr même que vos figures lui inspireront de la gaieté. ARLEQUIN. Quel divertissement prend-il ordinairement. ACMET. Il en prend de plusieurs genres ; mais Celui qui le flatte le plus, c'est de voir donner la bastonnade. PANTALON. Comment, la bastonnade ? ACMET. Oui ; cela l'amuse. ARLEQUIN. Quel chien d'amusement ! ACMET. Ahi ! PANTALON. Qu'avez-vous donc ? Vous soupirez. ACMET. C'est que je suis son sujet, et la Loi m'exclut de contribuer a divertissement du Roi. ARLEQUIN. Consolez-vous, vous ne faites pas une grande perte. ACMET. Comment, c'est un honneur particulier. N'est il pas bien fâcheux pour nous d'en voir les étrangers revêtis, et que s'il y a quelques coups de bâtons, c'est sur eux qu'ils tombent ? SCARAMOUCHE. Sur les étrangers ? PANTALON et LE DOCTEUR. Miséricorde ! ARLEQUIN. Faisons nous naturaliser. ACMET. Voici le Roi, ce bruit nous l'annonce : comment ! J'entends des trompettes ; il faut qu'il soit de mauvaise humeur, je vous plains. ARLEQUIN. Eh nous sommes perdus ! Maudites trompettes ! SCÈNE III. Le Roi, les susdits Acteurs. ACMET. Grand Roi, voilà des voyageurs que nous avons pris sur la côte. LE ROI. Que l'on m'apporte le sabre qui sert pour les étrangers. ARLEQUIN. Ah ! Pouvretti no ! Qu'en veut-il faire ? ACMET. Rassurez-vous, il n'est pas si en colère que je le pensais : il veut agir avec circonspection, quand il est furieux, il coupe la tête aux étrangers avec son propre sabre, et sans cérémonie ; mais il veut vous faire l'honneur de vous traiter dans les règles prescrites par la coutume et la bienséance. PANTALON. Nous craignions la bastonnade, et nous serions charmés de la recevoir maintenant. ARLEQUIN. Que pourrions-nous faire pour l'adoucir. ACMET. Il aime la musique, chantez-lui quelque chose de bien tendre. LE ROI. Qu'on m'apporte le sabre. Ils chantent tous quatre. ARLEQUIN. Vous dites qu'il aime la musique, et il résiste à un pareil quatuor ! Allons mes amis, ayons recours à nos singeries, peut-être le divertirons-elles. Ils font des lazzis. LE ROI. Il faut que ce soit des Démons ; alla Bachala. Ils font des lazzis.Ces gens-là me paraissent bien extraordinaires, je veux les examiner de plus près. Qui êtes-vous ? ARLEQUIN. Nous sommes comédiens. LE ROI. Comédiens ? Je n'ai jamais entendu parler de cette Nation là ; d'où tire-t-elle son origine ? ARLEQUIN. De la folie des hommes. LE ROI. Est-elle bien ancienne ? ARLEQUIN. Autant que le monde, depuis qu'il existe, notre race respire : il est vrai que nos prédécesseurs et nos contemporains même ne se revêtissent point du nom de comédien ; mais cela ne les empêche pas de l'avoir été et de l'être. LE ROI. Votre état est-il républicain ou monarchique ? ARLEQUIN. [Note : Cacaphonie : cacophonie, déformation scatologique.]Ni l'un ni l'autre ; il est cacaphonique. LE ROI. Quelle est ta charge parmi tes compatriotes ? ARLEQUIN. Ma charge est de m'acquitter bien ou mal des commissions qu'on me donne, d'être balourd ou homme d'esprit, de donner des coups de bâton ou d'en recevoir, de tromper les uns pour rendre service aux autres ; d'être amoureux, gourmand, paresseux, ivrogne. LE ROI. Voici un plaisant emploi ! ARLEQUIN. Je ne suis pas le seul qui l'exerce. LE ROI. Et toi ? LE DOCTEUR? Je suis Docteur en Médecine. LE ROI. Tu arrives fort à propos pour être mon Médecin, la place est vacante ; il n'y a que deux jours que je fis étrangler le mien pour n'avoir pu m'arrêter un éternuement qui m'incommodait fort. LE DOCTEUR? Je suis perdu. LE ROI. Je crois qu'il me reprend, faisons l'essai de tes talents. LE DOCTEUR? Que vais-je devenir, mon cher Arlequin ? ARLEQUIN. Donnez-lui vite de cette poudre. LE DOCTEUR? De quelle poudre est-ce là ? ARLEQUIN. [Note : Bétoine : Plante de la famille des labiées (betonica officinalis, L.) dont la racine est purgative. [L]]C'est de la bétoine. LE ROI. Hé bien, quand me soulageras-tu ? LE DOCTEUR? Ah ! Sire, je ne suis médecin que de nom, je n'en ai pas la science. LE ROI. Comment, malheureux, tu n'es médecin que de nom ? ARLEQUIN. Ne vous fâchez pas, Sire, nous n'en avons point d'autres dans notre nation. LE ROI. Il me semble pourtant que cela se passe, et je te crois plus habile qu'il ne le dit. LE DOCTEUR? Ne croyez point cela, Sire, c'est le hasard. LE ROI. E[t] cette figure-là ? MEZETTIN. Sire, vous voyez en moi le fourbe le plus insigne, je vole les avares, je trompe les jaloux ; et malgré toutes leurs précautions, j'introduis les amants aimés dans les maisons les plus inaccessibles. LE ROI. Oh, oh, je suis bien aise que tu m'avertisse de tes talents : cet homme pénétrerait jusques dans mon sérail, qu'on le mette aux galères. MEZETTIN. Ah ! Sire, ce que je vous dit n'est qu'une fiction. ARLEQUIN. Il faut lui expliquer plus clairement qui nous sommes. Sire, comme nous vous avons crû homme d'esprit, nous vous avons jusqu'ici parlé par figure ; vous voyez en nous des gens qui représentent tout, et qui ne sont rien. Notre métier est de fronder les défauts des hommes, et de tâcher de les faire rire de leurs propres ridicules ; on appelle cela jouer la Comédie. LE ROI. Je serais curieux de voir cela. PANTALON. Votre Majesté n'a qu'à ordonner, nous lui donnerons en raccourci une idée des spectacles de Paris. LE ROI. Il y en a donc plusieurs ? ARLEQUIN. La Comédie Française, l'Italienne, l'Opéra sérieux, l'Opéra comique. LE ROI. Je veux voir tout cela ; mais surtout ne m'ennuyez pas. ARLEQUIN. Ah ! Sire, nous ne vous donnerons point d'Opéra sérieux, ce spectacle n'est point de notre district ; nous représenterons d'abord une petite Comédie qui consiste entièrement dans le jeu Italien. Souvenez vous bien, au moins, de ce que je vous dis ; qui consiste entièrement dans le jeu Italien : ensuite une Tragédie Française en un acte, pour ne pas vous ennuyer ; et nous finirons par un Opéra-comique. LE ROI. Qu'est-ce qu'une Tragédie ? ARLEQUIN. Diable, c'est ce qu'il y a de plus beau ; on y apostrophe les Dieux, on se met au dessus de la fortune, on y craint peu la mort, on y parle beaucoup de son grand coeur, et l'amour y devient une vertu. LE ROI. Préparez-vous sur le champ. PANTALON. Ayez la bonté d'ordonner, Sire, qu'on nous rende nos camarades et notre équipage. LE ROI. Meraforif poullaf. PANTALON. De quoi vous êtes vous avisé, de lui promettre une Tragédie Française : comment allons-nous faire ? ARLEQUIN. [Note : Ce prologue a été joué avant Arcagambis, tragédie jouée le même jour par la même troupe.]N'avons-nous pas cette tragédie en un acte que nous devions jouer à Paris. SCARAMOUCHE. Mais, c'est une tragédie ridicule. ARLEQUIN. Bon, il la prendra pour argent comptant. Après tout, j'ai vu autant de plaisant dans les véritables tragédies, que dans celles que nous allons jouer. SCÈNE DERNIÈRE. Acmet, etc. [ACMET]. Venez vous préparer, vos camarades vous attendent ; et le Grand Seigneur vous promet votre liberté si vous le divertissez. ==================================================