******************************************************** DC.Title = BRUTUS, TRAGÉDIE. DC.Author = BERNARD, Catherine DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:30:54. DC.Coverage = Italie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BERNARD_BRUTUS.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5734466w DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** BRUTUS TRAGÉDIE. M. DC. XCI. Avec approbation et Privilège du Roi. À PARIS, Chez la Veuve de LOUIS GONTIER, sur le Quais des Augustins, à l'Image Saint-Louis. MADAME, Si l'on était obligé de proportionner ses Ouvrages au mérite de ceux à qui on les dédie, j'aurais lieu de craindre votre colère, en mettant ici le nom de Votre Altesse Sérénissime ; Mais, MADAME, il faudrait se priver de la gloire de vous rendre ses hommages, pour peu qu'on apportât de circonspection sur ce point. L'étendue et l'élévation de votre esprit, laisseront toujours une distance infinie de vous aux Ouvrages qui vous seront présentez ; Et elles vont mettent dans la nécessité de pardonner les Dédicaces téméraires, Si vous avez quelque indulgence pour les commencements d'une Muse qui consacre ses prémices en vous les adressant, je serai trop heureuse d'avoir pu donner sans péril de vous déplaire, une marque publique du respect avec lequel je suis, MADAME, Votre ALTESSE SÉRÉNISSIME, La très humble et très obéissante servante *** PRÉFACE Je sais que la coutume des Préfaces que l'on met au devant des pieces de théâtre, est de réfuter, et même assez fièrement, ce qui a été dit contre la pièce ; je tâcherai à ne point suivre cet usage. On a fait des Critiques sur Brutus, je ne demande que la liberté de me défendre ; après quoi, si l'on n'est pas content de mes raisons, je passe condamnation. Quelques-uns ont trouvé que j'avais un peu trop adouci le caractère de Brutus , et Plutarque à la vérité en parle comme d'un homme si barbare, qu'il n'est pas surprenant que nos excellents Auteurs aient négligé ce sujet. Pour moi je n'aurais pas eu la témérité de le prendre, s'ils nous en avaient laissé d'autres, et si d'ailleurs je n'avais vu dans Tite-Live de quoi me rassurer sur les sentiments de Brutus. Cet Historien dit qu'au travers de sa fermeté , on lui voyait une douleur profonde. Il s'agit alors de l'état, ou il parut en public, selon toutes les apparences, il se ménageait moins en particulier, et toute sa douleur éclatait. Je ne l'ai pas représenté dans le Sénat, ni exposé aux yeux du peuple, mais dans un lieu, et dans des temps où il pouvait laisser agir les mouvements les plus secrets de son coeur. Quand même j'aurais un peu changé le caractère de Brutus, je n'aurais fait que rapprocher de nos moeurs une action qui en est fort éloignée, qui est extraordinaire même dans les moeurs Romaine[s] ; et c'est ce me semble la pratique commune du Théâtre, que pourvu que l'on conserve l'essentiel des actions on est assez maître des motifs et des autres circonstances. Mais je crois pouvoir dire encore quelque chose de plus fort ; l'action de Brutus n'est point une action de vertu, si l'on peut soupçonner qu'il y entre de la férocité naturelle, il faut pour être héroïque qu'elle coûte infiniment. Ce qui me doit faire sentir combien j'aurais hasardé en donnant un courage plus dur à Brutus, c'est la difficulté que quelques gens ont eue de goûter celui de Titus, qui vient s'accuser lui-même, et demander le supplice ; cependant la dureté qu'on a pour soi-même doit être plus aisément supportée que celle qu'on a pour les autres. Je prie que l'on considère que Titus a toute la vertu imaginable, que s'il s'oublie dans un instant, et dans des circonstances qui ne lui laissaient pas l'usage libre de sa raison, sitôt qu'il est revenu à lui-même, il doit avoir horreur du crime où il est tombé, qu'il sent un poids dont il faut qu'il se soulage ; qu'enfin il ne peut se réconcilier avec lui-même qu'en effaçant à ses propres yeux, comme à ceux des autres, par un aveu public de sa trahison, l'infamie de ce qu'il a fait. Ceux qui ont trouvé de l'indignité à venir demander de mourir sur un échafaud, n'ont sans doute pas songé que cette honte même est ce qui fait sa gloire, puisqu'il la subit volontairement, parce qu'il l'a méritée, et qu'il veut servir d'exemple à ceux qui oseraient faire le même crime. Voila l'utilité de son action, je répète ici les mêmes choses, que j'ai dites dans la pièce, de qui auraient pu prévenir les Critiques, si l'on s'en était souvenu. On sait jusqu'à quel excès allait l'amour de la patrie chez les Romains, n'y doit pas proportionner le repentir d'avoir fait contre-elle le plus grand de tous les attentats ? C'est ce que j'ai à répondre à ceux qui me disent qu'il n'y a point d'exemples de cela dans l'Histoire ; il n'y a point d'exemple aussi de la même faute dans un homme vertueux, et il me suffit d'avoir suivi le Génie des Romains ; j'ai eu la liberté d'imaginer un trait fondé sur ce caractère, et sur l'état particulier où se trouve Titus. On n'eût point désapprouvé qu'il se fut donné la mort dans le remords infini qu'il avait de sa faute mais il n'aurait point fait assez, puisqu'il y avoir quelque chose de plus à faire, et une moindre action n'aurait pas été capable d'attendrir Brutus, à qui il fallait trouver moyen de donner quelques sentiments naturels ; s'il ne devait pas être sensible pour son fils, il le devait du moins être à la vertu héroïque de ce fils. On a pu remarquer que je lui donné beaucoup de dureté pour Tiberinus, il ne change point ensuite, quand il s'adoucit à la vue d'un courage digne du sien c'est le même sentiment sous, une autre forme. Il est vrai que je le fais parler également de ses deux fils dans le cinquième acte, mais il n'a pu séparer leurs intérêts, puisqu'ils étaient tombés dans la même faute ; et il est aisé, de voir que ce n'est que Titus qui attire toute sa pitié. Il me reste quelque chose à dire sur Vindicius, pour ceux qui ne savent pas que c'est un trait historique qu'il fut affranchi, pour avoir découvert la conjuration qui se faisait pour Tarquin. Le même amour de la Patrie dont j'ai déjà parlé, suffit, ce me semble, pour justifier le soin que Titus prend de demander la liberté de cet esclave ; il était de l'intérêt de Rome qu'un si grand service ne demeurât pas sans récompense. Valérie et Tiberinus ont été également attaqués, quoique tous deux nécessaires. Tiberinus ne pouvait être retranché de cette Tragédie, on sait trop que les deux fils de Brutus avaient conspiré. Tiberinus sert à donner de la jalousie à son frère, et à l'entraîner dans la conjuration ; s'il n'a pas un courage héroïque, il donne du relief à Titus. Il l'a fallu sacrifier à un Personnage plus important, et ce serait un grand défaut dans une pièce de théâtre, que tous les caractères fussent pareils. Il demande sa grâce, mais c'est à son père, et cette circonstance peut le rendre moins condamnable. C'est Valérie qui découvre la conjuration par le moyen de son esclave ; et si son rôle n'a pas paru avoir assez de mouvement, peut-être cela vient en partie de ce que j'en avais retranché une scène que je redonnerai, sans oser cependant décider si j'ai eu raison de l'ôter, ou de la remettre. PERSONNAGES. BRUTUS, Consul. VALÉRIUS, Consul. TITUS, Fils de Brutus. TIBÉRINUS, Fils de Brutus. OCTAVIUS, Envoyé de Tarquin. AQUILIUS, Parent de Tarquin. VALÉRIE, Soeur de Valérius. AQUILIE, Fille d'Aquilius. PLAUTINE, Confidente de Valérie. ALBINE, Confidente d'Aquilie. MARCELLUS, Confident de Titus. La scène est à Rome dans le Palais des Rois chassés. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Brutus, Valérius. BRUTUS. [Note : Brutus (L. Junius) : Consul, il fit tomber les rois de Rome en -509, rétablit la puissance du Sénat. Il mourut dans un combat en -508. [B]]Octavius, Seigneur, en ces lieux va se rendreEnvoyé de Tarquin, c'est à nous de l'entendre.Je ne crois pas devoir concerter avec vousCe que Rome aujourd'hui lui répondra par nous.La Patrie à tous deux est également chère, Et nous n'avons ici qu'une réponse à faire. VALÉRIUS. De mon zèle, Seigneur, vos yeux seront témoins.La liberté naissante occupe tous mes soins,Et quand Valérius avec Brutus partageDu premier Consulat le suprême avantage, Il voit que par l'exemple, et l'appui de Brutus,On prétend l'élever aux plus hautes vertus. BRUTUS. Votre vertu sans doute au dessus de la mienne,Seigneur, n'a pas besoin que Brutus la soutienne ;Mais laissons ces discours et ces éloges vains, Nous ne devons agir ni parler qu'en Romains.Octavius paraît. SCÈNE II. Brutus, Valérius, Octavius. OCTAVIUS. Consuls, quelle est ma joie,De parler devant vous pour le Roi qui m'envoie,Et non devant un Peuple aveugle, audacieux.D'un crime tout récent encore furieux, Qui ne prévoyant rien, sans crainte s'abandonneAu frivole plaisir, qu'un changement lui donne !Rome vient d'attenter sur les droits les plus saints,Qu'ait jamais consacré le respect des humains.Méconnaissant des Rois la Majesté suprême, Elle foule à ses pieds et sceptre et diadème :Et quel autre forfait plus grand, plus odieux,Peut jamais attirer tous les foudres des Dieux ?Mais il n'est pas besoin que les Dieux qu'on offense,Fassent par leur tonnerre éclater leur vengeance ; Ce forfait avec lui porte son châtiment.Les Romains sont en proie à leur aveuglement,Ils ne consultent plus les lois, ni la Justice,Un caprice détruit ce qu'a fait un caprice.Le peuple en ne suivant que sa légèreté, Se flatte d'exercer sa fausse liberté,Et par cette licence impunément soufferte,Triomphe de pouvoir travailler à sa perte.Vous-même qu'il a mis dans un rang éclatant,Que n'éprouvez-vous point de ce peuple inconstant ! À votre autorité chancelante, incertaine,Il peut quand il lui plaît se dérober sans peine ;Il vous ôte à son gré vos superbes faisceaux,Lorsqu'il fit choix d'abord de ses Maîtres nouveaux,Brutus et Collatin occupaient cette place ; Depuis, un vain soupçon, une inconstante audaceDégrada Colatin, et vous donna Seigneur,Pour peu de temps, peut-être, un dangereux honneur ;Ha ! Romulus sans doute eut tous les Dieux contraires,Lorsqu'en ces murs naissants il rassembla nos Pères, S'il faut que par un peuple à lui-même livréPérisse cet État encor mal assuré.Prévenez les malheurs qui déjà se préparentQue par un repentir vos fautes se réparent,Qu'un légitime Roi dans son trône remis Fasse en vous soumettant trembler vos ennemis. BRUTUS. Non, Seigneur, les Romains n'ont point commis le crimeDe chasser de son trône un Prince légitime ;Un Roi qui de nos lois tient son autorité,Coupable ou vertueux doit être respecté. Mais bravant et nos lois et ces lois si sacréesPar la Nature même aux mortels inspirées,Malgré la voix du sang que dans d'affreux climats,Des coeurs à peine humains ne méconnaissent pas,Tarquin ose arracher le Sceptre à son beau-père, Et sans craindre les yeux du Soleil qui l'éclaire,Sans craindre pour témoin tout le peuple romain,Tarquin à son beau-père ose percer le sein,Ose jeter mourant du haut d'un trône augusteDes mortels le plus Grand et des Rois le plus juste. Pour ajouter encore à l'horreur de ces coups,[Note : On lit "Le fière Tullia" dans l'édition originale.]La fière Tullia digne d'un tel époux,Se hâtant d'aller prendre un fatal diadèmePrécipite son char d'une vitesse extrême,Et fait par ses chevaux soudain saisis d'effroi, Fouler le corps sanglant et d'un père et d'un roi.Après de tels forfaits je puis taire le reste,Les premiers attentats d'un orgueil si funeste,La soeur de Tullia, le frère de Tarquin,Dont un poison secret avança le destin, De leur ambition déplorables victimes,Dans cette affreuse histoire à peine sont des crimes.Tels sont Octavius les légitimes Rois ,Dont vous venez ici représenter les droits.Ah ! nul encor chez nous par cette infâme voix N'avait de la Couronne osé faire sa proie ;Un Roi qui le premier règne contre la loi,D'un peuple vertueux sera le dernier Roi. VALÉRIUS. Seigneur, à ces raisons qui font notre défenseJ'ajoute des Romains la longue patience, Par un maître cruel trop longtemps oppressés,À la révolte enfin nous nous vîmes forcés.La haine, les frayeurs ou les soupçons d'un homme,Étaient les seules lois qu'on reconnut dans Rome,Des meilleurs citoyens l'exil ou le trépas, Causaient partout des pleurs qui ne se montraient pas,La vertu la plus haute était la plus coupable,Et Brutus aujourd'hui si grand, si respectable,Ne fut-il pas réduit à la nécessité[Note : Ayant vu de bonne heure son père et son frère assassinés par Tarquin le superbe, et craignant le même sort, il contrefit l'insensé pendant plusieurs années. [B] ]D'emprunter les dehors de la stupidité ? Dieux ! Le soin d'un héros, son étude éternelleFut de cacher une âme et trop noble, et trop belle.Cependant les Romains vainement gémissants,De toutes parts encore étaient obéissants.Mais quand la tyrannie impunément maîtresse, Crut pouvoir sans péril attenter sur Lucrèce,Ces Romains jusqu'alors esclaves si soumis,Pour venger la pudeur se crûrent tout permis.Ainsi quand nous avons détruit cette Puissance,L'amour des nouveautés, une injuste licence, À l'exil de Tarquin n'eurent aucune part ;Rome s'est seulement affranchie un peu tard. OCTAVIUS. Par les bontés du roi voyez votre injustice,Tarquin qui des Romains doit chercher le supplice,Vous offre encor la paix les armes à la main, Je ne viens en ces lieux que dans ce seul dessein.Mais si vous refusez la paix qu'il vous propose,Ce Roi le fer en main justifiera sa cause.Déjà de l'Etrurie il arme tous les bras,Déjà ses vastes champs sont couverts de soldats, Et bientôt Porsenna contre un peuple rebelleVa des fronts couronnés soutenir la querelleCar enfin de son Trône indignement chassé,Tarquin par ce forfait n'est pas seul offensé :Et si de Porsenna la valeur éclatante Me pouvait accabler Rome encore naissante,D'un roi dépossédé l'exil et les malheursDe tous les autres rois lui feraient des vengeurs. BRUTUS. Les légitimes Rois n'ont point reçu d'offense,Seigneur et des Tarquins nous bravons la vengeance ; Ce qui nous a rendus criminels à leurs yeux,Dans le parti de Rome attirera les Dieux.Vainement contre nous s'élève l'Etrurie,Nous soutiendrons l'éclat d'une injuste furie.Tarquin sous ses drapeaux ne peut avoir rangé Qu'un peuple à l'appuyer faiblement engagé ;Mais à tous ses efforts, sachez que Rome opposeDes bras fortifiés par l'horreur qu'il nous cause,La crainte de rentrer dans de si rudes fersRendra toujours vainqueurs ceux qui les ont soufferts. OCTAVIUS. De votre aveugle haine il ne faut rien attendre :Mais ce n'est point assez le Sénat doit m'entendre ;Un péril si pressant peut le faire trembler. BRUTUS. Dans deux heures, Seigneur, il se doit assembler ;Mais n'en attendez rien qui vous soit favorable, Soyez sûr de trouver le Sénat implacable,Rome n'a qu'un esprit, OCTAVIUS. Si mes conseils font vains,Du moins j'aurai tout fait pour sauver les Romains. SCÈNE III. Brutus, Valérius. BRUTUS. L'avis des Sénateurs ne nous met point en peine,Sénat, peuple, Consuls, tout à la même haine, On ne croit point Tarquin favorisé des Dieux,Jusqu'à pouvoir de Rome être victorieux.Ainsi tranquillement écoutons la menace,À d'autres sentiments laissons reprendre place,Passons à d'autres soins. Qu'on appelle mes fils, Songez au doux espoir que l'aîné s'est permis,Seigneur, à votre soeur destiné par vous-même,Il est temps qu'il arrive à ce bonheur suprême ;Maintenant de Titus le nom a quelque éclat,Vous savez quelle estime en a fait le Sénat, Lorsque pour prévenir une prompte entrepriseLa porte Quirinale à ses soins fut commise.Ses vertus, le combat contre les Vejentins,Où ce fils a fait seul triompher nos destins,Redoublent envers lui mon amour paternel. Que votre exemple encore affermisse son zèle,Qu'étant à votre soeur le nom de son époux,L'associe aux vertus qu'on voit briller en vous. VALÉRIUS. J'attends ce jour, Seigneur, avec impatience,Vous verrez obéir ma soeur sans résistance, Son coeur depuis longtemps sur un si doux espoirA pris des sentiments qui suivent son devoir.Unissons nos maisons, achevons l'hyménée,Seigneur, et pour demain marquons-en la journée. BRUTUS. J'y consens, à demain. Il ne me reste plus Qu'à ranger sous l'hymen le frère de Titus,Le donnant pour époux à la jeune Aquilie,Je veux qu'à ma famille Aquilius se lie.Ce parent des Tarquins est demeuré Romain,Jamais à leurs forfaits il ne prêta la main, On n'a point confondu ses vertus et leur crime,Il a su des Romains se conserver l'estime ;On ne l'a point chassé de ce Palais des RoisOù nous ont établis nos illustres emplois ;J'oserai présumer que par mon alliance Je le puis affermir encor dans l'innocence ;Il peut beaucoup dans Rome, et par de doux moyensOn se doit assurer de pareils citoyens. VALÉRIUS. J'admire une vertu si pure et si solide,L'amour de la Patrie est tout ce qui vous guide, Pour naître, pour régner à jamais parmi nous,La liberté, Seigneur, avait besoin de vous ;Mais je vois en ce lieu les deux frères se rendre,Expliquez vos desseins, ils viennent les apprendre, SCÈNE IV. Brutus, Titus, Tibérinus. BRUTUS. Approchez-vous Titus, j'ai réglé votre sort, Avec Valérius depuis longtemps d'accord :À l'hymen de ma soeur je vous ai fait prétendre,Pour cet illustre hymen, je ne dois plus attendre,C'en est fait, à demain le jour est arrêté. TITUS. Quoi ! Seigneur... BRUTUS. À demain, telle est ma volonté, À conclure l'hymen ma gloire s'intéresse.Mais pourquoi dans vos yeux cette sombre tristesse ? TITUS. Ha Seigneur ! Apprenez ma faute et mon malheur,Je ne puis vous cacher le trouble de mon coeur,Je n'en disconviens point, Valérie est aimable, Mais envers ses appâts je m'avouerai coupable ;Depuis qu'à cet hymen vous m'avez engagé,Mon coeur sous d'autres lois malgré moi s'est rangé BRUTUS. Prétends-tu t'affranchir d'une illustre hyménée,Lorsqu'à Valérius ma parole est donnée, Lorsque sa soeur déjà te voit comme un époux ?Malgré mon amitié redoute mon courroux,Surmonte la faiblesse où ton coeur s'abandonne,Plus j'estime Titus et moins je lui pardonne ;Je hâterai l'hymen dans l'espoir d'étouffer Des feux dont un Romain doit toujours triompher.Tu connais mes desseins, suis-les sans résistance.Je veux, Tibérinus, la même obéissance,Aquilius paraît votre ami dès longtemps,Obtenez Aquilie et mes voeux sont contents. TIBÉRINUS. J'obéirai Seigneur, plus heureux que mon frère,Je l'adore et je puis l'aimer sans vous déplaire. TITUS. Seigneur.... BRUTUS. Ne poursuis pas un indigne discours,Brutus est sans égard pour d'aveugles amours ;L'amour dans vos pareils ne fait point l'hyménée. Je n'écouterai rien, ma parole est donnée. SCÈNE V. Titus, Marcellus. TITUS. Je demeure interdit, désespéré, confus,Dans ce malheur pressant, je ne me connais plus.Ciel ! on m'ôte Aquilie, on m'arrache à moi-mêmeLorsque je suis aimé, je perdrais ce que j'aime ? Mille soins m'ont acquis un bien si précieux,Et mon heureux rival l'obtiendrait à mes yeux ?Un seul mot de Brutus en faveur de ce frère,Prévaudrait sur mes soins, sur le bonheur de plaire ?Quel secours, Marcellus ? Que pourrai-je tenter ? MARCELLUS. Je ne vois nul espoir qui doive vous flatter.L'inflexible Brutus a donné sa parole.L'amour est à ses yeux une ardeur trop frivole,Il n'en connut jamais les peines, les douceurs,Et ne peut être ému de toutes vos douleurs. L'amour à la pitié ne saurait le conduire,Ah ! Pourquoi votre coeur se laissait-il séduire ? TITUS. Pouvais-je d'Aquilie éviter le pouvoir,Et puis-je en l'adorant écouter mon devoir ?Mais sans blesser les lois sous qui l'amour me range, Ne peut-on pas donner par un heureux échangeÀ la soeur du Consul mon frère pour époux? MARCELLUS. Songez, Seigneur, qu'il aime en même lieu que vous.Quel sujet d'immoler sa tendresse à la vôtre ?D'ailleurs Valérius vous préfère à tout autre, Et si j'en puis juger, Valérie encor plus.Mais Seigneur, agissez auprès d'Aquilius ;Faites qu'à votre frère il refuse sa fille,Qu'il cherche à vous unir lui-même à sa famille,Du Consul votre père il est considéré, Peut-être il changerait vos destins à son gré ;Si vous êtes aimé, faites par AquilieQu'Aquilius obtienne.... TITUS. Ha ! Tu me rends la vie ;Aux ordres des consuls je ne puis obéir ;Je ne vois que l'Amour que je ne puis trahir. Allons chez Aquilie et si j'ai su lui plaire,Parlons, pressons, il faut qu'elle fléchisse un père.Ciel ! Je vois Valérie, en l'état où je suis,Sortons, il faut la fuir et cacher mes ennuis. SCÈNE VI. Valérie, Plautine. VALÉRIE. Il me fuit ; et demain un noeud sacré nous lie. Il me fuit ; et peut-être il court vers Aquilie.Je soupçonne qu'il l'aime et mes cruels soupçonsS'augmentent tous les jours par de tristes raisons. PLAUTINE. Non, Madame, il ne peut vous avoir aperçue. VALÉRIE. Il la cherche sans doute et ne m'a que trop vue, Vengeons-nous pour calmer l'inutile regretDe lui voir de l'amour, sans en être l'objet. PLAUTINE. Peut-être trop d'amour vous donne des alarmes,Peut-être on le verrait plus soumis à vos charmes,S'il connaissait l'amour qui sut vous enflammer. VALÉRIE. Hé ! L'ignorerait-il s'il me pouvait aimer ?Pourquoi vois-je le trait dont son âme est blessée ?Hélas ! Que ne lit-il ainsi dans ma pensée ?Pourquoi Valérius m'ordonna-t-il des voeuxQue Titus désormais rendra si malheureux ? En louant ses vertus, il augmentait sans cesseCe que son ordre en moi fit naître de tendresse.Il versait en mon coeur le dangereux poisonQue prêtent à l'Amour l'estime et la raison. PLAUTINE. Titus doit être à vous, qu'il aime ou qu'il haïsse, Ainsi Brutus l'ordonne, il faut qu'il obéisse. VALÉRIE. Moi je l'épouserais, lorsqu'il sent d'autres feux !Non, non, mon coeur trop fier, quoiqu'il soit amoureux,Va se faire une juste et triste violence ;Aux ordres des Consuls je ferai résistance. Mais quoi ! je servirai Titus dans ses amours ?Il faut par mon hymen en arrêter le cours.Et que sais-je, Plautine ? il m'aimera peut-être ;Ma tendresse à la fin se fera reconnaître.Témoin de mes soupirs, il peut s'en émouvoir ; Dans mes soins amoureux il lira son devoir.[Note : Convivre : Vivre avec, vieux verbe qui se comprend sans peine, et qui pourrait encore trouver son emploi. [L]]Ce devoir, mon amour, le convieront sans cesseÀ me donner son coeur, à payer ma tendresse ;Penses-tu qu'il pourra toujours leur résister ?Non, de m'aimer un jour, il ne peut s'exempter. Mais découvrons s'il voit le père d'Aquilie ;Rompons tous leurs desseins, il y va de ma vie,Le jour de mon hymen à demain arrêté,Va redoubler leurs soins et leur activité.Ils n'épargneront rien aujourd'hui pour me nuire. Sachons.... PLAUTINE. De leurs desseins, qui pourra vous instruire ? VALÉRIE. Vindicius est propre à servir mes projets,Cet esclave est sensible à tous mes intérêts ;Tu sais qu'Aquilius avant moi fut son maître,Sans se rendre suspect il peut chez lui paraître, Peut-on le soupçonner d'un désir curieux ?Qu'il écoute, qu'il voie, on ne craint pas ses yeux,Qu'il examine tout, et me le vienne apprendre,Va, cours, donne cet ordre, il ne faut point attendre.Qu'il vienne me trouver dans mon appartement. Cachons à tous les yeux ma honte et mon tourment. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Octavius, Aquilius. OCTAVIUS. Tandis qu'à m'écouter le Sénat se prépare,Et qu'il n'est point encore d'ordre qui nous sépare,Songeons à profiter d'un temps si précieux,Seigneur, c'est pour vous seul que je viens en ces lieux. Je n'ai rien espéré d'une ambassade vaine,Que de cacher à tous le sujet qui m'amène,Et de me ménager un entretien secret,Ou de vos soins pour nous, vous m'apprissiez l'effet.Hé bien ! Aquilius, que devons-nous attendre ? En faveur de Tarquin est-on prêt d'entreprendre ?Dès cette même nuit il croit qu'il peut revoirLes superbes Romains soumis à son pouvoir.Achevons : sur son trône il est temps qu'il remonte,L'entreprise est mal-sûre, à moins que d'être prompte. AQUILIUS. Seigneur, j'ai rassemblé cinq cents jeunes Romains,Qui se sont dévoués à servir nos desseins ;Un des fils de Brutus, Tibérinus lui-même,Sans peine a conspiré pour des Princes qu'il aime.Plus que les noeuds du sang une étroite amitié, Avec les fils du Roi l'avait toujours lié.De nos maîtres nouveaux l'inflexible rudesseA choqué les esprits d'une libre jeunesseEt tous avec les Rois veulent voir de retourLes plaisirs, la licence et l'éclat d'une Cour. Mais à cette hardie et nombreuse cohorteIl manque de pouvoir disposer d'une porte.Si l'aîné de Brutus voulait se joindre à nous,Dès cette même nuit Rome serait à vous.Pour un succès aisé notre dessein demande la porte Quirinale et Titus y commande. OCTAVIUS. N'avez-vous rien tenté, Seigneur, pour l'engager ?Au parti de Tarquin ne peut-on le ranger ? AQUILIUS. Il adore ma fille. Et peut-être par elleÀ Titus pour le roi j'inspirerai mon zèle. D'un coeur qu'elle possède elle sait le chemin.Je veux qu'elle lui parle en faveur de Tarquin,Et la faisant entrer dans cette confidence,Je prétends de l'amour employer l'éloquence.Instruite du secret depuis hier seulement, Elle ignore l'effort qu'on veut de son amantPour rendre encor plus sûr l'effet que je désire,Par degré elle-même il faudrait la conduire. OCTAVIUS. Une amante a toujours l'art de persuader,Mais par elle un secret pourrait se hasarder. AQUILIUS. Ne craignez rien, Seigneur, Aquilie est capableDu secret le plus grand, le plus inviolable.De plus, ignorez-vous quelle sévère loiMet obstacle au dessein de rétablir le roi ?Quiconque seulement en serait le complice, Sous de cruels tourments Rome veut qu'il périsse.Rome sans distinguer âge, sexe ni rang,N'écoute que sa haine et demande du sang.Quand ma fille pourrait sans l'ordre de son pèreRévéler à Titus cet important mystère, Titus sait trop du moins, qu'en ne le cachant pas,Il conduit ce qu'il aime au plus affreux trépas.Dans un même attentat avec moi je la lie,Et fais ma sûreté du péril d'Aquilie.Rien n'est à redouter ; il ne reste qu'à voir Par quel art j'agirai pour tenter son devoir.Si je dois... OCTAVIUS. Mais, Seigneur ; à ce que j'entends dire,Pour Aquilie aussi Tibérinus soupirePeut-elle être le prix que l'un et l'autre attend ?Ce serait perdre tout, que faire un mécontent. AQUILIUS. Seigneur, lorsqu'avec nous Tibérinus s'engage ;Ce n'est point à l'amour, que l'on doit cet ouvrage,Même entre les premiers, comme il a conspiré,Son coeur pour elle encor n'avait pas soupiré.Ainsi sans avoir droit à cette récompense, Il en peut seulement concevoir l'espérance.Et moi sans la détruire et sans l'autoriser,De prétextes divers je le puis amuser.Tandis qu'une agréable et solide promesseIntéressant Titus et flattant la tendresse, L'unirait avec nous, sans que tout le parti,Ni que son frère même en pût être averti.Lorsqu'on éclatera, par des ordres contraires,Je saurai l'un de l'autre écarter les deux frères,Je ne veux rien risquer ; mais malgré tout notre art, Les grands desseins toujours courent quelque hasard. OCTAVIUS. Non, nous ne risquons rien, votre rare prudenceMe donne du succès une entière assurance.Mais je vous le redis ; dès cette même nuit,Tarquin dans ces remparts veut se voir introduit. Obtenez de Titus, qu'avec nous il conspire,L'amour s'en mêlera ; peu de temps doit suffire.J'aperçois Aquilie et je vais vous quitter.Du pouvoir de ses yeux tâchez de profiter.Cependant à Tarquin je dois porter un gage, Qui marque en quel état est votre grand ouvrage.Prenez de nos amis et les noms et le seing,Et je l'assurerai de son retour prochain. SCÈNE II. Aquilius, Aquilie. AQUILIE. Je me jette à vos pieds dans ma douleur extrême.J'attends grâce d'un Père et d'un Père qui m'aime. Tibérinus, Seigneur, appuyé par Brutus,Va demander ma main sans craindre vos refus.Ha ! Si mes sentiments osent ici paraître,Je le hais et ma haine est injuste peut-être ;Mais j'ai fait pour la vaincre un inutile effort, Et s'il m'obtient de vous, vous me donnez la mort. AQUILIUS. Ma fille, un tel époux ne doit point vous déplaire,Il aurait plus d'éclat s'il n'avait point de frère ;Il est vrai que Titus, plus grand, plus glorieuxDu Peuple et du Sénat attire plus les yeux. Ces illustres Romains que nous tâchons de suivre,Tous nos héros en lui semblent devoir revivre ;Mais si Tibérinus ne le peut égaler,Par de moindres vertus on peut se signaler,Et mon engagement.... AQUILIE. Ciel ! m'auriez-vous promise ? Mon Père, à quels destins me verrais-je soumise ? AQUILIUS. Non, je n'ai rien promis et suis plus engagé.Tibérinus m'oblige et n'a rien exigé ;Mais lié d'intérêt, il a droit de prétendreQue s'il est votre amant, je le prendrai pour gendre. AQUILIE. Ainsi mon seul secours est dans mon désespoir. AQUILIUS. Vos injustes douleurs ont sur moi du pouvoir.Mais malgré ma raison, s'il faut que je leur cède,Aux maux que vous craignez je ne vois qu'un remède.Si Titus vous aimait son coeur... vous rougissez, Votre rougeur augmente et m'en apprend assez.Vous l'aimez ; je le vois ; mais parlez, AquilieUn père vous l'ordonne ; iI fait plus ; il vous prie.Ne me déguisez rien, c'est pour votre bonheurQue je veux pénétrer au fond de votre coeur. AQUILIE. Je ne saurais cacher le trouble de mon âme.Pardonnez-moi, mon Père, une innocente flamme.Il faut vous rassurer ; vous craignez, je le vois,Qu'un coeur qui s'est donné, ne vous manque de foi.Mais quand vous m'honorez de votre confidence, Mon père, je vous jure un éternel silence.Aujourd'hui, que Titus plein de son désespoir,Ignorant vos desseins, sachant votre pouvoir,Pour détruire un hymen où son Père l'engage,Est venu me prier de tout mettre en usage, De vous montrer mes pleurs et de vous obligerÀ parler aux Consuls, à les faire changer,À ne vouloir donner qu'à Titus Aquilie,À faire que son frère épousât Valérie(Vains projets d'un amant qui connaît peu son fort ) (II trouve encore en vous un obstacle plus fort)Je viens de l'assurer qu'il ne peut rien prétendre.Mais j'ai tu le secret qu'il tâche en vain d'apprendre ;Ha ! lorsque je renonce à Titus pour jamais,Ne me forcez pas d'être à l'amant que je hais. AQUILIUS. Ma fille, je voudrais faire encore davantage.Ne puis-je vous donner l'amant qui vous engage ? AQUILIE. Hé ! Ne me flattez point dans mon cruel destin.Vous ne quitterez pas le parti de Tarquin,Et tout retient Titus, son Père, la Patrie. Il aime son devoir, Rome en lui se confie.Non, non, je le connais ; lié de tant de noeuds,Il ne peut... AQUILIUS. Il peut tout, s'il est bien amoureuxTitus veut éviter un fatal hyménée ;Et pour s'en garantir, il n'a que la journée. Les Consuls ont le droit de le tyranniser ;Ils veulent cet hymen. Titus doit tout oser.Nous livrant cette nuit la porte qu'il commandeIl rompra pour jamais l'hymen qu'il appréhende ;Demain Maîtres dans Rome, il nous sera permis De disposer de tout au gré de nos amis.En secret dès ce jour je l'accepte pour gendre.De vous, de votre amant votre sort va dépendre.Songez-y. AQUILIE. Non, mon père ; il n'y faut pas penser! AQUILIUS. S'il vous aime Aquilie, il faudra l'y forcer. Engagez votre amant à servir votre père.Si Titus n'est à vous, vous serez à son frère.Quelques heures encor je pourrai l'éviter.C'est à Titus à voir s'il veut vous mériter.Hâtez-vous de savoir où je puis le conduire, Et venez me parler, avant que de l'instruireDu secret important, qui vous est révélé. AQUILIE, seule. Non, cet affreux secret sera toujours scellé. SCÈNE III. Aquilie, Albine. ALBINE. D'où vient cette douleur qui dans vos yeux est peinte,Madame et qu'en mon coeur elle porte de crainte ? Un père se sert-il de son droit souverain ?Est-ce à Tibérinus qu'il donne votre main ? AQUILIE. Ne cherche point, Albine, à connaître ma peine ?Je ne puis te la dire, et ta recherche est vaine.Coulez, coulez mes pleurs, que j'ai trop retenus. Le respect paternel ne vous arrête plus.Vengez le tendre amour, qu'un cruel père opprime,Lorsqu'il veut un tribut, qui peut-être est un crime, ALBINE. Quoi ! AQUILIE. Je ne puis parler. Laisse-moi mes ennuis,Il faut te les cacher, Albine, si je puis. Garde de pénétrer pourquoi mon coeur soupire.Même en disant si peu, je crains de te trop dire. SCÈNE IV. Aquilie, Titus. TITUS. Hé bien ! quel est le sort d'un amant malheureux,Mon rival.... AQUILIE. Ha Seigneur ! on approuve nos feux ;Mon père en a d'abord découvert le mystère. J'ai déclaré l'horreur que j'ai pour votre frère.J'ai rougi, quand de vous il a voulu parler.Il a vu que j'aimais, je n'ai pu le sceller.Son estime pour vous a rempli mon attente.Il vous honore assez au gré de votre amante ; L'amour même ne peut vous donner rien de plus,Que les titres brillants, qu'il croit qui vous sont dus.Voilà notre bonheur. Quels maux sont à sa suite !De ses intentions il m'a trop tôt instruite.Le parti qu'il propose est terrible pour vous. Vous ne voudrez point être à ce prix mon époux. TITUS. Peut-il à trop haut prix mettre l'objet que j'aime !Et qui peut effrayer une tendresse extrême ?Que vous faites d'injure au malheureux Titus !Peut-il vous pardonner tant de pleurs répandus ? AQUILIE. Ils sont justes hélas ! mon destin déplorableEn rendra déformais la source inépuisable. TITUS. Ainsi vous persistez à déchirer mon coeur.Sur quoi se peut fonder cette fatale erreur ?Ces soupirs douloureux et ces cruelles larmes Offensent à la fois mon amour et vos charmes.Ha ! pour vous mériter, que ne ferais-je pas !Heureux qu'on ait pu mettre un prix à vos appâts. AQUILIE. Non, d'un honteux succès, je ne suis que trop sûre. TITUS. Qui me peut, juste Ciel, attirer cette injure ? Inhumaine, cruelle. Ha ! Je ne réponds plusDe moi, de mon amour, après ces durs refus.Je ne puis soutenir cette affreuse injustice.Pour le plus tendre amour, est-il un tel supplice ?Ingrate, il est donc vrai ; vous doutez de ma foi. Mes feux n'ont encor pu vous répondre de moi.Est ainsi que l'amour nous unit l'un à l'autre ?Et comment peut mon coeur s'assurer sur le vôtre ? AQUILIE. Ne me condamnez point avant que de savoirCe qui fait mes refus, mes pleurs, mon désespoir. Non, je ne doute point de votre amour extrême,Je vous le marque assez, Seigneur, quand je vous aime ;Mais malgré votre amour et malgré tout le mien,Renonçons l'un à l'autre, et n'espérons plus rien. TITUS. Ô Ciel ! dans vos discours que pourrais-je comprendre Vous avez des secrets que je ne puis apprendre ?Et vous pouvez encor dire que vous m'aimez !Et moi, lorsque de vous tous mes sens sont charmés,Que votre hymen fait seul tout le bien où j'aspire,Je le refuserais ! Vous osez me le dire ! Non, Madame, plutôt votre coeur a changé,Plutôt Tibérinus peut l'avoir engagé. AQUILIE. Je ne répondrai point, Seigneur, à cette injure.Mes pleurs, mon désespoir, ma mort que je crois sûrePourront justifier un silence obstiné, Dont ce coeur, qui vous aime, est le premier gêné. TITUS. Vous déguisez en vain. Oui, votre coeur m'outrage,Vous m'avez dès tantôt tenu même langage,Vous n'avez point calmé mes trop justes soupçons,Vous me désespérez et cachez vos raisons. AQUILIE. Je l'ai dit, mon devoir m'ordonne de les taire.Il faut vous les cacher. TITUS. Et le pourriez-vous faire,Si votre amant sur vous avait quelque pouvoir ?Ha Madame ! l'amour n'a-t-il pas son devoir ?Mais c'est trop demeurer dans cette peine extrême. Voyons Aquilius. Qu'il me parle lui-même.Apprenons quelle loi il voudra m'imposer.Allons. AQUILIE. C'est son secret ; il peut en disposer. SCÈNE V. Aquilie, Albine. AQUILIE. Ha Ciel ! jusqu'à quel point je viens de me contraindre ?Je n'ose lui parler et je l'entends se plaindre. Que j'ai souffert ! Jamais je ne l'ai tant aimé.Les soupirs, les transports de son coeur enflammé,L'obstacle que je crains, tout augmentait ses charmes :Laisse-moi, tu contrains mes plaintes et mes larmes. ALBINE. Je vois Tibérinus, je vous laisse avec lui. SCÈNE VI. Aquilie, Tibérinus. TIBÉRINUS. Ne cherchez point, Madame, à cacher votre ennuiD'un inutile soin votre esprit s'embarrasse.De vos pleurs répandus je vois encor la trace.Votre douleur dépeinte et vos tristes soupirsMal étouffés encor marquent vos déplaisirs. Que je suis malheureux de chercher à vous plaire !Je vous ai fait savoir les desseins de mon père,Et je vois vos douleurs naître avec mon espoir.J'ai craint ce que je trouve et je cherche à vous voir. AQUILIE. Et pourquoi pensez-vous, Seigneur, avoir fait naître, Le chagrin qu'en mes yeux vous avez vu paraître ?Le succès de vos voeux est-il donc si certain ?D'Aquilius mon père obtenez-vous ma main ? TIBÉRINUS. Non, je voulais encor obtenir de vous-mêmeVotre coeur qui méprise une tendresse extrême. Je sais qu'Aquilius approuvera mon feuDe puissantes raisons m'assurent son aveu.Et si votre rigueur encor me désespère,Si mes respects sont vains, craignez l'ordre d'un père. AQUILIE. Quel plaisir auriez-vous à me tyranniser ? Et pourquoi malgré moi songer à m'épouser ? TIBÉRINUS. Ingrate, demandez pourquoi je vous adore,Pourquoi vous allumez le feu qui me dévore,Pourquoi par vos appâts les coeurs sont attirés.Je connais le rival que vous me préférez. Mais, Madame, sur lui mon coeur a l'avantage.Je sais ce que je sens et j'aime davantage.Croyez-en le transport qui me rend odieux,Mais qui vous marque au moins le pouvoir de vos yeux.L'invincible ascendant d'une force suprême M'engage malgré vous, souvent malgré moi-même,Et ce penchant encor, que je combats en vain,Me fera demander malgré vous votre main.Je connais vos rigueurs, votre haine barbare,Et le triste bonheur, que l'amour me prépare, Je ne puis cependant m'empêcher d'y courir,Enfin si je me perds, c'est pour vous acquérir.Tout ce que contre moi vous allez entreprendre,De mes soins importuns ne pourra vous défendre.Vous verrez vos refus et vos cruels combats Me punir, vous venger, mais ne me guérir pas.Si je me possédais, quand vous m'êtes contraire,Je vous rendrais à vous, vous obtenant d'un père.Hélas ! tant de raison ne peut être en mon choix,Je vous aime, voilà ma raison et mes lois. AQUILIE. N'employez pas tant d'art, Seigneur, pour me surprendre.Votre dure conduite est facile à comprendre.Non, ce n'est point l'amour qui la peut inspirer,Lorsque vous ne songez qu'à me désespérer.Votre barbare coeur, qui se plaît à mes larmes, Qui dans mes plus grands maux trouve ses plus doux charmes,Seul vous fait travailler à mes cruels malheurs.Pourriez-vous en m'aimant faire couler mes pleurs ?Un amant ne désire en son ardeur extrême,Qu'un bonheur qu'il partage avec l'objet qu'il aime. Et croyez-moi, Seigneur, pour les coeurs délicatsL'hymen n'est point heureux, quand l'amour ne l'est pas. TIBÉRINUS. Je serai malheureux et je suis né pour l'être.Dès longtemps vos rigueurs me l'avaient fait connaître ;Mais je saurai du moins les moyens d'empêcher Qu'on jouisse d'un bien qu'on prétend m'arracher.Dans l'état où je suis un seul espoir me reste ;Il faut qu'à mon rival mon malheur soit funeste.S'il garde votre coeur quand j'aurai votre foi,Il est en vous perdant plus malheureux que moi. AQUILIE. Plus malheureux que vous ! Gardez-vous de le croire.J'aurai ses déplaisirs gravés dans ma mémoire.Je ne le verrai plus ; mais mes yeux et mon coeurJour et nuit occupés à plaindre son malheur,Empoisonnant l'hymen où vous croyez des charmes, Vous feront envier ses soupirs et ses larmes. TIBÉRINUS. Ingrate, il est donc vrai que vous pouvez l'aimer.Vous osez m'avouer qu'il a su vous charmer.Je sais depuis longtemps que votre coeur l'adore,Cependant malheureux j'en suis surpris encore. Quand j'en voulais douter, vous me le déclarez.Je ne balance plus et vous en souffrirez.Peut-être que mon coeur ému par votre plainte,Eut différé l'hymen où vous serez contrainte ;Mais puisqu'un autre amour vous y fait résister, Mon juste désespoir ne peut rien écouter.Je vous suis odieux ; il faut que votre peineSoit d'épouser l'objet de votre injuste haine.Je vais d'Aquilius en ce même momentObtenir pour l'hymen un prompt consentement. SCÈNE VII. AQUILIE. À sa menace, ô Ciel ! Serai-je sans réponse ?À l'hymen de Titus faut-il que je renonce ?Oui, perdons un espoir qui ne me convient plus ;J'en pourrais prendre encor en pensant à Titus.Mais pourquoi n'oser rien lorsque j'en suis aimée ? Quand un fatal hymen tient son âme alarmée,Je me tairai ? J'irai d'un rival odieuxApprouver les transports à la face des Dieux ?Non, tu n'as pas en vain découvert ta pensée,Je préviendrai le coup dont tu m'as menacée ; Mon coeur devient hardi par la crainte où l'a misLe tyrannique espoir que le tien s'est permis.Ha ! Ne balançons plus, allons dire à mon pèreQu'en l'amour de Titus avec raison j'espère.Il n'aura pu le voir et mon père aujourd'hui Donne aux seuls conjurés un libre accès chez lui.Qu'il me laisse parler, qu'il garde le silence,Mes pleurs près d'un amant auront plus d'éloquence,Et mieux que les raisons sauront le pénétrer.Mais Dieux ! dans quel parti veux-je le faire entrer ? Arrête, ne fuis point un transport qui t'abuse.Et que deviens-je, ô Ciel ! si Titus me refuse,S'il souffre cet hymen, que je ne trouve affreux,Que parce que mon coeur a partagé ses feux ?Quand je l'adore, hélas ! qu'il est cruel de craindre, Qu'approuvant son amour je ne trouve à m'en plaindre !Il n'importe, évitons d'être à Tibérinus.Parlons. Mourons plutôt des refus de Titus. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Titus, Aquilie. AQUILIE. Mon père m'a permis de rompre le silence,Et vos soupirs sur moi n'ont que trop de puissance. Je cède mais avant que je laisse à regretEchapper pour vous seul cet important secret,Je veux par des serments, que votre foi s'engage.Jamais sans mon aveu vous ne ferez d'usageDu secret que l'Amour va mettre entre vos mains Et vous l'ignorerez avec tous les humains. TITUS. Oui, j'en jure des Dieux le nom inviolable,Tout ce qui parmi nous est le plus redoutable,Tout ce que nous laissa Numa de plus sacré,Tout ce qui des Mortels fut jamais adoré. Mais pourquoi ces serments me sont-ils nécessaires ?Ha ! croyez-en plutôt mille soupirs sincères. AQUILIE. Hé bien, je vais parler ; c'est vous qui le voulez.On cherche à rétablir les Tarquins exilés.On conspire et mon père est chef de l'entreprise. TITUS. Ai-je bien entendu ? Ciel ! quelle est ma surprise !Quelle suite d'horreurs ! que de maux je prévois !Quel obstacle se met entre Aquilie et moi l AQUILIE. Hélas ! si vous m'aimiez, vous auriez dû m'entendre.Le projet étonnant, que je vous viens d'apprendre, Loin de rompre des noeuds si doux, si pleins d'attraits,Si vous le secondez, nous unit à jamais.En livrant à Tarquin la porte Quirinale,Vous vous affranchissez d'épouser ma rivale,Tarquin maître en ces lieux, vous devra son retour, Et mon père à ce prix m'accorde à votre amour.D'abord un tel projet m'avait paru terrible.Mais l'amour à mes yeux l'a fait voir moins horrible.Je tremble maintenant, je frissonne d'effroi,Qu'il ne soit vu de vous, autrement que de moi. Est-ce un crime après tout de remettre à sa placeUn roi, dont les malheurs ont mérité la grâce ?Si ce parti, Seigneur, eut blessé l'équité,Jusqu'au dernier soupir je l'aurais rejeté ! TITUS. Non, non, Madame, non ; disposez de ma vie, Ordonnez qu'à l'instant je vous la sacrifie ;En vous obéissant mon sort sera trop doux ;Mais malgré tout l'amour dont je brûle pour vous ,Je n'achèterai point un objet que j'adore,Par une trahison que tout mon coeur abhorre. Faut-il que mon bonheur me soit offert en vain ?Faut-il que votre amant refuse votre main ?Et pourquoi parliez-vous ? Ô Jour que je déteste !Pourquoi l'ai-je arraché, ce secret si funeste ? AQUILIE. Laissez-moi ce regret, il n'appartient qu'à moi. Hélas ! je prévoyais le coup que je reçois.J'en voulais épargner la honte à ma tendresse.Tant que de mon secret j'étais encor maîtresse,Pourquoi de vos refus ne me pas garantir ?Ils étaient moins cruels à prévoir, qu'à sentir. Non, je n'ai point douté de votre ingratitude,Et je n'en puis souffrir la triste certitude. TITUS. Madame, ces refus n'ont point dû vous blesser.Ce n'est qu'au seul Tarquin qu'ils peuvent s'adresser.Voulez-vous que l'amour dans le crime m'engage ? Si j'ai quelques vertus, elles sont votre ouvrage.Quel honteux changement ! Et quel prodige enfinQue le fils de Brutus qui servirait Tarquin ! AQUILIE. Seigneur, Tibérinus votre sang, votre frère,votre rival enfin, conspire avec mon père. TITUS. Tibérinus conspire ! Et sur quel vain espoirVoulait-on m'engager dans un crime si noir ?Sans doute à son amour votre main est acquise,À ce prix seulement, il est de l'entreprise. AQUILIE. L'amour n'est point entré dans son engagement, Il servait les Tarquins avant que d'être amant ;Mais le lien étroit qui l'attache à mon pèreFait que sur mon hymen, il n'est rien qu'il n'espère,Mon père cependant de vos vertus charmé,Prêt à trahir l'espoir dont il est animé, Sans lui promettre rien le laisse encor prétendre,Et veut dès aujourd'hui, vous recevoir pour gendre.En vous cachant à tous comme à Tibérinus,En l'occupant ailleurs... TITUS. Non, je n'écoute plus.Je ne veux point savoir si je pourrais encore Ravir à mon rival un objet que j'adore ;En vain vous m'en offrez les moyens dangereux ;Je veux voir l'espérance interdite à mes voeux,Et quoique par ce coup ma mort soit infaillible,Je veux voir désormais mon bonheur impossible. Peut-être qu'à la fin vos funestes appâtsEngageraient mon coeur dans de honteux combats.Je vous fuis pour jamais. AQUILIE. Ha Ciel ! Qu'allez-vous faire ?Allez-vous à la fois me perdre avec mon père ?Malgré tous vos serments, et malgré votre amour, Chargé de mon secret, l'allez-vous mettre au jour ?Qui l'eût cru qu'Aquilie à ce point fût à plaindre ?Et même que Titus eût pu la faire craindre? TITUS. Que vous répondre, hélas ! dans le trouble où je suis ?Sais-je ce que je fais ? Madame, je vous fuis. AQUILIE. Arrêtez ou donnez la mort à votre Amante.Qui peut vous retenir ? et qui vous épouvante ?Quoi vous délibérez et et vous m'allez trahir ?Ô père infortuné que tu me dois haïr !Pourquoi t'ai-je assuré dans mon erreur fatale, Que l'ardeur de Titus à ma tendresse égaleNe me laissait plus craindre un triste événement ? TITUS. Il ne connaît que trop, et vous, et votre amant.Vous m'avez fait risquer un serment téméraire ;Criminel à parler, criminel à me taire, De crimes aujourd'hui je n'ai plus que le choix ;Mais quoi ! je ne l'ai point, l'amour me fait des lois.Titus ne peut parler, dissipez vos alarmes.Mais après le forfait que lui coûtent vos charmes,Si par quelque moyen qu'il n'ose souhaiter, La conjuration peut d'ailleurs éclater,Il sera plus ardent à venger sa Patrie,Que si par son silence il ne l'eût point trahie,Et contre les Tarquins justement animé ,Il se justifiera d'avoir trop bien aimé. AQUILIE. Et cependant, Seigneur, quel destin dois-je attendre ?D'être à Tibérinus, qui pourra me défendre ? TITUS. Hé bien, que vous importe ? il va se faire aimer,Vous sacrifiant Rome, il saura vous charmer.Car enfin, ce n'est plus l'amour qui vous inspire, À servir les Tarquins tout votre coeur aspire. AQUILIE. Poursuivez, poursuivez, achevez de m'aigrir.J'aime cette injustice ; elle peut me guérir.Joignez à vos refus le mépris et l'injure ;De mon ressentiment je n'étais pas bien sûre, Mon coeur porté toujours à vous justifier,Malgré ce peu d'amour n'eût pu vous oublier.Vous servez ma raison en outrageant ma flamme,Dites que je feignis de vous donner mon âme,Dites que je voulus mendier votre coeur Pour pouvoir des Tarquins réparer le malheur.Et que me fait à moi leur retour, leur absence ?De vous seul occupée avec trop de constance,L'amour m'avait ôté tout autre sentiment ;Quel soin me touche encor en ce triste moment ? J'ai craint de voir nos coeurs séparés l'un de l'autre,Quoi donc ! mon intérêt, ingrat, n'est pas le vôtre ? TITUS. Madame, pardonnez mon crime à mes douleurs.Trop faible contre vous, je m'arme de fureurs,Je veux tenir suspects vos pleurs, votre coeur même, Enfin tout ce qui fait qu'un malheureux vous aime.Mon esprit contre vous tâche de s'irriter ;Mais de cet art cruel je ne puis profiter.Vous voyez le péril où vous mettez ma gloire ;Madame, par pitié cédez-moi la victoire, Vos charmes sont trop forts, mon coeur est trop soumis,N'exigez rien de moi que ce qui m'est permis. AQUILIE. Je ne sais point user d'un pouvoir tyrannique,À votre seul bonheur une amante s'applique,Seigneur, de votre amour je n'exige plus rien, Et je prétends ainsi vous marquer tout le mien.Suivez vos sentiments, je vais dire à mon pèreQu'au retour des Tarquins vous trouvant trop contraire,Je n'ai pu hasarder avec vous son secret,Et pour Tibérinus je prévois à regret... TITUS. Ha ! pour l'unique prix de l'amour le plus tendre,D'être à Tibérinus, tâchez à vous défendre ;Epargnez-moi, Madame, un si cruel ennui ;Je ne puis être à vous, ni vous souffrir à lui. AQUILIE. Vous pouvez de ce soin vous fier à ma haine ; Mais sous ce triste joug si mon devoir m'entraîne,J'espère que les Dieux que touchera mon sort,Bientôt à mes douleurs accorderont la mort. SCÈNE II. TITUS, seul. Hé bien ! puis-je douter encor de sa tendresse ?Elle qui de mon sort devrait être maîtresse, Avec quelle douceur m'a-t-elle pardonnéL'outrage que lui fait un refus obstiné !Quand Rome à ses appâts me paraît préférable,Elle n'éclate point contre un amant coupable.Enfin elle veut bien renoncer à ses droits, Et son coeur pour m'aimer semble prendre mes lois.Que vous m'êtes cruels Père, Rome, Patrie !Quels appâts !quel amour mon coeur vous sacrifie !Hélas ! Et par quels biens, par quels honneurs offertsPourrez-vous me payer le bonheur que je perds ? Et que sais-je après tout si la raison demandeQue de servir Tarquin, un Romain se défende ?Rome est abandonnée à son peuple inconstant.Que de périls pour elle en cet état flottant !Quels maux ! À moins qu'un roi ne reprenne sa place Le superbe Tarquin instruit par sa disgrâce,Reviendrait en ces lieux plus humain et plus doux.Mais si nous attendons l'éclat de son courroux,Quel orage va fondre ! et par quelle puissancePourrons-nous soutenir l'effort de la vengeance ? Ha ! tant de citoyens ses partisans secrets,De cet Etat sans doute, ont vu les intérêts ;Sans doute ils ont voulu prévenir la tempête.Et moi quel vain devoir, quel scrupule m'arrête ?J'aime ; et j'ai mon bonheur, si je veux, dans mes mains, Et je suis incertain du vrai bien des Romains.Dans le doute où je suis, décide, amour, décide,Mais qu'il est dangereux de te prendre pour guide !Non, non, défions-nous de ton pouvoir sur moi,Et ne hasardons pas un crime sur ta foi. SCÈNE III. Titus, Tibérinus. TITUS. Je vois par le chagrin, qui dans vos yeux se montre,Que vous êtes ici blessé de ma rencontre.Vous cherchiez Aquilie, à ce que je puis voir, TIBÉRINUS. Je ne me défends point d'un si juste devoir.Je puis à son hymen destiné pour mon père, Et lui rendre des soins, et tâcher de lui plaire.Mais vous à qui Brutus destine d'autres noeuds,De quel droit refuser de souscrire à ses voeux ? TITUS. Il faut en convenir, je n'ai rien à répondre.Je sais que vos vertus ont de quoi me confondre, Qu'à ces vertus Brutus ne peut être trompé,Que de ses seuls désirs vous êtes occupé. TIBÉRINUS. Je les suivrai du moins sur l'hymen d'Aquilie. TITUS. Est-ce dans peu de temps que ce doux noeud vous lie ?Croyez-vous que vos soins vous doivent réussir ? TIBÉRINUS. Vous en doutez ? ce jour peut vous en éclaircir,Seigneur, vous en aurez le premier la nouvelle ;Mais je cours promptement où mon amour m'appelle. SCÈNE IV. TITUS, seul. Dès ce jour ! Il le peut, rien ne l'arrête plus.Brutus veut cet hymen. J'offense Aquilius. Des discours menaçants d'un rival redoutable,Attendrai-je en repos l'effet irréparable ?Quoi je pourrai souffrir qu'il me vienne enlever,Ce qu'aux dépens de tout je devrais conserver !Et mon timide coeur qu'un vain scrupule étonne, Lui cédera les droits qu'un tendre amour me donne? SCÈNE V. Aquilius, Titus. AQUILIUS. Je viens de voir ma fille, elle m'a déguisé,Seigneur, qu'elle vous eût encor rien proposé ;Mais ses pleurs qui coulaient, son trouble, sa contrainte,Ses soupirs étouffés m'ont découvert sa feinte ; Elle vous a parlé. TITUS. Seigneur, je ne sais rien.Et ce discours obscur.... AQUILIUS. Vous m'entendez trop bien.Il n'est pas temps ici de faire un vain mystère,Aquilie est en vain obstinée à se taire,Tout m'a rendu certain qu'elle vous a parlé. Vous savez mon secret, je n'en suis point troublé.Puisque toujours poussé par un aveugle zèle,Vous suivez les fureurs d'une Ville rebelle,Tibérinus, Seigneur, avant la fin du jourRecevra de ma main l'objet de son amour. TITUS. Avant la fin du jour ! ha ! que viens-je d'entendre ? AQUILIUS. Il l'aime ; ce parti me reste seul à prendre ,Puisque je perds l'espoir de vous faire changer. TITUS. Vous me désespérez, craignez-en le danger.Un amant qui perd tout ne doit plus rien connaître. AQUILIUS. Ma vie est en vos mains, vous en êtes le maître,Je le sais ; mais Seigneur, si vous nous découvrezJe sais ce que doit faire un chef de conjurés.Un homme tel que moi n'attend pas les supplices ;Vous aimez Aquilie, elle est de mes complices. Ce fer en même temps terminant notre sort,Saura nous épargner une honteuse mort. TITUS. Quel projet plein d'horreur ! quel démon vous inspire ?Vous pourriez... AQUILIUS. Il suffit, Seigneur, je me retire.Je vais donner parole. TITUS. Ha ! dans cet embarras Je ne puis rien résoudre et ne vous quitte pas. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Valérie, Plautine. VALÉRIE. Viens prendre part, Plautine, à l'excès de ma joie.Il faut que mon transport à tes yeux se déploie.Ce n'est pas vainement, que chez AquiliusNous avons fait tantôt entrer Vindicius. Aquilius chez lui rassemblait des perfides,Qui prêtaient aux Tarquins leurs armes parricides.Plautine, ils conspiraient, et leurs soins criminelsRemettaient Rome en proie à des Maîtres cruels.Par bonheur mon esclave a découvert leur trame, Lorsqu'il ne s'appliquait à servir que ma flamme. PLAUTINE. Madame, qui l'eût cru que Rome dans son seinPût cacher les auteurs de cet affreux dessein ?Et qui sont ces Romains ardents à la détruire ? VALÉRIE. Je n'ai pas pris encor le soin de m'en instruire. J'ai tremblé pour Titus et mon coeur éclairciPour le reste, Plautine, est sans aucun souci.Parmi les conjurés on n'a point vu paraîtreLe Héros que mon coeur a reconnu pour maître,Ses vertus l'ont sauvé dans un pas si glissant, Et malgré son amour Titus est innocent.Contente j'ai conduit mon esclave à mon frère ;Et seul je l'ai laissé révéler ce mystère.Plautine, conçois-tu quelles sont les douceurs,De voir une rivale abandonnée aux pleurs ? Mon amour est vengé. Je ne crains plus rien d'elle.Son nom sera couvert d'une tache éternelle.Désormais tout sépare Aquilie et Titus,La fille d'un coupable, et le fils de Brutus.De son indigne choix il rougira lui-même. Pour en laver la honte, il faut enfin qu'il m'aime.Peut-être a-t-elle part à ce complot affreux ;Digne sang des Tarquins elle agissait pour eux ;La fille a secondé le père dans son crime ;Et l'un et l'autre doit nous servir de victime. PLAUTINE. Vous avez de haïr un sujet assez grand ;Mais, je vous l'avouerai, ce transport me surprend,Je vois que vos souhaits attentent à leur vie.Vous étiez autrefois moins cruelle ennemie,Et par les malheureux facile à désarmer, Jamais en haïssant vous n'étiez loin d'aimer.Mais, Madame, aujourd'hui... VALÉRIE. Quand l'amour fait la haine,Plautine, elle est affreuse, implacable, inhumaine.On m'enlevait un coeur qui faisait mes désirs.On va me le payer par mille déplaisirs. Mais est-il trop de maux pour une telle offense ?Jouissons pleinement d'une juste vengeance.Quoique souffre Aquilie et dût-elle en mourir,Hélas ! j'ai plus souffert qu'elle ne peut souffrir,Et la joie où je suis en perdant ma rivale, Aux maux qu'elle m'a faits n'est pas encore égale. SCÈNE II. Brutus, Valérie. BRUTUS. J'attends Valérius qui doit ici venir.D'un secret important il veut m'entretenir, VALÉRIE. Je pourrais commencer, Seigneur, à vous l'apprendrePour rétablir Tarquin on veut tout entreprendre. On conspire. BRUTUS. On conspire. Ô Rome, ô droits sacrés !Madame, savez-vous le nom des conjurés ? VALÉRIE. Aquilius conduit cette trame funeste. BRUTUS. Aquilius, ô Ciel ! VALÉRIE. J'ignore tout le reste. BRUTUS. Qui l'a pu découvrir ? VALÉRIE. Un esclave, Seigneur, Qui fait jusques sur moi rejaillir cet honneur.Il est de ma Maison. BRUTUS. Grands Dieux ! Qui les inspire ?Dans ce honteux parti quel charme les attire ?De lâches Citoyens entre-eux ont concertéDe livrer au Tyran, leurs murs, leur liberté ! Ha ! J'atteste des Dieux la Majesté suprême,Et s'il le faut encor, j'en jure Rome même,Je vais en leur personne achever de punirLe crime des Tarquins qu'ils veulent soutenir. SCÈNE III. Brutus, Valérius, Valérie. BRUTUS. Ha ! Seigneur, quel forfait j'apprends par Valérie ! Des traîtres préparaient des fers à leur Patrie ! VALÉRIUS. Je tremble du péril, Seigneur, qu'elle a couru !Le soin des Dieux pour nous n'a jamais tant paru.L'indigne Ambassadeur sous un nom respectable,Était venu conclure un traité détestable. Un esclave conduit par nos heureux destins,Découvre le complot qu'on fait pour les Tarquins.Il m'est venu soudain révéler l'entreprise.J'ai vu Rome trahie. Alors plein de surprise,Plein d'horreur, j'ai couru, j'ai volé dans ces lieux, Où tant de criminels se cachaient à nos yeux.Ils sont pris, mais leur Chef par une prompte fuiteDéjà loin de ces murs échappe à ma poursuite. BRUTUS. Il conspire, grands Dieux ! Qui l'aurait pu prévoir ?Le perfide chargé d'un attentat si noir, De quel front, juste Ciel ! Sur quelle confianceAurait-il de Brutus accepté alliance ?À quels chagrins mon fils se serait vu livré,Quand son beau-père enfin se serait déclaré !Quel déshonneur pour lui ! Quelle douleur extrême ! VALÉRIUS. Ne répondez ici, Seigneur, que de vous-même.Le zèle dont je vois votre coeur transportéPeut-être par ce fils n'est pas bien imité. BRUTUS. Ha ! que me dites-vous ? expliquez ce mystère.Seigneur. VALÉRIUS. Que ne peut-on à jamais vous le taire ! Seigneur de vos vertus rassemblez tout l'effort.Brutus même aujourd'hui ne peut être trop fort.Je frissonne pour vous de ce que je vais dire.Avec Aquilius Tibérinus conspire. BRUTUS. De mon exemple, ô Ciel ! Serait-ce là le fruit ! Il conspire ! non, non, vous êtes mal instruit,Seigneur. Je ne crois point qu'une tache si noireDu sang qui l'a formé puisse ternir la gloire. VALÉRIE. Il est aisé, Seigneur, de voir par quels cheminsOn a pu le conduire à servir les Tarquins. Du traître Aquilius il adorait la fille.Il a pris les fureurs de toute la famille. BRUTUS. À cet affreux revers serais-je destiné ? VALÉRIUS. Je ne puis épargner un Père infortuné.J'ai saisi ce papier, qui m'instruit de leur rage. Eux-mêmes à Tarquin assuraient leur hommage.Voyez ici leurs noms que leurs mains ont tracés. BRUTUS. Quoi le nom de mon fils ! Ô Ciel ! En est-ce assez ? VALÉRIUS. Je sais quelle est l'horreur du coup qui vous accable.J'aurais voulu sauver Tibérinus coupable. Mais vous êtes Consul. Vous savez mieux que moiQuelle est de ce haut rang l'indispensable joie.On va vous l'amener. SCÈNE IV. Brutus, Valérie. VALÉRIE. Si votre âme affligée,Seigneur, par mes discours peut être soulagée,Souffrez que je vous dise au moins qu'en vos malheurs Le Ciel vous garde un fils qui doit sécher vos pleurs.Aquilie eut sur lui la fatale puissance,Par qui Tibérinus a perdu l'innocence.Il l'aimait, cependant elle n'a pu penserQu'aux lois de son devoir il osait renoncer. BRUTUS. On n'a point attaqué sa vertu trop connue,Et son nom ne s'est point offert à votre vue. scène V. Brutus, Valérie, Tibérinus avec des gardes. TIBÉRINUS. Vous me voyez, Seigneur, désespéré, confus,Je dois me souvenir que vous êtes Brutus,Que l'austère vertu qui vous rend redoutable, Va jusqu'au fond du coeur confondre le coupable.Mais, Seigneur, me voyant amené devant vous,Et comme un criminel embrassant vos genoux,Je ne puis me défendre en un sort si contraire,De penser que Brutus peut être encor mon Père. BRUTUS. Pour me voir votre père, êtes-vous donc mon fils ?Mes exemples par vous ont-ils été suivis ?Quand j'ai chassé Tarquin vous prenez sa défense ;À quel titre osez-vous implorer ma clémence ?Vous devez me connaître, et vous examiner ; Brutus fut toujours juste et sais peu pardonner.Quoi donc ? vous voulez voir Tarquin dans nos muraillesCélébrer son retour par mille funérailles ?Rendez-moi compte, ingrat, de toutes vos fureurs.Quel charme trouviez-vous à causer nos malheurs ? Qui vous fait tant haïr la liberté publique ?Deviez-vous partager le pouvoir tyrannique?Quand vous nous rameniez ces Maîtres orgueilleux,Deviez-vous de nos jours disposer avec eux ? TIBÉRINUS. Non, Seigneur, votre vie était en assurance, Des Tarquins à ce prix j'embrassais la défense. VALÉRIE. Souffrez que je vous dise en faveur de ce fils,Que par son amour seul son crime fut commis ;Aquilie a tout fait. BRUTUS. La pitié vous abuse.L'amour a des forfaits ne peut servir d'excuse. TIBÉRINUS. Ce n'est qu'à votre amour que j'en veux appeler ,La Nature pour moi ne peut-elle parler ? BRUTUS. Je n'écouterai pas sa voix trop indulgente,Et Rome dans mon coeur sera la plus puissante. TIBÉRINUS. Est-il quelque devoir qui puisse rendre vains Les droits de la Nature, et si forts et si saints ?Seriez-vous sans vertus à moins d'un parricide ?Entre les lois et moi que votre sang décide. BRUTUS. Prétends-tu me toucher quand je te vois frémir ?Encor si de ta faute on t'entendait gémir ! Lâche, tu crains la mort et n'as pas craint le crime !Tu ne pousseras point un soupir légitime.Le moindre repentir ne t'est point échappé,Et du seul châtiment ton coeur est occupé.C'est en vain que pour toi parlerait la Nature, Tu saurais dans mon âme étouffer son murmure.Je ne te connais plus, ôte-toi de ces lieux,Par ta vile frayeur n'offense plus mes yeux.Autant que ton forfait ta lâcheté me blesse.Attends mon ordre. TIBÉRINUS. Dieux ! BRUTUS. Sors cache ta faiblesse. SCÈNE VI. Brutus, Titus, Valérie. BRUTUS. Mais j'aperçois Titus. Mon fils approchez-vous.Contre un perfide frère animez mon courroux.Notre gloire à tous deux par son crime est ternie.Faut-il qu'un même sang vous ait donné la vie,Qu'un fils, qui se prépare un glorieux destin, N'ait pour frère qu'un traître, un ami de Tarquin ?Que pour vous mon amour fut toujours légitime !Mais pourquoi ce silence ? Ignorez-vous son crime ? TITUS. Non Seigneur, mais hélas ! Ciel ! Je ne puis parler. BRUTUS. Que j'aime ce, chagrin ! qu'il doit me consoler ! Ta mortelle douleur fait revivre ton père.C'est à toi d'effacer la honte de ton frère,De réparer l'affront que je vais recevoir.Embrasse-moi, mon fils ;toi mon unique espoir.Toi seul auras ce nom et la force en redouble. Mais encore une fois, parle. Quel est ce trouble ?Réponds, mon fils, réponds à mes empressements. TITUS. Trop indigne, Seigneur, de vos embrassements,Même indigne du jour dont la clarté m'offense,Depuis que j'ai perdu la gloire et l'innocence, Je dois... BRUTUS. Ha Ciel ! Je tremble. Expliquez ce secret. TITUS. Je viens pour vous l'apprendre et l'aurais déjà fait,Si par votre amitié, que j'ai peu méritée,Et qu'encor un moment j'ai cependant goûtée,Vous n'aviez suspendu l'aveu d'un crime affreux. J'ai craint de vous porter un coup trop douloureux.J'ai plus senti ma honte éprouvant vos caresses.Mon coeur à vos vertus comparait ses faiblesses.Je n'ai pu me résoudre à vous dire, Seigneur,Votre fils est un traître. II va vous faire horreur. Du plus noir des forfaits il se trouve coupable.Tarquin... BRUTUS. N'achève pas. Dans l'horreur qui m'accable,Laisse encore douter à mon esprit confus,S'il me demeure un fils, ou si je n'en ai plus. TITUS. Non, vous n'en avez point, il n'est pas temps de feindre. Seigneur, apprenez tout pour n'avoir plus à craindre. VALÉRIE. Qu'apprends-je, justes Dieux ? quel revers imprévu ? BRUTUS. Implacable destin à quoi me réduis-tu ?De toute ma Maison quelles fureurs s'emparent ?Mes deux fils révoltés contre moi se déclarent. Je suis dans ma famille environné d'ingrats,Qui contre leur Patrie osent prêter leurs bras,Qui rappelant le joug de nos indignes MaîtresEt le sang de Brutus ne forme que des traîtres.Et toi pour qui ton père était préoccupé, Toi de qui les dehors m'ont si longtemps trompé,Toi dont je sens le plus la perfidie extrême,Je te dois plus haïr que Tibérinus même,Tu dois être puni d'une plus grande erreur,Où tes fausses vertus avaient jeté mon coeur. TITUS. N'attendez pas de moi que j'ose vous répondre,Dans l'état où je suis j'aime à me voir confondre.Vos reproches, Seigneur, n'égaleront jamaisEt ceux que je mérite, et ceux que je me fais.La porte Quirinale à mes soins confiée, L'heureuse liberté sur vous seul appuyée,Seigneur, je livrais tout par un honteux traité ;Mais un vif repentir l'a bientôt détesté.J'ai pu sauver mes jours d'une juste poursuite.Les témoins de mon crime ont tous deux pris la fuite. Ce crime est ignoré. Le seul AquiliusPeut m'en convaincre et fuit avec Octavius.Avec eux ma retraite aurait été facile ;Mais au Camp de Tarquin ils m'offraient un asile ;Et moi saisi d'horreur je reviens à vos yeux Soulever contre moi les hommes et les Dieux.Mon erreur se dissipe et me paraît affreuse.Je viens vous demander la mort la plus honteuse.Je sais que de mourir j'avais la liberté,Mais je suis équitable, et j'ai plus mérité Pour donner à ma mort encor plus de justice,Il y faut ajouter la honte du supplice.Il faut servir d'exemple à qui peut m'imiter.Je dois ma tête à Rome et je viens l'apporter. BRUTUS. À tous mes sentiments je ne puis plus suffire. Je te vois criminel ; cependant je t'admire.Ton crime fit ma haine, et je la sens mourir,Tu redeviens mon fils lorsque tu veux périr. TITUS. Hâtez-vous donc, Seigneur, de remplir mon attente,Prononcez un arrêt dont Rome soit contente. Délivrez la de moi. Terminez le destinD'un Romain qui prêtait, son secours à Tarquin.Je remets à vos pieds cette fatale Epée,Par qui vous auriez vu votre attente trompée. BRUTUS. Je la prends, car en vain mon coeur est adouci. Titus est criminel et n'est plus libre ici. VALÉRIE. Seigneur, dans un revers si rude et si funeste,Abandonnerez-vous le seul bien qui vous reste ?Le Sénat vous doit tout ; de cet auguste CorpsBrutus peut à son gré remuer les ressorts. Il peut sauver son fils en demandant sa grâce.Seigneur, son crime est grand, mais sa vertu l'efface.L'aveu qu'il fait ici lorsqu'il a succombé,Le rend plus glorieux que s'il n'eut pas tombé. TITUS. Quelle indigne pitié peut vous avoir saisie ? La bonté de Brutus ne peut rien pour ma vie.Je sais ce qui m'est dû, Madame, et c'est en vainQu'on ose demander la grâce d'un Romain. BRUTUS. Titus, je te retrouve, et crois que sans faiblesseJe puis laisser pour toi renaître ma tendresse. Mon fils, car ton remords étouffant mon courroux,À la pitié d'un père arrache un nom si doux ;Tu fléchis de Brutus le courage inflexible,Tu frappes de mon coeur l'endroit le plus sensible,Lors que tu te repens, je ne puis te blâmer, Je ne puis que te plaindre, et peut-être t'aimer.Mais avec ces vertus, avec ce grand courage,Comment de ton devoir as-tu perdu l'image ?Infortuné Titus, quel funeste momentA produit dans ton coeur un si grand changement? TITUS. Ma raison un instant, Seigneur, s'est égarée,Peut-être un peu plus tard je l'aurais recouvrée.Oui, Titus engagé sans être résolu,N'aurait point achevé ce qu'il avait conclu.Mais je suis criminel, je reviens, je m'accuse. Et qui cherche à mourir, ne cherche pas d'excuse.Je ne vous dirai point par quels moyens secretsOn m'a fait de Tarquin prendre les intérêts.Il suffit que la trame ait été découverte,Et qu'à Vindicius je pardonne ma perte. Je fais plus, je demande une grâce en mourant.Vous voyez quel service un esclave vous rend ;C'est par ses soins heureux que Rome est dégagéeDes funestes périls où vos fils l'ont plongée.Faites qu'on l'affranchisse, et que Rome à vos yeux Se fasse un Citoyen qui la servira mieux. VALÉRIE. Seigneur, soyez touché d'une vertu si pure,Elle doit vous aider à suivre la nature.Vos deux fils vont périr, employez-vous pour eux,Titus mérite seul qu'on parle pour tous deux. Ne croyez pas blesser votre vertu sévère,On peut être Consul sans cesser d'être père.On peut être Romain et protéger Titus. BRUTUS. Oui, je me sens séduit mon fils par tes vertus.Ma rigueur contre toi n'a rien qui la soutienne. Ta noble fermeté sait ébranler la mienne.Je pars, et je vais voir de quels yeux le Sénat,Apprenant ton remords, verra ton attentat.Je ne puis cependant me promettre ta grâce. TITUS. Ha ! je vois mon forfait, que ce mot me retrace. Lorsque la mort m'est due, eussiez-vous quelque espoirJe vous l'ai dit, Seigneur, je ferai mon devoir. BRUTUS, à ses gardes. Vous, demeurez. SCÈNE VII. Titus, Valérie. TITUS. Laissez un criminel, Madame,Qui va perdre le jour par une mort infâme. VALÉRIE. Et j'en suis cause ! TITUS. Vous ? VALÉRIE. Je ne puis plus cacher Un secret que mes maux ont droit de m'arracher.Apprenez qui vous perd, Seigneur, c'est Valérie.Sa folle passion, sa lâche jalousie,Sachez que je vous aime, aussi bien la pudeurN'est plus intéressée à cacher mon malheur. Mon amour désormais n'a plus rien qui le flatte,Et c'est pour vous venger que je veux qu'il éclate.Vous m'étiez destiné, mais une autre eut pour vousLe charme trop fatal dont mon coeur fut jaloux,De tout votre secret je me voulus instruire. Je croyais que vos soins ne tendaient qu'à me nuire.Je vous fais épier, Vindicius me sert,Va chez Aquilius, et tout est découvert.Jugez du désespoir où mon âme est plongée,Je ne sens plus l'aigreur d'une amante outragée, Des chagrins plus cruels viennent me déchirer.Par moi ce que j'adore est tout prêt d'expirer.Je prépare le fer qui doit trancher sa vie,J'excite ses bourreaux, détestable furie,J'allume le bûcher qui le doit consumer ; Malheureuse, voilà comme je sais aimer.Déteste-moi, déteste une âme furieuse.Venge-toi du forfait d'une amante odieuse.Et me donnant la mort que j'ai su mériter,Préviens le coup fatal que je t'allais porter. TITUS. Ne vous repentez point, par vous Rome est sauvée. VALÉRIE. Et je t'aurai perdu pour l'avoir conservée ?Mais non, tant de vertus vont gagner le Sénat,Ta mort et non ta grâce est contraire à l'Etat.Je vais à te servir encourager mon frère. Puisse, puisse ma flamme une fois salutaire,Servir ce que j'adore au gré de mes souhaits ,Ou je me punirai des maux qu'elle t'a faits. Elle sort. TITUS, seul. Madame, elle me fuit. Mais que pense Aquilie ?Du moins je n'aurai point à craindre pour sa vie, Avec Aquilius elle a fui de ces lieux,Ne me trompai-je pas ? Je la vois, justes Dieux ! SCÈNE VIII. Titus, Aquilie. TITUS. En quels lieux venez-vous ? Fuyez, fuyez, Madame.Venez-vous augmenter le trouble de mon âme ?Hélas ! ai-je besoin dans l'état où je suis, De voir par vos périls redoubler mes ennuis ? AQUILIE. Que je fuis ! Et Titus croit m'en donner l'envie ?Et c'est quand je conçois qu'il veut perdre la vie ?J'ai vu votre douleur dans vos yeux éclater,J'ai vu dans quels périls vous pouviez vous jeter, Je me suis éloignée un moment de mon pèreSon trouble l'a permis, je viens me satisfaire.Titus, connaissez-moi, je vais chercher Brutus,L'instruire des combats que vous avez rendus,Étaler d'un amant la longue résistance, Assurer que mes pleurs vous ont fait violence,Qu'il fallut mon amour, mes plaintes, mon courroux,Pour forcer le devoir d'un Héros tel que vous. TITUS. D'un soin si généreux cessez de rien prétendre.Qu'allez-vous faire ? Ô Ciel ! AQUILIE. Mourir pour vous défendre. Je vais livrer un sang aux Romains odieux,Qui peut les apaiser et satisfaire aux Dieux. TITUS. Ciel !peut-on n'épargner ni le sexe ni l'âge ! AQUILIE. Non, non, être Romaine est mon seul avantage.À ce nom glorieux si j'ai mal satisfait, Il me rend digne au moins d'expier mon forfait.Adieu. TITUS. Ciel ! Demeurez, Madame, il faut la suivre,Arrêter son dessein, et la forcer de vivre. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Valérie, Plautine. VALÉRIE. Quel trouble ! quelle horreur ! Quels affreux tourments !Pour un coeur plein d'amour, redoutables moments ! Hélas, Plautine, hélas ! Que faut-il que j'espère ?Le Sénat assemblé maintenant délibère,C'est lui qui de Titus règle aujourd'hui le sort ;Et c'est lui dont j'attends ou la vie, ou la mort.Dans cette incertitude, hélas ! Je vis à peine ; Mais quelle illusion peut me rendre incertaine?Puis-je donc du Sénat ignorer la rigueur ?Et dois-je un seul moment douter de mon malheur ? PLAUTINE. Pourquoi sentir les maux avant leur certitude ?L'arrêt que vous craignez pourrait être moins rude. VALÉRIE. Je n'ai plus qu'un moment, hélas ! Pour en douter,Marcellus du Sénat va me le rapporter.Mais de Titus les Dieux ont résolu la perte,Puisqu'ils souffraient la faute, et qu'ils l'ont découverte.Le traître Aquilius en fuyant arrêté, A fait voir de Titus le funeste traité.Titus par ce témoin devient plus punissable.Quand lui seul s'accusait, il était moins coupable.Rien ne peut maintenant lui prêter du secours.J'ai causé le péril qui menace ses jours. Et le Ciel irrité me doit pour mon suppliceLa mortelle douleur de voir qu'il y périsse. SCÈNE II. Valérie, Plautine, Marcellus. MARCELLUS. Madame, le Sénat vient de se séparer. VALÉRIE. Hé bien, dis-moi ; je tremble. MARCELLUS. Il faut tout espérer.Aux deux fils de Brutus le Sénat favorable, Les a seuls exceptés d'une troupe coupable.Il met leur père seul en droit de les juger.Ainsi par ce détour il veut les protéger.Leur père à leur trépas ne pourra se résoudre ;Et s'en remettre à lui, n'est-ce pas les absoudre ? VALÉRIE. Que de vives frayeurs ton récit fait cesser !Marcellus, quel bonheur, tu me viens annoncer !Mais Brutus vient. SCÈNE III. Brutus, Valérie, Plautine. VALÉRIE. Seigneur, on passe votre attente.La rigueur du Sénat devant Brutus tremblante,N'ose lui donner lieu de répandre des pleurs ; Et les sévères lois respectent ses douleurs. BRUTUS. Oui, du sort de mes fils le Sénat me rend maître,Si cet honneur est grand, je dois le reconnaître. VALÉRIE. Je vous laisse y penser. Vous êtes en étatDe payer dignement les bontés du Sénat. Cependant s'il fait voir une juste indulgence,Titus, qu'il se conserve, en est la récompense. SCÈNE IV. BRUTUS, seul. Ô Père infortuné, sens-tu ce coup affreux ?Entends-tu du Sénat le détour dangereux !Il connaît pour tes fils combien tu t'intéresses. Il veut te reprocher tes indignes faiblesses,Leur grâce qu'il t'a vu prêt à lui demander,Toi-même de leur sort il te fait décider.Il veut que tu sois Juge, et par ce caractèreIl prétend te guérir des faiblesses de père. Reprends donc d'un Consul toute la dignité ;De la mort de tes fils vois la nécessité.À ce funeste arrêt si tu ne peux survivre,Ton austère devoir n'en est pas moins à suivre.Donne d'un noble effort l'exemple glorieux, Satisfait le Sénat, Rome, et meurs à leurs yeux.Ha ! si de la justice on ne me voit capable,Que quand hors d'intérêt je puis être équitable,Si je ne puis des lois me voyant le soutien,Verser le mauvais sang, quand ce sang est le mien. Si je détruis ces lois, que j'ai faites moi-même,Au superbe Tarquin rendons le Diadème.Et de quel front m'asseoir pour juger les Romains,Lorsque deux criminels sont sauvés par mes mains ?De quel front dérober à de justes supplices, Les seuls fils du Consul, d'entre tous les complices ?Ils sont tous condamnés, je le sais, je l'ai vu.Faut-il un tel secours à ma faible vertu ?Ha ! Titus, ton remords satisfaisait ton père,Rome ni le Sénat n'ont pu s'en satisfaire. Ils ont trop fait sentir à l'amour paternel,Qu'un criminel d'Etat, est toujours criminel.Et ne puis-je prévoir la fuite dangereuseQu'aurait pour les forfaits ma clémence honteuse !Si je sauve mes fils, cent traîtres chaque jour Vont naître autorisés par mon timide amour.Prononçons ; il le faut, en vain je délibère,Où la Loi doit parler, c'est au sang à se taire.Quels troubles sent mon coeur ! Frappons le coup fatal,Évitons mille maux, en hâtant un grand mal. Holà Gardes, à moi. Surmontons ma tendresse ;Je me fais des efforts avec trop de faiblesse. UN GARDE. Seigneur... BRUTUS. Que vais-je dire ? Ha ! mon trouble renaît.Ma bouche se refuse à ce funeste arrêt.Prononçons cependant. Hélas ! plus je retarde, Et plus dans ce combat ma gloire se hasarde.Allez dire à mes fils. Ciel ! quelle est ma fureur !Non, non, dispensons-nous d'un devoir plein d'horreur,Il ne m'est point honteux de manquer de courage,Quand il faut pour punir aller jusqu'à la rage. Tu te flattes, Brutus, parle ; il faut prononcer :De punir un forfait, qui peut te dispenser ?C'en est fait, vainement mon coeur s'en épouvante. SCÈNE V. Brutus, Valérius. BRUTUS. Ha ! Seigneur soutenez ma vertu chancelante.Je sacrifie aux Lois mon plus cher intérêt ; Je condamne mes fils ; j'en prononce l'arrêt.Instruisez le Sénat de ce qu'un père ordonne,Instruisez-en un fils que le trépas étonne ;Tibérinus n'a point assez de fermetéPour entendre un arrêt par son père dicté ; De grâce, s'il se peut, adoucissez sa peine.Titus est plus Romain ; faites qu'on me l'amène,Qu'il reçoive mon ordre et mes derniers adieux. VALÉRIUS. J'ai prévu de Brutus cet effort glorieux ;L'attente du Sénat par vous n'est point trompée, Du sort de vos deux fils Rome entière occupéeÀ ne vous rien cacher, murmurait hautementQu'on se remit sur vous d'un pareil jugement ;Je venais vous le dire, et sur de votre zèle,De la haute vertu qui vous est naturelle... BRUTUS. Seigneur, n'achevez pas. Dans l'état où je suis,Ces éloges cruels augmentent mes ennuis :Un soin trop violent m'agite et me dévore ,Seigneur, et je me pourrais me repentir encore ;Pour remplir votre attente, et mon devoir affreux, Il faut un coeur barbare, autant que généreux.Allez. J'ai prononcé. Dans un moment peut-être,De l'amour paternel je ne serai plus maître. VALÉRIUS. Mais, Seigneur, votre fils pourra vous ébranler. BRUTUS. Non, non, il entendra son arrêt sans trembler. Voudrait-on m'empêcher de voir un fils que j'aime,Lorsqu'il est à la mort condamné par moi-même ?Faites tout préparer. SCÈNE VI. BRUTUS. Va, Ministre cruel,Par mon ordre à mes fils porter le coup mortel.Hé bien ! es-tu content, Sénat impitoyable ? Va repaître tes yeux d'un spectacle effroyable.Va te soûler du sang que je verse pour toi.Vante l'arrêt cruel que Rome obtient de moi.Nomme pour honorer l'excès de ma furie,Le bourreau de son sang, père de la Patrie. Accable-moi d'honneurs, et moi qui désormaisNe pourrai soutenir l'horreur que je me fais,Je vais loin de ces murs pleins de mon infortune.Je vais quitter le soin de la cause commune.Exerce qui voudra tes rigoureuses lois, Il m'en a trop coûté pour maintenir leurs droits.Rome, tu vois Brutus qui tremble, qui s'étonne.Pardonne la faiblesse, où mon coeur s'abandonne :Quand malgré ma douleur et mes gémissements,J'affermis par mon sang tes heureux fondements. Mais j'aperçois Titus. Ciel ! Pourrai-je lui dire,Qu'il faut que dans ce jour par mon ordre il expire ? SCÈNE VII. Brutus, Titus. BRUTUS. Vous sentez-vous, mon fils, toujours le même coeur ? TITUS. J'ai demandé la mort, et l'attends sans frayeur. BRUTUS. Reçois donc mes adieux pour prix de ta constance. Porte sur l'échafaud cette mâle assurance.Ton père infortuné tremble à te condamner.Va, ne l'imite pas, et meurs sans t'étonner. TITUS. Mon trépas vous fera plus d'honneur que ma vie.Vous le devez aux Dieux, à vous, à la Patrie. BRUTUS. Je t'ai dû condamner ; je ne m'en repens pas.Mais je sens que ma mort va suivre ton trépas. TITUS. Seigneur, par mon forfait ma mort est légitime.Mais la vôtre pour moi serait un nouveau crime.Vos nobles sentiments sont trop tôt abattus. Je ne mérite point d'affaiblir vos vertus. BRUTUS. Cache-moi ta constance, elle augmente ma peine,Hais moi, j'aurais besoin du secours de ta haine.Je vois tout ce qu'en toi je pouvais désirer ;Mais tes vertus ne font que me désespérer. Mérite maintenant ta mort et ma colère,Ne montre plus un fils à qui n'est plus ton père ;À Rome en te perdant quand je marque ma foi,Peut-être je deviens plus criminel que toi. TITUS. Ne vous reprochez point un arrêt équitable, Seigneur, mon crime a dû vous rendre impitoyable.Nous sommes dans ce jour trop justement punis,Adoptez la Patrie au lieu de vos deux fils.Si je puis en mourant vous faire une prière,Qu'Aquilie innocente, et votre prisonnière, Qui se chargé d'un crime afin de me sauver,N'éprouve point le sort que je vais éprouver.Dépendante d'un père injuste, impitoyable,Elle a pleuré, gémi de son dessein coupable,Et lui seul m'a surpris dans un moment d'effroi, Où j'ai craint qu'un rival ne l'emportât sur moi.Je serai trop heureux, Seigneur, si quand j'expire,Pour laver mon forfait mon sang seul peut suffire.Consolez-vous, mon père, et songez que Titus,S'il n'eût point eu d'amour eût eu quelques vertus. Je n'ose demander un souvenir plus tendrePour un fils criminel ce serait trop prétendre. BRUTUS. Tu peux espérer tout hors de me consoler.Adieu mon fils, adieu, je ne puis te parler. SCÈNE VIII. Titus, Marcellus. TITUS. Je touche Marcellus à mon heure dernière, Titus dans un instant va perdre la lumière.Quel nom va-t-il laisser, hélas ! quel souvenirConserveront de lui les siècles à venir ! MARCELLUS. Votre remords mérite une éternelle estime. TITUS. Ha ! Le juste avenir ne verra que mon crime. Va porter mes adieux à l'objet que j'aimais,Elle sait si mon coeur était bien enflammé.Si le nom de Titus dans Rome est exécrable,Qu'au moins pour Aquilie il soit encor aimable.Allons, c'est trop tarder ; mon supplice est-il prêt ? Faisons exécuter nous-même notre arrêt.Rome, pardonne-moi mon funeste caprice.Mon juste repentir, ma mort t'en font justice.Si l'amour m'a séduit en un fatal moment,Le Romain a bientôt désavoué l'Amant. J'entends du bruit, sortons. SCÈNE IX. Valérie, Valérius. VALÉRIE. Oui, je prétends le suivre,Coupable de sa mort je ne puis lui survivre.Je vais du même fer qui tranchera ses jours,Des miens et de mes maux finir le triste cours.On m'arrête, grands Dieux ! On l'arrête derrière le théâtre. VALÉRIUS. Non, il n'est pas possible, Ma soeur, que vous voyez ce spectacle terrible.Dans ces funestes lieux vous n'aurez point d'accès.Mon coeur de vos douleurs ne blâme pas l'excès,Du plus grand des Romains j'ai vu l'âme héroïqueS'abattre sous le poids d'un devoir tyrannique, De son funeste arrêt Brutus épouvanté,A laissé du Héros la noble dureté,Il perd le souvenir de sa gloire passée,De l'effort qu'il a fait sa vertu s'est lassée,L'homme reprend ses droits pour sentir son malheur, Brutus par son silence exprime sa douleur.De ce père tremblant... VALÉRIE. Ha ! que la triste vieDes plus cruels remords soit toujours poursuivie ;Puisse-t-il par son sang que lui-même a versé,D'un parricide affreux voir le Ciel courroucé ; Puisse-t-il par ce crime inouï sur la terre,Des Dieux sur ces remparts attirer le tonnerre.Que l'ombre de Titus excite des fureurs ;De l'horreur de sa mort qu'il naisse mille horreurs,Et que de son bûcher Rome longtemps fumante, Soulage, s'il se peut, la douleur d'une Amante.Ô Ciel ! Il est donc vrai que Titus va mourir.Hélas ! à son secours que ne puis-je courir ?Barbares, arrêtez, quel crime allez-vous faire ?Grands Dieux permettrez-vous que le Soleil l'éclaire ? Ha ! Titus va périr de ce coup inhumain,Je vois le bras levé qui lui perce le sein ;Que ne peut Valérie en punissant ce crimePrendre tout l'Univers aujourd'hui pour victime,Et voir privés d'encens, et sans autels ces Dieux Qui souffrent qu'on répande un sang si précieux ? SCÈNE DERNIÈRE. Valérius, Valérie, Plautine. PLAUTINE. Les deux fils de Brutus... VALÉRIE. N'achève pas le reste. VALÉRIUS. Ils sont morts. PLAUTINE. Aquilie en ce moment funeste,Soit d'un poison secret, ou soit de sa douleur,Expirante comme eux... VALÉRIUS. Prenez soin de ma soeur. Ô tyrannique amour ! Ô funeste journée !À quel prix, liberté, nous êtes-vous donnée ? ==================================================