******************************************************** DC.Title = LA PERLE, COMÉDIE. DC.Author = BANVILLE, Théodore DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 16/10/2024 à 08:16:34. DC.Coverage = Égypte DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BANVILLE_PERLE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k207946r DC.Source.cote = BnF LLA DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA PERLE THÉÂTRE ITALIEN, 17 MAI 1877 1879. Tous droits réservés PAR M. THÉODORE DE BANVILLE et SIRAUDIN Paris.- Typ. G. Charmerot, 19 rue des Saint-Pères.- 7710. LA PERLE. Pour costumer Cléopâtre, on pourra consulter dans Antoine et Cléopâtre les belles illustrations anglaises qui accompagnent la traduction de Shakespeare par Émile Montégut (Hachette.) S'il y faut un commentaire, on le trouvera dans Une Nuit de Cléopâtre (Théophile Gautier, Nouvelles, édition Charpentier,) où le grand poète décrit si merveilleusement, avec un vêtement divin, celle dont son maître a dit (Légende des Siècles, Zim-Zizimin) : Cléopâtre égalait les Junons éternelles Une chaîne sortait de ses vagues prunelles : Ô tremblant coeur humain, si jamais tu vibras, C'est dans l'étreinte altière et douce de ses bras : Son nom seul enivrait ; Strophus n'osait l'écrire ; La terre s'éclairait de son divin sourire. À force de lumière et d'amour, effrayant ; Son corps semblait mêlé d'azur ; en la voyant. Vénus, le soir, rentrait jalouse sous la nue ; Cléopâtre embaumait l'Egypte, toute nue, Elle brûlait les yeux ainsi que le soleil Les roses enviaient l'ongle de son orteil. « La reine Cléopâtre avait pour coiffure une espèce de casque d'or très léger, formé par le corps et les ailes de l'épervier sacré ; les ailes, rabattues en éventail de chaque côté de la tête, couvraient les tempes, s'allongeaient presque sur le cou, et dégageaient, par une « petite échancrure, une oreille plus rose et plus délicatement enroulée que la coquille d'où sortit Vénus que les Égyptiens nomment Hàthor ; la queue de l'oiseau occupait la place où sont posés les chignons de nos « femmes ; son corps, couvert de plumes imbriquées et peintes de différents émaux, enveloppait le sommet du crâne, et son cou, gracieusement replié vers le front, composait avec la tête une manière de corne étincelante de pierreries un cimier symbolique, en forme de tour, complétait cette coiffure élégante, quoique bizarre. Des cheveux noirs comme ceux d'une nuit sans étoiles s'échappaient de ce casque et filaient en longues tresses sur de blondes épaules, dont une collerette ou hausse-col, orné de plusieurs rangs de serpentine, d'azerodrach et de chrysobéril, ne laissait, hélas ! apercevoir que le commencement une robe de lin, à côtes diagonales, un brouillard d'étoffé, de l'air tramé, ventus textilis, comme dit Pétrone, - ondulait en blanche vapeur autour d'un beau corps dont elle estompait mollement les contours. Cette robe avait des demi-manches justes sur l'épaule, mais évasées vers le coude comme nos manches à sabot, et permettait de voir un bras admirable et une main parfaite, le bras serré par six cercles d'or et la main ornée « d'une bague représentant un scarabée. Une ceinture, dont les bouts noués retombaient par devant, marquait la taille de cette tunique flottante et libre ; un mantelet garni de franges achevait la parure, et, si quelques mots barbares n'effarouchent point des oreilles parisiennes, nous ajouterons que cette robe se nommait schenti, et le mantelet calasiris. Pour dernier détail, disons que la reine Cléopâtre portait de légères sandales fort minces, recourbées en pointe et rattachées sur le cou-de-pied comme les souliers à la poulaine des châtelaines du moyen âge. LES ACTEURS CLÉOPATRE, Mademoiselle Rousseil. ANTOINE, Monsieur Dupont-Vernon. CHARMION, Mademoiselle Martin. La scène est à Alexandrie, dans le palais des Ptolémées, en l'an 40 avant Jésus-Christ. Extrait de Théodore de Banville, "COMÉDIES", Paris : F. Charpentier éditeur, 1879. pp 442-465. LA PERLE Le théâtre représente une chambre carrée, recevant le jour par le reflet de la cour ensoleillée. Au fond, une porte ornée de deux colonnettes, sur laquelle tombe une tapisserie à personnages. A droite et à gauche, des baies fermées par des nattes peintes de couleurs variées. Les parois de la chambre, de couleur lilas tendre, sont divisées en panneaux par des colonnettes très-riches, peintes sur le mur. Dans tes panneaux, des ornements, des gerbes de fleurs, des figures d'oiseaux, des damiers de couleurs contrastées, des scènes de la vie intime, coupées de bandes verticales peintes en blanc et couvertes d'hiéroglyphes de toutes couleurs. Dans un coin, a droite, un petit dieu de bronze sur un piédestal de granit rouge, devant lequel est placé un grand vase d'argile peinte, porté sur un trépied de bois, et rempli de fleurs de lotus.- Fauteuil en bois doré, rechampi de rouge, aux pieds bleus, aux bras figurés par des lions, recouvert d'un épais coussin a fond pourpre et quadrillé de noir, dout le bout déborde en volute pardessus le dossier. Tabouret de cèdre, à pieds d'animaux peints en bleu. Au fond, à gauche, sur une table de bronze à trois pieds, un lécythos de verre phénicien, et une large coupe d'or. SCENE I. CLéOPATRE,CHARMION. CLÉOPATRE, irritée et inquiète. [Note : Sicyone : ville de Grèce, proche de Corinthe.]Oui, ma reine, un courrier venu de SicyoneCause là-bas avec le avec la noble empereur. CLÉOPATRE, irrité et inquiète. DonneMoi le coup de la mort. - Oui, je suis en danger ;C'est le malheur qui vient avec ce messager.Mais Antoine, dis-moi, quel est son attitude ? CHARMION. Il semblait frémissant et plein d'inquiétude. CLÉOPATRE. Hélas ! - Rappelle-toi bien tout, ma Charmion. CHAMION. Un éclair flamboyait dans ses yeux de lion, - CLÉOPATRE. Il est proche, l'instant fatal que je redoute ! CHAMION. Et le sang furieux gonflait sa lèvre. CLÉOPATRE. Écoute, Va le trouver. S'il est en proie à son ennui,Si tu vois sur son front la tristesse, dis-luiQue je danse; mais s'il est gai, dis-lui bien viteQue je meurs. CHAMION. Vous cherchez les maux que nul n'évite.Pourquoi le tourmenter ainsi ? CLÉOPATRE. Va, je sais bien Ce qu'est leur faible amour, et tu n'y comprends rien. CHAMION. Antoine vient. CLÉOPATRE. Je vais donc voir s'il me résiste,Luit ! SCÈNE II. CLÉOPATRE, CHARMION, ANTOINE. ANTOINE. Ma reine. CLÉOPATRE. Seigneur, je suis malade et triste. ANTOINE. J'ai pris avec douleur la résolutionDe partir. Le devoir commande. CLÉOPATRE. Charmion, Aide-moi, je te prie, a sortir. Je succombe. ANTOINE. Quoi ma reine, des pleurs dans ces yeux de colombe !Ah ! Laisse-moi calmer ta peine et ton effroi.Donne-moi cette main. CLÉOPATRE, languissante. Non, reste loin de moi. ANTOINE. Qu'as-tu donc ? Charmion sort. SCÈNE III. Cléopâtre, Antoine. CLÉOPATRE, fiévreusement. Cléopâtre est-elle injuriée Dans leurs lettres? Que dit la femme mariée ?Tu peux partir. Va-t'en comme un coeur soumis.Je voudrais que jamais elle ne t'eût permisDe venir. Après tout, qu'emportes-tu ? Ma vie !Ce n'est rien. Va trouver ta Romaine. ANTOINE, gravement. Fulvie Est morte. CLÉOPATRE. Que dis-tu ? Non. Est-ce qu'elle peutMourir Si ton visage à cette heure s'émeut,C'est pour quelque chagrin léger qu'un souffle emporte!1Pour Cléopâtre, pour un rien. ANTOINE. Fulvie est morte. CLÉOPATRE. Et tes yeux sont plus secs que le sable vermeil De nos déserts, brûlé par le fauve soleilAinsi ma mort sera pour toi ce qu'est la sienne.Tu diras « Ce n'est rien. La noire ÉgyptienneEst morte. » Voilà tout. - Nous aurons eu nos partsDe ton amour ! ANTOINE. Ma reine... CLÉOPATRE. Adieu, puisque tu pars. ANTOINE. Écoute-moi. Laissons tout reproche vulgaire.Si je veux éveiller les clairons de la Guerre,C'est pour toi. Qu'elle hurle à présent sur son char !Vois, Fulvie et mon frère ont combattu César :Penses-tu qu'il remette au fourreau son épée ? Puis à chaque moment grandit Sextus Pompée :Déjà le voilà près de Rome. On voit, hélas!Ces pirates cruels, Ménécrate et Ménas,Ensanglanter la mer qui sous leurs vaisseaux ploie.Si l'on doit partager le monde, cette proie, J'y veux tailler, du sud jusqu'au septentrion,Des royaumes pour nous et pour Césarion,Et pour nos fils en qui revit ton front céleste.Ptolémée et le doux Alexandre. CLÉOPATRE. Non, reste.Rome te reprendrait pour toujours, ô mon roi ! ANTOINE. Crois-tu qu'elle pourrait me garder loin de toi ?Si je te quitte un jour, toi que j'aime et qui m'aimes,C'est pour te rapporter bientôt vingt diadèmes. CLÉOPATRE. Eh bien, puisqu'il le faut, adieu, presse ton pas.Va-t'en d'un coeur léger ! Ne te retourne pas Quand je maudis le sort pour ce qu'il me dérobe,Car je te retiendrais par un pan de ta robe.Je ne veux plus te voir, ami, qu'à ton retour. ANTOINE. Non. Au départ ma lèvre en feu, pâle d'amour,Veut baiser cette main qui tient les sceptres. Cesse Tes rigueurs, mon Isis, ô puissante déesse,Et laisse-moi puiser la vie à ton oeil noir. CLÉOPATRE. Mon coeur se brise. Antoine, adieu. ANTOINE. Non. Au revoir. Antoine sort. SCÈNE IV. CLÉOPATRE. Il partirait ! Et moi ? Moi, je resterais seuleDans cette affreuse Égypte au sombre front d'aïeule, Où partout nous entoure, ainsi qu'un vaste mur,Le ciel farouche, fait d'un implacable azur ;Où d'un air inquiet, ainsi que des molosses,Veillent d'horribles Dieux et de hideux colossesOu les vivants sont pleins de déni) et de remords Et se plaignent tout bas à l'oreille des morts ;Ou les globes ailes, les serpents, les balancesNe parlent que de morts aux éternels silences ;Où comme en une tombe au couvercle brûlantBrille l'oeil du soleil, toujours rouge et sanglant ! Ah ! Sans doute avec lui j'aimais l'Égypte noire, la Grèce amie où sont les Dieux d'ivoireEt les myrtes fleuris et les ruisseaux d'argent !Mais quoi donc ! je verrais son départ outrageant !Je resterais, moi qui l'adore, abandonnée ! Et cependant à Rome, en moins d'une journée,[Note : Marcus AEmilius Lepidus, dit Lépide (-89 ;-12) : est un célèbre général et homme politique romain du Ier siècle av. J.-C. [Wikipedia]]Octave et Lepidus, ces coeurs bas et rampants,Auraient bientôt fait rire Antoine à mes dépens ;Ils sauraient l'enchaîner au gré de leur envie,Et César lui dirait : « J'ai ma soeur Octavie ! » J'aurais une rivale encor moi dont les filsRègnent, moi que la terre admire comme Isis,Et nomme, sous l'éclair que mon regard lui jette,Délices du soleil et déesse évergète !Je ne veux pas. Avant que ce sort odieux Accable mon amour, je serai morte. Ô Dieux [!]De jaspe, qui rêvez, sinistres, sur des trônesCélestes éperviers, dont les prunelles jaunesOnt brûlé mon visage avec leurs flammes d'or,[Note : Hathor : déesse de l'amour dans la mythologie égyptienne.]Je vous adjure ! Et toi, Reine, déesse Hathor Qui, sans avoir pitié de nos angoisses vaines,Fais courir le désir déchirant dans nos veines,Et toi, Phtha, dieu du feu, brûlez, dévorez-moi ;Mais pour qu'il reste, lui mon héros, lui mon roi,Mettez la volupté vivante en ma ceinture, Et changez, s'il le faut, l'ordre de la nature !Oui, faites un miracle, et que lui, l'empereurReste. Puis, s'il le faut, que vouée à l'horreurDe supplier, vaincue et seule, je succombe !Que, vivante, je sois murée en une tombe, Et que là je caresse, en mon fatal dessein,Quelque agile serpent qui me morde le sein !Mais, ô Dieux, laissez-moi le divin fils d'Hercule !Dieux terribles, ayez pitié de moi, que brûleDe ses traits furieux l'arc enflammé du jour, Et qui pâlis de rage et qui me meurs d'amour ! Avec une sorte d'extase.Mais quel rayon subtil frémit dans ma pensée ?Tout mon être tressaille. Comme frappée d'une commotion soudaine.Oui, tu m'as exaucée,Hathor, qui m'écoutais dans le b)eu firmament !Je mourrai, mais tu vas me rendre mon amant. Entre Charmion. SCÈNE V. Cléopâtre,Charmion. CLÉOPATRE. Ah ! c'est toi. À part.Charmion, le seul être qui m'aime! Haut.Va dire à l'Empereur. Mais non, j'y vais moi-même.Tu ne saurais pas bien lui parler. Reste ici. SCÈNE VI. CHARMION. Elle regarde Cïéopâtre qui s'éloigne.Et pourtant je l'ai vue aimer César ainsi. Revenant sur le devant de la scène.Cette reine pareille à l'aurore, et plus brave Qu'un héros, aime et souffre aussi bien qu'une esclave.Ayez donc, pour voter jusques aux cieux profonds,Des chars d'argent et des quadriges de griffons ;Ayez des perles dont les lueurs sont divines,[Note : Pays de Sérique : nom donné des grecs pour la Chine.]Des robes du pays de Sérique, si fines Qu'elles passeraient dans l'anneau de votre doigt,Et des pourpres trois fois teintes, ainsi que doitEn posséder Isis buvez dans une coupe[Note : Lysippe (-390 , -305) : sculpteur grec de l'Antiquité. Portraitiste d'Alexandre le Grand.][Note : Myron (Vème siècle avant JC): sculteur grec de l'Antiquité. On lui doit le "Discobole".]Où Myron et Lysippe ont fait vivre le groupeDes Nymphes ; que les cieux vous regardent marcher, Pour qu'ensuite l'enfant Éros, le fol archer,Vous prenne sans façon dans sa nasse dorée,Tout aussi bien qu'il fait de nous ! Entre Antoine en armure, ayant à son bras Cléopâtre. SCÈNE VII. Charmion, Antoine, Cléopâtre. ANTOINE. Reine adorée,Que ne puis-je avec toi demeurer, fût-ce au prixDe ma vie CLÉOPATRE. Eh bien !... ANTOINE. Mais j'encourrais ton mépris Si je calmais le fier désir qui m'aiguillonne.Reine, tu m'as aimé baise par la BelloneVengeresse, couvert de poussière et de sang,Vainqueur, ayant le casque au front, l'épée au flanc ;Et si je rêvais, comme un berger de Sicile, Tu me reprocherais d'avoir été docile,Car le sang tout fumant sied au bras meurtrierDu soldat, comme au front du chanteur le laurier.Quittons-nous donc. CLÉOPATRE. Eh bien ! Non. S'il faut que tu partes,Je te suis. Nous irons vaincre à nous deux les Parthes. À tes côtés, sans craindre Octave ton rival,Je marcherai, pressant du genou mon cheval,[Note : Penthésilée : reine des Amazones dans le mythologie grecque.]Et j'aurai sur mon front, comme Penthésilée,Le vol éblouissant d'une Chimère ailée ANTOINE. En cette guerre, proie offerte au noir danger, Il nous faudra dormir dans les rochers, mangerDes racines parfois, et boire ]'eau saumâtreDes lacs. Ce n'est pas là ta place, Cléopâtre,Ma bien-aimée ! CLÉOPATRE. Ainsi, je ne suis bonne a rien,Qu'à porter, demi-nue, un voile aérien ! Mais toi, déjà choisi par le combat vorace,Te voilà rayonnant dans ta rude cuirasseQue presseraient en vain mes bras martyrisés,Et sans honte opposant du fer à mes baisers.Tu sembles Mars lui-même, enflant de son haleine Des clairons, et poussant les guerriers dans la plaineVers la mêlée affreuse et vers les durs assauts,Ou faisant s'envoler de rapides vaisseauxLoin du tiède rivage où la vague déferle ! ANTOINE, amoureusement. Et Mars chérit Vénus ! CLÉOPATRE, frappée tout coup par l'éclat d'une perle énorme qu'Antoine porte sur son armure et qu'elle n'a. pas encore vue. Mais quelle est cette perle Que je vois briller sur ton armure, et qui luitComme Phoebe parmi les astres de la nuit ?Rien qu'à voir sa blancheur mon regard s'extasie. ANTOINE. Elle est belle, en effet. Aucun roi de l'AsieNe peut la payer pour l'éclat et la grosseur, On chercherait en vain dans le monde sa soeur.Pourtant si je suis sûr qu'une telle merveilleRestera sans rivale et n'a pas sa pareille,Et qu'avec son éclat frissonnant et riantOn pourrait acheter les trônes d'Orient, Ce n'est pas pour si peu de chose que j'attacheUn prix inestimable à sa splendeur sans tache. CLÉOPATRE, avec curiosité. Quel est donc ce joyau divin ? ANTOINE. Quand mon aïeulBacchus alla jadis conquérir l'Inde, seulGuerrier, mais au bruit des cymbales effrénées Emmenant un troupeau de femmes forcenéesQui, chantant les raisins, livraient aux vents plaintifsLeurs chevelures d'or ceintes de serpents vifs,La déesse du Gange aux îlots bleus, amoureuseDu dieu, lui fit présent de cette perle heureuse, Talisman qui soumet les îlots mélodieux,Et qui fait obéir la Victoire et les DieuxEt la tempête, en vain dans les cieux révoltée. CLÉOPATRE, à part. Qu'entends-je ! ANTOINE. Depuis lors elle est toujours restéeDans la famille des Antoine. Mes aïeux Par elle ont toujours vu leurs bras victorieux,Et son charme inconnu, sur tout ce qui respireNous a fait obtenir la victoire et l'empire.Si quelqu'un me la peut dérober, le destinLui promet l'Italie et le monde latin. Bien plus, je serais son esclave. Il serait maîtreDe ma volonté, de mon coeur, de tout mon être. CLÉOPATRE. En vérité ! De tout ton être ! ANTOINE. Oui, reine. CLÉOPATRE. MaisQui le peut ? ANTOINE. Qui prendra, si je ne le permets,Cette perte qui vaut l'empire de la terre ? CLÉOPATRE. Un homme peut aller dans les bois de Cythère ;Là, surprendre Vénus près d'un ruisseau dormant,Et dérober à sa ceinture un diamant[Note : Sardoine : Quartz-agate d'une couleur brune dans une nuance orangée. [L]]De flamme, ou le rubis sanglant, ou ta sardoine, - ANTOINE. Mais qui peut arracher sur l'armure d'Antoine, Cette perle qui semble un astre du ciel bleu '1 CLÉOPATRE. Certes. Pour te la prendre il faut, que sais-je ? Un dieu ! ANTOINE. Si donc un dieu prétend l'avoir, qu'il me le, voleDes hommes ont parfois tenté ce coup frivole ;Mais moi, jusqu'à présent, j'ai tué les voleurs. CLÉOPATRE, à part. Ô Reine secourable, Hathor, qui vois mes pleurs,Viens, Déesse, il est temps que ton oeil me regarde Haut, à Antoine.C'est bien, cher seigneur. Puisqu'il en est ainsi, gardeTa perle. Je ne la veux plus. ANTOINE, surpris. Tu la voulais ? CLÉOPATRE. Non pas. Que sais-je ? Elle eût dans un de mes palais Brillé comme un soleil, qui de la nuit fataleSort, en baignant les cieux d'une clarté d'opale,Ou peut-être l'aurais-je attachée à mon doigt !Mais je ne la veux plus, a présent qu'elle doitSoumettre l'Italie et le Parthe barbare. Car plus que toi je suis de ton bonheur avare.Mais seulement, soumise, et mes yeux sur les tiens,Laisse-moi la tenir et la caresser. Antoine, détachant la perle de son armure et la donnant à Cléopâtre.Tiens. CLÉOPATRE, admirant la perle, qu'elle tient dans sa main. Qu'elle est belle ! De sa blancheur suave éprise,Une lueur frémit dans sa neige et t'irise, Et, tremblante, se mêle à des reflets d'azur.Perle céleste ! Elle a raison de brille surL'armure d'un héros qui jamais ne recule ! À Charmion.Toi, verse a l'empereur dans la coupe d'HerculeUn vin clair ! Charmion remplit la coupe et la donne a Cléopâtre, puis elle sort. SCÈNE VIII. Antoine, Clëopatre. CLÉOPATRE. Tu ne m'as jamais quittée encor Sans vider jusqu'au fond cette coupe aux flancs d'or,En invoquant pour moi, devant ton sort courbée,Tes Dieux latins ! ANTOINE. Ma reine... CLÉOPATRE, laissant tomber la perle dans la coupe pleine de vin. Ah la perle est tombéeDans la coupe ! Elle en fait jaillir des diamants. ANTOINE. Eh bien ! Il faut la prendre avec tes doigts charmants. CLÉOPATRE. Oui. ANTOINE. Prends la perle ! CLÉOPATRE. Son reflet qui tremble, attireLa clarté. M'aimes-tu ? ANTOINE. Sans doute. Mais retireLa perle ! CLÉOPATRE. Oui. Béni soit l'instant cher qui mêlaNos destins ! ANTOINE. Mais la perle enfin, retire-la ! CLÉOPATRE, avec un feu sombre dans les yeux. 11 n'est plus temps. Ce vin pourpré comme l'aurore, Qui vient de la Libye, est de flamme il dévore,Brûle tout, et dissout les perles, où le jourA mis ses purs rayons. Tel l'implacable amour,Lorsqu'il s'y précipite avec son flot farouche,Anéantit et brûle en nous tout ce qu'il touche. ANTOINE, comme égaré. Quel nuage soudain passe devant mes yeux ?Un trouble me saisit, triste et délicieux ;Je songe, et comme si j'avais bu l'onde noireDu Léthé, vers la nuit je sens fuir ma mémoire. CLÉOPATRE, avec une sauvage amertume. Pour moi, j'avais dans l'âme ainsi qu'un firmament Plein d'astres, et l'orgueil fier du commandement,Des voluptés, des vols d'espérances ailées,Des chimères l'amour les a toutes brûlées !Maintenant, sous le ciel de ma chute ébloui,Il ne reste plus rien en moi qui ne soit lui ! Élevant la coupe.Antoine, à nos amours Buvant.Vois, je mêle à mes veinesTa perle. Maintenant, fuyez, ô craintes vaines !Que m'importe si la Victoire devant nousGlisse et tombe, les reins brisés, sur ses genoux,Ainsi qu'une cavale effrayée et fourbue ; On ne me prendra pas ton âme, je l'ai bue !Oui, j'ai bu ton ardeur, ta bravoure, ta foi,Ton invincible orgueil qui fait honte à l'effroi,Ton âme enfin, livrée à mon désir avide !Tu m'appartiens. ANTOINE. Oui, mais la coupe n'est pas vide Par un mouvement soudain, il arrache la coupe des mains de Cléopâtre. CLÉOPATRE. Oh ! ANTOINE, élevant la coupe. Cléopâtre, à nos amours Il boit.Plus de souci,Car si je t'appartiens, tu m'appartiens aussi. CLÉOPATRE, à part. Dieux ! Le passé lointain, comme une blanche étoile,S'évanouit. Je sens mon regard qui se voile ;J'ai le coeur inondé de joie, et je me meurs. ANTOINE. À présent, défiant le monde et ses rumeurs,Aimons-nous ! Comme au sein des profondes valléesS'embrassent follement deux rivières mêlées,Étant deux, nous serons un seul. Que nous songionsAux combats, tu sauras mener tes légions Au carnage, dans la mêlée affreuse et noireEt caresser le sein meurtri de la Victoire ;Et dans la belle Asie ou sur les bords du NilSubir la faim, la soif, la misère, l'exil.Mais si tu fuis, laissant incomplète la tâche, - CLÉOPATRE. Eh bien ? ANTOINE. Moi, sur tes pas je fuirai comme un lâche! CLÉOPATRE. Que dis-tu ? Toi le chef suprême, le vainqueur !Toi le noble Antoine ! ANTOINE. Oui, nous n'aurons qu'un seul coeur !Ou soldat, tout sanglant sur son cheval numide,Faisant voler la mort, ou bien femme timide, Nous serons ce que tu voudras ! mais tous les deux !Dût s'accomplir mon rêve, oui, ce rêve hideuxQui me fait voir la mer hurlant sous la poursuiteD'Octave triomphant, et nos voiles en fuite ! CLÉOPATRE. Non Le sort est pour nous. Je suis forte, ô mon roi ! Mon héros ! ANTOINE, extasié. Meure donc tout ce qui n'est pas toi !Ta bouche, cette rose amoureuse qui tremble,Ravit mes yeux. Ensemble, ah! dis, toujours ensemble,Vivons, régnons. Le cher parfum de tes cheveuxM'enveloppe. Sois ma guerrière si tu veux, Et laissant pour un jour notre chère inertie,Vainqueurs de la Médie et de la Cilicie,Triomphons; puis ici, plus tard, couple indulgent,Partons aux rois du haut d'un tribunal d'argent !Ou, si tu l'aimes mieux, que chaque jour se noie Dans les fêtes buvons la pourpre de la joie,Et, comme les doux fruits savoureux d'un verger,Cueillons sans fin les jours ! SCÈNE IX. Antoine, Cléopâtre, Charmion. CHARMION, entrant. Seigneur, un messagerD'Octave, pour te voir, arrive en toute hâte.Il est là. ANTOINE. Maudit soit l'importun qui me gâte Ce bel instant ! CHARMION. César, dit-il, est irrité,Et réclame ton prompt retour. ANTOINE, en proie à une soudaine colère. En vérité !Que ce messager-là cherche d'autres auberges.Que nos palais. Ou bien, qu'il soit battu de verges. CLÉOPATRE, hypocritement. Le pauvre homme C'est trop de cruauté. Battu De verges ! ANTOINE. Eh bien qu'on le chasse. CLÉOPATRE. Y penses-tu ?Sachons du moins son nom. ANTOINE. Pourquoi faire ? On le nomme :Trop tard ! CLÉOPATRE. Un tel éclat, c'est la brouille avec Rome ANTOINE, impassible. Va, Charmion. Charmion sort. SCÈNE X. Antoine, Cléopâtre. ANTOINE. Qu'importe Octave? Tout est bienPuisque j'ai Cléopâtre, et le reste n'est rien ! Oublions. Ravis-moi. Parle ! CLÉOPATRE. Que puis-je dire,Quand ce que tu veux, tout mon être le désire !Pourtant je parlerai, cher seigneur, si ma voixTe plaît. ANTOINE. Quand je te vis pour la première fois,C'était sur le Cydnus. Le flot semblait sourire. Tu voguais, étonnant les cieux, sur un navireDont la poupe était d'or ; le radieux soleilSur ses voiles de pourpre étincelait vermeil ; Les avirons étaient d'argent, et pleins de joieTremblaient et frissonnaient les cordages de soie. Toi, couchée à demi sous un pavillon d'or,Et portant les habits de Vénus, mais encorPlus belle que Vénus, et gardant une poseDivine, tu brillais dans tes voiles de rose !Tu montrais un lien de fleurs pour bracelet ; L'air était embaumé des parfums qu'on brûlaitSur ton vaisseau. Le peuple et moi, nous t'adorâmes.Des lyres par leurs chants guidaient le vol des rames,Et les flûtes mêlaient leurs voix à ce concert.Tout le troupeau charmant qui t'adore et te sert, Nymphes, Divinités, Grâces aux fiers visages,Néréides, faisaient obéir les cordages,Ou de leurs belles mains tenaient le gouvernait,Et de petits Amours agitaient l'éventail,Afin de rafraîchir la reine de Cythère, Vénus, l'enchantement et l'orgueil de la terre ! CLÉOPATRE. Puis Vénus amusa par un festin le dieuBacchus ; il savoura les vins d'or et de feu,Et les rires alors voltigeaient sur sa bouche,Car, ce jour-là du moins, le conquérant farouche Était dompté. ANTOINE. Je veux retrouver ma Vénus !Oui, celle que mes yeux virent sur le Cydnus,Et qui, dans une étrange et formidable fête,Me nomma son vainqueur. Charmion entre et parle bas à Ctéopâtre. SCÈNE XI. Antoine, Clëopatre, Charmion. CLÉOPATRE. Eh bien la table est prête,Ami, pour un festin pareil à celui-là ! Dans la salle où mon fier caprice amoncelaDe hauts entassements de colonnes et d'arches,Des escaliers, formés par des milliers de marchesDe porphyre et de jaspe, où les colosses noirsS'irisent, réfléchis comme par des miroirs ; Des griffons d'or, des sphinx dont l'oeil médite et souffre, ? Voyant en haut s'ouvrir le ciel bleu comme un gouffre,Nous aurons tout à coup les éblouissementsDe plus de feux que n'ont d'astres les firmamentsServis par des enfants d'Asie et par des reines, Nous mangerons les paons et la chair des murènes,Les sangliers rôtis et pleins d'oiseaux vivants ;Nous aurons des bouffons alertes et savants,[Note : Massique : nom d'un vin italien.]Et, buvant le Massique aux divines brûlures,Nous essuierons nos mains avec des chevelures. Des danseuses, en leur délire agile et prompt,Poseront en passant leurs lèvres sur ton front :[Note : Sambuque : Sorte de harpe usitée chez les anciens. [L]][Note : Tympanon : Instrument de musique monté avec des cordes de laiton, et qu'on touche avec deux petites baguettes de bois. [L]]Le tympanon railleur, la sambuque, le sistreEmpliront de leur bruit la nuit bleue et sinistre ;Comme sur le Cydnus, je parerai mes bras Avec des bracelets de roses tu verrasCelle dont la prunelle en ton regard se plonge,Attentive, épiant ton désir, comme en songe,Et nous rirons, pareils aux Dieux olympiens,Car je suis ton esclave et ta maîtresse. ANTOINE, fasciné, embrassant amoureusement Oéopatre, et l'entraînant. Viens ! SCÈNE XII. CHARMION, au public. Voilà comment on perd les trônes. Une femmeVient, et change le sort de Rome et de Pergame.Et celui qui, faisant frémir les aileronsDes Victoires, enflait jadis les durs clairons,Est pareil. au tremblant agneau que mène un pâtre. Mais au prix de tenir en ses bras Cléopâtre,Qui ne voudrait tomber d'une telle hauteur ?Dites ! - Et pardonnez les fautes de l'auteur. ==================================================