******************************************************** DC.Title = ANCIEN PIERROT, MONOLOGUE. DC.Author = BANVILLE, Théodore DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Monologue DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2022 à 14:33:48. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BANVILLE_ANCIENPIERROT.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k207955q/f4 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ANCIEN PIERROT MONOLOGUE M DCCC. LXXVII. Tous droits réservés PAR M. THÉODORE DE BANVILLE PERSONNAGES PIERROT. Extrait de SAYNÈTES ET MONOLOGUES, DEUXIÈME SÉRIE, Paris, Tresse, 1877. ANCIEN PIERROT À mon ami Coquelin cadet. PIERROT. Hommes hideux, et vous dont Amour fait sa gloire,Femmes ! Je vous dirai ma déplorable histoire.J'étais Pierrot. - Comment ! Pierrot ? - Mais oui, Pierrot.J'étais Pierrot. Voler au rôtisseur son rôt,Dérober des poissons aux dames de la Halle Tout en les fascinant d'un oeil tragique et pâle,Boire, manger, dormir, tels étaient mes destins,Et je goûtais l'ivresse énorme des festins !Plus blanc que l'avalanche et que l'aile des cygnes,J'étais spirituel et je parlais par signes. Avec mon maître, vieux et sinistre coquin,Nous poursuivions dans les campagnes ArlequinEt sa délicieuse amante Colombine.Mais dès que je levais contre eux ma carabine,Sur un fleuve brillant comme le diamant Ils s'enfuyaient dans des nefs d'or. C'était charmant.Nous nous rencontrions parfois. Moins doux qu'Arbate,J'assommais Arlequin avec sa propre batte.Colombine, fuyant la cage et le réseau,M'effleurait, en son vol tremblant, comme un oiseau ; Je prodiguais, parmi les cris et les tumultes,À Cassandre ébloui, des coups de pied occultes ;Je riais, et la fée Azurine parfois,À l'heure où le soleil teint de pourpre les bois,Faisait jaillir pour moi, parmi les fleurs écloses, Des pâtés de lapin dans les buissons de roses !Oh ! La fée Azurine ! Un jour, - ô mon pinceau,Reste chaste ! - Sur l'herbe, auprès d'un clair ruisseau,Je la surpris dormant, sa poitrine de neigeÀ découvert. J'étais Pierrot. Que vous dirai-je ? Sur ces lys - un malheur est si vite arrivé ! -Je mis ma lèvre, hélas ! Puis je récidivaiTrois fois. J'étais Pierrot. Mais la Fée adorableS'éveilla toute rouge, et me dit : Misérable,Deviens homme ! Aussitôt - prodige horrible à voir ! - Je sentis sur mon dos pousser un habit noir.Comme si j'eusse été Français, Tartare ou Kurde,Il me vint des cheveux, cette parure absurde ;Sur mon front je sentis passer le badigeonQui rougit l'écrevisse, et comme le pigeon Qui chante lorsqu'il frit dans une casserole,J'eus cette infirmité stupide, la parole.[Note : Londrès : Sorte de cigares havanais, fabriqués d'abord pour les Anglais. [L]]Oui, je parle à présent. Je fume des londrès.[Note : Gile Pérès (1822-1882) : acteur Français, de son vrai nom Jules-Charles Pérès Jolin.]Tout comme Bossuet et comme Gil-Pérès,J'ai des transitions plus grosses que des câbles, Et je dis ma pensée au moyen des vocables.Tels s'enfuirent ma joie et mon bonheur perdu.Mais, dis-je à la cruelle Azurine, éperdu,Souffrirai-je longtemps cette angoisse mortelle ?Redeviendrai-je pas Pierrot ? - Si, me dit-elle. Je ne veux pas la mort du pécheur. Quand les versSe vendront; quand disant : Les raisins sont trop verts !Le baron de Rotschild, abandonnant le mytheDe l'or, embrassera la carrière d'ermite ;Lorsque les fabuleux académiciens Ne mettront plus d'abat-jour verts ; quand les anciens[Note : Hernani : Pièce de Victor Hugo représentée pour la première fois à la Comédie-Française le 25 février 1830 .]Romantiques, trouvant Hernani par trop raide ,Pâmeront de bonheur sur les vers de Tancréde;Quand on ne verra plus, chez les Turcs, le visirÉtrangler des sultans; quand suivant sans plaisir Les nymphes aux cheveux maïs, faisant fi d'elles,Tous les maris seront à leurs femmes fidèles;Quand la flûte prendra la place des tambours;Lorsque enfin les bourgeois, ces habitants des bourgsQui, dans l'Espagne en feu comme dans le Hanovre, Furent extasiés par Le Convoi du Pauvre,Aimeront Delacroix et les ciels de Corot,Toi, tu redeviendras Pierrot. - Grands dieux ! Pierrot !Je serai de nouveau Pierrot, fée Azurine !Criai-je, et cette fois, au lieu de sa poitrine Je baisai sa chaussure, et mis ma lèvre surLe pan resplendissant de sa robe d'azur !À présent, me voilà rassuré. Plus de chutes.Les soldats voudront bien marcher au son des flûtes :Pourquoi pas ? Tout va bien. Je sens pâlir ma chair. Les vers, à ce qu'on dit, vont se vendre très cher Dans trois jours. Le baron de Rotschild, je l'accorde,N'a pas encore pris la bure et ceint la corde ;Mais nous avons tous nos projets. Il a les siens.Nos seigneurs, messieurs les académiciens, Pareils à de vieux Dieux dans leur caverne noire,Ornent encor d'abat-jour verts leurs fronts d'ivoire ;Mais on doit en nommer de jeunes, ce mois-ci.Les romantiques, peuple en sa faute endurci,Jusqu'ici ne sont pas accourus à notre aide ; Mais ils diront bientôt : La flamme est dans Tancrède,Et quant à Bernant, ce n'est qu'un feu grégeois. -Delacroix et Corot prennent chez les bourgeois.Positivement. L'art dans leurs locaux motiveLes éclairs du Progrès, cette locomotive. [Note : Laïs : Fig. Femme galante dont la réputation fait grand bruit.[L]]Les cocottes, souris, chiffonnette et laïsRenoncent aux cheveux beurre frais et maïs ;[Note : Épithalame : Petit poëme pour célébrer un mariage ; genre qui nous vient de l'antiquité, où il était particulièrement usité. [L]]Depuis lors, moins friands de leurs épithalames,Beaucoup de maris sont fidèles à leurs femmes.Donc en dépit du mal que m'a fait l'archerot Amour, je vais bientôt redevenir Pierrot !Ô mes aïeux ! Ce noir habit va disparaîtreDe mon dos frémissant ; de nouveau je vais êtreMuet comme une carpe, et je ferai des sauts -De carpe également, pour étonner les sots. Oui, la prédiction s'accomplit, Azurine !Mon teint moins agité prend des tons de farine ;Je suis comme tous les ténors, je perds ma voix ;Et je ris déjà comme un bossu, quand je voisPâlir mon nez, pareil à celui de la lune. Les femmes accourront. - Qu'il est beau ! dira l'une,Et j'aurai des effets de neige sur mon front.Et lorsque les petits enfants apercevrontMon visage embelli d'une blancheur suprême,Ils diront : J'en veux. C'est de la tarte à la crème ! ==================================================