******************************************************** DC.Title = LE COLIGNY, TRAGÉDIE DC.Author = BACULARD, François Thomas, Marie DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:17. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BACULARD_COLIGNI.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5734449c DC.Source.cote = BnF LLA 8-YTH-3639 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE COLIGNY TRAGÉDIE NOUVELLE ÉDITION revue, corrigée et augmentée considérablement. M. DCC. XLIV. . À LAUSANNE et à GENÈVE, Chez Marc-Michel BOUSQUET et compagnie. Représentée, pour la première fois, à l'Hôtel de Clermont-Tonnerre en 1739. AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR. Nous donnons au public la quatrième édition de cette tragédie qui est entièrement différente des précédentes. Les deux premiers actes sont totalement changés, et le troisième rempli de nouveaux vers, et de nouvelles situations : Quelques personnes l'ont attribuée à Mr. DE VOLTAIRE, fondées sur la ressemblance qui se trouve entre cette pièce et la Henriade ; d'autres ont cru y reconnaître la plume du Marquis D'ARGENS : plusieurs enfin s'accordent pour la donner à un jeune homme, connu cependant par des poésies d'un autre genre ; on ajoute même qu'il l'a composée comme elle a paru d'abord à l'âge de dix-huit ans. Quel que soit l'auteur, cette tragédie a été généralement goûtée : la versification en est noble et élevée, les caractères bien soutenus, et ne se démentant point ; peut-être des amateurs du nouveau théâtre de ces pièces à scènes chargées et romanesques, blâmeront-ils l'intrigue de celle-ci, et l'accuseront d'une trop grande simplicité. L'auteur paraît avoir eu devant les yeux, ce naturel pathétique des tragiques Grecs et Anglais. S'il a pu rendre son ouvrage intéressant, il a rempli la première règle (a), il ne faut jamais s'interroger sur la cause du plaisir qu'on ressent à la lecture ou à la représentation d'une pièce ; pourvu qu'elle ait le don de plaire, on ne doit pas exiger davantage ; celle-ci a toujours beaucoup plu malgré les imperfections dont elle était défigurée. En voilà assez pour sa défense ou pour son éloge. (a) Elle a été jouée avec beaucoup d'applaudissements, sur des théâtres particuliers en France et dans les Pays étrangers, elle est traduite en Anglais. DISCOURS PRÉLIMINAIRE. Ceux qui aiment la vérité, la trouveront dans cet ouvrage. La journée de la Saint-Barthélemy ferait honte à nos Français s'ils ne la désapprouvaient eux-mêmes : On sait qu'elle est en horreur parmi eux, comme le sont aujourd'hui les Vêpres Siciliennes chez les Espagnols. Les Anglais, une des Nations les plus sensées de l'Europe, blâment la conduite de leurs Pères à l'égard de Charles I les protestants out été les premiers à détester ces misérables Fanatiques nommés Camisards (b). Les meilleurs Catholiques, en honorant Saint-Pierre et les autres Pontifes aussi respectables, abhorrent Léon X et Alexandre VI. Il y a une espèce d'imbécillité à vouloir excuser les fautes de ses aïeux ; il se trouve des superstitions de tout genre ; la plus honteuse de toutes est ce respect mal entendu pour les siècles précédents ; ce préjugé grossier et cependant si ordinaire arrête souvent les progrès de la raison. Pourquoi devoir à autrui un bien que nous trouvons chez nous-mêmes ? Nous avons tous la même faculté de penser, ce n'est que les divers abus qu'on en fait qui rendent un homme si différent d'un autre homme. On a le malheur de confondre souvent le Fanatisme avec la Religion : Un Chrétien est un homme plus raisonnable que les autres ; la Raison et la vraie Religion ne se séparent jamais. On n'a qu'à parcourir les Mémoires de l'Étoile, la grande Histoire de Mézerai, l'Illustre Président de Thou le Tite-Live de la France, cet Historien si sage et si éclairé ; on y lira le détail de la Saint Barthélemy, on pourra juger, par tant d'exemples, que tous les Hommes sont également méchants lorsqu'ils sont frappés de ce préjugé imposant qu'ils nomment Religion, et qui cependant lui est si opposé. Il est nécessaire de donner une légère idée sur la Saint-Barthélemy, pour remettre sous les yeux des lecteurs, des traits qui auraient pu leur échapper, et dont la connaissance est nécessaire à l'intelligence de la pièce. Médicis depuis longtemps méditait de porter ce coup au Parti Calviniste ; il était nécessaire qu'on empruntât les voiles de la Religion et de la perfidie, pour accabler avec plus d'assurance un Parti qui s'agrandissait tous les jours ; on n'eut pas de peine à faire goûter ce complot à une Cour composée d'imbéciles, de superstitieux, de mécontents, et d'esprits amoureux des nouveautés ; les uns étaient des Fanatiques que le zèle de la Religion rendait barbares de sang froid ; les autres moins grossiers et plus coupables, se servaient de ces espèces de pieuses machines, pour travailler aveuglément à leurs propres intérêts : c'est ainsi que le peuple a été de tout temps le martyr de ses Maîtres ou de sa crédulité. Les Guises haïssaient les Condés et les Coligny, plutôt à cause de leur haute réputation, que par rapport au titre de Protecteurs de l'Hérésie : si Coligny eut été Catholique, ils eussent été les plus zélés soutiens des Protestants. Charles IX eût peine à donner son consentement pour une si horrible exécution, mais ce Prince n'avait pas assez de force pour oser être vertueux, dans une Cour empoisonnée des maximes de Machiavel. La faiblesse est presque toujours crime pour un Roi. CHARLES IX cependant malgré sa docilité pour sa mère, a passé pour le Prince le plus emporté de son temps ; il tombait dans des espèces de fureurs convulsives. Quelques-uns ont soupçonné que la maladie dont il mourut fût occasionnée par le poison ; ce fait n'est pas avéré. Gaspard de Coligny, Amiral de France, avait succédé dans son parti au Prince de Condé, son oncle, tué à la bataille de Jarnac par Montesquiou ; c'était un honnête homme, auquel il ne manquait que d'être Catholique: jamais Chef ne sut mettre mieux à profit le malheur ; s'il ne remporta pas d'éclatantes victoires, il fit beaucoup d'honorables retraites, ce qui distingue le grand Capitaine presque autant que le succès. Les Noces d'Henri IV et de Marguerite de Valois l'attirèrent à la Cour, rassuré par le prétexte d'une paix générale, que Médicis feignait de vouloir leur donner. Il était attaché à son Roi, malgré la différence de Religion, et faisait voir qu'on peut servir à la fois son Dieu et son Maître : toute sa prudence ne pût lui faire écouter des soupçons qu'un accident (c) qui lui était arrivé quelques jours avant, devait justifier ; ce fut la première victime qu'on sacrifia à Médicis ; ses assassins le trouvèrent qui lisait Job, il ne parut point épouvanté à leur vue, il attendit la mort et la reçut avec cette tranquillité d'âme, qui fait le caractère du héros et du chrétien ; son corps fût jeté par les fenêtres: le Duc de Guise surnommé le Balafré, et qui n'eut que de grands vices, et des talents qu'on nommait Vertus, eut la cruauté de fouler aux pieds le cadavre de Coligny, il lui essuya même avec son mouchoir son visage tout couvert de sang, pour le reconnaître, et pour jouir (si on ose le dire) de l'affreux plaisir de la vengeance. La tête de l'Amiral fût portée à Médicis, qui, suivant quelques historiens, l'envoya toute embaumée au Pape, comme un présent de sa colère et de sa haine ; on pendit le corps de COLIGNY par les pieds au gibet de Montfaucon ; Charles IX avec toute sa Cour alla rassasier sa fureur de ce spectacle ; les biens du mort furent confisqués au profit du Roi, sa mémoire déclarée odieuse. Il y a quelques années qu'en creusant les fondements d'une Chapelle à Chantilly, on trouva un cercueil qui renfermait son corps, il était entouré de bandelettes aux jambes et aux bras (d). Le Comte de Teligni, son Gendre, se sauva tout nu en chemise dans les bras de son beau-père, et y fut massacré sur le champ par les assassins ; ce jeune homme était cher au Parti, et même aux Catholiques qui savaient respecter la vertu jusques dans leurs ennemis. Marsillac Comte de la Rochefoucault était un des Courtisans qui possédait davantage la faveur du Roi : Il avait passé une partie de la nuit à jouer aux dés avec ce Prince, qui voulut en vain le retenir ; ce Roi dont la faiblesse était le premier vice, laissa courir Marsillac au devant de la mort, pensant que le Ciel avait résolu sa perte. Le Maréchal de Tavanne, honnête homme d'ailleurs s'il n'eut pas été aveuglé par son ignorance, commandait tous ces meurtres dans la volonté d'obéir à Dieu ; on se servait de sa docile fureur comme d'un instrument propre à châtier les Huguenots. Il était à la tête d'une troupe de meurtriers qui portaient sur leurs chapeaux une Croix blanche, et le Maréchal de Tavanne criait de toutes ses forces : Saignée, saignée, la saignée est aussi bonne au mois d'Août qu'au mois de Mai. Albert de Gondi, Maréchal de France, était un des Favoris de Médicis, aussi bien que Moscoüet Gentilhomme Breton, et le Vidame de Chartres ; cette Princesse mettait l'amour au rang de ses passions (e). Nevers Frederic de Gonzague de la Maison de Mantoue, et l'un des principaux auteurs de la Saint-Barthélemy, le fils du Baron Desadrets, Bussi d'Amboise, qui tua son propre cousin Renel, Beme attaché à la Maison de Guise, voila quels étaient les premiers assassins. Sept ou huit cents protestants s'étaient réfugiés dans les prisons ; les Capitaines destinés pour l'exécution se les faisaient amener sur une planche, près de la vallée de Misère, où ils les assommaient à coups de maillets. Un tireur d'or en tua pour sa part quatre cent de sa propre main ; ces fanatiques dénaturés, qui n'étaient pas même des hommes, et qui se disaient Catholiques, se regardaient comme autant de vengeurs du Ciel. Qui eût demandé à cette troupe d'assassins pourquoi ils égorgeaient ainsi leurs propres frères, ils eussent répondu tranquillement qu'ils ne pouvaient faire de sacrifice plus agréable à Dieu. Religio peperit scelerosa atque impia facta. Du moins c'est la Superstition qui usurpe un nom si respectable. Uu Aubépin que le hasard fit fleurir le lendemain de cette affreuse journée dans le Cimetière des Innocents, fut regardé comme un prodige par cette populace, et ne servit qu'à à l'affermir dans l'assurance que le Ciel approuvait ces meurtres. Les Pédants de l'école se mirent de la partie ; on en immola plusieurs aux mânes d'Aristote et d'Horace. Charpentier assassina Pierre La Ramée pour n'avoir pas voulu embrasser le Péripatéticisme. Lambin mourut d'une fièvre que lui avait causée la seule frayeur de la mort. Charpentier qui s'était déclaré le vengeur d'Horace, avait résolu de lui sacrifier ce Commentateur. Charles IX eut la cruauté de tirer sur ses propres sujets ; le Louvre, ce Palais respectable n'était plus qu'une affreuse boucherie ; les uns se précipitaient dans la rivière, les autres se jetaient du haut de leurs maisons, et furent écrasés sur le pavé, d'autres enfin s'allèrent livrer eux-mêmes à leurs bourreaux ; ce massacre dura trois jours et trois nuits, la Seine en fut ensanglantée. Marsillac, Soubise, Renel, Pardaillan, Querchi furent les plus distingués d'entre les morts. Sans les remontrances de quelques sages citoyens, également zélés pour la gloire de leur Roi et pour le bien de l'état, la moitié de la France eut péri des mains de l'autre. Ce tableau suffit pour montrer, que l'esprit de Fanatisme entraîne tôt ou tard la ruine d'une Nation : on ne saurait trop exposer ces sortes de peintures aux yeux des hommes ; les Catholiques auraient tort de désapprouver cette pièce : c'est un Ouvrage qui doit être dans les mains de tout le monde, et dont le but est d'exciter à l'humanité, le germe des vertus, et d'inspirer s'il se peut, de l'aversion pour le crime et pour la superstition (f). Présentement, il faut entrer dans l'examen de cette tragédie, répondre à quelques critiques dont on a daigné l'honorer, et donner une idée des caractères. Hamilton, Curé de Saint-Cosme, et qui dans la suite fut un des plus furieux Ligueurs, est un des acteurs qui joue le rôle le plus frappant de cette Pièce : il est aisé de s'apercevoir que ce curé n'est autre que le fameux Cardinal de Lorraine, Oncle du Duc de Guise le balaffré, qui sema les premières étincelles de cette incendie dont toute la France pensa être consumée ; cette explication justifie donc l'Auteur aux yeux de quelques personnes obstinées à ne point vouloir envisager dans Hamilton, un plus grand personnage, redoutable aux deux Partis, et dont l'ambition ne connaissait nulles bornes. On a tâché de représenter Coligny sous les traits d'un honnête homme, persuadé que sa Religion était la meilleure : Teligni est dépeint comme un jeune homme fougueux et qui ne respire que la vengeance : Ces caractères semblent se soutenir jusqu'à la fin. L'Antiquité ne nous opposera jamais un sujet plus tragique que celui-ci: l'Oedipe de Sophocle qui est plein de situations touchantes, excite moins la pitié, qu'un vieillard de quatre-vingt ans, qu'égorgent avec zèle ses compatriotes. Un Français (et il s'en trouve beaucoup) qui ne se piquera point de littérature, verra avec indifférence les tableaux d'Antigone d'Electre ; l'ignorance souvent aveugle le coeur comme l'esprit. Tout le monde n'est pas obligé de savoir que Créon avait défendu qu'on ensevelit le corps de Polynice, qu'Oreste en tuant sa mère Clytemnestre vengea le meurtre d'Agamemnon son père. Personne en France, je dirai dans l'Univers, n'ignore que Catherine de Médicis fit assassiner Coligny et plus de cinquante mille personnes dans la même nuit, par la main de leurs Concitoyens ; ce n'est point dans la Grèce, à Thébes ou à Argos, que s'est passée cette sanglante catastrophe ; c'est à Paris, dans le sein d'une Ville où les étrangers venaient déjà recevoir des leçons de justice et d'humanité, et il n'y a pas encore deux siècles. Les Partisans des Aristote, des Aubignac, ces esclaves des règles qu'ils appellent la raison, et que quelques Auteurs hardis nomment faiblesse, se sont déjà récriés contre la témérité d'avoir fait tuer Coligny sur le Théâtre : ils opposent à ces innovations Corneille, Racine ; car voilà les mots de ralliement pour le Parti ; mais ne peut on s'ouvrir des routes nouvelles en respectant les anciennes ? Horace lui-même, la source des règles n'a-t-il pas dit: Licuit, semperque licebit Signatum presente nota producere nummum. Il vaut mieux tomber quelques fois en voulant s'élever tout seul, que de marcher à taton appuyé sur un autre. Descartes assure que la lumière est une matière subtile, répandue dans tout l'Univers. Qui eût soutenu alors un sentiment opposé eût passé pour un philosophe schismatique. Newton est venu qui a renversé le système de Descartes ; il a triomphé à son tour, il a voulu que la lumière fût un amas d'une infinité de petits rayons émanés du Soleil dans l'espace de sept minutes et demi, et on l'a cru sur sa parole ; il viendra un troisième physicien qui détruira ces deux systèmes, et en créera un nouveau, et tout à fait contraire aux premiers ; la raison fait chaque jour des progrès, et la nature n'est peut-être encore que dans son enfance. Ces exemples peuvent appuyer la hardiesse de l'quteur. Ne sera-t-il défendu qu'aux Poètes d'innover, tandis que les Philosophes tous les jours, retranchent, ajoutent ou inventent à leur gré ? Sophocle, Euripide, Shakespeare sont des modèles qu'on ne doit point rougir de suivre. Les Grecs et les Anglais seraient-ils moins éclairés sur la tragédie que les Français. Donnons un exemple de la scène ensanglantée : Euripide fait tuer à Médée ses enfants sur le théâtre, n'oserait-on plus faire revivre cette imitation ? Un grand génie n'aurait qu'à représenter sous des traits forts et expressifs l'infidélité de Jason, l'impuissance où Médée se trouve de ne pouvoir se venger autrement qu'en immolant ses propres enfants ; ses combats, ses larmes, ses cris même auprès de son époux pour le rappeler à elle ; ses nouveaux outrages, sa tendresse se prête à l'emporter sur sa vengeance, enfin sa vengeance, par un retour rapide maîtresse de sa pitié ; ses enfants égorgés dans le premier moment de la plus vive fureur, son trouble, son désespoir soudain ; tout le pouvoir de l'amour maternel, le dessein où elle est de se donner la mort du même poignard teint du sang de ses fils, la vue d'un amant infidèle, et qui vient au même instant d'épouser sa rivale ; sa nouvelle rage ; enfin son départ, après avoir laissé échapper au milieu de sa haine quelques transports d'amour pour l'ingrat Jason, et des marques de douleur sur la mort de ses enfants. Qu'on entre bien dans le caractère d'une femme qui aime, qui a été aimée, et qui se voit enlever le coeur de son amant par une rivale; qu'on se pénètre de sa passion, qu'on devienne pour ainsi dire Médée même, alors on concevra que quelque barbare qu'elle soit, elle est encore plus à plaindre qu'à détester; on oubliera la maxime d'Horace Ne coram populo pueros Medaa trucidet Il faut avouer aussi que les coeurs des femmes se révolteraient moins que les nôtres à la représentation d'un pareil spectacle, parce que leurs âmes sont plus propres que celles des hommes à ressentir les grandes passions, surtout lorsque l'amour en est la première cause ; on pourrait d'abord être étonné, le spectateur douterait un instant quelles impressions le remueraient, mais bientôt la terreur et la pitié se décideraient, et l'on s'intéresserait pour Medée, de même que tous les jours on s'intéresse pour Phèdre. Il est encore de ces situations fortes qui expriment la douleur mieux que les plus beaux vers, et qui déplaisent à notre Nation : le même Euripide dans le second acte de son Hécube, représente cette Princesse couchée par terre, et abîmée dans sa tristesse ; les Anglais donnent à Zaïre une pareille situation. Orosmane s'écrie, "Zaïre vous vous roulez par terre", les Anglais sont touchés aux larmes, un Français rirait. On peut mettre certaines expressions au même degré d'estime parmi nous autres. Elles offensent notre délicatesse ; Hécube en parlant de Polixène sa fille, l'appelle "la Ville, la Nourrice de son âme, le bâton, le guide de son chemin !" Shakespeare fait dire à Hamlet : "À peine mon père est-il dans le tombeau, que mon indigne mère va entrer avec un autre époux, dans un lit tout fumant encore de sa chaleur". Ce même Shakespeare a introduit des ombres sur la scène avec succès, tandis que l'Abbé Nadal n'a osé risquer sur notre théâtre l'apparition de Samuel, et peut-être ce faible versificateur a-t-il eu raison ; il sentait qu'il n'avait point assez de force et de pathétique dans la pensée et dans l'expression, pour soutenir une scène aussi merveilleuse, et qui eut demandé le pinceau d'un Corneille. Chaque objet a ses diverses faces, il n'est qu'un pas du touchant au ridicule, du majestueux au fanfaron ; si ces sortes de scènes ne frappent point et ne produisent pas leur effet dans le moment, elles tombent au même instant, et le spectateur est assez peu clairvoyant, pour mettre sur le compte de la nature les sottises de l'auteur. Saint-Michel qui foule aux pieds le Diable, ce tableau du fameux Raphaël, s'il était sorti d'une main novice, aurait excité le rire, au lieu qu'il inspire l'effroi et le respect. Doit-on conclure de Mr. l'Abbé Nadal, qu'il ne faut pas exposer aux yeux, de pareilles scènes ? Non sans doute ; et il est étonnant que jusques ici, sur la foi de ces auteurs rampants, les François aient douté de leurs forces, et se soient jugés incapables de soutenir la vue de spectacles sublimes ; c'est à des génies de leur pays à leur montrer, qu'ils peuvent avoir le droit d'imaginer et de sentir aussi fortement que les Grecs et les Anglais. L'Atrée de Mr. De Crebillon, selon quelques personnes de goût, est un Chef-d'oeuvre du théâtre ; cependant il n'a jamais réussi autant qu'il le mériterait, la délicatesse Française n'a pu se familiariser avec cette dernière scène, si bien exprimée, où Atrée présente à Thieste son frère, la coupe pleine du sang de Plisthène ; il est à souhaiter pour notre Nation, qu'elle adopte le haut tragique, comme elle a déjà embrassé les nouveaux systèmes des Newton et des Leibnitz. On s'est étendu au long sur cette partie du théâtre, parce qu'il s'est trouvé des censeurs, qui ont condamné la scène où Coligny est tué aux yeux des spectateurs ; ils ne veulent point examiner que cette pièce n'est pas composée dans le goût Français, et qu'on s'est attaché à suivre les Anciens. D'autres enfin se sont fâchés, que l'amour n'ait pas joué un rôle dans cette tragédie, ils auraient souhaité sans doute, que les personnages eussent épuisé une conversation de tendresse, tandis qu'ils sont environnés d'ennemis, et qu'à tout moment ils attendent la mort ; la terreur, la pitié ne sont-elles pas des passions aussi fortes que l'amour ? La situation de Coligny qui embrasse ses assassins, les appelle ses enfants, les presse de lui arracher une vie qu'il eût voulu perdre pour eux dans les combats, qui leur découvre enfin son estomac tout couvert de blessures ; tous ces traits ne produisent ils point sur les coeurs les mêmes impressions, qu'une femme qui reproche à son amant ses infidélités, ou lui fait de nouvelles assurances de tendresse ? D'ailleurs ces ressorts, pour émouvoir l'âme du spectateur, sont si usés, que souvent loin de toucher, ils jettent dans les sens une langueur qui va jusqu'au dégoût et à l'ennui. Cette scène de Coligny, quoique sans amour, parut si intéressante, que dans sa nouveauté on la nommait la scène des femmes. L'auteur de cette pièce a été obligé de tomber dans la faute, que La Mothe surtout a reprochée à Racine ; Hamilton se découvre à Bême, comme Mathan à Nabal dans Ahalie : Mais de quel autre moyen se servir pour instruire le spectateur ; le personnage sans cette confidence, ne laisserait point échapper tous ces traits, qui établissent son caractère ; des monologues deviennent ennuyeux et insupportables, pour peu qu'ils aient quelque étendue ; l'action ne peut pas toujours suppléer au Dialogue, il faut nécessairement se permettre ce défaut, à condition qu'on le rachète par des beautés qui le fassent oublier. Le théâtre au reste s'écarte quelquefois des règles de la vraisemblance, toutes ces reconnaissances qui réussissent presque toujours, ne sont point naturelles ; ces pressentiments qu'un père éprouve à la vue d'un fils qu'il ne connaît pas, sont des préjugés que les hommes prennent en entrant au spectacle, et dont ils se dépouillent a la sortie ; n'importe, ces préjugés quelques grossiers qu'ils soient, sont pour leurs coeurs des sources de plaisirs, et ils ont raison de s'y livrer, puisqu'ils y trouvent leur compte. Ce parallèle suffit, pour autoriser ces confidences qu'un personnage fait mal à propos à un autre ; si ces scènes sont conduites avec art, on ferme les yeux sur la machine, et l'on se contente de sentir les heureux effets qu'elle produit. Il serait inutile de répondre à des critiques méprisables, qui sont plutôt des Libelles diffamatoires, que des ouvrages propres à éclairer un auteur sur ses fautes. Quiconque entre dans la carrière des Lettres, doit s'attendre à essuyer toutes fortes de calomnies, et regarder d'un oeil de Philosophe, ces insectes de la Littérature, qui ne piquent que faiblement, lorsqu'on sait les mépriser. Faut-il que la raison, le plus beau partage de l'homme, ne s'emploie souvent qu'à son déshonneur ? Les Gens de Lettres seront-ils toujours ennemis les uns des autres ? N'apprendrons nous jamais à encourager, à chérir dans autrui, des talents que nous cultivons ? Doit-on préférer le titre d'homme d'esprit à celui d'honnête homme, quand il est si facile de les accorder tous deux ? Il s'est encore répandu dans le monde une grossière opinion, qui ne peut naître que d'un défaut de raison ou de probité : Depuis combien de temps renouvelle-t-on contre les auteurs, l'accusation d'impiété ? Un Lecteur malin prétend découvrir dans un ouvrage, le caractère et la façon de penser de celui qui l'a composé ; là-dessus il fixe son jugement, et condamne ou approuve les moeurs de cet homme, qui sans-doute aura cent caractères différents, si l'on veut lui prêter tous ceux des personnages qu'il aura imaginés. Mr. de Crébillon dans sa préface d'Electre, se plaint qu'Atrée avait fait écrire, qu'il était inhumain et furieux, et il n'y a personne de plus doux dans la societé, de plus humain. Racine était donc un homme sans Religion, parce qu'il a fait parler un prêtre apostat. Par conséquent l'auteur du Coligny sera damné sans miséricorde, comme un mauvais Catholique, pour avoir dépeint Hamilton sous des traits véritables. Les hommes ne rougiront-ils jamais d'être si injustes ? Mais ils ne s'aperçoivent pas eux-mêmes de leur méchanceté ; le moyen qu'ils s'en corrigent ! On n'entreprendra pas enfin de prouver, que cette tragédie est sûre de plaire, puisqu'elle est intéressante, on ne comptera point ici les suffrages ni les critiques qui se sont élevés à son sujet ; l'Auteur est bien persuadé, malgré les éloges qu'il a reçus, que ses censeurs sont plus sincères que ses panégyristes : Les louanges ne serviront qu'à l'encourager, et il prendra les critiques sur le pied de leçons utiles, qu'il aimera toujours à recevoir ; il n'a fait dans sa pièce que la peinture de la vérité : il s'est attaché à démontrer sous les yeux, que le Fanatisime est également éloigné de la Religion et de la Nature ; s'il n'a pas rempli son sujet, qu'on se souvienne de ce vers de la traduction de Mr. Pope par Mr. l'Abbé à du Rênel? Tant l'Esprit est borné, tant l'Art est étendu etc. et bientôt il trouvera de l'indulgence, dans les Lecteurs qui lui refuseront leurs suffrages. (b) Les troubles des Cévennes doivent être mis à côté de la Saint-Barthélemy pour les horribles excès où se livrèrent ces Camisards, qu'on peut nommer avec raison des enragés. Des Prêtres respectables par leur vieillesse et encore plus par leurs moeurs, furent les principaux objets de la fureur de cette canaille, qui ressemblait assez aux Vaudois ou aux Albigeois. (c) Coligny allant au Louvre pour voir le Roi, fut blessé d'un coup d'arquebuse en passant par un des appartements etc. (d) La haine pour le nom de Coligny s'est étendue si loin, que des Religieuses d'une Ville de Languedoc ayant trouvé depuis peu un tombeau où était enseveli Dandelot, frère de Coligny, l'en tirèrent elles-mêmes avec une sainte fureur, lui donnèrent force coups de couteaux à la sollicitation d'un Directeur, et le jetèrent ensuite dans un grand feu qu'elles avaient allumé exprès pour consommer un si pieux sacrifice. Ce fait prouve de quoi est capable l'imbécillité et l'ivresse du fanatisme. (e) "Elle ne marchait, dit Monstrelet, qu'accompagnée des plus belles femmes de la Cour, qui tenaient en caisse un long cortège de courtisans, et fallait-il que le bel marchât toujours." Ce sont les propres paroles de cet auteur. (f) On ne doit pas omettre l'histoire d'un saint Prélat, nommé Jean Hennuier, qui du rang de Confesseur de Henri II avait passé à l'Evéché de Lisieux. Lorsque le Lieutenant du Roi de cette Province lui annonça les ordres de la Cour, ce sage évêque répondit qu'il s'opposerait toujours à l'exécution d'un pareil arrêt, qu'il était le Pasteur de son Peuple, et non son bourreau ; que ces Hérétiques, tout égarés qu'ils étaient, avaient sur son coeur les mêmes droits que les Catholiques; il ajouta qu'il ne permettrait jamais qu'on employât de semblables moyens de convertir les hommes, et qu'il avait reçu la vie de son Dieu, pour la consacrer au bien spirituel et même temporel de son troupeau. Il obtint donc que les Protestants de son Diocèse ne fussent point enveloppés dans ce massacre général. Il arriva que tous les Huguenots qui devaient la vie à leur Pasteur furent touchés de sa générosité, et embrassèrent la Religion Catholique, persuadés que c'était une Religion de douceur et de charité, puisqu'elle permettait à Hennuier de pareils sentiments, et que l'abus seul et la politique la défiguraient, et la rendaient si haïssable. ACTEURS COLIGNY, Amiral de France. HAMILTON, Curé de St. Cosme. TELIGNI, Gendre de Coligny. MARSILLAC. LAVARDIN. PARDAILLAN. RENEL. QUERCHI. BÊME, attaché à la maison de guise, et Confident d'Hamilton. TAVANNE. BUSSI. NEVERS. GONDI. DESADRETS. PREMIÈRE TROUPE DE CONJURÉS. SECONDE TROUPE DE CONJURÉS. PROTESTANTS. GARDES. La Scène est au Louvre à Paris. ACTE I SCÈNE I. HAMILTON. Ô Nuit, trop lente nuit, permets que la vengeanceT'adresse ici ses voeux et son impatience:Hâte-toi, de ces murs chasse un jour odieuxDont les foibles rayons blessent encor mes yeux.D'un Peuple d'ennemis ne sois point la complice, Cesse de retarder l'instant de son supplice;Que ma fureur épuise un sang qu'elle a proscrit,Ou sois pour ma paupière une éternelle nuit.Enfin c'est aujourd'hui que mon sort se décide...Au faîte des Grandeurs ce premier pas me guide, Ou, servant Coligny, va moi seul me livrerAu piège que mes mains ont su lui préparer.Aurais-je en vain tissu la trame de sa perte ?...Non ; ses jours sont comptés, et sa tombe est ouverte,Ma bouche l'a dépeint sous les traits criminels [Note : Coligny avait remplacé le Prince de Condé dans le Parti Protestant. [NdA] ]D'un nouveau Destructeur du trône et des autelsJe l'ai montré l'appui, le vengeur de sa secte,Tous les jours nous jurant une amitié suspecte;J'ai fait voir ses vertus aux yeux de MédicisComme un art dangereux de gagner les esprits. « Des Condés, ai-je dit, il a toute l'audace,Peut-être qu'en secret il brigue votre place :Qui sait si dans sa fourbe, habile à vous tromper,Il ne vous tend le bras que pour mieux vous frapper ?Sur votre fils, sur vous.... mais à regret j'écoute Des craintes que le temps condamnera sans doute ;L'amour de mes devoirs me rend trop défiant,On doit peu s'assurer sur un pressentiment. »Dissimulant ainsi l'intérêt qui me guide,Je semais les soupçons dans cette âme timide; Mais pour m'en réserver les plus précieux fruits,D'un dernier coup, enfin, j'ai frappé ses esprits,« Le Ciel, ai-je ajouté, qui se lasse et s'irrite,Attendra-t-il longtemps qu'une race proscrite,Que malgré ses décrets vous semblez protéger, Échappée au trépas, vive pour l'outrager ?Craignez, Reine, tremblez que ce Dieu sur vous-mêmeNe fasse retomber le poids de l'anathème,Et pour mieux vous punir n'amasse tous ses traits ;Il exige, il est vrai, le sang de vos Sujets, Mais c'est un sang impur, vous devez le répandre. »Médicis s'est troublée, elle a cru même entendreL'ordre d'un Dieu vengeur qui tonnant par ma voix,Venait, le glaive en main, lui prescrire ses Lois.J'ai saisi ce moment d'erreur et de faiblesse, Pour perdre un ennemi dont l'aspect seul me blesse ;D'un trouble précieux, enfin, j'ai profité,Elle a signé l'arrêt que ma bouche a dicté.La crainte, l'intérêt, un fanatique zèle,Aveugles instruments, servent tous ma querelle. Médicis, pense donc qu'un saint emportement,Me fait des Novateurs presser le châtiment ;Sur moi se reposant du soin de l'entreprise,Elle feint de venger et l'État et l'Église;Mais moi, qui de son coeur sus toujours arracher Les secrets mouvements qu'elle y voudrait cacher,Je n'y vois que l'ardeur de se venger soi-même,D'abaisser un rival jaloux du rang suprême,Qui, s'il ne succombait, l'entraînerait un jour.Dans ses déguisements je l'imite à mon tour ; Que ma haine, à ses yeux, du Ciel semble guidée ;Laissons la s'endormir dans cette heureuse idée :Du feu de l'encensoir allumons les flambeaux,Qui, par nous préparés dans la nuit des complots,Et brûlants aujourd'hui de flammes immortelles, Vont, d'un embrasement semer les étincelles ;Puisse-t-il extirper cet orgueilleux Parti,[Note : Hydre de Lerne : serpent monstrueux né de Typhon et d'Echidna, séjournait dans les eaux du lac de L'Herne en Argolide. Il avait sept têtes, et chacune repoussait à mesure qu'on la coupait, à moins qu'on ne brulât immédiatement la plaie. Hercule en délivrera la terre, c'est un de ses douze travaux. [B].]Cet hydre si puissant, qui loin d'être affaibliDes pertes de ce sang dont il souilla la France,Reprenait sous nos coups la vie et la vengeance. Poursuivons à couvrir de ce masque sacré,Les blessures d'un coeur par l'envie ulcéré ;J'intéresse le Ciel, Médicis, la Patrie,Quand je suis le Dieu seul, au quel on sacrifie ;La victime à mes coups ne saurait échapper, L'autel, le fer est prêt, et mon bras va frapper...Près de moi, qu'en ces lieux Bême tarde à se rendre !...Qui peut ?... Mais le voici. SCÈNE II. Hamilton, Bême. HAMILTON. Parle, ami, dois-je attendreQue j'aurai des vengeurs, dociles à mon gré? BÊME. Tous sauront obéir, et d'un bras assuré, Servant Rome, Paris, Médicis, et vous-même,Frapper, combattre, vaincre, ou mourir avec BêmeLes uns que du bandeau de la Religion,Ont couverts l'ignorance et la soumission,Ces âmes, saintement aux Prêtres asservies, Prodigueront pour vous leur fortune et leurs vies ;Ces autres dont le meurtre est l'unique trafic,Assassins par état, qu'achète le public,Avares d'un sang vil qu'ils vendent à l'enchère,À prix d'or m'ont livré leur fureur mercenaire ; J'ai su vous acquérir et leurs coeurs et leurs bras,Leur prêtant des transports qu'ils ne ressentaient pas,L'intérêt m'a soumis, ce que la foi, le zèle,À leurs impressions ont pu trouver rebelle.Par ces divers liens, par ces puissants ressorts, De membres désunis je n'ai formé qu'un corps,Qui plein de ce courroux dont l'ardeur vous enflamme,Pour servir vos desseins semble avoir pris votre âme,Gondi, Nevers, Bussi, Tavanne, Desadrêts,Enivrés par devoir de l'amour des forfaits, À grands cris, leur nommant le Ciel et la Patrie,Les premiers, à leur tête, excitent leur furie ;Et vous les allez voir.... mais ce courage altierCe front audacieux..... HAMILTON. Connais-moi tout entier :Soumis au préjugé, l'imbécile vulgaire Repousse le flambeau dont la raison l'éclaire ;Toujours de l'ignorance épaississant la nuit,Par de fausses lueurs il est toujours séduit;Ne connaissant de Dieu que l'usage, et ses Prêtres,Il suit l'étroit chemin frayé par ses ancêtres; De ses faibles aïeux servile imitateur,Catholique idolâtre, aveugle adorateur ;Courbé sous notre joug, rampant dans la poussière,Il n'ose s'élever jusques au sanctuaire ;Pour lui tout est mystère, il craint de pénétrer Des secrets que nous seuls avons droit d'éclairer ;Esclave qu'asservit notre main souveraineIl pense qu'avec nous, le Ciel forma sa chaîne ;Que fuyant les grandeurs, à l'ombre des autelsNous vivons séparés du reste des mortels; [Note : Cilice : Ceinture de crin qu'on porte sur la peau par mortification. Porter le cilice. Affliger son corps de cilices et de jeûnes. [L]]Que nés pour la prière, et couverts d'un ciliceNous consumons nos jours dans ce vil exercice :Que le Ciel se fermant, s'ouvrant à notre voix,Lui fait grâce ou justice au gré de notre choix ;D'une main complaisante, et d'une âme ingénue, Baissant le voile épais qu'on jette sur leur vue,Dans ce sommeil d'erreur se retenant plongés,Ils se chargent de fers qu'eux-mêmes ils ont forgés ;Toujours prêts à nous croire, avides de merveilles ;Nous fascinons leurs yeux, nous charmons leurs oreilles ; Par de stériles voeux, par des prodiges vains,Nous subjuguons leurs coeurs, nous réglons leurs destins :Tout ce qui les surprend ils l'appellent miracle,Tout ce qui nous dictons ils le nomment oracle ;Cachant à leurs regards les traits que nous lançons, Nous sommes innocents quand nous le paraissons :Du soupçon même exempts, ce peuple né créduleDès que nous ordonnons, obéit sans scrupule ;C'est un corps qui soumis à nos impressions,Reçoit avidement nos goûts, nos passions ; Pétrie à notre gré, cette matière vile,Ce limon sous nos mains prend d'une âme docile,D'un seul mot arrêtant ou mouvant ses ressorts,Nous pouvons retenir ou hâter ses transports,Et conservant toujours un heureux despotisme, Y transmettre à propos l'esprit du Fanatisme.D'un sexe encor plus faible, idoles qu'il chérit,Nous gagnons à la fois son coeur et son esprit ;Haïs, mais craints des Grands, et toujours redoutables,Amis intéressés, ennemis implacables, Élevant jusqu'aux Cieux ceux que nous protégeons,Plongeant dans les enfers ceux dont nous nous vengeons ;Chefs sans camp, Rois sans trône, et Dieux de tous les hommes,En tous lieux, en tout temps, voilà ce que nous sommes.Sachons donc profiter de cet heureux pouvoir, Faisons briller tous deux le glaive et l'encensoir.Faut-il qu'un seul instant Coligny vive encore ?Ce n'est point son erreur, c'est lui seul que j'abhorre ;Mon oeil jaloux, surprit, dans cet altier rival,Des talents, dont l'emploi m'eut été trop fatal : Je hais ce sang, ce nom aux Guises formidable ;Voila tous les forfaits qui le rendent coupable :Voila pour quel sujet j'ai dû le condamner; Il est à craindre, enfin, comment lui pardonner? BÊME. Vous ne le craindrez plus, sa perte est assurée, Au couteau qui l'attend la victime est livrée;Cette nuit va bientôt combler tous vos souhaits,Mais du pied des autels faisant partir vos traits,Contents de recueillir le fruit du parricide,Laissez à notre bras immoler ce perfide.... HAMILTON. Non, mon coeur veut goûter le crime tout entier,Ce meurtre est un plaisir que je dois t'envier,Qu'il me soit réservé. BÊME. Mais que dira la FranceDe voir un Prêtre armé du fer de la vengeance ? HAMILTON. [Note : L'esprit de Fanatisme s'étend si loin que dans la suite on mit au rang des Saints Jaques Clément, assassin de Henri III. [NdA]]Loin de me condamner, sa voix m'applaudira Entre ses nouveaux Saints elle me placera,L'encens en mon honneur fumera dans ses TemplesMes forfaits consacrés lui serviront d'exemples ;Eh ! Ne connais-tu pas les droits et les fureurs,Que la Religion permet à ses vengeurs ? Car de ce nom sacré je prétexte ma cause,Je sais tout ce qu'il peut, et combien il impose ;Qu'étouffant, détruisant tout sentiment humain,[Note : Airain : Avoir un coeur d'airain, être impitoyable. [L]]Du coeur le plus sensible, il fait un coeur d'airain;Transforme l'homme même en un monstre farouche, Qu'hors ses noires fureurs rien n'émeut et ne touche;Laissons donc éclater un zèle impétueux,Déchaînons, élançons ces tigres furieuxDont les rugissements nous demandent leur proie,Et dans des flots de sang que leur rage se noie; N'attendons pas, ami, que ses premiers transportsSoient refroidis, éteints par de lâches remords:Enfants de l'habitude, ou plutôt de la crainte,Et qui d'un faible coeur à nos yeux sont l'empreinte,Saisissons des instants si chers à mon courroux, On ne vient point encor... je crains... BÊME. Que craignez-vous?Je vous l'ai déjà dit, dès que la nuit plus sombre,Qui bientôt en ces lieux va répandre son ombre,Aura vu s'éclipser ces rayons expirants,Vous verrez accourir les flots impatients, D'un peuple de vengeurs qu'assemble un même zèle.Mais écouterez-vous l'ami le plus fidèle ?Car vous ne doutez pas que je vous sois liéPar des noeuds éternels qu'a serrés l'amitié ;Né, nourri sous vos yeux, dès ma plus tendre enfance, Je vous fus dévoué par la reconnaissance :Oui, je n'ai d'autre Dieu que le seul Hamilton,Souffrez qu'en votre sein je dépose un soupçon,Pensez vous échapper aux regards de la Reine,Si ses yeux vont s'ouvrir votre perte est certaine... HAMILTON. Je saurai les fermer ; élevé dans la Cour,À travers cette nuit je distingue le jour ;Au milieu des périls j'appris longtemps à vivre,Longtemps j'ai parcouru les détours qu'il faut suivre ;Cette mer à la vue offre un calme trompeur, On ne peut y voguer qu'au gré de la faveur,Souvent le moindre souffle en ride la surface,Le bonheur trop rapide entraîne à la disgrâce:Le caprice du Peuple et la haine des Grands,Sans cesse de l'envie y déchaînent les vents : J'ai su, Pilote adroit, échappé des naufrages,Céder, ou faire tête à différents orages;Et m'assurant un port contre tant de rivaux,Détruire sourdement ou former des complots.Cet art ne suffit point, ma politique habile, Chaque jour étudie un art bien plus utile;La science du coeur, j'en sonde les replis,Dans ce livre profond sans cesse je relis.Je connais Médicis, épouse impérieuse,[Note : Quelques Auteurs prétendent que Médicis fit empoisonner Charles IX, et qu'elle dit au Duc d'Anjou, depuis Henri III, qui partait pour être Roi de Pologne : Allez, mon fils, vous n'y serez pas longtemps. [NdA] ]Mère dénaturée et Reine ambitieuse Égalant en un mot les plus fameux héros,Si son coeur se montrant criminel à proposSelon le temps, savait se découvrir et feindre ;Mais elle est femme, ami, ce trait doit te dépeindreLes faiblesses d'un sexe, inhabile à régner, Et qui ne fût jamais servir ni gouverner.Trop faible pour porter le poids du diadème,Traînant ses jours obscurs dans l'oubli de soi-même,Et docile instrument qu'elle emploie au forfaitToujours enfant, son fils est son premier sujet. Je ne te parle point d'un vil ramas d'esclaves,Se disputant l'honneur de porter des entraves;De ces indignes Grands, qui, plébéiens des Cours,De l'âme de leur Roi sont animés toujours.Veux-tu qu'à tes regards, ouvrant mon âme entière, Je lève ce bandeau qui me cache au vulgaire :Tu connais des humains les superstitions,Ces préjugés puissants dont nous nous appuyons ;Tu sais que de tout temps Paris fléchit sous Rome,C'est là que ces chrétiens déifiant un homme, Couchés dans la poussière attendent ses arrêts,Et pensent d'un Dieu même entendre les décrets :Par lui, le Ciel stérile, ou fécond en miracles,Paraît ou refuser ou rendre ses oracles ;Son trône est un autel, ses armes l'encensoir, Des voeux seuls ses combats, la fourbe son pouvoir;D'un seul mot il éteint ou rallume sa foudre,Jouît du droit sacré de punir et d'absoudre;Et plus que les Césars étendant ses grandeurs,Un Pontife asservit les esprits et les coeurs. Quelle couronne égale un triple diadème,Dont la Religion ceint le front elle-même !Bême, que cet éclat me paraît enchanteur !L'orgueil de son poison vient enivrer mon coeur ;Vois donc tous les transports où mon âme s'égare, [Note : Tiare : Grand bonnet que porte le pape dans les grandes cérémonies, et autour duquel sont trois couronnes d'or enrichies de pierreries, avec un globe surmonté d'une croix. Les trois couronnes qui ont été ajoutées l'une à l'autre en différents temps, marquent que l'autorité pontificale s'étend sur les trois Églises, la militante, la souffrante et la triomphante. [L]]Je dévore en secret l'honneur de la tiare.Voila l'unique place où tendent mes souhaits,La grandeur n'a pour moi que d'impuissants attraits,Si le sort m'arrêtant dans ma vaste carrière,De ce Trône sacré me ferme la barrière. BÊME. À ce suprême rang qui peut vous élever ? HAMILTON. Médicis. C'est un prix qu'elle doit réserverÀ trente ans de travaux, de services, de brigues,Dont mon heureuse adresse appuya ses intrigues :Il me faut aujourd'hui fléchir et demander, Mais à mon tour un jour je pourrai commander. Le théâtre s'obscurcit.Déjà l'obscurité dans ces murs nous devance,Sur les pas de la nuit la victoire s'avance,Que ma vengeance encor l'accuse de lenteur !Ce temps ne vole point au gré de ma fureur ; [Note : On fit bâter d'une demi-heure la cloche du Palais par celle de Saint-Germain de l'Auxerrois. [NdA]]Par un nouveau signal hâtons le sacrifice,Précipitons l'instant marqué pour ce supplice;Qui... mais j'entends du bruit... songe à dissimulerLes secrets qu'Hamilton vient de te révéler ;Bême imite ma feinte, et changeant de langage, Montrons-nous s'il se peut sous un autre visage;Ces ombres, l'appareil que je dois déployer,Un serment solennel dont les noeuds vont lierDes mortels pleins déjà de l'ivresse du crime,Tout leur inspirera le courroux qui m'anime,... Ils marchent vers ces lieux..... SCÈNE III. Hamilton, Beme, Nevers, Gondi, Bussi, Tavanne, Des Adrets, Les Conjurés. HAMILTON. Ô dignes Citoyens,Vous, qui seuls méritez le nom de vrais Chrétiens ;Des vengeances d'un Dieu, Ministres respectables,D'obéir à son gré vous sentez-vous capables ?Fermes dans vos desseins saurez-vous triompher, Des remords que le Ciel ordonne d'étouffer ?Promettez-vous enfin de venger son injure,D'écouter le devoir, de dompter la nature,D'être tout à ce Dieu qui par un heureux choix,Verse en vous ses fureurs et vous dicte ses lois. NEVERS. Nous brûlons d'obéir, parlez, que faut-il faire ? HAMILTON. Répandre un sang scellé du sceau de sa colère,En abreuver vos coeurs, percer des ennemisIvres d'un fol orgueil, dans le crime endormis,Enfoncer sans frémir dans le sein de ces traîtres, Des poignards consacrés par la main de vos prêtres;Fussent vos bienfaiteurs, vos amis, vos parents,Je dirai plus encor, vos pères, vos enfants,Levez le bras, frappez, point de remords de grâce,Faites des Reprouvés disparaître la race ; L'Ange exterminateur volera devant vous,Aiguisera les traits émoussés sous vos coups ;Et dans vous, ranimant ces désirs magnanimesDe combattre, de vaincre et de punir les crimesArmé du fer vengeur, lui-même il frappera Le sein de l'ennemi qui vous échappera.Étouffez donc les cris d'une pitié vulgaire,Songez que vous n'avez d'ami, de fils, de pèreQue ce Dieu tout-puissant qui vous créa pour luiQui par ma bouche enfin vous commande aujourd'hui Craignez de l'outrager par de lâches faiblesses,S'il ne peut vous toucher par de saintes promesses,Que vous ne sentiez point le prix de ses bienfaitsDu moins de son courroux redoutez les effets :À mériter ses dons s'il ne peut vous contraindre, Si vous ne l'aimez point apprenez à le craindre ;[Note : La malédiction dont Dieu, par la bouche de Samuel accabla Saül, pour avoir épargné Agag Roi des Amalécites. [NdA] ]Apprenez que Saül, pour avoir balancé D'exécuter l'arrêt par ce Dieu prononcé,Pour avoir un moment manqué d'obéissance,Par d'affreux châtiments signala sa vengeance. Que dès qu'on l'interroge on devient criminel. BUSSI, aux Conjurés. Amis, je crois entendre un nouveau Samuel. DESADRETS. Disposez de nos bras, disposez de notre âme,Que la Religion nous guide, nous enflamme,Nous attendons de vous ces glaives assassins, Instruments de la mort, qu'ont dû bénir vos mains. TAVANNE, tout troublé. Pardonnez, de mes sens la faiblesse s'empareDaignez me rassurer, me rendre assez barbarePour ne point écouter de secrets mouvements,Du préjugé sans doute imbéciles enfants ; Une touchante voix au fond du coeur me crie," Arrête, malheureux... Quelle aveugle furiePrécipite tes pas au devant des forfaits,Te rend l'exécuteur des plus affreux décrets ?Crois-tu servir le Ciel en égorgeant tes frères, Qu'il reçoive tes voeux, tes horribles prières,Qu'il exige le sang de tes concitoyens ?Connais mieux les devoirs, le Dieu des vrais Chrétiens,Vois ses propres enfants dans ces tristes victimes...Non, il n'est point de Dieu qui commande les crimes..." Tel est mon désespoir, mon trouble, mes combats,Mélange de transports que je ne conçois pas ;Il semble que deux Dieux tour à tour me maîtrisent,Dans mon coeur, tour à tour, renaissent, se détruisent...Déterminez mon âme, arrachez moi ce coeur, Qui frémit d'embrasser une juste fureur ;Demandez à ce Dieu que j'offense peut-être,Que de mes sentiments il se rende le maître ;Que faire... ô Ciel... HAMILTON. Le fond du théâtre s'ouvre et laisse voir des Autels sur lequel sont des poignards.Tomber au pied de cet autel,Implorer ton pardon, désarmer l'Éternel, Qui sur tête impie eût fait tomber sa foudre,Si fléchi par ma voix il n'eut daigné t'absoudre ;Par un heureux remords mérite ce pardon. Aux autres Conjurés.Vous, sacrés défenseurs de la Religion,Venez à cet autel, dans les mains de Dieu même, Prêt à lancer par vous la mort et l'anathème;Venez renouveler vos serments et vos voeux. Ils approchent tous vers l'autel. TAVANNE. Oui, ce saint appareil a dessillé mes yeux,Un courage divin succède à ma faiblesse;Oui, la Religion de mes sens est maîtresse, Ce coeur qu'elle affermit n'a plus rien de l'humain. Il va prendre lui-même sur l'autel un poignard.Donnez, donnez un fer à mon avide main... HAMILTON, distribuant les poignards. Baignez-vous dans le sang, c'est là l'unique offrande,Qui soit digne du Ciel, et que le Ciel demande,Armez-vous de ces traits que Rome a consacrés, Ils ne pourront porter que des coups assurés ;Baisez avec respect ces glaives homicides... BUSSI. Règne notre Loi seule, et meurent les perfides ! NEVERS, se met à genoux en posant une de ses mains sur l'autel, et de l'autre tenant son poignard. Dieu qui nous connaissez, nous jurons à genoux,De vivre, de combattre, et de mourir pour vous De la Divinité la foudre est le partage,Tonnez, montrez-vous Dieu, déchirez cet ouvrageIndigne de la main qui l'a daigné formerDe l'esprit des Martyrs venez nous animer,Parmi ses saints vengeurs que la France nous nomme, Et n'ayons de parents que les amis de Rome. GONDI, mettant aussi sa main sur l'autel. Partageant avec toi ces nobles sentiments,Nous nous lions à Dieu par les mêmes serments. BUSSI. C'est trop nous arrêter, amis, le temps s'écoule,L'heure fuit. DESADRETS. Courrons donc, GONDI. Frappons. TAVANNE. Que le sang coule. NEVERS. Enveloppons ces murs de la nuit du trépas, TAVANNE. Épouvantons Paris par des assassinats,Et que la France enfin avouant nos conquêtes,Consacre ce grand jour par d'éternelles fêtes.... HAMILTON. Votre Roi vous remet les biens de ces proscrits, D'une sainte vengeance ils sont le nouveau prix ;[Note : Les Indulgences et Agnus Dei [NdA] ]Et celui qui du Ciel dispense les largessesVous promet à son tour d'immortelles richesses,Trésors que votre sang ne peut assez payer ; Il prend un Crucifix sur l'autel et le leur montre.Surtout, à ce signal, sachez vous rallier ; Des prêtres d'Israël je suivrai les exemples,Le sang dût-il souiller les marbres de nos Temples,Nul asile à mes coups n'opposera ses lois ;Vous, allez... qu'à la nuit témoin de vos exploits,Jaloux de cet honneur, l'astre du jour envie, L'aspect du châtiment d'une secte ennemieObéîssez. SCÈNE IV. Hamilton, Bême. HAMILTON, un crucifix d'une main, et un poignard de l'autre. Et toi, digne ami d'Hamilton,Au gré de mes transports sers mon ambition ;Par ton exemple échauffe, aux meurtres, au carnage,Ces organes grossiers où j'ai soufflé ma rage ; Sur tant d'esprits divers admire mon pouvoir,Et combien de ressorts il m'a fallu mouvoir ;Commençons par frapper de vulgaires victimes,Sur un peuple essayons notre bras et nos crimes,Et certains du succès revenons dans ces murs Sur son chef orgueilleux porter des coups plus sûrs ;Des noms les plus affreux que l'Univers me nomme,Voila le seul chemin qui peut conduire à Rome. ACTE II SCÈNE I. Marcillac, Lavardin. MARSILLAC. Ô Mon cher Lavardin, où courir, où trouverCe Héros malheureux que nous devons sauver ? N'arracherons-nous point à cette nuit de crimes,La plus illustre, Ô Ciel, de toutes les victimes ;Dans ce massacre affreux envelopperais-tuCelui qui des mortels a le plus de vertu ? LAVARDIN. Pour lui nous donnerions nos biens et notre vie, Si d'avides bourreaux repaissant la furie,Rassasiant des coeurs affamés de forfaits,Ils pouvaient de ses jours détourner tant de traits,Oui, pour le secourir, je suis prêt à tout faire. MARSILLAC. Si Coligny périt nous n'avons plus de père ; Mais, t'es-tu pénétré de l'excès de nos maux,As-tu bien contemplé ces horribles tableaux,Qui montrent à quel point l'esprit humain s'égare,Quand par Religion le coeur se rend barbare ;Tes yeux sur ta famille attachant tous tes soins Du comble des revers n'ont point été témoins :Il faut donc te tracer ces sanglantes images,Cette nuit de terreurs, de meurtres, de ravages ;Nos autels renversés, nos temples démolis,Sous leurs débris brûlants nos toits ensevelis ; Le glaive étincelant, mille flambeaux funèbres,Par un jour plus affreux faisant fuir les ténèbres.La vengeance et la mort volant de toutes parts,Nos frères massacrés aux pieds de ces remparts,En criant à ce Roi, qui loin de les entendre, Tranquille, voit couler un sang qu'il sait répandre ;Peindrai-je à tes regards tout un peuple acharné,S'abreuvant de ce sang que Rome a condamné;L'appareil des tourments que sa main nous apprête,Le zèle à chaque instant grossissant la tempête, D'innombrables soldats les flots séditieux,Entraînant le tumulte et le crime après eux;Gondi, Névers, Tavanne, et Desadrêts, et Bême,Au carnage animés, pousses par Guise même,Égorgeant sans pitié, leurs amis, leurs parents, Au pied des saints autels de leur foi vains garants ;Des meurtriers ardents, des troupes fugitives,Des vieillards éperdus près des femmes craintives,Des débris entassés de morts et de mourants,Sur les fils égorgés les pères expirants, Dans les bras des époux les épouses tremblantes,Les enfants dans le sein de leurs mères sanglantes,Cherchant contre le glaive un asile assuré,Y trouvant le trépas qui leur est préparé ;Leurs temples profanés, la Seine ensanglantée, À des crimes nouveaux la vengeance excitée,Paris enfin théâtre, où toutes les horreursDe la Religion consacrent les fureurs.Cependant Médicis pour frapper ses victimes,Paraît du haut du Louvre appeler tous les crimes ; Ministres de sa haine et dignes de son choix,Tous semblent accourir à sa terrible voix :D'un coup d'oeil elle arrête ou hâte la furie:De ce peuple échauffé, plein de sa barbarie,Des bourreaux fatigués ranime le courroux, Et marque à chacun d'eux la place de ses coups ;Tout couvert de son sang, de poudre, de blessures,Soubise en expirant a vengé ses injures,Ce peuple avide encor, même après son trépas,Dans son coeur palpitant lisait ses attentats; [Note : Les Dames de la Cour de Médicis, dignes de leur maîtresse, allèrent voir le cadavre de Soubise. [NdA]]Qui le croirait enfin ? Ce sexe né sensibleArrêtait ses regards sur cet objet terrible.Prodige de vengeance, il voulait à loisirRassasier ses sens d'un si cruel plaisir.Peut-il en goûter d'autre auprès d'une maîtresse, Dont l'exemple inhumain a séduit sa faiblesse ;Aveugle en ses transports, sans vice, sans vertu,Ce sexe par l'usage est toujours prévenu.Ami, c'est encor peu de ces excès horriblesOù se livrent des coeurs par devoir inflexibles, C'est peu que ce Palais, la demeure des Rois,Temple, où souvent par eux le Ciel dicta ses lois,Soit en proie aux fureurs des plus vils fanatiques,Que des traces de sang souillant ces saints portiques,L'asile des humains devienne leur tombeau, [Note : Charles IX tira lui-même sur les Huguenots. [NdA] ]Le Roi... le Roi lui-même est le premier bourreau... LAVARDIN. Lui ! Qui devrait plutôt se montrer notre père,Ô Ciel ! MARSILLAC. Ami, le fils est digne de la mère,Comme elle, des traités il sait garder la foi ;Plus criminels encor que ce coupable Roi, Ses lâches favoris hautement applaudissent.À tant de cruautés dont tout bas ils frémissent ;Et d'un Prince imbécile égarant les transports,De cette âme incertaine écartent les remords. LAVARDIN. Tel est du courtisan la bassesse ordinaire, L'ouvrage de ses Rois, en tout il les révère ;Du nom de Dieu souvent honore un vil humainQui doit tout son éclat au nom de Souverain :Du Trône où l'éleva le sort ou la victoire,Dans la nuit de la tombe entraîne-t-il sa gloire ? Son culte est aboli, ses autels renversés,De la servile main qui les avait dressés.Au Monarque nouveau consacrant d'autres temples,Ces Grands d'une autre Cour adoptant les exemples,Brisent l'antique idole, et foulent à leurs pieds, Les images du Dieu qui les avait créés. MARSILLAC. Les prêtres à nos yeux dérobaient le nuageQui dans l'ombre du crime enfantait cet orage :Apprends, ô Lavardin, leur dernier attentat,Le comble des horreurs, la honte de l'État : [Note : Les Prêtres et les Moines couraient dans les murs de Paris exciter au carnage une vile populace. [NdA] ]Une croix à la main ces monstres homicides,Applaudissent aux uns, nomment lâches, timides,Ces autres dont les bras sont indéterminés;On les entend crier « Frappez, exterminez,Ce sont des Factieux, ce sont des Hérétiques, Leurs zélés assassins montrez vous Catholiques;Voyez les Cieux ouverts, les peuples éternels,Dieu, qui jette sur vous des regards paternels;Il ne veut d'autre encens, d'autres voeux, d'autre hommage,Que la destruction d'un peuple qui l'outrage. » Ranimés à la voix de ces Prêtres menteurs,Soudain les meurtriers reprennent leurs fureurs ;Plus barbares qu'eux tous, ces indignes Ministres,De tant de trahisons seuls conseillers sinistres,Réveillent la vengeance en attisent le feu, Et sous des traits cruels défigurant ce Dieu,Voulant peindre à la fois tous les crimes ensemble,Ils en forment, hélas ! un Dieu qui leur ressemble !Ces Pasteurs qu'autrefois on vit si bienfaisants,D'un malheureux troupeau sont les loups dévorants. Tyrans qui pour régner sur ce peuple idolâtre,Soufflez dans tous les coeurs un zèle opiniâtre,En vain vous nous voulez imposer une loi,Qui trahit les serments, la nature, la foi,Vos crimes, ni le fer ne sauraient nous convaincre, Et c'est par la vertu qu'on a droit de nous vaincre ;Que d'autres sentiments viennent vous animer,Annoncez-nous un Dieu que nous puissions aimer ;Qui d'un égal amour chérisse ses ouvrages,Voie en tous ses enfants autant de ses images; Et si par un faux jour nos yeux sont égarés,Est-ce en nous égorgeant que vous les ouvrirez ? LAVARDIN. Ah ! Votre loi sans doute est la loi véritable,Nous adorons un Dieu bienfaisant, équitable,Eh! nous punirait-il quand maître de ce coeur, Il éclaire ses pas, ou l'entraîne à l'erreur :Peut-il nous accabler du poids de sa vengeance,S'il nous rend criminels, même avant la naissance ?Non ; ce Dieu plus clément veut tous nous rendre heureux,On n'est point dans l'erreur dès qu'on est vertueux. MARSILLAC. Entends les hurlements de ce monstre sauvage,Dont la haine pour nous est un droit d'héritage ;De ce peuple au carnage, échauffé par devoirDe sa Religion tel est l'affreux pouvoir !En vain de ce Dieu même attestant la puissance, Il l'a rendu garant d'une vaine alliance;Sur la foi des Traités, nos frères endormis,Livrés par le sommeil aux glaives ennemis,De ses bras vont passer dans l'horreur des supplices,Et de leur sang proscrit sceller tant d'injustices. Hymen, dont les liens rassuraient notre sort,Tes flambeaux sont pour nous les torches de la mort :Nuit ! À tant de forfaits dérobe tes ténèbres,Laisse éclairer au jour ces vengeances célèbres.Le bruit redouble... Ami quitterons-nous ces lieux, En doutant des destins d'un vieillard malheureux ;Bientôt de ce palais on brisera les portes,Bientôt Guise, Hamilton, suivis de leurs cohortes,Et du sang le plus pur teignant ces murs sacrés,Vont rompre tous les noeuds qu'eux-mêmes ils ont serrés. De la foudre qui gronde éloignons la menace,D'un peuple de tyrans, allons braver l'audace;Le fer que sur nos jours lève l'impiétéTombera pour frapper ceux qui l'ont excité...Où chercher Coligny dans ce désordre horrible? Ciel ! Comme nos bourreaux seriez-vous insensible ? SCÈNE II. Coligny, Marsillac, Lavardin. COLIGNY dans l'enfoncement du Théatre, et sans voir Marsillac et Lavardin. Où portai-je mes pas... Où suis-je... Quel réveil ?...Quels cris se font entendre au milieu du sommeil ?...Le trouble malgré moi de mon âme s'empare... MARSILLAC, sans voir COLIGNY. Aurait-il succombé sous ce peuple barbare ? COLIGNY. Marsillac ! Lavardin ! Dans l'ombre de la nuit ! MARSILLAC, sans voir Coligny. Courrons... Voyant Coligny.Fuyez, Seigneur, Médicis nous trahit. COLIGNY. Que dites-vous..... MARSILLAC. Fuyez à des mains meurtrières,On rompt tous les serments, on égorge nos frères. COLIGNY. Ô Ciel ! Expliquez-vous. MARSILLAC. Nous sommes tous perdus, Nos fortunes, nos jours aux tyrans sont vendus ;La mort étend sur nous ses effroyables ailes,De la flamme en tous lieux semant les étincellesLa vengeance à grands cris appelle ses bourreaux,Sous nos pas égarés s'entrouvrent nos tombeaux. Tout périt sous le fer, fils, époux, mère, fille,Et nous ne sommes plus qu'une triste famille,Qui ne voyant que vous en ce commun danger,Ne sent que vos maux seuls et veut les soulager ;Nous mourrons satisfaits si notre heureux courage De vos jours menacés peut écarter l'orage,Venez, venez, Seigneur, fuyez de ce palais,Dérobez votre tête an comble des forfaits ;D'un vulgaire grossier vous connaissez le zèle,Vous savez jusqu'où va son ardeur criminelle ; Quand de Rome et des Rois sacrilège instrument,Il joint le Fanatisme à son aveuglement:Quand il pense obéir à ce Dieu qu'il outrage,Je crains sa piété plus encor que sa rage. COLIGNY. À peine je respire... Ô honte... Ô trahison.... Souffriras-tu, grand Dieu, qu'on souille ainsi ton nom,Amis... quoi!... Médicis... est-elle si coupable !...De tant de lâchetés son coeur serait capable ?Médicis.... LAVARDIN. Ah ! C'est peu qu'on nous manque de foi,Nous sommes immolés des mains mêmes du Roi ! COLIGNY. Qu'entends-je ? MARSILLAC. De ces lieux que la foudre environnePuissions-nous vous sauver... Fuyez tout vous l'ordonne...Vivez, vivez, Seigneur, et laissez nous périr... COLIGNY. Vous êtes donc les seuls qui sachiez mourir.Est-ce vous qui parlez ?... Osez-vous méconnaitre, Celui que votre choix daigna nommer pour maître ;Vous ?... M'ordonner de fuir ?... À moi ? Dans les combats,M'a-t-on vu reculer à l'aspect du trépas ?[Note : Coligny fut assez l'égal du Prince d'Orange [Charles Ier] pour le malheur, quoiqu'il fût comme lui habile capitaine. [NdA] ]Si quelquefois le sort trompa mon espérance,Avez-vous dû jamais accuser ma vaillance ? Condé m'a-t-il offert des exemples pareils ?Condé m'eut-il donné de semblables conseils ?Vous voulez que je vive, eh ! Qu'est-ce que la vieQuand elle est rachetée au prix de l'infâmie ?Vous craignez mon trépas, eh ! Qu'est-ce que la mort ? Je n'y vois que la fin d'un déplorable sort.Je n'ai qu'un jour à vivre, à secourir nos frèresAinsi que soixante ans de travaux, de misères,Il est tout pour vous seuls, ce jour est votre bien ;Mon honneur, mon devoir seront toujours le mien : Oui, pour vous, ranimant une froide vieillesseMon zèle de mon bras rassurant la faiblesse,Vous me verriez courir dès ce même moment,Vous défendre, ou du moins mourir en vous servant ;Mais dois-je de la Reine imitant le parjure, Fouler comme elle aux pieds les lois et la nature ?Je suis à notre peuple, ils sont tous mes enfants ;Mais, amis, avant tout je suis à nos serments. MARSILLAC. Eh ! Quels sont ces serments quand une indigne Reine,Après l'avoir formée en a rompu la chaîne ? À qui tenez vous donc votre parole ? COLIGNY. À moi.De moi-même garant, je m'engageai ma foi,Et Coligny toujours à la vertu fidèle,Ne prend point pour exemple un coupable modèle ;Je cours à Médicis... MARSILLAC l'arrêtant. Vous courrez à la mort. COLIGNY. Que je sauve ce peuple et je bénis mon sort. LAVARDIN. Et pour qui vivrait-il si vous perdez la vie ? COLIGNY. Pour vous, en qui le Ciel lui laisse sa patrie,Dans vous je revivrai... Marsillac, Lavardin,Adieu, je vais remplir mes voeux et mon destin ; Moi-même à mes bourreaux je cours offrir ma têteOu détourner les coups que leur main vous apprête. MARSILLAC, voulant arrêter Coligny, qui est sur le point de sortir. Ah ! Seigneur... il m'échappe... SCÈNE III. Coligny, Teligni, Marsillac, Lavardin, Renel, Pardaillan, Querchi, suite de protestants, et tous les armes à la main. TELIGNI, l'épée à la main, et s'opposant au passage de Coligny. Où courrez-vous, Seigneur ?Allez-vous d'un vil peuple assouvir la fureur... MARSILLAC, à Lavardin. Ami, c'est Teligni que le Ciel nous envoie ! TELIGNI, montrant son épée. Ces armes jusqu'à vous m'ont ouvert une voie... COLIGNY. Ah, cruel, dans quel sang, ce fer s'est-il plongé ? TELIGNI. Je vis, et vous doutez si vous êtes vengé ? COLIGNY. Que dis-tu ? TELIGNI. Que mon bras eût frappé Charles mêmeSans respecter en lui les droits du diadème... Mais, que dis-je ces droits, l'ouvrage des vertus,Les aurais-je outragés ? L'ingrat les a perdus. COLIGNY. Et vous êtes mon fils ?... Quel horrible langage !Malheureux, où t'entraîne un aveugle courage ?Sont ce là les leçons que tu reçus de moi ? Charles est criminel, en est-il moins ton Roi ?Est-ce à toi de punir cet Illustre coupable ?Quoique souillé, son sang est toujours respectable ;Périssent les sujets qui sur leurs SouverainsPortent sans s'étonner de sacrilèges mains, Laissons, laissons à Rome enseigner ces maximes,[Note : Personne n'ignore l'autorité absolu, que les Papes autrefois s'étaient donnés sur les Rois, on en a vu des exemples mémorables, et surtout sous le règne de Henri III. et de Henri IV. etc. [NdA] ]Elle est accoutumée à de semblables crimes.Connaissez-mieux la loi de vos concitoyens,Soyons Hommes, mon fils, encore plus Chrétiens;Plaignons ces malheureux, qui séduits par leurs prêtres, N'épargnent point en nous le sang de leurs ancêtres,Défendons-nous des coups, mais ne les portons pas,Les vrais héros sont-ils ministres du trépas ?Je vais de Médicis arrêter la furie,Dans son coeur rappeler la nature bannie... Vous retenez mes pas ? TELIGNI, l'arrêtant. Vous voulez donc mourir ?Vous dédaignez la main qui vient vous secourir ?De quel nom désormais faut-il que je vous nomme ?Quoi, pour être héros doit-on cesser d'être homme ?Médicis, vous savez, redoute votre aspect, Tout jusqu'à vos vertus lui paraîtra suspect,Au fer des meurtriers vous vous livrez vous-même...Écoutez par ma bouche un peuple qui vous aime,Sur vos malheurs, vos yeux refusent de s'ouvrir ?Quel funeste bandeau peut encor les couvrir ? Loin de nous arrêter au joug qui nous opprime,Vous entraînez nos pas sur les bords de l'abîme,Si le crime sur vous se consomme aujourd'hui,Enfin, si vous mourez quel sera notre appui ?Vos jours infortunés ne sont-ils pas les nôtres Nous voyons vos dangers, en connaissons-nous d'autres ?Ah ! Mon père... Ah, Seigneur... Laissez-vous donc toucher ?Au coup qui vous attend laissez-vous arracher !Vivez pour Teligni, vivez pour votre fille,Pour tous ces citoyens qui sont votre famille, Venez, suivez nos pas, que nous mettions vos joursÀ l'abri du péril qui s'approche toujours ;Eh bien, puis-je obtenir la grâce que j'espère,Dans Coligny mes pleurs trouveront ils mon père ?À tes genoux sacrés vois tomber Teligni... Parle, enfin, qui des deux l'emporte.... COLIGNY, le regardant d'un oeil assuré et se retirant. Coligny. MARSILLAC, voulant l'arrêter. Arrêtez !... Arrêtez !... COLIGNY d'un ton assuré. Suis-je encor votre maître ? Marsillac et Teligni restent interdits. SCÈNE IV. Teligni, Marsillac, Lavardin, Renel, Pardaillan, Querchi, Suite de Protestants les Armes à la main. TELIGNI. Quelle est cette vertu que je ne puis connaître...Je Je laisse échapper... Ce front majestueuxEnchaîne malgré moi mon bras respectueux. Je ne puis lui fermer les chemins du supplice.Tu veux donc, Dieu cruel, que Coligny périsse ? PARDAILLAN. Ah, serait-il encor pour des coeurs innocents,Quand tout semble embrasser le parti des tyrans ? MARSILLAC. Osez-vous l'accuser de tant de perfidie ? Toujours du châtiment l'injustice est suivie,Et si ce Dieu vengeur diffère d'éclater,C'est pour mieux affermir les coups qu'il doit porter. TELIGNI. Ma valeur me soutient, si le Ciel m'abandonne,L'appareil de la mort n'aura rien qui m'étonne : Amis, par le remord le crime est abattu,Mais l'intrépidité suit toujours la vertu.Laissons à nos tyrans l'usage de la plainte,Ces regrets si honteux enfantés par la crainte ;Sachons de Médicis étonner la fureur ; Peut-elle de notre âme abaisser la grandeur ?En tombant sous ses coups, je veux qu'elle me craigne,Que l'Univers m'admire, et non pas qu'il me plaigne. RENEL. De ces nobles transports tu nous vois tous remplis. TELIGNI. Si Coligny périt, c'est fait de Médicis, Du Roi même... leur sang peut seul laver ce crime...Ma vengeance demande une grande victime,N'importe, après ma mort que la postéritéMe refuse l'honneur que j'aurai mérité,Qu'aux yeux du monde entier je paraisse coupable, Qu'il blâme une action que je crois équitable,Mon juge est mon devoir, lui seul peut prononcerUn arrêt, que mon coeur reçoit sans balancer. MARSILLAC. Votre devoir ! Ô Ciel... Mais Coligny sans douteDe la nature encor saura s'ouvrir la route.. Le glaive à son aspect tombera de leurs mains,La pitié rentrera dans ces coeurs inhumains,Le peuple... TELIGNI. Ignorez-vous son lâche caractère,L'espoir le fait parler, la crainte le fait taire,Imbécile, volage et superstitieux, Né pour ramper toujours sous un joug odieux,Prompt dans son amitié, mais plus prompt dans sa haine,Il suit avec transport le penchant qui l'entraîne ;Ennemi méprisable, ainsi que faible ami,Vertueux sans honneur, ou coupable à demi, Ces lions rugissants élancés par leurs prêtresNe reconnaissent plus que ces indignes maîtres,Eh, peut-on s'opposer à de saintes fureurs ?Coligny pense en vain adoucir nos malheurs,Mais il ne revient point... l'horreur du bruit redouble... Tout ne sert qu'à nourrir mes soupçons et mon trouble,....Éclaircissons la nuit qui couvre notre sort,Il nous reste un espoir. QUERCHI. Eh, quel est-il ? TELIGNI. La mort. ACTE III SCÈNE I. Coligny, Gardes. COLIGNY. On me retient captif. On m'arrête, et j'ignoreSi ma fille et mon fils tous deux vivent encore. Médicis veut jouir de ses cruels succès,De son appartement on m'interdit l'accès,Sur mes tristes destins tous gardent le silence !Ne puis-je rien savoir... UN GARDE. Dans notre obéissanceSur leurs ordres craignant d'interroger nos rois, Aveuglement soumis, nous recevons leurs lois,Nous les exécutons... La majesté suprêmeDoit être à nos regards l'image de Dieu même;C'est au maître à frapper, au sujet de mourir,Il ordonne, à son gré nous savons obéir, Nous n'examinons point ses arrêts respectables...Vous êtes criminels, dès qu'il vous croit coupables. COLIGNY. A d'autres sentiments me serais-je attendu ?Tu parles en esclave à ses tyrans vendu,Mais pense en homme libre, et dans de tels monarques Vois des plus vils humains les flétrissantes marques ;Dans ces Rois, vois plutôt des monstres criminelsQue leur impunité rend encor plus cruels.Tu dis que dans leurs traits Dieu se fait reconnaître,Eh, depuis quand ce Dieu se montre-t-il un traître ? Non, c'est par des vertus qu'ils en sont les portraits ;Ils n'ont d'autres trésors que les coeurs des sujets :Loin d'être un assassin, le vrai Roi n'est qu'un père,Son trône est un autel où chacun le révère ;Et le peuple à son tour par ses bienfaits soumis, Au respect du sujet, unit l'amour du fils ;Artisans de la fraude et ministres des crimes,Ouvrez les yeux, voyez quelles sont vos victimes,Quel sang étanche en vous cette soif des forfaits,Lorsqu'au pied des Autels, dans ce même palais, Au milieu de ces murs qu'ont bâtis nos ancêtres,À l'aspect de ce Dieu par la voix de vos prêtresVous prononcez l'arrêt qui doit nous rassembler,Traîtres, c'est pour nous perdre, et pour nous immoler.Quelle est donc votre loi ? La fourbe, l'avarice, Les infidélités, le meurtre, l'injustice,Par tous les attentats vos temples profanes,Ce sont là les vertus, que vous nous enseignez !Quels objets m'ont frappé ?... Quelle effroyable image !...Ô Rome, ô Médicis, est-ce la vôtre ouvrage ? Sont-ce là vos traités, ces noeuds qu'à vos autelsAvait formés la main des peuples immortels ?Rome jadis la Reine et la mère du Monde,Rome aujourd'hui marâtre, en tyrans si féconde,Plus idolâtre encor qu'aux temps de ses faux Dieux, Offre à leur successeur un encens odieux ;Et sous des noms sacrés colorant sa vengeance,Au rang de ses vertus n'a point mis la clémence.C'en est fait, Médicis à résolu ma mort,Et je touche au moment qui va finir mon sort... [Note : Il veut parler des Condés. [NdA] ]Ombres des grands Bourbons, ô vous mânes célèbresQui de la nuit des temps percerez les ténèbres,Vous que la vertu seule affranchit à jamais,De ce néant honteux qui n'est dû qu'aux forfaits,Ne puis-je à votre exemple aux champs de la victoire Arroser de mon sang les palmes de la gloire,Et de ce peuple ingrat me déclarant l'appui,Quand il tranche mes jours, vivre et mourir pour lui ? UN GARDE, à ses Compagnons. Cette grandeur m'étonne, hélas, un catholiqueN'a jamais ressenti ce courage héroïque, L'erreur inspire-t-elle un pareil sentiment ?La loi qui les condamne est dans l'aveuglement,De tant de fermeté si leurs coeurs sont capables,Eux seuls sont innocents, et nous sommes coupables. COLIGNY. Pourquoi faut-il, ô Dieu, que l'acier des bourreaux, En me frappant, ajoute à l'horreur de mes maux,Eh, ne puis-je moi-même en m'arrachant la vieSauver un sang si pur de cette ignominie,Et te rendre ce bien que j'ai reçu de toi, Il met la main sur la garde de son épée comme pour s'en frapper.Sans attendre une mort trop indigne de moi... Ah, pardonne, grand Dieu, j'offense ta justice,Je laisse à d'autres bras le soin de mon supplice,Est-il à tes regards quelque trépas honteux,Lorsque l'on a pu vivre, et mourir vertueux. Il s'assied. SCÈNE II. COLIGNY, Troupe de Conjurés armés de poignards. Ils considèrent Coligny qui les regarde tous d'un oeil fixe. PREMIER CONJURÉ. Aux gardes.Sortez. Aux autres Conjurés.Vous, c'est ici qu'il faut que vos courages Se réunissent tous, et vengent nos outrages,Avançons... Qu'ai-je vu ?... SECOND CONJURÉ. Vous paraissez surpris...Mais quel trouble à mon tour accable mes esprits ?...Par quel charme inconnu mes forces s'affaiblissent! TROISIÈME CONJURÉ. Notre haine chancelle, et nos coeurs s'amollissent, Une invisible main s'oppose à son trépas,Vous vous taisez... Aucun ne rassure mon bras !... QUATRIIÈME CONJURÉ. [Note : Antoine de Clermont Renel fut massacré par Bussi d'Amboise son cousin. [NdA]]Quand de mon propre sang ce poignard fume encore....Je te désobéis, ô mon Dieu que j'implore,Rends moi donc ma fureur... Tous mes sens malgré moi... Saisis d'étonnement, de respect, et d'effroi...Quelle timidité trompe notre furie !Songeons à Médicis, à Rome, à la patrie ;Citoyens et vengeurs du Ciel et de l'ÉtatEst-ce à nous de frémir pour cet assassinat ? Allons. Il lève le bras pour frapper et reste immobile. COLIGNY. Frappe. QUATRIÈME CONJURÉ. À sa voix... Ô retour inutile...Quel est donc ce mortel... Je demeure immobile... COLIGNY, prenant son épée, et la jetant à leurs pieds Craindriez-vous ce fer qui servit ma valeur,Je le jette à vos pieds, percez, voilà mon coeur. PREMIER CONJURÉ. Ce n'est point un humain ! COLIGNY. Là, vous devez ensemble Épuiser les tourments que le crime rassemble,Les supplices, la mort, rien ne peut me troubler,J'ai vécu pour mon Dieu, je mourrai sans trembler, SECOND CONJURÉ. Eh quoi, ces novateurs comme nous sont des hommes.Devons nous les punir aveugles que nous sommes ! Ah, je commence à croire, et je n'en doute plusQue la nature seule est mère des vertus. TROISIÈME CONJURÉ. Tu blasphèmes... Ô Ciel... Expions cette crainte,Ranimons contre lui notre vengeance éteinte,Détournons nos regards, qu'il meure de ma main... Il va pour frapper Coligny en détournant les yeux et laisse tomber le fer.Quel Dieu vient m'arracher le poignard assassin !... COLIGNY. Faites votre devoir.... que vois-je, la natureDans vos coeurs incertains balance le parjure,Me craignez-vous encor... Je n'ai d'autre soutienQue cette fermeté l'appui d'un vrai chrétien ; Rome vous apprend-t-elle à devenir sensibles,Vous devez l'imiter... Montrez-vous inflexibles...Médicis vous l'ordonne, obéissez, frappez,Que de mon sang glacé ces marbres soient trempés,Heureux, si j'avais pu mourir pour ma Patrie, Consacrer à mon Roi les restes de ma vie,Verser encor pour vous quelques gouttes de sangQue l'âge et les combats ont lassé dans mon flanc... PREMIER CONJURÉ. Ne pourrai-je garder mon courroux et ma haine ?...Chaque mot, est pour nous une nouvelle chaîne... En vain à le haïr, Ciel tu veux m'animer...Non, mon coeur te trahit... et ne peut que l'aimer; COLIGNY. Hâtez-vous donc... levez... levez vos mains parjuresApprochez,.. qui de vous rouvrira ces blessures... Il découvre son estomac.Ces coups, que j'ai reçus en défendant le sort De ces mêmes ingrats qui demandent ma mort ;Qui de vous osera combler leur injustice,À Médicis, à Rome offrir ce sacrifice.Ce bras dans les périls sauva vos Citoyens,J'ai conservé leurs jours, ils attentent aux miens... Pour vous, plus d'une fois j'ai prodigué ma vie,Le Ciel veut que par vous elle me soit ravie,Je n'en murmure point... je bénis mes destins...Vous fûtes mes enfants... soyez mes assassins...Que d'un si tendre amour ma mort soit le salaire... Embrassez-moi mes fils, souvenez-vous d'un pèreQui jusques au tombeau vous soutint... vous chérit...Qui vous pardonne encor les coups dont il périt...Vous semblez reculer... quand la victime est prête...Quand vos bras sont levés... parlez... qui les arrête... PREMIER CONJURÉ. Ta vertu. SECOND CONJURÉ, en tombant à ses pieds. Nous cédons, tu l'emportes, TROISIÈME CONJURÉ. Nos coeursVers toi sont entraînés par des charmes vainqueurs,.. L'un se jette à ses pieds, l'autre laisse tomber ses armes, celui-ci reste immobile, celui-là semble éviter ses regards, et verser des pleurs, ensuite ils tombent tous à ses genoux. COLIGNY, les embrassant. Attendrez-vous que Guise immolant sa victime,Goutte l'affreux plaisir de consommer son crime,J'aime mieux de vos mains recevoir le trépas. J'implore ce bienfait... Ne l'obtiendrai-je pas,Par ces retardements vous hâtez ma ruine,En voulant m'épargner votre main m'assassine,En ce moment aucun ne veut être mon fils...Aucun n'ose frapper... Tous sont mes ennemis... PREMIER CONJURÉ. Laisse nous t'adorer ô vieillard vénérable.. COLIGNY. N'adorez que ce Dieu, lui seul est respectable...Qu'avez-vous résolu ? SECOND CONJURÉ. De t'admirer toujours. TROISIÈME CONJURÉ. De chérir tes vertus. QUATRIÈME CONJURÉ. De conserver tes jours.... Il se relève et court vers l'enfoncement du théâtre.Vis, pour nous pardonner, pour être notre père... Viens, viens... qu'à tes tyrans nous puissions te soustraire. SCÈNE III. Coligny, Hamilton, Tavanne, Bussi, Bême, Nevers, Gondi, Desadrets, Première Troupe de Conjurés, Seconde Troupe de Conjurés armés aussi de Poignards, et tenant tous des flambeaux à la main. HAMILTON, un crucifix d'une main, et un Poignard de l'autre, et arrêtant le quatrième conjurés. Il n'échappera point à leur juste fureur. PREMIER CONJURÉ. Ô Ciel ! SECOND CONJURÉ. Quel coup de foudre ! HAMILTON. Ainsi, d'un Dieu vengeur,Lâches, vous trahissez les volontés suprêmes ;Invisible à vos yeux, j'entendais vos blasphèmes. Vous méconnaissez Dieu, Dieu ne vous connaît plus,Allez, disparaissez du nombre des élus ;De l'ange du trépas les armes menaçantes,Vous livrent pour jamais aux flammes dévorantesMéprisables mortels, vous n'avez su servir, Vous n'avez su frapper, apprenez à mourir. TROISIÈME CONJURÉ. Eh bien nous périrons,.... eh, quelle loi si durePeut s'opposer aux lois que dicte la nature,Quel est ce Dieu cruel qui peut nous ordonnerDe coupables fureurs qu'il devrait condamner ? C'est vous seuls inhumains, qui commandez ces crimes,Voilà, voilà les Dieux dont on suit les maximes. TAVANNE. Je demeure interdit ! BUSSI. Citoyens odieuxQuoi, ne craignez-vous point la colère des Cieux ? HAMILTON, aux seconds Conjurés qui s'emparent des premiers. [Note : Calvin, Jean (1509-1564) : Le second chef de la Réforme. S'étant à plusieurs partisans de Luther, il embrasse rapidement les principes de la Réforme et commença en 1532 à les propager dans Paris. Menacé de prison il se réfugia à Angoulème puis à Genève où il écrit L'Insitution chrétienne. Calvin se distinguait de Luther par une révolution plus radicale, proscrivant tout culte extérieur et toute hiérarchie. ]Des enfants de Calvin, que ces lâches complices Reçoivent leur salaire au milieu des supplices. COLIGNY, se levant, à Hamilton. Arrête.... sur moi seul épuise ton courroux,Mes destins sont remplis, j'ai mérité tes coups,Mais épargne des jours qui te sont nécessaires ;Le sang qu'on va répandre est celui de tes frères; La nature en ton coeur réclame encor ses droits,Ne sois point Catholique, et sois homme une fois. HAMILTON. Qu'on les entraâne, allez. PREMIER CONJURÉ, à Coligny. Sur nous jetez la vue. COLIGNY, aux premiers Conjurés. Oseriez-vous m'aimer quand c'est moi qui vous tue. À Hamilton.Enfin vous triomphez, je cède, et leur malheur, Jusqu'à vous supplier peut abaisser mon coeur ;Je vois tout du même oeil, mon bonheur, ma disgrâce,C'est de vos Citoyens dont j'implore la grâce,Songez que Coligny l'attend à vos genoux,Pour la première fois j'ai fléchi devant vous. HAMILTON, sans regarder Coligny aux Conjurés qui emmènent les premiers. Sortez, que par leur mort expiant leurs offenses,Ils fassent redouter les divines vengeances. COLIGNY, reprenant sa place, et s'adressant aux premiers Conjurés. Allez, souvenez-vous que vous êtes Chrétiens. PREMIER CONJURÉ, en se retirant. Ciel, termine nos jours, mais conserve les siens. SCÈNE IV. Coligny, Hamilton, Tavanne, Bussi, Bême, Nevers, Gondi, Desadrets, Suite des seconds Conjurés. HAMILTON. Enfin voici le jour à nos voeux si propice, Où ton sang va du Ciel apaiser la justice,Satisfais à ce Dieu dont la voix t'a proscrit,C'est lui qui par nos mains t'accable et te punit,C'est lui qui de l'erreur confond la vaine audace,Tremble, ce Dieu jaloux ne sait point faire grâce. COLIGNY. Si je l'offense, hélas, il peut me détourner,De l'abîme ou sa main se plaît à m'entraîner.Voudrait-il me tromper, me conduit-il au crimeAfin d'avoir le droit de frapper sa victime ?Arbitre de ce coeur qu'il devait enseigner, Ne l'aurait-il créé que pour le condamner ?Et seriez-vous les seuls que le Ciel ait fait naîtrePour être aimés d'un Dieu qu'un autre eût pu connaître?Non, cet aveugle choix ne convient qu'aux mortels,Il dispense à chacun ses bienfaits éternels ; Il fait plus, il pardonne, et ce Dieu moins sévère,A pour tous ses enfants des entrailles de père,Il voit tous les humains avec les mêmes yeux,Et ce n'est point l'erreur qui les rend odieux ;J'adore en expirant les coups dont il me frappe, Mais le crime jamais à ses regards n'échappe ;Il lit au fond des coeurs, un coup d'oeil lui suffitPour percer les horreurs de cette épaisse nuit :Il voit tout d'un coup d'oeil, son flambeau redoutableÉclaire des forfaits l'abîme impénétrable, Et répandant sur eux les traits de sa clartéFait d'un nouvel éclat briller la vérité ;Mais parle, des esprits qui t'a nommé le maître ?Qui t'ordonne en ce jour d'être un parjure, un traître ? HAMILTON. Ma loi... mais est-ce à moi de me justifier, Victime qu'à l'autel je vais sacrifier,Penses tu m'échapper ? Quel sera ton refuge ?Est-ce au coupable enfin d'interroger son Juge,Meurs, voila ma réponse... opposer vos refus ! Tandis que Coligny parle Hamilton veut engager chaque conjuré à le tuer, et tous semblent le refuser.L'honneur de l'immoler ne vous touche donc plus... COLIGNY. D'un Juge tel que toi l'arrêt est la réplique,À des preuves ainsi répond un Catholique,La vengeance toujours accompagna l'erreur,Et la loi véritable enseigne la douceur.Rome d'un Dieu de paix annonce les maximes, Rome d'un Dieu de sang nous étales les crimes,De ses faux Dieux, hélas, il a les attributs,Et le Dieu des Chrétiens est le Dieu des vertus ;Je ne reconnais point à ses marques profanes. Hamilton continue toujours à presser les Conjurés à tuer Coligny.Ces Prêtres qui du Ciel se disent les organes : Eh quoi, n'êtes vous plus que de vils assassinsQui sous un nom sacré détruisez les humains ?Ministres des autels, est-ce à vous de répandreLe sang des malheureux que vous devez défendre ?Et sommes-nous encor dans ces temps odieux Où cet encens s'offrait à de barbares Dieux ?Ta loi t'a commandé de massacrer tes frères,La nôtre nous donna des sentiments contraires;Ce qui nous promettait des jours moins orageux,Tout couvre nos destins de nuages affreux ; Nous t'avons relevé, tu veux notre ruine,Nos bras t'ont défendu, le tien nous assassine ;J'ai fait ce que l'honneur semblait me commander,Rome a trahi sa foi quand j'ai dû la garder,Mais notre loi l'emporte encor sur l'honneur même, Nos Héros sont Chrétiens ; elle veut que je t'aime,Et que baisant la main qui me perce le coeurJe t'embrasse aujourd'hui comme mon bienfaiteur... HAMILTON, comme Coligny se lève pour l'embrasser, recule, paraît étonné et baise le crucifix. Mon Dieu... ne permets pas que cette âme inflexible...Pour un vil reprouvé se déclare sensible, Il lève le crucifix, et le montre aux Conjurés.Amis, de votre maître entendez vous la voix ?De ce chef immortel reconnaissez les lois,C'est lui qui dans ce jour s'explique par ma bouche,Abaissez sous vos coups cette grandeur farouche,Que son trépas apprenne aux siècles à venir Que s'il outragea Rome, elle a su le punir.... Aux Coujurés.Quoi.. vous tardez encor à frapper un coupable ? TAVANNE. Non, de tant de vertu je ne suis point capable...Ce silence... ces yeux... cette tranquillité...Ce front où la douceur règne avec la fierté... Ces cheveux blancs... les traits d'une auguste vieillesse...Tout s'arme contre nous... pour lui tout s'intéresse....Ne pouvons-nous du moins épargner ce vieillard ?... HAMILTON, à Bussi. Toi, sois plus courageux, Dieu conduit ton poignard. COLIGNY. Ah, laisse là ce Dieu, ton vrai juge et le nôtre, Dis plutôt ta fureur, tu n'en connais point d'autre. HAMILTON, à Bussi. Dans ton coeur quelle voix fait taire le devoir ? BUSSI. Les remords, et je cède à son juste pouvoir...Si Médicis et Rome ordonnent qu'il périsse,Qu'ils chargent d'autres bras du soin du sacrifice. HAMILTON. À l'aspect d'un vieillard lâches vous reculez,Quand d'indignes parents sont par vous immolés ?...Malheureux, qui n'osez vous montrer Catholiques, Aux autres Conjurés.Le Ciel vous met au rang de ces vils hérétiques,Fuyez loin de ses yeux, la foudre va partir, Il vous recompensait, il saura vous punir. À Bême.À ses ordres divins comme eux es-tu rebelle,Mérite seul ses dons,... sois seul Chrétien fidèle ; En montrant Coligny.Qu'il meure. TAVANNE. Je frémis... Ciel, tu tonnes en vain,Je ne puis soutenir ce spectacle inhumain. HAMILTON, à Bême qui s'approche en tremblant pour poignarder Coligny qui lui montre son estomac. Tu trembles ? BÊME. Rassurez ma fermeté craintive. COLIGNY, prêt d'être tué par Bême. Dieu, dans ton sein reçois mon âme fugitive. HAMILTON. Méprisable ennemi qu'il a dû condamnerQue peux tu contre nous encor ?... COLIGNY. Te pardonner. Bême détourne les yeux, frappe Coligny, et tous les Conjurés saisis d'horreur, fuient ce spectacle, affreux, Hamilton seul le regarde avec joie. SCÈNE V. Coligny, Hamilton, Bême. HAMILTON, aux Conjurés qui fuyent. Lâches, où courez-vous !... BÊME, à Hamilton après avoir donné un coup à Coligny. La vengeance est servie, Il ne te reste plus qu'à m'arracher la vie !Monstre d'impiété, tu me fait trop d'horreur...J'emporte mes bourreaux dans le fond de mon coeur. Il jette son poignard aux pieds d'Hamilton et sort avec précipitation. SCÈNE VI. Hamilton, Coligny. HAMILTON. Va, servile instrument, qui se refuse aux crimes,Je saurai te briser, te joindre à mes victimes, Ta mort m'assurera d'un secret éternel, Considérant Coligny expirant.Aurait-il dans son sein porté le coup mortel ?...Mon perfide ennemi pourrait revivre encore... Il donne un coup de Poignard à Coligny.Reportons le trépas dans ce coeur que j'abhorre... Il le regarde encore.Il n'est plus, et je vis, sur ce premier dégré, Mon pouvoir chancelant est enfin assuré. SCÈNE VII. Coligny, Teligni, Pardaillan, suite de Protestants les armes à la main. TELIGNI, blessé porté par des soldats, et dans l'enfoncement du Théatre, et s'appuyant sur Pardaillan. Soutiens mes pas tremblants... qu'aux genoux de mon père,J'attende que le Ciel épuise sa colère, Il approche, et croit que Coligny est échappé aux assassins.Il vit, je suis heureux... Ah Barbares.... Quel sang ?... Il aperçoit la terre inondée de sang.Avançons.... c'est le sien qui coule de son flanc... Ô crime... Ô désespoir... Ô monstre que j'abhorre...Aide-moi... Pardaillan... que je l'embrasse encore,Mon père ne vit plus... Il embrasse Coligny qui semble ne plus respirer. PARDAILLAN. Ah mon maître... Ah cruels...Seigneur... éloignons-nous de ces lieux criminels,Venez.... Coligny jette un soupir. TELIGNI. Qu'ai-je entendu.... Dieu, serait-il possible ? Vain espoir qui rendez ma douleur plus sensible ?Il semble respirer.... et ses yeux entrouverts...Des ombres de la mort cessent d'être couverts...Mon père... Coligny... COLIGNY, paraît sortir d'un profond assoupissement. Quelle voix me réveille ?... TELIGNI. Pardaillan... Dois-je en croire une heureuse merveille... Il vivrait ?... COLIGNY. Qui m'appelle ?... Et quels objets confusS'envolent tout à coup de mes sens éperdus !...De mes yeux presque éteints la débile paupièreUne seconde fois se rouvre à la lumière. Coligny croit que ce sont encor ses assassins.Barbares... Craignez-vous que le fer assassin Ait mal servi le bras qui m'a percé le sein...Et n'est-ce pas assez que Coligny périsse...Rome a-t-elle inventé quelque nouveau supplice ?... TELIGNI. Que dites-vous, mon père... COLIGNY, reconnoissant son gendre. Ô mon cher Teligni...Mon fils, tu viens fermer les yeux de Coligny, Je goûte le bonheur que le Ciel me renvoiePour la dernière fois il veut que je te voie,Je meurs... mais tu vivras... TELIGNI. Non... J'expire avec vous...Seigneur, un fils mourant embrasse vos genoux. COLIGNY, apercevant la blessure de Teligni. Où suis-je... Ah malheureux... Ah traîtres... Quand j'expire... Lorsque j'arrive, hélas, au seul terme où j'aspire,Quand je reviens au jour par un dernier effortC'est pour sentir les coups d'une nouvelle mort... TELIGNI. Votre fille vivra... leurs parricides armesSeigneur, ont respecté ses vertus, et ses charmes... COLIGNY. Mon fils... Mon Dieu... Je meurs. Coligny expire. TELIGNI, à Pardaillan. Ôte-moi de ces lieux,Dérobe à mes regards ces objets odieux...Pour toi... Si le destin permet à ton courageD'effacer, de punir un trop sensible outrageVis, mais pour te venger, nous, ton honneur, ta loi, Un soupir qui t'échappe est un crime pour toi. Il lui donne ce qui sert d'appareil à la plaie.Prends ce voile sanglant, le seul bien qui me reste,Va, porte à mon épouse un présent si funeste,D'un malheureux amour c'est le gage nouveau,Qu'à nos braves amis il serve de drapeau, Ils y liront l'arrêt qu'a dicté la vengeance,Leur devoir est écrit à côté de l'offense.Ce sang dans les combats ranimant leur valeur,D'un peuple audacieux confondra la fureur,Vous le verrez pâlir ? L'aspect d'une image Qui lui retracera son crime et votre outrage,Le Ciel qui contre nous s'est montré leur soutienDans leur sang criminel effacera le mien,Il remet à vos bras le soin de la répandre,Voilà votre rempart... Songez à le défendre, Partout servant de guide à vos fameux exploits,Mon ombre à ses vengeurs imposera des lois,Partout je vous suivrai... mes cendres ralluméesFeront voler leurs feux au sein de vos armées ;Toujours sortant vainqueur de la nuit du trépas Vous me verrez toujours l'âme de vos combats,Et de Rome ébranlée avançant la ruineLui rendre tous les coups dont elle m'assassine. UN PROTESTANT. Que nos derniers amis, que nos derniers enfantsSoient dignes héritiers de vos ressentiments ; Qu'ils jurent tous à Rome une haine immortelle,Ce sont là tous les voeux que nous formons pour elle. PARDAILLAN. Il succombe à ses maux, amis, s'il en est temps,Sauvons-le, ménageons ces précieux instants,Mais si le Ciel jaloux des vertus d'un grand homme, En terminant ses jours combat encor pour Rome,Rassurons-nous.... ce sang doit vous encourager,Rome osa le verser.... vous.... osez le venger. ==================================================