******************************************************** DC.Title = L'ÉPREUVE, PIÈCE EN UN ACTE DC.Author = AUDIFFRET, L.D.L. DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Pièce DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 30/09/2020 à 21:08:08. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/AUDIFFRET_EPREUVE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3045711f?rk=85837;2 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'ÉPREUVE PIÈCE EN UN ACTE. 1861. L.D.L. AUDIFFRET PERSONNAGE BOULOUARD. PERSONNAGES supposés MONSIEUR VERNIER. LA GOUVERNANTE. LE GARDE-CHASSE. LE JARDINIER. MONSIEUR BRACMANN. Le théâtre représente un salon. Porte d'entrée sur un des côtés. Une fenêtre au fond. Extrait de "Entre deux paravents, Théâtre des salons de famille Seconde partie, pièces pour hommes seulement", L.D.L. Audiffret, Janvier 1889, pp. 371-395. Cote BnF [YF-8106] L'ÉPREUVE SCÈNE PREMIÈRE. Boulouard, La gouvernante dans l'antichambre. BOULOUARD. Il est en costume de vieillard. Perruque blanche, barbe postiche, ample paletot et chapeau à large bord. Il entre appuyé sur une canne et continue, en se retournant vers la porte qui reste entr'ouverte, la conversation avec la gouvernante.Ah ! Vous êtes la gouvernante de Monsieur Vernier. Je l'en félicite... Moi, madame, je suis Jérôme Boulouard, et voici bientôt trente ans que je n'ai vu votre maître. Élevés dans le même collège, ayant passé notre première jeunesse ensemble, puis, marins tous deux, nous nous aimions comme s'aiment des frères. Ne soyez donc pas surprise que j'aie quitté Paris et fait le voyage de Lorraine pour venir l'embrasser dans sa maison de campagne. C'est une satisfaction que j'ai tenu à me procurer avant de mourir... Il écoute comme si la gouvernante lui parlait.Et vous dites qu'il est allé avec sa nièce Hortense au bourg voisin rendre visite à un sien parent. À la bonne heure ! J'attendrai... Mais, non : son absence pourrait être longue... Envoyez lui dire que je suis ici : son coeur en aura de la joie et je suis sûr que nous ne tarderons pas à le voir paraître. Allez, allez. SCÈNE II. BOULOUARD. Il se débarrasse de son costume de vieillard et paraît sous celui de jeune homme.Enfin, me voici dans la place et ce premier succès m'encourage !.... Tandis qu'on va chercher Monsieur Vernier, recueillons-nous. Il s'assied.Mon père prétend donc que j'épouse la nièce de son vieil ami. D'après les rapports qu'on lui a faits, c'est un trésor qu'on ne saurait trop vanter. Cependant, il m'a paru sage de juger par mol-même... J'ai emprunté, sous ce déguisement, les allures du cher auteur de mes jours, et je lui ressemble assez pour espérer que Monsieur Vernier s'y trompera... Qu'Hortense soit telle qu'on me l'a dépeinte, une femme jolie, alliant l'esprit à la raison, je ne balance pas à m'enchaîner, mais si je ne trouve en elle qu'une provinciale d'une beauté douteuse, payant tous mes discours d'un oui ou d'un non, s'effarouchant d'un mot mal compris, statue de marbre à placer sur un piédestal, oh ! Je me sauve, et mon déguisement m'épargne l'ennui des explications... Il se lève. AIR.Se déguiser est la bonne méthodePour bien juger des gens avant d'agir ;Pas de moyen plus simple et plus commode ;De l'adopter nul ne saurait rougir :Par son secours on tente une aventure Que jusqu'au bout on peut mener gaîment :On n'est jamais honteux d'une ruptureNi menacé d'un raccommodement.J'entends du bruit. La gouvernante revient sans doute. SCÈNE III. Boulouard, La Gouvernante dans l'antichambre. BOULOUARD. Il reprend le costume de vieillard, se place près de la porte et fait la conversation avec la gouvernante.C'est vous, Madame ? L'attente commence à me peser un peu... Est-on parti pour le bourg voisin ? Il écoute comme si on lui répondait.Votre envoyé n'est pas encore rendu à sa destination ? Il écoute.Ah ! Vous avez reçu des nouvelles de Vernier et de sa nièce par une autre voie ! Voudriez-vous bien me les communiquer ? Il écoute un peu plus longtemps.Vous m'en contez de belles ! Vernier ne reviendra que demain matin ! Il passera la nuit au bal ! Hortense a promis dix polkas et tout autant de quadrilles ! Mais elle sera morte de fatigue avant le lever du jour ! J'ai mal choisi mon temps, il faut en convenir. Il écoute.Fort bien ! Un souper pour ce soir et un lit pour cette nuit ! Je ne refuse point cette invitation, bien certain d'ailleurs que Vernier m'en saura bon gré. Et puis, vous m'offrez cela d'une telle manière, avec tant de bonne grâce... On dit que le gibier est excellent dans la contrée ?... À propos, l'an dernier, votre maître et mon fils, réunis par hasard dans un wagon, lièrent connaissance. Vernier vous a parlé peut-être de ce jeune homme. Comment l'a-t-il trouvé ? Qu'en pense-t-il ? Il écoute, en donnant des signes de colère et en frappant du pied.Quoi ! Mon fils est un drôle, un vaurien, un mauvais garnement ne rêvant que plaisirs ou folles entreprises ! S'il se présentait ici, il serait mal reçu ! ... Ah ! Vernier, c'est affreux ! Tu brises les noeuds de notre ancienne amitié... Mon fils est ma joie, mon espoir, mon orgueil. Tu es injuste : tu le calomnies, et si je n'écoutais que mon indignation... Il regarde dans l'antichambre.Mais, quoi ! La gouvernante a peur de ma colère. Elle s'enfuit... Elle tire sur elle la porte de l'antichambre... La clef de la serrure tourne deux fois... Je suis pris comme dans un piège ! AIR.Je sortirais perdu d'honneurPour jamais, de cette demeure, Si la pupille et son tuteurVenaient me surprendre, à cette heure.Comment finira tout ceci ?Pareil incident m'épouvante :Je cherche Hortense et me voici Prisonnier de la gouvernante !Mais aussi, qu'avais-je à faire d'entrer en fureur ? SCÈNE IV. Il ôte son costume de vieillard. BOULOUARD. Sotte folie ! Être venu chercher un diamant dans le fond de la province !... Mais voilà qui est entendu ! L'oncle a conçu fort mauvaise opinion de moi... J'ignore pourquoi, car je suis sûr de n'avoir rien dit, ni rien fait en sa présence que de très sensé... Il refuserait sa nièce à un drôle, un vaurien, un mauvais garnement ne rêvant que plaisirs ou folles entreprises ! Ne poussons donc pas notre épreuve plus loin... D'ailleurs, je n'aime pas les demoiselles qui s'engagent d'avance pour dix polkas et autant de quadrilles... Allons ! En route ! Demain, je serai à Paris... Un moment ! J'oublie que la porte de l'antichambre est fermée à double tour... Ah ! Ouvrons la fenêtre. Je suis agile et peut-être pourrai-je par là ?... SCÈNE V. Boulouard, Le Garde-chasse, Le Jardinier (ces deux derniers sont en dehors), Bracmann (Il est censé se trouver sur la scène). BOULOUARD. Il regarde par la fenêtre qu'il a ouverte.Qu'aperçois-je là-bas au pied de la charmille, tout près de ce grand saule ?... Deux hommes accroupis !... Ils jasent. Ce sont probablement de bons fermiers, esprits positifs, qui devisent ensemble du nombre d'épis que l'été leur a donnés. Écoutons. Il écoute.Non, non, ce sont des voleurs postés en embuscade !... Ils parlent de grimper à la muraille pour s'introduire dans ce salon !... Monsieur Vernier ! Passez la nuit au bal où vous ronflerez ! Et vous , Hortense, dansez, polkez ! Ces messieurs feront leurs affaires chez vous. Il regarde encore par la fenêtre.Ils se lèvent... Ils vont tenter l'escalade... Le danger est pressant. Employons la ruse pour l'écarter. Il feint une conversation avec Bracmann, et commence en se plaçant d'un côté de la fenêtre.Monsieur Bracmann, est-ce vous ? De l'autre côté de la fenêtre. Accent allemand.Ja, Monsir. De l'autre côté. Accent naturel.Admirez avec moi la richesse de cette nature, ces tapis de fleurs, ces ruisseaux bondissants. De l'autre côté. Accent allemand.C'est fraiment fort magnifique. Mais, che aimerais pien mieux foir foler un perdreau. Pien que le jour il baisse, che fous l'achusterais d'une belle manière. Ce n'est pas pour me fanter, mais che suis le plus habile chasseur de Munich. AIR.Oui, mon adresse est sans égale...À cinquante pas loin d'iciChe puis enfoyer une balleAu point que fous aurez choisi. Ce point, faites-le moi connaître : Désignant du doigt, en dehors de la fenêtre, la place où il a aperçu le garde-chasse et le jardinier.Cherchez dans le clos que voilà....Che tirerai par la fenêtre,Rien qu'afec ce bistolet-là. MÊME AIR. De l'autre côté. Accent naturel.Dans votre regard quel feu brille ! Le but qu'il vous faut attaquerEst là-bas, sur cette charmille :Je vais sur le champ l'indiquer :Cette branche qu'on voit descendre... De l'autre côté. Accent allemand.N'ayant plus qu'une feuille au bout. De l'autre côté. Accent naturel.La feuille est le but qu'il faut prendre. De l'autre côté. Accent allemand.Che l'atteindrai du permier coup. Accent naturel.Tirez ! SCÈNE VI. BOULOUARD. Il se penche sur la fenêtre et se relève en riant aux éclats.Ah ! ah! ah ! Le bistolet de Monsieur Bracmann les a mis en fuite. Courez donc, courez donc beau duo de bandits !... Il faut convenir que j'ai admirablement joué mon rôle. Je ne me connaissais pas le talent de baragouiner le franco-allemand avec tant de perfection. J'en tirerai parti, cet hiver. Je prendrai un rôle de Bavarois dans quelque comédie de société. Reprenant tout-à-coup le ton sérieux.Mais, doucement ! Je suis vainqueur à cette fenêtre... Et si maintenant les voleurs pénétraient, par un autre côté, dans la maison ? Si, garrottant la gouvernante, ils arrivaient jusqu'à la porte de l'antichambre ?... Il regarde dans l'antichambre.Qu'entends-je ?... Je crois qu'ils y sont déjà... Ils n'ont pas couru, ils ont volé ! Un bruit de clef dans la serrure de l'antichambre.La serrure grince !... Ils ouvrent !... Et point d'armes, sinon ma canne ! Faible défense ! N'importe ! Faisons bonne contenance. Il va prendre la canne, revient se placer près de la porte et lève le bras en l'air dans l'attitude d'un homme prêt à frapper.Un Voleur !... Halte là ! Après un court moment pendant lequel on entend encore tourner la clef dans la serrure.Disparu ! Disparu !... L'ardeur de ce brigand s'est vite calmée. À peine ai-je entrevu son profil dans une demi ombre. Si du moins il n'avait pas refermé la porte !... Mais une réflexion terrible se présente à mon esprit. Les voleurs pourraient revenir assez nombreux pour m'assiéger, en même temps, par la porte et par la fenêtre. Comment me défendrais-je alors des deux côtés à la fois ! Malheureux ! Il faudrait donc succomber !... Oh ! Julien, modèle des valets ! Ami tendre et fidèle ! Quitte le cabaret où je t'ai installé ! L'instinct doit t'avertir que j'ai besoin de ton secours. Dans plus d'une expédition, j'ai connu ton audace et ta valeur. Souviens-toi de tes exploits passés !... Viens, viens, nous combattrons l'un à côté de l'autre. AIR.Les périls même les plus grandsOn les brave avec du courage ;Ensemble chargeant ces brigands. Nous nous repaîtrons de carnage.Ton nom, au milieu des plus beaux,Marquera, rayonnant de gloire,Dusses-tu garder sur ton dosQuelques traces de la victoire. Nouveau bruit de clef tournant dans la serrure de l'antichambre. Boulouard regarde, en levant encore le bras en l'air comme prêt à frapper.Ma canne est inutile, en ce moment. C'est la gouvernante... Qu'a-t-elle donc, la vieille édentée ? Elle rit à gorge déployée. Il reprend le costume de vieillard et retourne à la porte. SCÈNE VIII ET DERNIÈRE. BoULOUARD, LA GOUVERNANTE (dans l'antichambre). BOULOUARD. Vous semblez, Madame, transportée de joie. Il écoute.Ah ! Vous êtes chargée de me remettre une lettre ! Il avance la main dans l'antichambre, la retire bientôt tenant une lettre et écoute encore un moment.Voici du nouveau ! Vernier, en apprenant que j'étais ici, a quitté aussitôt le bourg. Il vient d'arriver et c'est lui qui m'écrit. Mais, pourquoi m'écrire ? Ne pouvait il pousser tout droit vers moi ? Cette manière d'agir est étrange... À moins cependant qu'il n'ait appris de vous combien je suis irrité de la triste opinion qu'il a conçue de mon fils... Et même dans ce cas... Tout en parlant, il jette les yeux sur l'adresse et fait un mouvement de surprise.Que vois-je ? Il lit.« À Monsieur Boulouard, fils de Jérôme Boulouard... » Il me connaît ! Je suis joué ! AIR.Ma raison est près de fléchir.Quel désappointement extrême !Comment a-t-il pu découvrirTout aussitôt mon stratagème ?Ce surtout me devient pesant.... Maudit soit l'ennui qu'il me donne ! Il ôte le paletot et le jette à terre. Il en fait ensuite autant de la perruque.Plus de perruque ! et, cependant,Il me semble que je grisonne. En finissant le couplet, il jette aussi à terre sa canne et sa barbe postiche, et se remet ensuite à lire.« Je ne suis point allé au bourg voisin avec ma nièce et j'ai dicté à ma gouvernante les contes bleus qu'elle vous débite depuis une heure. C'est par mon ordre qu'elle est restée dans l'antichambre au lieu de vous suivre au salon. Il fallait vous laisser le champ libre pour vos travestissements, dans tous les cas prévus et imprévus. »« Vous avez voulu ne vous en rapporter qu'à vous même sur les mérites d'Hortense ; et moi, il m'a plu d'éprouver votre courage, pour savoir si vous étiez digne de vous allier à un vieux loup de mer qui n'en a jamais manqué , même quand vous avez levé la canne sur lui... »Oh ! Oh ! .... « Gervais, mon garde-chasse et Thibault, mon jardinier, sont contents de vous. Ils ont admiré le bistolet avec lequel mon sieur Bracmann atteint une feuille de saule à cinquante pas loin. »Qu'ai-je lu ? Le voleur qui s'est montré à la porte de l'antichambre, c'est Monsieur Vernier ! Les deux bandits qui concertaient, sous la charmille, une escalade, c'étaient son jardinier et son garde-chasse ! Il lit.« Quant à votre valet de chambre, ne le grondez pas trop. Les vins du cabaret du bourg voisin sont capiteux en diable, et Blaise, mon cocher, a un talent tout particulier pour faire jaser les gens. »Je comprends. Après avoir quitté Julien , je me suis acheminé à travers les campagnes, et, haletant sous mon double costume, je ne suis arrivé ici qu'après avoir repris deux fois haleine sur le bord des sentiers. Pendant ce temps, le mystère a été trahi ; et on a préparé la mystification que je viens de subir... Julien mourra de ma main ! Il lit.« Avant de me rendre une seconde fois auprès de vous pour vous embrasser, je crois prudent de me faire précéder de cette lettre. Je ne veux pas qu'une nouvelle méprise de votre part me mette dans le cas de mesurer ma canne à bec de corbin avec celle du fils de mon plus ancien ami. Signé : VERNIER. »Il valait bien la peine de se déguiser !... de faire un voyage !... Peste soit de l'aventure ! Si le bruit s'en répand, je deviendrai la fable de tout Paris... Non, je ne veux pas que le nom de Boulouard soit bafoué... J'éviterai ce danger... J'épouserai Hortense. Je l'épouserai quand on voudra... même sans voir, s'il le faut. .. sotte ou non... laide ou jolie... Oh ! Son oncle ne livrera pas le mari de sa nièce aux traits du ridicule ! Il saura bien faire taire ses gens ... Allons embrasser Monsieur Vernier et nous jeter aux pieds d'Hortense. AIR. Aux spectateurs.Je n'avais pas trouvé de partenaire :L'ennui pouvait envahir ce séjour : Alors, messieurs, j'ai tenté de vous plaireEn jouant seul deux rôles tour à tour.Si votre front est resté triste et sombre ,Gardez-vous bien de vous fâcher trop fort !N'oubliez pas que vous êtes en nombre, Tandis que, moi, je suis tout seul encor. ==================================================