******************************************************** DC.Title = FARCE NOUVELLE TRÈS BONNE ET FORT JOYEUSE À TROIS PERSONNAGES, FARCE DC.Author = [Anonyme] DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Farce DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:17. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/ANONYME_PARDONNEUR.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k276670 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** FARCE NOUVELLE TRES BONNE ET FORT JOYEUSE À TROIS PERSONNAGES D'UN PARDONNEUR D'UN TRIACLEUR ET D'UNE TAVERNIÈRE C'est à savoir LE TRIACLEUR. LE PARDONNEUR. LA TAVERNIÈRE. Nota : Tiré de "Ancien théâtre français ou Collection des ouvrages dramatiques les plus remarquables depuis les mystères jusqu'à Corneille" par M. VIOLLET LE DUC, Paris, 1854, Tome II. pp 50-63. LE PARDONNEUR SCÈNE I. Le Pardonneur, Le Triacleur. LE PARDONNEUR commence. Saintes paroles pacifiquesSoient entre vous résidentsPar vertu de saintes reliquesQui reposent ici dedans.Messieurs, il y a longtemps Que ne visitai ce pays ;Mais, s'il plaît à Dieu, je prétends[Note : Éjouir (s') : Se livrer à la joie. [L]]De vous faire tous éjouis.J'apporte ici de[s] ouïesDe Saint Couillebault confesseur Et de Sainte Velue, sa soeur,Dont il appert de grands miracles.Je vous vueil compter les obstaclesEt les miracles qu'ils ont fait.Au pays d'Afrique tout à fait Cestuy monsieur Saint Couillebault,Délivra je le vous affermeUne juive étant à l'assautD'enfant et n'était à terme.Item après [ouez] que fit Sainte Velue, prudente et sage À une autre j'en suis tout sûr, Elle rendit sou pucelage,Et si avait grand passage De membres, je le vous assure. Elle mit hors de servage, Par bien, en moins de demi-heure.[Note : Labeurer : travailer, trimer.]Maintenant faut que labeureÀ nommer les paroissiensEt les confrères anciens Qui furent de leur confrérie. Il nomme.Jehan Pigault, Bietrix Barbarie,Colin Mulet et Jelian Bigace,Jenin Gringecte, Jehan La Gace,Tassin Pigard, Perrin Bicorne, Jehan Sousseron, Jehanne La Sorne,Martin Marteaulx, Regnault Frasie,Pierre Sourys et sa maignie.[Note : Orrez : du verbe ouïr, entendre, écouter.]Or vous orrez sa confrérie,Seigneur, de vos anciens pères ; Vous orrez vos oncles, vos frèresVos parents, vos cousins germains. Prenez congé à jointes mains,Et venez gagner les pardons.Apportez flèches et lardons, Jambons, échinées, côtelettes,[Note : Touaillon : Serviette, torchon. [DMF]]Fusées, nappes, touaillons,Chausses, robes, chapeaux, cornettes.Cuidez-vous qne ce soient sornettesDes pardons de Saint Couillebault ? Nenni dea, veez en ci lettresEt les grands pardons généraux ;Regardez, veez en ci les seauxImpétrez par MélusineAu grand château de généraux En la grand terre sarrasine.[Note : Raisiner : saigner]Voire, et le Turc m'en raisineSon droit touchant sa seigneurie. LE TRIACLEUR. [Note : Triacleur : Terme vieilli. Vendeur de thériaque ; charlatan, saltimbanque. [L]]Vierge Marie, Vierge Marie,[Note : Cabusion : Fait de tromper. [DMF]]Croit-on en ta cabusion ? Adoncq il monstre une anguille au lieu d'une couleuvre, et ditArrière, arrière, arrière, mesgnie ![Note : Musequin : Jeune homme ou jeune femme à la mode. [DMF]]Sa, Margot, sa, se musequin,Saluez cette compagnie. LE PARDONNEUR. Et voilà belle moquerie.Le fait-on par dérision ? Je n'ai point à pris qu'on crieDevant ma prédication.J'ai ci la tête Saint-PionEt les noms de tous les confrères ;Je crois qui furent vos grands pères. Attendez, je les nommeraiJehan Beaufort, Tassin le Brun,Jehan Fort-en-gueule. LE TRIACLEUR. Ça, messeigneurs,[Note : Oignement : probablement huile. verbe oindre, sub. onguent.]J'ai ci des oingnements plusieurs,Touchant... LE PARDONNEUR. Quel folâtre est-ce là ? Faites taire ce fol. LE TRIACLEUR. Paix là !C'est trop prêcher ; faites le taire. LE PARDONNEUR. Jehan Huart, Colin forte here,Pierre boit bien, Guillot tout néant. LE TRIACLEUR. Seigneurs, voici d'un gringatoire [Note : Morcel : morceau.]Un très bon morcel et friant. LE PARDONNEUR. Et par bieu, tu es bien truand ;Dusses-tu pas avoir grand honte ?Vela, on ne fait plus de compteDes bons saints ni de leurs miracles. Menteurs et approuveursOnt le bruit. LE TRIACLEUR. Tais-toi. LE PARDONNEUR. Mais toi-mêmes. LE TRIACLEUR. J'ai des oignemens de BresmesQue j'ai pris sur le prêtre Jehan. LE PARDONNEUR. Ha qu'il soit entré en mal an [Note : Lanternier : celui qui est chargé des lanternes publiques. Fig. et familièrement. Homme irrésolu, indéterminé en toutes choses. [L]]Qui le croira. Quel lanternier. LE TRIACLEUR. Laisse-moi faire mon métier.Suis-je pas en ville jurée ?Si suis, ou le diable t'emporte.J'avais ma santé recouverte Avant qu'aller à cette porteCar il n'y a poison si forte,Soit régal ou arsenic,Avant que vous eussiez dit picVous seriez guéri très tôt sain. Et, fussiez-vous mord[u] d'un aspic,Par bieu, il n'est rien plus certain. LE PARDONNEUR. Mes amis, pour le peuple humain,[Note : Essoyne : peine, fatigue, souci.]Pour vous garder de grand essoyne,Je vous ai apporté le groin Du pourceau monsieur Saint Antoine. LE TRIACLEUR. Messeigneurs, voici l'oeuf d'un moineQui fut pondu en Barbarie,Qui est plein quand la lune est pleine,Et tari quand elle est tarie. Encore ai-je de droguerieBeaucoup, que je vous montrerai. LE PARDONNEUR. [Note : Ribaud : Homme de mauvaise vie, pillard, débauché. [DMF]]Il ment, le ribaud, croyez lai,[Note : Joncherie : Tromperie, plaisanterie trompeuse. [DMF]]Sangbieu, ce n'est que joncherieTout partout y a tromperie, Fors a gens de notre métier. LE TRIACLEUR. [Note : Cuider : vieux mot qui signifiait autrefois « penser ». [F]]Cuidez-vous qu'il est fort ouvrier ?Il cuide faire les gens bêtes. LE PARDONNEUR. Je vous vueil montrer la crête[Note : Pilate : Ponce Pilate, préfet romain qui aurait fait condamner Jésus de Nazareth. Dans l'évangile de Jean [18-27], Jésus est amené à Pila après le chant du coq.]Du coq qui chanta chez Pilate ; Et la moitié d'une latteDe la grand arche de Noé. LE TRIACLEUR. Je viens du mont qui est gelé,Mi j'ai cueilli cette racine. LE PARDONNEUR. [Note : Géline : poule.]Ce n'est que merde de géline. Le croyez-vous ? Le ribaud ment. LE TRIACLEUR. Seigneurs, voici de l'oignement[Note : Emprès : prép. près de.]Qui croit emprès la Sainte Terre. LE PARDONNEUR. La forte fièvre serreQui en ment ; sang bieu, c'est bouillie. LE TRIACLEUR. Il a menti. Dieu le maudi[ss]e,Si ce n'est vraie médecineQue j'ai pris au Mont de Turgine,En la montagne d'Arcana. LE PARDONNEUR. Ha, par le ventrebieu non a. Coquelicoq. LE TRIACLEUR. Tenez, quel prêtre!Par la chair bien, on le dut mettreEn bonne prison. Comme(nt) il jureMais est-ce pas bien grand injureÀ un prêtre d'ainsi jurer ? LE PARDONNEUR. Comment ne sais-tu endurerEt attendre que j'aie faitMa collation ? En effet,Si tu ne te tais, j'en appelle.Regardez, Seigneurs, voici l'aile D'un des séraphins d'emprès Dieu.Ne cuidez pas que ce soit jeuVoilà là, afin qu'on la voie. LE TRIACLEUR. Sang bieu, c'est la plume d'une oieQu'il a mangée à son dîner. Ha ! que tu sais bien affinerEt abuser les bonnes gens. LE PARDONNEUR. Et, par la vertu bieu, tu mensCoquelicoq, alleluia. LE TRIACLEUR. Tenez, est-ce juré cela ? Je pense que oui pour un coup.Je porte des drogues beaucoup.J'ai ci, en mes deux petits caques[Note : Cerbère est le chien à trois têtes qui garde les Enfers dans la Mythologie grecque.]De la tête de Cerberus,Que je conquis le jour de Pâques [Note : Palus : terres humides, marais.]Es parties d(e l)'infernal palus. LE PARDONNEUR. Benedicite, dominus.Tu mens bien à bon escient. LE TRIACLEUR. Et j'ai ci tout pareillementDe la barbe de Proserpine, Et si ai ci d'une racine[Note : Arquemie : alchimie ?]De quoi on joue d'arquemie,[Note : Affier : Asurer, promettre, jurer.]Et l'ai prise, je vous affie,En la racine jusqu'au fonds,Et m'y portèrent mes griffons, Qui sont tous duis à cella faire. LE PARDONNEUR. Et très doux Jésus, roi de gloire,Et que tu mens terriblement. LE TRIACLEUR. J'ai [i]ci tout pareillementDu premier fruit d'une châtaigne, Que j'ai prise en un mouvementAu fonds de la grand mer d'Espagne. LE PARDONNEUR. Écoutez, cuidez-vous qui plaigneA bien mentir ? Corps bleu, nenni.Que plut à Dieu qui fut ennui À la grand rivière de Seine,Attaché d'une bonne chêne,Au moins tant que j'eusse prêché.J'ai ci, seigneurs, d'un couvre-chef[Note : Il existe deux églises de ce nom l'une en Aveyron l'autre dans les Pyrénées Atlantiques et une chapelle dans le Loire.]De Notre-Dame-de-Laval. LE TRIACLEUR. [Note : Hannibal Barca, célèbre général carthaginois des guerres puniques du IIIème avant J.C.]Voici du pied de HannibalEt de la tête et des cuisses. LE PARDONNEUR. Il ne m'en chaut, non que tu disses.Tu mens de tout ce que tu dis. LE TRIACLEUR. J'ai ci des murs de paradis Un petit caillou vé le là. LE PARDONNEUR. As-tu [donc] monté jusques là ?Il est à la plus haute notte. LE TRIACLEUR. J'y fus porté en une hotteLe jour du vendredi aourez LE PARDONNEUR. Or ça, messieurs, écoutezJe vous veux compter un miracle. LE TRIACLEUR. [Note : Triacle : animal fabuleux.]Ça qui veut avoir du triacle ?J'en ai ici du medragan,J'ai l'oreille d'un pélican, Et les pieds de quatre phénix,Et les ai pris dedans les niezPrès [de] la montagne d'Artos. LE PARDONNEUR. Je vous vueil ci montrer les os[Note : Bigourdin : bigourdan, Qui appartient au Bigorre, région du sud de la France.]De la tête de Bigourdin L'un est de monsieur Saint Boudin,Voici l'autre de Sainte Fente. LE TRIACLEUR. J'apporte du pays de TarenteLa dent (de) Geoffroy à la grand dent,Qui va tout le monde mordant. Pour Dieu, reculez-vous arrière.[Note : Foudrier(e) : Ouvrier qui fait les tonneaux ou foudres à renfermer les produits alcooliques. [L]]Je la pris à une foudrière,En la vallée de Golgotas.J'ai ci encore un grand tasDe coque-grues d'outre-mer. J'ai du chevron qui porte l'airEt du pied qui porte la lune. LE PARDONNEUR. Par la mort bieu, c'est d'une pruneD'un prunier de quelque jardin. LE TRIACLEUR. [Note : Tabourin : tambour de petite taille.]Voici du bois du tabourin De quoi David joue devant Dieu. LE PARDONNEUR. Il a menti, par le sang bieu,Car David jouait de la harpe. LE TRIACLEUR. Par la mort bieu, si je te happe,Je t'enverrai prêcher ailleurs. SCÈNE II. La Tavernière, Le Triacleur, La Pardonneur LA TAVERNIÈRE. Dea, il ne vient plus nuls buveurs[Note : Chalandise : Affluence de chalands, vogue.]Je perds toute ma chalandise.Tous ces triacleurs de VeniseEt ses pardonneurs d'Amiens,Qui cueillent d'église en église, Soulaient tous venir céans. LE TRIACLEUR. Messieurs,j'ai beaucoup de biens,Dieu merci, de beaux et de bons.Seigneurs, voici un des cramponsDe l'huis qui soutient tout le monde, Et voici une pierre ronde,Que jamais aveugle ne vit ;C'est la pierre de quoi DavidTua Goliath le géant. LE PARDONNEUR. Je me tiens ici pour néant. J'y perds mon sens et [ma] mémoire. LE TRIACLEUR. Que veux-tu donc ? Irons-nous boire ?Je te prie, allons-y, beau sire.[Note : Entrenuire : Se nuire réciproquement l'un à l'autre. [L]]Nous ne faisons qu'entrenuire,Se nous ne faisons quelque accord. Tu sais, par ton même record,Que deux coquins ne valent rienÀ un huis. LE PARDONNEUR. Tu dis très bien.[Note : Gourmander : Fig. Réprimander avec dureté ou vivacité, par extension du sens de ronger comme un gourmand qu'a ce verbe. ]Il nous faut aller gourmander ;A quelqu'un nous fault demander Où est le bon vin d'Orléans. LA TAVERNIÈRE. C'est céans, seigneurs, c'est céans ;Venez, entrez, j'ai de bon vin. LE TRIACLEUR. Aussi l'entends-je en latin.Tenez, gardez-moi ce coffret. LA TAVERNIÈRE. Messieurs, dites, s'il vous plaît,De quoi vous mêlez-vous tous deux ? LE PARDONNEUR. De quoi ? Nous sommes pardonneur,Dame, à votre commandement.Au moins moi véritablement; Mais cestui ci est triacleur. LE TRIACLEUR. Par Saint Jehan, je me tiensSi sûr, mon mari était ici,Certes, il serait bien marriSi très bien ne vous festoyait Car aussi certes il soûlaitSe mêler du même métier. LE TRIACLEUR. Comme quoi ? LA TAVERNIÈRE. Il était ouvrierExcellent d'arracher les dents. LE PARDONNEUR. Sang bieu, il étoit de nos gens. LA TAVERNIÈRE. Ha c'était mon ; j'en suis bien aise.Or, messieurs, ne vous déplaise,Faites [donc] tous deux bonne chére[Note : Demourrer : rester, s'arrêter, retarder, retenir.]Vous ne demourrez pas derrièrePar ma foi jusques à un écu. LE PARDONNEUR. Je crois que nous avons vécuCéans, dame, à vos dépens.Il y a choses ici dedansQui est, certes, un grand trésor ; Il vaut plus d'un million d'or; S'il vous plaît, vous le garderez. LA TAVERNIÈRE. Et qu'est-ce ? LE PARDONNEUR. Vous le saurezC'est, ainsi comme je l'entends,Le béguin d'un des Innocents.Gardez-le nous bien à point ; Mais ne le développez point. LA TAVERNIÈRE. Comment est-il si précieux ? LE TRIACLEUR. Oui dea. LA TAVERNIÈRE. J'aimerais mieuxMourir que le développer. LE PARDONNEUR. Or irons-nous après souper Nous en allons ; adieu, pou fille. LA TAVERNIÈRE. Adieu, seigneurs, qui vous conduise. LE TRIACLEUR. [Note : Benoît : Par ironie, qui affecte une dévotion doucereuse. [L] ]Et benoîte soit tromperie ;Le corps bieu elle en a pour une. LA TAVERNIÈRE. Et n'est-il manière aucune Que je puisse voir qu'est ceci ?Par bieu, j'en suis à grand souciQue ferai-je ? Y regarderai-je ?Oui, nenni lequel ferai-jeEt si ferai par mon serment. Mais je prie premièrementA Dieu que point ne me punisse. Et, mon Dieu, que je suis nice Frêle et de propre nature, Si je regarde d'aventure Ce qu'il y a ici dedans,Pardonnez-moi car je prétendsN'y faire aucune violence.Or ça, il faut que je m'avanceDe voir cette noble relique. Vierge Marie, et qu'est-ce sique ?Se sont brayes, par ma conscience, De quelqu'un mon Dieu, patience ;[Note : Bréneux : Sali de bran, de matière fécale. [L]]Vierge Marie, qu'ils sont bréneuses[Note : Cauteleux : Qui a de la cautèle. Précaution mêlée de défiance et de ruse.]Que de finesses cauteleuses Se font aujourd'hui par le monde ! Je prie à Dieu qui les confonde. Je le dirai à mon mari ; Je m'y en vois adieu, vous dis, Et prenez en gré, je vous prie, Adieu, toute la compagnie. ==================================================