AU DÉCLIN

À PROPOS EN UN ACTE ET EN VERS.

Représenté pour le première fois sur le Théâtre de l'Odéon le 21 décembre 1894.

À l'occasion du 255ème anniversaire de la naissance de Racine.

1895. Tous droits de reproduction, de traduction et de représentation réservés pour tous les pays y compris la Suède et la Norvège

JACQUES DE NITTIS

PARIS, PAUL OLLENDORF, ÉDITEUR, 28 bis rue de RICHELIEU, 28 bis.

IMP. NOIZETTE et Cie, 8 RUE CAMPAGNE-Ier, PARIS.

Représentée pour la première fois au Louvre, par ordre de sa majesté, le 29e du mois de janvier 1664, et donnée depuis au public sur le Théâtre du Palais-Royal le 15e du mois de février de la même année 1664 par la Troupe de Monsieur, frère unique du Roi.


Texte établi par Paul FIEVRE, juillet 2021.

Publié par Paul FIEVRE, août 2021.

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:30.


Au Maître Josè-Maria de HRRÈDIA

Patris familiarissimum, nobis jam inde a puero amicuro, eximium aitificem, vclim hune libellum non ingratus ad te déferre jubeas.

JACQUES DP. NITTIS


PERSONNAGES

MADAME DE MAINTENON. Melle ARBES.

LAURE DE NAVES. CHAPELAS.

RACINE, M. JAHAN.

LOUIS XIV, père de Dorimène. Béjart

MANICAMP, M. TALDY.

COURTISANS.

SUIVANTES de MADAME DE MAINTENON.

La scène se passe en 1693. ? Une galerie de Marly.


AU DÉCLIN

Une galerie de Marly.

SCÈNE PREMIÈRE.
Racine, Manicamp.

Ils causent.

MANICAMP.

On vous nommait déjà janséniste et boudeur

Car vous nous témoignez, monsieur, quelque froideur.

Et l'on ne vous voit guère à la Cour, sans reproche...

RACINE.

Que voulez-vous, marquis, peu de chose rapproche

5   De ces lieux fortunés un poète vieilli

Avec quelque respect qu'il y soit accueilli.

Mais, si la Cour et moi faisons mauvais ménage

Il n'en faut, malgré tout, accuser que mon âge :

Je ne sais presque plus tourner un compliment.

10   Mais chacun, au surplus, s'en console aisément.

MANICAMP.

Oh ! Pour ce mot, Monsieur Racine, je proteste :

Vous êtes admiré des plus fiers sans conteste.

Pour frivoles et vains que soient les courtisans

Ils ne sont point frappés que par des.mots plaisants

15   Et savent mesurer, remplis de déférence,

Du génie à l'esprit toute la différence,

Et le nom de Racine est parmi les grands noms !

RACINE, saluant.

Monsieur !...

MANICAMP, confidentiel.

De vous à moi, nous nous embéguinons !

Ne cherchez plus ici la gaité familière

20   Du temps où souriait, charmante, La Vallière

Ni même de celui, plus noble, où Montespan,

Hautaine et fastueuse, escortait son amant.

Nous sommes vertueux ! L'ennui nous assassine

Et nous avons l'aspect grave et l'humeur chagrine.

25   Louis est soucieux : comment ne l'être pas ?

La gêne appesantit nos discours et nos pas.

Mais vous nous revenez tout à fait ?...

RACINE.

Non. Peut-être

M'en irai-je demain.

MANICAMP.

Diable ! On ne saurait être

Plus pressé.

RACINE.

Je voulais, au Roi, lire un placet

30   Mon volontaire exil suivra son insuccès.

MANICAMP.

Nous en reparlerons ; ce sujet m'intéresse.

Excusez-moi. Monsieur ; c'est l'heure de la messe.

Manicamp s'éloigne.

SCÈNE II.

RACINE, seul.

Ô rêves ! Ô désirs ! Cruels et durs vainqueurs !

Vous, que rien ne saurait étouffer dans les coeurs

35   Où vous dormez, sommeil prudent que tout agite !

Notre sagesse est vaine et n'est que la faillite

Des beaux espoirs, qu'enfants, nous conçûmes parfois

Lorsque vous nous parliez avec vos douces voix.

Nos coeurs sont la forêt où l'ombre s'accumule,

40   Où des oiseaux, qui se sont tus au crépuscule

S'éveillent en sursaut, si la brise du soir

Fait frissonner le bois. Il suffit d'un espoir

Pour réveiller en nous les angoisses passées

Les amours d'autrefois, les peines trépassées...

45   Je me leurrais en vain du prétexte menteur

De vouloir soulager le peuple et son malheur.

À de plus doux objets mon âme s'intéresse

Et je suis revenu, poussé par ma tendresse.

Ô faible coeur humain ! La fatigue et les ans

50   N'en peuvent apaiser les soucis séduisants.

Hélas ! Les vrais amants aiment toute la vie !

Leur âme, large ouverte et jamais assouvie

Ne saurait se plier au mol apaisement

De la sagesse, sans plaisir et sans tourment.

55   Or, j'ai voulu revoir, tant ce rêve m'oppresse,

La douce enfant qui me montra quelque tendresse :

Un amour très câlin, pur comme un malin clair

Quand, à Saint-Cyr, jadis, elle jouait Esther.

Mais, depuis ce temps-là !... L'enfant s'est faite femme

60   Et peut-être, son coeur chanta l'épithalame

De quelque amour nouveau ?... J'avais le souvenir,

N'ai-je pas eu grand tort, mon Dieu, de revenir?

Et pourtant !... Et pourtant, que l'espoir est vivace !

Comme ce bref bonheur de naguère m'enlace :

65   La caresse de ses yeux noirs et de ses mains

Dans les miennes ! Depuis, loin des tracas mondains

Je voulais oublier tout dans la solitude

...Et, ce regard d'enfant troublait ma quiétude.

Se souvient-elle encor qu'elle faillit m'aimer?

70   Le temps inexorable a pu la transformer

À tel point que j'aurai peine à la reconnaître ?

Laure entre sans te voir.

Ah ! C'est elle ! Mon Dieu ! Ne laissons rien paraître.

SCÈNE III.
Racine, Laure de Naves.

RACINE, haut.

Mademoiselle...

LAURE, le voyant seulement alors.

Ah ! La bonne surprise ! Et moi,

J'avais renoncé presque à vous revoir! Pourquoi

75   Nous négliger depuis si longtemps ?

RACINE.

  Que lui dire

Le poète parfois désapprend de sourire...

Hélas ! Il ne sait point, coeur toujours agité,

Porter la lourde vie avec sérénité !

Or, le moindre souci, broché sur cette trame,

80   Se répercute en longs frissons parmi son âme.

... Et puis, l'âge est venu...

LAURE.

La Gloire, n'est-ce pas

L'éternelle jeunesse ?

RACINE.

Au delà du trépas

Peut-être ! En attendant, j'aimerais mieux la vôtre :

C'est celle de l'amour !...

LAURE.

Moi, je choisirais l'autre.

RACINE.

85   Ah ! Pouvoir être aimé ! Ce bonheur est sans prix !

LAURE, coquette.

Ne le pourriez-vous pas ?

RACINE, à part.

Aurait-elle compris ?

LAURE.

Et vous aimez... quelqu'un?

RACINE, hésitant.

C'est presque ridicule

À dire, moi qui suis tout près du crépuscule !

LAURE, souriant.

En vérité, monsieur, vous êtes bien pressé

90   De perdre le courage...

RACINE, à part.

  Oh ! Quel rêve insensé !

Où sont les désespoirs et les folles rancunes ?

Un vent du large a balayé ces importunes.

LAURE, avec hésitation.

Vous n'avez pas la foi ?

RACINE.

Hélas ! non ; j'ai souffert.

LAURE, avec élan.

Alors, je vous comprends !

RACINE, légèrement surpris.

Tant de bonheur offert

95   Ne vous le permet pas ! Relie, heureuse, entourée,

Ô vous que la douleur n'a jamais effleurée,

Non, vous ne pouvez pas savoir l'âpre combat

Qui se livre en moi-même, et comme se débat

Un être fier et fort, sous l'étreinte pesante

100   Du Destin ! Cette vie aimable et complaisante,

- La vôtre maintenant, ? fut la mienne autrefois.

J'ai connu le triomphe et les câlines voix

Et les douces langueurs, les aveux qu'on soupire...

... Et maintenant !... C'est le retour... et je n'inspire

105   Du passé, proche encor, suprême survivant

Qu'hommage inattentif, et respect décevant !...

Beaux discours, ciselés comme par des orfèvres

Les mots que l'on me dit ne partent que des lèvres.

LAURE.

Mais la Gloire ?...

RACINE.

Ah ! Comme on donnerait, volontiers

110   Tout au monde ! Et la Gloire ! Et ses fracas ailiers,

Et ce pompeux bonheur, dépourvu d'allégresse...

Allez ! Comme on donnerait tout pour la tendresse !

Deux bras qui s'ouvrent !... Mais, c'est tout le rêve humain !

LAURE.

Et quand ils font défaut, que tout le reste est vain !

RACINE, frappé.

115   Elle aime !... C'en est fait !... C'était inévitable !

Il suffit de la voir ! Ô peine inexorable !

Elle aime !... Elle aime !... Et moi, j'en demeure atterré,

Quel chimérique espoir m'avait déjà leurré ?

LAURE.

Je ne suis plus la même, et je me passionne

120   Aux ténébreux tourments de Phèdre et d'Hermione.

Vous pouvez maintenant me dire vos secrets,

Car la communauté de peines rend discrets

Ceux qui souffrent... Ce sont peut-être des chimères

Sur le ciel du bonheur, nuages éphémères !

125   Et vous serez heureux...

RACINE, avec douleur et comme à soi-même.

  Ah ! Celle que j'aimais

Est morte et je voudrais l'oublier à jamais,

Ou, tout au moins, l'aimer comme on aime une morte !

Rien d'elle ne survit ; une étrangère apporte

À mon coeur transformé des gestes inconnus.

130   ? Ses gestes caressants, que sont-ils devenus ?

LAURE, étonnée.

Mais alors, que t'ont-il ?...

RACINE.

Ma misère est extrême

Car elle ne sait pas seulement que je l'aime !

LAURE.

Si vous ne parlez pas !...

RACINE, avec ironie.

Sourire, elle saurait,

Et s'émouvoir aussi, juste comme il faudrait.

135   Un jour, imprudemment, je faillis tout lui dire,

M'attirer l'ironique et très gentil sourire...

Mais, au dernier moment, je me suis aperçu

De mon absurdité...

LAURE, rêveuse.

Voyez l'espoir déçu,

Cela peut arriver toujours !

RACINE.

Pas à votre âge

140   Et vos charmes n'ont point à craindre un tel outrage.

LAURE, faiblement.

Hélas !

RACINE.

Avez-vous des chagrins mystérieux ?

Dites-les moi sans crainte, allez ! Je suis..... si vieux

Confiez-vous à moi ; ce sont peines légères

Sans doute; et vous tremblez d'alarmes passagères?

145   Mon enfant...

LAURE, avec élan.

  Hé bien oui ! C'est vrai ! J'aime et j'ai peur !

RACINE.

Que craignez-vous ?

LAURE.

D'être oubliée, en plein bonheur,

Après l'aveu, au lendemain de l'espérance !

Racine, croyez m'en, c'est la pire souffrance !

Oh ! Oui, j'aime ! Et je doute, et voudrais oublier.

150   Je ne sais que pleurer et que m'humilier.

RACINE.

Faites-le devant Dieu qui, seul, guérit les âmes.

Sa bonté verse en nous les suprêmes dictâmes.

Le hautain réconfort, l'apaisement, l'oubli !

LAURE.

Qui sait ! Autour de moi, tout me semble pâli.

155   Voyez-vous, je dois, tant ma douleur est affreuse,

Renoncer à l'espoir d'être jamais heureuse,

J'entends quelqu'un, je crois; Racine, sans adieu,

Au revoir.

À part, en s'en allant.

Sera-t-il au rendez-vous, mon Dieu.

Elle sort.

SCÈNE IV.

RACINE, seul.

Si les hommes pouvaient traiter en choses vaines

160   Ces tendres sentiments qui causent tant de peines.

Ne chercher en l'amour qu'un doux délassement,

Au lieu de s'épuiser ? si désespérément! ?

A poursuivre au delà de leur vaine apparence

Les âmes mêmes, en leur manteau d'indifférence!

Après un silence, d'une voix raffermie.

165   Sans plus m'importuner de ma triste rancoeur,

Je veux, souci plus haut que mon propre bonheur,

Espoir moins décevant que l'amour et son leurre,

Aider au réconfort de ce peuple qui pleure.

SCÈNE V.
Racine, Madame de Maintenon.

RACINE.

Ah ! Madame de Maintenon vient justement.

Il va au-devant d'elle et lui baise la main.

170   Madame, je voudrais vous parler un moment

MADAME DE MAINTENON.

Monsieur de Manicamp, au sortir de la messe,

Me l'avait dit ; aussi, Racine, je m'empresse

Vers celui qui, pourtant, put nous abandonner,

Puisqu'une affaire, seule, a su vous ramener.

RACINE.

175   Madame, excusez-moi, j'ai vieilli...

MADAME DE MAINTENON.

  Non, Racine.

Et nul ne vous croira ; votre air et votre mine

Le démentent.

RACINE.

Pourtant, sans faire de façons.

La vie, à ce sujet, m'a donné ses leçons.

MADAME DE MAINTENON.

Comme à chacun de nous. Au lieu qu'on s'en attriste

180   Il faut s'incliner...

RACINE.

Sans murmurer ?

MADAME DE MAINTENON, le menaçant du doigt.

  Janséniste !

Mais voyons ce qui vous amène. Vous savez

Que mes soins amicaux vous furent conservés

Malgré l'ingratitude et malgré votre absence ;

Et que le Roi, pour vous est plein de complaisance.

RACINE.

185   Madame, je voudrais plaider auprès du Roi

La cause de son peuple en piteux désarroi.

Il ne peut supporter plus longtemps sa misère.

Pour remettre un placet, c'est en vous que j'espère.

MADAME DE MAINTENON.

Le moment fut très mal choisi. Sa Majesté

190   Doit pourvoir tout d'abord à la sécurité

Du royaume.

RACINE.

Pourtant, le peuple s'exténue

À la peine ; et si la misère continue

On n'aura plus à protéger que des cercueils.

MADAME DE MAINTENON, tressaillant.

En ce moment, votre projet est plein d'écueils ;

195   Le Roi pourrait s'en offenser, comme d'un blâme.

RACINE.

Mais vous ne doutez point de mon respect, madame.

C'est l'intérêt du Roi, qui, seul, me fait parler ;

Moi, je crois qu'il ne faut rien lui dissimuler.

MADAME DE MAINTENON.

Donnez-moi ce papier, je veux d'abord le lire.

200   Et, dès que je pourrai le faire sans vous nuire,

Je vous promets de l'appuyer.

Avec un mouvement do frayeur.

Mon Dieu ! Le Roi !

SCÈNE VI.
Racine, Le Roi, Madame de Maintenon.

Madame de Maintenon fait un mouvement pour dissimuler le placet. Le Roi les examine, moitié riant, déjà soupçonneux.

LE ROI.

Quel trouble tout à coup ! C'est un complot, je crois.

Montrant le placet.

Contient-il un pamphlet dont on me fait mystère,

Ou d'un obscur dessein est-il dépositaire ?

MADAME DE MAINTENON, émue encore.

205   Sire, c'est un placet.

LE ROI, rasséréné.

  Vous avez bien choisi,

Pour le remettre, la douce main que voici.

Il baise la main de la marquise.

Donnez-le moi, Madame, et soyez assurée

De tout mon bon vouloir.

MADAME DE MAINTENON, à part.

Ah ! Je suis atterrée !

LE ROI, qui s'efforce de lire le placet qu'on ne lui donne pas.

Mémoire pour le peuple ?

Avec hauteur.

Alors, il faut parler.

210   S'agirait-il d'abus qu'on veut me signaler?

RACINE, s'enflammant peu à peu.

Le seul désir de voir votre règne prospère

Autant que glorieux, me fait parler. J'espère

Que vous m'excuserez de vous énumérer

Les misères d'en bas qu'on vous laisse ignorer.

215   Les champs restent abandonnés et sans culture;

Vos paysans ruinés n'ont d'autre nourriture

Que le pain d'orge et quelques fruits ; à peine" humains

Ils s'en vont mendier le long des grands chemins.

Sire, vous avez fait du grand peuple de France

220   Le premier parmi tous ; mais sa longue souffrance

Réclame maintenant quelque tranquillité.

Ô Sire, vous serez, pour la postérité,

Le roi superbe et grand, qui fit la France grande !

Mais le pays lassé vous implore et demande

225   L'apaisement. S'il est partout au premier rang

Cela lui coûta trop de larmes et de sang !

Ou le pressure par la gabelle et la taille

Pour que vos généraux gagnent une bataille.

Le peuple meurt de faim au chant des Te Deum.

MADAME DE MAINTENON, effrayée.

230   Racine !

LE ROI, avec hauteur.

  Vous parlez, ma foi, comme un tribun...

Allez! Faites des vers et non des remontrances,

J'ai de meilleurs commis pour me parler finances.

À Madame de Maintenon.

Vous pourrez, tout au long, lire ce bel écrit !

Il se retire sans même regarder Racine.

MADAME DE MAINTENON, à part et regardant Racine.

Hélas ! Le malheureux ! Je crois qu'il perd l'esprit !

Elle sort à la suite du Roi.

SCÈNE VII.

RACINE, seul.

235   Ô Roi ! Si tu montrais le fond de ta pensée !

Vanité tyrannique et toujours encensée

Par les nobles valets attachés à tes pas ;

Égoïsme intraitable et qui ne rougit pas

De bâtir des palais quand le peuple mendie...

240   ? Peuple d'esclaves, mais dont la plainte assourdie

Peut soudain se changer en longs cris de fureur;

Âpre orgueil qui se croit au-dessus de l'erreur;

Haine des êtres fiers de leur indépendance,

Indulgent seulement pour quiconque l'encense;

245   Seul besoin de splendeur; superbe et vanité

C'est tout ce que contient ton âme, en vérité !

Que, pour ta politique et pour ta fantaisie

Tout un peuple s'épuise ; et que se rassasie

Ta monstrueuse ambition sans s'émouvoir

250   Des appétits d'en bas ; tu ne sais concevoir

Que l'or et le gala de ta cour solennelle.

Et quand tu protégeas ? de façon paternelle

Comme l'on dit ? les Arts, tu ne voyais en eux

Qu'une gloire de plus pour ton règne ruineux.

255   Mais tu n'entends donc pas la houle inassouvie

Qui monte, réclamant une part de la vie ?

Comme un rocher rompant tout l'effort de la mer,

Entre ton peuple et toi,tu mets un mur de fer !

Pour toi, tout ! Et pour lui,l'angoisse et la souffrance!

260   Ô despote ! Crois-tu donc que toute la France

C'est toi seul ! Fou d'orgueil, enivré par ton rang,

Prodiguant sans remords sa richesse et son sang ?

... Et si, quoiqu'un, venant troubler ta quiétude,

Te révèle combien souffre la multitude,

265   Seul, ton orgueil écoute ! Et de mots protecteurs

Il te plaît d'offenser tes plus vieux serviteurs.

Une pause.

Allons, le coeur frappé d'une double blessure,

Je rentrerai, plus las, dans ma retraite obscure

SCÈNE VIII.
Racine, Laure.

LAURE, revient affolée.

Il me trompait ! J'en ai la preuve !

Alors seulement elle voit Racine.

Ah ! Maintenant

270   Je suivrai vos conseils. A l'ombre d'un couvent,

J'oublierai dans la paix l'ingrat lâche et frivole

Qui brise un coeur de femme et trahit sa parole.

RACINE.

Enfant, n'y croyez pas. Jusqu'au pied des autels

L'amour viendra chanter ses refrains immortels

275   Quand on aime une fois, il faut aimer encore.

LAURE.

Vous dites ?

RACINE.

Au déclin des jours comme à l'aurore

Il faut au coeur blessé de nouvelles amours,

Et Dieu ne suffit pas... même en priant toujours !

LAURE, saisie.

Je ne vous comprends plus ! Mais je me désespère !

280   Conseillez-moi ; tantôt, vous me parliez en père ;

J'ai besoin d'un appui ;...

RACINE.

Vous êtes, mon enfant,

À l'aube de la vie et l'amour triomphant

Reviendra, digne en tout, de vos jeunes tendresses.

Chassez pour votre orgueil, d'inutiles tristesses.

LAURE, étonnée.

285   Vous êtes mon ami, pourtant...

RACINE.

  Je vous trompais

Ou plutôt, je me suis leurré. Je vous aimais

D'amour !

Madame de Maintenon entre soucieuse, un peu solennelle. Laure demeure muette et clouée sur place par la surprise que lui cause le mot de Racine.

SCÈNE IX.
Racine, Laure, Madame de Maintenon.

LAURE.

Mon Dieu !

MADAME DE MAINTENON.

Qu'avez-vous fait ? Quelle imprudence!

Un tel discours, au Roi ! Mais c'est de la démence !

Vous pouviez, sans retour, nous perdre tous les deux.

290   Quel orgueil vous dicta ces pensers hasardeux ?

Laissez agir pourtant mon amitié fidèle.

Mais restez à la cour, il le faut, mon rebelle !

RACINE, réfléchit, puis, s'approchant de Laure.

De songes merveilleux, moi, je vous bercerai ;

Laure, oubliez l'ingrat ! Je vous consolerai.

LAURE.

295   Malgré la trahison, Racine, j'aime encore...

MADAME DE MAINTENON, frappée d'une compréhension subite.

J'ai compris maintenant ; c'est elle qu'il adore !

RACINE, relevant la tête.

Madame, c'en est fait, je ne veux pas lutter

Et mon coeur méconnu n'a rien à regretter.

MADAME DE MAINTENON, très douce.

Ô Racine, parfois il est dans l'existence

300   Un jour de deuil où quelque peine plus intense

Harcèle et fait plier le coeur endolori.

L'avenir, devant nous, paraît tout assombri !

Mais qu'importe, pour vous, le lourd chagrin d'une heure !

Sur les troubles présents, votre gloire demeure

305   Triomphale, éclatante, et durera toujours !

Nos intrigues, nos pleurs et les pâles amours

Où notre coeur, parfois, s'amoindrit et succombe,

Seront, depuis longtemps, enfermés dans la tombe,

Que vous demeurerez, planant sur l'univers !

310   Ce siècle, tout entier, revivra dans vos vers !

Racine, croyez-vous que jamais on oublie

Votre Esther, Bérénice, Andromaque, Athalie ?

Pourquoi vous vois-je ici, sombre et désespéré ?

La Gloire vous attend !

RACINE regarde Laure.

Madame, j'en mourrai !

 



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