LA MÉTEMPSYCOSE

COMÉDIE

M. DCC. XVIII.

AVEC PERMISSION ET PRIVILÈGE DU ROI.

DE M. DANCOURT

Représentée pour la première fois, en l'année 17 décembre 1717.


© Théâtre classique - Version du texte du 31/07/2023 à 19:58:44.


À SON ALTESSE SÉRÉNISSIME MONSEIGNEUR LE PRINCE DE CONTI.

Que vous répondez mal à mes empressements,

Ma Muse ! Que vous êtes lente !

Quelle raison vous rend si négligente

À faire vos remerciements ?

Je n'en puis deviner la cause.

Quoi ! Du succès de la Métempsycose

Que vient d'applaudir tout Paris,

Croyez-vous avoir lieu de n'être pas contente ?

Si de mes envieux la Troupe malfaisante,

Pour en diminuer le prix

Interrompt ce succès, les efforts qu'elle tente

N'empêchent pas que des plus beaux esprits

L'assemblée illustre et savante

N'en fasse hautement l'éloge avec chaleur ;

Que jusqu'ici la divine Thalie

Ne m'avait rien dicté qui m'eût fait tant d'honneur.

Montrez-vous donc, non pas en Muse suppliante,

Qui vient d'une voix chancelante,

Par des respects souvent infructueux,

Du Parterre tumultueux

Calmer l'humeur peu complaisante ;

Mais en Muse reconnaissante,

D'un air content et non présomptueux,

Sans orgueil quelquefois il sied bien d'être fière :

Soutenez, j'y consens, ce noble caractère.

Que tardez-vous ? Qui peut vous arrêter ?

Pour le plus beau de mas Ouvrages

Allez recueillir les suffrages

Que vous m'avez fait mériter :

Puis, de ma part, courez les présenter

Au Prince à qui j'en dois les plus justes hommages ;

De ce jeune Héros sorti du sang des Dieux,

Muse, vous recevrez un accueil gracieux :

Il a daigné me le promettre,

Sa bonté veut bien nous permettre

De parer vos écrits de son nom glorieux,

Qu'ici sans son aveu je n'aurais osé mettre.

D'une longue suite d'Aïeux,

Plus grand encor, plus illustre par eux,

Que par leur sang auguste, et leur haute naissance.

Vous verrez briller dans ses yeux

Une parfaite ressemblance :

Présage flatteur pour la France,

Dont ils furent toujours les Maîtres et l'appui,

Et qui nous donne une heureuse assurance,

Que toutes les vertus se rassemblent en lui.

Vous voudrez employer votre faible éloquence

D'abord à le remercier,

Il vous imposera silence.

Toutes les faveurs qu'il dispense

Il défend de les publier,

Obéissez, faites-vous violence,

Qu'il sache seulement que dans tout l'avenir,

Mes arrière-Neveux dès leur plus tendre enfance,

Par vous instruits à la reconnaissance,

Sauront de ses bontés garder le souvenir :

Ne lui dites rien davantage.

Vous et vos soeurs aimez à babiller,

Et de tant de vertus qu'en lui l'on voit briller ;

L'éclatant et rare assemblage

Offre un beau sujet de parler ;

Cependant, Muse, il faut vous taire

Dans une si vaste carrière,

Si féconde, si propre à dignement louer ;

C'est une gêne étrange, il le faut avouer,

D'être contrainte à n'en rien faire ;

Mais ce serait peut-être une témérité

Condamnable à vous d'oser croire

Pouvoir être utile à la gloire

D'un Nom si grand si respecté,

Dont le Prince lui-même assure la mémoire.

C'est un demi-Dieu, que l'Histoire

Seule a droit de transmettre à la Postérité.

Laissons de lui parler la Vérité,

Muse, reposons-nous sur elle

Du soin de l'immortaliser : é

Gardons de ses bontés un souvenir fidèle,

Et bornons-nous à l'amuser

Par quelque heureuse bagatelle.

DANCOURT.


ACTEURS DU PROLOGUE.

MERCURE.

LA PAIX.

L'AMOUR.

BACCHUS.

THALIE.

SUITE DE L'AMOUR.

SUITE DE BACCHUS.

HABITANTS DE LA VALLÉE DE TEMPÉ.

ACTEURS DE LA COMÉDIE.

JUPITER, Amoureux de Corine.

MERCURE, Confident de Jupiter.

FAUNUS, Confident de Jupiter.

VÉNUS.

CORINE, Amante de Philène.

JUNON, sous la figure de Mérope.

BACCHUS, Confident de Junon.

L'AMOUR, Confident de Junon.

L'INCONSTANCE, Confidente de Junon.

MÉROPE, Tante de Corine.

PHILÈNE, Berger, Amant de Corine.

SUITE DE BACCHUS.

SUITE L'AMOUR.

HABITANTS DE THESSALIE.

La Scène est en Thessalie.


PROLOGUE.

Le théâtre représente la vallée de Tempé. Sur le haut du coteau est un Pavillon isolé, d'une fort belle Architecture.

SCÈNE I.

MERCURE, descend du Ciel.

Je cherche en vain de toutes parts.   [ 2 Mercure : C'était un Dieu fabuleux de l'Antiquité, fils de Jupiter et de Maia ; il présidait au négoce. [T]]  [ 1 Tempé : Vallée de Thessalie entre le mont Ossa et l'Olympe. [L]]

La Paix, dans ces climats avant moi descendue,

Ne s'offre point à mes regards ;

Où peut-elle être retenue.

5   Mais quel éclat vient de percer la nue ?

C'est elle, je la vois.

SCÈNE II.
La Paix, Mercure.

LA PAIX, traverse les airs dans un Char.

En croirai-je mes yeux ?   [ 3 Paix : Divinité chez les Anciens. On la représentait quelquefois tenant dans son sein Plutus encore enfant, pour marquer que c'est elle qui produit l'abondance et les richesses ; quelquefois avec un caducée, ou des épis de blé. On la couronnait de laurier ou de roses. [T]]

Mercure déjà dans ces lieux !

MERCURE.

C'est moi-même, divine Astrée ;   [ 4 Astrée : Terme de mythologie. Fille de Jupiter et de Thémis, qui régnait dans le siècle d'or, et faisait fleurir la justice parmi les hommes. [T]]

Mais vous depuis longtemps des mortels malheureux

10   Avec tant d'ardeur désirée,

Vous me semblez bien lente à contenter leurs voeux.

Avec empressement de la voûte azurée,

Je vous ai vue partir pour vous rendre chez eux.

J'ai, depuis vous, quitté les cieux,

15   Et vous croyais ici déjà bien établie.

Cependant à ce que je vois,

Vous arrivez même après moi.

LA PAIX.

Mon ardeur en chemin s'est un peu ralentie,

En traversant d'abord rapidement les airs,

20   Avec plaisir j'ai vu les enfants de la Terre

Détruire, par tout l'Univers,

Les autels du Dieu de la Guerre,

Et mettre la discorde aux fers.

J'ai vu l'ambition, la fureur et la rage,

25   Se cachant au fond des enfers,

Laisser mille Peuples divers

Dégagés de leur esclavage,

Et des maux qu'ils en ont soufferts.

MERCURE.

Ainsi donc tout était disposé pour vous rendre

30   Les tranquilles tributs qu'on doit à vos autels,

Et vous auriez dû moins attendre

À remplir les voeux des mortels.

LA PAIX.

Ne me condamnez pas sans m'écouter, Mercure,

Avant que d'établir ici-bas mon séjour,

35   Mon premier soin est d'être sûre

Que j'y tiendrai longtemps ma cour ;

Et je veux, aux mortels que ma présence assure,

Une félicité qui dure plus d'un jour.

J'attends que tous les Dieux s'empressent de détruire

40   De concert avec moi tout ce qui peut leur nuire ;

L'avarice, l'orgueil, l'usure, monstre affreux

Et mille fois plus à craindre pour eux,

Que ceux qu'en sa fureur Bellone peut produire.   [ 5 Bellone : dieu qui personnifie la guerre et accompagne Mars.]

C'est peu qu'entre les Nations

45   Par leurs pressants besoins, par leur propre prudence,

On croie avoir éteint la violence

De leurs longues divisions.

Il faut que Jupiter par sa bonté suprême,

Se prête au bonheur des humains,

50   Qu'il daigne travailler lui-même

À leur faire d'heureux destins.

MERCURE.

Jupiter songe à remplir vos desseins,

Et puisqu'en ces climats vous venez de descendre,

Que vous choisissez pour séjour

55   Le même asile que l'Amour,

Les jeux et les plaisirs en foule vont s'y rendre.

Déjà de toutes parts ils volent en ces lieux :

Et moi, par ordre exprès du Souverain des Dieux,

Je viens rendre à cette contrée,

60   Par vous contre le sort à présent rassurée,

Tout ce que les Beaux-Arts ont de plus précieux.   [ 6 Beaux-Arts : la musique, la peinture, la sculpture, l'architecture, l'éloquence et la poésie avant tout, et, subsidiairement, la danse. [L]]

Avec Bacchus l'Amour d'intelligence

Y va répandre l'abondance.

Le Dieu des Mers,   [ 7 Dieu des Mers : Neptune.]

65   Des plus lointains climats du monde,

Sur le sein de l'onde,

Y conduira mille peuples divers.

LA PAIX.

Que de Paris, cette superbe ville,

Le beau séjour aura pour eux d'attraits !

MERCURE.

70   Il est le séjour de la Paix :

Il doit être heureux et tranquille.

LA PAIX.

Par Bacchus et l'Amour comme il est habité,

Je ne réponds pas trop de sa tranquillité.

MERCURE.

Pour vivre avec eux, sans craindre

75   L'éclat bruyant de leur Divinité,

Il n'a qu'à ne les pas contraindre,

Tous deux aiment la liberté.

LA PAIX.

Ils en pourront jouir en toute sûreté.

MERCURE.

Non, tant mieux, pour fixer la troupe passagère,

80   Qui de l'un et l'autre hémisphère

Vous viendra faire ici sa cour,

Leur secours nous est nécessaire.

LA PAIX.

Ils s'empresseront à me plaire,

Et nous serviront tour à tour.

85   Mais, Mercure, aux plaisirs d'aimer, à ceux de boire,

On ne peut pas toujours donner tous ses moments ;

Cherchons, si vous m'en voulez croire,

Quelques autres amusements.

MERCURE.

Il en est ici de charmants,

90   Et que tout le monde idolâtre.

LA PAIX.

Je les connais ceux du Théâtre ;

Mais on dit que depuis un temps

Ils sont devenus languissants.

MERCURE.

Sans vous tout déplaît, tout ennuie.

95   Mais pour leur redonner de nouveaux agréments,

Apollon consent que Thalie   [ 8 Thalie : Une des neuf muses, présidait à la comédie et à l'épigramme. Thalie est aussi l'une des trois grâces. [B]]

Et la Muse de l'harmonie,

Donnent des spectacles galants,

Et puissent de concert exercer leurs talents.

LA PAIX.

100   J'augure bien d'un si noble assemblage.

MERCURE.

C'est le sujet de mon voyage,

Et je n'y perdrai point de temps.

LA PAIX.

Thalie auprès de nous s'avance.

MERCURE.

Bacchus avec l'Amour accompagnent ses pas ;

105   S'ils veulent avec nous être d'intelligence,

Leurs soins ne nous nuirons pas.

SCÈNE III.
Bacchus, l'Amour, Mercure, la Paix, Thalie.

BACCHUS.

Salut au Dieu de l'Éloquence.

MERCURE.

Salut au Patron des buveurs.

L'AMOUR.

Salut à celui des voleurs.

MERCURE.

110   Salut au Dieu dont tous les coeurs,

Tôt ou tard sentent la puissance.

Quel sujet vous amène ici ?

BACCHUS.

L'ardeur de seconder le dessein où vous êtes.

L'AMOUR.

Instruit du projet que vous faites,

115   Je prétends l'appuyer aussi.

Mais comment ferons-nous ? Çà voyons.

THALIE.

Il me semble

Que tant de Dieux unis ensemble

Pour exécuter leurs projets,

N'ont pas besoin de grands apprêts.

120   Il faut d'abord choisir le sujet de la Paix.

MERCURE.

Jupiter, mon père et le sien,

Pour consacrer le nom d'une jeune Maîtresse,

Qu'il eût jadis, et dont il n'obtint rien,

Aux regards des mortels veut bien

125   Que l'on révèle sa faiblesse.

BACCHUS.

Ce sujet-là sera nouveau pour eux.

L'AMOUR.

Ce sujet-là nous intéresse,

Et nous y figurions tous deux.

MERCURE.

Vous servîtes mal sa tendresse.

L'AMOUR.

130   Puisqu'il le veut, révélons des secrets,

Dont jusqu'à présent nous avions fait mystère.

Je l'avoue, entre nous, j'avais peine à me taire,

Et comme les mortels les Dieux sont indiscrets.

Qui réglera la Comédie ?

BACCHUS.

135   Belle difficulté ! Thalie.

MERCURE.

Je serai le Musicien.

BACCHUS.

Que la Musique soit jolie,

Le trop beau, le trop grand ennuie :

Pour plaire il faut un petit rien,

140   Un Vaudeville, une heureuse folie.

MERCURE.

Ce soin me regarde.

BACCHUS.

Fort bien.

Mais que ferai-je dans la pièce ?

Car au succès je m'intéresse.

MERCURE.

La noce et les frais du festin.

BACCHUS.

145   Tope.

MERCURE.

  Qu'on y boira du vin !

LA PAIX.

Il faudra des Acteurs pour le chant, pour la danse.

THALIE.

L'Amour en fera la dépense ;

N'a-t-il pas avec lui toujours

Les jeux, les ris, les plaisirs, les amours ?

BACCHUS.

150   J'y joindrai les gens de ma suite,

Troupe de Faunes et de Sylvains,   [ 10 Sylvain : Dieu fabuleux de l'Antiquité, qui présidait aux forêts, aux champ et au bétail de satyre. [F]]  [ 9 Faune : Sorte de satyre. [F]]

D'Habitants des pays lointains,

Du Ballet j'aurai la conduite.

LA PAIX.

Qu'on y fera de mauvais pas.

155   Avant la danse, au moins, ne les enivrez pas ;

Et les Acteurs parlant, qui les fera ?

MERCURE.

Nous-mêmes.

Il faut dans ces commencements

Descendre un peu de nos grandeurs suprêmes,

Pour mériter des applaudissements.

160   Jupiter et Vénus, Junon même, s'apprêtent   [ 11 Junon : La Déesse Junon était fille de Saturne et de Rhée. Elle était Déesse des Royaumes et des Empires, des richesses, des mariages (...). Elle était encore la Déesse de la propreté et des ornements, et c'est pour cela que ses statues avaient les cheveux frisés et disposés très proprement, et avec grand soin. [T]]

À seconder les jeux qu'ici nous préparons ;

Et de concert avec nous ils se prêtent

Aux spectacles galants que nous y donnerons.

Au siècle où nous sommes,

165   Si fertile en beaux esprits,

Les Dieux comme nous à Paris,

Sont à peine assez bons pour divertit les hommes.

THALIE.

J'approuve fort un tel avis ;

Mais enfin, sous quelle figure

170   Prétendez-vous en ce pays

De Jupiter retracer l'aventure ?

MERCURE.

Comme elle se passa jadis,

Même forme, mêmes habits,

En robe seulement à la Thessalienne ;

175   Et voici justement un endroit pour la Scène,

Il ne peut être mieux représenté.

Vous voyez de Tempé les bosquets, la fontaine ;

Et sur le beau coteau qui termine la plaine ;

Se trouve aussi le Palais enchanté,

180   Où Jupiter faisait garder cette Beauté,

Que Bacchus et l'amour livrèrent à Philène.

BACCHUS.

On dirait en effet que c'est la vérité.

Ce lieu charmant ici semble exprès transporté.

L'AMOUR.

Je reconnais aussi ces beaux valons sans peine.

BACCHUS.

185   Hâtons-nous donc. Commençons

Par quelque grand Monologue,

Ou par de petites Chansons.

Ce que nous avons dit servira de Prologue.

Quelque danse, et puis finissons.

DIVERTISSEMENT.

MARCHE.

THALIE, chante.

190   Sous l'empire d'un nouveau Maître,

Heureux mortels, tout flatte vos désirs.

Les Dieux exprès pour vous font naître

Un nouveau genre de plaisirs.

THALIE et MERCURE.

Que la Jeunesse

195   Dans cet heureux séjour,

Avec soin s'empresse

De suivre sans cesse

Bacchus et l'Amour.

THALIE.

Chacun d'eux partage

200   Le sincère hommage

Que tous les mortels

Doivent à leurs autels.

THALIE et MERCURE.

Que tout l'Univers se rassemble

Sous leurs douces lois.

205   Ils sont toujours d'accord ensemble,

On peut tous deux les servir à la fois.

UN THESSALIEN.

Aimables Dieux, vous n'êtes point jaloux

Des honneurs qu'à chacun de vous

Les mortels s'empressent de rendre.

210   Nos coeurs charmés de vous voir parmi nous,

Volent au-devant de vos coups,

Loin de vouloir s'en défendre,

Pourraient-ils prétendre

Un destin plus doux ?

215   Après les horreurs de la guerre,

Qu'une heureuse paix

Règne à jamais

Sur la terre,

Qu'une heureuse paix

220   Règne à jamais

LA PAIX.

Et nous puisse attirer la faveur du Parterre.

ACTE I

SCÈNE I.
Jupiter, Mercure.

JUPITER.

Votre sincérité m'offense,

Mercure, je ne puis vous le dissimuler.

MERCURE.

Et moi, je ne puis plus me faire violence.

225   Si mon respect pour vous me condamne au silence,

Mon zèle me force à parler.

JUPITER.

Et de quoi votre zèle ose-t-il se mêler ?

Je vous mène dans mes voyages

Pour exécuter mes messages,

230   Et non pas pour me contrôler.

MERCURE.

Je vous ai dit ce que je pense,

Et c'est à vous d'ouvrir les yeux,

Vous êtes le Maître des Dieux,

Et comme tel exempt de toute dépendance ;

235   Mais l'Amour vous retient trop longtemps en ces lieux.

Votre séjour doit être dans les Cieux ;

Et pendant une longue absence,

Vos affaires n'y vont pas mieux.

Junon là-haut fait la diablesse à quatre.

JUPITER.

240   En fait-elle moins quand j'y suis ?

MERCURE.

Le Soleil accablé d'ennuis

De ce qu'avec Vénus Mars a passé deux nuits,

Est contre lui prêt à se battre.

L'Amour s'enivre tous les jours,

245   Il a chanté pouille à Minerve.   [ 12 Pouilles : Vilaines injures et reproches. Les gueux, les harengères chantent pouilles aux honnêtes gens. Les femmes qui se querellent se disent mille vilaines pouilles et ordures. [F]]

Épris d'une amoureuse verve,

Vulcain danse avec les Amours.

Dans l'Olympe jamais on ne vit tels vacarmes,

Diane est sans pudeur, la Jeunesse est sans charmes ;

250   Cet étrange dérangement

A gagné jusqu'au Firmament.

La révolte est partout, les Étoiles errantes

Lassées de trop courir veulent se reposer,

Les fixes osent proposer

255   Que pour les divertir on les rende courantes.

La Lune dans la nuit refuse d'éclairer ;

Momus ennuyé de médire,

Devient Panégyriste et quitte la satire.  [ 14 Satire : Ouvrage moral en prose ou en vers, fait pour reprendre, pour censurer les vices, les passions déréglées, les sottises, les impertinences des hommes, ou pour les tourner en ridicule. [Ac. 1762]]  [ 13 Panégyriste : Orateur, ou écrivain qui fait un Panégyrique (Discours d'un Orateur fait à la louange d'une personne, ou d'une vertu extraordinaire, ou qu'on veut faire passer pour telle). Les prédicateurs polis et à la mode sont presque tous panégyristes. [F]]

Les Ris sont tous prêts à pleurer ;

260   Et Jupiter ne songe ici qu'à folâtrer,

À faire le galant, à soupirer, à rire.

JUPITER.

Je vois bien qu'il est temps de n'y plus demeurer :

Quelque charmant objet qui m'y retienne,

Il faudra que sur moi je prenne

265   Pour un temps de m'en séparer.

MERCURE.

C'est bien dit, faisons diligence,

Le temps nous presse.

JUPITER.

Oh ! Patience,

Le désordre là-haut facile à réparer,

Un seul moment de ma présence

270   Dans l'ordre fera tout rentrer.

Mais ici je te puis parler en confidence,

Je crains quelque accident de pire conséquence.

MERCURE.

Hâtez-vous donc de me le déclarer ;

Dans vos sec rets en conscience,

275   Sans votre aveu je n'ose pénétrer.

JUPITER.

Du plus charmant objet qui soit dans la nature,

Tu sais bien que je suis épris.

MERCURE.

Hé ! N'ai-je pas, moi-même, embarqué l'aventure ?

Mais un peu trop longtemps cette passion dure,

280   Et c'est de quoi je suis surpris.

JUPITER.

Ma constance étonne Mercure ?

MERCURE.

Très fort même, je vous assure.

Prompt à vous laisser enflammer

Par le mérite des mortelles,

285   Je vous ai vu pour vous en faire aimer,

Prendre mille formes nouvelles ;

Mais au bout de quelques instants,

En Amant bien sensé vous faisiez mieux les choses :

Et chez vous les Métamorphoses,

290   Aussi bien que l'Amour ne duraient pas longtemps.

JUPITER.

L'Amour ne me portait qu'une légère atteinte,

J'étais alors plus libertin qu'amant,

Et d'un trop long déguisement

J'évitais ainsi la contrainte.

295   Je me suis fait, serpent, cygne, taureau,

Mais honteux de telle figure,

Je me hâtais de brusque l'aventure,

Et ne changeais d'objet que pour changer de peau.

MERCURE.

Aujourd'hui dans celle où vous êtes,

300   Vous vous aimez bien mieux apparemment,

Et le plaisir que vous vous faites

De n'en sortir que lentement.

JUPITER.

Je t'en fais le juge, toi-même,

Pour plaire à la beauté que j'aime,

305   En riche partisan je me suis travesti,   [ 15 Partisan : Celui qui est attaché au parti de quelqu'un. Il signifie aussi, Celui qui fait un traité avec le Roi, pour des affaires de Finances. [Ac. 1762]]

Malepeste, le bon parti !   [ 16 Malepeste : espèce d'interjection qui exprime la surprise. [L]]

Aux Dieux même il doit faire envie.

Je n'ai jamais rien fait de plus sage en ma vie.

À peine me suis-je montré

310   L'oeil brillant, le teint frais, la bourse bien garnie,

Avec moi Plutus est entré,   [ 17 Plutus : Terme de la religion gréco-romaine. Le dieu qui présidait à la distribution des richesses et que l'on représentait aveugle. [L]]

Les ris, les jeux nous faisaient compagnie :

Quelques moments après chacun s'est retiré.

Auprès de l'aimable bergère,

315   Presque seul je suis demeuré.

Une tante vieillotte, et qui lui sert de mère,

Fort bonne personne à mon gré,

Avec nous seulement pour la forme est restée.

MERCURE.

À tâcher de vous rendre heureux

320   La tante ne s'est point prêtée ?

JUPITER.

Oh ! Que si fait, d'abord j'ai déclaré mes feux

Aux genoux de l'aimable nièce,

J'ai fait le soupirant, le pasteur langoureux :

Aux succès de tant de tendresse

325   La tante m'a paru d'abord s'intéresser ;

Moi, par égards, par politesse,

Je n'ai point voulu trop presser.

MERCURE.

Je ne vous connais plus, vous devenez tout autre ;

Sur un tel changement il faut se récrier ;

330   La tante a bien fait son métier,

Mais vous avez mal fait le vôtre.

JUPITER.

Je veux un peu goûter le plaisir d'être Amant :

Autrefois de mainte Maîtresse

J'ai triomphé trop aisément ;

335   C'est un bonheur pour moi tout nouveau, tout charmant

D'aimer avec délicatesse.

MERCURE.

Vous filez le parfait amour

Auprès d'une beauté de tout point accomplie,

Et dans les plus beaux lieux qui soient en Thessalie,

340   Ayant fixé votre séjour,

Tout vous plaît, rien ne vous ennuie ;

Et vous vous promettez qu'un jour

Vous règnerez dans le coeur de la belle.

JUPITER.

Ai-je jamais fait de cruelle ?

MERCURE.

345   Tôt ou tard vous serez content ;

Mais enfin sûr d'être aimé d'elle,

Que craignez-vous en la quittant ?

JUPITER.

Qu'un autre ne le soit autant ;

C'est peu d'en être aimé, je la voudrais fidèle ;

350   Et c'est un point très important,

Pour moi qui veux être constant.

MERCURE.

Faunus vient.   [ 18 Faunus : Personnage mythologique chez les Latins représenté tantôt comme un dieu champêtre qui rendait des oracles, tantôt comme un ancien roi d'Italie. [L]]

JUPITER.

Que veut-il ?

SCÈNE II.
Faunus, Jupiter, Mercure.

FAUNUS.

Dans la forêt prochaine,

Seigneur, Junon sans suite et toute hors d'haleine,

355   Du Ciel en ce moment ici vient d'arriver.

MERCURE.

Voilà de quoi nous achever.

JUPITER.

Le fâcheux contretemps !

FAUNUS.

Je la crois informée

Des raisons qui vous font demeurer parmi nous ;

360   Elle paraît diablement animée,

Et ce sera bien fait d'éviter son courroux.

JUPITER.

Je sens à dire vrai, ma tendresse alarmée,

De la savoir si près d'ici.

MERCURE.

J'en suis pour vous fort inquiet aussi.

FAUNUS.

365   Pour l'objet de votre tendresse,

Seigneur, n'ayez aucun souci,

Je doute qu'elle la connaisse ;

Comus, Plutus, Mercure et moi,   [ 19 Comus : Dieu de la joie, des festins, des danses nocturnes. [T]]

Sommes seuls de la confidence,

370   Et tous quatre, comme je crois,

Avons su garder le silence.

JUPITER.

Puisque ma femme est en ces lieux,

C'est pour m'en éloigner une raison puissante.

MERCURE.

Et tout-à-fait déterminante :

375   Nous allons donc partir pour retourner aux Cieux.

JUPITER.

Vole, part le premier, Mercure,

Et dans le céleste séjour,

Dépêche-toi d'annoncer mon retour,

Je te suivrai dans l'instant, je te jure.

Mercure s'envole.

SCÈNE III.
Jupiter, Faunus.

FAUNUS.

380   Ce départ semble vous fâcher.

Laissez-moi faire, allez, sur ce qui vous regarde

J'aurai soin de veiller, que rien ne vous retarde.

JUPITER.

Observe l'objet qui m'est cher,

C'est un dépôt que je te donne en garde.

FAUNUS.

385   Junon aura beau la chercher.

JUPITER.

Je sens en m'éloignant à quoi je me hasarde,

À d'autres qu'à Junon il faudra la cacher,

De quelque feu secret je la crois prévenue.

FAUNUS.

Je vous réponds de la garder à vue.

JUPITER.

390   En maîtresse d'homme important,

Attendant mon retour, je prétends qu'on la traite.

Je veux?

FAUNUS.

Parlez, c'est une affaire faite.

JUPITER.

Qu'elle ait Maître d'Hôtel, Écuyer, Intendant,

395   Force Valets, grand équipage.

FAUNUS.

Pour une fille simple, élevée au village,

Dans le grand monde depuis peu ;

Voilà bien du fracas.

JUPITER.

Grande chère et beau feu,

400   Je le veux.

FAUNUS.

Soit, vous êtes bon et sage.

JUPITER.

J'en ferais moins si je n'étais qu'un Dieu,

Mais comme homme en crédit, parbleu,   [ 20 Parbleu : Sorte de jurement. Altération de par Dieu. [L]]

Il en faut faire davantage,

405   Afin de mieux cacher mon jeu.

FAUNUS.

J'aperçois votre belle.

JUPITER.

Il faut lui dire adieu ;

Car je ne puis lui cacher mon voyage.

SCÈNE IV.
Corine, Jupiter, Faunus.

CORINE.

Aujourd'hui de ces lieux on dit que vous partez,

410   Quelle raison vous en écarte ?

JUPITER.

Oui, Corine, il faut que je parte,

Ici l'Amour et vous, en vain vous m'arrêtez.

CORINE.

L'amour sans mon aveu se sert de ma puissance,

S'il prend soin de vous arrêter.

JUPITER.

415   Quand vous ne me marquez que de l'indifférence,

Dois-je un seul moment hésiter

À bannir de votre présence

Un amant dont l'ardeur vous gêne et vous offense,

Et que votre fierté s'obstine à maltraiter ?

CORINE.

420   Malgré les plus doux soins, la plus longue constance,

N'attendez jamais de moi

Ni faiblesse, ni complaisance.

Vous ne pourriez jamais vaincre ma résistance,

En m'offrant même votre foi.

JUPITER.

425   Vous changerez d'humeur et de langage ;

Nous autres gens du plus sublime étage,

Sommes-nous donc des épouseurs ?

Rayez cela de vos papiers, d'ailleurs

L'hymen est moins charmant qu'un tendre badinage ;

430   Certains engagements ne nous sont point permis :

Qu'un grand Seigneur ait la folie

Se s'engager et faire un bail à vie !

Dans le haut rang où le Ciel nous a mis,

Trop heureuse, qui peut nous avoir pour amis.

CORINE.

435   Ces sentiments, ces superbes manières,

Ne trouveront jamais le chemin de mon coeur.

Qui s'estime trop ne plaît guères ;

Chez nous les plus simples Bergères,

N'aiment point les airs de hauteur.

JUPITER.

440   Alors, c'est aux amants vulgaires,

À craindre une longue rigueur :

Les soins, les présents, en douceur

Changent le courroux des plus fières,

L'amour succède à la fureur.

445   Nous trouvons tous les jours cent maîtresses pour une,

Et nous devons notre bonheur

À l'amour moins qu'à la fortune.

Attendez-moi dans ce charmant séjour,

Et comptez que de mon retour,

450   Je prendrai soin de hâter la journée.

CORINE.

De la fortune et de l'amour,

N'attendez rien même avec l'hyménée ;

Cherchez en voyageant quelque autre objet.

JUPITER.

Hé bien !

455   Je ne veux point ici disputer davantage,

Et ne m'offense point de vous trouver trop sage ;

Mais quand je reviendrai, sans m'engager à rien,

Peut-être pourrons-nous trouver quelque moyen

En habillant l'amour comme le mariage,

460   De mettre votre honneur d'accord avec le mien.

À Faunus.

Tu vois bien ce que j'appréhende,

Et ce que je te recommande.

FAUNUS.

Cela se devine aisément.

JUPITER.

Adieu mon cher, adieu charmante.

CORINE.

465   Jusqu'au revoir.

SCÈNE V.
Faunus, Corine.

FAUNUS.

L'absence d'un amant

Va vous rendre ici peu contente.

CORINE.

Je ne me livre pas aux chagrins aisément.

FAUNUS.

Nous avons à peu près même tempérament ;

470   Quand le moindre ennui se présente,

Je le bannis dès le moment.

Quelque part où je sois point de mélancolie,

Je me livre avec joie aux plaisirs les plus doux.

Votre amant part, il fait une folie,

475   Vous voilà seule, à quoi nous divertirons-nous ?

CORINE.

À ce qu'il vous plaira.

FAUNUS.

Mais avec votre suite :

Car pour recevoir de visite,

Néant ; à l'empêcher, je me suis engagé.

CORINE.

480   C'est donc vous que de ma conduite,

En s'éloignant on a chargé.

FAUNUS.

Justement, c'est l'emploi que j'ai,

Trouvez bon que je m'en acquitte.

CORINE.

Quand moi-même j'aurais pris soin de vous choisir,

485   Je n'aurais pu mieux faire ; un homme de mérite,

Qui n'aime qu'à faire plaisir.

FAUNUS.

Oui, c'est mon seul objet, mon unique désir.

CORINE.

Dans l'état où je suis réduite,

Une tendre pitié doit vous intéresser.

FAUNUS.

490   Comment donc ! Que dois-je penser ?

Quel trouble soudain vous agite ?

Vous que le départ d'un amant

Vient de toucher si faiblement ?

CORINE.

L'absence d'un amant me gêne,

495   Je m'en défendrais vainement ;

C'est ce qui fait toute ma peine.

FAUNUS.

Ce n'est donc pas apparemment

Celui qui part en ce moment.

CORINE.

Sans vouloir chercher à connaître

500   L'amant à qui les Dieux ont soumis ma fierté,

Laissez-moi m'affranchir de ma captivité :

Souffrez que de ces lieux je puisse disparaître,

Ce sera servir votre maître

Que de me rendre la liberté.

FAUNUS.

505   Par tous vos beaux discours je ne suis point tenté.

CORINE.

Vous êtes insensible aux douleurs d'une amante ?

FAUNUS.

M'en laisser émouvoir serait trop hasarder,

Sans adieu. Voilà votre tante,

Je m'en vais redoubler mes soins pour vous garder.

SCÈNE VI.
Corine, Junon sous la figure de la tante.

CORINE.

510   Je perds tous les soins que je tente,

Mérope vient, elle sait mes secrets,

Et n'est point dans mes intérêts.

JUNON.

Qu'avez-vous, ma chère Corine ?

Je vous trouve rêveuse, inquiète, chagrine.

515   Pourquoi d'un riche Amant méprisez-vous les voeux ?

Votre fierté déjà l'écarte de ces lieux,

On dit qu'un autre objet l'enchaîne.

CORINE.

Hé ! Pourquoi s'éloigner ! Sans me faire de peine

Il pouvait l'aimer à mes yeux.

JUNON.

520   Vous êtes donc pour lui bien peu sensible ?

CORINE.

On ne peut l'être moins, ma tante, assurément.

JUNON.

Comment, ma nièce, est-il possible ?

Il vous aime si tendrement :

Il a tant de bien en partage,

525   Il vous en fera part si libéralement ?

CORINE.

Ah ! Qu'il en fasse un autre usage.

Ses offres, ses présents, de sa part tout m'outrage.

C'est assez qu'il ait cru pouvoir impunément

M'adresser un indigne hommage,

530   Sans craindre mon ressentiment.

JUNON.

Si de retour de son voyage,

Il vous venait sincèrement

Vous demander en mariage,

Le refuseriez-vous, ma nièce ?

CORINE.

Absolument.

JUNON.

535   Dans l'espoir même du veuvage ?

CORINE.

Dût-il ne vivre qu'un moment.

JUNON.

Que je te sais bon gré d'un pareil mouvement !

Et quelle joie est égale à la mienne !

Dans ces bons sentiments que le Ciel t'entretienne.

540   Approche-toi. Viens çà. Que cet embrassement

De tes chagrins te récompense.

Il faudra pendant son absence

Faire tous nos efforts pour nous sauver d'ici.

CORINE.

Qu'heureusement enfin je retrouve ma tante :

545   C'est là l'unique espoir qui flatte mon attente.

JUNON.

C'est le plus grand bonheur dont je me flatte aussi.

CORINE.

Mais comment pourrons-nous assurer notre fuite ?

Ma chère tante, où sommes-nous ?

Des inconnus en ces lieux m'ont conduite

550   Malgré moi, presque malgré vous.

Ce séjour est-il prêt ? Est-il loin de Larisse ?  [ 21 Larisse : Nom propre d'une grande ville et Archiépiscopale. Larissa. Elle est dans la Thessalie, sur le Pénée, environ à dix lieues de son embouchure dans le golfe de Salonichi. Larisse est fort ancienne ; ç'a été la patrie d'Achille. Cette Larisse était dans la contrée de Thessalie qu'on appelloit Pélasgiotide, à quinze milles de Pharsale. [T]]

En nous sauvant, où fuir ? Où nous cacher ?

Quel asile irons-nous chercher ?

JUNON.

Que notre dessein réussisse,

555   Je te réponds d'un asile assuré.

CORINE.

Nous n'y serons jamais assez tôt à mon gré.

JUNON.

Avant qu'il soit peu je t'y mène.

CORINE.

Ma tante, verrons-nous Philène ?

JUNON.

Philène ? Il est jeune et charmant,

560   J'aime à te voir l'aimer si tendrement.

CORINE.

Que mon absence lui fait peine !

Hélas ! Ma tante, en ce moment,

Peut-être me croit-il volage.

Son coeur souffre un cruel tourment.

565   Il faut que mon retour au plutôt le soulage.

Aux Autels de l'Amour nous avons fait serment

De nous aimer fidèlement.

Nous nous sommes donné nos portraits pour otage

D'un mutuel attachement.

570   Accordez-nous votre suffrage,

Et rendez heureux cet Amant.

JUNON.

Je réponds de l'événement,

Va m'attendre dans ce bocage.

CORINE.

Je compte sur vous, ma tante, absolument.

SCÈNE VII.

JUNON, seule.

575   Enfin sous ce déguisement

Ma rivale me croit sa tante.

Je sais son secret sentiment :

Junon, tu dois être contente ;

Et ton perfide époux n'a point touché son coeur.

580   Elle est pourtant la victime innocente

D'une trop vive et jalouse fureur,

Si Bacchus à propos ne m'avait avertie,

Que ni lui ni l'Amour n'étaient de la partie.

Jupiter et l'Amour sont brouillés, que je crois.

585   Assez souvent ensemble ils ont querelle :

Profitons-en, l'occasion est belle.

Pour l'engager à travailler pour moi,

Approchez, Amour.

SCÈNE VIII.
L'Amour, Junon, l'Inconstance.

L'AMOUR.

Ciel ! Est-ce Junon ?

JUNON.

C'est elle.

L'AMOUR.

590   Dans cet équipage nouveau,

Pardonnez, si pour vous connaître,

Il a fallu quitter tout-à-fait mon bandeau.

Sous ce déguisement qui vous force à paraître ?

Pourquoi vous travestir ainsi ?

JUNON.

595   De la tante de Corine

J'ai pris l'habillement, la figure et la mine,

Afin de m'introduire ici ;

Et cependant d'abord vous m'avez reconnue.

L'AMOUR.

Je ne suis pas si aveugle que l'on dit ;

600   Sans le bandeau j'ai bonne vue,

Avec le bandeau bon esprit.

JUNON.

J'ai, sans en avoir fait aucune expérience,

Très bonne opinion de votre habileté.

Mais que vois-je avec vous ? N'est-ce pas l'Inconstance ?

L'AMOUR.

605   Elle ne m'a que rarement quitté,

Non plus que sa soeur la Folie.

JUNON.

Vous menez avec vous fort bonne compagnie.

L'AMOUR.

Lui plaire est notre unique loi :

Nous le servons avec un zèle extrême :

610   Nous sommes les soutiens de son pouvoir suprême,

Ma soeur conseille, et j'exécute, moi.

JUNON.

Il a vraiment en vous deux excellents ministres.

Après cela je ne m'étonne pas

De tant d'événements sinistres

615   Qu'on voit là-haut comme ici-bas.

L'INCONSTANCE.

Doucement, s'il vous plaît, Déesse ;

Gardez de la mettre en courroux.

Dans le soin qui vous intéresse,

Vous pourriez bien avoir besoin de nous.

JUNON.

620   Oui, de vous, il est vrai, vous m'êtes nécessaire ;

Mais l'Inconstance ici pourrait me déranger,

À peu de frais elle peut m'obliger,

En ne se mêlant point du tout de cette affaire.

L'INCONSTANCE.

Dans cette occasion il faudrait m'engager,

625   Pour le moins, Déesse à me taire.

Et quand de votre Époux vous voulez vous venger,

Votre projet a besoin du mystère.

L'AMOUR.

Il faut faire encor plus, si vous me voulez plaire,

Corine aime un jeune Berger,

630   Le Berger aime la Bergère.

Gardez de les faire changer ;

Respecter l'ordre que je donne :

N'approchez jamais de leur coeur,

Exécutez à la rigueur

635   Tout ce que l'Amour vous ordonne.

L'INCONSTANCE.

Vous serez obéi, Seigneur.

SCÈNE IX.
L'Amour, Junon.

L'AMOUR.

Voyez à vous servir combien je m'intéresse,

J'en fais mon plaisir le plus doux.

Cependant à parler franchement entre nous,

640   Nous nous connaissons peu, Déesse,

Et je n'ai presque point eu d'affaire avec vous.

JUNON.

Presque point ? Retranchez, de grâce,

Ce terme-là de vos discours,

Il n'est point du tout à sa place.

645   Est-il quelque vertu que la mienne n'efface ?

Je n'ai jamais fréquenté les Amours.

L'AMOUR.

Vous avez perdu de beaux jours.

JUNON.

Je n'en regrette point la perte.

L'AMOUR.

L'occasion d'aimer n'arrive pas toujours,

650   Je vous l'ai quelquefois offerte ;

La sagesse chez vous devrait finir son cours.

Si je l'ai trop longtemps soufferte,

D'un excès de fierté je me lasse à la fin,

Tôt ou tard j'en prendrai vengeance.

655   Il est réglé par le destin

Que tous les coeurs sentiront ma puissance :

Dans le vôtre sans résistance,

Laissez-moi prendre un droit qui m'est certain.

JUNON.

Quitter un style si badin,

660   Comptez, Amour, que Junon s'en offense.

L'AMOUR.

Votre peu de complaisance,

Devrait être payé par un pareil dédain.

JUNON.

Dédain, soit. Mais qu'enfin mon projet réussisse ;

Il faut sans intérêt me rendre ici service,

665   Pour faire enrager mon époux,

Épouser mes transports jaloux.

L'AMOUR.

Ce serait vous servir d'office.

Tout coup vaille, à Plutus sur moi   [ 22 Tout coup vaille : Au trictrac, coup et dés, veut dire que la primauté appartiendra à celui qui amènera le dé le plus fort. Tout coup vaille, arrive ce qu'il pourra. [L]]

Il a donné la préférence.

670   Mais je serai vengé ; car j'en jure, ma foi,

Il en verra la différence.

Depuis un temps presque en toutes les Cours,

Il semble aux gens qui sont dans l'opulence,

Pour réussir dans leurs amours,

675   Qu'il ne leur faut l'appui que du Dieu des richesses,

C'est à lui seul qu'ils ont recours ;

Et pour toucher les coeurs de leurs maîtresses,

Ils pensent n'avoir pas besoin de mon secours.

Je leur ferai bien sentir le contraire,

680   Et l'on n'a qu'à me laisser faire.

D'un violent dépit je me sens animer,

Je ne puis faire que les belles

À qui l'on donne soient cruelles.

L'éclat de l'or peut les charmer,

685   Et l'exemple le justifie.

Mais, Messieurs les donneurs, parbleu je vous défie,

Sans moi de réussir à vous en faire aimer,

Il faut que Jupiter l'éprouve.

Il s'est d'un jeune objet follement entêté ;

690   Je veux qu'à son retour il trouve

Son projet pour elle avorté.

JUNON.

Qu'à ce ressentiment Junon est redevable ?

Vous remplirez ainsi mes souhaits les plus doux.

L'AMOUR.

Oui. Mais d'un Dieu puissant je brave le courroux ;

695   Que ferez-vous pour moi, quand je fais tout pour vous ?

En deviendrai-je à vos yeux plus aimable ?

Lorsque vos voeux seront comblés,

Serez-vous toujours intraitable ?

JUNON.

Hélas !

L'AMOUR.

Hé quoi ! Vous vous troublez !

JUNON.

700   Laissez-moi.

L'AMOUR.

  Déesse adorable,

De grâce, expliquez-vous, parlez.

JUNON.

Je crains d'être trop pitoyable.

L'AMOUR.

Que faut-il que j'espère ?

JUNON.

Allez,

Vengez-moi d'un Époux coupable,

705   Tout réussit toujours quand vous vous en mêlez.

L'AMOUR.

Pour vous plaire, il n'est rien dont je ne sois capable ;

Et vous reconnaîtrez mes soins, si vous voulez.

JUNON.

Si de mes intérêts vous prenez la conduite,

Je compte sur la réussite.

710   Mais Faunus vient chercher Corine dans ces lieux,

Sous ces traits empruntés il faut tromper ses yeux.

SCÈNE X.
Junon, Faunus.

FAUNUS.

Comment donc, Madame la tante !

Pourquoi me devancer ainsi ?

Vous me semblez vraiment bien diligente,

715   Je vous quitte là-haut, et vous retrouve ici.

JUNON.

À force de courir, j'ai perdu presque haleine.

De Corine j'étais en peine.

FAUNUS.

J'en étais presque en peine aussi.

C'est ici que je l'ai laissée.

JUNON.

720   Bien promptement elle s'est éclipsée.

Je crains?

FAUNUS.

C'est vainement que vous vous alarmez,

Et ces Jardins sont bien fermés.

Sans une puissance divine

725   On ne saurait pénétrer en ce lieu,

Et je ne pense pas qu'un Dieu

Songe à nous enlever Corine.

JUNON.

Comme vous je me l'imagine ;

Mais afin d'adoucir un peu

730   Le chagrin qu'elle a de l'absence

De l'Amant qui la tient ici sous sa puissance?

FAUNUS.

Ce qu'elle en fait paraître n'est qu'un jeu,

Je sais ce qu'il faut qu'on en pense.

JUNON.

Moi, j'en juge par l'apparence,

735   Et voudrais que, de votre aveu,

On fit effort pour la distraire

Des dangereux égarements

Qui me paraissent trop lui plaire.

FAUNUS.

Oui, voilà le noeud de l'affaire ;

740   J'entre dans tous vos sentiments,

On l'a confié à ma garde.

JUNON.

Ce soin comme vous me regarde.

FAUNUS.

Elle a pour s'échapper quelque mauvais dessein.

JUNON.

Peut-être? Ma franchise à moi vous est connue ?

FAUNUS.

745   Pour cela, oui, j'en suis certain.

Mais je la vois paraître au bout de l'avenue.

Songeons à l'amuser, sans la perdre de vue.

JUNON.

Pour nous tromper tous deux, il faut être bien fin.

FAUNUS, en s'en allant.

Et se lever de bon matin.

SCÈNE XI.

JUNON, seule.

750   Je vois dans ces bosquets la véritable tante,

Disparaissons. Il serait dangereux

Qu'ici Faunus nous vît ensemble toutes deux,

Ses soupçons troubleraient le dessein que je tente ;

Mais une musique galante

755   Des plus doux sons fait retentir les airs ;

De Nymphes, de Bergers, une troupe charmante,

Forme ces aimables concerts.

Avec eux déguisé, l'Amour conduit la Fête,

Invisible et présente à tout,

760   Attendons en repos le succès qu'il m'apprête :

Est-il quelque projet dont il ne vienne à bout.

DIVERTISSEMENT.

Plusieurs Nymphes et Bergers descendent du haut du Coteau. L'Amour déguisé, Philène, Philis, Troupe de Nymphes et de Bergers.

MARCHE.

L'AMOUR, chante.

Animez-vos d'un nouveau zèle,

Formez ici d'aimables jeux,

N'entendez-vous pas qu'en ces lieux

765   L'Amour lui-même vous appelle.

ENTRÉE de Philène et de Philis.

SCÈNE XII.
Corine, Faunus, Mérope, Philène.

FAUNUS.

Bergers, trouvez bon qu'en ces lieux,

On prenne part à vos aimables jeux.

CORINE.

J'ai revu mon Berger, Philène, il m'est fidèle ?

PHILÈNE.

Je retrouve Corine, ô Berger trop heureux !

MÉROPE.

770   Philène ici ? Quelle surprise ! Ah Dieux !

PHILÈNE.

En la voyant mon feu se renouvelle.

MÉROPE.

Sans faire aucun éclat, observons-les tous deux.

PHILÈNE.

Amour, tu me la rends plus belle,

Rends-la constante et sensible à mes feux :

775   J'en suis sûr, et je lis mon bonheur dans ses yeux.

Il chante.

La constance ici tient sa cour,

Les chagrins, les peines cruelles,

N'approchent point de cet heureux séjour ;

C'est un domaine de l'Amour,

780   Qui n'est ouvert qu'aux coeurs fidèles.

PHILIS.

L'Amour est un Dieu charmant,

Dont le pouvoir s'étend sur tout ce qui respire.

Ne craignons point de prendre un tendre engagement ;

Quand c'est l'Amour qui nous l'inspire,

785   On est heureux sous son empire,

Lorsqu'on sait aimer constamment.

PHILIS et PHILÈNE.

Ne quittons point ces aimables retraites ;

C'est pour les coeurs constants qu'elles sont faites ;

Passons ici nos plus beaux jours,

790   Éloignons-en les volages amours.

PHILIS et TIRCIS, reprennent les quatre vers ci-dessus.

Ne quittons point ces aimables retraites ;

C'est pour les coeurs constants qu'elles sont faites ;

Passons ici nos plus beaux jours,

Éloignons-en les volages amours.

Pendant cette reprise, Faunus et Mérope parlent bas ensemble ; et quand l'air est fini.

FAUNUS, dit aux Bergers.

795   Comment donc, vous croyez ici faire les maîtres ?

Allez ailleurs passer vos plus beaux jours,

Dans vos hameaux ou sous vos hêtres :

Vous en pourrez chasser les volages Amours,

Mais ne revenez pas en ces lieux davantage.

PHILÈNE.

800   Nous avons cru vous divertir.

MÉROPE.

Le beau régal ! Prenez un parti sage

Et dépêchez-vous de partir.

CORINE, à Mérope.

Mon amant n'est point volage,

Notre amour est en sûreté.

MÉROPE.

805   Qu'est-ce à dire ?

FAUNUS.

Rentrons, nous. Ces gens de Village

Sur l'amour, la fidélité,

Tiennent toujours un sot langage,

Et qui ne convient point aux gens de qualité.   [ 23 Qualité : Noblesse distinguée. Un ancien gentilhomme d'une maison illustrée se nomme un homme de qualité. [L]]

ACTE II

SCÈNE I.

CORINE, seule.

810   Tout m'est suspect ici, comme j'y suis suspecte,

En m'outrageant, on m'y respecte ;

On lit dans mes regards, on observe mes pas.

La tranquillité que j'affecte,

Fait naître des soupçons qu'elle ne détruit pas.

815   Avec un peu trop d'imprudence,

D'une tendre et fidèle ardeur,

À mon Argus j'ai fait la confidence ;   [ 24 Argus : personnage de la mythologie gréco-romaine, c'était un géant qui avait cent yeux dont cinquante ouverts pendant que cinquante étaient fermé et dormaient. Fig. Surveillant, espion.]

Et ma tante n'a feint d'approuver ma constance,

Que pour mieux pénétrer les secrets de mon coeur,

820   En quel état suis-je réduite ?

Amour ce coeur se livre à toi :

Déterminée à suivre aveuglément ta loi,

Je m'abandonne à ta conduite ;

Philène a mon coeur et ma foi,

825   L'ardeur de son rival et me gêne et m'irrite,

Son retour seul m'inspire un juste effroi.

Daigne, loin de ces lieux faciliter ma fuite,

Ou que mon Berger à ta suite,

Amour comme tantôt se montre devant moi.

SCÈNE II.
Mérope, Corine.

MÉROPE.

830   Comment donc, vous parlez toute seule, ma nièce !

Les yeux au Ciel et pleine de ferveur,

Je ne sais à quel Dieu la prière s'adresse ?

Mais elle est faite avec ardeur.

CORINE.

Vous ne vous trompez point, ma tante,

835   J'adressais mes voeux à l'Amour,

Je le conjurais qu'en ce jour

Il voulût me rendre contente ;

Et vous-même tantôt paraissiez vous prêter

À tout ce qui peut me flatter.

MÉROPE.

840   Je m'y prête, il est vrai, parce que je vous aime,

Et le ne comprends pas quelle fatalité

Vous y fait résister vous-même.

CORINE.

Je n'ai point d'autre objet, ma tante, en vérité,

De mes sentiments informée,

845   Vous-même ici tantôt les aviez approuvés,

Je m'en tenais heureuse, et mon âme charmée?

MÉROPE.

Allez, ma nièce, vous rêvez.

CORINE.

Je vous ai déclaré la haine

Que j'ai pour ce nouvel Amant.

MÉROPE.

850   Et j'approuvais cela, moi, ma nièce ?

CORINE.

  Oui, vraiment.

Je vous ai découvert mon amour pour Philène.

MÉROPE.

Je l'approuvais aussi peut-être ?

CORINE.

Assurément.

MÉROPE.

De sa première ardeur son âme est toujours pleine.

CORINE.

Comme moi sensible à la peine,

855   Que me fait son éloignement,

Vous me devez aider à sortir de la chaîne

Qui me retient esclave en ces lieux.

MÉROPE.

Justement,

J'aurais donc perdu sens, esprit et jugement,

Depuis que de l'aveu de toute la famille,

860   Orpheline et petite fille,

Vous fûtes commise à ma foi,

J'ai toujours eu pour but votre fortune, et crois

N'avoir rien négligé de ce qui la peut faire,

À mon exemple il faut vous en faire une loi,

865   Un riche Amant cherche à vous plaire

Sans parler d'épouser, d'abord cela fait peur ;

Et la chose n'est pas dans la règle ordinaire.

On le prend pour un Sénateur,

Pour ne pas s'expliquer en soupirant vulgaire :

870   Et c'est ce qui fait votre erreur.

Sans manquer au devoir il est une manière

De s'accorder à son humeur,

Il ne faut être en pareille matière,

Ni trop facile, ni trop fière.

875   Par des refus adroits on irrite l'ardeur ;

Si l'Amant devient téméraire,

On le contient par la pudeur :

S'il se plaint de trop de rigueur,

Un tendre regard la modère :

880   S'il est humble, timide, un sourire flatteur

L'anime, et lui dit qu'il espère.

Enfin, pour s'assurer un coeur,

Qui doit faire notre bonheur,

Il est, ma chère enfant, un petit savoir-faire,

885   Dont on peut se servir, sans blesser son honneur.

Par les appas d'une feinte tendresse

Un Amant se laisse amuser,

La moindre petite caresse

Faite à propos, suffit pour l'abuser.

890   Du portefeuille ainsi on se rend la maîtresse ;

L'Amant qui court après est forcé d'épouser.

Voilà comme il faut vous conduire,

Pour assurer votre fortune un jour.

Écoutez la raison, faire taire l'amour,

895   Vous êtes jeune, et l'on peut vous instruire.

CORINE.

Ma tante que m'osez- vous dire ?

Quels préceptes ? Quel changement ?

Vous me parliez tantôt ici tout autrement.

Dans quel trouble nouveau votre discours me plonge !

900   Je croyais voir par vous mon bonheur achevé :

Est-ce que je rêve ? Est-ce un songe ?

MÉROPE.

Non, vous ne rêvez pas, mis vous avez rêvé ;

Sortez de cette rêverie,

Et songez qu'il n'est point de Philène pour vous :

905   Suivez mes conseils, je vous prie,

Votre nouvel Amant deviendra votre Époux.

De vos regards que l'autre se bannisse,

Il faut que son amour finisse,

Pour n'essuyer pas le courroux

910   D'un rival puisant et jaloux.

CORINE.

Nous braverons tous deux son pouvoir, sa colère.

MÉROPE.

Et c'est justement ce qu'il ne faut pas faire.

Que l'on a peu d'esprit dans la jeune saison !

On n'est que feu, que pétulance,

915   On ferme par impertinence

Les yeux à l'intérêt, l'oreille à la raison :

De l'amour à longs traits l'on suce le poison.

Comme vous dans mon temps, j'ai fait même sottise :

Mais quoi ? Je n'avais pas un conseil aussi bon,

920   Je me conduisais à ma guise.

Eu suis-je mieux ? En ai-je mieux fait ? Non.

La beauté, du Ciel est un don

Dont il faut se servir tandis qu'elle est de mise,

Si j'avais su ce que je sais,

925   Je serais à présent grand-Dame ;

De mon mari jamais je n'eusse été la femme,

Mes premiers feux auraient été bien mieux placés.

De bons partis s'offraient assez,

Je les refusai tous. D'une amoureuse flamme,

930   Votre oncle avait rempli mon âme ;

De tous mes soins lui seul était l'objet :

J'étais pour lui d'amour toute troublée,

Je crois que le pendard m'avait ensorcelée :

L'aimer, lui plaire était mon unique souhait,

935   Et du bonheur le plus parfait

En l'épousant je me croyais comblée :

J'en fus au désespoir dès que cela fut fait,

Par cet exemple-là vous devez être instruite.

CORINE.

Aussi je le veux suivre en tout exactement,

940   Vous avez aimé tendrement,

Vous voyez que je vous imite,

Jusqu'à la fin j'aurai même conduite.

J'en fais tout mon bonheur, tout mon attachement ;

Je prétends comme vous épouser mon Amant ;

945   Si par hasard j'en ai du chagrin dans la suite,

Pour m'en désespérer n'en serai-je pas quitte ?

MÉROPE.

Et c'est ce que je veux prévenir justement.

Quelle étrange bizarrerie !

Mais je vous guérirai de cet entêtement.

CORINE, en s'en allant.

950   Comme vous en fûtes guérie,

Ma tante, et jamais autrement.

SCÈNE III.

MÉROPE, seule.

Hom ! La petite ridicule !   [ 25 Hom : Qui exprime le doute, la défiance. [L]]

Quelle cervelle ! Il faut pourtant   [ 26 Cervelle : On dit proverbialement, qu'on a mis quelqu'un en cervelle, qu'on le tient en cervelle, pour dire, qu'on l'a mis en peine, en inquiétude, quand on lui a fait espérer quelque chose dont il attend impatiemment le succès. [F]]

Tâcher de modérer cette ardeur qui la brûle,

955   Et qui va toujours s'augmentant,

Pour peu que l'on tarde à l'éteindre :

L'absent à son retour n'en sera pas content.

D'un feu si violent, les suites sont à craindre ;

Et nous ne sommes pas de race à nous contraindre ;

960   Je la blâme tout haut d'avoir un coeur constant,

Et je sens en secret que j'ai tort de m'en plaindre,

Moi-même j'en ferais tout autant.

SCÈNE IV.
Faunus, Mérope.

FAUNUS.

Quoi seule ! Où donc Corine est-elle, je vous prie ?

MÉROPE.

Je la quitte dans le moment.

FAUNUS.

965   À dissiper sa rêverie,

Nous nous employons vainement.

MÉROPE.

Oui, je pense qu'il faut changer de batterie

Les plaisirs m'ont paru la toucher faiblement :

Toute jeune qu'elle est la fortune l'entête ;

970   Et quand par de brillants appas

Du coeur de votre maître elle a fait la conquête,

Ce qui cause notre embarras,

C'est d'ignorer quel sort il s'apprête à nous faire

Nous avons nombre de parents,

975   Qui par la disgrâce des temps,

Loin d'avoir fait fortune, ont fait tout le contraire,

La plupart dans l'adversité.

FAUNUS.

Bon, tant mieux, avec nous voilà comme il faut être.

MÉROPE.

Le mariage une fois contracté,

980   Cela ne ferait pas d'honneur à votre Maître,

Il ne serait pas bien quand on verra paraître

Ma nièce avec lui dans l'éclat,

Qu'il laissât la famille en un certain état.

FAUNUS.

Non, non, ne craignez point que cela lui convienne,

985   La malepeste, allez, mon Maître n'est pas fat,

Que n'a-t-il point fait pour la sienne ?

Il avait un cousin, manant, faquin, pied-plat,

Par son crédit et son opulence,

Il en fit en six mois un Seigneur d'importance,

990   Il était sans honneur, et chacun l'honora ;

Il était fat, on l'admira :

Tous les défauts trouvèrent grâce,

Et le monde aisément comprit

Qu'il n'était ni de noble race,

995   Ni de mérite, ni d'esprit,

Mais parent de quelque homme en place.

Oh ! Mon Maître par-là fit bien voir son crédit.

MÉROPE.

Il faudra pour nous qu'il l'emploie.

FAUNUS.

Il le fera, j'en suis sûr, avec joie.

1000   Il fait pour ses amis toujours tout ce qu'il peut,

Et le bon de l'affaire est qu'il peut ce qu'il veut.

MÉROPE.

Bon. Nous avons dans la famille

Un Procureur Fiscal, un Commis de Greffier.

FAUNUS.

Bons sujets !

MÉROPE.

Deux Clercs, un Huissier,

1005   Qui d'un de nous vient d'épouser la fille.

FAUNUS.

Ah ! Fort bien, ce sont-là des gens bons à placer,

Qu'il est facile d'avancer.

Dans le chemin de la fortune

Ils marchent à pas de Géant,

1010   Et presque au sortir du néant

En peu de temps ils en ont une.

Il semble que le Ciel se plaise à les venger

Du mépris que pour eux certains sots font paraître,

Et cherche à les dédommager

1015   Du peu qu'il les avait fait naître.

MÉROPE.

Selon moi le Ciel fait fort bien.

FAUNUS.

N'est-il pas vrai ? Sagement il dispense

De la noblesse aux uns, aux autres l'opulence :

Il satisfait ainsi chacun par ce moyen.

MÉROPE.

1020   Oui, mais j'aimerais mieux tenir de sa sagesse

De l'opulence sans noblesse,

Que de la noblesse avec rien.

FAUNUS.

Vous avez bin esprit, et c'est fort bien l'entendre.

Mais qui vient brusquement nous troubler en ces lieux ?

SCÈNE V.
Bacchus, Faunus, Mérope.

BACCHUS, à part.

1025   Servons Junon de notre mieux,

Et faisons le bonheur d'un coeur fidèle et tendre ;

Malgré le Souverain des Dieux.

FAUNUS.

Ah, morbleu ! C'est Bacchus ; qu'aurait-il à m'apprendre ?

BACCHUS.

Dans ce séjour délicieux,

1030   Notre Maître bientôt tâchera de se rendre ;

Mais de quelque côté que je tourne les yeux,

Je ne vois point ici la beauté qu'il adore.

Est-elle renfermée en son appartement ?

MÉROPE.

Un noir chagrin qui la dévore

1035   Fait que dans ces jardins on la voit rarement.

Mais vous avez apparemment

Quelque message amoureux à lui faire ?

BACCHUS.

Oui, de la part de son Amant

Dites-lui que dans le moment

1040   Il arrive un courrier fort extraordinaire.

SCÈNE VI.
Faunus, Bacchus.

FAUNUS.

Bacchus ici pour quelque affaire ?

BACCHUS.

Pour la même à peu près dont vous êtes chargé.

FAUNUS.

Quoi ! Comment donc ?

BACCHUS.

Pour moi, ce n'est plus un mystère,

Et je viens vous trouver, suivant l'ordre que j'ai,

1045   De servir les amours de Jupiter mon père,

Auprès de l'aimable Bergère,

Qui sous ses lois tient son coeur engagé.

FAUNUS.

De sentiment il faut qu'il ait changé,

Car c'était un secret que nous voulions vous taire.

BACCHUS.

1050   Oui, mais il se trouve obligé,

Ou par choix, ou par confiance,

De m'en faire la confidence.

Tandis qu'avec Mercure occupé dans les Cieux,

Parmi les Astres et les Dieux,

1055   Il tâche à rétablir l'heureuse intelligence

Qui doit toujours régner entre eux,

Et qu'avait depuis peu dérangée son absence.

Le séjour qu'ici fait Junon

L'alarme et le tient en cervelle,

1060   Et ce n'est pas tout-à-fait sans raison.

Il connaît la bonne Immortelle,

Et tremble qu'à l'objet de son nouvel amour

Elle ne fasse un mauvais tour.

FAUNUS.

S'il est pour l'empêcher des mesures à prendre,

1065   Que ne les prenait-il avant que de partir ?

Ne prévoyait-il pas ce qu'il devait attendre ?

Il n'avait qu'à m'en avertir.

BACCHUS.

Il a, tout Dieu qu'il est, tant d'affaires en tête,

Qu'il ne peut pas songer à tout.

FAUNUS.

1070   Oh ! Quelque mauvais tour que Junon nous apprête,

De m'en garder je viendrai bien à bout.

BACCHUS.

Pour vous bien seconder je ferai mon possible.

FAUNUS.

Je prévois aisément tout ce qu'on peut tenter.

BACCHUS.

Et moi donc ? Mais pour l'éviter,

1075   Il faut rendre Corine aux Dieux-mêmes invisible,

Et faire que Junon qui voudrait l'enlever,

Ne sache où pouvoir la trouver.

FAUNUS.

Le tour serait assez risible,

Et le projet est bon. Mais comment l'achever ?

BACCHUS.

1080   J'apporte pour le faire un moyen infaillible,

Et ce petit écrin renferme un Diamant,

Un Anneau constellé dont le charme invincible,

À tous les yeux cache dans le moment

Quiconque au doigt le porte seulement.

1085   Il ne faut qu'à Corine en apprendre l(usage,

Et de la part de son Amant

Lui donner ce présent pour gage,

D'un éternel attachement.

FAUNUS.

Mais que diantre pensera-t-elle ?

1090   Jupiter à ses yeux paraît un gros Seigneur,

Elle va le croire Enchanteur :

Pour toucher le coeur d'une belle

C'est un assez mauvais moyen.

BACCHUS.

Se peut-il que Faunus oublie

1095   Que nous sommes en Thessalie ?

Être ici sorcier, ce n'est rien,

C'est le pays de la magie.

FAUNUS.

Il est vrai, je m'en ressouviens.

BACCHUS.

Voilà l'écrin, prenez soin de lui rendre.

FAUNUS.

1100   Peut-être elle fera quelque difficulté.

BACCHUS.

Il ne faut qu'exciter sa curiosité.

C'en est assez pour le lui faire prendre.

SCÈNE VII.
Corine, Faunus, Bacchus.

BACCHUS.

Fâché d'être éloigné de vos jeunes appas,

Votre Amant en ces lieux m'a fait porter mes pas

1105   Pour vous y donner assurance

Que l'éloignement ni l'absence

D'un coeur constant ne vous éloignent pas.

CORINE.

Je ne mérite pas tous les soins qu'il se donne,

Ni ceux que l'on prend d'empêcher

1110   Que personne puisse approcher

De ces lieux où l'on m'emprisonne.

C'est me donner de son amour

Un assez fâcheux témoignage,

Et la contrainte est un triste présage

1115   De mon malheur, si l'hymen quelque jour

Me mettait sous son esclavage.

BACCHUS.

Peut-on trop précieusement

Garder un objet si charmant ?

Épris pour vous de la plus vive flamme ;

1120   Il sait qu'à son ardeur on veut vous enlever :

Le blâmez-vous des soins qu'il prend pour conserver

La Beauté qui règne en son âme ?

CORINE.

Vouloir la conserver ainsi,

C'est presque en assurer la perte ;

1125   Et si de m'éloigner d'ici

L'occasion m'était offerte?

FAUNUS.

Justement, attendez-vous-y,

Nous laisserons la porte ouverte.

BACCHUS.

Aux yeux de tout le monde il voudrait vous cacher,

1130   Il craint que dans cette retraite,

De ses desseins sa famille inquiète,

Pendant qu'il est absent ne vienne vous chercher ;

Qu'un enlèvement ne les mette

En état un jour d'empêcher

1135   L'hymen qu'en secret il projette.

CORINE.

Je n'approuve pas ses projets :

De ma part vous pouvez lui dire

Que cet hymen n'a rien qui flatte mes souhaits.

BACCHUS.

Je n'ai garde de l'en instruire,

1140   Je suis discret, et je vous le promets.

CORINE.

Le plus grand bonheur où j'aspire,

C'est qu'il le sache, et ne le voir jamais.

BACCHUS.

Un tel discours a droit de me surprendre

Il ne mérite pas un pareil traitement.

1145   On a quelque présent de sa part à vous rendre :

Recevez-le, de grâce, un peu plus poliment

Que vous n'avez reçu mon compliment.

SCÈNE VIII.
Corine, Faunus.

CORINE.

Des présents de sa part ! Suis-je fille à les prendre ?

Et me croit-il sensible à l'intérêt ?

1150   Est-ce par-là que l'on rend un coeur tendre ?

FAUNUS.

Il aurait tort de le prétendre :

Quoique dans un écrin?

CORINE.

Ouvrez-le, s'il vous plaît.

FAUNUS.

C'est ce qu'avec grand soin l'on vient de me défendre.

CORINE.

Montrez-moi.

FAUNUS.

Point.

CORINE.

Voyons seulement ce que c'est.

FAUNUS.

1155   Acceptez le présent.

CORINE.

  Non, je ne le puis faire.

FAUNUS.

Ni moi ne suivre pas l'ordre qu'on m'a dicté.

CORINE.

C'est avoir peu d'honnêteté.

FAUNUS.

Oui, j'en conviens, je n'en ai guère.

CORINE.

Je voudrais bien pourtant pouvoir me satisfaire.

FAUNUS.

1160   Hé bien, épargnez-vous un scrupule affecté.

Tant de grimaces est fort peu nécessaire.

CORINE.

Mais on ne vous a pas ordonné de vous taire,

Dites-moi?

FAUNUS.

Volontiers, c'est un ajustement

Qu'on peut prendre dans cette affaire.

1165   Oh bien donc ! Ce coffret renferme un diamant.

CORINE.

Je ne veux pas en savoir davantage.

FAUNUS.

Un anneau.

CORINE.

Voilà justement

Ce que j'ai soupçonné dès le premier moment.

FAUNUS.

Oui, mais de cet anneau vous ignorez l'usage.

CORINE.

1170   Oh ! Je le devine aisément,

Qui reçoit un présent s'engage,

Et je sais que du mariage

Une bague acceptée est le commencement.

FAUNUS.

N'en craignez point l'événement,

1175   Le diamant ne peut être que magnifique ;

Mais ce n'est rien que la beauté ;

Par une puissance magique,

À votre doigt l'anneau porté,

Dans l'instant vous rend invisible,

1180   Et l'on ne vous revoit qu'après qu'il est ôté.

CORINE.

Que dites-vous.

FAUNUS.

La vérité.

CORINE.

Aux charmes, je le crois, il n'est rien d'impossible,

Et je n'en ai jamais douté :

Sans en avoir pourtant vu nul effet sensible,

1185   Je souhaiterais fort?

FAUNUS.

  Ce n'est point fausseté,

Le talisman est infaillible.

CORINE.

Voyons donnez? Au moins, c'est curiosité.

FAUNUS.

Au plaisir de la nouveauté,

Est-il un coeur inaccessible ?

1190   Voilà le présent accepté.

CORINE.

Je n'ouvre cet écrin que d'une main tremblante :

Que vois-je ? Quel brillant objet !

C'est un mensonge qu'on m'a fait,

Et cette lumière éclatante

1195   Doit produire un contraire effet.

FAUNUS.

Comment donc, s'il vous plaît, croyez-vous que je mente ?

CORINE.

Non, mais mettez-le un peu, j'en veux faire l'essai,

Je verrai si vous dites vrai.

FAUNUS, met la bague.

Fort volontiers. Hé bien, n'êtes-vous pas contente ?

CORINE.

1200   Vous avez disparu. Ciel, quel étonnement !

FAUNUS.

La chose est assez surprenante.

CORINE.

Sans doute, mais ce diamant

Fait-il le même effet sur tous également ?

FAUNUS.

Oh ! Oui.

CORINE.

Pour en avoir une preuve constante

1205   Par moi-même je veux l'essayer un moment.

FAUNUS.

Fort bien.

CORINE, mettant la bague.

Seconde, Amour, le projet que je tente.

FAUNUS.

Rien n'est plus merveilleux.

CORINE.

Vous ne me voyez pas ?

FAUNUS.

Comme si vous étiez absente.

CORINE.

Je ne suis pourtant qu'à deux pas.

FAUNUS.

1210   Ne vous éloignez pas s'il vous plaît davantage,

Allons vous avez fait l'épreuve, et c'est assez.

Ôtez la bague et finissez.

CORINE.

J'en connais trop le prix pour n'en pas faire usage,

Enfin mes voeux sont exaucés.

FAUNUS.

1215   Comment ! Que dites-vous ?

CORINE.

  Que je sors d'esclavage,

Et que mes malheurs sont passés.

Corine s'éloigne.

FAUNUS.

Comment ! Écoutez donc, Corine, je vous prie,

Ne vous avisez pas d'aller me faire ici

De mauvaise plaisanterie ;

1220   Je n'aime pas la raillerie,

Et ce n'est pas un jeu que cette affaire-ci.

Elle ne répond point, elle s'est écartée :

Où la trouver et comment ?

Voilà pour un commencement,

1225   Un bel effet de la bague enchantée :

Jupiter ne sait ce qu'il fait,

Il me donne en partant à garder sa Bergère,

Et par Bacchus il envoie un secret

Pour empêcher de voir ce qu'elle voudra faire.

1230   Je suis moi-même un grand sot aujourd'hui,

De n'avoir pas prévu la chose ;

Mais quand je l'aurais fait, je n'ose

Croire avoir plus d'esprit que lui.

À quoi la passion expose !

1235   Elle obscurcit l'esprit, elle aveugle les yeux,

Et l'Amour, qui se rit de tous tant que nous sommes,

Fait assez souvent faire aux Dieux

Autant de sottises qu'aux hommes.

Quel parti prendre ! Il faut tâcher

1240   Adroitement de faire en sorte

De rattraper la bague, et surtout d'empêcher

Que de ces lieux l'invisible ne sorte ;

Courons, et redoublons la garde de la porte,

Si on ne la voit pas, on pourra la toucher.

SCÈNE IX.

CORINE, seule.

1245   Que parle-t-il des Dieux, et de Jupiter même ?

Ai-je bien entendu : serait-ce un Dieu qui m'aime ?

Mais non, pourquoi se déguiser ?

Pourquoi descendre ainsi de sa grandeur suprême,

Et pour toucher un coeur chercher à l'abuser ?

1250   Je sens qu'en secret je me flatte

De soumettre à mes lois une Divinité :

Trop dangereuse vanité

Qu'il faut que ma vertu combatte

Par le secours de la fidélité.

1255   C'en est fait, et je veux que mon triomphe éclate.

Quelque bonheur qui me soit présenté,

Je me dois à Philène, et ne suis point ingrate,

Et le Dieu sera rebuté :

Voici Philène? sa présence

1260   Dans tous mes sens allume un nouveau feu.

Il croit être seul en ce lieu,

Il ne me saurait voir, examinons-le un peu,

Écoutons, sachons ce qu'il pense,

Et s'il mérite sur un Dieu,

1265   Qu'on lui donne la préférence.

SCÈNE X.
Philène, Corine.

PHILÈNE.

Tout favorise mes desseins,

C'est une Puissance divine

Qui vient de m'ouvrir les chemins

De ces beaux lieux habités par Corine.

1270   Il n'est point de bonheur égal

À celui s'être aimé d'une beauté qu'on aime,

Si Corine est pour moi la même,

Je ne craindrai point d'un rival,

Ni le pouvoir, ni la colère :

1275   Près d'elle conduit par l'Amour,

Mon bonheur me rend téméraire ;

Et j'affronterai pour lui plaire

Les périls où dans ce séjour,

De ce rival peut me livrer la haine,

1280   Heureux de périr en ce jour,

En prouvant ma constance à Corine.

CORINE.

Ah Philène !

PHILÈNE.

Qu'entends-je Corine, est-ce vous ?

Quel charme vous cache à ma vue.

CORINE.

Le Ciel se déclare pour nous.

PHILÈNE.

1285   J'entends sa voix. Depuis que je vous ai perdue,

De mon bonheur les Dieux jaloux,

Ne peuvent-ils souffrir qu'à mes voeux les plus doux ?

Vous soyez tout-à-fait rendue ?

Je vous entends, et je ne puis vous voir ;

1290   Auprès de vous c'est l'Amour qui m'amène ;

Ce Dieu m'a-t-il flatté d'une espérance vaine ?

CORINE.

Non, Philène, ce Dieu va combler votre espoir,

Ce diamant me rendait invisible.

PHILÈNE.

C'est un présent de mon rival :

1295   Vous l'avez accepté, Corine, est-il possible ?

CORINE.

Oui, mais il lui sera fatal,

Il peut faciliter ma fuite ;

Ou si vous demeurez près de moi dans ces lieux,

Vous y cacher à tous les yeux.

PHILÈNE.

1300   Que s'il se peut, jamais je ne vous quitte,

Et que mon sort soit envié des Dieux.

CORINE.

N'en doutez point, Philène, il doit leur faire envie,

Ce présent vient de quelqu'un d'eux,

Corine vous le sacrifie.

1305   Philène prend la bague et veut la mettre.

Que Corine me rend heureux !

CORINE.

Ah, Philène ! Arrêtez, ne troublez point ma joie

En vous cachant sitôt à mes regards,

Autant que nous pourrons, souffrez que je vous voie :

1310   Et quoique l'on m'observe ici de toutes parts ;

Pour mettre cet anneau, du moins il faut attendre

Que quelqu'un vienne nous surprendre,

Ma tante porte ici ses pas.

PHILÈNE.

Oui, c'est elle, je crois l'entendre.

CORINE.

1315   Cachez-vous à ses yeux ; mais ne me quittez pas.

SCÈNE XI.
Mérope, Corine, Philène.

MÉROPE.

Je ne puis demeurer en place ;

Je vais, je viens, je cours, et je ne sais pourquoi,

Ma nièce, il faut de vous que j'obtienne une grâce.

CORINE.

Vous pouvez disposer de moi.

MÉROPE.

1320   Depuis quelques instants, tout ce qu'ici je vois

Me donne des soupçons, m'alarme, m'embarrasse :

Expliquez-vous de bonne foi ;

Ignorez-vous ce qui s'y passe ?

CORINE.

Quoi donc ?

MÉROPE.

Parlez sincèrement,

1325   De concert, s'il se peut, démêlons l'aventure ;

Je vois des incidents qui passent la nature,

Ces Jardins, ce beau Bâtiment,

D'une divinité, sans doute, sont l'ouvrage,

Ou l'effet d'un enchantement.

CORINE.

1330   Mais à penser ainsi, qu'est-ce qui vous engage ?

MÉROPE.

Vous pensez comme moi, ma nièce, assurément,

Ce Courrier que vous vient d'envoyer votre amant?

CORINE.

Hé bien.

MÉROPE.

Ma surprise est extrême.

CORINE.

Quoi donc !

MÉROPE.

C'est quelque Dieu, ma nièce, absolument,

1335   Ou quelque Enchanteur qui vous aime ;

Et le Courrier, peut-être, est un des deux lui-même.

PHILÈNE.

Ô Ciel ! Quel est l'excès de mon étonnement ?

MÉROPE.

Ouais, quelle voix ai-je entendue ?

Dites.

CORINE.

C'est la mienne, vraiment.

MÉROPE.

1340   De moment en moment, je suis plus éperdue,

Ce qui s'est offert à ma vue.

CORINE.

Quoi donc ! Ma Tante ?

MÉROPE.

En ce moment,

Ce Courrier à mes yeux vient de percer la nue,

Je l'ai vu vers le Ciel voler rapidement.

CORINE.

1345   De trouble, comme vous, je sens mon âme émue.

MÉROPE.

Ma nièce, mes soupçons sont-ils sans fondement ?

CORINE.

Vous m'en voyez saisie, et je souffre une gêne ;

Hâtons-nous de sortir de ce fatal séjour.

MÉROPE.

Si quelque Dieu pour vous a de l'amour,

1350   Gardons-nous bien de mériter sa haine.

CORINE.

Au contraire, ôtons-lui tout espoir en ce jour,

Que le dépit rompe sa chaîne,

Et s'il se peut qu'à son retour

Il me trouve unie à Philène.

MÉROPE.

1355   Philène ? Il le faut oublier ;

D'une plus noble ardeur tu dois être enflammée.

CORINE.

Le noeud qui nous unit ne peut se délier ;

Et si d'un Dieu j'étais aimée,

Du plaisir de pouvoir le lui sacrifier,

1360   Ma tante, je serais uniquement charmée.

PHILÈNE.

A-t-on jamais senti des transports aussi doux ?

MÉROPE.

Ma nièce, assurément on parle auprès de vous,

Ce sont des Enchanteurs, mon enfant, qui vous servent,

Ou quelques Dieux qui vous observent :

1365   Ne méritez pas leur courroux ;

Il faut de votre coeur, ma nièce,

Bannir une indigne tendresse.

PHILÈNE.

Ah ! Quels conseils pernicieux

Votre tante vous donne-t-elle ?

1370   Gardez-vous de les suivre, un coeur pur et fidèle

Ne peut jamais déplaire aux Dieux.

MÉROPE.

Je n'en puis plus, me voilà presque morte,

Qui peut, sans être vu, vous parler de la sorte ?

CORINE.

Qui que ce soit, ma tante, il s'explique fort bien.

MÉROPE.

1375   Oh, ce n'est point un Dieu, c'est un Magicien,

Contre les Dieux, il parle pour Philène,

Mais par hasard ne serait-ce point lui ?

Cette voix ressemble à la sienne.

CORINE.

Sans m'effrayer, sans me faire de peine,

1380   Cette voix m'a parlé presque tout aujourd'hui.

MÉROPE.

Quelle surprise est égale à la mienne :

Le courrier, la voix et l'Amant,

Ici tout est enchantement.

CORINE.

Que dites-vous ?

MÉROPE.

Malheureuse Corine,

1385   Un magicien t'aime, un Follet te lutine.   [ 28 Lutiner : Tourmenter comme ferait un lutin. [L]]  [ 27 Follet : On appelle, Esprit follet, un démon ou Lutin qui fait peur à des enfants, ou à des gens faibles, par des visions, ou par des actions, dont ils ne savent point la cause. [F]]

Où me suis-je laissé conduire aveuglément ?

CORINE.

Ne vous inquiétez, ma tante, aucunement,

Ce Follet me plaît fort ; bien loin qu'il me chagrine,

Je crois, quand il me parle, entendre mon Amant ;

1390   Il me semble que c'est lui-même,

Et je me sens une joie extrême,

Quand il me parle tendrement

Qu'il sera fidèle, et qu'il m'aime.

PHILÈNE.

Il en fait son bonheur suprême ;

1395   Et ses feux, son empressement,

Dureront éternellement.

MÉROPE.

Je n'y puis plus tenir, et n'y puis rien comprendre ;

Je suis lasse de vous entendre

Causer en ma présence avec votre Lutin,

1400   Et je vais autre part attendre

De tout ceci quelle sera la fin.

SCÈNE XII.
Corine, Philène.

CORINE.

Nous en voilà défaits.

PHILÈNE.

Quel bonheur est le nôtre,

De pouvoir éviter des regards curieux !

CORINE.

Remontrez-vous, cher Philène, à mes yeux,

1405   Un surveillant nous quitte.

PHILÈNE.

Il nous en vient un autre.

CORINE.

Ah ! C'est celui que dans ces lieux

Nous avons le plus à craindre.

PHILÈNE.

Ne nous suffit-il pas qu'il ne puisse me voir ?

CORINE.

1410   Non, au silence encore il faudra vous contraindre ;

Et de la bague il connaît le pouvoir

SCÈNE XIII.
Faunus, Corine.

FAUNUS.

Ah ! Vous vous lassez donc enfin d'être invisible ?

Je m'y suis, par ma foi, toujours bien attendu.

Du Diamant autant qu'il est possible,

1415   Sans doute vous avez éprouvé la vertu.

CORINE.

Je suis dans un chagrin terrible.

FAUNUS.

Hé ! De quoi donc.

CORINE.

Je l'ai perdu.

FAUNUS.

Vous n'avez plus l'Anneau magique ?

CORINE.

Auprès d'une grotte rustique,

1420   Où je m'occupais à rêver,

Il m'est tombé du doigt, je ne l'ai pu trouver.

FAUNUS.

Parbleu, ce n'est pas là, s'il faut que je m'explique,

Le plus grand mal qui pouvait arriver.

Pour vous cacher vous êtes trop charmante.

1425   On perd trop à ne vous voir pas ;

Et quand le Ciel de tant d'appas

Orna votre beauté naissante,

Ce serait offenser les hommes et les Dieux,

De dérober tant d'attraits à leurs yeux.

CORINE.

1430   De la perte que j'ai faite,

Vous me dédommagez par des propos si doux.

FAUNUS.

Quand cette perte est un bonheur pour nous,

Il ne faut pas qu'on la regrette.

CORINE.

À parler franchement, je ne regrette rien,

1435   Et j'ai en ce moment tout ce que je souhaite,

Jamais un coeur ne fut si content que le mien.

FAUNUS.

Je suis charmé de vous voir satisfaite.

CORINE.

Qui ne le serait pas ?

FAUNUS.

Hé bien,

Pour vous entretenir dans cette humeur gaillarde ;

1440   Car vous savez que de ma part,

Heureusement aussi je suis assez gaillard.

Voulez-vous que je me hasarde

À vous donner ici, pour vous désennuyer,

Un petit plat de mon métier ?

CORINE.

1445   Fort volontiers. Que sera-ce ?

FAUNUS.

  Une Fête,

Que dans ces lieux Bacchus avec l'Amour apprête,

Et qu'ils m'ont demandé de répéter ici.

Je leur ai de bon coeur accordé leur requête,

Ils ne tarderont pas à venir. Les voici.

CORINE.

1450   Bacchus, l'Amour ! Fuyons.

FAUNUS.

  N'ayez point de scrupule.

CORINE.

Des Dieux parmi nous !

FAUNUS.

Bon, et Bacchus et l'Amour

Aux mortels en crédit tous les Dieux font la cour :

S'en étonner, c'est être ridicule.

Nous plaire c'est leur unique soin,

1455   Et nos faveurs font leur mérite

CORINE.

C'est un honneur dont je vous félicite ;

Mais trouvez bon que je vous quitte,

Et que je puisse voir leur Fête d'un peu loin.

DIVERTISSEMENT DU SE...

SCÈNE I.
Bacchus, Faunus, Suite de Bacchus.

BACCHUS.

Je vous amène ici l'élite

1460   Des bons Ivrognes de ma suite,

Gens éprouvés dans les repas,

Toujours prêts à faire merveille,

Que le péril n'étonne pas,

Et dont un seul mettrait à bas

1465   Un escadron de cent bouteilles.

FAUNUS.

Vous avez là de bons Soldats.

BACCHUS.

Ils combattent toujours auprès de ma personne ;

Hé bien, père Faunus, la cave est-elle bonne ?

FAUNUS.

Pas trop, Seigneur Bacchus.

BACCHUS.

Quoi ! Pour un grand Seigneur

1470   Jupiter prétend qu'on le prenne ;

Et dans sa cave il n'a pas du meilleur ?

Pour paraître tel, qu'il apprenne

Que de son vin, surtout, il faut se faire honneur.

FAUNUS.

Uniquement sensible aux charmes des mortelles,

1475   Il néglige ces soins pour elles.

BACCHUS.

Tant pis.

FAUNUS.

Oui ; mais enfin, c'est un dérangement

Que Bacchus peut réparer aisément.

BACCHUS.

Volontiers.

FAUNUS.

Vous avez de vendange excellente

Copieuse provision.

BACCHUS.

1480   Oui, très forte.

FAUNUS.

  Le vin n'est pas ma passion ;

Mais cependant je suis d'humeur fort complaisante,

Et j'en bois quantité par conversation.

BACCHUS.

Toujours une cave ambulante

Me suit partout.

FAUNUS.

Bonne précaution !

1485   Voilà ce qui s'appelle une Fête charmante,

Des vins les plus délicieux.

Ordonnez, s'il vous plaît, que la troupe Bacchique,   [ 29 Bacchique : Qui appartient à Bacchus. Ode ou Chanson bacchique, c'est une chanson à boire. Troupe bacchique se dit poétiquement d'une troupe de beuveurs qui font débauche. [F]]

En partageant nos plaisirs en ces lieux,

De concert à l'envi s'applique,

1490   Par d'agréables jeux, par de tendre musique,

À nous occuper de son mieux,

Et les oreilles et les yeux.

UN SUIVANT DE BACCHUS, chante.

Dieu des buveurs, sous tes aimables lois,

On passe doucement la vie,

1495   Tes favoris ne portent point envie

Au fort brillant des plus grands Rois.

Par les douces vapeurs de ta liqueur charmante,

Tu sais combler tous nos désirs,

Le vin est la source abondante

1500   De tous les plaisirs.

UNE BACCHANTE.

Quand à longs traits

Le bon vin coule

On ne s'en dégoûte jamais.

Sans ennui le temps s'écoule.

1505   Aucuns mets

Ne paraissent mauvais,

Les plaisirs naissent en foule,

C'est pour les Buveurs qu'ils sont faits.

Les plaisirs naissent en foule,

1510   C'est pour les Buveurs qu'ils sont faits.

Et l'on choisit les plus parfaits,

Quand à longs traits

Le bon vin coule

On ne s'en dégoûte jamais.

SCÈNE II.
L'Amour, Bacchus, Faunus, Suite de l'Amour et de Bacchus.

UN PETIT AMOUR.

1515   Du choix de ses plaisirs, si chacun est le maître,

On choisira ceux de l'Amour, peut-être,

Et pour vous les offrir, j'adresse ici mes pas.

UN SUIVANT DE BACCHUS.

Après les plaisirs de la table,

Ceux de l'Amour offrent le plus d'appas,

1520   Il en faut faire un mélange agréable ;

Aimer à la fin du repas,

Afin de ne s'ennuyer pas,

Après les plaisirs de la table.

UNE SUIVANTE DE L'AMOUR.

Aimons toujours,

1525   Parmi le vin et la tendresse,

Passons le cours

De nos beaux jours ;

On doit le temps de sa jeunesse

À Bacchus autant qu'aux Amours.

FAUNUS, ivre, à Bacchus.

1530   Sans trop examiner, ni leurs droits, ni les vôtres,

En toute occasion, je crois

Avait toujours de bonne foi,

Bien payé les uns et les autres.

BACCHUS.

Assurément.

FAUNUS.

Pour ceux de Bacchus aujourd'hui,

1535   Je m'en suis acquitté dignement avec lui.

L'AMOUR.

Et les miens ?

FAUNUS.

Partie à remettre,

Parce que l'un ne peut permettre?

Que tous les deux? conjointement?

Prennent certain arrangement?

1540   Après cela pourtant, je puis bien vous promettre?

Quant à présent, que je me porte bien?

Mais pour une autre fois que vous n'y perdrez rien?

Et que sans vouloir vous commettre?

Il ne faut là-dessus avoir aucun souci?

1545   D'autant que souvent on hasarde?

Que qui devrait garder, a besoin qu'on le garde?

Au bout du comte enfin? Bonsoir et grand merci.

SCÈNE III.
Bacchus, L'Amour.

BACCHUS.

Il est en bon état.

L'AMOUR.

Que le vin l'y maintienne,

Jusqu'à ce que Jupiter vienne.

BACCHUS.

1550   Agissons de concert toujours dans tout ceci.

L'AMOUR.

J'ai donné ma parole à Junon.

BACCHUS.

Moi la mienne.

L'AMOUR.

Ne buvons donc point tant, et qu'il vous en souvienne.

BACCHUS.

N'ayez, de grâce, aucun souci.

L'AMOUR.

Dans ces jardins tantôt j'ai fait entrer Philène.

BACCHUS.

1555   Avec Corine, il s'y promène.

Sans être vu, l'anneau magique a réussi.

L'AMOUR.

Tant mieux, servons-nous-en pour les tirer d'ici.

ACTE III

SCÈNE I.
Jupiter, Mercure.

MERCURE.

J'en conviens, l'aventure a de quoi vous surprendre.

Plus que vous j'en suis étonné ;

1560   Rien ne devait vous faire attendre

Un retour si peu fortuné.

JUPITER.

À cet événement je ne puis rien comprendre,

Tu m'en vois accablé de honte et de douleur,

Et je ne puis imputer mon malheur

1565   Qu'au seul déguisement que mon choix m'a fait prendre.

MERCURE.

Hé ? Pourquoi donc ?

JUPITER.

Mercure, plus j'y pense,

Plus mes soupçons sont confirmés ;

Tous ces soupirants d'importance,

Dont les talents sont renfermés

1570   Dans le faste et l'opulence,

Ne sont bons que pour la dépense ;

Et rarement ils sont aimés.

MERCURE.

On aurait là-dessus bien des choses à dire.

JUPITER.

Corine ! Un noir chagrin m'agite, me déchire ;

1575   Je gagerais qu'en ce moment,

Cette réflexion redouble mon tourment.

MERCURE.

Oui, nous n'avons pas lieu de rire.

JUPITER.

Corine est avec un amant,

À qui l'on croit impunément

1580   Pouvoir des Dieux sacrifier le Maître.

MERCURE.

Oui da, cela pourrait bien être.   [ 30 Da : Particule qui ne se met jamais qu'après une affirmative ou une négative. Ouï-da. Nenni-da. Anciennement il s'écrivait Dea. Il est du style familier. [Ac. 1762]]

JUPITER.

Oh ! La chose est assurément.

MERCURE.

Mais du moins c'est sans vous connaître.

JUPITER.

Je l'avais bien prévu. Fatal éloignement !

1585   Ridicule déguisement !

Importune grandeur ! Pourquoi ne pas paraître

Aux regards d'un objet charmant

Dans tout l'éclat où le Ciel nous fait naître,

Et craindre de le trop honorer en l'aimant ?

MERCURE.

1590   À vous en parler franchement,

Ce ne serait point ma manière ;

Mais c'est un usage ordinaire

Que vous n'avez encore quitté que rarement.

JUPITER.

M'en voilà pour jamais revenu, je te jure,

1595   Sans craindre que Junon murmure,

Je me veux exposer à ses chagrins jaloux,

Et me faire un plaisir de braver son courroux.

Il faut pour mieux me venger d'elle,

Ouvertement aux yeux de tous,

1600   Lui préférer une simple mortelle.

Je ne saurais marquer trop de ressentiment ;

Cherchons Corine, il en est temps encore,

Avouons-nous pour son Amant.

Et que tout l'univers sache que je l'adore.

MERCURE.

1605   Un peu plus de prudence, et moins d'empressement,

Pour quelque temps il est bon qu'on l'ignore :

Il est bien vrai que votre amour l'honore.

Mais il ne vous fait pas honneur également.

Sachons d'abord ce qu'elle est devenue ;

1610   Une fille qu'on perd de vue,

Se retrouve parfois assez facilement,

Mais pas toujours telle qu'on l'a perdue.

JUPITER.

Tu raisonnes fort sagement,

Et c'est l'excès de la colère

1615   Qui cause en moi ce premier mouvement.

MERCURE.

Hé ! De grâce, qu'il se modère.

JUPITER.

Je suivrai tes conseils en tout aveuglément.

MERCURE.

Pour mieux approfondir l'affaire,

Cherchons ici Faunus de toutes parts,

1620   Il faut que tôt ou tard il s'offre à nos regards,

De Corine déjà je vois venir la tante.

SCÈNE II.
Jupiter, Mercure, Mérope.

MÉROPE.

Je n'en puis plus, ici tout m'épouvante,

Et votre retour même ajoute à mon effroi.

Un de vos gens, Seigneur, tantôt s'est devant moi,

1625   Par le milieu des airs volant à tire d'aile,

Fait vers le Ciel une route nouvelle ;

Et puis par un effet presque aussi peu commun,

J'ai vu ma nièce ici causer avec quelqu'un

Sans y voir personne auprès d'elle.

JUPITER.

1630   Je ne me trompais pas. Ah ! C'était un Amant,

Et que Junon protège apparemment.

MERCURE.

La chose n'est pas impossible.

JUPITER.

Il n'évitera pas un juste châtiment,

On fait à mon amour un affront trop sensible,

1635   Et l'on n'offense pas les Dieux impunément.

MÉROPE.

Seigneur, en tout ceci je ne suis point coupable,

Mortel, ou Dieu, j'en fais serment,

Je n'ai rien fait qui soit capable

De m'attirer votre ressentiment.

MERCURE.

1640   Je le crois, nous pensons de vous tout autrement.

MÉROPE.

J'ai fait ce que j'ai pu pour engager Corine.

MERCURE.

J'en répondrais à votre mine,

Mais ne savez-vous comment,

Avec qui, de ces lieux elle s'est échappée ?

MÉROPE.

1645   Je ne sais qu'en juger, mais je suis fort trompée,

Si ce n'est un enlèvement.

JUPITER.

Et pour faciliter sa fuite,

Est-il venu quelqu'un lui rendre ici visite ?

MÉROPE.

Je n'ai vu presque rien de ce qui s'est passé,

1650   De ce que je voyais étonnée, interdite,

Auprès de ces bosquets je n'ai point avancé :

Les Amours, disait-on, et des gens de leur suite,

Avaient ici, ri, bu, chanté, dansé ;

De trouble et de frayeur j'avais le coeur glacé

1655   Et de rien je ne suis instruite.

JUPITER.

Ah ! Jalouse Junon ! Je reconnais vos coups,

Et les Amours jamais n'auraient osé sans vous

Me faire une pareille offense.

MERCURE.

Nous le méritons bien franchement entre nous,

1660   Ils n'étaient pas de notre confidence.

JUPITER.

Mais Faunus est avec eux, sans craindre mon courroux

A-t-il été d'intelligence ?

MERCURE.

Nous le saurons, le voici qui s'avance.

JUPITER.

Que veut dire ceci ? Sur ses pieds chancelants

1665   Il semble qu'à regret tout son corps se soutienne.

SCÈNE III.
Jupiter, Mercure, Faunus, Mérope.

FAUNUS.

Pour rattraper un peu l'usage de mes sens,

Il est bon que je me promène.

JUPITER.

Voilà de mon malheur une preuve certaine.

FAUNUS.

Ah, ah ! C'est vous, parbleu, soyez les bienvenus.

1670   J'allais commencer d'être en peine.

JUPITER.

En quel état vous trouvai-je, Faunus ?

FAUNUS.

Vous le voyez, la bedaine assez pleine,

C'est votre fils? son frère à lui? Bacchus,

Qui pour? renouveler? l'ancienne connaissance?

1675   Oh ! Nous avons, ma foi, soufflé d'excellent jus.

JUPITER.

J'avais compté sur votre vigilance.

FAUNUS.

Oui, je suis vigilant, on ne peut l'être plus.

MERCURE.

Il y paraît, vraiment.

FAUNUS.

Il y paraît ? Abus.

JUPITER.

1680   Et Corine ?

FAUNUS.

Êtes-vous fâché de son absence ?

JUPITER.

Si j'en suis fâché ?

FAUNUS.

Paix, je suis au fait, motus,

Mais par discrétion je garde le silence.

JUPITER.

1685   Quoi ?

FAUNUS.

  Ne me dites rien, s'il vous plaît, là-dessus,

Voilà la tante encore, c'est une grande avance ;

Je ne perds pas, comme on voit, connaissance,

Et les pièges qu'on m'a tendus?

Bref, vos rivaux seront tous confondus.

JUPITER.

1690   Ne rougissez-vous point de l'état où vous êtes ?

FAUNUS.

Non ; pour un peu de vin, quel vacarme vous faites !

JUPITER.

Quelle honte !

FAUNUS.

Voilà justement ce que c'est :

Vous autres Dieux de la première classe,

Vous buvez du nectar autant qu'il vous plaît,

1695   Sans que sur vos cerveaux il fasse

Nulle impression, nulle trace ;

Pour nous autres, il y paraît.

JUPITER.

Pour faire contre vous éclater ma vengeance,

Je vous dégraderai de l'immortalité.

FAUNUS.

1700   Non, non, n'en faites rien, donnez-vous patience,

Avec la tante en diligence,

Je vais chercher partout : et mon activité

Justifiera que ma fidélité

Mérite une autre récompense,

1705   Sans adieu.

SCÈNE IV.
Jupiter, Mercure.

JUPITER.

Quelle indignité !

À quel excès je me sens irrité !

Les Amours et Bacchus aujourd'hui me trahissent,

Avec Junon de concert ile s'unissent.

1710   Ah ! Je les punirai de leur témérité :

Pour Junon, j'y suis fait, et j'ai toujours été

L'objet de son humeur et de sa jalousie,

Et je ne puis priver Bacchus de l'ambroisie ;

Mais pour un tas confus de ces petits Amours,

1715   Dont le nombre partout augmente tous les jours,

Je puis au gré de mon envie,

Les soumettre à perdre la vie ;

Le destin me permet de les traiter ainsi,

Va, cours dire à Vénus?

MERCURE.

1720   Je crois que la voici.

SCÈNE V.
Vénus, Jupiter, Mercure.

JUPITER.

  Vous venez à propos, Déesse.

VÉNUS.

Un soin pressant qui pour vous m'intéresse,

Me fait vous chercher jusqu'ici.

JUPITER.

Et pour une affaire qui presse,

J'avais dessein de vous parler aussi.

VÉNUS.

1725   La confidence est fâcheuse à vous faire.

JUPITER.

Ce que je vous dirai pourra ne vous pas plaire !

VÉNUS.

Junon? votre chaste moitié?.

JUPITER.

Junon? ne me parlez point d'elle.

VÉNUS.

Sent pour mon fils, qui soupire auprès d'elle,

1730   Un peu plus que de l'amitié.

MERCURE.

Comment diantre. Ceci passe la raillerie !

JUPITER.

Junon !

VÉNUS.

De vos amours voilà quel est l'effet ;

Je ne dois pas les blâmer tout-à-fait,

1735   C'est une liberté qui ne m'est pas permise,

Mais votre exemple l'autorise.

Comme chez les mortels, l'exemple chez les Dieux

Est tout-à-fait contagieux :

Quand à sa femme un mari donne prise,

1740   La femme cherche à l'imiter,

Et c'est ainsi qu'on l'indemnise.

JUPITER.

Déesse vous venez ici nous débiter

Une ridicule morale.

Un mari peut manquer à la foi conjugale,

1745   Sans que la femme soit en droit d'en profiter.

Il est des lois de bienséance,

Les maris ont de certains droits.

VÉNUS.

On s'y conformais autrefois,

Aujourd'hui l'usage en dispense,

1750   Les femmes ont changé de lois.

JUPITER.

Morbleu de toute votre race   [ 31 Morbleu : Sorte de jurement en usage même parmi les gens de bon ton. Euphémisme de prononciation pour mort Dieu, la mort de Dieu. [L]]

J'ai bien à me plaindre aujourd'hui ;

L'aîné prend ma femme pour lui,

Les cadets pour un autre enlèvent ma maîtresse ;

1755   Pour l'aîné, je conviens de ce que je lui dois ;

Il a souvent bien servi ma tendresse,

Et là-dessus je suis de bonne foi.

Il faut bien, en faveur de tant de bons offices,

Lui passer ses tendres caprices,

1760   Quoique ma femme en soit l'objet,

Mais qu'il en demeure au projet.

VÉNUS.

Rassurez-vous, et n'ayez nulle crainte,

Sa tendresse n'est qu'une feinte ;

Et je n'ai pris le soin de vous en avertir,

1765   Qu'afin de vous faire sentir,

Dans le désir d'être vengée,

À quoi se peut livrer une prude enragée ;

C'est à vous dans la suite à vous en garantir.

JUPITER.

Ah ! C'est ce que l'on doit attendre ;

1770   Mais lorsqu'à votre aîné j'ai des grâces à rendre,

J'ai du regret à ne vous point mentir,

D'être obligé de vous apprendre

Quel violent parti contre tous ses cadets,

Après les chagrins qu'ils m'ont faits,

1775   Mon courroux vient de prendre.

VÉNUS.

Quoi ? Comment donc ! 

JUPITER.

Ils ont prêté

Leurs soins pour enlever Corine.

VÉNUS.

Ce trait qui contre eux vous chagrine

Ne doit point leur être imputé.

JUPITER.

1780   J'en crois le mouvement dont j'en suis agité,

Et la fureur qui me domine ;

Ils m'ont trahi, mais je m'en vengerai,

J'en vais détruire autant que je pourrai.

VÉNUS.

Votre courroux contre eux n'a rien que j'appréhende.

JUPITER.

1785   Ils en ressentiront cependant les effets.

VÉNUS.

Vous en auriez d'inutiles regrets ;

Ils mériteront grâce, et je vous la demande.

JUPITER.

C'est assez qu'à l'aîné je laisse ses Autels,

Les autres deviendront mortels :

1790   De ma vengeance il faut laisser des marques,

Je les assujettis aux caprices des Parques.   [ 32 Parques : Chacune des trois déesses qui filaient, dévidaient et coupaient le fil de la vie des hommes (on met une majuscule) ; elles appartiennent au polythéisme latin, et furent assimilées aux Moirai ou Kêres du polythéisme hellénique. Les Parques sont Clotho qui file, Lachésis qui dévide, et Atropos qui coupe le fil de la vie. [L]]

VÉNUS.

Quel affront ! Quelle nouveauté !

JUPITER.

Allez, dépêchez-vous ; que mon ordre, Mercure,

À l'instant soit exécuté.

MERCURE.

1795   Vous serez obéi.

VÉNUS.

Cette peine est trop dure,

Révoquez-en l'arrêt.

JUPITER.

Non, Je suis trop piqué,

Il ne sera point révoqué,

1800   Et c'est par le Styx que j'en jure.   [ 33 Styx : Fleuve qui, selon la mythologie, coulait aux enfers ; les dieux juraient par le Styx, et ce serment ne pouvait être violé. [L]]

SCÈNE VI.
Vénus, Mercure.

VÉNUS.

Ciel ! Puis-je recevoir de plus sensible injure ?

MERCURE.

Il est terrible en sa fureur ;

Et les Amours, je vous assure,

Ont grand tort dans cette aventure,

1805   Par un endroit sensible ils ont frappé son coeur ;

Voilà pour eux une fâcheuse époque.

De la façon qu'il a juré,

Je ne crois pas, tout bien considéré,

Que jamais l'ordre se révoque.

VÉNUS.

1810   L'effet du moins par vous doit être différé.

MERCURE.

Non, je ne puis trop tût satisfaire à son gré,

Et je vais avertir les trois Soeurs filandières,   [ 34 Filandière : Terme poétique, que nos vieux Poètes donnaient pour épithète aux Parques, qu'ils s'imaginaient présider à la vie, et en filer le cours : de sorte qu'ils disaient pour souhaiter une vie heureuse à quelqu'un, que ses jours soient filés d'or et de soie. [F]]

Qu'à leurs lois Jupiter a soumis les Amours,

Qu'elles sont désormais maîtresses de leurs jours.

1815   Impitoyables et sévères,

Je crois que loin d'en prolonger le cours,

Elles n'en épargneront guères ;

Et je prévois que leur fatal ciseau,

Les fera presque tous périr dès le berceau.

1820   Je vous quitte.

VÉNUS.

  Arrêtez de grâce.

MERCURE.

Vous obéir n'est pas en mon pouvoir.

Quand Jupiter prononce, il faut qu'à son devoir

Sans différer on satisfasse.

SCÈNE VII.

VÉNUS, seule.

Et moi, pour qui cet Arrêt odieux

1825   Est l'offense la plus mortelle,

Je saurai contre lui soulever tous les Dieux.

De tes frères, mon fils, prends en main la querelle,

Vengeons-nous de concert d'un Maître impérieux.

SCÈNE VIII.
L'Amour, Vénus.

L'AMOUR.

Quel violent transport, Déesse, vous anime ?

VÉNUS.

1830   Tu vois, mon fils, le coeur de ta mère agité,

Du courroux le plus légitime.

Tes frères sont privés de l'immortalité ;

Sans les entendre, on les opprime.

Contre eux Jupiter irrité,

1835   Que sans le rendre heureux Corine l'ait quitté,

De sa fuite leur fait un crime :

Il a donné l'arrêt.

L'AMOUR.

Il faut qu'il le supprime,

Et c'est un traitement qu'ils n'ont pas mérité.

1840   Si l'enlèvement de Corine,

Au point où je le crois, l'offense et le chagrine,

De cet enlèvement qu'il ne soit point surpris :

Il nous a méprisés ; mais enfin, qu'il apprenne

Que pour éviter ses mépris,

1845   On cherche à mériter sa haine.

VÉNUS.

Vous le pouvez braver impunément,

Mais vos frères, mon fils, objet de sa vengeance,

Quand c'est vous qui faites l'offense,

En reçoivent le châtiment.

SCÈNE IX.
Faunus, Vénus, l'Amour.

FAUNUS.

1850   Hé ! Qu'est-ce donc, voici bien du remue-ménage ?

Jupiter est pis qu'enragé,

Et moi de mon côté j'enrage.

C'est vous, petit fripon, je gage,

Qui malice avez ici tout dérangé.

L'AMOUR.

1855   Oui, c'est moi, c'est Bacchus, et Junon elle-même,

Qui de concert en ce moment,

Venons d'unir Corine à ce qu'elle aime.

FAUNUS.

Vous avez là-dedans bien opéré, vraiment,

Un mortel est maître des charmes

1860   Que le Maître des Dieux aimait si tendrement :

Je ne m'étonne pas s'il met tout en alarmes.

Dans tout ceci pour moi je n'attends rien de bon.

VÉNUS.

Vous ne faites que craindre en cette occasion,

Et des Amours déjà la disgrâce est certaine.

1865   Doivent-ils seuls portés la peine,

D'avoir trop bien servi Junon ?

Jupiter, suspends ta vengeance,

Ou si tu veux l'exercer aujourd'hui ;

C'est l'Hymen qui te fait la plus sensible offense ;

1870   Punis-le, venge-toi sur lui.

FAUNUS.

Oh ! Pour cela, c'est une chose à faire,

C'est lui qu'il faut bannir du rang des Immortels.

Quand on détruirait ses Autels,

On ne s'en plaindrait pas, et l'on n'y perdrait guère ;

1875   Mais vouloir supprimer la race des Amours,

Ce serait déranger l'ordre de la nature ;

Le monde, sans l'Hymen, doit bien durer toujours ;

Mais sans Amours, il est bien malaisé qu'il dure,

Je crains fort entre nous la fin de l'aventure.

SCÈNE X.
Faunus, Vénus, l'Amour, l'Inconstance.

L'INCONSTANCE.

1880   Ne craignez rien, Faunus, rassurez-vous ;

Cessez de vous plaindre, Déesse,

Aux destins des Amours toujours je m'intéresse ?

L'AMOUR.

Que peut l'Inconstance pour nous ?

L'INCONSTANCE.

Pour vous, ingrat, je travaille sans cesse ;

1885   De Jupiter j'ai calmé le courroux.

VÉNUS.

Que dites-vous ?

L'INCONSTANCE.

J'en suis certaine ;

Il voit Corine sans regret,

Par l'hymen unie à Philène.

L'AMOUR.

Quoi ! Leur bonheur ne lui fait point de peine ?

L'INCONSTANCE.

1890   Pour dégager les coeurs d'une amoureuse chaîne,

L'Inconstance a plus d'un secret,

Jupiter en ressent l'effet,

Il n'est pas sans amour, mais il est sans colère.

FAUNUS.

Hé, comment avez-vous pu faire ?

L'INCONSTANCE.

1895   Sans m'écarter de ma route ordinaire,

J'ai fait à ses regards briller un jeune objet,

Plus charmant que Corine, et plus digne de plaire.

VÉNUS.

Fort bien.

L'INCONSTANCE.

Un de vos fils, un petit téméraire,

De tous les Amours le cadet,

1900   Qui je crois ne fait que naître,

Les a d'abord frappés tous deux du même trait :

Et des Dieux le Souverain Maître

Applaudit à l'enfant du beau coup qu'il a fait.

Il le caresse, il fait connaître

1905   Qu'il se repent du funeste décret,

Dont il vient de charger Mercure ;

Et tout Dieu qu'il est, il murmure

Contre le sort qui le soumet,

Ayant juré le Styx, à n'être point parjure.

1910   Il me consulte, il me permet,

Autant qu'il se pourra, de réparer la chose,

J'imagine un moyen, et je le lui propose,

Il l'approuve à l'instant, il en est satisfait.

VÉNUS.

Quel est-il ?

L'INCONSTANCE.

La Métempsycose.

L'AMOUR.

1915   Comment ?

L'INCONSTANCE.

  Si les Amours ne sont plus immortels,

Ils n'en auront pas moins leurs Temples, leurs Autels

Ils finiront sans cesser d'être.

Les Parques, ni les temps ne pourront rien sur eux,

Toujours jeunes, charmants, heureux,

1920   Leur aîné de leur sort sera par moi le maître,

Le sien ne sera pas plus brillant que le leur :

Et quand ils mourront dans un coeur,

Dans un autre à l'instant je les ferai renaître,

Et leur rendrai par-là cette immortalité

1925   Dont le droit leur vient d'être ôté.

L'AMOUR.

Ai-je tort d'aimer l'Inconstance ?

VÉNUS.

Peut-on mieux des Amours réparer le malheur ?

L'INCONSTANCE.

À mes talents, à ma faveur,

Vénus et les Amours doivent plus qu'on ne pense.

L'AMOUR.

1930   Ne doutez point de leur reconnaissance.

SCÈNE XI.
Mercure, l'Amour, Vénus, l'Inconstance.

MERCURE.

Jupiter près de vous m'envoie en diligence

Vous annoncer le pardon d'une offense

Qu'il ressentait avec trop de chaleur ;

Mais il faut le servir dans sa nouvelle ardeur ;

1935   Junon au Ciel est retournée.

L'AMOUR.

Saisissons cet heureux moment ;

De Corine et de son Amant,

Célébrons ici l'hyménée.

VÉNUS.

Que tout conspire à leur contentement.

L'INCONSTANCE.

1940   Que l'Univers admire ma puissance,

Et qu'on se souvienne toujours

Que malgré les destins, aujourd'hui l'Inconstance

Immortalise les Amours.

Symphonie.

MERCURE.

Vous n'aviez jamais lu dans la Métamorphose,

1945   Les incidents qu'on vient d'exposer à vos yeux,

Et de cette Métempsycose

L'effet pourtant est sensible en tous lieux.

L'histoire secrète des Dieux

Pour les gens de bon goût doit avoir quelque chose

1950   D'intéressant, de curieux.

Si cette épreuve a pu vous satisfaire,

Nous tâcherons de temps en temps

D'en démêler encore de nouveaux incidents,

Et de les rendre de manière

1955   Que vous en soyez plus content :

La troupe de nos Dieux préfère

À l'intérêt, de même à tout encens,

L'avantage seul de vous plaire,

Et d'attirer vos applaudissements.

DIVERTISSEMENT.

UNE THESSALIENNE.

1960   Goûtons bien la douceur extrême

D'une heureuse liberté,

Dans ce beau séjour enchanté,

Malgré la grandeur suprême,

Une jeune et tendre beauté,

1965   Peut au Souverain des Dieux même,

Préférer le berger qu'elle aime.

UN THESSALIEN.

Que tout retentisse

Du bonheur qu'on goûte en ces lieux,

Que chacun choisisse

1970   Les plaisirs qu'il aime le mieux,

D'une aimable et sage folie,

Où l'âme s'endort et s'oublie,

Ménageons bien les moments précieux ;

Les seuls plaisirs de la vie,

1975   Égalent les mortels aux Dieux.

Air.

Sans le secours de l'Inconstance,

Que l'amour aurait peu d'attraits !

Un coeur qui ne change jamais

De l'amour borne la puissance :

1980   Que ferait-il de tous ses traits

Sans le secours de l'Inconstance

Changer d'objet tous les jours,

Voler toujours de belle en belle,

Si c'est leur être infidèle,

1985   C'est être fidèle aux Amours.

Savoir aimer constamment,

Rendre un Berger toujours fidèle ;

C'est tout l'honneur qu'une belle

Se puisse permettre aisément.

VAUDEVILLE.

I. COUPLET.

1990   Habitants heureux

De ces beaux lieux,

Les plaisirs sont votre partage.

Ne songez qu'à vivre contents ;

Profitez bien de vos beaux ans.

1995   Donnez aux Amours

Vos nuits et vos jours,

C'est en faire un bon usage.

II. COUPLET.

Sur l'aile du temps

Tous nos instants

2000   Se dissipent comme un nuage.

Préférons, puis qu'il faut finir,

L'instant présent à l'avenir.

Les moments perdus

Ne reviennent plus,

2005   Et qui les perd n'est pas sage.

III. COUPLET.

Quand avec Cypris   [ 35 Cypris : Qui signifie proprement une femme de Cypre, mais qui ne se dit que de Vénus, à qui cette île était consacrée. [T]]

Mars fut surpris,

Vulcain devait taire l'offense.

Pour en avoir instruit les Dieux,

2010   Il devint la fable des Cieux.

On est aujourd'hui

Plus sage que lui,

On sait garder le silence.

IV. COUPLET.

L'or de Jupiter

2015   Ne peut dompter,

Qu'un coeur neuf au tendre mystère.

S'il a malgré l'éclat de l'or,

Près de Corine un autre sort,

C'est qu'à ce métal

2020   Un jeune Rival

Mérite qu'on le préfère.

V. COUPLET.

Nous serons heureux,

Comme les Dieux,

De remporter votre suffrage.

2025   Pour mériter cette faveur,

Nous travaillons avec ardeur ;

Pour prix de nos soins,

Prêtez-vous du moins,

Au succès de cet Ouvrage.

 


PERMISSION

Vu et permis. Signé, le VOYER d'ARGENSON.

À PARIS, Chez PIERRE RIBOU, seul libraire de l'Académie Royale de Musique, sur le Quai des Augustins, à la descente du Pont-Neuf, à l'Image Saint Louis.


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Notes

[1] Tempé : Vallée de Thessalie entre le mont Ossa et l'Olympe. [L]

[2] Mercure : C'était un Dieu fabuleux de l'Antiquité, fils de Jupiter et de Maia ; il présidait au négoce. [T]

[3] Paix : Divinité chez les Anciens. On la représentait quelquefois tenant dans son sein Plutus encore enfant, pour marquer que c'est elle qui produit l'abondance et les richesses ; quelquefois avec un caducée, ou des épis de blé. On la couronnait de laurier ou de roses. [T]

[4] Astrée : Terme de mythologie. Fille de Jupiter et de Thémis, qui régnait dans le siècle d'or, et faisait fleurir la justice parmi les hommes. [T]

[5] Bellone : dieu qui personnifie la guerre et accompagne Mars.

[6] Beaux-Arts : la musique, la peinture, la sculpture, l'architecture, l'éloquence et la poésie avant tout, et, subsidiairement, la danse. [L]

[7] Dieu des Mers : Neptune.

[8] Thalie : Une des neuf muses, présidait à la comédie et à l'épigramme. Thalie est aussi l'une des trois grâces. [B]

[9] Faune : Sorte de satyre. [F]

[10] Sylvain : Dieu fabuleux de l'Antiquité, qui présidait aux forêts, aux champ et au bétail de satyre. [F]

[11] Junon : La Déesse Junon était fille de Saturne et de Rhée. Elle était Déesse des Royaumes et des Empires, des richesses, des mariages (...). Elle était encore la Déesse de la propreté et des ornements, et c'est pour cela que ses statues avaient les cheveux frisés et disposés très proprement, et avec grand soin. [T]

[12] Pouilles : Vilaines injures et reproches. Les gueux, les harengères chantent pouilles aux honnêtes gens. Les femmes qui se querellent se disent mille vilaines pouilles et ordures. [F]

[13] Panégyriste : Orateur, ou écrivain qui fait un Panégyrique (Discours d'un Orateur fait à la louange d'une personne, ou d'une vertu extraordinaire, ou qu'on veut faire passer pour telle). Les prédicateurs polis et à la mode sont presque tous panégyristes. [F]

[14] Satire : Ouvrage moral en prose ou en vers, fait pour reprendre, pour censurer les vices, les passions déréglées, les sottises, les impertinences des hommes, ou pour les tourner en ridicule. [Ac. 1762]

[15] Partisan : Celui qui est attaché au parti de quelqu'un. Il signifie aussi, Celui qui fait un traité avec le Roi, pour des affaires de Finances. [Ac. 1762]

[16] Malepeste : espèce d'interjection qui exprime la surprise. [L]

[17] Plutus : Terme de la religion gréco-romaine. Le dieu qui présidait à la distribution des richesses et que l'on représentait aveugle. [L]

[18] Faunus : Personnage mythologique chez les Latins représenté tantôt comme un dieu champêtre qui rendait des oracles, tantôt comme un ancien roi d'Italie. [L]

[19] Comus : Dieu de la joie, des festins, des danses nocturnes. [T]

[20] Parbleu : Sorte de jurement. Altération de par Dieu. [L]

[21] Larisse : Nom propre d'une grande ville et Archiépiscopale. Larissa. Elle est dans la Thessalie, sur le Pénée, environ à dix lieues de son embouchure dans le golfe de Salonichi. Larisse est fort ancienne ; ç'a été la patrie d'Achille. Cette Larisse était dans la contrée de Thessalie qu'on appelloit Pélasgiotide, à quinze milles de Pharsale. [T]

[22] Tout coup vaille : Au trictrac, coup et dés, veut dire que la primauté appartiendra à celui qui amènera le dé le plus fort. Tout coup vaille, arrive ce qu'il pourra. [L]

[23] Qualité : Noblesse distinguée. Un ancien gentilhomme d'une maison illustrée se nomme un homme de qualité. [L]

[24] Argus : personnage de la mythologie gréco-romaine, c'était un géant qui avait cent yeux dont cinquante ouverts pendant que cinquante étaient fermé et dormaient. Fig. Surveillant, espion.

[25] Hom : Qui exprime le doute, la défiance. [L]

[26] Cervelle : On dit proverbialement, qu'on a mis quelqu'un en cervelle, qu'on le tient en cervelle, pour dire, qu'on l'a mis en peine, en inquiétude, quand on lui a fait espérer quelque chose dont il attend impatiemment le succès. [F]

[27] Follet : On appelle, Esprit follet, un démon ou Lutin qui fait peur à des enfants, ou à des gens faibles, par des visions, ou par des actions, dont ils ne savent point la cause. [F]

[28] Lutiner : Tourmenter comme ferait un lutin. [L]

[29] Bacchique : Qui appartient à Bacchus. Ode ou Chanson bacchique, c'est une chanson à boire. Troupe bacchique se dit poétiquement d'une troupe de beuveurs qui font débauche. [F]

[30] Da : Particule qui ne se met jamais qu'après une affirmative ou une négative. Ouï-da. Nenni-da. Anciennement il s'écrivait Dea. Il est du style familier. [Ac. 1762]

[31] Morbleu : Sorte de jurement en usage même parmi les gens de bon ton. Euphémisme de prononciation pour mort Dieu, la mort de Dieu. [L]

[32] Parques : Chacune des trois déesses qui filaient, dévidaient et coupaient le fil de la vie des hommes (on met une majuscule) ; elles appartiennent au polythéisme latin, et furent assimilées aux Moirai ou Kêres du polythéisme hellénique. Les Parques sont Clotho qui file, Lachésis qui dévide, et Atropos qui coupe le fil de la vie. [L]

[33] Styx : Fleuve qui, selon la mythologie, coulait aux enfers ; les dieux juraient par le Styx, et ce serment ne pouvait être violé. [L]

[34] Filandière : Terme poétique, que nos vieux Poètes donnaient pour épithète aux Parques, qu'ils s'imaginaient présider à la vie, et en filer le cours : de sorte qu'ils disaient pour souhaiter une vie heureuse à quelqu'un, que ses jours soient filés d'or et de soie. [F]

[35] Cypris : Qui signifie proprement une femme de Cypre, mais qui ne se dit que de Vénus, à qui cette île était consacrée. [T]

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