LA POMME

COMÉDIE EN UN ACTE ET EN VERS

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PAR M. THÉODORE DE BANVILLE

PARIS. MICHEL LEVY FRÈRES, LIDRAIRES EDITEURS, RUE VIVIENNE, 2 bis, et BOULEVARD DES ITALIENS, 15 à la LIBRAIRIE NOUVELLE.

Paris.- Typ. G. Charmerot, 19 rue des Saint-Pères.- 7710.

REprésenté pour la première vfois à Paris, sur le Théâtre-Français, le 10 juin 30 juin 1865.


Texte établi par Paul FIEVRE, août 2024.

publié par Paul FIEVRE, SEPTEMBRE 2024.

© Théâtre classique - Version du texte du 29/12/2024 à 11:55:32.


LES ACTEURS

MERCURE, Monsieur Coquelin.

CLÉOPATRE, Mademoiselle Ponsin.

Le scène est dans l'île de Cythère.


LA POMME

Chez la Déesse Vénus, aux portes de la ville de Cythère. Un palais d'été dont les colonne cannelées, les salles bâties à ciel ouvert et les construction prolongées au loin se mêlent à des jardins et des feuillages. Sur les murailles, des flûtes et des lyres. Une statue de l'Amour enfant, nu et appuyé sur son arc ; une fontaine jaillissante, dont l'eau retombe dans un bassin d'or. Jardinières de marbre sculpté d'où s'élancent de grandes fleurs éclatantes ; lits couverts de riches étoffes d'Asie ; meubles d'ivoire. Sur une table de mosaïque sont posés un coffret d'où les riches joyaux débordent, et un miroir à main en or poli. On est au milieu d'une jour d'été brûlant, où tout languit et frissonne dans la lumière blanche.

SCÈNE PREMIÈRE.

MERCURE.

J'y suis enfin ! - Voilà Cythère, et la maison.

Où demeure Cypris dans la belle saison.

Oh ! Je suis las ! Mes pieds devancent les gazelles,

Et quand je ne cours pas, il faut voler. Mes ailes

5   N'en peuvent plus. Mon sort me devient odieux.

Quel état que celui de messager des dieux !

Paresseux et gourmand, ce serait mon affaire

De bien manger, de bien dormir, de ne rien faire

Et d'économiser mon travail et mes pas.

10   Chansons ! Je ne dors pas et je ne mange pas !

Si je veux sommeiller sous la nuée obscure,

Mille voix aussitôt m'appellent :

Imitant diverses voix de femmes auxquelles il répond à mesure qu'elles lui parlent.

- Ho Mercure !

Hein ? Mercure par ci ! Quoi ? Mercure par-là !

En haut ! En bas ! Partout ! Las ou non, me voilà.

Au public.

15   Oui, quoi que dieu pasteur, prince et conducteur d'âmes,

C'est moi qui fais encor les courses de ces dames.

Celle-ci veut sa flûte et l'autre son tambour !

Et ce n'est rien auprès des messages d'amour !

À travers les grands cieux je vais de porte en porte,

20   Et je les porte.

Après une pause.

  J'en rougis. Mais je les porte

Imitant le ton qu'il prend pour s'acquitter d'un message.

« Cher seigneur, ce jasmin vient de qui tu sais bien.

Bon espoir. Et surtout pas un mot. N'en dis rien.

D'une voix plus douce, et comme s'acquittant d'un autre message.

Ma Nymphe, Jupiter de là-haut te fait signe.

Sois heureuse. Il viendra dans son habit de cygne.»

Tirant la pomme du filet où elle est contenue.

25   En ce moment encor je vais porter ceci :

Une pomme. Tout près. Rien qu'à Sparte ! Merci,

À Sparte ! Oui, Jupiter l'envoie. « À la plus belle ! »

C'est-à-dire à la Reine, hier encor rebelle,

Qui, ce matin. Léda trouva ce damoiseau

30   Plus tendre, j'imagine, en figure d'oiseau !

Donc, j'arrivais à peine, il faut que je reparte.

Il faut porter la pomme à la Reine de Sparte!

Avec indignation.

Ô misère ! Je vis dans un monde enchanté

Où toute forêt cache une divinité,

35   Où la naïade rit dans chaque source pure,

Où la dryade jette au vent sa chevelure,

Où les Nymphes en choeur sur le mont escarpé

Mènent leur danse agile, et toujours occupé

À conter de la part des Dieux le même conte,

40   Je n'ai pas le temps d'être amoureux pour mon compte !

Avec résolution.

Eh bien ! Si ! Le coureur se révolte. Je suis

Amoureux fou. D'Hébé. Mais plus je la poursuis,

Plus elle fuit, ou bien elle m'envoie à droite,

À gauche, sans repos. Oui, cette Nymphe adroite

45   Me fait trotter, courir, Dieux ! ? Pourquoi suis-je ici,

À Cythère ? Le fait doit vous être éclairci.

Mais, quand je l'aurai dit, comme l'on va se rire

De ma crédulité ! Je viens, c'est du délire !

Dans le frivole espoir... d'un rien, d'un rendez-vous

50   Avec Hébé, je viens. mais quoi ! Nous sommes tous

Plus ou moins fous, je viens... dérober la ceinture

De Vénus ! Ô l'étrange et l'absurde aventure !

On peut voler un astre au ciel, on peut vouloir

Faire taire une femme ou rendre un cygne noir ;

55   Emprisonner la mer d'azur dans la corbeille

D'une nymphe, ou bien suivre en courant une abeille,

On le peut ; mais voler cette ceinture, non !

Or, voici l'incident qui se produit : Junon

Cherche à reconquérir son époux infidèle,

60   Qui depuis trop longtemps fait le cygne loin d'elle !

Mais pour mener à bien cet honnête roman,

Il lui faut, (dit Hébé,) le divin talisman

Auquel rien ne résiste, en un mot, la ceinture

Dont Cypris elle-même enchante la nature !

65   Sans doute, on lui dirait en vain : « Prête-nous la ! »

Cypris ne prête plus cette ceinture-là.

Mais si je puis l'avoir par force ou par adresse,

Hébé, si dévouée à sa bonne maîtresse,

Me promet que mes voeux, jusqu'à présent déçus,

70   Se pourront voir.

Avec fatuité.

  Je dois me taire là-dessus !

Même, tout est prévu ! Si Junon d'aventure

Réussit sans avoir besoin de la ceinture,

La promesse d'Hébé tient encore, et je suis

Averti, car Junon, dont on sait les ennuis,

75   A pour premier souci, lorsque Jupiter l'aime,

De l'annoncer au monde, en faisant elle-même

Parler la foudre avec un accent souverain.

La foudre gronde alors au front du ciel serein,

Rajeunissant la terre et la vague profonde,

80   Et le bonheur d'un Dieu fait le bonheur du monde.

Traduire ainsi : « Junon fait bon ménage au ciel, »

C'est un bizarre emploi du style officiel !

Enfin, quoi qu'il en soit, je courtise et j'adore

Hébé, si gracieuse à porter son amphore.

85   Ce qu'elle veut de moi, je l'aurai ! Fort bien. Mais

Par quel moyen ? Par quel artifice ? Jamais,

Fût-ce pour un instant, Cypris aux bras de neige

Ne quitte la ceinture. À moins... À moins... Que sais-je ?

Je séduirai Cypris ! Pourquoi pas ? J'ai la dent

90   Blanche, la chevelure épaisse et l'oeil ardent ;

Et Cypris, une fois conquise, me procure

Le bonheur d'attendrir ma belle. Heureux Mercure !

Vénus! J'entends son pas rapide et triomphant.

Serrons ma pomme. Chut !

il va cacher le tUet qui contient la pomme derrière un grand vase placé sur un piédestal, qui pour quelques instants Je dérobera lui-même aux yeux de Vénus. Elle entre, atanguie par l'ennui imptatablé d'un jour d'été et de l'heure de midi;

SCÈNE II.
Vénus, Mercure.

VÉNUS.

Que l'air est étouffant !

95   Toujours le même ciel et ses saphirs moroses !

Toujours le même azur ! Toujours les mêmes roses!

Oh ! que ne suis-je, ainsi que Diane, parmi

Les chasseresses, dans le grand bois endormi

Qu'éveillent tout à coup, par les rouges aurores,

100   Les aboiements des chiens et les grands cris sonores !

Je sens devant mes yeux flotter une vapeur

De feu.

Prenant son miroir. Avec une moue enfantine.

Viens, toi, miroir.

Après s'être regardée.

Je suis à faire peur.

Au miroir.

Va-t-en.

Elle va pour jeter son miroir mais elle n'achève pas le geste et se regarde de nouveau.

Cette coiffure est laide.

Avec accablement.

Oh ! Je m'ennuie.

Ne tombera-t-il pas quelques gouttes de pluie !

MERCURE, à part.

105   Elle s'ennuie. Elle est maussade. Elle veut voir

La nuée en courroux sur la terre pleuvoir.

Elle a ses nerfs ! J'arrive à l'instant favorable.

Produisons-nous. Allons.

Regardant Vénus avec convoitise.

C'est qu'elle est adorable !

Haut.

Salut, belle Cypris.

VÉNUS, très nonchalamment.

Bonjour. De quelle part

110   Viens-tu?

MERCURE, piqué.

De quelle part ! De la mienne.

VÉNUS, d'un ton glacé.

  Il est tard.

Adieu, Seigneur Mercure. Il faut que je me pare

Pour le festin des Dieux.

MERCURE.

Ne sois pas si barbare.

Demeure.

VÉNUS.

Que veux-tu me dire ?

MERCURE, regardant Vénus avec amour.

Les beaux yeux

Tel est l'éblouissant rayonnement des cieux,

115   Lorsque le dieu Soleil y guide son quadrige

À travers des chemins de perles ! Mais, que dis-je !

L'azur délicieux, dont l'astre d'or s'éprend,

Ne vaut pas tes regards !

VÉNUS, très surprise.

Tiens ! Qu'est-ce qui te prend ?

Je ne t'ai jamais vu comme cela.

MERCURE.

Tes vagues

120   Prunelles ont gardé la profondeur des vagues

Que sur l'immensité des mers tu contemplais,

Le jour où tu naquis !

VÉNUS.

Parle encor. Tu me plais.

MERCURE, à part, avec fatuité.

J'en étais sûr!

Haut.

Tu viens, et la terre est en fête !

VÉNUS.

Comment donc ! On dirait que te voilà poète !

MERCURE.

125   Oui, je le suis. Pour toi ! Le rhythme, oiseau charmant,

Entre dans mon esprit avec l'enchantement

Que ta présence donne à l'univers physique,

Et tout en moi devient harmonie et musique !

VÉNUS.

Oui vraiment, c'est parler comme un faiseur de vers !

MERCURE.

130   C'est que j'aime !

VÉNUS.

  Crois-moi, les lauriers sont trop verts.

Abandonne l'emploi de poète lyrique ;

L'honneur en est douteux et le gain chimérique.

Le génie est un gueux pensif qui meurt de faim.

MERCURE.

Quoi ! Tant d'amour...

VÉNUS.

Soyons sérieux, à la fin.

135   La plus courte folie est, dit-on, la meilleure.

Je m'ennuyais, tu m'as distraite. À la bonne heure.

Tu te diras le reste à toi-même, en marchant.

Quel est ton état ? Dieu des marchands ? Sois marchand.

À quoi sert un courrier, s'il ne court ? Prends tes ailes

140   À ton cou. Fais ménage avec les hirondelles.

MERCURE, piteusement.

Mais ,je brûle!

VÉNUS.

Traverse un nuage, et ce feu

Va s'éteindre.

MERCURE.

Inhumaine !

VÉNUS, excédée.

Oh ! Je t'en prie. Adieu.

Avec ennui.

Quand chacun en fadeurs près de moi s'évertue,

Hélas ! J'aimerais mieux, je crois, être battue.

145   M'assassiner ainsi, c'est une trahison,

Un meurtre, et ce n'est pas vraiment une raison,

Si ces faibles attraits m'ont valu quelque gloire,

Pour m'en punir toujours d'une façon si noire !

MERCURE.

Je pars donc.

Silence de Vénus. Insistant.

Je m'en vais.

VÉNUS.

Bon !

MERCURE, à part.

Je suis mal tombé.

150   Je n'irai pas ce soir au rendez-vous d'Hébé.

Battu partout ! Deux coeurs du même coup rebelles !

Je reste sans amour et seul entre deux belles !

Partons. Allons porter la pomme aux blanches dents

De Léda.

Mercure, se disposant à partir, va prendre à la place où il l'a caché le filet qui contient la pomme, et s'assure qu'il est solidement fermé.

VÉNUS, apercevant le filet.

Qu'est ceci ?

MERCURE, de mauvaise humeur.

Rien.

VÉNUS.

Qu'as-tu là dedans,

155   Mercure ?

MERCURE.

Là-dedans ?

VÉNUS.

Dis-le-moi.

MERCURE.

  Rien, te dis-je.

VÉNUS.

Si.

MERCURE.

Que t'importe ?

VÉNUS.

Enfin, dis-le-moi, je l'exige.

MERCURE.

Tout de bon ?

VÉNUS.

Je le veux.

MERCURE.

Et moi non. À mon tour

D'être méchant.

VÉNUS.

C'est pour la jeune Iris ?

MERCURE.

Non.

VÉNUS.

Pour

Phébus le Blond ?

MERCURE.

Non.

VÉNUS.

Pour Mars ?

MERCURE.

Non.

VÉNUS.

Pour Terpsichore ?  [ 1 Terpsichore : Nom d'une des neuf Muses, celle qui préside à la danse. [L]]

MERCURE.

160   Non.

VÉNUS.

Dis-moi ce que c'est !

MERCURE.

Rien du tout.

VÉNUS.

  Mais encore ?

VÉNUS.

Je ne t'écoute plus. Autant je t'admirai,

Autant mon juste orgueil se doit...

VÉNUS.

Je t'aimerai !

Dis-le.

MERCURE.

Belle promesse, et vraie, et sérieuse !

VÉNUS, frappant du pied.

Tu le diras, ou bien.

MERCURE, à part.

Tiens! tiens! tiens! Curieuse!

165   Elle est prise.

Haut.

  L'objet qu'enferme ce réseau

Ne vaut pas, à bien dire, une plume d'oiseau

Qui s'en va dans la brume avec le vent d'orage ;

Pourtant,'je ne puis pas te l'offrir, dont j'enrage !

Et j'aime mieux m'enfuir au ciel aérien

170   Que d'oser, par malheur, te refuser - ce rien !

VÉNUS.

Montre-le moi, - ce rien !

MERCURE.

À quoi bon ?

VÉNUS.

Je t'en prie.

MERCURE.

Je ne puis.

VÉNUS.

J'ai regret de ma coquetterie.

MERCURE.

Cruelle !

VÉNUS, tendrement.

On pense oui souvent, lorsqu'on dit non.

MERCURE.

C'est un fruit inconnu que j'apporte à Junon.  [ 2 Junon : Une des principales divinités du ciel païen, épouse de Jupiter et reine des dieux. [L]]

À part.

175   Bien menti !

VÉNUS, regardant et flairant la pomme, qu'elle a d'abord voulu prendre, mais que Mercure n'a pas lâchée.

  Le beau fruit ! Quel parfum ! On le nomme ?

MERCURE.

Il n'importe.

VÉNUS.

Dis-moi son nom !

MERCURE.

C'est une pomme.

VÉNUS, avec une grâce enfantine.

Le joli fruit ! Le nom charmant ! Donne-la-moi,

Ami !

MERCURE, retenant la pomme.

Si je veux pour jamais fâcher le roi

De l'Olympe, ce Dieu qui jamais ne diffère

180   À nous punir, je n'ai pas autre chose à faire.

Il saurait se venger par quelque affreux tourment !

VÉNUS.

Eh bien, prête-la-moi.

Mercure fait un geste de dénégation.

Pour un petit moment !

Permets du moins que seule, à mon aise, j'admire

Sa couleur de rubis et son parfum de myrrhe.

MERCURE.

185   Oh ! Comme devant toi mon amour ébloui

Est faible !

VÉNUS.

N'est-ce pas que tu veux bien ? Dis : oui !

MERCURE.

Je vais y réfléchir.

À part, tandis que Vénus suit ses mouvements d'un regard inquiet.

En ses mains ? Pourquoi pas ? Toute femme se nomme

Fragilité ! Vénus peut faiblir, et partant... -

190   C'est dit ! Je la lui laisse ! Et Léda qui m'attend

Près de l'Eurotas ! ? Bah ! Dans les grands cieux limpides

On va vite. Il fait beau, mes ailes sont rapides,

J'ai le temps de parer a tout événement !

VÉNUS.

Eh bien !

MERCURE.

Pour un moment, n'est-ce pas ? Justement

195   J'aurais certain message à porter, j'imagine,

Près d'ici.

VÉNUS.

Quel bonheur !

MERCURE, tenant haut la pomme.

Oui, dans l'île d 'Égine.

Mais, si je te prêtais ce fruit, a mon retour

Me le rendrais-tu ?

VÉNUS, se levant sur la pointe des pieds pour atteindre la pomme.

Bon Mercure ! Tant d'amour !

MERCURE.

Tu me tromperais !

VÉNUS.

Non.

MERCURE.

Je le vois.

VÉNUS.

200   Oh ! Mercure !

MERCURE.

Tu m'as si mal reçu !

VÉNUS.

C'est vrai. Mais je te jure...

MERCURE.

  Par quoi ?

VÉNUS.

Par !... Quel serment te faut-il ?

MERCURE.

Le phénix.

Des serments.

VÉNUS, effrayée.

Le Styx ?

MERCURE.

Oui. - Jure.

VÉNUS.

Soit. - Par le Styx !

MERCURE.

Jure qu'à mon retour...

VÉNUS, impatientée.

Oui !

MERCURE.

Tu rendras la pomme.

VÉNUS.

Et bien, par l'eau du Styx... je le jure.

À part.

Il m'assomme.

Haut et voulant prendre la pomme.

205   Donne.

MERCURE, retirant la pomme.

  Songe que seul je puis te relever

De ton serment !

VÉNUS.

Sans doute. Ai-je l'air de rêver ?

Je sais ce que je dois à ma noble origine !

MERCURE, abandonnant la pomme à Vénus, qui s'en saisit avec un air de joie et de triomphe.

Alors, c'est dit.

VÉNUS, toute à la pomme.

Va-t'en vite à l'île d 'Égine.

MERCURE.

J'y vais.

VÉNUS, admirant la pomme.

Qu'elle est jolie ! Elle a le teint vermeil.

210   On voit que le baiser amoureux du soleil

L'a caressée.

MERCURE.

Adieu, belle Vénus.

VÉNUS.

Mercure,

Adieu.

MERCURE.

Vénus, Hébé, la pomme, la ceinture,

Tout marche bien. Je puis gaîment prendre mon vol.

Vive Mercure, dieu de l'adresse. et du vol !

SCÈNE III.

VÉNUS.

215   Il nous laisse à la fin ! - Viens que je te regarde,

Pomme rose ! Qu'elle est gracieuse et mignarde !

Les corolles en feu dont le nom m'est si cher

Éblouissent moins qu'elle. On dirait que sa chair

Est vivante, et sa peau rougissante et dorée

220   Frémit à mon contact, comme une fleur pourprée.

Respirant et flairant la pomme.

Suave et délicat parfum ! Si pénétrant

Qu'il me trouble, et je crois sentir, en respirant

Cette mystérieuse haleine avec délice,

Que sa verte fraîcheur dans mes veines se glisse.

Rêvant.

225   Une pomme. Quel goût peut-elle avoir ?

Approchant la pomme de ses lèvres.

  Je puis

Le savoir tout a fait. Je n'ai qu'à mordre.

Retirant vivement la pomme.

Et puis

Après ? Ce serait mal, car j'ai juré.

Avec un long soupir.

Mais comme

Cela doit être bon de manger une pomme !

Approchant encore la pomme de ses lèvres.

Si je veux...

La retirant.

Non, c'est mal. Éteins-toi, mon désir,

230   Meurs ! Si vous m'épiez, brise, tremblant zéphyr,

Vous voyez que je suis sage et que je retire

Mes lèvres de ce fruit caressant qui m'attire !

Avec dépit.

Vraiment, cette Junon est heureuse. Elle n'a

Qu'à parler ! On irait jusqu'au fond de l'Etna

235   Pour chercher ce que veut son caprice farouche.

Douce pomme ! On dirait qu'elle baise ma bouche !

Parlant a ta pomme.

Tu me tentes ! Tu viens mêler ton souffle au mien,

Charmeresse ! Va-t-en. Je ne veux pas.

Comme involontairement, elle donne un coup de dent et mord la pomme. Lui parlant.

Eh bien,

Folle !

Avec une philosophie résignée.

Tant pis. Le mal est fait. Il ne m'en coûte

240   Pas plus d'en finir. Non. Je veux la manger toute.

Ma foi ! Junon verra son espoir envolé !

Je m'en moque.

Mordant la pomme à belles dents.

Oh ! C'est bon ! Bon comme un fruit volé !

C'est bon comme un tour fait à Junon !

Elle mange la pomme. Comme frappée d'une idée subite.

Que dirai-je

À Mercure ?

Se rassurant tout de suite.

Après tout, il me tendait un piège !

245   Chacun te loue avec raison d'être éloquent

Et beau diseur ; mais il est Dieu, par conséquent

Homme, par conséquent... Imbécile ! Bonne âme

Si l'on veut, mais sot. Moi, je suis doublement femme,

À tout le moins ! Les gens du sexe fort sont nés

250   Pour être des pantins qu'on mené par le nez.

S'asseyant sur le lit de repos.

Et je m'efforcerais à chercher que lui dire ?

Des raisons ? J'ai mes yeux. Des mots ? J'ai mon sourire !

SCÈNE IV.
Vénus, Mercure.

MERCURE, entrant, à part.

Vénus est là !

Regardant Vénus, toujours absorbée dans ses réflexions.

Ses yeux semblent irrésolus.

A-t-elle encore la pomme, ou ne l'a-t-elle plus ?

255   Voilà la question !

VÉNUS, à part.

  Je me fais une fête

De tromper ce trompeur. C'est une affaire faite.

Apercevant Mercure.

Ah ! Le voici !

Haut à Mercure d'un ton gracieux.

Déjà de retour ?

MERCURE.

Oui.

VÉNUS.

Sais-tu

À quoi je pensais, là, dans ce réduit vêtu

D'ombre, où j'entends parler mon coeur que nul n'écoute?

260   À ce que tu m'as dit tantôt. C'était sans doute

Par passe-temps !

MERCURE, affriandé.

Non pas !

VÉNUS, avec coquetterie.

Ce langage discret

Et tendre de l'amour est si doux qu'on voudrait

Y croire !

MERCURE.

Ô bonheur !

VÉNUS.

Mais le moyen ? Je suppose

Que lorsqu'Iris te parle avec sa bouche rose,

265   Tu lui fais comme à moi tous ces contes en l'air !

MERCURE.

Que puissent à la fois le tonnerre et l'éclair

Descendre sur mon front si j'ai cette pensée !

VÉNUS, rêveuse et avec coquetterie.

Sans doute, bien souvent, du tumulte lassée,

On aimerait, fuyant le rire de nos soeurs,

270   A s'endormir parmi les sereines douceurs

D'une amitié fidèle, ainsi que dans un songe !

Mais, à qui se fier ?

MERCURE.

À moi !

VÉNUS.

Tout est mensonge.

On ne voit pas les coeurs !

MERCURE.

Le mien est plein de toi.

VÉNUS.

Eh bien, un jour, plus tard, ce n'est pas sans effroi

275   Que chez nous la fierté mourante s'humilie,

Tu me reparleras, quoique ce soit folie....

MERCURE.

De mon amour ?

VÉNUS.

Je n'y crois pas.

MERCURE, avec reproche.

Oh !

VÉNUS.

Mais il est

Tel mensonge parfois dont la grâce nous plaît

Plus que la vérité !

MERCURE.

Laisse que je te jure...

VÉNUS.

Rien.

Montrant la fontaine jaillissante.

280   Au bruit de cette onde heureuse qui murmure,

J'y veux rêver tout bas, seule sous le ciel bleu,

Sans que rien ne se mêle à ma pensée.

Tendrement.

Adieu.

MERCURE, à part.

Adieu, tout bonnement, sans plus d'affaire ! En somme

Tout ce phébus tondait à m'esquiver la pomme !

285   Nous verrons.

Haut.

  Laisse-moi baiser ces petits doigts

De lys !

VÉNUS.

Mercure, non! Je ne sais si je dois.

MERCURE.

Tu le dois.

VÉNUS, se levant et s'éloignant tout à fait de Mercure.

Non. Plus tard. Ma beauté qu'on renomme

Redoute son vainqueur !

MERCURE, très froidement.

C'est juste. Alors,

Tendant sa main.

Ma pomme.

VÉNUS.

Hein ? Quoi !

VÉNUS.

On ne m'aima

290   Jamais plus tendrement, pourtant je tremble.

MERCURE.

  Ma

Pomme !

VÉNUS.

Tu sais, ami, le jour qu'on nous délaisse,

C'est nous, nous qui pleurons un moment de faiblesse !

Quitte-moi. J'ai besoin du calme bienfaisant.

Un jour, quand je serai plus forte qu'à présent,

295   Nous nous retrouverons tous deux assis là !

MERCURE, s'asseyant sur le lit de repos et attirant Vénus près de lui.

  Comme

Nous y voici.

Tendant la main.

Rends-moi ma pomme.

VÉNUS, feignant l'étonnement.

Quelle pomme ?

MERCURE.

La pomme qu'admiraient tes regards curieux,

Ce matin !

Tendant la main.

Rends-la moi.

VÉNUS, feignant une extrême surprise.

Quoi ! C'est donc sérieux !

Ce joujou, cette - pomme, oui, je l'ai souhaitée,

300   Ayant cru que, par jeu, tu l'avais apportée

Comme un amusement, pour divertir mon fils

Aux cheveux d'or, qui rit là-bas parmi les lys !

Puisque c'est sérieux.

MERCURE.

Très sérieux.

VÉNUS, à part.

Que dire ?

Haut, d'une voix très caressante.

Puisque tes beaux serments, ton amour, ton délire,

305   Tout ce que tu voulais, tout ce que je rêvais

Te laisse du loisir pour la pomme...

MERCURE, un peu honteux.

Oh !

VÉNUS, voulant gagner du temps.

Je vais

La chercher.

MERCURE, à part.

Tout de bon ! Elle va me la rendre ?

Mais ce n'est pas mon compte !

Haut.

Attends...

VÉNUS.

Que sert d'attendre ?

Tu reprendras ce qui t'est dû, mais, en retour,

310   Ne me viens plus après parler de ton amour.

MERCURE, confus.

Si je...

VÉNUS.

Tout est fini. Tu quitteras Cythère.

MERCURE, à part.

Vaincu !

Par hasard, il baisse les yeux vers la terre, et aperçoit tout à coup les pépins de la pomme que Vénus y a jetés. Avec la joie du triomphe.

Dieu ! Ces pépins qu'elle a jetés à terre !

Elle a croqué la pomme !

Haut, d'un ton patelin.

Oh ! Cypris, n'y va pas.

C'est inutile.

VÉNUS.

Mais...

MERCURE.

Épargne-toi des pas

315   Superflus.

VÉNUS.

  Je veux voir où l'on aura pu mettre

Cette pomme !

MERCURE, ramassant par terre les pépins de la pomme et les montrant à Vénus.

Voilà qui pourra te permettre

De ne pas la chercher dans l'herbe, - ou sous les pins !

VÉNUS, confondue.

Ah !

MERCURE.

Vois-tu ?

VÉNUS, faisant semblant de ne pas savoir ce dont il s'agit.

Qu'est cela ?

MERCURE.

Les pépins.

VÉNUS.

Les pépins ?

MERCURE.

Eux-mêmes. Si la pomme à Junon adjugée

320   Ne se trouve pas, c'est...

VÉNUS.

C'est ?...

MERCURE.

  Que tu t'as mangée !

VÉNUS.

Eh bien ?

MERCURE.

Comment ? Eh bien ! - Sais-tu que pour avoir

Devant tes yeux de flamme oublié mon devoir,

Je puis être exilé dès demain, dans des sites

Fort tristes, par delà l'univers, chez les Scythes !

325   Il se peut que, malgré mes soupirs éloquents,

Je sois, comme Vulcain, jeté sous des volcans,

Ou que, m'assimilant à Phébus, on m'admette

À garder les moutons comme lui, chez Admète !

VÉNUS.

Pauvre Mercure !

MERCURE.

Oui, pauvre Mercure ! - Mais

330   Aussi, pauvre Vénus Écoute, je t'aimais,

C'est vrai; mais ne crois pas que, seul, sous des cieux mornes

Je m'exile. Après tout, la clémence a des bornes.

VÉNUS.

Comment ?

MERCURE.

C'est assez clair. Tu m'as fait un serment

Terrible, par le Styx, et nécessairement

335   Tu prendras la moitié du châtiment. Embrasse

Ton fils, il en est temps.

VÉNUS.

Non, grâce!

MERCURE.

Pas de grâce.

Ah ! Tu manges ainsi nos pommes ! Tu me fais

Exiler pour payer le prix de tes forfaits,

Et tu crois que je vais partir avec ma flûte,

340   Calme et gai, sans vouloir t'entraîner dans ma chute :

La Scythie, où les froids sont fort invétérés,

Est un pays aimable, et vous en tâterez.

VÉNUS.

Grâce !

MERCURE.

Non pas, Vénus. Ta gloire aussi s'efface !

Je veux être berger! Soit. Mais que l'on te fasse

345   Bergère ! Ces joyaux, dont le ciel est jaloux,

Tu ne les auras plus ! Ni ces parfums si doux

Que les Grâces versaient sur tes robes hautaines !

VÉNUS.

Ô Dieux !

MERCURE.

Tu laveras tes bras dans les fontaines !

VÉNUS.

Dans les fontaines ! De l'eau pure !

MERCURE.

Et si tu veux

350   Qu'on célèbre ton front de reine ou tes cheveux,

Des bouviers mal lèches, que le désert façonne,

Te diront ces douceurs !

VÉNUS.

Des bouviers ! Je frissonne.

MERCURE, à part.

Je te tiens dans ma main, Déesse au front charmant !

Et, pour te racheter de ton fatal serment,

355   Cypris, tu ne peux me refuser la ceinture.

Mais quoi ! Fi de si plats moyens ! Quelle imposture

Piteuse ! - Qui sera de sa gloire jaloux

Si ce n'est moi, le roi superbe des filous,

Qui sus dérober, fier de ma divine essence,

360   Les troupeaux d'Apollon, le jour de ma naissance !

Sois noble, ô mon génie, et laissons en ce lieu

Le souvenir d'un vol qui soit digne d'un Dieu !

Regardant Vénus à la dérobée.

Elle est charmante avec cette petite moue ! -

À présent, c'est ton coeur, Cypris, que je te joue !

Haut, à Vénus.

365   Tu garderas ta place au choeur olympien.

Je te rends ton serment. Je ne veux rien.

VÉNUS, étonnée.

Rien !

MERCURE.

Rien.

VÉNUS.

Tu m'étonnes !

MERCURE.

Je vais t'étonner plus encore !

Tu m'as trompé, tu m'as exilé ; je t'adore

Et te bénis ! Cypris, croiras-tu désormais

370   À la sincérité de mes paroles ?

VÉNUS.

  Mais

L'inflexible courroux de Jupiter ?

MERCURE.

Qu'importe

Si le palais sacré ferme sur moi sa porte

Et si je ne vois plus les demeures des Dieux !

Je le subirai seul, ce courroux odieux,

375   Et pour moi, pauvre fou qui t'adore et qui t'aime,

Si tu ne me hais plus, l'exil c'est le ciel même !

VÉNUS, touchée.

On ne te connaît pas !

MERCURE, en tartuffe.

Non. Mais toi, maintenant,

Tu me connais!

VÉNUS.

Les Dieux loin du ciel rayonnant

Vont t'exiler ! Tu pars chargé de leur disgrâce !

380   Mais moi, je ne suis pas de celles qu'on surpasse

En générosité. Que ton front abattu

Se relève ! Tu dois fuir l'Olympe ! Veux-tu

Ma Cypre bien-aimée, et ces villes d'où monte

Vers moi l'encens ? Paphos, Idalie, Amathonte ?

385   Dis, veux-tu Salamine, enchantement des deux ?

MERCURE.

Je voudrais, je l'avoue, un bien plus précieux

Que Paphos, Amathonte, et même Salamine !

VÉNUS.

Ces joyaux, que le feu des rubis illumine,

Plus brillants que jamais aux cieux n'étincela

390   Le matin, les veux-tu ?

MERCURE, avec intention.

  Non. Ce n'est pas cela

Que je voudrais.

VÉNUS.

Veux-tu ces agrafes ? Ces boucles

De saphirs ? Ces colliers où de mille escarboucles  [ 3 Escarboucle : Nom que les anciens donnaient aux rubis. [L] ]

Frémit l'éclair, qui met l'univers sous ma loi ?

MERCURE.

Non. Je veux plus encor !

VÉNUS.

Veux-tu... Que sais-je, moi !

395   Ma ceinture !

MERCURE, laissant échapper un cri de joie et de triomphe.

Ah !

VÉNUS.

C'est donc cela ?

MERCURE, composant immédiatement son visage et affectant une profonde indifférence.

  Non. Ta ceinture ?

Quelle folie !

VÉNUS, à part.

Il n'en veut pas!

Haut.

Prends-la, Mercure.

Tiens. Prends-la pour charmer l'ennui de ton exil.

MERCURE, hypocritement.

À quoi bon ? Qu'en ferais-je ?

VÉNUS, à part.

Au fait, qu'en ferait-il ?

Haut.

Si. Prends-La. Je le veux.

Lui mettant la ceinture dans la main.

Accepte-la, te dis-je.

MERCURE, prenant la ceinture des mains de Vénus.

400   Cette ceinture émue et vivante, ô prodige !

Tu me l'offres, à moi, Cypris ! En vérité

J'en rougis ! Dieu connu pour mon austérité,

D'un oeil indifférent et sec je la regarde,

Mais, puisque tu le veux, chère âme, je la garde !

VÉNUS, stupéfaite.

405   Ma ceinture !

MERCURE, voulant cacher dans sa poitrine la ceinture de Vénus.

  Les feux dont elle m'enflamma

Brûleront à jamais cette poitrine !

VÉNUS.

Ma

Ceinture !

MERCURE.

Là, jusqu'à l'éternité future,

Fidèle ami, je la garderai.

VÉNUS.

Ma ceinture !

MERCURE.

En elle je pourrai revoir ta lèvre en fleur

410   Et tes beaux cheveux d'or !

VÉNUS.

  Ma ceinture ! Au voleur !

Un coup de tonnerre retentit, Vénus et Mercure se séparent vivement et gardent un moment le silence.

Tiens ! Jupiter m'entend. C'est un coup de tonnerre.

MERCURE, souriant, à part.

Non. Hébé m'avertit. Le maître débonnaire

A fait sa paix. Le cygne a réparé ses torts.

Donc, je n'ai plus besoin de la ceinture. Alors

415   Soyons grand.

Haut.

  Ô Vénus, je t'éprouvais. Cette arme

Céleste, la ceinture où dort le divin charme,

Objet de tes regrets, dont les feux enivrants

Embrasent la nature...

VÉNUS.

Eh bien ?

MERCURE.

Je te la rends !

VÉNUS.

Encore !

MERCURE.

Encor, Cypris !

VÉNUS.

À cause du tonnerre,

420   Traître Tu vois qu'avec sa justice ordinaire

Le maître t'y contraint. Ne fais pas l'étonné.

MERCURE.

Tu te trompes. Là-haut Jupiter a tonné

Pour réclamer sa pomme. En cette conjecture,

Je pouvais, en offrant à Junon ta ceinture,

425   Désarmer sa colère avec ce riche don,

Mais il ne me plaît pas d'obtenir mon pardon !

VÉNUS.

Quoi !

MERCURE.

Règne. Sois heureuse en ce riant asile.

Moi, je cherche la brume et l'oubli. Je m'exile.

VÉNUS.

Pourquoi donc ?

MERCURE.

Mon malheur n'est rien, mais tu l'accrois

430   En ne voulant pas croire à mon amour !

VÉNUS, tendant ses mains Mercure.

J'y crois !

MERCURE.

Vrai ?

VÉNUS.

Vrai, Mercure.

MERCURE.

Hé ! Bien ! Non ! Ce trait me désarme.

Je veux te dire tout. Je vivais sous le charme

D'Hébé. Mes voeux, mes pleurs, mes récits, mes tourments,

Rien n'était vrai. Depuis ce matin, je te mens

435   Comme un soleil d'avril ! Je te volais, parjure,

Ta pitié douce, après t'avoir pris ta ceinture.

C'est assez de mensonge et de vol en un jour,

Cypris,

Avec l'accent de l'amour vrai.

Je ne veux pas te voler ton amour !

VÉNUS.

Allons, tu mens encor!

MERCURE.

Moi ?

VÉNUS.

Dans ce moment même.

440   Tu mentais ce matin en me disant « Je t'aime. »

Mais l'amour invisible est toujours sur tes pas,

Et tu mens en disant que tu ne m'aimes pas !

Elle donne à Mercure un soufflet amical.

Innocent ! Mieux que toi j'ai vu sous tes paroles

Tout ce que tu pensais. Qui te dit que tu voles

445   Ce que je donne ? Vois !

MERCURE, tombant agenouillé aux pieds de Vénus.

  Ta lèvre me sourit !

Tu pardonnes !

VÉNUS.

Vénus aime les gens d'esprit.

MERCURE.

Ma reine ! Ma Déesse !

VÉNUS.

Oui, mon coeur te pardonne

Sans peine. Et puis...

MERCURE.

Et puis ?...

VÉNUS.

La pomme était si bonne

Mettant un doigt sur les lèvres.

Chut !

MERCURE.

Chut !

Tirant de sa tunique et montrant à Vénus une pomme tout à faitsemblable à celle qu'on a déjà vue.

Et celle-ci, Déesse aux beaux cheveux,

450   La veux-tu ?

VÉNUS.

  Voyez-vous ! Le fourbe en avait deux !

MERCURE.

Non.

VÉNUS.

Comment, non !

MERCURE.

J'en suis allé cueillir une autre

Par prudence, tandis que tu croquais la nôtre.

Elle est plus belle et plus appétissante encor,

Elle a l'odeur de l'ambre et la couleur de l'or.

455   Tiens, prends.

VÉNUS, prenant d'abord la pomme, puis la rendant dédaigneusement à Mercure.

  Non. Cette-ci ne me fait plus envie.

MERCURE.

Et l'autre plaisait tant a ta lèvre ravie.

VÉNUS.

C'est vrai. Je l'ai croquée avec tant de plaisir !

Qui lui donnait ce charme irritant ?

MERCURE.

Le désir !

Au public.

Vous, ne dédaignez pas une chanson frivole !

460   Ce conte, plus léger que la brise qui vole,

Est vrai comme la vie et comme nos amours.

Car, tant que mûriront les fruits vermeils, toujours

La femme y voudra mordre, et, tous tant que nous sommes,

Nous aimerons toujours les mangeuses de pommes !

 



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Notes

[1] Terpsichore : Nom d'une des neuf Muses, celle qui préside à la danse. [L]

[2] Junon : Une des principales divinités du ciel païen, épouse de Jupiter et reine des dieux. [L]

[3] Escarboucle : Nom que les anciens donnaient aux rubis. [L]

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