MÉLISSE

TRAGI-COMÉDIE

ATTRIBUÉE A MOLIÈRE

[Les historiens du 20e et du 21e siècles ne voient aucune raison de retenir MOLIERE comme auteur de ce texte.]

Nouvelle Collection Moliéresque

AVEC UNE NOTICE PAR LE BIBLIOPHILE JACOB

M D CCC LXXIX.

À PARIS, LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES, rue Saint-Honoré, 338.

À PARIS DES PRESSES DE D. JOUAUST, imprimeur breveté, rue SAINT-HONORÉ, 338


Texte établi par Paul FIEVRE juin 2022.

publié par Paul FIEVRE juillet 2022.

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:49.


PRÉFACE

Lorsque je rédigeais le Catalogue raisonné de la Bibliothèque dramatique de M. Soleinne, en 1843, j'eus l'occasion de parcourir la tragi-comédie de MELISSE, que personne peut-être n'avait lue avant moi, ou dont la lecture n'avait frappé, émerveillé, préoccupé personne. En effet, cette pièce de théâtre ne figure que dans la table des RECHERCHES SUR LES THÉATRES DE FRANCE, par Beauchamps (Paris, Prault, 1785, in-4), et elle se trouve seulement mentionnée, sous l'année 1658, dans la BIBLIOTHÈQUE DU THÉATRE FRANÇOIS (Dresde, Michel Groell, 1768, 3 vol. in-8), qui n'est qu'une description analytique de la Bibliothèque dramatique du Duc de La Vallière, laquelle est entrée, pour la plus grande partie, dans la Bibliothèque du Marquis de Paulmy, acquise par le Comte d'Artois en 1784, et devenue aujourd'hui la Bibliothèque de l'Arsenal.

Je ne fis alors qu'examiner à la hâte cette pièce, inconnue de tous les bibliophiles (sans nom de lieu ni d'imprimeur, et sans date, in-12, de 4ff. préliminaires, avec un simple faux titre, et de 80 pages), et je fus tellement étonné d'y trouver des pensées délicates, des vers admirablement venus, des passages de style excellent, qui me rappelaient la langue de Molière, que je n'ai pas hésité à soupçonner, dans cette oeuvre ignorée, un des premiers essais de notre grand poète comique. Voici la note que j'écrivis au-dessous de l'article de MELISSE, que j'avais cru devoir placer sous la date de 1639, au lieu de celle de 1658, que l'abbé Rive avait indiquée approximativement au duc de La Vallière :

Il est bien singulier que les bibliographes du théâtre qui ont cité cette pièce, dont tous les exemplaires commencent par un faux titre, ne se soient pas arrêtés sur un ouvrage aussi remarquable. Le sujet est assez peu de chose par lui-même, et le genre d'une pastorale a toujours certaine fadeur que l'habile arrangement des scènes ne corrige pas même dans ce chef-d'oeuvre inconnu. Oui, chef-d'oeuvre, surtout si on le compare à tout ce qui paraissait sur la scène à cette époque. Qu'on se figure un langage harmonieux, élégant, facile, naturel; un style toujours pur et toujours franc; les qualités enfin qui caractérisent celui de Molière. Répétons-le avec assurance, il n'y a que Molière qui sut écrire de cette sorte avant Racine. Voici une citation prise au hasard :

Alexis, de l'amour le pouvoir est étrange :

Un amant mille fois en un moment se change,

Et de ses passions l'impétueux reflux

Lui fait parfois haïr ce qu'il aime le plus.

Au fort de la douleur, aveugle, il s'imagine

Chasser facilement l'objet qui le domine,

Et par le vain secours de sa faible raison

Il croit rompre ses fers et briser sa prison ;

Mais, s'il voit seulement les yeux qui le maîtrisent,

Ses frivoles projets tout à coup se détruisent,

Et de sa lâcheté tel est le repentir

Qu'il redouble ses fers pour n'en jamais sortir.

Quel style ! Est-ce Colletet, est-ce Desmarets, est-ce Rotrou lui-même, qui trouvent ainsi la rime sans la chercher ? Il suffit de savoir reconnaître le caractère du style d'un écrivain pour penser aussitôt à Molière en lisant ces extraits d'une pièce qui date de 1640 à 1655. Que l'on compare ces portraits de femmes à ceux que Célimène trace si finement dans le Misanthrope. Ceux-ci sont moraux, ceux-là sont physiques ; mais le mouvement de la phrase est presque semblable dans les deux passages:

Nerine a les yeux bruns, AEglé le teint de lys ;

Diane est complaisante,et douce Amarillis ;

Galathée à danser a merveilleuse grâce,

Et Cloris à chanter les rossignols surpasse ;

Phillis est toute jeune, et, dans soit beau printemps,

Arethuse a des traits encor bien éclatants ;

Sylvie est enjouée, et la belle Caliste

Ne laisse pas de plaire, encor qu'elle soit triste.

Combien de vers charmants, dignes de Molière !

Hélas ! On sait trop tôt ce qui doit affliger :

Le bonheur est tardif, et le mal est léger.

On ne plaint point son mal quand il est volontaire.

On n'exprime pas bien une ardeur violente

Que le coeur ne sent pas et dont l'âme est exempte.

Nous croyons donc que cette pièce est de Molière, qui composait alors des tragédies, et qui pouvait bien aborder les tragi-comédies pastorales ; mais celle-ci ne fut jamais publiée, et les quelques exemplaires qu'on en a vus ne servirent peut-être qu'à la représentation de la pièce sur l'Illustre-Théâtre ou chez le prince de Conti. Le prologue, où l'auteur promet à Louis XIII la défaite du croissant s'il veut entreprendre une croisade contre les Turcs, fut-il cause qu'on refusa le privilège nécessaire à la publication ?

« Cette pièce, en cinq actes, avec un prologue, renferme des vers élégants et faciles, qui prouvent que l'auteur n'était pas sans talent poétique. Nous ne pensons pas cependant qu'elle soit l'ouvrage deMolière, comme l'affirme M. Paul Lacroix dans le Catalogue de M. deSoleinne (n° 1180), où l'exemplaire, en veau marbré allemand, est coté 67 fr. 50 c. Le duc de La Vallière la place vers 1629, et M. P. Lacroix, après avoir dit qu'elle date de 1640 à 1655, a pensé que le prologue de l'auteur promet à Louis XIII la défaite du croissant s'il veut entreprendre une croisade contre les Turcs. Or, comme ce monarque est mort en mai 1643, la pièce ne peut être postérieure à l'année 1642, époque à laquelle Molière n'avait encore que vingt ans. D'ailleurs, est-il permis de croire que ce poète philosophe ait conseillé à son roi une croisade contre les Turcs ? Le second exemplaire de M. de Soleinne (2e Supplément, n° 189) n'a été vendu que 35fr., mais il a été payé 79fr. à la vente Solar. Cette même pièce est portée dans le Catalogue de La Vallière, par Nyon (n° 17,621), comme donnée en 1658. »

J'avais touché juste sur plus d'un point dans cette note, qui contenait plus d'une erreur que j'ai reconnue depuis. L'attribution que j'osais faire de la tragi-comédie de MELiSSE à Molière rencontra plus d'un adhérent, et l'opinion littéraire des connaisseurs se traduisit par le prix élevé auquel fut porté l'exemplaire de Soleinne aux enchères de la vente publique. Ce prix a été maintenu et surpassé depuis dans les ventes où MELISSE a reparu de loin en loin, et le savant auteur du MANUEL DU LIBRAIRE n'a pas oublié de donner place, dans son ouvrage, à cette pièce intéressante, en ajoutant à la mention qu'il en a faite une note très judicieuse (5e édition du MANUEL. 1862) :

« Cette pièce, en cinq actes, avec un prologue, renferme des vers élégants et faciles, qui prouvent que l'auteur n'était pas sans talent poétique. Nous ne pensons pas cependant qu'elle soit l'ouvrage de Molière, comme l'affirme M. Paul Lacroix dans le Catalogue de M. de Soleinne (n° 1180), où l'exemplaire, en veau marbré allemand, est coté 67 fr. 50 c. Le duc de La Vallière la place vers 1629, et M. P. Lacroix, après avoir dit qu'elle date de 1640 à i655, a pensé que le prologue de l'auteur promet à Louis XIII la défaite du croissant s'il veut entreprendre une croisade contre les Turcs. Or, comme ce monarque est mort en mai 1643, la pièce ne peut être postérieure à l'année 1642, époque à laquelle Molière n'avait encore que vingt ans. D'ailleurs, est-il permis de croire que ce poète philosophe ait conseillé à son roi une croisade contre les Turcs? Le second exemplaire de M. de Soleinne (2e Supplément, n° 189) n'a été vendu que 35fr., mais il a été payé 79fr. à la vente Solar. Cette même pièce est portée dans le Catalogue de La Vallière, par Nyon (no 17,621), comme donnée en 1658.»

Mon jugement, ou plutôt mon instinct, ne m'avait pas trompé, lorsque j'avais proposé d'attribuer MELISSE à Molière. En étudiant de plus près la question, j'ai pu grouper an certain nombre d'inductions ou de faits qui viendraient à l'appui de cette attribution, faite d'abord un peu à la légère et sous l'influence d'une sorte de divination ou de pressentiment. Toutefois, Molière ne serait pas le seul auteur de cette tragi-comédie, qui présente beaucoup de mauvais vers et même des scènes imparfaites, écrites avec assez de négligence et remplies d'exagérations déclamatoires, à côté de scènes délicieuses, de vers exquis et de beautés incontestables. J'en suis donc venu actuellement à présumer que Molière avait eu un collaborateur, et que ce collaborateur était Madeleine Béjart, qui se mêlait aussi d'écrire des pièces de comédie en vers, et qui fit représenter un DON QUICHOTTE de sa façon sur le théâtre du Petit-Bourbon. Ce n'est d'ailleurs qu'une simple conjecture, pour expliquer, autant que possible les disparates de composition et de style, qu'on remarque dans la tragi-comédie de MELISSE.

Cette tragi-comédie a été peut-être composée et jouée sur des théâtres de province dès les premiers temps de l'association de Molière avec Madeleine Béjart, lorsqu'ils faisaient la comédie, dans les villes de l'ouest et du midi de la France, avec une troupe de campagne dont ils étaient les principaux sujets. On distingue en effet, dans MELISSE, un si grand nombre de vers traduits ou imités des BUCOLIQUES de Virgile, de L'ART D'AIMER d'Ovide et de LA NATURE DES CHOSES de Lucrèce, qu'on est tenté de croire que Molière, en écrivant les meilleurs morceaux de cette tragi-comédie, se laissait aller à des réminiscences classiques du collège des Jésuites, qu'il avait quitté depuis peu de temps.

Mais il est bien certain que l'impression de la pièce ne peut être antérieure à l'année 1658, comme l'abbéRive l'avait deviné, ou comme la tradition le lui avait appris. Cette date précise est constatée par le prologue que récite Pénée, fleuve de Thessalie. A cette époque, on songeait sérieusement à l'envoi d'une expédition française en Grèce, où les Turcs, qui assiégeaient Candie et qui ne parvenaient pas à s'emparer de cette ville, malgré des attaques continuelles, allaient se ravitailler sur les côtes de la Morée et ne cessaient de molester la population indigène. Ce n'est qu'en 1669 que LouisXIV envoya une escadre, commandée par le duc de Beaufort, secourir la ville de Candie, assiégée par des flottes ottomanes qui s'éloignaient et reparaissaient depuis vingt-cinq ans, sans parvenir à s'emparer de cette malheureuse ville, défendue par les chevaliers de Malte. Le prologue de MELISSE ne fait pas allusion à l'expédition confiée au duc de Beaufort en 1669, mais bien à la nomination de ce prince, fils aîné de César, duc de Vendôme, à la charge de grand amiral de France, que son père avait exercée avant lui. C'est bien en 1658 que le duc de Beaufort, qui avait joué pendant la Fronde le rôle d'un tribun populaire, rentra en grâce auprès du roi et fut mis à la tête de l'amirauté de France, en prévision des secoursqueLouis XIV voulait envoyer aux assiégés de Candie et d'une espèce de croisade projetée contre les Turcs et contre les corsaires algériens qui infestaient la Méditerranée. Telle est l'explication de ces vers du prologue de MELISSE, que j'avais mal compris à première vue, et dans lesquels je n'avais reconnu ni Louis XIV, ni son cousin François de Vendôme, duc de Beaufort :

Mais, ô bonheur plus grand ! Je vois de ce héros

Un illustre surgeon paraître sur les flots

Et porter jusqu'ici sa royale bannière ;

Je vois par sa valeur ces coteaux, rétablis,

Reprendre leur verdeur et leur grâce première,

Et le croissant servir au monarque des lys.

Mais je sens que le Ciel me ferme ses secrets.

Hé bien ! Ne troublons pas l'ordre de ses décrets :

Un heureux avenir nous les fera connaître.

Il faut, ce me semble, voir dans ces vers, un peu trop flatteurs pour le duc de Beaufort, qui sortait à peine de disgrâce, le motif d'un refus de privilège du roi pour l'impression de cette tragi-comédie, que la troupe de Molière et des Béjart, nouvellement établie à Paris au mois d'octobre de l'année 1658, avait peut-être représentée à l'hôtel de Vendôme. Le Registre de la Grange ne signale pourtant que deux visites des comédiens du Palais-Royal chef le duc de Vendôme, en 1660 et en 1661.

Quant à l'impression de MELISSE, on peut s'en tenir à la date de 1658. Cette édition est plus soignée que la première édition du SGANARELLE de Molière, qui fut imprimé chez Jean Ribou en 1660 ; mais il y a beaucoup de rapports entre les deux impressions, et les caractères employés sont les mêmes dans les deux éditions. Le fleuron elvézirien qui termine le prologue de MELISSE se retrouve d'ailleurs dans plusieurs éditions originales des pièces de Molière, et le fleuron qui figure à la fin de la pièce comme à la fin de l'argument appartient aussi aux imprimeries parisiennes de cette époque.

Il faudrait citer deux ou trois cents vers si l'on voulait faire un choix de tous ceux qui ont le cachet du style de Molière et qui portent, pour ainsi dire, sa marque de fabrique. Contentons-nous d'en extraire une trentaine :

Philene, notre amour ne dépend pas de nous :

Nous prêtons notre coeur, nous recevons les coups ;

Mais l'aveugle destin, que son caprice inspire,

Tient sur nos volontés un tyrannique empire.

Dans le moment fatal que se forment nos corps,

Il y met des instincts, des penchants, des rapports,

Et de nos ascendants la force souveraine

Nous incline à l'amour ou nous porte à la haine.

(Acte II, sc. v.)

Qui se laisse amollir des soupirs d'une femme

A bien moins de pitié que de faiblesse en l'âme.

Le courage consiste à mépriser des pleurs

Que l'on verse avec art pour émouvoir nos coeurs.

(Acte III, sc. I.)

Ah ! Généreux ami, quelle reconnaissance

Peut à tant de bontés servir de récompense ?

Quelles grâces te rendre, et pour un tel bienfait

Quels termes ne sont pas au-dessous de l'effet ?

Non, non, tous mes soupçons sont allez en fumée ;

Ma raison a repris sa force accoutumée,

Et je vois clairement que mon esprit jaloux

Me faisait défier injustement de vous.

(Ibid.)

Ô bien heureux celui qui, dès son plus jeune age,

A pu se garantir de l'amoureux servage,

Et qui n'a point reçu dans son coeur ce poison

Qui trouble des mortels la première saison,

Qui ne s'est point laissé surprendre par les charmes

D'un objet suborneur, source de mille alarmes,

Et qui n'a point soumis au caprice d'autrui

Un bonheur qui ne doit dépendre que de lui !

Il ne sait ce que c'est que soupirs et que plaintes ;

11 n'est point agité de soucis et de craintes,

Et des cruels soupçons le redoutable essaim

Ne mord point nuit et jour son misérable sein.

Il n'est point en regrets consumé par l'absence ;

Il n'est point de désirs flatté par la présence,

Et n'a jamais connu les souris affectés,

Ni les fausses faveurs, ni les feintes fiertés.

Il goûte les plaisirs où l'âge le convie,

Et voit ainsi couler heureusement sa vie.

(Acte III, sc. II.)

Il faudrait reproduire ici toute la scène III du troisième acte de MELISSE pour faire ressortir les ressources de la langue poétique et les raffinements de dialectique amoureuse que l'auteur a mis au service de la bergère Orante, pour démontrer par des tableaux pittoresques combien l'amour exerce d'empire sur tous les êtres animés. Ce sont là, sans doute, des figures de rhétorique; mais l'expression brillante et colorée leur donne une valeur particulière, qu'on n'est pas accoutumé à trouver dans les meilleures poésies de ce temps-là. Ces qualités sont encore rehaussées par des imitations ou plutôt par des rejets de ces grands poètes anciens que Molière savait par coeur, Ovide, Virgile et Lucrèce. On ne saurait oublier que Molière avait traduit Lucrèce en vers libres. N'est-ce pas, par exemple, au début du poème de Lucrèce que semble nous reporter cette ingénieuse peinture des effets de l'amour dans le système du monde ?

Alexis, il n'est rien qui n'aime en la nature :

Chaque chose en ressent l'agréable blessure,

Et les membres épars de ce grand univers

Ont chacun leur amour et leur penchant divers.

Le Ciel aime la Terre, et d'une ardeur fidèle,

Pour l'avoir, tous les jours il roule à l'entour d'elle,

Sans que, depuis le cours de tant d'ans révolus,

Il ait rien relâché de ses soins assidus.

Ces brillants de la nuit, ces étoiles luisantes,

Sont dans leur amitié si fermes, si constantes,

Qu'elles n'ont point encor, changeant leur premier lieu

Voulu se joindre à l'Ourse, ou penché vers l'Essieu.

Ces errants argentez qui font notre fortune,

Et qui courent sans règle une route commune,

N'ont-ils pas leurs aspects, leurs regards amoureux,

Leurs tendres unions et leurs noeuds si fameux ?

Vois, vois les éléments : même ardeur les travaille,

Et, quoi que bien souvent ils se livrent bataille

Et fassent à nos yeux de terribles fracas,

C'est pour se mieux unir qu'ils forment ces débats.

Ce reflux de la mer, que tout le monde admire,

Est l'effet d'un amour qui souffre et qui désire,

Et ce fleuve qui tâche à surmonter son bord

Veut caresser sa grève et restreindre plus fort.

Est-il rien de plus dur qu'une roche hautaine ?

Elle est pourtant sensible à l'amoureuse peine,

Et ne peut écouter les plaintes d'un amant

Qu'elle ne lui réponde et plaigne son tourment.

Le fer plaît à l'aimant, et la paille amoureuse

Saute d'un vol léger vers l'ambre précieuse.

Sans doute, ce n'est pas le ton ordinaire du dialogue dramatique ; mais c'est bien de la poésie, et de la poésie puisée aux sources de l'antiquité grecque et romaine.

Il y a en outre, dans MELISSE, un indice frappant de l'origine que nous lui avions attribuée : ce sont les analogies irrécusables qui existent entre cette tragi-comédie pastorale et la comédie-ballet de LA PRINCESSE D'ELIDE. Le sujet n'est sans doute pas exactement le même dans les deux pièces ; mais on peut reconnaître en plus d'un endroit que Molière, qui dut improviser LA PRINCESSE D'ELIDE en 1664, se souvenait de la MELISSE de 16:8. Melisse aime un berger insensible, Alexis, qui résiste longtemps à l'amour et qui finit par céder à son pouvoir. La Princesse d'Elide aime Euryale, prince d'Ithaque, qui feint d'être insensible et de repousser les avances de cette princesse, pour mieux lui gagner le coeur et la forcer à le préférer à ses rivaux. Il est question aussi, dans les deux pièces, d'une chasse et d'un sanglier, qui amènent des scènes tragiques dans MELISSE, des scènes comiques dans LA PRINCESSE D'ELIDE. Enfin, ces vers, chantés dans le cinquième intermède de la comédie-ballet, résument à la fois le sujet des deux pièces et en sont en quelque sorte la moralité :

Usez mieux, ô beautés fières !

Du pouvoir de tout charmer ;

Aimez, aimables bergères :

Nos coeurs sont faits pour aimer.

Quelque fort qu'on s'en défende,

Il faut y venir un jour.

Il n'est rien qui ne se rende

Au doux charme de l'amour.

Il est sans doute difficile de découvrir dans deux pièces si différentes de genre et de style des similitudes complètes, des répétitions identiques d'idée et de forme ; cependant on peut en signaler quelques-unes qui viennent à l'appui de l'opinion que j'ai émise spontanément il y a trente-deux ans, et que je crois aujourd'hui pouvoir établir sur des preuves probables, sinon certaines. C'est bien Molière qui a remis en prose, dans LA PRINCESSE D'ELIDE, certains vers qu'il avait composés pour MELISSE. Il avait dit dans MELISSE (p. II) :

Mais qui peut bien de soy jusques là présumer

De vouloir être aimée et de ne point aimer ?

Il fait dire à la princesse d'Elide (acte III, sc. IV) : « Sans vouloir aimer, on est toujours bien aise d'être aimé.»

Dans MELISSE (p. 37), Alexis proclame en ces termes soit insensibilité :

Je renonce à l'amour, et je n'accepte rien

De tout ce que l'on m'offre au nom de ce lien.

Dans LA PRINCESSE D'ELIDE (acte III, sc. IV), Euryale fait la même profession de foi: « Rien n'est capable de toucher mon coeur ; ma liberté est la seule maîtresse à qui je consacre mes voeux. »

Melisse reproche à son Alexis de la leurrer d'un amour qu'il ne ressent pas (p. 61) :

Quelle gloire auras-tu de m'avoir abusée ?

Ne feins point de m'aimer si tu ne m'aimes pas.

La princesse d'Élide répond à Euryale, qui se dépouille enfin de sa feinte indifférence (acte V, sc. II) : « Non, non, Prince, je ne vous sais pas mauvais gré de m'avoir abusée. »

Alexis proteste de sa passion pour Melisse (p. 61) :

L'amour, qui de nos coeurs absolument dispose,

A fait en un moment cette métamorphose :

Du berger insensible il a tout effacé.

Euryale exprime les mêmes sentiments à la princesse d'Élide (acte V, sc. II) : « Il faut lever le masque, et, dussiez-vous vous en prévaloir contre moi, découvrir à vos yeux les véritables sentiments de mon coeur. C'est vous, Madame, qui m'avez enlevé cette qualité d'insensible. »

Melisse adresse des reproches à l'amour qui la domine (p. 5) :

Agréable tyran, doux et cruel vainqueur,

Qui, flattant mon orgueil, as captivé mon coeur ;

Trop charmant ennemi dont je suis poursuivie,

Amour, pourquoi si fort tourmentes-tu ma vie ?

La princesse d'Élide fait à peu près les mêmes reproches à l'amour (acte IV, sc. VII) :

« Si ce n'est pas de l'amour que ce que je sens maintenant, qu'est-ce donc que ce peut être ? Et d'où vient ce poison qui me court par toutes les veines et ne me laisse point en repos avec moi-même ? Sors de mon coeur, qui que tu sois, ennemi qui te caches ! »

Il ne faut pas perdre de vue que la pastorale tragi-comique était à la mode lorsque Molière débutait dans la double carrière de comédien et d'auteur dramatique. C'était un dernier écho de l'ASTRÉE de d'Urfé ; c'était aussi une nouvelle incarnation des bergers et des bergères, qui se montraient de nouveau, à côté des princes et des princesses, dans les longs romans d'amour de Mlle de Scudéry. Molière, comme le prouvent les intermèdes de ses comédies et les vers qu'il composait pour être mis en musique, avait le goût de la poésie amoureuse, qui convenait si bien à la pastorale. Il ne dédaigna pas de composer LA PASTORALE COMIQUE et MÉLICERTE après avoir fait DON JUAN et LE MISANTHROPE. On ne saurait donc s'étonner que, longtemps après avoir fait ces deux chefs-d'oeuvre, il ait composé MELISSE et joué le rôle d'Alexis dans cette tragi-comédie pastorale,

P. L. JACOB, bibliophile.


ARGUMENT DE LA PIÈCE

Tandis que la peste dépeuplait misérablement les troupeaux des vallées de Tempé en Thessalie, et qu'on attendait impatiemment la réponse de l'oracle, qu'on avait envoyé consulter pour tâcher d'apprendre le moyen de faire cesser ce malheur, Melisse, bergère de ce canton, était passionnément amoureuse d'Alexis, jeune berger du même pays, mais qui faisait gloire de fuir toute sorte d'engagement, et qui n'aimait que la chasse et les forêts. Cette bergère, tourmentée de sa passion, sort de grand matin du hameau, et va entretenir ses pensées amoureuses sur le bord du fleuve Pénée, où elle est rencontrée par Orante, son amie particulière, à qui elle déclare l'origine de son amour. Comme elles discourent, elles aperçoivent Alexis endormi au pied d'un arbre, et en même temps un sanglier furieux s'approche du berger pour le déchirer. Melisse prend l'épieu d'Alexis, combat la bête et la contraint à s'enfuir. Alexis se réveille, et Philene, autre berger éperdument amoureux de Melite, étant arrivé, ils prennent tous deux résolution de poursuivre la bête, pour la punir de l'insolence qu'elle a eue d'attaquer cette bergère. Melisse tâche à détourner Alexis de cette résolution, mais elle n'en peut venir à bout, et les deux bergers vont à la chasse du sanglier. Cependant Philene, ayant eu quelque soupçon que Melisse aimastAlexis, tâche à s'en éclaircir, et pour cet effet il feint qu'Alexis ait péri à la chasse et qu'il ait esté déchiré par le sanglier. Melisse fait alors de grandes plaintes, et découvre l'amour qu'elle a pour ce berger. Dans ce mesme moment, Alexis revient de la chasse; elle le prend pour son ombre, et n'est qu'à peine désabusée par Philene, qui lui fait mille reproches et lui avoue qu'il lui a joué cette pièce pour découvrir si elle aimait Alexis. Melisse, voyant son secret découvert, et qu'indubitablement Philene conterait le tout à Alexis, son intime ami, prie Orante de le prévenir, et d'aller elle-même découvrir sa passion à ce berger et l'obliger à avoir quelque tendresse pour elle. Orante s'acquitte de sa commission, et tâche à prouver à Alexis qu'il faut aimer par tous les exemples et toutes les raisons qu'on allègue d'ordinaire sur ce sujet; mais elle n'en peut venir à bout, ce qui désespère Melisse et lui fait prendre la résolution de mourir. Sur ces entrefaites, on apporte la réponse de l'oracle, qui porte que la peste ne finira point qu'un coeur insensible à l'amour ne brûle en sacrifice. Tout le monde jette les yeux sur Alexis, qui fait vanité de ne rien aimer, et on le destine au dernier supplice. Melisse vient à la traverse, qui prétend que c'est elle que l'oracle demande, parce qu'elle a été insensible à l'amour de Philene. Ce débat rend le grand prêtre irrésolu, et fait qu'il va prier les dieux, [dans le temple voisin, de déclarer par quelque signe lequel des deux bergers ils veulent être immolé. Pendant son absence, Alexis devient amoureux de Melisse, et l'Amour descend dans le temple, qui prononce qu'il faut unir les victimes. On croit que les dieux veulent qu'on sacrifie les deux bergers à l'amour. Tandis que les préparatifs se font, Alexis découvre par hasard l'amour qu'il a pour Melisse (ce que le grand prêtre ignorait, comme on a dit ci-dessus). Cela lui donne lieu de croire que l'oracle se doit entendre autrement qu'on a fait, et dans ce même temps deux prodiges arrivent, savoir la consommation du bûcher par le feu du ciel et la cessation de la peste: si bien qu'Alcandre ne doute plus que l'oracle ne soit tout à fait accompli et les dieux apaisés. Pour couronnement, il mène les deux bergers au temple pour y être unis du noeud de l'hyménée.


NOMS DES ACTEURS..

PÉNÉE, fleuve de Thessalie (Prologue).

MELISSE, bergère.

ORANTE, amie de Melisse.

ALEXIS, berger.

PHILENE, amoureux de Melisse.

ALCANDRE, grand prêtre.

TIRCIS, assistant d'Alcandre.

DAMON, assistant d'Alcandre.

AEGON, messager.

TROUPE de bergers et bergeres..

La scène se passe dans les vallées de Tempé en Thessalie.


PROLOGUE

PÉNÉE, fleuve de Thessalie.

De mon palais secret, bordé de joncs touffus,

Que pare un beau lambris de glaçons suspendus,

Où l'on foule la mousse, ou la fraîcheur abonde,

Et que d'un vain effort le jour tâche à percer,

5   Je viens dans ces beaux lieux, les délices du monde,

Conduit par un instinct que je n'ai pu forcer.

     

Fut-il de nuit plus propre et de temps plus serein ?

Le ciel paraît d'argent, et la lune en son plein

D'un éclat nonpareil y fournit sa carrière ;

10   Les astres obscurcis cèdent à sa splendeur,

Et l'oeil qui la contemple avec tant de lumière

Croit voir le frère assis dans le char de la soeur.

     

Les vents sont resserrés dans leurs sombres cachots ;

Le bruit est retenu, tout est dans le repos ;

15   D'un pas tranquille et lent ma belle onde s'avance,

Et les nymphes des bois, qui redoutent le jour

Et craignent des mortels la profane présence,

Viennent se promener dans cet heureux séjour.

     

Que vous êtes charmants, beaux lieux, beaux enchanteurs !

20   Que vous avez d'appas et d'aimables douceurs,

Et qu'à bon droit partout on chante vos louanges !

Qui ne sait pas, TEMPÉ, tes verdoyants coteaux,

Tes antiques forêts, tes moissons, tes vendanges,

Tes fontaines, tes prés, tes rustiques canaux ?

     

25   Mais cela de tout temps ne m'est-il pas connu ?

PÉNÉE admire-t-il ce qu'il a cent fois vu ?

Qui me fait donc errer dans ces lieux solitaires ?

Ah ! Je m'en aperçois, les favorables dieux

Veulent de l'avenir m'apprendre les mystères

30   Et l'important secret du destin de ces lieux.

     

Je vois, je vois qu'un jour, ô déplorable sort !

Le barbare CROISSANT, d'un redoutable effort,

Viendra les asservir, enchaînera mon onde !

Je vois de ce climat les bergers fugitifs

35   Aller chercher bien loin, et dans un autre monde,

Un assuré refuge à leurs troupeaux craintifs !

     

Je vois que vers la SEINE ils arrêtent leurs pas ;

Je la vois qui leur tend ses charitables bras,

Et veut rendre avec eux ses campagnes communes.

40   Ils acceptent bientôt un bonheur si présent,

Et ne regrettent plus les longues infortunes

Qui leur ont fait trouver un séjour si plaisant.

     

Je vois dans un long cours cent monarques français

Affermir leur repos par mille beaux exploits,

45   Et ne dédaigner point le soin des pâturages ;

Mais entre ces héros se présente un Louis

Qui n'eut jamais d'égal dans la suite des âges,

Et qui ravit mes sens par ses faits inouïs.

     

Je ne m'en saurais taire, et, puisqu'à mon désir

50   Le sort daigne accorder de le voir à loisir,

Je veux m'entretenir de ses rares merveilles.

Qu'il est grand, qu'il est beau, qu'il a de majesté !

Il enchante les yeux, il charme les oreilles,

Et fait à tous les coeurs perdre la liberté.

     

55   C'est lui qui, d'olivier pompeusement orné,

Tarira des malheurs le déluge obstiné

Et fera refleurir les champs sous son empire ;

Il sera des bergers l'inébranlable appui,

Et, si jamais contre eux quelque orage conspire,

60   Ils n'auront de recours à d'autre dieu qu'à lui.

     

Ah ! Qu'il défendra bien leurs brebis des assauts

Qu'oseraient leur livrer les plus fiers animaux !

Son nom sera par tout plus craint que le tonnerre ;

Le Serpent, le Lion, l'Aigle, les Léopards,

65   De peur que chez eux-même il ne porte la guerre,

De leurs mers, de leurs monts, se feront des remparts.

     

Mais, ô bonheur plus grand ! Je vois de ce héros

Un illustre surgeon paraître sur les flots

Et porter jusqu'ici sa royale bannière ;

70   Je vois par sa valeur ces coteaux, rétablis,

Reprendre leur verdeur et leur grâce première,

Et le CROISSANT servir au monarque des lys.

     

Mais je sens que le Ciel me ferme ses secrets.

Hé bien ! ne troublons point l'ordre de ses décrets :

75   Un heureux avenir nous les fera connaître.

Aussi bien de la nuit l'astre a quitté les cieux.

L'aurore dans ce lieu nous surprendrait peut-être :

Retirons-nous. Adieu, vallons délicieux.

     

ACTE PREMIER

SCÈNE PREMIÈRE.

MELISSE.

Agréable tyran, doux et cruel vainqueur,

80   Qui, flattant mon orgueil, as captivé mon coeur ;

Trop charmant ennemi dont je suis poursuivie,

Amour, pourquoi si fort tourmentes-tu ma vie ?

La nature en tous lieux goûte le doux repos,

Le sommeil sème encor ses humides pavots,

85   Dans le grand univers règne un profond silence,

Les oiseaux dans les bois dorment en assurance,

Le paresseux Hesper brille sur l'horizon,

Et l'Aurore est encor dans les bras de Tithon,

Tandis qu'abandonnée à mes inquiétudes,

90   Je viens chercher l'horreur des noires solitudes,

Y plaindre mon tourment, qui n'eut jamais d'égal,

Et rendre les rochers sensibles à mon mal.

Quel est mon crime, Amour, et que t'a fait Melisse

Pour exercer contre elle un si cruel supplice ?

95   Hélas !

SCÈNE II.
Melisse, Orante.

ORANTE.

  Que vois-je ici ? Quoi ! Melisse en ces lieux !

Est-ce elle, et dois-je croire au rapport de mes yeux ?

C'est elle ; abordons-la... Melisse ?

MELISSE.

Qui m'appelle ?

ORANTE.

Ah ! Melisse, bonjour.

MELISSE.

Ah ! bonjour, ma fidèle.

ORANTE.

J'allais chez Alcidon, dans le prochain hameau,

100   Prendre une herbe de lui pour mon pauvre troupeau,

Herbe qu'on doit cueillir au lever de l'aurore,

Abondante en rosée et toute moite encore

(Vous savez qu'Alcidon, de retour en ces lieux,

Vante publiquement ses secrets curieux).

105   Parmi l'obscurité j'ai cru vous reconnaître ;

Mais pourquoi si matin vous voir ici paraître,

Et quel est le chagrin qui se découvre en vous ?

MELISSE.

Pouvez-vous l'ignorer, étant commun à tous ?

Et, quand la Thessalie éprouve de la peste

110   Le ravage cruel à ses troupeaux funeste,

Peut-on n'être pas triste et ne pas fuir les lieux

Où rien que de fâcheux ne se présente aux yeux ?

ORANTE.

Il est vrai que nos maux passent toute croyance,

Et que les dieux sur nous exercent leur vengeance,

115   Puisqu'il nous reste à peine, en nos tristes malheurs,

Des troupeaux pour pouvoir être appelés pasteurs.

Jamais contagion ne fut si redoutable,

Et nulle autre jamais ne lui fut comparable.

La brebis sèche à l'oeil, devient hâve, maigrit,  [ 1 Hâve : Pâle, maigre et défiguré. [L]]

120   Dans l'étable s'abat, s'attriste, dépérit,

Ne tient compte de l'herbe autrefois si chérie,

Enfin, malgré nos soins, meurt dans la bergerie.

La lune a son croissant renouvelé trois fois

Depuis que ce poison a corrompu nos toits ;

125   Mais il faut espérer que nos pleurs et nos larmes

Fléchiront les grands dieux,feront tomber leurs armes,

Et qu'un oracle prompt arrêtera le cours

Des malheurs obstinez qui troublent nos beaux jours.

Nous attendons ce jour le messager fidèle

130   Qui nous doit apporter cette bonne nouvelle.

Cependant l'on n'entend que voeux aux immortels ;

Mais, entre tous, de Pan on charge les autels.

Pan aime les troupeaux, il les garde, il les veille,

Il est porté pour eux d'une ardeur sans pareille ;

135   Sur tout la Thessalie est l'amour de son coeur,

Puisque toujours l'encens y fume à son honneur,

Depuis qu'il voulut bien instruire nos ancêtres

À joindre avec la glue des chalumeaux champêtres.

MELISSE.

Orante, je souhaite autant ou plus que vous

140   De voir finir bientôt le céleste courroux.

J'attends ce jour heureux avec impatience.

ORANTE.

Mais, de grâce, avouez, Melisse, en confidence,

Que d'une autre douleur votre esprit agité

S'est venu délasser près ce bois écarté :

145   Car, depuis le moment que la peste cruelle

Fait de nos chers troupeaux une moisson mortelle,

Vous n'avez point quitté le hameau si matin,

Ni jusqu'au ton de voix montré tant de chagrin.

MELISSE.

C'est pourtant cela seul dont l'affligeante image

150   Me tourmente sans cesse et ternit mon visage.

ORANTE.

Quoi ! Pour ce seul sujet vous cherchez les forêts,

Vous fuyez le repos et poussez des regrets !

Melisse, assurément, quelque secrète cause

Fait aujourd'hui dans vous cette métamorphose.

155   Ouvrez-moi votre coeur, ne me déguisez rien,

Puisque votre intérêt m'est cher comme le mien.

« Quand dans un sein ami l'âme se communique,

Elle émousse le trait du chagrin qui la pique. »

MELISSE.

Chère amie, il est vrai, puisqu'enfin tu l'as vu,

160   Le secret désormais en serait superflu.

Le soin de nos troupeaux ne fait pas ma tristesse,

Et c'est de mes malheurs le fardeau qui m'oppresse ;

Mais, pour te découvrir qui peut en être auteur,

Ne me fais point rougir, épargne ma pudeur.

165   Devine si tu peux, et fais que j'ose dire

Qu'au moins ma bouche a su te cacher mon martyre ;

Consultes-en mes yeux, ils t'en éclairciront ;

Mais de confusion ne couvre point mon front.

ORANTE.

À ces mots ambigus je ne puis rien comprendre.

170   De grâce, faites-vous, Melisse, mieux entendre.

MELISSE.

Chère soeur, Alexis.

ORANTE.

Achevez, Alexis.

Mes doutes par ce mot ne sont point éclaircis.

MELISSE.

Au nom de ce berger, rempli de tant de charmes,

Ne connais-tu pas bien ce qui fait mes alarmes ?

175   Qu'est-ce qu'il te faut plus ? Ne vois-tu pas l'effet

Qui doit être attendu d'un berger si parfait ?

ORANTE.

Non, je ne le saurais, si ce n'était peut-être

Qu'à l'éclat des beautés qu'en vous on voit paraître,

Ce berger eut osé, par un hardi dessein,

180   À l'ardeur de vos feux offrir son jeune sein,

Vous conter sa langueur d'un discours téméraire,

Et possible un peu trop s'efforcer de vous plaire.

Mais pour cela, Melisse, il ne faut point rougir :

C'est un mal que souvent il vous faudra souffrir,

185   Et, dans le beau printemps de vos jeunes années,

Vous verrez des bergers les troupes enchaînées

Suivre à l'envi vos pas, et souvent soupirer

Des maux que vos rigueurs leur feront endurer.

MELISSE.

N'insultez point, Orante, à mon malheur extrême.

190   L'ingrat ne m'aime point, hélas ! C'est moi qui l'aime.

ORANTE.

Quoi ! vous l'aimez, Melisse ?

MELISSE.

Oui. je l'aime, et c'est lui

Qui fait tout mon chagrin, qui fait tout mon ennui.

Pardonne, chère soeur, si ma bouche honteuse

T'a celé jusqu'ici ma faiblesse amoureuse.

195   Je connais ton esprit, je sais quelle est ta foi ;

« Mais qui n'a rien aimé se fie à peine à soi. »

ORANTE.

Je ne m'étonne pas que vous aimiez, Melisse :

« L'amour est des humains le premier exercice » ;

Et, puisque ce beau feu devait vous enflammer,

200   Alexis seul était digne de vous charmer.

Mais d'où vient qu'une ardeur et si pure et si belle

N'a point fait naître en lui de flamme mutuelle ?

Est-ce que votre amour lui serait inconnu,

Ou que d'un autre objet son coeur fut prévenu ?

MELISSE.

205   Non, il ne connaît pas la grandeur de mes peines,

Ni l'ardeur de ce feu qui dessèche mes veines ;

Mais, quand il connaîtrait où ses charmes m'ont mis,

Orante, j'en serais peut-être encore pis.

Sais-tu pas qu'à l'amour il déclaré la guerre,

210   Qu'il hait le doux lien dont une âme s'enserre,

Qu'il n'aime que les bois, les buissons, les halliers,

Et poursuit seulement les cerfs, les sangliers ?

Son coeur, d'un dur écueil la véritable image,

Abhorre de l'amour l'agréable servage,

215   Et, bien haut exaltant sa fausse liberté,

De son propre défaut tire sa vanité.

Ainsi, soit qu'il ignore ou sache ma souffrance,

Je ne vois que malheurs et bien peu d'espérance.

ORANTE.

« Sous prétexte souvent d'une fausse froideur,

220   On cache de l'amour la véritable ardeur,

Et qui cherche les bois et les sombres retraites

Cherche à s'entretenir de ses flammes secrètes. »

Mais, puisque le soleil de ses tièdes rayons

A déjà surmonté les cimes de ces monts,

225   Qu'il est tard pour cueillir la plante salutaire

Qui doit de mon troupeau soulager la misère,

Melisse, contez-moi comment en votre coeur

Ce sauvage berger fit naître tant d'ardeur.

MELISSE.

Ce fut le propre jour de notre grande fête

230   Que du bel Alexis je devins la conquête.

Cet aimable berger, ayant dans divers jeux

Remporté tout l'honneur ainsi que tous les voeux,

S'en vint pour recevoir de ma main la couronne

Que, suivant la coutume, une bergère donne.

235   J'en ombrageai son front ; mais lui,sans plus tarder,

La remet sur ma tête et me la fait garder.

ORANTE.

Ce procédé pourtant marque une âme galante.

Que pourrait faire plus une ardeur violente ?

MELISSE.

Écoute jusqu'au bout. M'ayant rendu le prix,

240   Voici de quel propos l'accompagne Alexis :

« Je vous donne, dit-il, cette offrande légère,

Et comme à la plus belle, et comme à la plus fière,

Et pour gage assuré que, tout ainsi que vous,

Je méprise l'amour et ne crains point ses coups. »

245   Ô caprice du sort ! Ô bizarre pensée !

Ce discours me choqua, je m'en tins offensée,

Et crû qu'à mes appas c'était trop insulter

Que d'un pareil orgueil à mes yeux se vanter.

Je songeai donc dès lors, par une pure gloire,

250   De soumettre ce coeur, d'en avoir la victoire,

Et le percer de traits si puissants et si forts

Que pour me résister il fit de vains efforts.

Ce n'est pas que pour lui mon âme fut atteinte :

Si je semblais aimer, ce n'était que par feinte.

255   « Mais qui peut bien de soi jusques là présumer

De vouloir être aimée et de ne point aimer ? »

Ainsi donc, je poursuis mon aimable adversaire,

Et par de petits soins je m'efforce à lui plaire.

Quand il est dans le bois, quelquefois tout un jour

260   Je garde son troupeau jusques à son retour ;

Je caresse ses chiens, je vante leur courage,

Et lui cueille des fruits des plus beaux du village.

Mais, bien loin de toucher ce sauvage berger,

Il a su sous ses lois lui-même me ranger ;

265   Il a contre mon sein tourné mes propres armes,

Et de mes vains appas triomphé par ses charmes.

Cependant l'insensible, errant par ses forêts,

Ignore que mon coeur soit blessé de ses traits.

Tout autre, remarquant mon extrême tristesse,

270   Me voyant le chercher et soupirer sans cesse :

« Sans doute, aurait-il dit, dans le fond de son coeur

Cette fille pour moi cache beaucoup d'ardeur. »

Mais il ne comprend rien à l'amoureux langage,

Et des tendres soupirs ne connaît point l'usage.

275   Cent fois j'ai balancé d'embrasser ses genoux,

Et lui dire : « Alexis, j'expire de tes coups.

D'un regard de pitié soulage ta captive,

Et retiens sur le bord mon âme fugitive ! »

Mais ma bouche timide a refusé toujours

280   D'accorder à mon coeur cet indigne secours.

Connaissant de mes maux la fatale origine,

Juge si j'ai raison de paraître chagrine.

ORANTE.

« Vos maux, pour grands qu'ils soient, auront un meilleur [sort]

Aucun amour jamais ne fut content d'abord.

285   Le comble des malheurs souvent se change en fête,

Et la bonace suit de bien près la tempête. »  [ 2 Bonace : Calme de la mer après un orage. Nous eûmes une grande bonace. [L]]

Lorsque votre berger saura votre langueur,

Fut-il dur comme un marbre et la même froideur,

Il changera bientôt sa farouche manière

290   Pour vous abandonner son âme toute entière.

MELISSE.

Que tu sais bien flatter mes amoureux soucis !

Mais que tu connais mal l'insensible Alexis !

Un rocher est plus tendre, et le fils de Thésée

Eut paru près de lui l'âme toute embrasée.

ORANTE.

295   Mais vois-je pas Philene à vos pieds chaque jour ?

Il me paraît pour vous tout enflammé d'amour.

Comment donc préférer au berger qui vous aime

Un autre dont pour vous le mépris est extrême ?

MELISSE.

Il est vrai que Philene adore mes appas,

300   Et que ses soins pour moi ne se conçoivent pas ;

Qu'il est jeune, bien fait, doux, discret, agréable,

Et, s'il faut l'avouer, même qu'il est aimable.

Cependant de mon coeur la forte aversion

S'est toujours opposée à son affection,

305   Et le seul Alexis en mon coeur a fait naître

Une amour qu'il ignore ou méprise peut-être.

Mais ne le vois-je pas, cet aimable ennemi ?

Au pied de cet ormeau n'est-il pas endormi ?

C'est lui-même, sans doute. Orante, à cette vue,

310   Que mon coeur est troublé, que mon âme est émue !

Vois, vois qu'il est bien fait, et comme ses beaux yeux

Dans l'ombre de la mort sont même radieux !

Vois son teint, vois sa bouche, et sa perruque blonde,

Comparable au soleil quand il renaît de l'onde.

315   Orante, oblige-moi, parlons un peu plus bas,

Ou plutôt, si tu veux, reculons quelques pas,

De peur que le berger, qui doucement sommeille,

Au bruit que nous ferions, en sursaut ne s'éveille.

Cependant nous pourrons.

ORANTE.

Melisse ?

MELISSE.

Qu'avez-vous ?

ORANTE.

320   Je frissonne de peur, Melisse ; éloignons-nous :

Un affreux sanglier vers le berger s'avance,

Et prépare déjà sa mortelle défense.

MELISSE.

Orante, je ne puis, en ce pressant danger,

Abandonner ainsi mon aimable berger.

325   J'aperçois son épieu, je vais vite le prendre,

Et de ce faible bras tâcher à le défendre.

Va, rentre dans tes bois, monstre affamé de sang,

Qui veux de mon berger percer le jeune flanc,

Ou, s'il faut que ta rage enfin soit assouvie,

330   Apaise dans le mien ta sanguinaire envie !

ORANTE.

Ô prodige d'amour à nul autre pareil !

SCÈNE III.
Melisse, Orante, Alexis.

ALEXIS.

Qu'est-ce donc que j'entends qui trouble mon sommeil ?

Quoi ! L'horrible animal qu'avecque soin j'épie

Lui-même jusqu'ici me brave et me défie !

335   Ah ! C'est trop m'outrager ! Il sentira bientôt

Si je sais de son flanc prendre bien le défaut.

Mais depuis quand, Melisse, êtes-vous si vaillante

Et le disputez-vous à la fière Atalante,

Si vous n'êtes pourtant une des déités

340   Qui de cette bergère a les traits empruntés ?

MELISSE.

Berger, je ne suis point du nombre des déesses.

Hélas ! elles n'ont point de semblables tristesses.

ALEXIS.

Ou déesse, ou bergère, il me faut éprouver

Contre l'audacieux qui m'est venu braver.

345   Je vous veux faire don de sa hure sanglante.

Mais Philene à propos en ce lieu se présente :

Sans doute à la vengeance il voudra prendre part.

SCÈNE IV.
Melisse, Orante, Alexis, Philene.

PHILENE.

Du haut de ce coteau j'ai vu le grand hasard

Que vous a fait courir la bête hérissée,

350   Quand elle s'est sur vous avec rage élancée.

Je suis vite accouru vous parer de ses coups,

Soutenir sa fureur ou mourir avec vous.

Mais de ce beau combat apprenez-moi l'issue.

ALEXIS.

Je dormais quand la bête est tout à coup venue ;

355   J'étais sur son passage, et sans doute ma mort

Allait être le fruit de son premier effort,

Quand d'un bras vigoureux cette nymphe visible

A fait tourner le dos à l'animal terrible.

Mais ne voulez-vous pas que jusques en son fort

360   Nous le suivions tous deux et lui portions la mort ?

J'espère qu'ici près nous pourrons le surprendre ;

La piste est toute fraîche, allons, sans plus attendre,

Tandis que le soleil est à peine levé,

Et que l'air est encor de rosée abreuvé.

365   Nous pourrons repasser par ce même bocage

Dans une heure au plus tard, et gagner le village.

PHILENE.

Alexis, j'y consens, et j'ai pris à propos

Entre tous mes épieux aujourd'hui le plus gros.

Adieu, Melisse, adieu. Pour venger votre offense,

370   Je quitte avec regret votre chère présence.

Cet honneur est acquis justement à mon bras,

Et je veux l'obtenir au prix de mon trépas.

Mais, quelque grand que soit le péril que j'embrasse,

Un autre plus fâcheux près de vous me menace,

375   Puisqu'ainsi qu'un veneur armé de traits cruels,

Vous me percez le coeur de mille coups mortels.

MELISSE.

Berger, à tes discours je ne puis rien comprendre.

PHILENE.

C'est que tu ne veux pas, ingrate, les entendre.

MELISSE.

Alexis ! Alexis !

ALEXIS.

Qu'est-ce donc qu'elles ont ?

MELISSE.

380   Où courez-vous si vite ? Et que vous êtes prompt !

Avez-vous bien compris qu'ennemi de vous-même

Vous vous précipitez en un danger extrême ?

Combien dans cette chasse ont péri de chasseurs !

Que ne craignez-vous donc de semblables malheurs ?

385   La bête, qui se voit vivement poursuivie,

Redouble sa fureur, abandonne sa vie,

Brise le fort épieu de sa cruelle dent,

Renverse le chasseur, le déchire et le fend.

Adonis, qu'aima tant une belle déesse,

390   Qu'elle suivait partout et caressait sans cesse ;

Ce berger aux yeux bleus, au teint vermeil et frais,

Aux cheveux de pur or, aux souris pleins d'attraits,

Entreprenant jadis une semblable guerre,

Dans les forêts de Cypre ensanglanta la terre,

395   Et fit pour un mortel répandre mille pleurs

À la mère des Ris, des Jeux et des Douceurs.

Que si, pour me venger du sanglier farouche,

Un beau feu vous anime, un beau désir vous touche,

Laissez vivre plutôt qui j'ai su repousser,

400   Pour aller en tous lieux mon renom annoncer.

Quittez donc, Alexis, une entreprise vaine,

Où le péril est sûr et l'issue incertaine.

ALEXIS.

Melisse, cette peur que vous avez pour moi

Montre qu'en ma valeur vous avez peu de foi.

405   Il est pourtant des mains moins fortes et moins sûres,

Et le sang quelquefois coule de nos blessures.

Adieu, l'occasion se perd en ces discours.

Diane, accorde-nous, de grâce, ton secours.

MELISSE.

Mais, Philene, du moins, prenez soin de sa vie ;

410   Tâchez à modérer sa téméraire envie.

Ne l'abandonnez point, et sauvez en ce jour

L'espoir de la contrée et sa plus tendre amour.

SCÈNE V.
Melisse, Orante.

MELISSE.

À combien de frayeurs vais-je servir de proie,

Jusqu'à ce qu'en ces lieux mon berger je revoie ?

415   Je sais qu'il ne craint rien et que son jeune bras

Affronte les périls et cherche les combats.

Que ne m'est-il permis, sans encourir de blâme,

De le suivre en tous lieux, ce berger qui m'enflamme !

J'irais avecque lui dans les sombres forêts,

420   Sur le haut des rochers, dans les vallons secrets ;

J'apprendrais les sentiers, je saurais les passées,

Et courrais comme lui les bêtes relancées ;

Je porterais son arc, ses fléchés, son carquois ;

Quand il serait aux mains, je le seconderais ;

425   J'essuierais de son front la sueur glorieuse ;

Enfin, de le servir je me tiendrais heureuse.

ORANTE.

Melisse, je vous plains que cet ingrat pasteur

Reconnaisse si mal une si belle ardeur ;

Mais ne craignez-vous point que le jaloux Philene

430   N'ait tantôt découvert votre amoureuse peine ?

Vous avez témoigné bien de l'empressement

Pour faire qu'Alexis changeât de sentiment :

Un simple avis qu'on donne est moins chaud d'ordinaire,

Et, qu'on l'accepte ou non, on ne s'obstine guère.

435   Philene, à ce transport, paraissait interdit,

En changeait de couleur et crevait de dépit.

Les amants ont des yeux que jamais on n'abuse ;

Ils savent distinguer le vrai d'avec la ruse :

Un soupir, un regard, un mot dit en passant,

440   Leur sert de conjecture et d'indice puissant.

MELISSE.

Non, Orante, Philene ignore encor ma flamme,

Et, pour avoir tantôt vu du trouble en son âme,

Ne crois pas qu'il ait pu concevoir le soupçon

Que mon coeur fut touché pour ce charmant garçon.

445   « Des amants maltraitez le visage s'altère,

Selon qu'ils sont émus d'amour ou de colère. »

Mais, puisque le soleil, de ses rayons plus droits,

A déjà raccourci les ombres de ce bois,

Qu'on entend des oiseaux les fredons agréables,  [ 3 Fredon : erme de musique vocale. Vocalise qui se composait principalement d'une foule de petits agréments abandonnés aujourd'hui. [L]]

450   Orante, allons tirer nos troupeaux des étables.

Le mien depuis longtemps tous les matins décroît,

Il diminue, hélas ! Et mon amour s'accroît.

Quand nous aurons donné les ordres nécessaires,

Nous viendrons, si tu veux, sur ces vertes fougères.

455   J'attendrai mon berger au pied de ce sapin.

ORANTE.

Je vous y rejoindrai par un autre chemin.

ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE.

PHILENE.

Nos soins ont été vains : la bête défiante

Par une prompte fuite a trompé notre attente ;

Mais, quand elle se fut présentée à souhait.

460   J'avais trop de chagrin, j'étais trop inquiet,

Pour pouvoir occuper ma triste fantaisie

Qu'à tout ce qui pouvait nourrir ma jalousie

Ah ! Melisse, Melisse, à la fin j'ai compris

D'où naissait ton orgueil et ton cruel mépris !

465   Tu paraissais de glace, et, selon l'apparence,

Rien n'avait eu jamais autant d'indifférence.

Un marbre était moins froid, plus sensible un rocher,

Et bien plutôt que toi l'on les eut pu toucher.

Tu brûles cependant, et l'ardeur qui t'enflamme

470   Ne se contient qu'à peine au profond de ton âme.

Un plus heureux berger t'a soumise à ses lois :

Tu parlais d'être libre, et tu sers toutefois.

Non, je n'en puis douter, la chose est assurée !

L'ingrate s'est à moi pleinement déclarée,

475   Quand, avec un discours plein d'amoureux transports,

D'arrêter Alexis elle a fait ses efforts.

A-t-elle rien omis de touchant et de tendre,

Et tout autre que lui n'eut-il pas dû se rendre ?

Mais pouvait-elle mieux son ardeur exprimer

480   Que quand son faible bras a su pour lui s'armer,

Qu'elle a du sanglier affronté la furie,

Et, pour le préserver, abandonné sa vie ?

Je n'avais pas d'abord remarqué l'action,

Mais j'ai fait sur ce point depuis réflexion :

485   C'était au berger seul, dormant sous le feuillage,

Que la bête voulait faire sentir sa rage.

Melisse, par la suite, eut pu se garantir ;

Mais son amour plus fort l'empêchait de partir.

Alexis, me contant la chose en sa présence,

490   M'a lui-même averti de cette circonstance ;

Et depuis, avec lui en causant dans le bois,

Il m'en a découvert plus que je n'en voulais.

Sexe dissimulé, sexe rempli de ruses,

Appelles-tu vertu lorsque tu nous abuses ?

495   Mais Alexis est-il avec elle d'accord ?

Conspirent-ils tous deux pour me donner la mort ?

Aurait-il violé notre amitié si sainte,

Et caché son amour sous une froideur feinte ?

Extrémité cruelle, embarras malheureux,

500   Et de tous les côtés également fâcheux !

Amour, conseille-moi. Qu'est-ce que je dois faire ?

Accuser mon Ingrate, ou souffrir et me taire ?

Je l'irrite par l'un, l'autre ronge mon sein,

Et dans les deux partis le péril est certain.

505   Mais Melisse s'approche. Essayons par adresse

D'en tirer s'il se peut l'aveu de sa faiblesse ;

Tâchons de la convaincre, et, quand nous aurons su.

SCÈNE II.
Philene, Melisse.

MELISSE.

De la chasse bientôt vous êtes revenu ;

Mais, Philene, Alexis manque ici, ce me semble.

510   Dites, avez-vous pas été toujours ensemble ?

Tout est-il dans la chasse à souhait arrivé ?

Le sanglier est-il mort, ou bien s'il s'est sauvé ?

PHILENE.

Hélas !

MELISSE.

Que cet « Hélas ! » m'est un sinistre augure,

Et que j'en appréhende une triste aventure 1

515   Philene, parlez donc ; daignez, en peu de mots,

M'expliquer le sujet qui cause vos sanglots.

PHILENE.

Ciel, vous m'êtes témoin, et vous, ombreux bocage,

Si mon bras, secondant mon généreux courage,

N'a pas fait des efforts au delà de l'humain

520   Pour prolonger ses jours et garantir son sein !

Si je n'ai pas tâché d'attirer la tempête

Et cherché de périr pour épargner sa tête !

Mais, lorsque du destin il a subi les lois,

Je me suis enfoncé dans le plus creux du bois,

525   Sans savoir où j'allais, et moi-même j'ignore

Comme quoi dans ces lieux je me retrouve encore.

MELISSE.

Alexis n'est donc plus, et ce berger divin

A vu trancher ses jours presque dans son matin !

Philene, voulez-vous m'accorder tant de grâce

530   Que de ce cher ami me conter la disgrâce ?

PHILENE.

À quoi vous servirait ce lugubre récit ?

Qu'est-ce qu'il vous faut plus ? Vous ai-je pas tout dit ?

Que s'il faut ajouter encor pour vous complaire,

Sachez que des bergers l'éclatante lumière,

535   L'honneur de nos hameaux, des vertus le séjour,

Des bergères l'ardeur, a fini dans ce jour.

MELISSE.

Je ne suis pas encor satisfaite, Philene.

Contez-moi plus au long cette mort inhumaine :

Inutile secours, faible soulagement,

540   Et qui seul toutefois peut flatter mon tourment.

PHILENE.

Puisque vous ordonnez à ma triste mémoire

De vous représenter cette tragique histoire,

Je vous obéirai, quoi que pourtant mon coeur

À m'en ressouvenir ressente de l'horreur.

545   Lorsqu'Alexis et moi, d'un dessein téméraire,

Fûmes entrés au bois, malgré votre prière,

Nous connaissons la voie, et d'un courage égal

Nous avançons tous deux dans le sentier fatal.

Quand nous avons marché quelque peu sur la trace,

550   Le sanglier devant nous à l'impourvu se place,

Étincelant des yeux bouffis d'un rouge fier,

Et semblant au combat même nous défier.

Alexis aussitôt son épieu lui présente,

Lui porte mille coups, le pousse, l'épouvante,

555   Rencontre le défaut, et, lui perçant le flanc,

Le fait en peu de temps nager tout en son sang.

La bête cependant s'irrite davantage :

La douleur qu'elle sent lui redouble sa rage ;

Elle brise l'épieu, le rompt en mille éclats,

560   Sur le berger se rue et le renverse à bas.

J'accours incontinent, et du flanc de la laie

Je ne fais qu'une large et spacieuse plaie.

Mais, hélas ! Je ne puis, avec tous mes efforts,

Lui faire lâcher prise et dégager son corps,

565   Jusqu'à ce que la dent de la bête cruelle

Ait porté dans son coeur une atteinte mortelle.

Elle le laisse ensuite et meurt auprès de lui,

Me laissant accablé de douleur et d'ennui.

Voila de mon ami la funeste disgrâce,

570   Que vous avez voulu que je vous racontasse.

MELISSE.

Ne vous retenez plus dans le fond de mon coeur,

Trop discret sentiment, respectueuse ardeur !

Esclave de la honte, ainsi que du silence,

Tendresse déguisée avecque violence,

575   Ne vous contraignez plus, voyez enfin le jour,

Et faites éclater tout ce que j'eus d'amour !

Puisqu'Alexis n'est plus, n'ayons plus de contraintes.

À quoi nous serviraient les scrupuleuses feintes ?

Ne dissimulons plus ! Honneur, permets-le moi,

580   Si je gardai jamais ta plus sévère loi.

J'aimai mon Alexis. Ce berger adorable

Soumit à ses appas mon orgueil indomptable ;

Il régna dans mon coeur, je brûlai de ses feux,

Et seul de nos bergers il mérita mes voeux.

585   Au milieu toutefois d'une si grande flamme,

Ma bouche lui cela ce que sentait mon âme ;

Il ignora mon mal et ne sut point l'ardeur

Ni les secrets tourments dont il était l'auteur.

Mais, puisque des destins l'implacable furie

590   A saoulé par sa mort sa noire barbarie,

Que son ombre du moins et ses mânes chéris,

S'ils entendent ma voix, s'ils écoutent mes cris,

Sachent que le soleil ne vit jamais bergère

Éprise d'une ardeur plus belle et plus sincère.

595   Mais, aimable Alexis, ne t'imagine pas

Que mon amour finisse avecque ton trépas :

Il survivra ta cendre, et, pur comme fidèle,

Brûlera dans mon coeur d'une flamme éternelle.

Mes yeux, non plus des yeux, mais des sources de pleurs,

600   Ta tombe arroseront de leurs moites liqueurs.

J'y répandrai des fleurs nouvellement écloses,

Des grenades, des lys, des oeillets et des roses ;

J'apprendrai ton beau nom aux échos de ce bois,

Et ferai qu'ils diront Alexis mille fois.

605   Voilà quelle sera ma languissante vie,

Jusqu'à ce que la mort, contentant mon envie.

Mais quel est ce fantôme, et qu'est-ce que je vois ?

C'est l'ombre d'Alexis qui s'apparaît à moi.

De l'heureux Élysée il a quitté les plaines

610   Exprès pour nous venir soulager dans nos peines.

SCÈNE III.
Philene, Melisse, Alexis.

MELISSE.

Alexis, est-ce vous ?

ALEXIS.

Ne me voyez-vous pas ?

MELISSE.

Il est vrai, ce sont là vos charmes, vos appas ;

C'est votre même épieu que votre main embrasse,

Et vous avez encor même ardeur pour la chasse.

615   C'est ainsi qu'au delà du rivage oublieux

Chacun pratique encor ce qu'il aima le mieux.

Vous avez bien pu donc, ô berger pitoyable !

Faire tant de chemin pour m'être secourable I

Vous avez pu quitter les myrtes odorants

620   Où des bergers constants les mânes sont errants !

Je puis revoir encor votre aimable visage,

Converser avec vous, ouïr votre langage !...

ALEXIS.

Qu'est-ce qu'elle veut dire, et par quelle raison

Tient-elle ce discours vague et sans liaison ?

625   Son esprit a perdu son assiette ordinaire.

Philene, apprenez-moi ce qu'a cette bergère.

Mais j'ai tort, et retiens mon désir indiscret :

Ce que font deux amants leur doit être secret.

Je me retire. Adieu. Dans le hameau, Philene,

630   Nous parlerons tantôt de la chasse prochaine.

SCÈNE IV.
Melisse, Philene.

MELISSE.

Qu'est-il donc devenu ? Beau fantôme, arrêtez !

De grâce, encor un mot, chère ombre, permettez.

Hélas ! Il disparaît, et la cruelle Parque

L'oblige à repasser encor un coup la barque.

635   Mais n'accuse-t-il point peut-être notre oubli,

Que nous l'abandonnions sans être enseveli ?

Son ombre erre peut-être au deçà du rivage,

Et le vieil nautonier lui refuse passage.

Conduisez-moi, Philene ;allons couvrir son corps

640   Et lui rendre un devoir qui seul touche les morts.

PHILENE.

Vous n'y trouveriez rien pour vous que de funeste.

MELISSE.

De ce qu'on a chéri l'on aime encor le reste.

PHILENE.

Peut-être à ce spectacle on vous verrait rougir.

MELISSE.

Une honnête amitié ne saurait mal agir.

PHILENE.

645   Vous n'entendez pas bien ce que je vous veux dire.

MELISSE.

L'esprit est abruti dans l'excès du martyre.

PHILENE.

Quoi ! Votre passion vous aveugle si fort

Que vous ne voyez pas qu'Alexis n'est pas mort ?

MELISSE.

N'insultez point, Philene, à ma disgrâce extrême.

650   Mon Alexis est mort ; j'ai vu son ombre blême,

Et, si je m'en souviens, il m'a dit que dans peu

Nous nous verrions unis d'un agréable noeud.

PHILENE.

Ah ! Désabusez-vous de cette erreur grossière !

Alexis, comme nous, jouit de la lumière ;

655   Dans le hameau bientôt vous le rencontrerez,

Et par vos propres yeux vous vous éclaircirez.

MELISSE.

Mais vous m'avez tantôt vous-même appris, Philene,

Qu'il avait à vos yeux expiré sur l'arène.

PHILENE.

Il est vrai, je l'ai dit, mais je l'ai fait exprès

660   Pour sonder de ton coeur les sentiments secrets ;

Je voulais pénétrer jusqu'au fond de ton âme

Et tirer de toi-même un aveu de ta flamme.

Ah ! Je sais maintenant d'où naissaient tes mépris :

Tu brûlais pour un autre, et ton coeur était pris.

665   Tu me disais pourtant que rien n'était capable

D'adoucir cet orgueil, qui semblait indomptable,

Et que l'amour plutôt viderait son carquois

Que jamais ta fierté fut soumise à ses lois.

Lâche ! Tu me trompais et faisais un parjure

670   Pour mieux dissimuler ton indigne imposture.

Dis-moi, puisque l'amour te pouvait enflammer,

Qu'est-ce qui t'empêchait, ingrate, de m'aimer ?

Aima-t-on plus que moi jamais une bergère ?

Honore-t-on les dieux d'un culte plus sincère ?

675   Quels soins peuvent aux miens s'égaler justement ?

N'ai-je pas des troupeaux que je tonds fréquemment ?

Je ne suis point encor difforme, ce me semble,

Si l'onde m'en a fait un portrait qui ressemble.

MELISSE.

Philene, notre amour ne dépend pas de nous :

680   Nous prêtons notre coeur, nous recevons les coups ;

Mais l'aveugle destin, que son caprice inspire,

Tient sur nos volontés un tyrannique empire.

Dans le moment fatal que se forment nos corps,

Il y met des instincts, des penchants, des rapports,

685   Et de nos ascendants la force souveraine

Nous incline à l'amour ou nous porte à la haine.

PHILENE.

Non, tu prétends en vain excuser tes rigueurs

Par ces froides raisons et ces faibles couleurs.

Les dieux, justes et bons, de nos noires malices

690   Ne sont point les auteurs, non plus que les complices ;

Ils ne nous forcent point aux lâches attentats,

Et c'est à nous qu'il tient si nous sommes ingrats.

Est-il rien plus aisé que d'aimer qui nous aime ?

Chacun ressent-il pas ce pouvoir en soi-même,

695   Et, quand on nous prévient par des instincts puissants,

Qui nous peut empêcher d'être reconnaissants ?

MELISSE.

Si l'on est de son coeur facilement le maître,

Commencez le premier à le faire paraître ;

Montrez que notre sort ne dépend que de nous ;

700   Rompez, rompez vos fers, enfin guérissez-vous.

Si l'amour est aisé, plus facile est la haine.

Faites donc quelque effort et rompez votre chaîne.

À mon tour, j'essaierai de recevoir vos voeux ;

Mais, pour nous contenter plus aisément tous deux,.

705   Que ne choisissez-vous quelque bergère aimable,

Qui puisse être à vos feux plus que moi favorable.

Nérine a les yeux bruns, AEglé le teint de lys ;

Diane est complaisante, et douce Amarillis ;

Galathée à danser a merveilleuse grâce,

710   Et Cloris à chanter les rossignols surpasse ;

Philis est toute jeune, et dans son beau printemps

Aréthuse a des traits encor bien éclatants ;

Sylvie est enjouée, et la belle Caliste

Ne laisse pas de plaire, encor qu'elle soit triste.

715   Philene, choisissez ; laissez Melisse en paix,

Puisqu'elle ne saurait contenter vos souhaits.

PHILENE.

Ah ! Coeur de diamant, coeur non d'une bergère,

Mais bien d'une tigresse ou de quelque panthère ;

Coeur qui n'as rien d'humain qu'un bel extérieur !

720   Et qui n'es au dedans que glace et que rigueur !

Non, tu ne fus jamais fille de Thamyrée,

Tu naquis d'une roche, et fus d'elle engendrée !

Tu tétas une louve, et ce monstre cruel

Se plût à t'allaiter de son poison mortel !

725   Voyant briller en toi l'espoir de mille charmes,

Il t'apprit le secret de t'en faire des armes,

De surprendre les coeurs, les âmes enflammer,

Et nous faire périr en te faisant aimer :

Car enfin, je l'avoue, au fort de ma furie,

730   Sans te vouloir toucher d'aucune flatterie,

Ton teint est en blancheur à la neige pareil ;

Tes lèvres du corail effacent le vermeil ;

Tes yeux brillent d'un feu plus pur que la lumière ;

Ton air est engageant, tu plais sans vouloir plaire ;

735   Mais tous ces grands appas, ces charmes sans égaux,

Sont lâchement ternis par de plus grands défauts !

Alors que sous tes lois un pauvre amant se range,

Ta douceur affectée en cruauté se change,

Et tels sont tes mépris que, pour n'en plus souffrir,

740   On souhaite en un jour mille fois de mourir.

Rien ne te peut toucher, soupirs, plaintes, supplices,

Et tu comptes pour rien les soins et les services.

Je n'ai pas le dessein d'exagérer ici

Ce que j'ai fait pour toi, mais je ne puis aussi,

745   Succombant sous le faix de ta haine implacable,

M'empêcher de t'en faire un crayon véritable.

Sans moi, tes deux chevreaux eussent été perdus,

Si ma main ne les eut promptement défendus.

Songe combien de nuits et de longues journées

750   J'ai gardé tes brebis, de loups environnées.

J'ai gravé ta devise en mille arbres divers ;

J'ai fait à ton honneur des chansons et des airs ;

Aux fêtes de Palès j'ai soutenu contre elle

Qu'elle avait moins d'appas et qu'elle était moins belle ;

755   Enfin j'ai rebuté pour toi la jeune Iris,

Et n'ai payé ses voeux qu'avecque des mépris,

Quoi que de nos beautés Iris fut la seconde,

Qu'Iris eût des troupeaux, qu'Iris même fut blonde.

Je ne te dirai point les mortelles douleurs

760   Que m'ont fait ressentir tes injustes rigueurs :

On compterait plutôt les libyques arènes,

Les ondes du Pénée et les épiques des plaines.

Nous avons vu deux fois retourner les hivers

Depuis le jour fatal que j'entrai dans tes fers.

765   Quel est enfin le fruit de ce long esclavage ?

Tu cours après un autre et me quittes, volage !

Mais sache que les dieux sont trop pleins d'équité

Pour souffrir ce mépris avec impunité,

Et que tu connaîtras, possible, par toi-même,

770   Qu'aimer sans être aimée est un supplice extrême.

Adieu. Je vais chercher un favorable écueil,

Qui dérobe ma vie à ton farouche orgueil,

Ne pouvant obtenir de mon âme rebelle

De te pouvoir haïr ni de t'être infidèle.

SCÈNE V.

MELISSE.

775   Que mon sort est étrange, et que mes tristes maux

En peuvent rencontrer malaisément d'égaux !

Deux tyrans opposés, deux mégères cruelles,

Me donnent à l'envi des atteintes mortelles,

Et d'un côté la haine, et de l'autre l'amour,

780   Contre moi conspirez, me rongent tour à tour.

Je méprise un berger qui me suit et m'adore,

Je recherche un berger qui me fuit et m'abhorre.

L'indifférent me plaît, et de l'autre l'ardeur,

Au lieu de me toucher, ne fait qu'aigrir mon coeur.

785   De grâce, accordez-les, grands dieux ! s'il est possible :

Que l'un cesse d'aimer, que l'autre soit sensible !

Ou, si j'ai mérité ce rude châtiment,

Par une prompte mort finissez mon tourment !

SCÈNE VI.
Melisse, Orante.

MELISSE.

Que tu viens tard, Orante, et, pendant ton absence,

790   Qu'un étrange malheur m'a causé de souffrance !

ORANTE.

Le soin de mes troupeaux m'a toujours retenu ;

Mais, Melisse, quel est ce malheur inconnu ?

MELISSE.

Que tu prévoyais bien tantôt mon aventure !

Philene a découvert ma secrète blessure

795   En feignant qu'en la chasse Alexis eut péri ;

Il a vu ma douleur pour ce berger chéri.

Mais, puisque désormais il n'est point de remède

Pour pouvoir déguiser le mal qui me possède,

Orante, oblige-moi, va trouver Alexis ;

800   Conte-lui mon amour, conte-lui mes soucis,

Porte-lui ce présent et lui dis que ma vie,

S'il s'obstine au refus, sera bientôt finie.

ORANTE.

Prenez, prenez plutôt vous-même cet emploi ;

Vous y réussirez sans doute mieux que moi.

805   « On n'exprime pas bien une ardeur violente,

Que le coeur ne sent pas, et dont l'âme est exempte. »

MELISSE.

Épargne ma pudeur en cette occasion :

Une fille ne peut qu'avec confusion

Découvrir la première à l'objet qui l'enflamme

810   Le désordre secret qu'il cause dans son âme.

Va-t'en donc le trouver, ce trop aimable ingrat.

Tu sais seule son faible et l'endroit délicat

Par où l'on peut toucher son esprit inflexible.

ORANTE.

Je vais donc travailler à le rendre sensible.

MELISSE.

815   Je te suivrai de loin, pour plus vite savoir

Si le succès répond à ce flatteur espoir.

ACTE III

SCÈNE PREMIÈRE.
Alexis, Philene.

ALEXIS.

Elle n'est plus ici. Pour se rendre au village,

Elle a pris le sentier le plus près du rivage.

Vous voyez, cher ami, s'il m'est rien malaisé

820   Pour rendre satisfait votre esprit abusé.

Plût au Ciel qu'en ce lieu la fortune prospère

Nous eût fait rencontrer votre ingrate bergère !

Par ma façon d'agir, vous auriez reconnu

Que d'injustes soupçons vous êtes prévenu.

825   Que Melisse pour moi semble des plus atteintes,

Que pour ma fausse mortelle ait fait mille plaintes,

Il m'importe fort peu, puisque de mon côté

J'aurai toujours pour elle autant de dureté.

« Qui se laisse amollir aux soupirs d'une femme

830   A bien moins de pitié que de faiblesse en l'âme.

Le courage consiste à mépriser des pleurs

Que l'on verse par art pour émouvoir nos coeurs. »

Non, non, ne craignez point que pour cette bergère

Je hasarde un ami qui me tient lieu de frère.

835   Je vous la quitte toute, et je serai ravi

Quand je verrai son coeur sous vos lois asservi.

PHILENE.

Ah ! Généreux ami, quelle reconnaissance

Peut à tant de bontés servir de récompense ?

Quelles grâces te rendre, et pour un tel bienfait

840   Quels termes ne sont point au dessous de l'effet ?

Non, non, tous mes soupçons sont allez en fumée ;

Ma raison a repris sa force accoutumée,

Et je vois clairement que mon esprit jaloux

Me faisait défier injustement de vous.

845   Ce que présentement je vous demande en grâce

Est que de ce projet la mémoire s'efface,

Et qu'à jamais Melisse ignore qu'en ces lieux

Nous la vînmes chercher d'un dessein furieux.

ALEXIS.

Déjà vous repentir ! Tout maintenant, Philene,

850   Vous étiez enragé contre cette inhumaine,

Et, poussé, ce semblait, d'un dépit généreux,

Vous deviez l'accabler de reproches honteux.

PHILENE.

Alexis, de l'amour le pouvoir est étrange :

Un amant mille fois en un moment se change,

855   Et de ses passions l'impétueux reflux

Lui fait parfois haïr ce qu'il aime le plus.

Au fort de sa douleur, aveugle, il s'imagine

Chasser facilement l'objet qui le domine,

Et par le vain secours de sa faible raison

860   Il croit rompre ses fers et briser sa prison.

Mais, s'il voit seulement les yeux qui le maîtrisent,

Ses frivoles projets tout d'un coup se détruisent,

Et de sa lâcheté tel est le repentir

Qu'il redouble ses fers pour n'en jamais sortir.

865   Adieu. Je vais chercher mon ingrate bergère ;

Il me faut efforcer d'adoucir sa colère.

Contre elle étrangement je me suis emporté,

Quand son amour pour vous a tantôt éclaté.

Je crains que cette injure, irritant son courage,

870   Ne l'ait aigrie encor contre moi davantage.

ALEXIS.

Que ne poursuivez-vous votre premier projet ?

PHILENE.

J'aime jusqu'aux dédains de mon ingrat objet.

ALEXIS.

Jouissez donc en paix d'une douleur si chère.

« On ne plaint point un mal quand il est volontaire. »

PHILENE.

875   « Les prés veulent des eaux, les abeilles des fleurs ;

La brebis cherche l'herbe, et l'amour vit de pleurs.»

SCENE II.

ALEXIS.

Ô bienheureux celui qui, dès son plus jeune âge,

A pu se garantir de l'amoureux servage,

Et qui n'a point reçu dans son coeur ce poison

880   Qui trouble des mortels la première saison ;

Qui ne s'est point laissé surprendre par les charmes

D'un objet suborneur, source de mille alarmes,

Et qui n'a point soumis au caprice d'autrui

Un bonheur qui ne doit dépendre que de lui !

885   Il ne sait ce que c'est que soupirs et que plaintes ;

Il n'est point agité de soucis et de craintes,

Et des cruels soupçons le redoutable essaim

Ne mord point nuit et jour son misérable sein.

Il n'est point en regrets consumé par l'absence ;

890   Il n'est point de désirs flatté par la présence,

Et n'a jamais connu les souris affectés,

Ni les fausses faveurs, ni les feintes fiertés.

Il goûte les plaisirs où l'âge le convie,

Et voit ainsi couler heureusement sa vie.

895   Mais qui m'a tant appris des mystères d'amour ?

Serait-ce point possible un présage qu'un jour

Ce dieu, vainquant enfin ma longue résistance,

M'en ferait malgré moi faire l'expérience ?

Mais ma frayeur est vaine, et les cieux et les flots

900   Retourneront plutôt dans leur premier chaos.

SCÈNE III.
Alexis, Orante.

ORANTE.

Ah ! Bonjour, Alexis ! J'ai bien eu de la peine

À vous pouvoir trouver, et j'en suis hors d'haleine.

ALEXIS.

Que me voulez-vous donc ? Dites en peu de mots.

ORANTE.

Laissez-moi me remettre et prendre du repos.

ALEXIS.

905   Je suis un peu pressé, je ne saurais attendre.

Orante, une autre fois je pourrai vous entendre.

ORANTE.

Écoutez donc enfin. Je vous cherche en tous lieux

Pour vous faire un présent et riche et curieux :

Une écharpe de soie avec la panetière,

910   Le tout relevé d'or d'une artiste manière.

Prenez, c'est de la part...

ALEXIS.

De qui ?

ORANTE.

Vous l'ignorez ?

ALEXIS.

Oui, certes, je l'ignore.

ORANTE.

Hé bien ! Vous le saurez

Lorsque vous l'aurez pris. Tenez, voyez l'ouvrage.

ALEXIS.

Je ne vois rien avant qu'en savoir davantage.

915   Dites qui me le donne, Orante, ou je m'en vas.

ORANTE.

Une bergère aimable et brillante d'appas,

MELISSE.

ALEXIS.

À moi, Melisse ? Eh ! qu'est-ce qu'elle espère,

Me faisant ce présent ?

ORANTE.

C'est que cette bergère,

Languissante d'amour, mourant sous votre loi,

920   Me fait vous apporter ce gage de sa foi.

ALEXIS.

Reportez vos présents, et dites à Melisse

Qu'elle adresse ses dons en pays plus propice.

Mon humeur n'étant pas inconnue en ces lieux,

Vous deviez toutes deux raisonner un peu mieux.

ORANTE.

925   Depuis quand les bergers ont-ils tant de rudesses

Pour celles qu'autrefois ils nommaient leurs maîtresses :

Les moeurs sont bien changés, puisqu'on voit la beauté

Maintenant être en proie à la rusticité !

ALEXIS.

Je ne m'informe point de ce qui se pratique ;

930   Mais, s'il faut qu'avec vous librement je m'explique,

Je renonce à l'amour, et je n'accepte rien

De tout ce que l'on m'offre au nom de ce lien.

ORANTE.

Que dis-tu, fol garçon qu'abuse l'ignorance ?

Tu méprises l'amour, tu braves sa puissance ;

935   Et, quand de cet amour toi-même es le doux fruit,

Tu respectes si peu celui qui t'a produit !

Ne crois pas m'échapper, je prétends te confondre ;

Défends-toi si tu peux et tâche à me répondre,

Ou plutôt, concevant un dépit généreux,

940   Repens-toi de ton crime et deviens amoureux.

ALEXIS.

En faveur de l'amour que me pourrais-tu dire ?

Vois-tu pas qu'à l'envi partout on le déchire ?

ORANTE.

Écoute, écoute-moi : c'est tout ce que je veux.

Sans doute, on t'en a fait quelque portrait hideux.

945   Alexis, il n'est rien qui n'aime en la nature :

Chaque chose en ressent l'agréable blessure,

Et les membres épars de ce grand univers

Ont chacun leur amour et leur penchant divers.

Le Ciel aime la Terre, et d'une ardeur fidèle

950   Pour la voir, tous les jours il roule à l'entour d'elle,

Sans que, depuis le cours de tant d'ans révolus,

Il ait rien relâché de ses soins assidus.

Ces brillants de la nuit, ces étoiles luisantes,

Sont dans leur amitié si fermes, si constantes,

955   Qu'elles n'ont point encor, changeant leur premier lieu,

Voulu se joindre à l'Ourse, ou penché vers l'Essieu.

Ces errants argentés qui font notre fortune,

Et qui courent sans règle une route commune,

N'ont-ils pas leurs aspects, leurs regards amoureux,

960   Leurs tendres unions et leurs noeuds si fameux ?

Vois, vois les Éléments : même ardeur les travaille,

Et, quoi que bien souvent ils se livrent bataille

Et fassent à nos yeux de terribles fracas,

C'est pour se mieux unir qu'ils forment ces débats.

965   Ce reflux de la mer, que tout le monde admire,

Est l'effet d'un amour qui souffre et qui désire,

Et ce fleuve qui tâche à surmonter son bord

Veut caresser sa grève et l'étreindre plus fort.

Est-il rien de plus dur qu'une roche hautaine ?

970   Elle est pourtant sensible à l'amoureuse peine,

Et ne peut écouter les plaintes d'un amant

Qu'elle ne lui réponde et plaigne son tourment.

Le fer plaît à l'amant, et la paille amoureuse

Saute d'un vol léger vers l'ambre précieuse.

975   Ce qui nous semble enfin dépourvu de tout sens

Se sent forcé d'aimer par des instincts puissants.

ALEXIS.

Orante, vainement ton esprit s'inquiète

Pour montrer qu'à l'amour toute chose est sujette :

J'aimerai quand les Cieux, les Prés, les Eaux, la Mer,

980   Concevront des désirs et pourront s'entr'aimer.

ORANTE.

Tu te moques, berger, et ne te veux pas rendre.

Hé bien ! vois si tu peux encore te défendre.

Contemple ces forêts qui nous ôtent le jour :

Sous leur écorce dure elles ont de l'amour ;

985   La palme tendrement vers la palme s'incline,

Et pour s'approcher d'elle ébranle sa racine ;

Les pins aiment les pins, les ormeaux les ormeaux,

Et pour s'entr'embrasser ils tendent leurs rameaux.

Vois maintenant ces fleurs si fraîches et si belles,

990   Vois comme le soleil a de l'amour pour elles,

Et par ses chauds regards craint de hâler le teint

Que de mille couleurs il a lui-même peint.

À cet illustre amant pas une n'est ingrate,

Et leur zèle pour lui publiquement éclate.

995   L'oeillet, dès le matin, lui montre ses trésors ;

La rose avec pudeur découvre son beau corps ;

Le lys, presque courbé, lève sa belle tête,

Et l'humble violette à lui plaire s'apprête.

Entre toutes, Clytie a pour lui tant d'amour

1000   Qu'elle le suit sans cesse et.fait le même tour.

ALEXIS.

Ne finiras-tu point ce discours fantastique

Et de tes visions le ramas chimérique ?

ORANTE.

Tu résistes encor, ô berger obstiné !

Quand des bois et des fleurs tu te vois condamné !

1005   Mais confesse du moins que tout ce qui respire

Reconnaît de l'amour l'inévitable empire,

Et que, par un instinct en naissant imprimé,

Pour un autre soi-même il se sent enflammé.

N'as-tu point remarqué, dans la saison des roses,

1010   Qu'une douce chaleur anime toutes choses ?

D'une jeune brebis un bélier amoureux

Par mille bêlements lui témoigner ses feux ?

Un chevreau soupirer d'une voix tremblotante,

Et mugir un taureau d'une voix effrayante ?

1015   Tout cela n'est qu'amour, et ces puissants efforts

Sont les effets du dieu qui se meut dans leurs corps.

Ce cheval indompté qui bondit et qui rue,

Et qui ne connaît point le joug ni la charrue,

Il est déjà sensible aux amoureux plaisirs,

1020   Et va chercher bien loin l'objet de ses désirs.

Entre dans tes forêts et tes retraites noires :

L'amour jusqu'en ces lieux va porter ses victoires.

Ce tyran Némée en auteur de mille maux,

Ce lion furieux, l'horreur des animaux,

1025   Il aime toutefois, et lui-même s'étonne

Que sa fureur se calme auprès de sa lionne.

Ce loup fin et rusé, que travaille la faim ;

Ce renard défiant, ce sanglier inhumain,

Ce tigre parsemé, cet éléphant énorme,

1030   Ce léopard cruel, cet ours laid et difforme,

Cette biche et ce cerf que l'on entend bramer.

Se laissent adoucir par le plaisir d'aimer.

Les poissons dans les eaux, sous leurs écailles dures,

Ressentent de l'amour les secrètes blessures,

1035   Et ces dauphins qu'on voit se jouer sur les flots

Nous montrent que l'amour les rend ainsi dispos.

Avec moi, maintenant, viens dans ce vert bocage

Entendre des oiseaux l'agréable ramage.

Ils chantent les plaisirs que leur donne l'amour,

1040   Et commencent par là, par là ferment le jour.

Ce charmant rossignol, qui d'arbre en arbre vole,

Et qui fait cent fredons sans art et sans échoie.

« J'aime, j'aime, dit-il, et mes plus doux accents

Sont les heureux effets de l'amour que je sens. »

1045   Entends les sons plaintifs de cette tourterelle :

Elle plaint de son pair l'infortune cruelle,

Et dans le triste état de sa viduité

Regrette le plaisir qu'elle a jadis goûté.

Ce cygne au blanc plumage, à qui la mort prochaine

1050   Fait pousser de doux chants et renforce l'haleine ;

Ce paon superbe et vain de ses belles couleurs,

Qui ternissent l'éclat des plus brillantes fleurs,

Tous deux ont de l'amour, et tout deux dans leurs veines

Ressentent de ce feu les atteintes soudaines.

1055   Aime donc, Alexis, puisque le même jour

Qui nous a donné l'être a causé notre amour.

ALEXIS.

Prends pour m'assujettir des raisons plus solides

Que ce que l'on voit faire aux animaux stupides.

ORANTE.

Pauvre insensé qui croit qu'en un même séjour

1060   Ne peuvent compatir la raison et l'amour !

Qui sait mieux que les dieux ses règles plus sévères,

Ses obligations, ses maximes austères ?

Leur amour cependant éclate en tant de lieux

Qu'il est autant connu dans la terre qu'aux cieux.

1065   Jupiter, le plus grand de la troupe divine,

Ressent de cette ardeur échauffer sa poitrine,

Et, pour mieux réussir en ses larcins secrets,

Il cache son tonnerre et l'éclat de ses traits.

Tantôt en un beau cygne on voit qu'il se transforme

1070   Pour surprendre une nymphe assise au pied d'un orme,

Tantôt en gouttes d'or on le voit distiller

Pour dans un noir cachot aisément se couler.

Qui ne sait pas comment fut Europe abusée,

Quand, pressant d'un taureau la croupe déguisée,

1075   Elle fendit les flots sans voiles, sans timon,

Vint surgir en nos ports et nous laissa son nom.

Apollon a jadis éprouvé que son âme

N'était point invincible aux traits de cette flamme,

Et, quoi que tous les maux cèdent à son pouvoir,

1080   Pour lui-même il n'a su s'aider de son savoir.

Daphné l'a fait souvent errer sur cette rive

Et suivre sans espoir sa belle fugitive.

Enfin ce dieu si fier qui préside aux combats

S'adoucit pour Vénus et met les armes bas.

1085   Rends-toi donc, Alexis, et ne sois pas plus sage

Que les dieux, dont tu n'es qu'une imparfaite image.

ALEXIS.

Orante, il ne faut pas si fort nous aveugler

Que toujours sur les dieux prétendre nous régler.

Ce qui leur est permis ne nous l'est pas de même :

1090   Nous servons, et leur front porte le diadème.

Étant nos souverains et les auteurs des lois,

Ils s'en peuvent aussi dispenser quelquefois ;

Et puis de leur amour la nature est bien autre,

Et n'a rien que le nom qui soit semblable au nôtre.

1095   Le leur est clair et beau, sans trouble, sans dégoûts,

Le nôtre est inquiet, furieux et jaloux.

Ce qui fait leurs plaisirs fait ici-bas nos crimes,

Et le ciel et la terre ont diverses maximes.

ORANTE.

Si tu ne te rends pas à l'exemple des dieux,

1100   Laisse-toi donc convaincre aux héros glorieux.

En est-il de si fier qui n'ait posé les armes,

Quand contre lui l'amour a déployé ses charmes ?

Hercule, si fameux par ses travaux divers,

Qui de monstres cruels affranchit l'univers,

1105   Et, couvert de la peau d'un lion de Libye,

Parcourut et l'Europe, et l'Afrique, et l'Asie ;

Lui qui du ciel tombant le fardeau supporta,

Et sur les derniers bords ses colonnes planta ;

Ce fils de Jupiter, tout généreux, tout brave,

1110   Prit les chaînes d'Omphale et se fit son esclave,

Et, pour lui ressembler, par un emploi nouveau,

Il quitta la massue et tourna le fuseau.

Thésée aima de même, et son amour bizarre

Lui fit passer le Styx et le sombre Tenare.

1115   Pirithois le suivit, et la Reine des morts

Ne résista qu'à peine à leurs hardis efforts.

Es-tu plus grand qu'Achille ? As-tu l'âme plus forte ?

Admire cependant jusqu'où l'amour le porte !

Il aime sa captive, et ce coeur indompté,

1120   Quand il a tout soumis, se trouve surmonté.

La seule Briséis est le prix de ses peines,

Et seule lui tient lieu des dépouilles troyennes.

Ce chantre thracien, qui par ses doux fredons

Ébranla les forêts et fit mouvoir les monts,

1125   Sentit brûler son coeur de l'amoureuse flamme,

Et vint jusqu'aux enfers redemander sa femme.

Doncques, puisque tout cède à l'amoureux souci,

Aimons, aimons, berger, et lui cédons aussi.

ALEXIS.

Ce que de ces héros ta bouche me raconte

1130   Est ce qui les ternit et ce qui fait leur honte.

Hercule au rang des dieux ne fût jamais monté

S'il eut été toujours près d'Omphale arrêté.

ORANTE.

N'aime donc point, brutal, et te prives toi-même

Des plaisirs innocents qu'on ressent quand on aime.

ALEXIS.

1135   Quels plaisirs a l'amour qu'on puisse comparer

Aux supplices cruels qu'il nous fait endurer ?

Voit-on pas les amants soupirer et se plaindre ?

Être blêmes, chagrins, et presque toujours craindre ?

N'être jamais contents et maudire le jour

1140   Que leur coeur s'est laissé surprendre par l'amour ?

ORANTE.

Tu changerais bientôt tes noires calomnies

Si tu connaissais mieux les douceurs infinies,

Les délices, la joie et les plaisirs charmants

Que l'amour fait goûter aux fidèles amants.

1145   De l'objet qu'on chérit un regard favorable,

Un soupir languissant, un souris agréable,

Un entretien secret, un service accepté,

Valent tout le plaisir qui peut être goûté.

Je ne te dirai point quelle est de l'hyménée

1150   L'entière liberté, l'étreinte fortunée ;

Pense-la si tu peux, et songe comme alors

L'union est parfaite, et d'esprit et de corps !

Combien de pâmoisons, d'extases, de faiblesses,

De doux embrassements et de tendres caresses !

1155   En cet état plaisant que les moments sont courts !

Berger, pour être heureux, il faut aimer toujours.

ALEXIS.

Orante, qui vous a révélé ces mystères,

Que doivent ignorer les modestes bergères ?

ORANTE.

Trop curieux berger, pourquoi viens-tu rouvrir

1160   Une vieille douleur que le temps dut guérir ?

Sache donc qu'autrefois je suivis ta manière,

Que, comme toi, je fus impitoyable et fière,

Et qu'un jeune berger m'ayant offert ses voeux,

J'affectai tes mépris et ton air dédaigneux.

1165   Hélas ! Il m'en souvient, ah ! Cruelle journée !

Lorsque mon Corydon, sur le bord du Pénée,

Se jetant à mes pieds, me pressa doucement

De vouloir consentir qu'il m'aimât seulement.

Quoi qu'en secret pour lui mon âme fut atteinte,

1170   Je voulus jusqu'au bout pousser exprès la feinte.

« Non, non, n'espère point, réponds-je avec aigreur,

Que j'accepte jamais le présent de ton coeur. »

Je m'enfuis aussitôt, et, lorsque je m'arrête,

Je vois pencher son corps et s'abaisser sa tête.

1175   Je reviens sur mes pas, et, d'un lugubre ton :

« Arrête, lui criai-je, arrête, Corydon ! »

Mais il est sous les flots, et ma pitié tardive

Ne le rencontre plus quand je suis sur la rive.

Combien, depuis ce jour, ai-je versé de pleurs !

1180   Combien ai-je accusé mes injustes rigueurs !

Combien, me promenant près ce même bocage,

Me suis-je rappelé son air et son langage !

Il m'a dit mille fois ce qu'ici je te dis ;

Mais il le disait mieux : il m'aimait, Alexis !

1185   Quelquefois, dans le fort de sa douleur mortelle :

« Orante, ajoutait-il, vous êtes jeune et belle,

Vous avez mille attraits, vous avez mille appas ;

Mais, Orante, après tout, ne vous y fiez pas :

Les lys sont grands et beaux, les roses sont divines,

1190   Et cependant tous deux sèchent sur leurs racines.

De même, la beauté ne dure qu'un matin ;

Elle est fleur, et des fleurs elle suit le destin. »

Ainsi, pour être beau, n'en sois pas plus sauvage :

La fierté ne sied pas aux bergers de ton âge.

1195   Laisse donc tes forêts, et te rends à l'amour.

Le temps passe, Alexis, et n'a point de retour.

ALEXIS.

Adieu, qu'en son erreur chacun de nous demeure.

Vous, si l'amour vous plaît, aimez, à la bonne heure.

SCÈNE IV.

ORANTE.

Va, cruel, va, barbare, entre en ces bois

1200   Et prochains, ne reviens jamais fréquenter les humains !

Hélas ! Que vais-je dire à la pauvre Melisse ?

Je crains qu'à ce récit sa douleur ne s'aigrisse.

Cachons-lui la moitié de ce... Mais la voici.

SCÈNE V.
Orante, Melisse.

MELISSE.

Hé bien ! As-tu trouvé ce berger endurci ?

ORANTE.

1205   Il ne fait que partir, et nous sortons d'ensemble.

Je m'étonne comment.

MELISSE.

Ah ! Chère soeur, je tremble.

S'est-il à tes raisons laissé persuader ?

ORANTE.

Il s'obstine toujours et ne veut point céder.

MELISSE.

A-t-il pris mon présent ?

ORANTE.

Non, je vous le rapporte.

MELISSE.

1210   Avecque moi, l'ingrat, agir de cette sorte !

Hé bien ! puisqu'il persiste à nous haïr toujours,

La mort seule nous peut accorder du secours.

Adieu, sombres forêts ; adieu, charmant bocage ;

Adieu, ruisseau d'argent ; adieu, plaisant rivage,

1215   Lieux que j'ai tant de fois arrosez de mes pleurs,

Lieux à qui tant de fois j'ai conté mes douleurs,

Confidents de mes feux, témoins de mon martyre 1

Je ne l'ai dit qu'à vous, bois, fontaines, zéphyr,

Et c'est vous seuls aussi qui saurez qu'Alexis

1220   Me cause le trépas par ses cruels mépris.

Ne lui parlez donc point de son ingratitude.

S'il adresse ses pas par votre solitude,

Prêtez-lui votre ombrage, offrez-lui votre frais,

Mais ne l'accablez point d'outrages indiscrets.

ORANTE.

1225   Melisse, modérez l'ardeur qui vous possède.

MELISSE.

Dans les extrêmes maux, la mort est un remède.

SCÈNE VI.
Melisse, Orante, Tircis.

ORANTE.

Tircis, que cherchez-vous ?

TIRCIS.

Je m'étais égaré.

Mais je suis maintenant du chemin assuré.

ORANTE.

N'étiez-vous pas allé pour consulter l'oracle ?

TIRCIS.

1230   J'en reviens.

ORANTE.

  Les grands dieux sans doute ont fait miracle ;

TIRCIS.

Je suis un peu pressé, je ne puis m'arrêter.

Venez dans le hameau, vous pourrez l'écouter.

SCÈNE VII.
Melisse, Orante.

ORANTE.

Mélisse, allons des dieux entendre la réponse.

MELISSE.

Tout m'est indifférent, Orante ; j'y renonce.

ORANTE.

1235   Venez, le coeur me dit que vous rencontrerez,

Dans l'oracle des dieux, plus que vous n'espérez.

MELISSE.

Je ne veux que la mort : c'est le bien où j'aspire.

ORANTE.

Ne déterminez rien et vous laissez conduire.

ACTE IV

SCÈNE PREMIÈRE.
Alcandre, Tircis, Damon, Alexis, Philene, Troupe de bergers et bergères.

ALCANDRE.

C'est en des lieu secrets, et du bruit écartés,

1240   Que les divins arrêts doivent être écoutés :

Les Dieux, en l'âge d'or, dans les champs habitèrent,

Se plurent aux forêts et les bois fréquentèrent ;

Apollon fut berger, et près des claires

Il porta la houlette eaux et mena les troupeaux.

1245   Depuis, pour accomplir leurs sublimes mystères,

Ils ont souvent choisi les forêts solitaires.

Dodone en est témoin, dont il n'est aux mortels

D'oracle moins obscur que ses bois immortels.

Dites-nous donc, Tircis, qu'a répondu l'oracle ?

1250   Quelque crime à notre heur formerait-il obstacle ?

TIRCIS.

Par votre ordre, Seigneur, au temple étant rendu,

Voici ce qu'a l'oracle à ma voix répondu.

ORACLE.

N'espérez point, bergers, que la peste finisse

Qu'un insensible coeur ne brûle en sacrifice.

1255   Vous aurez lors l'Amour favorable à vos voeux,

Et verrez vos troupeaux plus gras et plus nombreux.

Il relit l'oracle.

ALCANDRE.

On n'entend pas d'abord les réponses célestes,

Et c'est en méditant qu'elles sont manifestes.

Comprenez-vous, Damon, ce que l'oracle enjoint ?

DAMON.

1260   Il me paraît obscur, et je ne l'entends point.

ALCANDRE.

Et vous, Tircis ?

TIRCIS.

Pour moi, je crois le mieux comprendre.

Quelque coeur veut ici de l'Amour se défendre :

Les dieux, pour expier un crime si honteux,

Qui choque leur pouvoir et rejaillit sur eux,

1265   Veulent que par un prompt et juste sacrifice

Sur un ardent bûcher le coupable on punisse.

ALCANDRE.

Quoi ! Serait-il bien vrai qu'une si folle erreur

Eut de quelque bergère empoisonné le coeur,

Qu'elle se défendit d'une honnête tendresse

1270   Et tirât vanité de sa propre faiblesse ?

Ah ! S'il s'en peut trouver, il est juste, grands Dieux !

Qu'on venge par sa mort ce dessein furieux.

Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on a puni ce crime ;

L'histoire en a rendu la peine légitime,

1275   Et les fleurs des jardins, et les arbres des bois,

Sont les restes honteux des fières d'autrefois.

En effet, c'est aux dieux faire une insigne injure

Qu'étouffer un instinct qu'imprime la nature ;

Et qui soustrait son coeur à ce charme si doux

1280   Rompt les liens sacrés qui nous unissent tous.

Nommez-nous donc, Tircis, la bergère arrogante

Qui détruit nos troupeaux et trompe notre attente.

TIRCIS.

Seigneur, je ne sais point de bergère en ces lieux

À qui soit imputé ce forfait odieux,

1285   Mais plutôt un berger dont l'aveugle insolence

Fait la guerre à l'Amour et brave sa puissance.

ALCANDRE.

Quel est cet insensé ? Nommez-le-nous, Tircis.

TIRCIS.

Le voilà devant vous.

ALCANDRE.

Qui donc ?

TIRCIS.

C'est Alexis.

ALCANDRE.

Dieux ! qu'est-ce que j'entends ! Serait-il bien possible

1290   Qu'Alexis eut un coeur à l'amour insensible,

Et qu'avec des appas qui peuvent tout charmer

Il voulut ignorer le doux plaisir d'aimer ?

Parlez donc, Alexis ; répondez quelque chose

Pour vous justifier de ce qu'on vous impose ;

1295   Mais ne déguisez rien, et songez que les dieux

Éclairent nos pensers du plus haut de leurs cieux.

ALEXIS.

Je ne me défends point, Alcandre, d'un tel crime,

Quoi que le Ciel s'irrite et contre moi s'anime.

J'ai méprisé l'Amour, émoussé tous ses traits,

1300   Et chéri plus que lui la chasse et les forêts.

Je suis ce monstre affreux qui seul en la nature

Cache un coeur de rocher sous l'humaine figure,

Et qui, plus furieux que nos premiers Titans,

M'efforce à déserter l'univers d'habitants.

1305   Puisque je reconnais ma criminelle audace,

Punissez-moi, Seigneur, je le demande en grâce ;

Je bénirai mon sort et mourrai consolé

Si ma mort peut sauver mon pays désolé.

ALCANDRE.

Ce courage, Alexis, que vous faites paraître,

1310   Ne fait point honte au sang dont le Ciel vous fit naître,

Et répond noblement à l'infaillible espoir

Que vos jeunes vertus nous faisaient concevoir.

Que si par nos souhaits les fières destinées

Consentaient à régler le cours de vos années,

1315   Vous auriez, Alexis, des siècles de Nestor,

Et vos jours ne seraient filés que de pur or ;

Mais, puisqu'enfin le Ciel nous demande une hostie,

Et que pour l'apaiser il lui faut votre vie,

Ne perdons point de temps, et dans ce même lieu

1320   Achevons promptement ce qu'a prescrit le dieu.

Vous, Damon, ayez soin de l'appareil funeste :

Que le bûcher soit prêt, les torches, et le reste.

SCÈNE II.
Alcandre, Tircis, Damon, Alexis, Philene, Melisse, Orante, Troupe de bergers et bergères.

MELISSE.

Orante, montrons-nous. Il me faut aujourd'hui

Ou sauver mon berger, ou mourir avec lui.

1325   Ah ! Damon, arrêtez ! Seigneur, que je vous puisse

Dire un mot seulement !

ALCANDRE.

Dépêchez donc, Melisse.

MELISSE.

Seigneur, ce fol berger, qui d'un aveugle erreur,

D'un mal qu'il n'a point fait, se confesse l'auteur,

N'est point assurément demandé par l'oracle

1330   Pour servir en ce lieu de tragique spectacle.

Les Dieux ne voudraient pas, à moins qu'être cruels,

Du sang d'un innocent arroser leurs autels.

Ayant versé sur lui mille dons magnifiques,

Dans son âme inspiré des vertus héroïques,

1335   Enrichi son esprit de précieux trésors,

Et d'attraits nonpareils embelli tout son corps,

Voudraient-ils, possédez d'une jalouse rage,

Détruire sans sujet leur plus parfait ouvrage ?

Est-ce un crime si grand que de leur ressembler,

1340   Et pour être divin en doit-on plus trembler ?

Non, non, ce n'est point lui dont l'humeur trop sévère

A sur nous attiré la céleste colère.

Si de quelque bergère il a causé l'ennui,

Hélas ! c'est qu'il n'est rien qui soit digne de lui ;

1345   Il l'a pu mépriser sans commettre de crime :

L'Amour n'a point sur lui de pouvoir légitime.

Qu'on ne l'accuse point d'avoir aimé les bois :

Pâris, le beau Pâris, s'y plaisait autrefois.

Non, Seigneur, ce n'est point au prix de cette vie

1350   Que doit être acheté l'heur de la Thessalie.

Si nous avions commis un si noir attentat,

Le soleil ne luirait jamais sur ce climat !

ALCANDRE.

Si ce n'est Alexis que l'oracle demande,

Duquel de nos bergers voulez-vous qu'il s'entende ?

MELISSE.

1355   Alcandre, ce n'est point par la mort d'un berger

Que nos tristes malheurs se doivent soulager,

Mais par le châtiment d'une ingrate bergère

Que les dieux ne sauraient regarder qu'en colère.

ALCANDRE.

Nommez-la nous ?

MELISSE.

C'est moi.

ALCANDRE.

Dieux ! Pourquoi voulez-vous,

1360   Melisse, avoir du Ciel attiré le courroux ?

MELISSE.

Alcandre, écoutez-moi. Ce n'est point par caprice,

Par vain désir de gloire ou par quelque artifice

Que je vous viens ici hautement découvrir

D'où naissent les malheurs que l'on nous voit souffrir ;

1365   Mais un remords secret, qui sans cesse me ronge,

Veut que la vérité triomphe du mensonge,

Et ne peut consentir qu'un innocent berger

Prodigue son beau sang pour un crime étranger.

C'est moi, c'est moi, Seigneur, dont l'insolente audace,

1370   Pour rester impunie, a fait notre disgrâce.

J'ai tué nos troupeaux, et moi seule ai semé,

Pour les faire périr, un suc envenimé.

ALCANDRE.

Melisse, expliquez-vous, s'il se peut, davantage :

Je ne puis rien comprendre à tout votre langage.

MELISSE.

1375   Seigneur, j'ai méprisé l'amour respectueux

D'un fidèle berger autant que vertueux ;

Je n'ai payé ses soins, sa constance et sa peine

Que du lâche loyer de mépris et de haine ;

J'ai fui de le trouver, et, lorsque le hasard

1380   A voulu quelquefois qu'il m'ait jointe à l'écart,

Qu'il m'ait entretenu de sa dure souffrance,

Et qu'il m'ait assuré de sa persévérance :

« Va, berger, ai-je dit, va conter ton amour

Aux ruisseaux, aux forêts, aux rochers d'alentour ;

1385   Laisse-moi, je ne puis t'écouter davantage,

Et n'espère jamais que ton feu je soulage.

Lorsque je t'aimerai, l'on verra les ruisseaux

Remonter à leur source et nager les oiseaux. »

Quoi que, par ces discours si remplis d'arrogance,

1390   Il dut se révolter selon toute apparence,

Contre moi s'emporter et reprendre son coeur,

Il n'a pourtant jamais ralenti son ardeur ;

Il m'a dit seulement, après un long silence,

Qu'il aurait plus d'amour que moi d'indifférence.

1395   Voilà de nos malheurs le principe assuré,

Voilà ce qui des dieux a la haine attiré,

Et c'est moi seule aussi que l'oracle demande,

Et dont vous lui devez faire une prompte offrande.

Que si, pour vous convaincre, il est encor besoin

1400   D'une preuve plus forte ou de quelque témoin,

Philene est là présent, vous l'en devez bien croire.

Tout ce que je vous dis est notre pure histoire.

ALCANDRE.

Voici qui m'embarrasse, et mon esprit confus

Ne voit de tous côtés que sentiers ambigus.

1405   Mais ce que dit Melisse, est-ce chose assurée ?

DAMON.

Elle est publique et n'est de personne ignorée.

ALCANDRE.

Qui donc choisir des deux ? Tous deux sont criminels,

Et cependant un seul suffit à nos autels.

ALEXIS.

Melisse, à quel dessein de fureur emportée,

1410   Venez-vous traverser une chose arrêtée ?

Vous croyez vainement nous éblouir les yeux,

Et suivant votre gré faire parler les dieux.

Non, non, désistez-vous de le vouloir prétendre.

L'oracle de moi seul peut justement s'entendre,

1415   Puisqu'on n'en peut trouver un autre dont le coeur

Ait été moins sensible à l'amoureuse ardeur.

J'expose librement ma vie à la censure.

Ai-je eu quelque penchant ? Ai-je eu quelque blessure ?

Mais, Melisse, pour vous il n'en est pas ainsi,

1420   Et, quoi qu'avec regret je vous le dise ici,

Votre coeur à l'amour ne fut pas si rebelle

Qu'il n'en ait ressenti du moins quelque étincelle.

Orante...

MELISSE.

Ingrat, poursuis ! Dis même, si tu veux,

Que je porte tes fers, que tu causes mes feux.

1425   Tu n'en obtiendras rien, puisque toujours mon coeur

Pour un fidèle amant n'eut que haine et rigueur.

ALEXIS.

Puisque vous avouez, Melisse, qu'en votre âme

Un berger a du moins fait naître quelque flamme,

Accordez, s'il se peut, ces deux différents points,

1430   De n'être point sensible et d'aimer néanmoins.

MELISSE.

De me persuader vainement tu t'efforces.

J'aperçois ton adresse et connais tes amorces.

Ne jette point ici, pour nous embarrasser,

Des soupçons que l'on peut aisément renverser.

1435   Je te le dis, berger, la réponse divine

Ne te peut convenir, pour peu qu'on l'examine.

Si tu n'as point connu ce que c'était qu'aimer,

De l'avoir méprisé l'on ne te peut blâmer.

Il ne s'est jamais vu que contre l'ignorance

1440   Les lois aient armé leur sévère vengeance,

Et ce que nous faisons par quelque erreur surpris

Ne craint de châtiment que d'en être repris.

Les dieux, qui sont du droit la source originelle,

Voudraient-ils violer cette loi solennelle ?

1445   Pour moi, qui, connaissant combien le sort est doux

Alors que nous aimons ce qui n'aime que nous,

Ay fui qui m'adorait, et, par un sort bizarre,

Suivi qui me fuyait et qui m'était barbare,

Je dois seule éprouver, par un juste trépas,

1450   Les plus cruels tourments ordonnés aux ingrats.

ALEXIS.

Le Ciel ne fut jamais aux amantes contraire.

MELISSE.

Les dieux ne veulent pas qu'une ingrate prospère.

ALEXIS.

Ils ne sauraient punir un coeur rempli d'amour.

MELISSE.

Qui hait ce qui l'adore est indigne du jour.

ALEXIS.

1455   Qui connaît son défaut facilement se change.

MELISSE.

Quand un crime est commis, il faut que l'on le venge.

ALEXIS.

Philene assurément vous le pardonnera.

MELISSE.

Les dieux ne suivront pas ce qu'il souhaitera.

ALEXIS.

Pourquoi m'enviez-vous cette bonne fortune ?

MELISSE.

1460   Je suis lasse de vivre, et le jour m'importune.

ALEXIS.

Laissez plutôt périr qui cause votre ennui.

MELISSE.

Qu'importe de mourir après ou devant lui ?

ALEXIS.

D'un amour méprisé juste et secret reproche,

Pourquoi m'ébranlez-vous lorsque ma mort est proche ?

ALCANDRE.

1465   Quel des deux partis prendre, et par quel art trouver

Celui que veut le Ciel ou punir ou sauver ?

N'avez-vous point, Damon, quelque avis salutaire ?

DAMON.

Jamais, à mon égard, chose ne fut moins claire.

ALCANDRE.

Et vous, Tircis ? Souvent vos conseils sont heureux.

TIRCIS.

1470   Conviez ces bergers à s'accorder entre eux.

S'ils ont pour leur patrie une amitié sincère,

Leurs débats finiront sans autre ministère,

Et, voyant qu'en leurs mains on met notre destin,

Sans doute ils changeront ce procédé mutin.

ALCANDRE.

1475   Ce remède est aisé, tentons-le avant tout autre,

Et, s'il ne réussit, nous emploierons le nôtre.

Essayez, mes enfants, d'étouffer le discord

Qui retarde l'effet que nous promet le sort.

Puisque l'oracle enfin ne veut qu'une victime,

1480   Qu'à l'autre l'un de vous cède l'honneur du crime,

Et réciproquement se prive du plaisir

Que son âme abusée imagine à mourir.

La mort vient assez tôt sans que l'on la prévienne :

Vers elle malgré nous chaque jour nous emmène,

1485   Et tout ce grand débat qui nous tient suspendus

N'est que pour un moment ou de moins, ou de plus.

Qui veut donc de vous deux consentir à la vie ?

Quoi ! Pas un ne répond ? Ô l'étrange manie !

Hé bien ! Qui veut mourir ?

MELISSE.

C'est moi.

ALEXIS.

C'est moi.

ALCANDRE.

Tous deux

1490   Répondent maintenant, mais toujours mêmes voeux.

Puisque de nos esprits la débile étendue

Dans ce dédale obscur ne peut trouver d'issue,

Allons prier les dieux au temple du hameau ;

Relisons-y l'oracle, oyons-le de nouveau.

1495   peut-être qu'en un lieu destiné pour leur culte,

Interdit au profane, éloigné du tumulte,

Par un second oracle ils s'interpréteront,

Et de ces deux bergers l'innocent montreront.

Damon, Tircis, suivez. Qu'Alexis et Melisse

1500   Demeurent en ce lieu jusques au sacrifice.

SCÈNE III.
Alexis, Melisse, Philene, Orante.

ALEXIS.

Qu'est-ce donc que je sens ? quelle douce langueur

S'insinue en mon âme et se glisse en mon coeur ?

D'où vient que mes regards sur Melisse s'attachent,

Et qu'avecque regret de sur elle ils s'arrachent ?

1505   Est-ce amour ?... Mais, sans trop nous vouloir enquérir,

Tâchons à l'empêcher, s'il se peut, de mourir.

Pourquoi, belle Melisse, au printemps de votre âge,

Courez-vous au trépas, d'un aveugle courage ?

Pourquoi prodiguez-vous des jours si précieux ?

1510   Que vous a fait Tempé pour vous être odieux ?

Conservez, conservez l'assemblage admirable

De tout ce qui peut rendre une mortelle aimable ;

Conservez ces beaux yeux, la honte du soleil ;

Conservez ce beau teint, à la neige pareil ;

1515   Conservez cette taille et ce port de déesse,

Ces lèvres de corail et cette belle tresse,

Et mille et mille attraits qui pourraient faire aux dieux,

Pour vous venir servir, quitter encor les cieux.

Songez à la douleur qu'aurait la Thessalie,

1520   Voyant si tristement s'éteindre votre vie,

Avant que Proserpine eut dans vos beaux cheveux

Mis le ciseau fatal et séparé vos noeuds.

Les bois, les prés, les eaux, les échos, les fontaines,

Les rochers, les vallons, les montagnes, les plaines,

1525   Les jardins, les vergers, les fleurs, les arbrisseaux,

Les moissons, les guérets, les bergers, les troupeaux,

Se couvrant à l'envi d'une noire parure,

Pleureraient à jamais votre triste aventure.

MELISSE.

Que me viens-tu conter, insensible berger ?

1530   Ma mort est résolue, et je ne puis changer ;

Ma trame est achevée, et je sens que la Parque

Me fait signe du doigt pour entrer dans la barque.

Ne me conjure point d'éviter le trépas,

Au nom de mes attraits, au nom de mes appas.

1535   N'ayant pu te toucher de la moindre tendresse,

Ils ont trop découvert ma honte et leur faiblesse,

Et doivent expier, par un prompt châtiment,

Le crime de t'avoir entrepris vainement.

Ne dis point que ma mort de deuil sera suivie.

1540   Le faible réconfort quand on n'est plus en vie !

Tout m'est indifférent, et tes pleurs seulement

Me peuvent apporter quelque soulagement.

Promets-moi donc, berger, que par fois ta mémoire

Te représentera ma pitoyable histoire,

1545   Et que de mes malheurs le triste souvenir

Tirera de ton coeur quelque léger soupir.

Pour moi, quand de mon corps mon âme séparée

Aura de l'Achéron passé l'onde ensoufrée,

J'aurai toujours pour toi même ardeur, même amour,

1550   Et ne changerai point pour changer de séjour.

ALEXIS.

Ce dernier trait m'achève, et je sens que mon âme

Oppose en vain sa glace au beau feu qui l'enflamme.

Vous triomphez, Melisse ; Alexis prend vos fers

Et venge vos appas des torts qu'ils ont soufferts.

1555   Vous régnez dans son coeur ; il vous y rend hommage,

Et jure à vos beautés un éternel servage.

PHILENE.

Qu'entends-je ?

ALEXIS.

Recevez le présent de ses voeux,

Et tâchez d'oublier un passé malheureux.

MELISSE.

Ah ! Ne te moque point, berger, d'une bergère

1560   Qui n'eut jamais pour toi qu'une amitié sincère,

Et qui, malgré l'état où la met ta rigueur,

Conserve encor pour toi tout ce qu'elle eut d'ardeur.

Quelle gloire auras-tu de m'avoir abusée ?

Que te reviendra-t-il d'une amour déguisée ?

1565   Si près du monument, si proche du trépas,

Ne feins point de m'aimer si tu ne m'aimes pas.

Que ta bouche et ton coeur accordent tes paroles,

Et, sans m'entretenir d'espérances frivoles,

Ne viens point m'accabler de ce second ennui

1570   Qu'un berger m'ait trompée allant mourir pour lui.

ALEXIS.

Ne me soupçonnez point, Melisse, d'un tel crime :

Mon coeur, mon coeur ressent ce que ma bouche exprime,

Et plut au Ciel qu'il fut ouvert à vos regards !

Vous le verriez, ce coeur, percé de toutes parts ;

1575   Vous y verriez vos traits et la vivante image

Du chef-d'oeuvre achevé de votre beau visage.

Ne jugez point de moi par ma première erreur,

Mais jugez-en par vous et par votre air vainqueur.

L'Amour, qui de nos coeurs absolument dispose,

1580   A fait en un moment cette métamorphose :

Du berger insensible il a tout effacé,

Et du parfait amant les traits il a tracé.

Nymphe, recevez donc ce faible témoignage

D'un feu qui de la mort saura vaincre la rage,

1585   Trop heureux si je vois, prêt de perdre le jour,

Que vous ne doutez plus de mon sincère amour !

MELISSE.

Quoi ! Je vous puis bien croire, et ce bonheur si rare,

Qui charme tous mes sens, où mon esprit s'égare,

N'est point un beau fantôme, à ces songes pareil,

1590   Que forment des vapeurs pendant notre sommeil ?

Vous m'aimez, Alexis ? La chose est véritable ?

Ô le doux changement ! Ô prodige admirable !

Après ce que je vois, grands dieux ! N'attendez pas

Que je vous importune ou plaigne mon trépas.

ALEXIS.

1595   Puisque mon amour plaît à ma belle bergère,

Je n'ai plus de souhaits ni de désirs à faire ;

La Fortune n'a rien qu'elle me puisse offrir.

Vivez donc, rare objet, et me laissez mourir.

Mon trépas ne sera qu'une preuve peu forte

1600   De ce qu'entreprendrait l'amour que je vous porte.

Si vous le trouvez bon, je vous ferai présent

D'un troupeau qui sous vous sera plus florissant.

Plus d'un coutre pour moi les campagnes sillonne.  [ 4 Coutre : Espèce de fort couteau en fer, à lame courte, à tranchant mousse, à dos épais, adapté, en avant du soc, à la flèche de la charrue, et servant à fendre la terre. [L]]

Agréez que le tout en mourant je vous donne.

MELISSE.

1605   Ne parlons point encor de ces tristes sujets :

Notre amour nous fournit de plus plaisants objets.

Laissons agir les dieux : leur bonté sans pareille

Peut en notre faveur faire quelque merveille ;

Et, quand même ils auraient arrêté notre mort,

1610   Usons du peu de temps que nous laisse le sort.

Alexis, qu'il est doux d'être aimé quand on aime !

ALEXIS.

Qu'il est doux de brûler quand on brûle de même !

MELISSE.

Le plus charmant plaisir est le plaisir d'aimer.

ALEXIS.

Tout autre près de lui ne peut être qu'amer.

MELISSE.

1615   Dans ces ravissements l'âme semble abîmée.

ALEXIS.

On vit bien moins en soi qu'en la personne aimée.

SCÈNE IV.
Alexis, Melisse, Philene, Orante, Damon.

DAMON.

Alcandre vous demande et me dépêche exprès

Pour vous venir conduire au temple de Cérès.

MELISSE.

L'intention des dieux est-elle enfin connue,

1620   Et duquel de nous deux la mort est résolue ?

DAMON.

D'aucun, et, pour finir ce débat indécis,

On a besoin de vous ainsi que d'Alexis.

MELISSE.

Allons, berger, allons ; mais, sans tant de mystère,

Je sais comment on peut tous deux nous satisfaire...

1625   J'ai trouvé le secret, sans recourir aux Dieux,

De finir promptement ce débat ennuyeux.

SCÈNE V.
Philene, Orante.

ORANTE.

Grands dieux ! Souffrirez-vous qu'une amitié si belle

Éprouve la rigueur d'une fin si cruelle ?

Vous qu'on dit de l'amour avoir senti les traits

1630   Et goûté la douceur de ses plaisirs secrets,

N'auriez-vous point de peur qu'on taxât votre gloire

Si vous aviez souffert une action si noire ?

Non, je ne le crois pas, et je me veux flatter

Que nous verrons bientôt vos bontés éclater.

1635   Philene, voulez-vous que nous allions au temple

Voir débrouiller ce noeud, qui n'eut jamais d'exemple ?

Bien qu'à vos voeux Melisse ait résisté toujours,

On ne voit qu'en tremblant en péril ses amours.

PHILENE.

Bergère, je ne puis te suivre en ce voyage.

1640   Mes tristes déplaisirs ne me laissent d'usage

Que celui d'occuper mon esprit consterné

Aux coups dont me poursuit le destin mutiné.

Adieu. Je vais rêver, dans ce bois solitaire,

Quel parti je dois prendre et ce qu'il me faut faire ;

1645   Mais que puis-je espérer après ce que j'ai vu ?

Alexis est perfide ! Alexis s'est rendu !

ACTE V

SCÈNE PREMIÈRE.

PHILENE.

Quittons, quittons ces bois, où notre âme abattue

N'a que trop médité sur le mal qui la tue ;

Retournons dans les lieux où nous puissions savoir

1650   Ce qu'a déterminé le céleste vouloir.

Qui doit enfin périr, Alexis ou Melisse ?

Que si quelqu'un des deux le doit avec justice,

C'est sans doute Melisse, et cependant mon coeur

Fait, contre la raison, des voeux en sa faveur.

1655   Je crains qu'à me venger le Ciel trop ne s'anime

Et ne regarde moins la beauté que le crime.

C'en est encore peu, je flatte mes malheurs,

Et pour ne la pas perdre excuse ses rigueurs.

Grands dieux ! Si vous avez pour moi quelque indulgence,

1660   Épargnez cette ingrate, et voilà ma vengeance :

Rendez-moi ses mépris, son orgueil rebutant ;

Seulement, qu'elle vive, et je serai contant.

Pour toi, perfide ami, qui, malgré tes promesses,

As conçu dans ton sein des indignes tendresses,

1665   Qui viens devant mes yeux d'en faire un lâche aveu,

N'attend du juste Ciel, pour loyer, que le feu.

Mais d'où vient que personne en ce lieu ne s'avance

Qui puisse contenter ma juste impatience ?

C'est ici cependant, si j'ai bien écouté,

1670   Que doit être du sort l'arrêt exécuté.

De ce retardement qui pourrait être cause ?

Serait-il point encor survenu quelque chose ?

Mais j'aperçois Damon. Nul autre ne peut mieux

Éclaircir sur ce point mon désir curieux.

1675   Je vais lui demander.

SCÈNE II.
Philene, Damon

PHILENE.

  Damon, un mot, de grâce.

Souffrez que mon désir par vous se satisfasse.

Que s'est-il fait au temple, et pour lequel des deux

Se déclare le sort, ou doux, ou rigoureux ?

DAMON.

Comment ! Vous ignorez, vous seul, ce grand miracle,

1680   Et n'avez rien ouï de ce rare spectacle ?

Votre intérêt pourtant y paraît assez grand,

Et le succès ne peut vous être indifférent.

PHILENE.

J'étais dans ce bocage, attendant de l'apprendre

Par le bruit qui viendrait incontinent s'épandre.

1685   Hélas ! On sait trop tôt ce qui doit affliger !

Le bonheur est tardif et le mal est léger !

Mais contez-moi, Damon, cette grande aventure.

Que je suis agité ! Que mon esprit endure !

Ce désordre intestin ne peut être menteur,

1690   Et ne me promet rien qu'un extrême malheur.

DAMON.

Puisque devers le bois vous revenez vous-même,

Faites-moi, je vous prie, une faveur extrême.

N'avez-vous point trouvé des gens sur le chemin ?

PHILENE.

Vers où ?

DAMON.

Vers le buisson où l'on voit le grand pin.

PHILENE.

1695   Non, je n'ai rien trouvé ; mais, si je ne m'abuse,

Non loin de moi marchait une troupe confuse.

Ils parlaient assez haut, et sans doute ils allaient

Vers le lieu qu'à présent vos discours m'indiquaient.

DAMON.

C'est eux assurément ; ils ont bien pris la voie.

PHILENE.

1700   Qui donc ?

DAMON.

  Les officiers que le grand prêtre envoie.

PHILENE.

Damon, ne tenez plus mon esprit suspendu,

Et daignez me conter ce que vous avez vu.

DAMON.

Ami, je suis pressé ; l'on doit, en ma présence.

PHILENE.

Ah ! Damon, je ne puis, je meurs d'impatience.

1705   Si jamais.

DAMON.

  Hé bien ! donc, je vais succinctement

Vous faire le récit de cet événement.

PHILENE.

Commencez donc enfin.

DAMON.

Écoutez. Comme Alcandre

Se fut en vain gêné pour l'oracle comprendre,

Et qu'il eut admiré, par un combat nouveau,

1710   Deux bergers disputer la gloire du tombeau,

Ne pouvant pénétrer dans une nuit si noire,

Presque désespéré, vint tout d'un coup à croire

Que l'on avait choqué la majesté du dieu

En lisant son oracle en un profane lieu,

1715   Et que, pour nous punir de notre irrévérence,

Il en avait exprès caché l'intelligence,

Répandu sur nos yeux l'ombre et l'obscurité,

Et de ces deux bergers le débat suscité.

« Allons, dit-il, au temple, et n'ayons point de honte

1720   D'expier notre erreur par une amende prompte.

Il marche le premier ; Tircis et moi suivons,

Et dans l'enclos sacré tous trois seuls arrivons.

Vous le savez. Alors Alcandre s'humilie,

Et commence à prier les dieux de Thessalie,

1725   Les faunes, les sylvains, les satyres cornus,

Le berger Apollon, la bergère Venus ;

Mais surtout à l'Amour, dont tout ce qui respire

Respecte le pouvoir et redoute l'empire,

Il adresse sa voix, et tâche par ces mots

1730   L'obliger à vouloir débrouiller ce chaos :

« Grand dieu, le plus puissant de la troupe divine,

À qui doit l'univers sa première origine,

Et qui, par des secrets et merveilleux ressorts,

De cette grande masse entretiens les accords ;

1735   Toi qui règnes au Ciel, qui règnes sur la terre,

Qui sais assujettir le maître du tonnerre,

Et ne dédaignés pas de venir quelquefois

Honorer nos hameaux et visiter nos bois !

Aimable déité, donne-nous quelque indice :

1740   Qui te doit être offert, Alexis ou Melisse ?

En sauvant l'innocent, monstre le criminel,

Et de son sang bientôt fumera ton autel. »

Alcandre, ayant fini, se tait, s'arrête, écoute,

Espérant que bientôt s'éclaircira son doute.

1745   Mais rien ne lui répond : tout est sourd à ses cris,

Les faunes, les sylvains et le fils de Cypris.

Dans ce triste embarras de surprise et de trouble,

Alcandre recommence, et sa ferveur redouble ;

Mais le Ciel est toujours inexorable et dur :

1750   Aussi sombre est la nuit, l'oracle autant obscur.

Ce ministre des dieux ne sait que dire ou faire.

Son esprit, à la fin, ce secret lui suggéré :

Il veut que dans le temple on enferme avec nous

Les auteurs incertains du céleste courroux,

1755   Espérant que les dieux, touchez par leur présence,

Du criminel enfin donneraient connaissance,

Nommeraient la victime, et par un juste choix

Nous voudraient bien tirer de ces douteux abois.

Je les viens donc quérir, suivant l'ordre d'Alcandre ;

1760   Mais, pendant le chemin, je les vois tous deux prendre

Un conseil insolent, ainsi que furieux,

De ne se point survivre après l'arrêt des dieux.

Nous approchons du temple. Ils entrent... Ô surprise !

La masse tout d'un coup se choque, se divise ;

1765   L'on entend un grand bruit dans le vaste des airs,

Et nos yeux sont frappez de lumineux éclairs.

Nous ne doutons plus lorsque tous ces grands présages

De l'approche du dieu ne soient des témoignages.

Nous nous prosternons donc humblement, attendant

1770   Du suprême vouloir les signes évidents.

Alors à ce grand bruit le silence fait place ;

Un jour pur et serein ces faux brillants efface :

Dans un nuage d'or se découvre l'Amour ;

Les Grâces, les Plaisirs, les Jeux, sont à l'entour.

1775   Il tient son arc fatal ; son carquois pend derrière ;

Un crêpe délié lui cache la lumière ;

Zéphyr, à ses côtés, tient sa torche en sa main.

Il nous rend à la fin cet oracle certain.

IIe ORACLE.

Vos maux s'en vont finir, recevez-en l'augure.

1780   Le Ciel n'a pu les voir sans en être touché ;

Mais, bergers, pour me plaire et dignement conclure

Ce que vous ignoriez et qui n'est qu'ébauché,

Unissez promptement, unissez les victimes.

C'est ainsi que l'Amour se sait venger des crimes.

1785   Il se retire ensuite, et nous laisse ravis

Que d'un si beau succès nos desseins soient suivis.

Nous admirons du dieu le décret équitable,

Qui sait ainsi punir l'un et l'autre coupable,

Et, semblant satisfaire à leur zèle indiscret,

1790   Sur eux, sans distinguer, venge un commun forfait.

Quelque peu des bergers nous touche la misère,

Mais au salut public qu'est-ce qu'on ne préfère

Alcandre incontinent m'ordonne de marcher

Et de faire au plutôt construire le bûcher.

1795   Je n'ai point perdu temps, et par ma diligence

Des officiers sacrés une troupe s'avance.

J'y vais moi-même aussi.

PHILENE.

Mais Damon, en ce lieu,

Doit-on pas accomplir la volonté du dieu ?

DAMON.

Non, c'est dans la forêt, où, comme l'on assure,

1800   Jadis est arrivée une même aventure.

PHILENE.

Damon, les deux bergers étaient-ils étonnés

Lorsque le Ciel les eut à la mort condamnés ?

DAMON.

Non, nulle émotion n'altéra leur visage,

Et l'on ne saurait plus témoigner de courage.

1805   Leurs yeux sans cesse étaient l'un sur l'autre arrêtez,

Et d'un secret plaisir ils semblaient transportés,

Comme si dès longtemps de mutuelles flammes

Eussent atteint leurs coeurs et brûlé dans leurs âmes,

Et que bientôt, conduits dans le lit nuptial,

1810   Ils s'y dussent unir, non au bûcher fatal.

Cependant on les orne, avec soin on les pare,

On couvre leurs habits de gaze fine et rare ;

Leurs chefs sont couronnez de guirlandes de fleurs,

Et l'on répand sur eux des exquises odeurs.

1815   Mais je les vois venir. Cette grande poussière

M'est de leur prompt abord la sûre avant-courrière.

Adieu.

SCÈNE III.

PHILENE.

Destins cruels, où me réduisez-vous,

Et pourquoi dessus moi retombent tous vos coups ?

Si sous mes propres maux je succombe moi-même,

1820   Pourquoi m'affligez-vous dans le sujet que j'aime,

Et, condamnant Melisse à l'horreur du trépas,

Paraissez inhumains et ne me vengez pas ?

Si c'est contre moi seul qu'elle a commis l'offense,

Quittez-moi donc le soin d'en tirer la vengeance.

1825   Me la laissant aimer, vous la punirez mieux,

Puisque rien ne saurait plus déplaire à ses yeux.

Mais, lâche sentiment, trop indigne tendresse,

D'un coeur peu généreux peu séante faiblesse,

Sortez, et faites place au juste repentir

1830   D'avoir pu si longtemps avec vous compatir !

Melisse aime Alexis ! Elle a pu, la cruelle !

Dédaigner le présent de notre amour fidèle,

Et son traître berger, par ses attraits charmé,

Pour elle s'est senti tout d'un coup enflammé !

1835   Que nous faut-il donc plus, et qu'est-ce qui nous reste

De plus injurieux, plus rude et plus funeste ?

Tous deux sont criminels : haïssons-les tous deux,

Elle pour n'aimer pas, lui pour être amoureux.

Puisque les dieux en main prennent notre querelle,

1840   Conspirons avec eux et secondons leur zèle.

Oui, je vous le promets, lâche couple d'amants,

Je verrai d'un oeil sec vos plus cruels tourments ;

J'assisterai moi-même à vos plus rudes gênes,

Et n'aurai ni regret ni pitié de vos peines !

1845   Ils s'approchent de nous, et ce couple odieux.

Que mon coeur est troublé ! Que Melisse, à mes yeux,

Paraît pleine d'appas, et, tout prêt de s'éteindre,

Que cet astre est brillant ! Qu'il est encor à craindre !

Les dieux ont-ils rien fait qu'on lui puisse égaler ?

1850   Un seul de ses regards peut-il pas tout brûler ?

Est-il à ses souris de colère indomptable,

Et qui peut l'outrager n'est-il pas exécrable ?

Ah ! Pardonnez, Melisse, excusez le transport

Qu'a causé malgré moi mon trop malheureux sort.

1855   Ce poison qu'a vomi ma bouche criminelle

N'a point gâté le coeur innocent et fidèle,

Et, dans le même instant que de fureur grossi

J'outrageais vos appas.

SCÈNE IV.
Alcandre, Tircis, Alexis, Melisse, Orante, Philene, Troupe de bergers et bergères.

ALCANDRE.

Arrêtons-nous ici

Jusqu'à ce que Damon, dans peu, nous avertisse

1860   Que tout est dans le bois prêt pour le sacrifice,

Que le bûcher languit, que les sacrés brandons  [ 5 Brandon : Bouquet de paille enflammé, dont on se sert pour s'éclairer. [L]]

Demandent la victime, et que nous seuls tardons.

Cependant, mes enfants, dans le peu qui vous reste,

Préparez vos esprits à ce combat funeste ;

1865   Armez-vous de constance, et, méprisants le sort,

Couronnez vos destins par une belle mort.

« Qui meurt pour sa patrie est digne qu'on l'envie,

Et trouve dans sa mort une immortelle vie. »

Les peuples à l'envi, qui par votre trépas

1870   Verront bientôt finir leurs malheureux dégâts,

De votre nom bien haut célébreront la gloire

Et l'éterniseront au temple de Mémoire.

Vous serez le sujet de leurs vers, de leurs chants ;

Et quand, au renouveau, l'agréable printemps

1875   Fera naître l'émail de mille fleurs nouvelles,

On chômera pour vous des fêtes solennelles,

Où le nom de Melisse et celui d'Alexis

Seront dits mille fois et mille fois redits.

Je sais bien que votre âme, et forte et généreuse,

1880   Ne peut jamais souffrir de faiblesse honteuse ;

Mais, lorsque le trépas s'apprête à nous saisir,

Le plus ferme courage est sujet à transir.

MELISSE.

Pour moi, loin d'avoir peur d'une fin si tragique,

Un sensible plaisir me chatouille et me pique.

1885   Mais j'aperçois Philene. Alcandre veut-il bien

Avec lui m'accorder un moment d'entretien ?

ALCANDRE.

J'y consens. Aussi bien, c'est sa flamme outragée

Qui doit être en ce jour par votre mort vengée.

Tâchez donc d'obtenir que votre châtiment

1890   Calme toute l'aigreur de son ressentiment,

Ou si d'un bel effort vous vous sentiez capable,

En ce dernier moment soyez-lui favorable.

MELISSE.

Adieu, Philene, adieu ! Je touche au point fatal,

Et la Parque m'appelle au tribut général.

1895   Cet objet dédaigneux, cette fière bergère,

Ne sera plus bientôt que cendre et que poussière.

De son superbe orgueil le feu vous vengera,

Et d'elle seulement un vain nom restera.

Pardonnez-lui, Philene, et que par son supplice

1900   Votre ressentiment pour le moins s'adoucisse.

Oubliez cette ingrate, et qu'à vos plus beaux jours

Le Ciel daigne accorder de plus douces amours.

PHILENE.

Ah ! ne m'outragez point, trop injuste Melisse,

Me faisant de vos maux l'auteur ou le complice !

1905   Si je sers de prétexte au destin mutiné,

Hélas ! J'ai contre lui plus que vous fulminé.

S'il vous est rigoureux, il m'est encor plus rude.

Un moment vous saura tirer de servitude,

Finira vos tourments, vous mettra dans le port,

1910   Et pour moi tous mes jours seront des jours de mort.

C'est moi qui des malheurs serai toujours la proie,

Et qui n'aurai jamais de véritable joie,

Trop heureux si je puis votre exemple imiter

Et d'un courage égal mes malheurs supporter !

1915   Ah 1 si des mêmes feux nos âmes enflammées

Eussent eu le plaisir d'aimer et d'être aimées,

Si Melisse à Philene eut engagé sa foi,

Si Philene eut juré de mourir sous sa loi !

Les dieux dans leurs palais n'ont rien de comparable

1920   Aux charmantes douceurs de ce lien aimable.

Mais.

ALCANDRE.

Et vous, Alexis, d'un courage viril

Affronterez-vous bien ce terrible péril ?

Quelle est cette langueur que vos yeux font paraître ?

Quoi ! Votre coeur s'abat, et vous tremblez peut-être ?

ALEXIS.

1925   Non, je ne tremble point, et je saurai périr,

Sans laisser échapper ni sanglot ni soupir.

La peur ne peut avoir nul accès en une âme,

Quand y brûle un beau feu, quand Melisse l'enflamme.

Expirer à ses yeux sur un même bûcher

1930   Est un bonheur trop grand, est un plaisir trop cher.

Ma défaite me tient place de la victoire,

Et je trouve en ma mort une trop belle gloire.

Amour, sois satisfait, apaise ton courroux,

Et nous regarde enfin d'un visage plus doux.

1935   Ce coeur qui fut jadis à tes lois si contraire,

Qui dédaigna les voeux d'une aimable bergère,

Et qui crut qu'on pouvait, dans son jeune printemps,

Échapper aux appas des pièges que tu tends ;

Ce chasseur indompté, dont l'aveugle manie

1940   Donnait à ton pouvoir le nom de tyrannie,

Et qui, pour éviter l'adresse de tes traits,

S'écartait des hameaux et cherchait les forêts,

Il brûle maintenant, et t'offre en sacrifice

Le véritable amant de la belle Melisse.

1945   Uni dans le bûcher ce couple malheureux,

Moins par la flamme uni que conjoint par tes noeuds.

ALCANDRE.

Dieux ! Qu'est-ce que j'entends, et que ce grand miracle

M'inspire un sens heureux pour expliquer l'oracle !

Mais, avant que d'oser sur ce point nous ouvrir,

1950   Il faut premièrement du fait bien s'éclaircir.

Alexis, dites-moi, serait-il bien possible

Qu'à présent votre coeur fut devenu sensible,

Qu'il brûlât pour Melisse, et qu'un heureux moment

Eut pu causer dans vous un si grand changement ?

1955   Parlez donc, Alexis ?

ALEXIS.

  Divinités suprêmes,

Qui savez nos pensers aussi bien que nous-mêmes,

Je vous prends à témoin si l'Amour sous sa loi

A jamais vu berger plus embrasé que moi !

Ce que fait le long temps dans une âme vulgaire,

1960   Un bel effort dans moi tout d'un coup l'a su faire ;

Ma raison a cédé, mes yeux se sont ouverts,

Et mon coeur avec joie est entré dans les fers.

J'ai connu les soupirs et les impatiences,

Les craintes, les désirs, l'espoir, les défiances,

1965   Et tout ce que ce dieu, dans un long cours de temps,

Enseigne à ses sujets sous sa loi combattants.

Mais que sert cet aveu, si mon amour, Melisse,

Ne vous peut garantir du fatal précipice ?

L'oracle a prononcé : rien ne peut rétracter

1970   Ce qu'une fois aux dieux il a plu d'arrêter.

ALCANDRE.

Je sens de mon esprit dissiper le nuage :

La nuit fait place au jour, et l'ombre se dégage ;

Une vive clarté se présente à mes yeux,

Et je comprends enfin le langage des dieux.

1975   Que des pauvres humains la science est bornée,

Qu'elle est de toutes parts d'erreurs environnée,

Puisqu'un discours si clair, pendant un si long temps,

A tenu nos esprits incertains et flottants !

N'espère point, bergers, que la peste finisse

1980   Qu'un insensible coeur ne brûle en sacrifice.

Un coeur brûle-t-il pas lorsqu'il est consumé

Par l'amour de l'objet dont il se sent charmé ?

Unissez promptement, unissez les victimes.

C'est ainsi que l'Amour se sait venger des crimes.

1985   N'est-ce pas par l'hymen que les amants unis

Voient avec plaisir leurs supplices finis ?

Et n'est-ce pas aussi dans les doux mariages

Que l'Amour, de tout temps, a vengé ses outrages ?.

Mais que veut ce berger ? Il semble transporté

1990   Et paraît interdit de quelque nouveauté.

SCÈNE V.
Alcandre, Tircis, Alexis, Melisse, Orante, Philene, Damon, Troupe de bergers et bergères.

DAMON.

Seigneur, quand le bûcher, sur sa base solide,

A conduit par mes soins sa haute pyramide ;

Que l'urne, les brandons, le drap, ont été prêts,

Et tout le champ jonché de myrte et de cyprès,

1995   Un brillant trait de feu, que l'on a vu descendre,

A réduit promptement tout le bûcher en cendre,

Dissipé nos projets, renversé nos desseins,

Et mis dans les esprits mille scrupules vains.

Je suis vite accouru moi-même vous l'apprendre.

ALCANDRE.

2000   Les dieux se font encor par ceci mieux entendre :

Consumer le bûcher, n'est-ce pas hautement

Blâmer notre ignorance et notre aveuglement ?

Ce présage est visible, et le Ciel nous l'envoie.

Mais cet autre, qu'a-t-il ? Il paraît plein de joie.

SCÈNE VI.
Alcandre, Tircis, Alexis, Melisse, Orante, Philene, Damon, AEgon, Troupe de bergers et bergères.

AEGON.

2005   Seigneur, tous nos troupeaux ont repris leur vigueur,

Et ne se sentent plus déjà de leur langueur.

On les entend bêler aux basses bergeries ;

On les voit sauteler dans les vertes prairies,

Y tondre l'herbe fine et trouver des appas

2010   Dans ce qu'auparavant ils ne regardaient pas.

Cette faveur n'est point en un lieu resserrée :

Elle est déjà publique en toute la contrée.

Ménalque et Lycidas m'ont dit qu'en leurs cantons

Un semblable bonheur accueillait leurs moutons.

ALCANDRE.

2015   Non, non, n'en doutons plus, la volonté céleste

Est accomplie enfin ; l'indice est manifeste,

Puisque d'un heureux feu l'insensible Alexis

Pour la belle Melisse est maintenant épris.

De penser que les dieux se plaisent au carnage

2020   Est ne les pas connaître et leur faire un outrage ;

Mais surtout de l'Amour les paisibles autels

Ne se repaissent point dans le sang des mortels :

C'est un dieu de douceur, de plaisir, de délices ;

Les coeurs assujettis sont ses seuls sacrifices ;

2025   Lui-même est son vengeur, et ses plus durs tourments

Sont les tendres soupirs et les pleurs des amants.

L'union qu'il demande est le doux hyménée,

Par qui l'amante vit à l'amant enchaînée ;

Et, s'il veut des ardeurs, s'il désire des feux,

2030   Ce sont ceux qu'il allume en des coeurs amoureux.

Vivez, vivez, bergers ; bannissez toute crainte,

Et réveillez enfin votre espérance éteinte :

L'orage est écarté, le calme est de retour,

Et vous verrez bientôt couronner votre amour.

2035   Dans votre beau printemps, vos deux âmes unies

Éprouveront dans peu des douceurs infinies,

Et béniront le jour qu'un favorable sort,

Prêts d'être submergés, vous a poussez au port.

MELISSE.

Alexis, est-il vrai ?

ALEXIS.

Melisse, est-il croyable ?

MELISSE.

2040   Est-ce point un beau songe ?

ALEXIS.

  Est-ce point une fable.

MELISSE.

Qu'un si tendre plaisir ?

ALEXIS.

Qu'un heur si surprenant ?

MELISSE.

Ô merveille admirable !

ALEXIS.

Ô miracle étonnant !

ALCANDRE.

Mais que va devenir le malheureux Philene ?

Il le faut consoler dans sa cruelle peine.

2045   Philene, à cette fête il vous faut prendre part,

Et croire qu'en ceci rien n'est fait par hasard.

Se conformer aux dieux est la grande maxime

Que doit suivre un grand coeur quand la vertu l'anime.

Le juste Ciel, touché par votre pur amour,

2050   Le récompensera d'un plus heureux un jour.

PHILENE.

Cette journée, Alcandre, en miracles abonde ;

Elle est de toutes parts en prodiges féconde.

De subits changements on voit un long reflux ;

Moi-même, je me cherche et ne me trouve plus.

2055   De mon ardent amour la flamme est ralentie :

En une amitié pure elle s'est convertie,

Et je puis aujourd'hui, sans en être jaloux,

Voir donner à Melisse Alexis pour époux.

ALCANDRE.

Grands dieux ! que vos bontés méritent de louanges,

2060   Et qu'elles nous font voir de prodiges étranges,

Puisqu'en un même jour, de deux bergers divers,

Le froid devient amant, l'amant brise ses fers !

Ne différons donc plus, allons par l'hyménée

Dans le temple voisin unir leur destinée,

2065   Et rendre grâce au Ciel, qui d'un si grand danger,

Par un heur imprévu, nous a su dégager.

 



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Notes

[1] Hâve : Pâle, maigre et défiguré. [L]

[2] Bonace : Calme de la mer après un orage. Nous eûmes une grande bonace. [L]

[3] Fredon : erme de musique vocale. Vocalise qui se composait principalement d'une foule de petits agréments abandonnés aujourd'hui. [L]

[4] Coutre : Espèce de fort couteau en fer, à lame courte, à tranchant mousse, à dos épais, adapté, en avant du soc, à la flèche de la charrue, et servant à fendre la terre. [L]

[5] Brandon : Bouquet de paille enflammé, dont on se sert pour s'éclairer. [L]

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