LE TEMPLE DE LA PAIX

BALLET

DANSÉ DEVANT SA MAJESTÉ à Fontainebleau le [15] d'Octobre 1685.

M. DC. LXXXX. Par exprès Commandement de Sa Majesté.

À PARIS. Par CHRISTOPHE BALLARD, Seul Imprimeur du Roi pour le Musique, rue Saint-Jean de Beauvais, au Mont-Parnasse. Et se vend à la Porte de l'Académie Royale de Musique, rue Saint-Honoré.


Texte établi par Ernest FIÈVRE, août 2018.

Publié par Paul FIÈVRE, août 2018

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:28.


PERSONNAGES.

TROUPES DE NYMPHES qui dansent.

TROUPES DE BERGERS ET DE BERGÈRES qui dansent.

TROUPES DE NYMPHES, DE BERGERS ET DE BERGÈRES qui chantent dans les Choeurs.

CLIMÈNE, Bergère, aimée de Silvandre.

SILVANDRE, Berger, Amant de Climène.

SILVIE, Bergère, aimée de Daphnis.

AMARYLLIS, Bergère, aimée de Lycidas.

AMYNTAS, Berger.

MENALQUE, Berger.

ALCIPPE, Berger, Amant d'Amaryllis.

LYCIDAS, Berger, Amant d'Amaryllis.

THYRCIS, Berger.

DAPHNIS, Berger, Amant de Silvie.

PHILENE, Berger.

TROUPE DE BASQUES QUI DANSENT.

UN JEUNE BASQUE, ET UNE FILLE BASQUE QUI DANSENT.

TROUPE DE BRETONS ET DE BRETONNES QUI DANSENT.

DEUX BRETONNES QUI CHANTENT.

UN SAUVAGE qui chante seul.

TROUPE DE SAUVAGES qui chantent et qui forment un Choeur.

TROUPE DE SAUVAGES qui dansent.

UN AFRICAIN qui chante seul.

TROUPE D'AFRICAINS ET D'AFRICAINES qui dansent.


LE TEMPLE DE LA PAIX.

Le Théâtre représente un Temple environné d'un Bocage. Les Nymphes de ce Bois on fait élever ce Temple, et elles vont célébrer une Fête pour le dédier solennellement à la Paix. Elles ont fait annoncer cette Fête, et ont invité plusieurs peuples de s'y trouver. Les Bergers et les Bergères des lieux d'alentour commencent à s'assembler avec les Nymphes devant le Temple de la Paix.

[SCÈNE I].

CLIMÈNE, et les Choeurs des Nymphes, des Bergers et des Bergères.

Préparons-nous pour la Fête nouvelle,

Le bruit des Concerts nous appelle :

Mêlons nos voix au son des Chalumeaux,

Dansons à l'ombre des Ormeaux.

SILVANDRE.

5   D'un Roi toujours Vainqueur la Vertu sans exemple

Nous assure un heureux repos.

Les Nymphes de ces lieux ont élevé ce Temple

À l'honneur de la Paix qu'on doit à ce Héros.

La prompte Renommée a publié la Fête

10   Que dans ce Bois tranquille avec soin on apprête :

Cent Peuples de divers Climats

Viendront entendre nos Musettes,

Et chanter avec nous dans ces belles Retraites

La Paix et ses charmants appas.

SILVIE et AMARYLLIS.

15   Sans crainte dans nos Prairies

Laissons nos Moutons paissant :

Les Animaux cruels et ravissants,

Sont loin de nos Bergeries :

Dans ces beaux lieux nos soins les plus pressants

20   Sont de jouir des plaisirs innocents.

CHOEURS DES NYMPHES, DES BERGERS ET DES BERGÈRES.

Préparons-nous pour la Fête nouvelle ;

Le bruit des Concerts nous appelle :

Mêlons nos voix au son des Chalumeaux,

Dansons à l'ombre des Ormeaux.

PREMIÈRE ENTRÉE.
Les Nymphes, les Bergers, et les Bergères dansent ensemble.

NYMPHES : MADAME LA PRINCESSE DE CONTY et Mademoiselle de Pienne.

Mesdemoiselles de la Fontaine et Demathin, Bergères.

BERGERS : Monsieur_le_Comte de Brionne, Messieurs Pécourt, Létang et Favier.

Cette Danse est accompagnée d'une Chanson chantée par Amyntas et par Ménalque.

AMYNTAS et MENALQUE.

25   Charmant repos d'une vie innocente,

Notre bonheur ne dépend que de vous.

Le noir Chagrin suit la Pompe éclatante ;

La Grandeur fait des jaloux

La Fortune est changeante,

30   Qui reçoit ses dons doit craindre ses coups.

Charmant repos d'une vie innocente,

Notre bonheur ne dépend que de vous.

Tout nous enchante,

Les vrais plaisirs ne sont faits que pour nous,

35   Notre âme est contente ;

Quel sort est plus doux ?

Charmant repos d'une vie innocente,

Notre bonheur ne dépend que de vous.

ALCIPPE.

Le Prince qui poursuit avec un soin extrême

40   Les Hôtes furieux des Forêts d'alentour,

Aime assez nos Concerts pour les offrir lui-même

Au grand Roi dont il tient le jour.

LYCIDAS, et les Choeurs.

des Nymphes, des Bergers et des Bergères.

Que ce Roi Vainqueur a de gloire !

45   Le sort du Monde est en ses mains.

Le bonheur des Humains

Est le seul prix qu'il veut de sa Victoire.

THYRSIS.

La gloire lui suffit, ses voeux sont satisfaits.

Il est content d'humilier l'Audace,

50   Et d'enchaîner la Guerre pour jamais :

Les seuls Ennemis qu'il menace

Sont les Ennemis de la Paix.

SILVIE.

Pour rendre son Empire heureux et florissant

Ses travaux trouvent tout facile :

55   Il est toujours agissant,

Et paraît toujours tranquille.

ALCIMEDON.

Entre les autres Rois, ce Roi victorieux

Est tel que l'on dépeint entre les autres Dieux

Celui qui lance le tonnerre.

60   C'est l'Auteur glorieux

Du repos de la Terre ;

C'est l'Effroi des Audacieux

Qui voudraient rallumer la guerre :

C'est le don le plus précieux

65   Que nous ayons reçu des Cieux.

Les Choeurs des Nymphes, des Bergers et des Bergères répètent ces deux derniers vers.

C'est le Don le plus précieux

Que nous ayons reçu des Cieux.

SECONDE ENTRÉE.

Une nouvelle Troupe de Nymphes, de Bergers et de Bergères vient en dansant au Temple de la Paix.

NYMPHES : MADAME LA DUCHESSE DE BOURBON, Mademoiselle de Blois, Mademoiselle d'Armagnac.

BERGERES : Mademoiselle d'Uzès, Madame de L'Euvestain, Mademoiselle d'Estrées, et Mademoiselle Bréard.

BERGERS : MONSIEUR LE PRINCE D'ENRICHEMONT, Monsieur le Chevalier de Sully, Monsieur_le_Comte de Guiche, Monsieur le Chevalier de Saucourt.

TROIS JEUNES BERGERS : Monsieur le Chevalier de Châteauneuf, Le petit Allemand et le petit Magny.

[Seuls.]

DAPHNIS, et les Choeurs des Nymphes, des Bergers et des Bergères.

La gloire où ce Vainqueur aspire,

Est de faire aimer son Empire.

70   Il répand ses faveurs jusques dans nos Hameaux ;

Notre repos est son ouvrage :

Il compte pour ses jours les plus doux, les plus beaux,

Ceux qu'il signale davantage

Par des bienfaits nouveaux.

SILVIE.

75   On compterait plutôt les épis qu'on moissonne,   [ 2 On lit "epics" dans l'édition originale. Le dictionnaire Féraud indique : "M. de Bougainville écrit épic au sing. et M. Linguet met épics au pluriel. Est-ce le goût de ces deux Auteurs, ou la faute de leurs Imprimeurs ? Je n'en sais rien : mais cette ortographe est contre l'usage ; et si elle a quelque fondement dans l'étymologie, il y a long-temps qu'on n'y a plus d'égard.">]  [ 1 On lit "conterait" dans l'édition originale. Littré indique que "On trouve souvent dans des textes anciens conter et compter confondus."]

Les Roses du Printemps, et les Fruits de l'Automne,

Que les Biens qu'on doit à ses soins :

C'est lui qui se ressent le moins

Du repos qu'il nous donne.

CLIMÈNE.

80   Sans cesse bénissons ce Vainqueur généreux.

Jouissons sous ses lois d'un sort digne d'envie,

Que le Ciel prenne soin d'une si belle Vie ;

Nous ne formons point d'autres voeux,

C'est assez pour nous rendre heureux.

85   Les deux Troupes de Nymphes, de Bergers et de Bergères

unissent leurs voix et dansent ensemble.

CHOEURS des Nymphes, des Bergers et des Bergères.

Jouissons sous ses lois d'un sort digne d'envie,

Que le Ciel prenne soin d'une si fidèle Vie ;

Nous ne formons point d'autres voeux,

90   C'est assez pour nous rendre heureux.

Les Nymphes, les Bergers et de Bergères se placent sur des sièges de gazon autour de Temple de la Paix, et y attendent les peuples qui doivent venir à la Fête.

Daphnis et Sylvandre font tout bas une conversation qui les engage insensiblement dans une contestation qui leur fait élever la voix.

DAPHNIS ET SYLVANDRE ensemble.

DAPHNIS.

Malheureux un amant fidèle !

SILVANDRE.

Trop heureux un amant fidèle !

DAPHNIS.

Malheureux

SILVANDRE.

Trop heureux

95   Un coeur engagé dans les noeuds

D'une amour éternelle !

DAPHNIS.

Malheureux un amant fidèle !

SILVANDRE.

Trop heureux un amant fidèle !

DAPHNIS.

Gardons-nous, gardons-nous

100   D'une amour tendre.

SILVANDRE.

Est-il rien de plus doux ?

Pourquoi nous en défendre ?

SILVANDRE et DAPHNIS ensemble.

SILVANDRE.

Non, il n'est point de plaisir plus charmant

DAPHNIS.

Non il n'est point de plus cruel tourment.

[Seuls.]

SILVANDRE.

105   Pour nous juger veux-tu choisir Philène ?

DAPHNIS.

J'en suis content, on ne peut mieux choisir.

Philène sort de l'endroit où il était placé, et vient entendre Silvandre et Daphnis.

DAPHNIS.

Je soutiens que l'amour est toujours une peine.

SILVANDRE.

Je soutiens que l'amour n'est jamais sans plaisir.

Pour un coeur toujours sévère

110   Que la vie a peu d'appas !

Les Plaisirs ne règnent guère

Où les Amours ne sont pas.

DAPHNIS.

Dans les beaux jours le doux Zéphire   [ 3 Zpéhir : Littré indique que L'Académie distingue zéphire et zéphyr, disant que zéphire est le vent d'occident, et zéphyr tout vent doux et agréable. Cette distinction est illusoire et ne peut être admise ; les auteurs confondent perpétuellement zéphire et zéphyr, et il ne faut y voir qu'une variété d'orthographe.]

Fait moins naître de fleurs

115   Que le cruel Amour dans son funeste Empire

Ne fait verser de pleurs.

Les Nymphes, les Bergers et les Bergères, se partagent en deux Partis, dont l'un est du sentiment de Daphnis, et l'autre de l'opinion de Silvandre.

Le Parti de DAPHNIS et le Parti de SYLVANDRE ensemble.

LE PARTI DE DAPHNIS.

Malheureux un Amant fidèle !

LE PARTI DE SILVANDRE.

Trop heureux un Amant fidèle !

LE PARTI DE DAPHNIS.

Malheureux

LE PARTI DE SILVANDRE.

120   ................ Trop heureux

[Seuls.]

Un coeur engagé dans les noeuds

D'une amour éternelle ?

LE PARTI DE DAPHNIS.

Gardons-nous, gardons-nous

D'une amour tendre.

LE PARTI DE SILVANDRE.

125   Est-il rien de plus doux ?

Pourquoi nous en défendre ?

Le Parti de DAPHNIS et le Parti de SILVANDRE ensemble.

LE PARTI DE SILVANDRE.

Non, il n'est point de plaisir plus charmant

LE PARTI DE DAPHNIS.

Non il n'est point de plus cruel tourment.

PHILENE.

La Paix règne dans ce Bocage,

130   Et sans cesse à nos Jeux elle doit présider.

Ne disputez pas davantage,

Bergers, il faut vous accorder.

Il est doux d'être amant d'une Bergère aimable,

Mais il est dangereux

135   D'être trop amoureux :

L'excès d'amour rend un coeur misérable,

Un peu d'amour suffit pour être heureux.

Les deux Partis s'accordent, et répètent ensemble

les derniers Vers que Philène a chantés.

LES CHOEURS.

140   Il est doux d'être amant d'une Bergère aimable,

Mais il est dangereux

D'être trop amoureux :

L'excès d'amour rend un coeur misérable,

Un peu d'amour suffit pour être heureux.

Les Nymphes, les Bergers et les Bergères reprennent leurs places.

TROISIÈME ENTRÉE.

Les Basques devancent les autres Peuples qui doivent venir au Temple de la Paix, ils y arrivent en dansant à la manière de leur Pays.

FILLES BASQUES : MADAME LA DUCHESSE DE BOURBON, Mesdemoiselles Laurent, et le Peintre.

DEUX PETITS BASQUES : Monsieur le Chevalier de Châteauneuf, Le petit Magny.

SIX GRANDS BASQUES : Monsieur_le_Comte de Brionne, Messieurs Pécourt, Létang, Faure, du Mirail et Magny.

DEUX BASQUES chantent au milieu des Danses.

CHANSON des Basques.

145   Suivons l'aimable Paix qui nous appelle,

Mille nouveaux Plaisirs sont avec elle.

L'Amour promet ici des Jours heureux,

Et sans alarmes :

Il bannit les Soins fâcheux.

150   Que l'Amour a de charmes

Quand il vient avec les Jeux !

Nous fuyons la Beauté toujours sévère ;

Les Fers que nous portons ne pèsent guère.

L'Amour promet ici des Jours heureux,

155   Et sans alarmes :

Il bannit les Soins fâcheux.

Que l'Amour a de charmes

Quand il vient avec les Jeux !

Silvie se lève avec inquiétude du siège de gazon où elle était assise, elle se tire à l'écart, et va rêver sous un épais feuillage.

SILVIE.

Qu'êtes-vous devenus doux calme de mes sens ?

160   Mille troubles secrets sans cesse renaissants

M'agitent dans ce lieu paisible.

Trop heureux un Coeur insensible

À qui l'amour est inconnu !

Doux calme de mes sens qu'êtes-vous devenus ?

Daphnis voyant Silvie s'éloigner des Bergères ses compagnes, la suit pour lui parler de l'amour qu'il a pour elle.

DAPHNIS.

165   Je te suivrai toujours trop aimable Silvie,

Tes beaux yeux sur mon coeur n'ont que trop de pouvoir,

Quand il m'en coûterait le repos de ma vie

Je ne saurais trop payer le plaisir de te voir.

SILVIE.

Dans ces lieux fortunés tout doit être tranquille,

170   Que ne m'y laisses-tu rêver ?

Je cherche en vain la Paix, mon soin est inutile,

Tu m'empêches de la trouver.

DAPHNIS.

Tu veux me fuir belle Inhumaine ;

Puis-je sans toi goûter les doux plaisirs

175   Qu'une charmante Paix ramène ?

Crains-tu d'entendre les soupirs

D'un tendre amour dont tu causes la peine ?

Bergère insensible as-tu peur

Que mon mal ne touche ton coeur ?

SILVIE.

180   Tu me dis qu'un amour extrême

Est un tourment fatal :

Pourquoi veux-tu que j'aime ?

Pourquoi me veux-tu tant de mal ?

DAPHNIS.

L'amour de lui-même est aimable ;

185   C'est toi, Bergère impitoyable

C'est toi qui dans mon coeur en veux faire un tourment,

Tu peux d'un mot favorable

En faire un plaisir charmant.

Ne te rendras-tu point à ma persévérance ?

190   Tu ne me réponds pas ? Que me dit ton silence ?

Pourquoi frémir en m'écoutant ?

Et qui peut de la voix t'interdire l'usage ?

SILVIE.

Si je parlais davantage

Je ne t'en dirais pas tant.

DAPHNIS.

195   Ciel ! Le coeur de Silvie avec le mien s'engage !

Ô Ciel ! Fut-il jamais un Berger plus content !

SILVIE.

Ne m'offre point ton coeur su tu ne me promets

Qu'il portera toujours une chaîne si belle.

Il vaudrait mieux n'aimer jamais

200   Que de ne pas aimer d'une amour éternelle.

DAPHNIS.

Le frileuse Hirondelle

Cherchera les frimas, et craindra le retour

De la Saison nouvelle,

Plutôt que je sois infidèle,

205   Et que j'éteigne mon amour.

SILVIE.

L'Astre qui nous donne le jour

Perdra sa lumière immortelle,

Plutôt que je sois infidèle

Et que j'éteigne mon amour.

DAPHNIS et SILVIE.

210   Heureux les tendres Coeurs

Où l'Amour est d'intelligence

Avec la Paix et l'Innocence :

Heureux les tendres Coeurs

Où l'Amour et la Paix unissent leurs douceurs.

Les Nymphes, les Bergers et les Bergères s'intéressent dans le bonheur de Daphnis et de Silvie, et répètent les vers que ce Berger et cette Bergère ont chantés.

LES CHOEURS.

215   Heureux les tendres Coeurs

Où l'Amour est d'intelligence

Avec la Paix et l'Innocence :

Heureux les tendres Coeurs

Où l'Amour et la Paix unissent leurs douceurs.

QUATRIÈME ENTRÉE.

Une troupe de Bretons et de Bretonnes vient prendre part à la Fête qui se fait devant le Temple de la Paix. Ces Peuples témoignent leur joie en dansant, et font entendre par une chanson qui accompagne leur Danse, qu'ils se proposent d'éviter les troubles de l'amour, et de conserver toujours la tranquillité dont ils jouissent.

FILLES DE BRETAGNE.

MADAME LA PRINCESSE DE CONTY. Mademoiselle de Pienne. Mademoiselle Laurent. Mesdemoiselles de la Fontaine et Bréard.

BRETONS.

Monsieur_le_Comte de Brionne. Messieurs Pécourt, Létang, Favier l'aîné, et du Mirail.

CHANSON chantée par deux Bretonnes.

220   La Paix revient dans cet asile,

Rien n'est si doux que ses attraits.

N'aimons jamais,

Il est trop difficile

D'unir toujours l'Amour avec la Paix.

225   Heureux un Coeur libre et tranquille !

Tous ses désirs sont satisfaits.

N'aimons jamais,

Il est trop difficile

D'unir toujours l'Amour avec la Paix.

230   Silvandre amoureux de Climène,

veut s'approcher d'elle pour lui parler,

Climène le fuit avec empressement,

et paraît irritée contre ce Berger ;

il en est tout surpris qu'il croyait être aimé de cette Bergère.

SILVANDRE.

235   Je ne vois dans vos yeux qu'une colère extrême,

Ô Ciel ! Quel changement !

Vous m'aviez tant promis de m'aimer constamment,

Est-ce ainsi que l'on aime ?

CLIMÈNE.

Allez, laissez mon coeur en paix.

240   Ingrat, ne me voyez jamais.

SILVANDRE.

Je vivrais sans vous voir ! Quel supplice est plus rude !

Vous m'accusez d'ingratitude !

Apprenez-moi du moins les crimes que j'ai faits.

CLIMÈNE.

Allez, laissez mon coeur en paix.

SILVANDRE.

245   Climène, j'ai promis de vous être fidèle,

Fussiez-vous cent fois plus cruelle

De nouveau, je vous le promets.

CLIMÈNE.

Ingrat, ne me voyez jamais.

SILVANDRE.

Je pourrais être Ingrat ! Et vous le pourriez croire !

250   Que devient cet amour si doux, si plein d'attraits?

CLIMÈNE.

N'en rappelez pas la mémoire,

Non, votre trahison n'en serait que plus noire.

Allez, laissez mon coeur en paix.

Ingrat, ne me voyez jamais.

SILVIE, arrêtant Climène.

255   Quoi, ne veux-tu pas voir une Fête si belle ?

SILVANDRE.

Climène m'abandonne à ma douleur mortelle.

SILVIE.

Quels différents peuvent naître en vous ?

L'Amour unit vos coeurs de ses noeuds les plus doux.

La Paix descend du Ciel pour bannir les alarmes,

260   Et fait en cent climats régner un calme heureux.

Ne peut-elle étendre ses charmes

Jusques dans l'Empire amoureux ?

SILVANDRE.

Que la colère

De ma Bergère,

265   Est terrible pour moi !

Rien ne m'inspire tant d'effroi

Que le malheur de lui déplaire.

La Foudre prête à m'accabler

Me ferait moins trembler

270   Que la colère

De ma Bergère,

CLIMÈNE parlant à Silvie.

Non, ne t'oppose point à mes ressentiments,

Ne me contrains point à l'entendre.

SILVIE.

Lorsqu'un amour fidèle et tendre

275   Vous doit donner des jours charmants,

Quel plaisir pouvez-vous prendre

À vous faire des tourments ?

CLIMÈNE.

Ce berger trompeur s'engage

Dans de nouvelles amours :

280   S'il n'eût point été volage

Je l'aurais aimé toujours.

L'ingrat m'a fait une offense

Dont mon coeur a profité,

Et c'est à son inconstance

285   Que je dois ma liberté.

Pour épouser Céphise il devient infidèle.

SILVANDRE.

Mon Père avait dessein de m'unir avec elle ;

Mais son dessin fatal change en cet heureux jour,

Désormais notre hymen est son unique envie.

290   Je perdrais plutôt la vie

Que de trahir notre amour.

SILVIE.

La colère qui te possède

Doit finir avec ton erreur.

CLIMÈNE.

Un doux calme succède

295   Au trouble de mon coeur.

SILVIE.

Aimez désormais sans craintes,

Vivez exempts de soupçons,

Et changez vos tristes plaintes

En d'agréables chansons.

SILVANDRE, CLIMÈNE et SILVIE.

300   Ainsi qu'après l'orage,

Le céleste Flambeau

Sort du sombre nuage,

Et n'en est que plus beau

Après la tempête cruelle

305   Qu'excitent les soupçons jaloux,

L'Amour tendre et fidèle

N'en devient que plus doux.

Les Nymphes, les Bergers et les Bergères qui ont été témoins du raccommodement de Silvandre et de Climène répètent ce que Silvandre, Climène et Silvie ont chanté ensemble.

Ainsi qu'après l'orage,

Le céleste Flambeau

310   Sort du sombre nuage,

Et n'en est que plus beau

Après la tempête cruelle

Qu'excitent les soupçons jaloux,

L'Amour tendre et fidèle

315   N'en devient que plus doux.

CINQUIÈME ENTRÉE.

Les Sauvages des Provinces de l'Amérique qui dépendent de la France, viennent au Temple de la Paix, et font connaître par leurs chansons, et par leurs danses, le plaisir qu'ils ont d'être sous l'Empire d'un Roi puissant et glorieux qui les fait jouir d'une heureuse tranquillité.

SAUVAGES AMERICAINS. MONSIEUR LE MARQUIS DE MOÏ. Monsieur Beauchamp. Messieurs Pécourt, du Mirail, Joubert, Magny, Faure, le petit Allemand, et le petit Magny.

UN SAUVAGE.

Nous avons traversé le vaste sein de l'Onde,

Pour venir rendre hommage au plus puissant des Rois :

Il préfère au bonheur d'être Vainqueur du Monde

La gloire de tenir dans une paix profonde

320   Ses Ennemis vaincus cent et cent fois.

Son Nom est révéré des Nations sauvages.

Jusqu'aux plus reculés Rivages

Tout retentit du bruit de ses Exploits.

Ah ! Qu'il est doux de vivre sous ses lois.

Le Choeur des Sauvages répète ces quatre Vers.

325   Son Nom est révéré des Nations sauvages.

Jusqu'aux plus reculés Rivages

Tout retentit du bruit de ses Exploits.

Ah ! Qu'il est doux de vivre sous ses lois.

Une partie des Sauvages chante au milieu des Danses des autres Sauvages.

CHOEUR DES SAUVAGES.

Dans ces lieux, il faut que tout ressente

330   Le retour d'une Paix si charmante.

Les Amants sont les seuls désormais

Que l'on doit entendre ici se plaindre :

Sans l'Amour et sans ses traits

Tout serait en paix,

335   On n'aurait plus rien à craindre.

L'heureux Sort qu'un doux repos prépare

Doit charmer le coeur le plus barbare.

Les Amants sont les seuls désormais

Que l'on doit entendre ici se plaindre :

340   Sans l'Amour et sans ses traits

Tout serait en paix

On n'aurait plus rien à craindre.

Lycidas aime Amaryllis, et n'a pas encore osé lui déclaré son amour. Il voit avec inquiétude qu'Alcippe est assis près de cette Bergère ; il s'écarte des autres Bergers pour rêver en liberté ; et pour soupirer en secret.

LYCIDAS.

Douce Paix qui dans ces Retraites

Établissez votre séjour,

345   Ah ! Vos douceurs ne sont pas faites

Pour les Coeurs troublés par l'Amour !

Toute charmante que vous êtes,

Vous ne sauriez calmer par votre heureux retour

Mes inquiétudes secrètes.

350   Douce Paix qui dans ces Retraites

Établissez votre séjour,

Ah ! Vos douceurs ne sont pas faites

Pour les Coeurs troublés par l'Amour.

Amaryllis qui a fait dessein de fuir l'amour, et de conserver toujours sa liberté et son repos, s'éloigne d'Alcippe qui veut lui parler de l'amour qu'il a pour elle, et s'approche sans y penser du lieu où est Lycidas.

ALCIPPE, suivant Amaryllis.

Te plaindras-tu toujours de l'amour tendre

355   Qui me contraint à te suivre en tous lieux ?

Est-ce à mon coeur qu'il t'en faut prendre ?

N'en accuse que tes beaux yeux.

LYCIDAS.

Tu ne connais pas, Inhumaine,

Tous les Amants que tu tiens enchaînés :

360   Ce ne sont pas les plus infortunés

Qui t'osent parler de leur peine.

Tel meurt pur tes appas

Qui ne te le dit pas.

AMARYLLIS.

Délivrez-vous d'une chaîne

365   Qui ne peut vous causer que de cruels tourments.

Je vous ai dit cent fois que je hais les Amants,

Pourquoi cherchez-vous ma haine ?

LYCIDAS.

Si les Bergers que tu rends amoureux

Sont certains d'attirer ta haine et ta colère

370   Je suis sûr d'être malheureux,

Je ne pourrai jamais cesser de te déplaire.

AMARYLLIS.

Rien ne m'engagera sous l'amoureuse loi.

Combien d'Amants manquent de foi,

Et n'en font pas de grands scrupules !

375   On s'expose en aimant à de mortels dangers,

On ne trouve que trop d'infidèles Bergers,

Malheur aux Bergères crédules.

ALCIPPE.

Deviens sensible à ma langueur

Je t'aimerai d'une amour éternelle.

380   Ah ! Bergère cruelle,

Pour qui veux-tu garder ton coeur ?

LYCIDAS et ALCIPPE.

Choisis l'Amant le plus fidèle,

C'est moi qui dois fléchir ta barbare rigueur

Ah ! Bergère cruelle,

385   Pour qui veux-tu garder ton coeur ?

AMARYLLIS.

Je garde mon coeur pour moi-même,

Il ne sera point agité.

Quel bien vaut la douceur extrême

D'une heureuse tranquillité ?

LYCIDAS et ALCIPPE.

390   Dégageons-nous, s'il est possible,

Cessons d'aimer une Insensible.

AMARYLLIS.

N'aimons que la liberté,

Rien n'a tant de charmes

L'Amour coûte trop de larmes ;

395   Sa plus douce félicité

N'est jamais exempte d'alarmes,

N'aimons que la liberté,

Rien n'a tant de charmes.

AMARYLLIS, LYCIDAS, et ALCIPPE.

Ô bienheureuse Paix,

400   Rendez mon coeur tranquille ;

Ô bienheureuse Paix,

Ne nous quittez jamais.

LYCIDAS.

Sans vous, le plus grand bien est un bien inutile,

Tous les plaisirs sans vous sont imparfaits.

AMARYLLIS, LYCIDAS, et ALCIPPE.

405   Ô bienheureuse Paix,

Rendez mon coeur tranquille ;

Ô bienheureuse Paix,

Ne nous quittez jamais.

LES CHOEURS répètent ces deux vers.

Ô bienheureuse Paix,

410   Ne nous quittez jamais.

SIXIÈME ENTRÉE.

Les Peuples d'Afrique qui se souviennent encore des malheurs que la guerre leur a causés, viennent au Temple de la Paix, témoigner la joie qu'ils ressentent d'éprouver la clémence du Vainqueur, et de jouir du repos qu'il leur a donné.

AFRICAINES. MADAME LA DUCHESSE DE BOURBON. MADAME LA PRINCESSE DE CONTY. Mademoiselle de Blois, Mademoiselle d'Armagnac. Mademoiselle Roland, Mesdemoiselles de la Fontaine et Bréard.

AFRICAINS. Monsieur_le_Comte de Brionne. Messieurs Pécourt, Létang et Favier.

UN AFRICAIN.

Quel bonheur pour la France

D'être sous la puissance

D'un Roi si renommé !

Le plus ardent désir dont il est animé

415   C'est de faire régner la Paix et l'abondance.

Quel Peuple n'est point alarmé

Quand ce Héros fait tonner sa vengeance ?

Malheur à qui s'expose à la foudre qu'il lance.

Qu'il est doux de le voir quand il est désarmé !

420   Quel bonheur pour la France

D'être sous la puissance

D'un Roi si renommé.

Les Peuples d'Afrique dansent, et tous les Choeurs se réunissent pour chanter la gloire du Roi Victorieux, qui a donné la Paix à tant de différentes Nations.

LES CHOEURS.

Chantons tous sa Valeur triomphante.

Chantons tous sa Vertu bienfaisante

425   Il soumet à ses lois ses plus fiers Ennemis,

Il prend soin du bonheur de ceux qu'il a soumis.

Que la Gloire à jamais le couronne :

Jouissons du repos qu'il nous donne,

Que cent Peuples divers comblés de ses bienfaits

430   Prennent part avec nous aux plaisirs de la Paix.

UN AFRICAIN.

Gardons-nous d'attirer sa colère

Ne songeons désormais qu'à lui plaire

Son Tonnerre a laissé sur les Bords Africains

Un exemple terrible au reste des Humains.

LES CHOEURS.

435   Quel Empire eût jamais tant de charmes !

Sous ses lois nous vivons sans alarmes.

Les plus doux de ses voeux

Sont de nous rendre heureux.

UN SAUVAGE, et les Choeurs.

On le craint aux deux bouts de la Terre,

440   Et son Nom glorieux vole au-delà des Mers ;

Il contraint le Démon de la Guerre,

À rentrer pour jamais dans le fond des Enfers.

LES CHOEURS.

Chantons tous sa Valeur triomphante.

Chantons tous sa Vertu bienfaisante

445   Il soumet à ses lois ses plus fiers Ennemis,

Il prend soin du bonheur de ceux qu'il a soumis.

Que la Gloire à jamais le couronne :

Jouissons du repos qu'il nous donne,

Que cent Peuples divers comblés de ses bienfaits

450   Prennent part avec nous aux plaisirs de la Paix.

 



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Notes

[1] On lit "conterait" dans l'édition originale. Littré indique que "On trouve souvent dans des textes anciens conter et compter confondus."

[2] On lit "epics" dans l'édition originale. Le dictionnaire Féraud indique : "M. de Bougainville écrit épic au sing. et M. Linguet met épics au pluriel. Est-ce le goût de ces deux Auteurs, ou la faute de leurs Imprimeurs ? Je n'en sais rien : mais cette ortographe est contre l'usage ; et si elle a quelque fondement dans l'étymologie, il y a long-temps qu'on n'y a plus d'égard.">

[3] Zpéhir : Littré indique que L'Académie distingue zéphire et zéphyr, disant que zéphire est le vent d'occident, et zéphyr tout vent doux et agréable. Cette distinction est illusoire et ne peut être admise ; les auteurs confondent perpétuellement zéphire et zéphyr, et il ne faut y voir qu'une variété d'orthographe.

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