PROSERPINE

TRAGÉDIE EN MUSIQUE, ornée d'entrées de ballet, de machines et de changements de théâtre

M. DC. LXXX. Par exprès commandement de Sa Majesté.

À PARIS, par CHRISTOPHE BALLARD, seul imprimeur du roi pour la musique, rue Saint jean de Beauvais, au Mont-Parnasse.

Représenté pour la première fois le troisième février 1680 devant S. M., à Saint-Germain en Laye.


© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:13:30.


ACTEURS DU PROLOGUE

LA PAIX.

Suite de la Paix.

LA FÉLICITÉ.

L'ABONDANCE.

LES JEUX.

LES PLAISIRS.

JEUX chantants.

PLAISIRS chantants.

JEUX dansants.

PLAISIRS dansants.

LA DISCORDE.

Suite de la Discorde.

LA JALOUSIE.

LA HAINE.

LE DÉPIT.

LA RAGE.

LE DESESPOIR.

LES CHAGRINS.

Suite de la Discorde chantants.

Suite de la Discordre dansants.

LA VICTOIRE.

Suite de la Victoire.

Troupe de Victoires et de Héros.

ACTEURS DE LA TRAGÉDIE

CÉRÈS.

CYANE, nymphe de Sicile, confidente de Cérès.

CRINISE, dieu de fleuve de Sicile.

MERCURE.

ARETHUSE, nymphe aimée d'Alphée.

ALPHÉE, dieu de fleuve, amant d'Arethuse.

PROSERPINE, fille de Jupiter et de Cérès.

Troupe de Nymphes.

Troupe de dieux des bois.

Troupe d'habitants de Sicile.

PLUTON, dieu des Enfers.

ASCALAPHE, fils du fleuve Achéron, et confident de Pluton.

Troupe de divinités infernales.

Troupe de suivants de Cérès.

Ombres heureuses.

Les trois juges des Enfers.

Les trois furies.

JUPITER.

L'AMOUR.

L'HYMENÉE.

VÉNUS.

PALLAS.

APOLLON.

MARS.

Troupe de divinités célestes.

Troupe de divinités de la suite de Pluton.

VERTUMNE.

FLORE.

POMONE.

Troupe de divinités de la Terre.

Le théâtre représente la Palais de Cérès.


PROLOGUE

Le théâtre représente l'antre de la Discorde, on y voit la Paix enchaînée : la Félicité, l'Abondance, les Jeux et les Plaisirs y accompagnent la Paix, et sont enchaînés comme elle.

LA PAIX.

Héros, dont la valeur étonne l'univers,

Ah ! Quand briserez-vous nos fers ?

La discorde nous tient ici sous sa puissance ;

La barbare se plaît à voir couler nos pleurs ;

5   Soyez touché de nos malheurs,

Vous êtes dans nos maux notre unique espérance ;

Héros, dont la valeur étonne l'univers,

Ah quand briserez-vous nos fers !

La suite de la Paix répète ces deux derniers vers. La haine, la Rage, les Chagrins, la Jalousie, le Dépit, le Désespoir, et toute la suite de la Discorde, témoignent les douceurs qu'ils trouvent dans l'esclavage où ils ont réduit la Paix.

LA DISCORDE.

Soupirez, triste paix, malheureuse captive,

10   Gémissez, et n'espérez-pas

Qu'un héros que j'engage en de nouveaux combats

Écoute votre voix plaintive.

Plus il moissonne de lauriers,

Plus j'offre de matière à ses travaux guerriers.

15   J'anime les vaincus d'une nouvelle audace ;

J'oppose à la vive chaleur

De son indomptable valeur

Mille fleuves profonds, cent montagnes de glace.

La victoire empressée à conduire ses pas

20   Se prépare à voler aux plus lointains climats ;

Plus il la suit, plus il la trouve belle ;

Il oublie aisément pour elle

La paix et ses plus doux appas.

LA PAIX et sa suite.

Ô rigueurs inhumaines !

25   Faut-il ne voir jamais finir le triste cours

De nos malheurs, et de nos peines ?

LA DISCORDE et sa suite.

Vos plaintes seront vaines

N'espérez jamais de secours.

LA PAIX et sa suite.

Quel tourment de languir toujours

30   Sous de cruelles chaînes !

LA DISCORDE et sa suite.

Vos plaintes seront vaines

N'espérez jamais de secours.

On entend un bruit de trompettes et de timbales.

LA DISCORDE.

Ce bruit que la victoire en ces lieux fait entendre.

M'avertit qu'elle y va descendre.

35   Quel plaisir de lui faire voir

Mon ennemie au désespoir !

La victoire descend, elle est accompagnée d'un grand nombre de victoires, et de héros.

LA VICTOIRE

Venez aimable paix, le vainqueur vous appelle,

La victoire devient votre guide fidèle ;

Venez dans un heureux séjour.

40   Vous, discorde affreuse et cruelle,

Portez ses fers à votre tour.

LA VICTOIRE et sa suite.

Venez, aimable paix, le vainqueur vous appelle.

La suite de la Victoire déchaîne la Paix et les divinités qui l'accompagnent, et enchaîne la Discorde et sa suite.

LA PAIX et sa suite.

Ah ! Quel bonheur charmant !

LA DISCORDE et sa suite.

Ah ! Quel affreux tourment !

LA DISCORDE, enchaînée.

45   Orgueilleuse victoire, est-ce à toi d'entreprendre

De mettre la Discorde aux fers ?

À quels honneurs sans moi peux-tu jamais prétendre ?

LA VICTOIRE.

Ah ! Qu'il est beau de rendre

La Paix à l'univers.

LA DISCORDE.

50   Tes soins pour le vainqueur pouvaient plus loin s'étendre ?

Que ne conduisais-tu le héros que tu sers,

Où cent lauriers nouveaux lui sont encore offerts ?

La gloire au bout du monde aurait été l'attendre.

LA VICTOIRE.

Ah ! Qu'il est beau de rendre la paix à l'univers.

55   Après avoir vaincu mille peuples divers,

Quand on ne voit plus rien qui puisse se défendre,

Ah ! Qu'il est beau de rendre la paix à l'univers.

La suite de la victoire et la suite de la paix, répètent ces derniers vers.

LA DISCORDE.

Ô ! Cruel esclavage !

Je ne verrai donc plus de sang et de carnage ?

60   Ah ! Pour mon désespoir faut-il que le vainqueur

Ait triomphé de son courage ?

Faut-il qu'il ne laisse à ma rage

Rien à dévorer que mon coeur ?

Ô ! Cruel esclavage !

La suite de la Discorde répète ce dernier vers.

LA VICTOIRE.

65   Au fond d'un gouffre plein d'horreur,

Que sous des fers pesants la discorde gémisse.

Partagez son supplice

Vous qui partagez sa fureur.

Et vous triste séjour, changez, que tout ressente

70   Le pouvoir plein d'appas de la Paix triomphante.

La Discorde et sa suite s'abîment dans des gouffres qui s'ouvrent sous leurs pas, et l'affreuse retraite de la Discorde se change en un palais agréable.

LA PAIX et sa suite.

Ah quel bonheur charmant !

LA DISCORDE et sa suite en s'abîmant.

Ah ! Quel affreux tourment !

LA VICTOIRE et LA PAIX.

Le vainqueur est comblé de gloire,

On doit l'admirer à jamais :

75   Il s'est servi de la victoire

Pour faire triompher la paix.

La suite de la victoire et la suite de la paix répètent ces quatre vers. La suite de la paix témoigne sa joie en dansant et en chantant.

LA FÉLICITÉ et L'ABONDANCE chantent ensemble.

Il est temps que l'amour nous enchaîne,

Il sait vaincre les plus fiers vainqueurs.

Rendons-nous, la fuite est vaine,

80   Ce dieu charme tous les coeurs :

Il n'a point de bien sans peine,

Mais peut-on trop payer ses douceurs.

Dans les fers qu'Amour veut que l'on prenne,

Tout est doux jusqu'aux plus tristes pleurs.

85   Rendons-nous, la fuite est vaine,

Ce dieu charme tous les coeurs, etc.

LA PAIX.

On a quitté les armes.

Voici le temps heureux

Des plaisirs pleins de charmes,

90   Voici le temps heureux

Des plaisirs et des jeux.

On ne versera plus de larmes,

Tous les coeurs seront sans alarmes ;

Et si l'on craint encor des tourments rigoureux

95   Ce sera seulement dans l'empire amoureux.

On a quitté les armes

Voici le temps heureux

Des plaisirs pleins de charmes,

Voici le temps heureux

100   Des plaisirs et des jeux.

Le choeur répète ces derniers vers.

LA FÉLICITÉ.

Que l'amour est doux à suivre !

Quel plaisir de s'enflammer !

Un jeune coeur ne commence de vivre

Que du moment qu'il commence d'aimer.

105   Malheureux qui se délivre

D'un tourment qui sait charmer.

On reconnaît que l'on cesse de vivre

En même temps que l'on cesse d'aimer.

LE CHOEUR

On a quitté les armes

110   Voici le temps heureux

Des plaisirs pleins de charmes,

Voici le temps heureux

Des plaisirs et des jeux.

ACTE I

SCÈNE I.
Cérès, Cyané, Crinise.

Le théâtre représente le palais de Cérès.

CÉRÈS.

Goûtons dans ces aimables lieux

115   Les douceurs d'une paix charmante.

Les superbes géants armés contre les dieux

Ne nous donnent plus d'épouvante :

Ils sont ensevelis sous la masse pesante

Des monts qu'ils entassaient pour attaquer les cieux

120   Nous avons vu tomber leur chef audacieux

Sous une montagne brûlante ;

Jupiter la contraint de vomir à nos yeux

Les restes enflammés de sa rage mourante,

Jupiter est victorieux,

125   Et tout cède à l'effort de sa main foudroyante.

Goûtons dans ces aimables lieux

Les douceurs d'une paix charmante.

CÉRÈS, CYANÉ, et CRINISE.

Goûtons dans ces aimables lieux

Les douceurs d'une paix charmante.

CÉRÈS.

130   Prenez soin d'assembler tout ce qui suit mes lois,

Honorons le vainqueur d'une commune voix.

CÉRÈS, CYANÉ, et CRINISE.

Honorons le vainqueur d'une commune voix.

Cyané et Crinise vont de deux côtés différents appeler les divinités et les peuples de la Sicile, pour venir ensemble célébrer la victoire de Jupiter.

SCÈNE II.
Mercure, Cérès.

Mercure descend du ciel.

CÉRÈS.

Mercure, quel dessein vous fait ici descendre ?

MERCURE.

Jupiter près de vous m'ordonne de me rendre.

CÉRÈS.

135   Non, non, à vos discours je n'ose ajouter foi.

Jupiter après sa victoire

Songe à tenir en paix l'univers sous sa loi ;

Il est trop occupé de sa nouvelle gloire,

Eh ! Le moyen de croire

140   Qu'il songe encore à moi ?

MERCURE.

Dans les soins les plus grands dont son âme est remplie

Il se souvient toujours que vous l'avez charmé ;

Il est mal-aisé qu'on oublie

Ce qu'on a tendrement aimé,

145   Il admire les dons que vous venez de faire

En cent climats divers,

L'abondante Sicile heureuse de vous plaire

De vos riches moissons voit tous ses champs couverts :

Mais la mère des dieux se plaint que la Phrygie

150   Quelle a toujours chérie,

Ne se ressente pas de vos soins bienfaisants ;

Et c'est Jupiter qui vous prie

D'y porter vos divins présents.

Quelle gloire de voir qu'un dieu si grand implore

155   Votre favorable secours !

CÉRÈS.

Peut-être qu'il m'estime encore,

Mais il m'avait promis qu'il m'aimerait toujours.

L'amour qui pour lui m'anime

Devient plus fort chaque jour,

160   Est-ce assez d'un peu d'estime

Pour le prix de tant d'amour.

MERCURE.

Il sent l'ardeur qu'un tendre amour inspire,

Avec plaisir il se laisse enflammer ;

Mais un amant chargé d'un grand empire

165   N'a pas toujours le temps de bien aimer.

CÉRÈS.

Quand de son coeur je devins souveraine

N'avait-il pas le monde à gouverner,

Et ne trouvait-il pas sans peine

Du temps de reste à me donner.

170   Je l'ai vu sous mes lois ce dieu si redoutable.

Je l'ai vu plein d'empressement ;

Ah ! Qu'il serait aimable,

S'il aimait constamment !

MERCURE.

Son amour craint de trop paraître,

175   Dans le ciel on l'observe avec des yeux jaloux.

CÉRÈS.

De quels dieux n'est-il pas le maître ?

Ne les fait-il pas trembler tous ?

Que vous l'excusez mal quand mon amour l'accuse ;

S'il pouvait avoir quelque excuse,

180   Mon coeur la trouverait mille fois mieux que vous.

Allez, à ses désirs il faut que je réponde.

Je quitte une paix profonde,

Qui m'offre ici mille appas :

Que ne quitterait-on pas

185   Pour plaire au maître du monde ?

Mercure répète ces deux derniers vers avec Cérès, et s'envole pour aller au ciel retrouver Jupiter.

SCÈNE III.
Arethuse, Cérès.

CÉRÈS.

La Phrygie a besoin de mes dons précieux,

Et je laisse avec vous Proserpine en ces lieux,

J'ai peine à la quitter, cette fille si chère...

ARÉTHUSE.

Je suis dans la Sicile une nymphe étrangère,

190   Je viens vous conjurer de m'en laisser partir.

CÉRÈS.

Non, Arethuse, non, je n'y puis consentir.

ARÉTHUSE.

Alphée à mon repos a déclaré la guerre :

Diane propice à mes voeux,

En vain pour me cacher à ce fleuve amoureux,

195   Fit ouvrir le sein de la terre :

Il n'est point de détours dans l'ombre des enfers

Que son amour n'ait découverts :

Je l'ai trouvé partout, et sous des mers profondes

J'ai vu ses flots brûlants suivre mes froides ondes ;

200   Je veux le fuir encore au bout de l'univers.

CÉRÈS.

Les soins d'un amour extrême

Devraient moins vous alarmer :

Vous craignez trop qu'on vous aime,

Ne craignez vous point d'aimer ?

205   Vous rougissez, Arethuse ;

Votre rougeur vous accuse.

Il est aisé de voir dans ce trouble fatal

Le péril où l'amour en ces lieux vous expose.

ARÉTHUSE.

Le dangereux amour ! Que je lui veux de mal

210   Du trouble qu'il me cause !

CÉRÈS.

Avec Alphée ici je veux vous arrêter.

ARÉTHUSE.

Eh ! De grâce, aidez-moi plutôt à l'éviter.

Je crains enfin qu'il ne m'engage,

Et sa constance me fait peur :

215   Non, si je le vois davantage,

Je ne réponds plus de mon coeur.

CÉRÈS.

Aimez sans vous contraindre,

Aimez à votre tour.

C'est déjà ressentir l'amour

220   Que de commencer à le craindre.

Arethuse chante ces deux derniers vers avec Cérès.

CÉRÈS.

Je vais voir Proserpine, et partir promptement.

Demeurez avec elle en un lieu si charmant

Pour fuir l'amour qui vous appelle

Ne cherchez plus de vains détours :

225   Aimez un amant fidèle,

On n'en trouve pas toujours

Cérès va voir Proserpine avant que de partir pour aller en Phrygie.

SCÈNE IV.

ARÉTHUSE, seule.

Vaine fierté, faible rigueur,

Que vous avez peu de puissance

Contre l'amour et la constance !

230   Vaine fierté, faible rigueur,

Ah ! Que vous gardez mal mon coeur !

En vain, par vos conseils je me fais violence :

Je combats vainement une douce langueur :

Hélas ! Vous m'engagez à faire résistance,

235   Et vous me laissez sans défense,

Au pouvoir de l'amour vainqueur ?

Vaine fierté, faible rigueur,

Que vous avez peu de puissance

Contre l'amour et la constance !

240   Vaine fierté, faible rigueur,

Ah ! Que vous gardez mal mon coeur !

Je vois Alphée, ô dieux ! Où sera mon asile !

Mon coeur est déjà charmé,

Et ma fuite est inutile ;

245   Hélas ! Qu'il est difficile

De fuir un amant aimé !

Il approche, je tremble. Ah faut-il qu'il jouisse

Du trouble honteux où je suis ?

Pardonne, amour, si je le fuis,

250   J'en ressens un cruel supplice ;

Mais n'importe, je veux l'éviter si je puis.

SCÈNE V.
Alphée, Aréthuse.

ALPHÉE.

Arrêtez, nymphe trop sévère,

Ne fuyez plus d'une course légère

Les soins trop empressés de mon coeur amoureux ;

255   N'ayez plus contre moi ni chagrin ni colère,

J'ai résolu de ne vous plus déplaire,

Et je vais étouffer mon amour malheureux.

ARÉTHUSE.

Alphée...

ALPHÉE.

Alphée enfin vous arrête, inhumaine,

Mais vous vous arrêtez pour voir briser sa chaîne.

260   C'en est fait, mes fers sont rompus.

ARÉTHUSE.

Alphée, est-il bien vrai ?

ALPHÉE.

N'en doutez point, cruelle,

Je le reprends ce coeur trop tendre et trop fidèle,

Ce coeur trop rebuté par de cruels refus.

ARÉTHUSE.

265   Alphée, est-il bien vrai que vous ne m'aimiez plus ?

ALPHÉE.

Ingrate il est trop vrai, mon coeur rompt avec peine

Des noeuds qu'il a trouvé si beaux ;

Mais de peur qu'il ne les reprenne

Je le veux engager en des liens nouveaux.

270   J'ai vu l'aimable Proserpine :

On connaît à l'éclat de sa beauté divine

Que du maître des dieux elle a reçu le jour.

Rendez-lui grâce,

C'est elle qui vous débarrasse

275   De mon fâcheux amour.

ARÉTHUSE.

Si Proserpine est belle,

Son coeur est fier et rigoureux :

Votre chaîne nouvelle

Ne vous rendra pas plus heureux.

ALPHÉE.

280   N'importe je veux bien souffrir sous son empire.

Vous ne m'avez déjà que trop accoutumé

Au rigoureux martyre

D'aimer sans être aimé.

Proserpine vous aime, et j'ose au moins prétendre

285   Que vous me servirez dans cet engagement.

Vous savez si mon coeur est tendre,

Vous avez éprouvé s'il aime constamment...

ARÉTHUSE voulant fuir Alphée qui la suit.

Non je ne veux jamais entendre

Parler ni d'amour ni d'amant.

290   Me suivrez-vous sans cesse ?

ALPHÉE.

Me fuirez-vous toujours ?

L'ingrate Arethuse me laisse

Sans espoir de secours ?

C'est un feu nouveau qui me presse...

ARÉTHUSE.

295   Me suivrez-vous sans cesse ?

ALPHÉE.

Me fuirez-vous toujours ?

SCÈNE VI.
Proserpine, Alphée, Arethuse, Cyané, Crinise, troupes de divinités et de peuples de Sicile, quatorze nymphes chantantes, six divinités des bois chantantes, six divinités des eaux chantantes, six habitants de Sicile chantants, un conducteur de la fête dansant, six habitants de Sicile dansants.
.
.

PROSERPINE.

Cérès va nous ôter sa divine présence,

Ces lieux vont perdre leurs attraits,

Cérès, favorable Cérès,

300   Faites cesser bientôt votre cruelle absence,

Cérès, favorable Cérès

Écoutez nos tristes regrets.

Le choeur répète ces derniers vers.

SCÈNE VII.
Cérès, Proserpine, Alphée, Arethuse, Cyané, Crinise, troupes de divinités et de peuples.

CÉRÈS sur son char tiré par des dragons ailés.

Vous qui voulez pour moi signaler votre zèle

Ne troublez point la paix de cet heureux séjour,

305   Je presse mon départ pour hâter mon retour ;

Accompagnez ma fille avec un soin fidèle.

Changez vos tristes chants en de charmants concerts ;

Que j'entende en partant dans le milieu des airs

Éclater la gloire nouvelle

310   Du plus grand dieu de l'univers.

Cérès fait partir son char volant.

SCÈNE VIII.
Proserpine, Alphée, Arethuse, Cyané, Crinise, troupe de divinités, troupe de peuples.

PROSERPINE et LE CHOEUR.

Célébrons la victoire

Du plus puissant des dieux.

Qu'un trophée éternel conserve la mémoire

D'un triomphe si glorieux.

315   Célébrons la victoire

Du plus puissant des dieux ;

Faisons retentir jusqu'aux cieux

Le bruit éclatant de sa gloire :

Célébrons la victoire

320   Du plus puissant des dieux.

On danse autour d'un trophée qu'on élève à l'honneur de Jupiter, et que l'on forme du débris des armes monstrueuses des gens vaincus. Sur la fin de cette fête on entend un tremblement de terre qui fait tomber une partie du palais de Cérès.

Ce palais va tomber ; ô dieux ! La terre s'ouvre !

Quels tremblements affreux !

L'enfer découvre

Ses gouffres ténébreux.

325   Jupiter lancez le tonnerre,

Renversez par de nouveaux coups

Le chef audacieux des enfants de la terre :

Il veut se relever pour s'armer contre vous,

Achevez d'étouffer la guerre.

330   Jupiter : lancez le tonnerre.

Le tonnerre tombe sur le mont Etna, qui paraît dans l'éloignement ; et ce coup achève d'accabler le chef des géants, qui s'efforçait de se relever.

ACTE II

SCÈNE I.
Crinise, Alphée.

Le théâtre, change et représente les jardins de Cérès.

CRINISE.

Jupiter a dompté les Géants pour jamais.

Ce beau séjour brille de nouveaux charmes,

Tout y ressent le retour de la paix :

Ah ! Que le repos a d'attraits

335   Après de mortelles alarmes.

ALPHÉE.

La paix dans ces beaux lieux m'offre en vain mille appas.

L'amour en rend pour moi la douceur inutile ;

Cruel amour, hélas !

Que me sert-il de voir tout le monde tranquille

340   Si mon coeur ne l'est pas ?

CRINISE.

Vous changez, vous quittez une nymphe inhumaine.

Votre coeur ne risque rien

À choisir une autre chaîne,

C'est toujours un bien

345   De changer de peine.

ALPHÉE.

Heureux qui peut être inconstant !

Rebuté des rigueurs d'une haine éternelle,

J'ai voulu la quitter cette beauté cruelle,

Et j'éprouve qu'en la quittant

350   Mon coeur est encor moins content.

J'ai feint de ressentir une flamme nouvelle,

J'ai fait voir à ses yeux un dépit éclatant ;

Mais hélas ! Dans le même instant

Je brûlais en secret, je languissais pour elle,

355   Et je ne l'aimai jamais tant.

Qu'il coûte cher d'être fidèle !

Heureux qui peut être inconstant !

Crinise et Alphée répètent ensemble ces deux derniers vers.

CRINISE.

Quelqu'un vient, gardez le silence.

ALPHÉE.

C'est Ascalaphe qui s'avance

360   Pour quelque soin pressant il quitte les enfers :

Il n'a de mon amour que trop de connaissance,

Où n'ai-je point porté la honte de mes fers ?

SCÈNE II.
Ascalaphe, Alphée.

ALPHÉE.

Venez goûter ici le doux air qu'on respire.

ASCALAPHE.

Je dois suivre le dieu de l'infernal empire.

365   La terre par ses tremblements

Vient d'ébranler les fondements

De nos demeures sombres :

Pluton a voulu voir si la clarté des cieux

Ne s'ouvre point de passage en ces lieux

370   Pour aller aux enfers effaroucher les ombres.

Il me permet de voir Arethuse un moment.

ALPHÉE.

D'où vous vient tant d'empressement ?

ASCALAPHE.

Je l'ai vue aux enfers ; que je la trouvais belle !

ALPHÉE.

L'ingrate me fuyait, elle est toujours cruelle.

ASCALAPHE.

375   Ses cruautés pour vous, ses soins pour fuir vos pas

Ont encore à mes yeux augmenté ses appas.

ALPHÉE.

Les flammes amoureuses

Descendent-elles jusqu'à vous ?

L'amour veut un séjour plus doux

380   Que vos demeures ténébreuses.

ASCALAPHE.

L'astre brillant qui vous luit

Finit son cours dans les ondes,

Il ne peut percer la nuit

De nos demeures profondes ;

385   Mais il n'est point de séjour

Impénétrable à l'amour.

ALPHÉE.

Qu'espérez-vous d'une âme si sévère ?

Mon amour ne peut l'émouvoir.

ASCALAPHE.

Si vous ne savez pas le secret de lui plaire

390   Un autre pourra le savoir.

ALPHÉE.

Saurez-vous de son coeur vaincre la résistance ?

Est-ce aux enfers qu'on apprend ce secret ?

ASCALAPHE.

On apprend aux enfers à garder le silence,

Et l'on y sait être discret ;

395   La nymphe que je cherche avec soin vous évite,

Pour la trouver, il faut que je vous quitte.

SCÈNE III.

ALPHÉE, seul.

Amants qui n'êtes point jaloux,

Que votre sort est doux !

L'amour m'a fait gémir sous une dure chaîne ;

400   Mais quand je me plaignais de ses funestes coups

Je ne connaissais pas le plus cruel de tous.

Un autre aime Arethuse et ne craint point sa haine ;

Et je vois sur moi seul tomber tout son courroux :

C'était peu du malheur d'aimer une inhumaine,

405   Le bonheur d'un rival a redoublé ma peine.

Amants qui n'êtes point jaloux,

Que votre sort est doux !

SCÈNE IV.
Alphée, Arethuse.

ALPHÉE.

Ingrate, écoutez-moi, je ne veux plus me plaindre,

Je ne vous dirai rien qui vous puisse alarmer.

ARÉTHUSE.

410   Vous cessez de m'aimer,

Je cesse de vous craindre.

ALPHÉE.

Ascalaphe vous cherche ici,

Bientôt vous le verrez paraître ;

Arethuse, peut-être,

415   Vous le cherchez aussi.

ARÉTHUSE.

L'aimable Proserpine en votre âme a fait naître

Une nouvelle ardeur ;

Si vous ne m'aimez plus, que vous sert de connaître

Le secret de mon coeur ?

ALPHÉE.

420   Faut-il que votre coeur à l'amour moins rebelle

Récompense un amant sans éprouver sa foi ?

Si ce bien eût été le prix du plus fidèle,

Ah ! Vous savez, cruelle,

Qu'il n'était dû qu'à moi.

ARÉTHUSE.

425   Votre nouvelle chaîne est si belle et si forte !

Pourquoi songer encore à des liens rompus.

Que vous importe

Qu'un autre emporte

Un prix qui ne vous touche plus ?

ALPHÉE.

430   Vous avez fui les soins de mon amour extrême,

Vous m'avez ôté tout espoir :

Si je disais que je vous aime,

Vous m'ôteriez encor le plaisir de vous voir.

ARÉTHUSE et ALPHÉE.

C'est une autre que moi qui règne dans votre âme,

435   C'est un autre que moi qui règne dans votre âme,

Vous trouvez d'autres noeuds plus doux :

En vain je veux cacher ma flamme,

Mon amour paraît trop dans mes transports jaloux ;

Non, je ne puis aimer que vous.

SCÈNE V.
Ascalaphe, Aréthuse, Alphée.

ARÉTHUSE.

440   Est-il vrai que mon coeur soit en votre puissance ?

ASCALAPHE.

Je vous aime sans espérance ;

J'ai voulu soulager mon mal

Par le chagrin de mon rival.

Dans les enfers, c'est ainsi qu'on en use :

445   Mes maux n'ont pu trouver d'autre adoucissement.

Pardonnez-moi, belle Arethuse,

Je ne suis pas le seul qui se vante en aimant

De posséder un coeur qu'on lui refuse.

Mais Alphée aujourd'hui n'est plus tant rebuté ?

450   Vous ne fuyez plus sa présence ?

ARÉTHUSE.

Pour punir votre vanité

Je veux que vous voyez triompher sa constance.

ASCALAPHE.

En lui donnant la préférence,

Vous me rendez la liberté.

455   Le dépit qui me possède

Me guérira promptement,

Vous en faites mon tourment,

Et j'en ferai mon remède.

ALPHÉE et ARÉTHUSE.

Pour être heureux, il faut qu'on aime bien.

ASCALAPHE.

460   Pour être heureux il faut qu'on n'aime rien.

Mais Pluton va bientôt rentrer dans son empire :

Il passe en ces lieux, il admire

Les charmes d'un séjour si doux.

SCÈNE VI.
Pluton, Aréthuse, Ascalaphe, Alphée.

PLUTON.

Demeurez Arethuse, Alphée éloignez-vous.

465   Alphée se retire, et Pluton continue à parler.

Les efforts d'un géant qu'on croyait accablé

Ont fait encor frémir le ciel, la terre, et l'onde

Mon Empire s'en est troublé ;

Jusqu'au centre du monde

470   Mon trône en a tremblé.

L'affreux Typhoée avec sa vaine rage

Trébuche enfin dans des gouffres sans fonds.

L'éclat du jour ne s'ouvre aucun passage

Pour pénétrer les royaumes profonds

475   Qui me sont échus en partage.

Le ciel ne craindra plus que ses fiers ennemis

Se relèvent jamais de leur chute mortelle,

Et du monde ébranlé par leur fureur rebelle

Les fondements sont raffermis :

480   Je puis faire goûter une paix éternelle

Aux peuples souterrains que le sort m'a soumis.

Mais par vos soins puis-je voir Proserpine

Avant que de quitter cet aimable séjour ?

ARÉTHUSE.

Cette fière beauté s'obstine

485   À fuir les amants et l'amour.

Dans l'innocent repos de cette solitude

Elle évite les dieux

De la terre et des cieux :

Jugez de son inquiétude

490   Si le Dieu des Enfers paraissait à ses yeux.

Caché sous cet épais feuillage

Vous pourriez la voir un moment.

PLUTON.

Allez, il suffira que votre soin l'engage

À venir dans ce lieu charmant,

495   Et si je puis la voir il n'importe comment.

SCÈNE VII.
Pluton, Ascalaphe.

ASCALAPHE.

J'ai peine à concevoir d'où vient le trouble extrême

Où le coeur de Pluton semble s'abandonner.

PLUTON.

Tu peux t'en étonner,

J'en suis surpris moi-même

500   J'ai trouvé Proserpine en visitant ces lieux.

Les pleurs coulaient de ses beaux yeux :

Elle fuyait, interdite, et tremblante ;

Pour implorer l'assistance des dieux

Elle tournait ses regards vers les cieux :

505   Sa douleur et son épouvante

Rendaient encor sa beauté plus touchante.

Les accents plaintifs de sa voix

Ont ému mon coeur inflexible ;

Qu'un coeur fier est troublé quand il devient sensible

510   Pour la première fois !

ASCALAPHE.

Contre l'amour quel coeur peut se défendre ?

Le temps d'aimer n'est pas connu,

Il faut l'attendre ;

Quand ce temps fatal est venu,

515   Il faut se rendre.

Contre l'amour quel coeur peut se défendre ?

PLUTON.

De ce dieu si puissant je méprisais les feux,

J'éprouve enfin sa vengeance cruelle.

Je l'ai vu ce dieu dangereux,

520   Il suivait Proserpine, il volait après elle.

J'ai vu de sa fatale main

Partir un trait de flamme,

J'ai voulu l'éviter en vain,

Le coup a pénétré jusqu'au fond de mon âme.

ASCALAPHE.

525   L'amour a surmonté le maître des enfers ;

Il n'a plus rien à vaincre après cette victoire.

Pluton et Ascalaphe.

L'amour comblé de gloire

Triomphe de tout l'univers.

SCÈNE VIII.
Proserpine, Cyané, Arethuse, Pluton, Ascalaphe, troupe de nymphes, quatorze nymphes de la suite de Proserpine chantantes, huit nymphes dansantes.

PROSERPINE et ses NYMPHES.

Les beaux jours et la paix

530   Sont revenus ensemble.

PLUTON.

La troupe des nymphes s'assemble,

Retirons-nous sous ce feuillage épais.

Pluton et Ascalaphe se retirent et se cachent, et Proserpine et ses nymphes s'avancent en dansant et en chantant.

PROSERPINE et ses NYMPHES.

Les beaux jours et la paix

On ne voit plus de coeur qui tremble,

535   Tout rit dans ces lieux pleins d'attraits.

Les beaux jours et la paix

Sont revenus ensemble.

Proserpine et ses nymphes continuent leurs danses et leurs chants.

PROSERPINE.

Belles fleurs, charmant ombrage

Il ne faut aimer que vous.

LE CHOEUR.

540   On ne trouve rien de doux

Quand on est dans l'esclavage.

PROSERPINE.

Belles fleurs, charmant ombrage

Il ne faut aimer que vous.

LE CHOEUR.

Les amants n'ont en partage

545   Que langueurs, que soins jaloux.

PROSERPINE.

Belles fleurs, charmant ombrage

Il ne faut aimer que vous.

LE CHOEUR.

Belles fleurs charmant ombrage,

Il ne faut aimer que vous.

PROSERPINE.

550   Quand un coeur est trop sensible,

Rien ne peut le rendre heureux.

LE CHOEUR.

Dans les plus aimables noeuds

On n'a point de bien paisible.

PROSERPINE.

Quand un coeur est trop sensible,

555   Rien ne peut le rendre heureux.

LE CHOEUR.

C'est toujours un mal terrible

Que l'ardeur des plus beaux feux.

PROSERPINE.

Quand un coeur est trop sensible,

Rien ne peut le rendre heureux.

LE CHOEUR.

560   Quand un coeur est trop sensible

Rien ne peut le rendre heureux.

PROSERPINE.

Que notre vie

Doit faire envie !

Le vrai bonheur

565   Est de garder son coeur.

Le jour n'éclaire

Que pour nous plaire,

Ces arbres verts.

Ont leur plus beau feuillage,

570   Et mille oiseaux divers

Dans ce bocage

Imitent nos concerts

Par leur ramage ;

Que notre vie

575   Doit faire envie !

Le vrai bonheur

Est de garder son coeur.

Tout s'intéresse

Dans nos désirs,

580   Jamais l'amour ne nous blesse,

Les doux plaisirs

Sont pour les coeurs sans faiblesse.

Que notre vie

Doit faire envie !

585   Le vrai bonheur

Est de garder son coeur.

LE CHOEUR.

Que notre vie

Doit faire envie !

Le vrai bonheur

590   Est de garder son coeur.

Pour nous défendre

D'un amour tendre,

Avec fierté,

Nous avons pris les armes :

595   Nos biens n'ont point coûté

De tristes larmes,

La liberté

N'a jamais que des charmes :

Que notre vie, etc.

PROSERPINE.

600   Nous reverrons bientôt Cérès dans ces beaux lieux,

Il faut lui préparer des guirlandes nouvelles.

Séparons-nous ; voyons qui sait le mieux

Assortir les fleurs les plus belles.

CHOEUR DE NYMPHES.

Voyons qui sait le mieux

605   Assortir les fleurs les plus belles.

Les nymphes s'écartent, Proserpine et Cyané cueillent des fleurs.

SCÈNE IX.
Pluton, Proserpine, Ascalaphe, Cyané, troupe de divinités des enfers, huit divinités infernales chantantes.

PLUTON.

Infernales divinités

Secondez mon amour, sortez.

Une troupe de divinités infernales sort de la terre, et le char de Pluton paraît en même temps.

PROSERPINE.

Ciel ! Prenez ma défense !

PROSERPINE et CYANÉ.

Ô ciel ! Protégez l'innocence !

PLUTON, ASCALAPHE, et les divinités infernales.

610   Proserpine ne craignez pas

Un dieu charmé de vos appas.

CYANÉ retenant Proserpine.

Qu'elle barbare violence !

PLUTON.

Nymphe, crains ma vengeance :

Sur peine de perdre la voix.

615   Garde-toi de parler de tout ce que tu vois.

L'écharpe de Proserpine demeure dans les mains de Cyané, et Pluton fait placer Proserpine près de lui sur son char.

PROSERPINE.

Ciel ! Prenez ma défense !

PROSERPINE et CYANÉ.

Ô ciel ! Protégez l'innocence !

PLUTON, ASCALAPHE, et les divinités infernales descendant aux enfers avec Proserpine.

Proserpine, ne craignez pas,

Un dieu charmé de vos appas.

ACTE III

SCÈNE I.
Alphée, Aréthuse, Crinise, troupe de nymphes, troupe de dieux des bois.

Le théâtre change, et représente le mont Etna vomissant des flammes, et les lieux d'alentour.

TOUS ENSEMBLE.

620   Proserpine ? Répondez-nous ?

Hélas ! En quels lieux êtes-vous ?

Ô disgrâce cruelle !

L'écho fidèle

Au fond des bois

625   Répond à notre voix ;

Proserpine ? Ah faut-il qu'en vain on vous appelle !

Proserpine ? Répondez-nous ?

Hélas ! En quels lieux êtes-vous ?

SCÈNE II.
Arethuse, Alphée.

ARÉTHUSE.

N'aurais-je point innocemment

630   Causé tant de cris et de larmes ?

D'un désir curieux je n'ai point pris d'alarmes ;

Qui croirait que Pluton put devenir amant !

Il demandait à voir Proserpine un moment,

Je crains qu'il n'ait trop vu ses charmes,

635   Ce n'est que par mes soins que Cérès peut savoir

Si le dieu des enfers tient sa fille captive ;

Il m'est permis d'aller sur l'infernale rive :

Adieu, dans peu de temps j'espère vous revoir.

ALPHÉE.

Pouvez-vous oublier qu'il faut que je vous suive ?

640   J'ai sans cesse suivi vos pas

Quand j'excitais votre colère :

Quand j'ai cessé de vous déplaire

Pourrais-je ne vous suivre pas ?

ARÉTHUSE.

Du maître des enfers je veux aller me plaindre,

645   Craignez en me suivant d'attirer son courroux.

ALPHÉE.

Pour moi rien n'est tant à craindre

Que d'être éloigné de vous.

Que l'absence de ce qu'on aime

Est un supplice rigoureux !

650   Pour les coeurs amoureux,

Tout autre mal cède à ce mal extrême,

Et l'enfer même

N'a rien de plus affreux

Que l'absence de ce qu'on aime.

ALPHÉE et ARÉTHUSE.

655   Le bonheur est partout où l'amour est en paix,

Ne nous quittons jamais.

SCÈNE III.
Alphée, Aréthuse, Crinise, troupes de nymphes et de dieux des bois.

TOUS ENSEMBLE.

Cérès revient ! Ah qu'elle peine !

Cachons-nous à ses yeux.

Sa fille n'est plus dans ces lieux ;

660   Son espérance est vaine.

Que lui pourrons-nous dire, ô dieux !

Cérès revient ; ah quelle peine !

Cachons-nous à ses yeux,

Les nymphes et les dieux des bois se cachent, Alphée et Arethuse descendent aux enfers, le char volant de Cérès s'arrête, et la déesse en descend.

SCÈNE IV.

CÉRÈS.

Je vais revoir ma fille, elle est dans ces campagnes :

665   Je viens d'y voir les nymphes ses compagnes.

Je vais goûter près d'elle un sort doux et charmant.

Hélas ! Qu'un tendre amour accroît l'empressement

De la tendresse maternelle.

Proserpine est pour moi le gage précieux

670   De l'amour le plus grand des dieux,

C'est Jupiter que j'aime en elle.

J'ai rendu les humains heureux,

Mes travaux ont comblé leurs voeux ;

Il m'est permis enfin d'être heureuse moi-même :

675   Après avoir acquis un immortel honneur,

Quand chacun par mes soins goûte un bonheur extrême

Qu'il m'est doux de songer à mon propre bonheur.

Les nymphes de ces lieux semblent fuir ma présence :

Proserpine ? Ma fille ? Ah quel triste silence !

680   Est-ce ainsi qu'on devait dans cet heureux séjour

Se réjouir de mon retour ?

Venez, nymphes, venez, que ma fille s'avance.

Venez, dieux des bois, venez-tous.

SCÈNE V.
Cérès, Crinise, troupes de nymphes et de dieux des bois.

CÉRÈS.

Ma fille n'est pas avec vous !

685   Quoi, donc, est-ce le soin que vous en deviez prendre ?

Rendez-moi Proserpine. Au lieu de me la rendre,

Vous m'offrez seulement des soupirs et des pleurs ?

LE CHOEUR.

Ô Cérès ! Ô mère trop tendre !

Ah quelles seront vos douleurs.

CÉRÈS.

690   Ciel ! On m'ôte ma fille ! Et qui l'ose entreprendre ?

DEUX NYMPHES.

Nous n'avons pu l'apprendre,

Et l'on a pris le temps que nous cueillions des fleurs.

CÉRÈS.

J'ai cru qu'un doux repos devait ici m'attendre,

Et je n'y trouve, hélas ! Que de cruels malheurs.

LE CHOEUR.

695   Ô Cérès ! Ô mère trop tendre !

Ah ! Quelles seront vos douleurs !

SCÈNE VI.
Cyané, Cérès, Crinise, troupes de nymphes et de dieux champêtres.

CYANÉ.

Je ressens vos ennuis, et j'en suis trop atteinte,

Quoiqu'il puisse arriver, vous allez tout savoir.

Il faut que mon devoir

700   L'emporte sur ma crainte.

CÉRÈS.

Parle, ma chère Cyané ;

Soulage un coeur infortuné.

CYANÉ.

J'ai suivi Proserpine, et j'ai pris sa défense !

Hélas tous mes efforts pour elle ont été vains !

705   Son écharpe est entre mes mains...

CÉRÈS.

Ce cher et triste objet presse encore ma vengeance.

Hâte-toi de nommer l'ennemi qui m'offense.

CYANÉ.

C'est... c'est...

CÉRÈS.

Achève.

CYANÉ.

C'est...

CÉRÈS et LE CHOEUR.

Ah ! Quel malheur nouveau !

Cyané perd la voix et n'est plus qu'un ruisseau.

SCÈNE VII.
Cérès, Crinise, Troupe de nymphes, et de dieux des bois.

CÉRÈS.

Ô malheureuse mère !

LE CHOEUR.

710   Ô trop malheureuse Cérès !

CÉRÈS.

Les dieux n'ont pu souffrir qu'une nymphe sincère

M'ait découvert mes ennemis secrets.

Je ne saurai donc pas sur qui lancer les traits

De ma juste colère ?

715   On me ravit une fille si chère !

Jupiter dans les cieux sourd à mes vains regrets

Ne ressent plus qu'il est son père !

Ô malheureuse mère !

LE CHOEUR.

Ô trop malheureuse Cérès !

CÉRÈS.

720   Ah ! Qu'elle injustice cruelle !

Ô dieux pourquoi m'arrachez-vous

Un bien que je trouvais si doux ?

De cette audace criminelle

Est-ce Apollon ou Mars que je dois soupçonner ?

725   Leurs mères en fureur n'ont pu me pardonner

D'avoir une fille si belle.

Dois-je accuser l'amour, et sert-il aujourd'hui

À me ravir un bien que je tenais de lui ?

Trahirait-il mon coeur fidèle ?

730   Ah ! Quelle injustice cruelle !

Ô dieux ! Pourquoi m'arrachez-vous

Un bien que je trouvais si doux ?

Par mes soins, les champs de Cybele

De fruits, et de moissons viennent d'être couverts ;

735   De mes dons précieux la richesse nouvelle

Brille par mes travaux en cent climats divers,

Et quand de tant de biens j'ai comblé l'univers,

Les dieux percent mon coeur d'une douleur mortelle.

Ah ! Quelle injustice cruelle !

740   Ô dieux pourquoi m'arrachez-vous

Un bien que je trouvais si doux.

Après un si sensible outrage,

Mon coeur désespéré s'abandonne à la rage.

Du monde trop heureux je veux troubler la paix :

745   Brûlons, ravageons-tout, détruisons mes bienfaits.

SCÈNE VIII.
Cérès, troupes de nymphes et de dieux champêtres, troupe de suivants de Cérès, troupe de peuples de Sicile.

Les suivants de Cérès rompent les arbres et en prennent des branches et en font des flambeaux qu'ils allument au feu qui sort du mont Etna. Ils en brûlent les bleds, malgré les efforts et les cris des nymphes, des dieux champêtres, et des peuples. Huit suivants de Cérès portants des flambeaux allumés dansants, quatre habitants de Sicile dansants.

CÉRÈS tenant deux flambeaux allumez.

Que tout se ressente

De la fureur que je sens.

LE CHOEUR des dieux champêtres et des peuples.

Quel crime avons-nous fait ? Divinité puissante,

Écoutez les clameurs des peuples gémissants.

CÉRÈS.

750   J'ai fait du bien à tous, ma fille est innocente,

Et pour toucher les dieux, nos cris sont impuissants ;

J'entendrai sans pitié les cris des innocents :

Que tout se ressente

De la fureur que je sens.

LE CHOEUR.

755   Ah ! Quelle épouvantable flamme !

Ah ! Quel ravage affreux !

CÉRÈS.

Portons partout l'horreur qui règne dans mon âme.

Portons partout d'horribles feux.

LE CHOEUR.

Ah ! Quelle épouvantable flamme !

760   Ah ! Quel ravage affreux !

ACTE IV

SCÈNE I.
Ombres heureuses, quatorze ombres heureuses chantantes, six ombres jouant la flûte.

Le théâtre change, et représente les Champs Élysées.

CHOEUR DES OMBRES HEUREUSES.

Loin d'ici, loin de nous,

Tristes ennuis, importunes alarmes :

Gardez-vous, gardez-vous

D'interrompre la paix dont nous goûtons les charmes ;

765   Gardez-vous, gardez-vous

De troubler un bonheur si doux.

DEUX OMBRES HEUREUSES.

Ô ! Bienheureuse vie !

Vous ne nous serez point ravie.

Ô ! Doux plaisirs dont nos voeux sont comblés !

770   Vous ne serez jamais troublés.

DEUX AUTRES OMBRES HEUREUSES.

Ah que ces demeures sont belles !

Que nous y passons d'heureux jours !

Quelle félicité pour les amants fidèles !

Ici les amours éternelles

775   Ont toujours les douceurs des nouvelles amours.

Ah que ces demeures sont belles !

Que nous y passons d'heureux jours.

DEUX AUTRES OMBRES HEUREUSES.

Dans ces beaux lieux, tout nous enchante,

Les plaisirs y suivent nos pas ;

780   Et plus on en jouit, plus le désir augmente

D'en goûter les appas.

LE CHOEUR des OMBRES HEUREUSES.

Ô bien-heureuse vie !

Vous ne nous serez point ravie.

Ô ! Doux plaisirs dont nos voeux sont comblés !

785   Vous ne serez jamais troublés.

SCÈNE II.
Proserpine, Ascalaphe, les ombres heureuses.

PROSERPINE.

Ma chère liberté que vous aviez d'attraits !

En vous perdant, hélas ! Que mon âme est atteinte

De douleur, de trouble, et de crainte !

Ma chère liberté que vous aviez d'attraits !

790   Faut-il vous perdre pour jamais ?

Ombres que j'interromps, souffrez ma triste plainte,

Ce n'est pas pour mon coeur que vos plaisirs sont faits :

Plaignez-vous avec moi du dieu qui m'a contrainte

De troubler la douceur de votre heureuse paix.

795   Ma chère liberté que vous aviez d'attraits !

En vous perdant, hélas ! Que mon âme est atteinte !

De douleur, d'amour, et de crainte !

Ma chère liberté que vous aviez d'attraits !

Faut-il vous perdre pour jamais ?

ASCALAPHE.

800   Aimez qui vous aime,

Rien n'est si charmant.

Pluton n'est pas un dieu sujet au changement,

Il vous offre son coeur avec son diadème.

Aimez qui vous aime,

805   Rien n'est si charmant.

Les ombres répètent ces deux derniers vers.

PROSERPINE.

Que n'est-il satisfait de sa grandeur suprême,

J'étais heureuse sans amant ;

Mon coeur se contentait de régner sur lui-même.

LES OMBRES.

Rien n'est si charmant.

PROSERPINE.

810   Ah ! Sans la liberté, sans sa douceur extrême,

Tout autre bien est un cruel tourment.

LES OMBRES.

Aimez qui vous aime,

Rien n'est si charmant.

SCÈNE III.
Aréthuse, Alphée, Proserpine, Ascalaphe.

PROSERPINE.

Est-ce une illusion dont le charme m'abuse,

815   Est-ce toi, ma chère Arethuse ?

ARÉTHUSE et ALPHÉE.

Pluton veut qu'avec vous nous demeurions ici ;

Nous suivons sans effort la loi qu'il nous impose.

Ce dieu veut soulager le chagrin qu'il vous cause,

Et croit que par nos soins il peut être adouci.

820   Il attend pour vous voir que de votre colère

Les premiers transports soient calmés.

Le dieu que vous charmez

Ne songe qu'à vous plaire.

PROSERPINE.

Que devient pour l'amour ton mépris éclatant ?

825   Cet amant près de toi goûte un bonheur paisible.

ARÉTHUSE.

Rien n'est impossible

À l'amour constant.

En vain je présumais tant

D'avoir un coeur invincible,

830   Rien n'est impossible

À l'amour constant.

ALPHÉE.

Qu'un amant fidèle est content

D'engager ce qu'il aime à devenir sensible !

ALPHÉE et ARÉTHUSE.

Rien n'est impossible

835   À l'amour constant.

ASCALAPHE.

Pluton pourra trouver un favorable instant

Ou son amour pour vous deviendra moins terrible.

ASCALAPHE, ALPHÉE et ARÉTHUSE.

Rien n'est impossible

À l'amour constant.

840   Voyez ce beau séjour, ces charmantes campagnes,

Ces vallons écartés, ces paisibles forêts.

PROSERPINE.

Ne reverrai-je plus Cérès ?

Ne reverrai-je plus mes fidèles compagnes ?

ASCALAPHE.

Vous avez par malheur goûté de quelques grains

845   D'un fruit de ces lieux souterrains.

ALPHÉE et ARÉTHUSE.

Pluton le sait, il vient de nous le dire.

ASCALAPHE.

J'ai pris soin de l'en avertir.

Par l'arrêt du destin, le dieu de cet empire

Peut vous voir désormais autant qu'il le désire.

ASCALAPHE, ALPHÉE et ARÉTHUSE.

850   Jamais s'il n'y veut consentir,

Du séjour des enfers vous ne pourrez sortir.

PROSERPINE.

Je ne verrai jamais la lumière céleste !

Dans une ardente soif, par un secours funeste,

C'est toi qui m'as montré ce fruit si dangereux :

855   Tu m'as caché l'arrêt du destin rigoureux ;

Perfide, c'est toi qui m'abuse,

Et c'est toi-même qui m'accuse ?

Ah ! Du moins, le destin exaucera les voeux

De ma juste vengeance :

860   Tu ne surprendras plus la crédule innocence ;

Tu seras un objet affreux,

Et d'un présage malheureux ;

Va, cruel, va languir dans l'horreur des ténèbres ;

Va, deviens, s'il se peut, aussi triste que moi.

865   Que tes cris soient des cris funèbres ;

Que le sombre chagrin, que le mortel effroi ;

Ne se lassent jamais de voler après toi.

Ascalaphe se transforme en hibou, et s'envole.

SCÈNE IV.
Pluton, Proserpine.

PROSERPINE.

Venez-vous contre moi défendre un téméraire ?

PLUTON.

870   Votre pouvoir ici ne sera point borné ;

On n'est point innocent quand on peut vous déplaire :

Épuisez, s'il se peut sur cet infortuné,

Tous les traits de votre colère.

PROSERPINE.

Tout ressent ici bas mon trouble et ma terreur :

875   Les ombres sans trembler ne peuvent plus m'entendre,

Ne souffrez pas que ma fureur

De cet heureux séjour, fasse un séjour d'horreur,

À la clarté du ciel, hâtez-vous de me rendre.

PLUTON.

Ne regrettez point tant la lumière des cieux.

880   Des astres faits pour nous éclairent ces beaux lieux ;

Jamais un verdoyant feuillage

Ne cesse de parer les arbres de nos bois,

Sans cesse dans nos champs nous trouvons à la fois

Des fruits, des fleurs, et de l'ombrage,

885   Et le temps affreux des frimas

Est la seule saison que l'on n'y connaît pas.

PROSERPINE.

Mon triste coeur ne peut connaître

La douceur des appas qu'on voit ici paraître,

Hélas ! Ces lieux si beaux où je frémis d'effroi,

890   Sont toujours les enfers pour moi.

PLUTON.

Je suis roi des enfers, Neptune est le roi de l'onde,

Nous regardons avec des yeux jaloux

Jupiter plus heureux que nous ;

Son sceptre est le premier des trois sceptres du monde.

895   Mais si de votre coeur j'étais victorieux,

Je serais plus content d'adorer vos beaux yeux

Au milieu des enfers dans une paix profonde,

Que Jupiter le plus heureux des dieux

N'est content d'être roi de la terre et des cieux.

PROSERPINE.

900   Que deviendra Cérès à qui je suis si chère ?

Qu'elle surprise ! Hélas ! Quelle douleur amère !

Hélas !

PLUTON.

Ne donnerez-vous

Des soupirs qu'à votre mère ?

Aimez, beauté trop sévère,

905   Les soupirs d'amour sont doux.

PROSERPINE.

D'un insensible coeur que pouvez-vous attendre ?

PLUTON.

J'ignorais le pouvoir des traits qui m'ont surpris,

Mon coeur ne connaissait rien de doux ni de tendre.

Ne pourrai-je vous apprendre

910   Ce que vous m'avez appris ?

PROSERPINE.

Dieu cruel ! Vous n'aimez que les pleurs et les cris.

Deviez-vous aux enfers me contraindre à descendre ?

Vous m'ôtez le bonheur qui m'était destiné ?

PLUTON.

Est-ce à moi qu'il faut vous en prendre ?

915   Accusez-en l'amour que vous m'avez donné.

PROSERPINE.

Voulez-vous me causer d'éternelles alarmes ?

PLUTON.

Voulez-vous me causer d'éternels déplaisirs ?

PROSERPINE.

Laissez-moi suivre en paix mes innocents désirs.

PLUTON.

Laissez-moi la douceur de voir toujours vos charmes

PROSERPINE.

920   Voyez couler mes larmes.

PLUTON.

Écoutez mes soupirs.

Pluton et Proserpine ensemble.

PLUTON.

Mon amour fidèle

Ne touche point votre coeur ?

Ah ! Quelle rigueur !

PROSERPINE.

925   Ma douleur mortelle

Ne touche point votre coeur ?

Ah ! Quelle rigueur !

PLUTON.

N'importe, fussiez-vous cent fois plus inhumaine,

Mon amour entreprend de vaincre votre haine.

SCÈNE V.
Pluton, Proserpine, choeur d'ombres bienheureuses, choeur de divinités infernales, quatorze divinités infernales de la suite de Pluton chantantes, les trois juges des enfers, quatre divinités infernales dansantes, quatre ombres heureuses dansantes.

Les ombres heureuses et les divinités infernales rendent hommage à Proserpine, et lui apportent de riches présents : elles témoignent leur joie par leurs danses et par leurs chansons.

PLUTON.

930   Que l'on suspende ici les tourments éternels

Des plus criminels :

Qu'aux enfers en ce jour tout soit exempt de peine.

Vous qu'un heureux repos suit après le trépas,

Et vous, dieux, mes sujets, venez, hâtez vos pas,

935   Rendez hommage à votre reine :

Admirez ses divins appas.

Régnez aimable souveraine,

Régnez à jamais ici bas.

Les CHOEURS des OMBRES HEUREUSES et des DIVINITÉS INFERNALES.

Rendons hommage à notre reine,

940   Admirons ses divins appas.

Régnez, aimable souveraine,

Régnez à jamais ici-bas.

CHOEUR DES OMBRES HEUREUSES.

C'est assez de regrets ;

C'est verser trop de larmes,

945   Goûtez les attraits

Du destin plein de charmes,

Pluton aime mieux que Cérès.

Une mère

Vaut-elle un époux ?

950   L'amour doit toujours plaire,

Les soins en sont doux.

Un coeur est trop sauvage

S'il change l'usage

D'un bien si charmant,

955   Et c'est grand dommage

D'en faire un tourment.

Triomphez dans ces lieux :

C'est pour vous que soupire

L'un des plus grands dieux,

960   Possédez son empire.

Tout cède au pouvoir de vos yeux.

Une mère

Vaut-elle un époux, etc.

Les CHOEURS des DIVINITÉS INFERNALES et des OMBRES HEUREUSES.

Dans les enfers

965   Tout rit, tout chante ;

On vous doit, beauté charmante,

La douceur de nos concerts.

Un dieu sévère

Par vos yeux est enflammé,

970   Tout son empire vous révère ;

Qu'il est doux d'avoir charmé

Un coeur qui n'a jamais aimé.

Que vos appas

Auront de gloire !

975   Ils étendent leur victoire

Jusqu'où règne le trépas.

Un dieu sévère, etc.

ACTE V

SCÈNE I.
Pluton, les trois juges des enfers, les trois furies, troupe de divinités infernales, Les trois furies.

Le théâtre change, et représente le palais de Pluton.

PLUTON.

Vous qui reconnaissez ma suprême puissance,

Donnez-moi des conseils, donnez-moi du secours.

980   L'orgueilleux Jupiter m'offense,

Il veut rompre aujourd'hui l'heureuse intelligence

Que nous avions juré de conserver toujours.

Les dieux ont aimé tous, et le Dieu du ciel-même

S'est laissé cent fois enflammer.

985   C'est la première fois que j'aime,

Et l'on veut me ravir ce qui ma su charmer.

Ah ! C'est une rigueur extrême

De condamner un coeur à ne jamais aimer.

C'est votre reine qu'on demande :

990   Jupiter veut que je la rende,

Et Mercure prétend l'enlever d'ici bas.

Pouvons-nous endurer que l'on nous la ravisse ?

LE CHOEUR.

Non, non, c'est une injustice

Que nous ne souffrirons-pas.

PLUTON.

995   Et par quel droit faut-il que Jupiter s'obstine

À troubler le bonheur que l'amour me destine ?

Mon pouvoir n'est-il pas indépendant du sien ?

Gardons Proserpine,

Les enfers ne rendent rien.

Le choeur répète ces deux vers.

LES TROIS JUGES DES ENFERS.

1000   Proserpine a goûté des fruits de votre empire,

Elle est à vous, on ne peut vous l'ôter.

Aux arrêts du destin les dieux doivent souscrire,

C'est vainement qu'on y veut résister.

PLUTON.

Que le ciel menace, qu'il tonne ;

1005   Il faut que rien ne nous étonne,

Nous avons pour nous en ce jour,

Les destins et l'amour.

Le choeur répète ces quatre vers.

LES TROIS FURIES.

Plutôt que de souffrir l'injure

Que le ciel veut faire aux enfers,

1010   Renversons toute la nature

Périsse l'univers.

Le choeur répète les deux derniers vers.

UNE DES FURIES.

Retirons les géants de leur prison obscure ;

Des titans enchaînés il faut briser les fers :

LES FURIES et LE CHOEUR.

Renversons toute la nature,

1015   Périsse l'univers.

SCÈNE II.

Le théâtre change, et représente une solitude.

CÉRÈS seule.

Déserts écartés, sombres lieux,

Cachez mes soupirs et mes larmes.

Mon désespoir a trop de charmes

Pour les impitoyables dieux.

1020   Déserts écarté, sombres lieux,

Cachez mes soupirs, et mes larmes.

Les dieux étaient jaloux de mon sort glorieux ;

C'est un doux spectacle à leurs yeux

Que les malheurs cruels dont je suis poursuivie :

1025   Ils se font un plaisir de mes cris furieux ;

Jupiter m'a livrée à leur barbare envie :

Jupiter me trahit, ma fille m'est ravie.

Je perds ce que j'aimais le mieux ;

Infortunée, hélas ! Le jour m'est odieux,

1030   Et je suis pour jamais condamnée à la vie.

Ah ! Je ne puis souffrir la lumière des cieux !

Mon désespoir a trop de charmes

Pour les impitoyables dieux ;

Déserts écartés, sombres lieux,

1035   Cachez mes soupirs, et mes larmes.

SCÈNE III.
Cérès, Voix infernales.

CÉRÈS.

Quels abîmes se sont ouverts ?

Qu'entends-je ? Quel affreux murmure !

VOIX INFERNALES.

Renversons toute la nature.

Périsse l'univers.

CÉRÈS.

1040   Le ciel n'est point touché des maux que j'ai soufferts,

L'enfer prendrait-il part aux peines que j'endure.

VOIX INFERNALES.

Renversons toute la nature.

Périsse l'univers.

Cérès répète ce dernier vers.

SCÈNE IV.
Alphée, Arethuse, Cérès.

Alphée et Arethuse sortent des enfers.

CÉRÈS.

Ne m'apprendrez-vous point où ma fille peut être ?

ARÉTHUSE.

1045   Votre ennemi secret veut se faire connaître ;

Enfin vous pouvez tout savoir.

De l'empire infernal le redoutable maître

Tient votre fille en son pouvoir.

CÉRÈS.

L'enfer retient ma fille ! ô ciel ! ô sort barbare !

1050   L'éternelle nuit nous sépare !

Ma chère Proserpine... ô regrets superflus !

Hélas ! Je ne la verrai plus !

Dieux ! Ma fille n'est point coupable,

Pourquoi Pluton inexorable

1055   Veut-il dans les enfers l'accabler de douleur ?

ALPHÉE et ARÉTHUSE.

C'est quelquefois un grand malheur

Que d'être trop aimable.

CÉRÈS.

Pluton l'aime ! Et l'amour pour me désespérer

Fait soupirer un coeur qui doit être inflexible !

ALPHÉE et ARÉTHUSE.

1060   Quel coeur se peut assurer

D'être toujours insensible ?

Quel coeur se peut assurer.

De ne jamais soupirer ?

ALPHÉE.

Le dieu qui pour elle soupire

1065   Est un des trois grands dieux, maîtres de l'univers.

ARÉTHUSE.

Elle est reine d'un vaste empire.

ALPHÉE et ARÉTHUSE.

Il est beau de régner même dans les enfers.

CÉRÈS.

Quelque honneur qu'aux enfers on s'empresse à lui rendre,

Elle n'en peut sortir, et je n'y puis descendre :

1070   Je la perds, je perds tout espoir

Je ne pourrai jamais la voir.

ALPHÉE et ARÉTHUSE.

Jupiter la demande, et l'enfer plein d'alarmes

Pour la garder a pris les armes.

CÉRÈS.

Jupiter n'est donc pas insensible aux regrets

1075   De la malheureuse Cérès ?

Obtenez Dieu puissant que ma fille revienne ;

Sans troubler votre paix j'irais suivre ses pas

Si je pouvais passer dans la nuit du trépas :

Ne souffrez plus que l'enfer la retienne,

1080   Grand dieu, c'est votre fille aussi bien que la mienne,

C'est votre fille, hélas !

Ne l'abandonnez pas.

SCÈNE V.
Mercure, Cérès, Alphée, Arethuse.

Mercure descend du ciel.

MERCURE.

Tous les dieux sont d'accord, pour vous tout s'intéresse,

Proserpine verra le jour,

1085   Elle suivra Cérès et Pluton tour à tour,

Elle partagera son temps et sa tendresse

Entre la nature et l'amour.

Vous verrez votre fille, et Jupiter lui-même

A pris soin qu'à vos voeux le sort ait répondu.

CÉRÈS.

1090   Après une peine extrême

Qu'un bien qu'on avait perdu

Est doux quand il est rendu

Par les soins de ce qu'on aime.

MERCURE.

L'hymen assemble tous les dieux

1095   De l'empire infernal de la terre et des cieux.

Le ciel s'ouvre, et Jupiter paraît accompagné des divinités célestes. Pluton et Proserpine, sortent des enfers assis sur un trône, ou Cérès, va prendre place près de sa fille. Une troupe de divinités infernales richement parées, accompagnent Pluton. Et une troupe de divinités de la terre viennent prendre part à la joie de Cérès, et à la gloire de Proserpine.

SCÈNE VI.
Jupiter, Pluton, Proserpine, Cérès, Mercure, Alphée, Aréthuse, troupes de divinités célestes, terrestres, et infernales, six divinités qui jouent de divers instruments, et qui accompagnent Jupiter dans la gloire, Divinités célestes qui chantent dans des machines, Venus, Pallas, Hercule, Apollon, L'Amour, L'Hymenée, Troupe de divinités de la terre chantantes, Pomone, Flore, Vertumne, Troupe de divinités de la terre chantantes, Troupe de divinités infernales chantantes, Troupe de divinités infernales dansantes.

JUPITER.

Cérès, que de vos pleurs le triste cours finisse ;

Qu'avec Pluton Proserpine s'unisse.

Que l'on enchaîne pour jamais

La discorde et la guerre,

1100   Dans les enfers, dans les cieux, sur la terre,

Tout doit jouir d'une éternelle paix.

Les choeurs répètent ces quatre derniers vers, et les divinités célestes, terrestres et infernales, témoignent par leurs chants et par leurs danses la joie qu'ils ont de voir l'intelligence rétablie entre les plus grands dieux du monde, par le mariage de Pluton et de Proserpine.

 



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