1882. Tous droits réservés.
PAR M. JACQUES NORMAND
PARIS, TRESSE Éditeur, 8,9,10,11. GALERIE DU THÉÂTRE-FRANÇAIS, PALAIS ROYAL.
Imprimerie générale de Chatillon-sur-Seine. - Jeanne Robert.
Texte établi par Paul FIEVRE, mars 2025.
Publié par Paul FIEVRE, avril 2025.
© Théâtre classique - Version du texte du 30/04/2025 à 20:37:29.
Ces vers ont été dits par Mademoiselle ROSAMOND, de la Comédie-Française.
PERSONNAGE
LA NARRATRICE
Tiré de "Théâtre de Campagne. Huitième série". 1882. pp 123-131.
LUI!
À C. Coquelin.
Je l'aimais ! Elle était du Midi, brune et mince,
Ayant, malgré Paris, gardé de sa province
Un tout petit accent léger, naïf, charmant,
Un accent ?... Qu'ai-je dit ?... Non! un gazouillement,
5 | Quelque chose d'exquis, donnant à sa parole |
L'allure d'un oiseau qui sautille et s'envole!
Encor plus que l'accent, elle avait de là-bas
Gardé le goût très vif... ma foi ! je ne sais pas
Comment dire... elle aimait... cette chose peu douce
10 | D'un parfum persistant, dont on glisse une gousse |
Dans l'os ou dans les flancs d'un gigot parfumé...
C'est vous qui l'avez dit... je ne l'ai pas nommé!
Elle l'adorait donc, la petite diablesse.
Que voulez-vous ?... C'était son unique faiblesse,
15 | Faiblesse de naissance !... et moi, je l'exécrais |
Toujours, avant, pendant, après... surtout après !
Aussi, vil égoïste et tyran redoutable,
L'avais-je à tout jamais proscrit de notre table.
La pauvrette en souffrait, mais cachait son ennui,
20 | Et, par amour pour moi, ne pensait plus à... LUI! |
Moins par vocation, hélas ! que par caprice,
Pomponnette - ce fut son nom - était actrice.
Notre amour, frais éclos par un soir de printemps.
Fleurissait à l'ardent soleil de nos vingt ans :
25 | En nos deux coeurs, chantait une éternelle fête... |
Oh ! Les petits soupers joyeux, en tête-à-tête,
Au retour du théâtre, en son boudoir coquet !
Oh ! Tous les pantalons usés sur son parquet
À lui faire l'aveu de ma tendresse folle !
30 | Ou bien, silencieux, sans la moindre parole, |
À caresser des doigts, à dévorer des yeux
Le trésor parfumé de ses sombres cheveux !
Ah ! Tendres souvenirs des premières années,
Fleurs d'amour que le temps n'a point encor fanées !
35 | Donc, notre passion brûlait de tout son feu, |
Et nous aimant beaucoup, nous nous quittions fort peu.
Cependant, un beau jour, je dus, pour une affaire
Oubliée aujourd'hui, à coup sûr très vulgaire,
Quitter Paris pendant vingt-quatre heures au plus.
40 | Pomponnette eut gros coeur, pauvre fille !... Et je lus |
Dans ses yeux, où brillait une larme réelle.
Un très profond chagrin de me sentir loin d'elle.
Je partais à minuit, par la gare du Nord.
« Pars ! » dit la brune enfant, tout en faisant effort
45 | Pour me cacher son trouble et me donner courage... |
« Ne te tourmente pas, mon bon !... Je serai sage,
Et pendant ces deux nuits et ces deux jours, à toi
Je penserai toujours... pense toujours à moi ! »
Après ce tendre aveu d'un amour idolâtrie
50 | Je la laissai partir seule pour son théâtre. |
Puis, je fis mes paquets et quittai la maison.
Êtes-vous comme moi ?... Mais, en toute saison,
Pendant les doux étés ou les hivers barbares,
J'ai la plus sainte horreur de poser dans les gares :
55 | Je tâche d'arriver ni trop tôt, ni trop tard, |
Cinq minutes - pas plus ! - juste avant le départ.
Cette fois, ma lenteur à choisir mes cravates,
Plus, le pas hésitant d'un cheval à trois pattes,
Plus, un encombrement survenant tout exprès
60 | Me firent arriver cinq minutes... après ! |
Cinq minutes, pas plus ! Comme à mon habitude :
J'étais exact encor dans l'inexactitude !
Oserai-je le dire ?... Ayant alors vingt ans
Je ne fus qu'à moitié fâché du contre-temps.
65 | Grâce à l'infirmité de ce cheval honnête, |
J'allais, jusqu'au matin, revoir ma Pomponnette.
En son premier sommeil j'allais tout doucement
Surprendre mon amie... et ce serait charmant !
Je montai l'escalier sans bruit. ouvris la porte.
70 | Ô bonheur! |
Tout à coup - ma surprise est trop forte ! |
Je vois, dans la nuit noire, un lumineux rayon
Qui, sur le parquet sombre allongeant son sillon
Sort du boudoir coquet où volait ma tendresse...
J'approche à petits pas, j'écoute... Oh ! la traîtresse !
75 | Oh ! l'infâme !... J'entends un double bruit de voix... |
Frémissant de surprise et de rage à la fois
J'applique un oeil ardent au trou de la serrure...
Plus de doute à présent la trahison est sûre...
Je l'aperçois, assise et pleine de gaîté,
80 | Soupant, avec quelqu'un sans doute à son côté, |
Quelque rival heureux qu'elle me substitue...
Ah ! Dans ces moments-là je comprends que l'on tue !
Pourtant, près de pousser la porte, j'hésitai.
Mais je voulus savoir toute la vérité...
85 | Être ou bien n'être pas... et j'entrai dans la chambre ! |
Rose comme la neige au soleil de décembre
Pomponnette bondit sur sa chaise et sauta...
Elle était seule avec sa soubrette Augusta !
- « Où l'avez-vous caché ? lui dis-je avec furie.
90 | - Caché ?... Qui ?... Que dis-tu ?... |
Point de plaisanterie! |
Répondis-je, il est là. je le sens.
- Eh bien ! Oui !
« Me dit-elle, mon bon !... c'est un crime inouï...
Mais je puis invoquer des excuses majeures
Car, avant ton retour, j'avais mes vingt-quatre heures ! »
95 | C'en est trop ! - Sans pudeur, sans nul ménagement |
Elle ose m'avouer... Dans mon emportement
Je m'élance vers elle effaré, redoutable...
Quand tout à coup, passant à côté de la table,
Je perçois un fumet proscrit, qui doucement
100 | Monte d'un beau gigot, bien doré, bien fumant, |
Dont le flanc est marqué de plus d'un coup de lame...
La lumière se fait aussitôt dans mon âme !
Ce rival préféré que je croyais enfui
C'était... ce n'était pas... en un mot, c'était LUI !!!
105 | Me croyant éloigné pour deux jours, la pauvrette |
Ce soir s'était offert cette petite fête,
Et, ne résistant point à son goût enragé,
Libre par mon départ, elle en avait mangé !!!
Ah ! Quel soulagement ! Elle m'était fidèle !
110 | Le coeur tout palpitant, je m'élançai vers elle |
Et dans un doux baiser
« Oh ! Que je t'aime à... »
Non !
Je ne le dirai pas cet exécrable nom !
Point n'est besoin d'apprendre à présent, je suppose,
Que le petit souper fut loin d'être morose ?...
115 | Que ce premier baiser ne fut pas le dernier ?... |
Quant à moi.très heureux, je ne puis le nier,
De voir que mes soupçons s'envolaient en fumée,
Affamé, j'attaquai la... chose parfumée.
Ô surprise! ô bonheur !... Je sentis tout à coup
120 | Ma haine d'autrefois et mon ancien dégoût |
S'atténuer soudain et devenir tendresse...
Je dégustai gaiement, auprès de ma maîtresse
Ce fin piment, ce LUI que je n'ai point nommé...
Et depuis ce temps-là je l'ai toujours aimé !
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