COMÉDIE EN UN ACTE
1882. Tous droits réservés.
Par M. Jacques NORMAND.
PARIS, TRESSE Éditeur, 8,9,10,11. GALERIE DU THÉÂTRE-FRANÇAIS, PALAIS ROYAL.
Imprimerie générale de Chatillon-sur-Seine. - Jeanne Robert.
Texte établi par Paul FIEVRE, mars 2025.
Publié par Paul FIEVRE, avril 2025.
© Théâtre classique - Version du texte du 30/04/2025 à 20:37:28.
PERSONNAGES
ANIOUTA, (28ans) MelIe Sarah Bernhardt, de la Comédie-Française.
LE COLONEL PETROWSCHKOFF, (40 ans). M. Feuvre, de la Comédie-Française. (Uniforme de colonel russe).
YVAN, domestique du colonel, TRUFFIER, de la Comédie-Française. Costume de moujik.
Paru dans SAYNÈTES ET MONOLOGUES, HUITIÈME SÉRIE, pp. 3-9
LA GOUTTE D'EAU
À Frédéric Febvre.
Vu Russie; dans la ville de Sinoleask. Cabinet de l1'avail du colonel. Panoplies au mur. Meubles russes. Sièges et chaise longue. Bureau couvert de papiers. Bibliothèque. Au fond, cheminée avec pendule. Des deux côtés de la cheminée, fenêtres. À droite et gauche, portes latérales. Au lever du rideau, le théâtre est dans l'obscurité.
SCÈNE PREMIÈRE.
ANIOUTA, entrant avec précaution une bougie à la main.
Personne !... Il est remonté dans sa chambre, sans doute... Vite, les rideaux !...
Elle va au fond et ouvre les rideaux. Regardant par la fenêtre.
Quelle neige ! La steppe est toute blanche.
S'approchant du bureau.
J'en étais sûre... Les bougies brûlées jusqu'au bout... Il a écrit toute la nuit... Et cette façon étrange de me dire bonsoir, hier, après le thé... Pauvre cher tuteur !... Il avait l'air d'être embarrassé... ému même... Oh ! Tout cela n'est pas naturel... il y a quelque chose... quelque chose qui me fait peur... que je veux savoir... que je saurai...
On ouvre la porte de gauche.
Qui vient là. Yvan
Elle se cache derrière un meuble.
SCÈNE II.
Aniouïa, Yvan.
YVAN, ayant l'air de chercher quelque chose.
Voyons... voyons... sur la table, m'a dit le colonel... sur la table... Je ne vois rien.
ANIOUTA.
Que peut-il chercher ?
YVAN, prenant une boite sur la table.
Voilà... Hé ! hé ! Cela pèse son poids !...
ANIOUTA.
La boite de pistolets... plus de doute... Un duel !
Sortant de sa cachette.
Yvan !
YVAN, effrayé.
Sainte Vierge ! Que votre grâce m'a fait peur!
ANIOUTA.
Cette boîte est pour le colonel, n'est-ce pas ?
YVAN.
Oui... C'est-à-dire, non... Enfin...
ANIOUTA.
Pose cette boite et écoute-moi ?...
YVAN.
Mais... votre grâce...
ANIOUTA.
Obéis-moi, te dis-je !
Yvan pose la botte sur la table.
Le colonel se bat ce matin, n'est-ce pas ?
YVAN.
Mais...
ANIOUTA.
Écoute, Yvan... Tu n'as pas oublié les bontés que j'ai toujours eues pour toi ?
YVAN.
Oh ! non !... Ma chère bonne maîtresse !... Vous êtes un ange du paradis !
ANIOUTA.
Ni les verres de kwas que je t'ai fait verser à l'office ? [ 1 Kwas : Nom, dans la Russie, d'une boisson de ménage que le peuple compose avec des fruits acides ou des croûtes de pain mis en fermentation. [L]]
YVAN.
Je m'en lèche encore les lèvres !...
ANIOUTA.
Eh bien ! Voici le moment de me prouver ta reconnaissance. Réponds-moi franchement !
YVAN.
Mais le colonel saura... Il n'est pas commode le colonel ! - Et si je me lèche souvent les lèvres au souvenir de votre kwas, ma chère petite maîtresse, il m'arrive plus d'une fois aussi de me frotter le dos en pensant à sa cravache.
ANIOUTA.
Il ne saura rien !... Je te le promets !
YVAN.
Mais votre Seigneurie...
ANIOUTA.
Laisse là ma Seigneurie, et réponds-moi... Un duel, n'est-ce pas ?
YVAN.
Oui.
ANIOUTA.
Avec qui ?
YVAN.
Avec le colonel Lomof, des Guides.
ANIOUTA.
Et pourquoi ce duel ?
YVAN.
Une dispute.;;
ANIOUTA, très émue.
Au sujet d'une femme ?
Mouvement d'Yvan.
Dis-moi la vérité.
YVAN.
D'une femme! mais non!
ANIOUTA, à part, avec joie.
Ah !...
Haut.
Parle donc alors... Parle vite...
YVAN.
Hé bien, hier au soir, au cercle militaire... il était déjà tard, car j'apportais la pelisse du colonel... c'est même comme cela que j'ai tout entendu... il y avait là plusieurs officiers, le vieux général Voronine... qui vient d'avoir sa retraite, comme votre seigneurie le sait... le major Beredew, le capitaine Schwetschinsky.
ANIOUTA, impatiente.
Au fait !... Au fait !
YVAN.
Tous ces messieurs causaient de la dernière guerre du Caucase. Ah ! Une rude guerre, je vous réponds, où j'étais, comme votre Seigneurie le sait, ordonnance du colonel...
ANIOUTA, même jeu.
Qui !... Oui !... Continue.
YVAN.
On causait donc, en fumant, de la guerre du Caucase. quand voici que le colonel Lomof, des Guides, qui jusque-là n'avait presque pas desserré les dents, se mit à parler à tort et à travers de ceci, de cela... et dit que notre régiment, le 28e, un certain jour de bataille, n'avait pas fait tout ce qu'il devait... qu'au lieu de tourner droite, il avait tourné à gauche... Enfin, que sais-je ? Je n'ai pas trop compris, mais j'ai bien senti que c'était une insulte pour nous.... et je ne me suis pas trompé, car à peine eut-il fini de parler que le colonel... Ah ! Ça n'a pas été long !... J'aurais voulu que vous puissiez le voir dans ce moment là... Figurez-vous...
ANIOUTA, l'interrompant.
À quelle heure le duel ?
YVAN.
À neuf heures.
ANIOUTA, regardant l'heure.
Huit heures vingt-cinq !
À Yvan.
Le lieu de la rencontre ?
YVAN.
Derrière le petit bois, sur la grande route de Moscou.
ANIOUTA.
À quelle distance de la ville ?
YVAN.
Cinq verstes environ. [ 2 Verstes : Mesure itinéraire de Russie. La verste vaut 1077 mètres, ou un peu plus d'un kilomètre. [L]]
ANIOUTA.
Combien de temps pour y aller en drochky ? [ 3 Drochky : voiture sur quatre roues, à un ou deux chevaux ; elle est découverte, basse, étroite, et, pour en donner une idée plus exacte, il faut ajouter extrêmement incommode. [CNRTL]]
YVAN.
Un quart d 'heure.
ANIOUTA.
Et à pied ?
YVAN.
Oh !... Par un temps pareil !... Plus d'une grande demi-heure.
ANIOUTA.
Bien.... Yvan, tu aimes ton maître, n'est-ce pas ?
YVAN.
Si je l'aime ! Il m'a sauvé la vie... Tenez, pendant cette guerre du Caucase, justement...
ANIOUTA, l'interrompant.
Hé bien !... S'il t'a sauvé la vie, aide-moi à protéger la sienne... Il ne faut pas que ce duel ait lieu !
YVAN.
Ce duel ne pas avoir lieu ! Votre seigneurie n'y songe pas !... Une affaire d'honneur ! Pour un militaire, c'est sacré, cela !...
ANIOUTA.
Ce duel n'aura pas lieu, te dis-je, je ne le veux pas...
YVAN.
Mais...
ANIOUTA.
Je ne le veux pas !... Où devais-tu porter cette boite ?
YVAN.
Dans le drochky.
ANIOUTA.
Est-il attelé, le drochky ?
YVAN.
Oui.
ANIOUTA.
Écoute-moi bien... Porte cette boîte dans le drochky... Ne dis rien il personne et quand le colonel prendra place dans la voiture et que tu seras près de partir, regarde à cette fenêtre...
Elle lui montre une des fenêtres du fond.
YVAN.
À cette fenêtre ?...
ANIOUTA.
Oui. Si je frappe un coup contre la vitre, tu partiras, et puis, au moment de franchir la porte de la cour, tu jetteras brusquement la voiture contre la grosse borne de pierre.
YVAN.
Sainte Vierge ! Mais nous verserons !...
ANIOUTA.
Justement !
YVAN.
Mais le drochky se brisera...
ANIOUTA.
C'est ce qu'il faut!
YVAN.
Mais le cheval se couronnera.
ANIOUTA.
Tant pis !
YVAN.
Mais le colonel se blessera !
ANIOUTA.
Ah ! Par exemple ! Si tu es assez maladroit pour cela !...
YVAN.
Mais... mais moi, enfin, ma chère maîtresse, en tombant de mon siège, je me briserai les os !...
ANIOUTA.
C'est bien la peine d'être le premier cocher de Smolensk pour ne pas savoir verser comme il faut !... Voyons, c'est entendu...
YVAN.
Mais...
ANIOUTA.
Pas de mais... Un coup à la fenêtre ?...
YVAN, résigné.
Un coup à la fenêtre...
ANIOUTA.
Et tu verseras ?
YVAN.
Et je verserai...
ANIOUTA.
Bien doucement ?
YVAN.
Bien doucement !...
ANIOUTA, le poussant vers la porte.
Va !... Va vite !...
YVAN.
Ah !... Pauvre moujik !... Il me semble déjà que la cravache du colonel.
Il se frotte le dos.
ANIOUTA.
Mais va donc !...
Yvan sort par la gauche.
SCÈNE III.
ANIOUTA, seule.
Un duel !... J'en étais sûre !... Mais pas pour une femme... Pour une autre !... Ah ! Je ne l'aimerais plus. Ne pas l'aimer !... Qu'ai-je dit ?... Je l'aime donc ?... Eh bien ! Oui !... malgré son titre de tuteur, malgré son indifférence, simulée peut-être !... Malgré tout cela, je l'aime. Je le sens. Je ne l'ai jamais senti comme aujourd'hui. Lui, blessé !... Lui, mort peut-être... mais j'en mourrais, moi ! Une affaire d'honneur ! Un propos malveillant lancé au hasard de la causerie, dans la fumée du cigare... et s'égorger pour cela ! L'honneur... Voilà un grand mot que les hommes ont toujours à la bouche... J'en connais un plus doux que nous autres femmes nous avons dans le coeur.
Écoutant.
Des pas. Lui sans doute.
Regardant la pendule.
Plus qu'un quart d 'heure à moi... Le voici !...
Elle s'assoit sur la chaise-longue, prend un livre sur la table, et a l'air de lire attentivement. Pendant toute la scène suivante, elle ne cesse de regarder la pendule à la dérobée.
SCÈNE IV.
Le Colonel, Aniouta.
LE COLONEL, entrant sans la voir.
Yvan !... Yvan !...
Apercevant Aniouta.
Aniouta !
À part.
Ah !... J'aurais préféré ne pas la revoir !...
ANIOUTA.
Eh bien, méchant tuteur, vous ne me dites pas bonjour ?
LE COLONEL, l'embrassant sur le front.
Chez moi, de si bonne heure ! Quelle raison ?...
ANIOUTA, lui montrant le livre qu'elle lit.
Un article de la Revue des Deux-Mondes.
LE COLONEL.
Vous plaisantez ?...
ANIOUTA.
Non pas !... Tenez... C'est cet article-là !... « Les Russes chez eux. » Je l'avais commencé hier soir, il m'avait vivement intéressée et comme j'avais laissé la brochure sur cette table.
LE COLONEL.
C'est bien vrai cela ?
ANIOUTA, souriant.
Tout ce qu'il y a de plus vrai !...
LE COLONEL, à part.
Elle rit !... Elle ne sait rien...
ANIOUTA.
Avez-vous remarqué combien l'on s'occupe de nous en France depuis quelque temps ? Nous sommes tout à fait à la mode sur les bords de la Seine... Nous défrayons le théâtre et le roman.
Montrant la revue.
On fait sur nous force études... plus ou moins exactes... Enfin, ces braves Français sont légèrement atteints de russomanie, convenez-en.
LE COLONEL, qui l'a à peine écoutée, regardant la pendule, à part.
Plus que dix minutes.
ANIOUTA.
Ah çà ! mais qu'est-ce vous avez, mon cher tuteur. vous paraissez tout agité ce matin... Vous ne pouvez tenir en place.
LE COLONEL.
Moi ?
ANIOUTA.
Vous ne m'écoutez pas du tout, vous si attentif d'ordinaire.
LE COLONEL.
Moi !... Ne pas vous écouter... Mais si... chère enfant, mais si...
À part.
La boite n'est plus là. Yvan l'aura descendue sans doute.
ANIOUTA.
Voyons... Que cherchez-vous à présent ! Savez-vous que je vais me fâcher ?...
LE COLONEL, la regardant, un peu ému.
Ma chère Aniouta...
ANIOUTA, lui désignant un siège, près d'elle.
Asseyez-vous là... que je vous lise cet article.
LE COLONEL, vivement.
Merci !.. Je l'ai déjà lu...
ANIOUTA.
La moitié des pages n'en est pas coupée.
LE COLONEL.
Je l'ai lu au cercle.
ANIOUTA.
C'est cela... au cercle !... comme vous y allez souvent depuis quelque temps à votre vilain cercle... Savez-vous que vous remplissez tout juste envers moi vos devoirs de tuteur ?
LE COLONEL, toujours distrait.
Par exemple !...
ANIOUTA.
Faut-il vous rappeler ce que vous avez promis à ma respectable tante, la douairière Raïssa Pavlovna, quand elle m'a confiée, moi, pauvre orpheline, à vos soins vigilants ?...
Le colonel regarde l'heure. Léger mouvement d'impatience.
« Je serai un second père pour elle, avez-vous dit... Je ne la laisserai jamais seule. Avant six mois je lui aurai trouvé un mari. »
LE COLONEL, se levant un peu brusquement.
Ah ! Vous vous plaignez.
ANIOUTA.
Je ne me plains pas... Je constate seulement. Or, voilà plus d'un an que nous avons quitté Pétersbourg... plus d'un an que nous tenons garnison dans cette triste résidence de Smolensk, la plus affreuse ville de l'Empire... Vous allez presque tous les soirs votre cercle. J'ai vingt-trois ans... et vous ne m'avez pas encore montré le plus petit prétendant ! Convenez.
LE COLONEL, avec un peu d'aigreur.
Non, c'est cela qui vous blesse ? Demain, je vous en présenterai dix.
ANIOUTA.
Et ce sera peut-être un onzième que j'aimerai mieux.
LE COLONEL, vivement.
Vous aimez quelqu'un ?
ANIOUTA.
Est-ce que je l'ai dit ?
LE COLONEL.
Voyons, ma chère Aniouta... Parlez-moi franchement... je veux avant toute chose que vous soyez heureuse... Je tiens à savoir maintenant plus que jamais...
ANIOUTA.
Une confession ?
LE COLONEL.
Non. un tout petit aveu, seulement.
ANIOUTA, lui montrant un siège près d'elle.
Soit !... Alors asseyez-vous là !
LE COLONEL, regardant la pendule.
Plus que cinq minutes !...
ANIOUTA.
Eh bien ?
LE COLONEL, s'asseyant.
Voyons vite !...
ANIOUTA, après un silence.
Savez-vous, cher tuteur, que c'est bien embarrassant ce que vous me demandez là... Aidez-moi.
LE COLONEL, ému.
Ne disiez-vous pas que vous aimez quelqu'un ?
ANIOUTA.
Eh bien, oui !...
LE COLONEL, à part.
Ah !
Haut.
Qui est-ce ?
ANIOUTA.
Allons !... Bon !... Tout de suite... comme cela, vous dire... cherchez un peu...
LE COLONEL.
Mais je ne pourrai jamais deviner...
ANIOUTA.
Si fait, vous le pourrez.
LE COLONEL.
Je le connais donc ?...
ANIOUTA.
Beaucoup, beaucoup.
Se reprenant.
Mais mal !
LE COLONEL.
J'y suis !
ANIOUTA.
Ça m'étonnerait !
LE COLONEL.
Votre cousin Serge !...
Se levant.
J'en étais sûr ! Il valse si bien ! Il conduit si admirablement le cotillon !... Il a de si jolies petites moustaches !...
ANIOUTA, à part.
Comme il s'anime.
LE COLONEL.
Ah !... Je ne m'étonne plus à présent que ce soit lui qui...
ANIOUTA.
Je vous ferai remarquer que je n'ai rien dit !...
LE COLONEL.
Un autre, alors ?...
ANIOUTA.
Probablement !
LE COLONEL.
Un autre.
Regardant l'heure, à part.
Moins le quart.
Il se lève.
Maudit duel. m'en aller au moment ou je vais savoir.
ANIOUTA, se levant et regardant la pendule, à part.
Moins le quart... c'est l'heure.
Haut.
Eh bien ! Qu'est-ce qui vous prend ?
LE COLONEL.
Moi ? . rien !
À part.
Cinq minutes encore. Je crèverai le cheval, voilà tout !...
Haut.
Voyons,ma chère Aniouta, ce que je vous demande est sérieux. Des circonstances que je ne puis vous expliquer m'obligent à insister auprès de vous, maintenant plus que jamais. Le nom de celui que vous aimez ?...
ANIOUTA.
Eh bien.
LE COLONEL.
Eh bien a-t-elle?
ANIOUTA.
Eh bien, mon cher tuteur, écoutez-moi... mais d'abord, promettez-moi une chose.
LE COLONEL.
Laquelle ?.
ANIOUTA.
De donner votre consentement !...
LE COLONEL, à part, douloureusement.
Mon consentement.
Haut.
Oui... oui... oui... Mais dis-le ce nom ! Veux-tu le dire ?
ANIOUTA, vivement.
Ah !... Enfin !.. Vous m'avez tutoyée. Jamais vous n'étiez resté si longtemps sans le faire. Quand vous me dites vous, comme tout il l'heure, il me semble que vous êtes fâché contre moi...
LE COLONEL, regardant la pendule, nerveux.
Décidément, tu ne veux pas parler...
ANIOUTA.
Si... mais enfin, on ne peut pas dire qui l'on aime ainsi... tout d'un coup... comme on commanderait un chapeau... Laissez-moi le temps...
LE COLONEL, très nerveux.
Le temps... le temps...
Regardant l'heure, à part.
Moins dix ! Allons, il faut partir.
ANIOUTA.
Qu'est-ce qui vous prend encore ?.
LE COLONEL.
Je suis obligé de vous quitter, ma chère Aniouta...
ANIOUTA.
Tout de suite ?
LE COLONEL.
Oui... Un rendez-vous, une affaire.
ANIOUTA.
Plus intéressante sans doute que tout ce que je pourrais vous dire...
LE COLONEL.
Aniouta !...
ANIOUTA.
Allez !... Mon cher tuteur, allez !... Mais vous me permettrez à l'avenir de garder pour moi un secret si peu important à vos yeux, que vous ne pouvez trouver cinq minutes pour l'entendre.
LE COLONEL.
Vous êtes cruelle... Voyons ! Un mot... un simple mot.
ANIOUTA.
Non... quand vous reviendrez.
LE COLONEL, un peu tristement.
Quand je reviendrai...
ANIOUTA.
Sans doute !
LE COLONEL.
Eh bien ! Oui, quand je reviendrai.
Affirmatif.
Et je reviendrai...
ANIOUTA, lui tendant la main, à part.
Je l'espère bien !
Haut.
Au revoir !
LE COLONEL, l'attirant dans ses bras et l'embrassant sur le front, très ému.
Non !... Comme cela !...
Sortant rapidement.
Au revoir!
SCÈNE V.
ANIOUTA, seule, très émue.
Comme il m'a embrassée... Je ne vois plus clair... Mon Dieu !... Serait-ce vrai ?... M'aimerait-il ?... Voyons !... voyons !... Ne perdons pas la tête... Je ne veux pas qu'on me le tue...
Elle va regarder à la fenêtre.
Le voilà, il monte dans le drochky... Yvan regarde par ici... Il attend le signal... Allons !... Il le faut...
Elle frappe contre la vitre.
Il part.... Il s'approche de la porte...
Dans la coulisse bruit de grelots, qui cesse brusquement. Elle ferme les yeux et se recule.
Ah ! Je ne peux pas... Je ne peux pas !...
Elle tombe sur un siège. Silence. Relevant la tête.
Rien !... Je n'entends plus rien... Il est blessé peut-être....et par ma faute !...
Se levant et faisant un pas vers la fenêtre.
Je veux... Je veux voir...
S'arrêtant.
Ah !... Je ne peux pas... pourtant, s'il a besoin de moi. Allons ! Allons ! Du courage !
Elle se dirige vers la fenêtre. Bruit de voix à la porte de droite.
Sa voix !... J'entends sa voix ! C'est lui...
SCÈNE VI.
Aniouta, Le Colonel, Yvan.
LE COLONEL, trainant Yvan par le cou sur la scène.
Animal !
YVAN.
Grâce !
LE COLONEL.
Triple butor !
YVAN.
Mon colonel...
ANIOUTA.
Pardonnez à ce pauvre Yvan !
LE COLONEL, à Yvan.
Verser ainsi, comme un imbécile!
YVAN.
Aïe !
LE COLONEL.
Briser le drochky !
YVAN.
Aïe !
LE COLONEL.
Casser la jambe du cheval !
YVAN.
Aïe !
Le colonel lâche Yvan.
ANIOUTA, au Colonel.
Vous n'êtes pas blessé ?
LE COLONEL.
Non !... Rien... Quelque chose là... dans le poignet.
ANIOUTA, à Yvan.
Et toi, mon pauvre Yvan ?
LE COLONEL.
Je vous conseille de le plaindre.
S'avançant vers Yvan.
Animal !
YVAN, tombant aux pieds du colonel.
Grâce !... Que votre Seigneurie.
LE COLONEL, voyant l'heure, à part.
Neuf heures !...
À Yvan.
Allons, il ne s'agit pas de pleurer. Relève-toi !... Tu vas courir chez le major.
YVAN, se relevant.
Oui, mon colonel.
LE COLONEL.
Tu lui demanderas son cheval.
YVAN.
Mais...
LE COLONEL, faisant un pas vers lui.
Mais... quoi ?
YVAN.
Votre Seigneurie sait bien que le cheval du major est malade !
LE COLONEL.
C'est vrai va demander celui du capitaine Stepanytch, alors
YVAN.
Il est à la manoeuvre !
LE COLONEL.
Eh bien, va au diable ! Mais il me faut un cheval ici dans dix minutes, coûte que coûte.
YVAN.
Oui, mon colonel !
ANIOUTA, bas à Yvan.
Je te défends d'amener le cheval, entends-tu ?
YVAN.
Oui, Votre Grâce.
LE COLONEL, à Yvan.
Si dans dix minutes le cheval n'est pas là, je te rouerai de coups de cravache !
YVAN, perdant la tête.
Oui, mon colonel !
ANIOUTA, bas à Yvan.
Ne reviens que dans une demi-heure et je t'inonderai de kwas !
YVAN, même jeu.
Oui, Votre Grâce !
LE COLONEL.
Veux-tu bien te dépêcher, animal !... Et souviens-toi de ce que je t'ai dit!
ANIOUTA, même jeu.
Fais ce que j'ai commandé, ou sinon.
YVAN, sortant, affolé.
Pauvre moujik !... Pauvre moujik !... [ 4 Moujik : Nom des paysans russes. [L]]
SCÈNE VII.
Le Colonel, Aniouta.
LE COLONEL.
La bête brute !... Verser ainsi, contre une borne qu'il a déjà tournée plus de cent fois ! C'est à croire qu'il l'a fait exprès !
ANIOUTA.
Exprès !... Quelle idée ! Voyons ! Calmez-vous !
LE COLONEL.
Me calmer, quand il est plus de neuf heures, quand...
ANIOUTA.
Eh bien !... On vous attendra un peu... Voilà tout!
LE COLONEL.
M'attendre !... M'attendre !... Mais vous ne savez pas.
Il fait un mouvement brusque du bras gauche.
Aïe !...
ANIOUTA.
Vous souffrez... Laissez-moi voir ce que vous avez... Le poignet gauche, n'est-ce pas ?...
Elle lui relève sa manche.
LE COLONEL.
Heureusement !... Sans cela...
ANIOUTA.
Quoi donc ?
LE COLONEL.
Rien...
ANIOUTA, regardant son poignet.
Il est tout enflé... Vite, vite un peu d'eau.
Elle mouille son mouchoir.
Laissez-moi faire...
Elle entortille son mouchoir au tour du poignet du colonel.
LE COLONEL.
Chère petite !...
ANIOUTA.
Voilà qui est fait... Buvez un peu, maintenant.
Elle lui verse un verre d'eau et le lui donne.
LE COLONEL, il boit.
Comme ta main tremble !
ANIOUTA.
Êtes-vous mieux?
LE COLONEL.
Oui !... Tout à fait bIen... et je vais.
Il fait mine de sortir.
ANIOUTA, le retenant.
Mais mon Dieu !... Restez donc un peu tranquille !... Savez-vous ce que vous feriez si vous étiez raisonnable ?... Vous resteriez ici, au coin du feu, sur cette chaise-longue.
LE COLONEL.
Impossible !... Il faut que je sorte.
ANIOUTA.
C'est donc une affaire bien importante ?
LE COLONEL.
Oui.
ANIOUTA.
Impossible à remettre ?
LE COLONEL.
Oui.
ANIOUTA.
Je ne puis vous y remplacer ?
LE COLONEL.
Non !...
Regardant l'heure.
Neuf heures dix... et ce maudit Yvan qui ne revient pas !
ANIOUTA.
Laissez-lui le temps, au moins !
LE COLONEL.
Ah ! Il paiera cher sa maladresse, je vous en réponds !... Si vous pouviez savoir ce que ce rendez-vous manqué...
ANIOUTA.
Vous raconterez l'accident... et l'on comprendra.
LE COLONEL.
On ne comprendra pas, on ne devra pas comprendre...
Brusquement.
Allons !... Allons !... Je n'y puis tenir... puisque Yvan ne revient pas, j'irai à pied, voilà tout...
ANIOUTA.
A pied ?... Par un temps pareil !...
LE COLONEL.
Il le faut.... Adieu !...
ANIOUTA, cherchant à le retenir.
Je vous en prie... Je vous en supplie...
LE COLONEL.
Ne me retiens pas, mon enfant...
ANIOUTA.
Si ! Je vous retiendrai... car je devine tout, à présent... Vous m'avez trompée... Vous allez vous battre !
LE COLONEL.
Moi ?...
ANIOUTA.
Jurez-moi que non.
LE COLONEL, après une hésitation.
Eh bien !... Oui, je vais me battre... Tu le vois, il faut que je parte... Laisse-moi.
ANIOUTA.
Non !
LE COLONEL.
Mais tu ne comprends donc pas qu'il s'agit de mon honneur ?
ANIOUTA.
Il s'agit aussi de votre vie... Vous la devez à votre pays.
LE COLONEL.
Je l'ai risquée vingt fois pour lui !... Je suis bien libre d'en disposer à mon gré, maintenant !
ANIOUTA.
Songez aux affections qui vous entourent...
LE COLONEL.
Tu sais bien que je suis seul !...
ANIOUTA.
Seul !... Et moi, vous m'oubliez donc ?...
LE COLONEL.
Toi...
ANIOUTA.
Oui... moi...
Le colonel se dégage et fait un mouvement pour sortir. Aniouta se jetant dans ses bras.
Ne partez pas. Je vous aime !...
LE COLONEL.
Aniouta !... Ciel !.. Elle se trouve mal !..
Il la porte sur la chaise-longue.
Il ne manquait plus que cela ! Vite ! Vite !... Un peu d'eau...
il trempe son mouchoir dans l'eau et le lui met sur les tempes.
Pauvre petite ! Comme elle est pâle... M'aimer ?... Qu'a-t-elle dit ?... M'aimer ?... Alors que moi-même... Allons !... Je suis fou !
Lui prenant la main.
Sa main est toute froide, sa chère petite main.... mais elle ne revient pas à elle... J'ai peur moi !
Se levant.
Quelqu'un, vite !.. Quelqu'un !...
Il va pour sonner.
ANIOUTA, poussant un soupir.
Ah !...
LE COLONEL, sans avoir sonné, revenant à elle et se mettant à ses genoux.
Elle a soupiré... Elle a parlé... Aniouta !...
ANIOUTA, ouvrant les yeux.
C'est vous, cher tuteur ?
LE COLONEL.
Oui... Comment te sens-tu?
ANIOUTA.
Mieux... Mais, qu'est-il donc arrivé ?...
Se souvenant et se cachant la figure des deux mains.
Oh !...
LE COLONEL.
Calme-toi, mon enfant, calme-toi... Bois un peu.
Il lui donne un verre d'eau.
ANIOUTA, prenant le verre, avec un sourire.
Comme votre main tremble ! C'est vous l'infirmière, maintenant...
Elle boit.
Merci.
LE COLONEL, allant remettre le verre sur la table et regardant l'heure, à part.
Neuf heures vingt !... Allons !... C'était écrit...
ANIOUTA, regardant également l'heure, à part.
Neuf heures vingt !... J'ai gagné !...
LE COLONEL, l'air triste et résigné, vient s'asseoir près d'Auiouta.
Comment va-t-on ?
ANIOUTA.
Tout à fait bien... Et votre poignet ?
LE COLONEL, tristement.
Oh ! Moi !... Peu importe, à présent !
ANIOUTA, avec joie.
Vous ne vous battez plus ?
LE COLONEL.
C'est-à-dire qu'on ne se bat plus avec moi !
ANIOUTA.
Qu'entendez-vous par là ?
LE COLONEL.
J'entends, ma chère petite, que le colonel Petrowschkofï... Mais vous n'avez pas besoin de savoir cela !
ANIOUTA, inquiète.
Si !... Je veux le savoir!
LE COLONEL.
Je vous disais tout à l'heure, que mon honneur était en jeu, n'est-ce pas ?... Eh bien ! J'ai perdu la partie, voila tout !
ANIOUTA.
Je ne vous comprends pas.
LE COLONEL.
Vous me comprendrez la première fois que vous sortirez à mon bras, quand vous apercevrez les gens qui me saluaient hier, détourner la tête en passant à mon côté ; vous me comprendrez quand vous saurez que j'ai perdu le droit de porter l'uniforme et qu'aujourd'hui même, je vais envoyer ma démission à l'Empereur.
ANIOUTA, très émue.
Comment ! Vous êtes...
LE COLONEL.
Je suis déshonoré... Il faut voir les choses telles qu'elles sont !
ANIOUTA.
Mon Dieu !... Mon Dieu ! Mais ce n'est pas possible !... Pour cela !...
LE COLONEL.
Eh oui !... Pour cela !... Les lois de l'honneur sont sévères, mon enfant, mais il faut qu'elles le soient, car elles protègent un dépôt sacré !
ANIOUTA.
Et c'est moi qui suis la cause.
LE COLONEL.
Toi ! Pauvre chère enfant !... Je ne t'en veux pas, va !...
ANIOUTA.
C'est que vous ignorez à quel point je suis coupable !... Ce duel, je savais qu'il devait avoir lieu.
LE COLONEL.
Tu le savais ?
ANIOUTA.
Oui... et j'ai fait tout au monde pour l'empêcher... j'ai employé tous les moyens pour vous retenir... C'est moi.
LE COLONEL.
C'est toi ?...
ANIOUTA.
C'est moi qui ai dit à Yvan de faire verser le drochky...
LE COLONEL, avec reproche.
Aniouta !...
ANIOUTA.
Eh !... Oui ! C'est moi !... Pouvais-je supposer que nous en arriverions à des conséquences pareilles ?... Ces lois terribles de l'honneur qui existent entrent les hommes, est-ce que je les connais, moi ? Ah ! Folle que je suis ! En voulant vous sauver, c'était moi que je perdais !... Déshonoré !... Vous ! Et par moi !... Jamais vous ne me pardonnerez.
LE COLONEL, doucement.
Aniouta !
ANIOUTA.
Ah ! Tenez je comprends tout maintenant... s'il en est temps encore, réparez le mal que j'ai fait... Allez vous battre !...
LE COLONEL.
Brave enfant !
SCÈNE VIII.
Les mêmes, plus Yvan.
YVAN.
Une lettre pour vous, Colonel.
LE COLONEL, vivement à Aniouta.
Tu vois bien, il est trop tard !...
ANIOUTA, allant prendre la lettre vivement et la donnant au colonel.
Qui sait ?...
Regardant la signature.
Du général Voronine.
LE COLONEL, la lui rendant.
Lis, toi !...
ANIOUTA, lisant.
« Mon cher colonel, au moment où je vous écris, votre adversaire a dans la jambe gauche une balle qui le gêne fort... »
LE COLONEL.
Que signifie ?...
ANIOUTA, lisant.
« Excusez-moi de vous avoir privé du plaisir de la lui » envoyer vous-même. mais j'étais votre général de brigade au Caucase, et l'insulte d'hier soir s'adressait autant à moi qu'à vous. Vous deviez vous battre à neuf heures avec le colonel Lomof ; je me suis battu avec lui à huit heures. Mis tout récemment à la retraite, j'en avais le droit. »
YVAN.
Ah ! C'est bien, cela !
ANIOUTA, continuant.
« Je ne vous en ai rien dit, car j'étais décidé à ne pas céder, et nous aurions peut-être été obligés de nous battre tous les deux pour savoir lequel de nous se battrait avec l'autre... Ce qui eût été absurde... »
YVAN.
Je crois bien !
ANIOUTA, continuant.
« Pardon de vous avoir ainsi coupé le duel sous le pied, et croyez-moi bien votre. » Le brave général ! Comme je l'embrasserais !
LE COLONEL.
Petite folle ! Et moi ?...
Aniouta va pour l'embrasser, puis s'arrête, rougissante.
Eh bien...
ANIOUTA.
Je n'ose plus maintenant !...
LE COLONEL.
Maintenant ?... Oui ! Ce gros aveu... Allons, parle franc ! Tu savais que j'allais me battre... C'était un moyen de me retenir, pas autre chose...
ANIOUTA.
Croyez-vous ?
LE COLONEL, un peu triste.
Je crois, ma chère Aniouta, que je suis votre tuteur, que j'ai quarante ans, vous vingt-trois. et que votre tante la douairière Raïssa Pavlovna serait très étonnée et très peu contente si elle apprenait que ce mari que je m'étais engagé à vous présenter.
ANIOUTA, sans répondre, à Yvan qui est resté dans le fond de la scène.
Yvan !
YVAN, s'avançant.
Votre Seigneurie ?
ANIOUTA.
Réponds franchement. Qu'est-ce que tu détestes le plus au monde ?
YVAN, regardant le colonel.
Les coups de cravache !
ANIOUTA.
Et qu'est-ce que tu aimes le mieux ?
YVAN, avec élan.
Le kwas !
ANIOUTA.
Et dans quelle circonstance un brave moujik boit-il le plus de kwas ?
Coup d'oeil d'intelligence d'Aniouta.
YVAN, regardant alternativement Aniouta et le colonel.
Le jour du mariage de son maître... à sa santé !...
LE COLONEL, furieux.
Yvan !...
Joyeusement.
Eh bien oui !... Tu as raison !...
À Aniouta.
Chère Aniouta, je comprends maintenant ce que je n'osais m'avouer à moi-même... Je t'aime.
Il va pour l'embrasser, s'arrêtant.
ANIOUTA.
Eh bien ?...
LE COLONEL.
C'est moi qui n'ose plus maintenant.
Lui baisant respectueusement la main.
Je vous aime, Madame !
ANIOUTA.
Ô mon cher, cher ami ! Béni soit maintenant ce duel manqué !... Nos deux coeurs étaient pleins... C'est lui qui les a fait déborder... comme la goutte d 'eau fait déborder le vase.
Elle s'appuie sur sa poitrine.
YVAN, à part, gaiement.
Eh bien, vrai, ce n'était pas la peine de briser une voiture, de casser la jambe d'un cheval et de risquer ses os.
Montrant le colonel et Aniouta.
Quand on pouvait commencer par là !
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Notes
[1] Kwas : Nom, dans la Russie, d'une boisson de ménage que le peuple compose avec des fruits acides ou des croûtes de pain mis en fermentation. [L]
[2] Verstes : Mesure itinéraire de Russie. La verste vaut 1077 mètres, ou un peu plus d'un kilomètre. [L]
[3] Drochky : voiture sur quatre roues, à un ou deux chevaux ; elle est découverte, basse, étroite, et, pour en donner une idée plus exacte, il faut ajouter extrêmement incommode. [CNRTL]
[4] Moujik : Nom des paysans russes. [L]