TRAITEMENT THERMAL

MONOLOGUE EN VERS

1882. Tous droits réservés.

Par M. EUGÈNE MANUEL

PARIS, PAUL OLLENDORFF, ÉDITEUR, 28 bis, RUE DE RICHELIEU.


publié par Paul FIEVRE, août 2017.

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2025 à 16:00:40.


PERSONNAGE

MADAME DE CAYROL.

AIX LES BAINS

Tiré de "Théâtre de Campagne. Huitième série". 1882. pp 37-52.


TRAITEMENT THERMAL

Une chambre d'hôtel, de celles qui passent pour élégantes. Portes à droite et à gauche. Une table et ce qu'il faut pour écrire: fauteuils, une chaise-longue, une psyché ; boites à gants et bijoux sur la toilette. Un sac de voyage sur une chaise ; journaux, livres, etc. Madame de Cayrol est vêtue d'un grand peignoir de bain en flanelle ou en molleton, bordé d'une tresse de laine rouge; ce peignoir sera à manches avec un capuchon ; sous ce capuchon.qui est rabaissé, quand elle entre, elle a un coquet bonnet de toile cirée bordé de rouge, qu'elle devra retirer à l'endroit indiqué. On aperçoit sous le peignoir entr'ouvert, qu'elle garde quelque temps, un négligé en cachemire garni de dentelles, avec quelques flots de rubans de satin. Aux pieds, des babouches en cuir rouge, ou des espadrilles mignonnes. Parole très animée, beaucoup de mouvement. Caractère fantasque de jolie femme, avec un grain de poésie et des nerfs.

MADAME DE CAYROL.

Entrant précipitamment, comme si elle quittait sa chaise à porteur. Elle jette avec colère une grosse enveloppe cachetée sur le guéridon, et dépose sur un meuble un verre irisé.

C'est trop fort !

S'approchant de la porte.

Mariette, attendez que je sonne ;

Avertissez l'hôtel : je n'y suis pour personne !

Pour le docteur Reynold, non plus !

Revenant à la table, elle écrit à la hâte quelques lignes et les remet à la coulisse.

Montez d'abord

Chez ma tante, et portez ce billet. - C'est trop fort!

Revenant à la porte qu'elle rouvre.

5   Vous direz à Vincent de préparer les malles :

Je pars. C'est déjà trop d'un jour aux eaux thermales !

Rouvrant la porte.

Vous avez bien compris ? Ce soir nous emballons.

Elle s'assied dans un fauteuil, et rejette son capuchon.

Quel complot !

Respirons et récapitulons !

Tout ce qui suit doit être débité avec une certaine volubilité, une grâce légère et capricieuse, un mélange d'ironie et de sentiment ; les manières et le ton seront d'une femme d'esprit et d'une enfant gâtée, appartenant au meilleur monde.

Après avoir vécu deux hivers retirée,

10   J'avais revu le monde enfin ! Dès mon entrée,

J'aperçois chaque soir, moi qui n'y pensais pas,

Un champ d'adorateurs onduler sur mes pas :

Que de types ! C'était pour moi toute une étude !

Il fallait m'y remettre : on en perd l'habitude.

15   La langue de l'amour a sa grammaire à part,

Où le silence parle, où parle le regard.

Que leur répondre ? plaire est un mal qu'on supporte.

Veuve à vingt ans, - peut-être un peu plus, mais n'importe ! ?

Je m'accoutumais vite à subir, sans broncher,

20   Ces longs roucoulements qu'on ne peut empêcher !

Quelle femme consent à vivre dédaignée ?

J'écoutais, je riais : je m'étais résignée.

Mais j'avais trop payé l'erreur d'un premier choix

Pour attiser la flamme et m'y brûler les doigts !

25   J'étais forte contre eux, et sans inquiétude ;

J'avais un allié puissant : la lassitude.

Se levant, allant et venant.

Ah ! Ma tante, ma tante ! Aurais-je cru jamais

Que dans la forteresse où je me renfermais

Vous-même de l'assaut vous seriez la complice ;

30   Et que vous agiriez avec cette malice !

Parmi les assiégeants, j'en voyais un souvent

Qui ne me quittait pas des yeux : en arrivant

Au bal, je le trouvais sur le seuil; au théâtre,

Il était là, discret, bizarre, opiniâtre,

35   S'inclinant, rien de plus ; ses yeux noirs, grands ouverts,

Restaient braqués sur moi comme deux revolvers !

Ma tante, un soir, me prit à part dans une pièce,

Et, tout en dégustant une glace : « Ma nièce,

Me dit-elle, il est temps de vous parler raison.

40   Vous êtes jeune et belle, en pleine floraison,

? C'est elle qui le dit ! ? faite pour être aimée;

Vous prisez le talent, l'esprit, la renommée

Plus qu'un titre ? Je tiens le mari qu'il vous faut :

Un homme comme vous riche, placé très haut,

45   Jeune encore; un savant illustre, qui vous aime;

Un médecin, le mien. » ? « Monsieur Reynold? » ? « Lui-même !

Et tenez, le voilà : j'en suis sûre, anxieux

Dans le salon voisin : il vous cherche des yeux ! »

C'était lui qui, guettant à toutes les issues,

50   - Avec ses revolvers, - nous avait aperçues ;

Mais qui, nous devinant dans cette intimité,

S'était sournoisement glissé d'autre côté.

- « Ma tante, votre ami, s'il était moins maussade,

Aurait pu se passer avec moi d'ambassade !

55   Mais, qu'il s'explique ou non, vous savez mon dessein :

La liberté me plaît ! - Et puis, un médecin !

Non, vous n'auriez pas eu, vous seule, cette idée !

Choisir un personnage à l'allure guindée,

Grave à faire penser que ce futur époux,

60   Lorsqu'il vous tend la main, veut vous tâter le pouls ?

Il vous le tâterait devant monsieur le maire ! »

Elle va d'un meuble et d'un siège à l'autre, serrant divers bijoux dans un coffret ; fourrant livres et objets de» toilette dans un sac de nuit, avec un agacement nerveux.

Madame de Mayran, poursuivant sa chimère,

Pendant huit jours revient à la charge : un docteur

Que l'Institut réclame, un sage, un bienfaiteur;

65   Elle me conterait quelque jour son histoire;

On citait ses travaux et son laboratoire ;

Un franc original, dédaigneux des châteaux,

Et penchant son front pâle aux lits des hôpitaux !

- Grand merci ! Parlez-moi de ces enthousiasmes !

70   M'apporter un hommage escorté de miasmes !

Vivre de la clinique et rêver du boudoir !

Disséquer le matin, vous adorer le soir !

J'en ai froid. - Et puis, moi, je deviendrais jalouse :

Je prétends que l'on soit tout à moi, quand j'épouse !

75   Un médecin ! Monsieur s'absente jour et nuit.

Sait-on jusqu'où l'amour du prochain le conduit?

Dehors, chez lui, partout, son rôle est de se taire,

Et, comme un confesseur, c'est l'homme du mystère !

S'il n'avait à traiter que des vieillard goutteux,

80   Ou, dans leurs berceaux blancs, des anges souffreteux,

- Ou ma tante, - soit! Mais il reçoit, portes closes,

Des femmes qui s'en vont lui raconter des choses!...

Ou bien il voit, dans l'ombre, un beau corps alité,

Et déjà son regard n'est qu'infidélité.

85   Non, non, jamais ! - Un jour, elle me dit : « Vous êtes

Fatiguée, et le sang afflue à vos pommettes;

Vous toussez cet hiver; je vous trouve moins bien ;

Venez le consulter; cela n'engage à rien. »

Elle revient se rasseoir.

Aurais-je dû la croire, et me prêter au piège ?

90   Pourquoi l'ai-je écoutée ? et dans quel but ? le sais-je ?

- « Moi, malade ? » - « Venez, ma voiture est en bas.

Je l'ai fait prévenir, et nous n'attendrons pas ! »

Nous entrons. Sa froideur m'irrite et me rassure.

Il me tâte le pouls. Voilà ! j'en étais sûre !

95   Un peu plus, il m'aurait auscultée. Ah ! mais non !

Il vous faudra, dit-il, quelques eaux de renom,

La mer, puis Aix-les-Bains en août ! Moi, je réclame :

« Mais, docteur, je suis donc en danger? » - « Non, Madame ;

Mais au lieu de guérir, nous prévenons le mal,

100   Et nous vous prescrivons un traitement thermal ! »

L'hiver passe. On se voit, on se rencontre, on cause.

- Mais d'amour pas un mot, le fourbe ! En fait de prose,

Les poisons en faveur, deux lignes qu'il écrit :

« Prenez ceci, cela ! » Voilà tout son esprit !

105   Nous allons à la mer. Ma tante savait-elle

Qu'il nous suivrait, ayant là-bas sa clientèle ?

Je remarquai pourtant son air intimidé.

J'avais dit, au départ, un « non » bien décidé.

Nous quittons Étretat où, d'humeur persistante,

110   Il comptait sur mon pouls la fièvre de ma tante.

Il tremblait : croyait-il mon coeur moins endurci ?

Ah ! Je le détestais ! - Nous débarquons ici.

Un vrai nid d'amoureux au pied d'une montagne.

Madame de Mayran, ce matin, m'accompagne

115   Chez un docteur, lequel, assez sommairement,

Sans se montrer, m'adresse à l'Établissement,

Pour y prendre mon bain. J'endosse ce costume,

Et me fais trimballer là-bas : c'est la coutume...

Elle se lève avec humeur.

Ah ! Les cahottements de la chaise à porteurs !

120   Les couloirs imprégnés d'écoeurantes moiteurs,

Et le rude entretien des baigneuses entre elles,

Que je prenais d'abord pour autant de querelles !

Et cet accoutrement grotesque, où nous cachons

Notre mauvaise humeur sous nos grands capuchons;

125   Et, dans ce blanc troupeau de nonnes effarées,

Les médecins, prenant leurs mines affairées,

Et faisant trente fois, sur la foule en peignoir,

Passer et repasser leur affreux tuyau noir !

Tandis que j'observais, drapés dans leur flanelle,

130   Les plus beaux noms de France, assis en sentinelle

Pour attendre leur tour, la baigneuse me dit :

« Le docteur !» Je me tourne, et tout mon coeur bondit!

C'était lui ! lui, debout devant moi, qui me brave,

Avec un thermomètre à la main, calme et grave !

135   Je fuis à la buvette et l'aperçois de loin

Qui remplit un grand verre et qui me l'offre à point :

Je le jette sans boire. Admirez cette audace !

Pour l'éviter, pensant lui dérober ma trace,

Je cours jusqu'à la douche ; il m'y suivrait encor,

140   Si, poussant une porte au fond d'un corridor,

Et trouvant le grand air après cette fournaise,

Je n'avais, sur le seuil, pris au vol une chaise

Où je monte, en criant aux porteurs : « Grand Hôtel ! »

Il m'avait devancée au perron du castel,

145   Et m'aidant à sortir, sans perdre contenance,

Elle prend avec colère sur la table l'enveloppe qu'elle y a jetée en entrant, la lit et la rejette avec impatience.

M'a glissé dans la main ce papier : « Ordonnance ! »

Quel aplomb ! - Et me voir sous un aspect pareil,

Elle s'approche de la psyché en ôtant son peignoir.

Avec ce teint, ces yeux tout bouffis de sommeil,

Et ce déguisement à danser la bourrée ;

150   Ce veston, ces rubans, cette toile cirée !

Elle ôte son bonnet et arrange ses cheveux.

Être laide à ses yeux ainsi que me voilà !

Madame de Mayran, vous me paierez cela.

Elle se rapproche de nouveau de la g1ace.

Laide?... Mais non, mais non: je n'en suis pas si sûre...

Ce regard-là peut faire encore sa blessure !

155   Et j'en sais qui troublaient les coeurs, en cet état,

Sans me valoir peut-être, - aux galets d'Étretat !

Eh ! bien, si je lui plais même sous mon lainage,

Tant mieux ! qu'il soit puni, pour aimer à son âge !

Elle se rassied.

A son âge ? il est jeune, il est même très bien !

160   A-t-il des cheveux gris ?... si peu !... C'est un moyen

D'être au goût des maris ; et, sans la clientèle,

Il quitterait bientôt ses grands airs de tutelle !

Au fond, ce n'est qu'un fat. Ce regard pénétrant,

Ce ton correct, cet air toujours indifférent,

165   Cachent des profondeurs, comme les eaux dormantes.

Sa voix, quand il le veut, a des notes charmantes.

Pourtant il me fait peur, je ne sais pas pourquoi ;

Et je sens près de lui que je doute de moi.

Je l'ai fort mal traité, j'en conviens ! Mais sa ruse,

170   Pour me revoir ici, demeure sans excuse.

M'expédier aux eaux, sachant qu'il y viendra,

Provoquer un dépit dont il se moquera,

Jouer à mes dépens pareille comédie,

Sont de ces procédés que l'amour répudie !

175   On l'a poussé, sans doute, à ce manque d'égards :

Ils en seront tous deux pour leurs frais, et je pars...

Elle se lève et se remet vivement à emballer ses bibelots et à tirer d'une garde-robe quelques objets de toilette, qu'elle dépose sur les sièges.

M'en aller?... retourner, pendant la canicule,

À Paris, et me rendre à jamais ridicule ?

Tous les jours me montrer seule au Bois ? - Quel régal ! -

180   Et même autour du lac me croire au Sénégal ?...

Reprendre le chemin d'Étretat sans ma tante ?...

Me promener, causer, rire, vivre ? Imprudente !

Recevoir mes amis, fussent-ils impotents ?...

On me le permettra, quand j'aurai quarante ans :

185   Encore !... Nous n'avons, quand nous sommes jolies,

Qu'un droit, un seul, celui de faire des folies !

Devoir, raison, sagesse, honnête liberté,

Monde ou retraite, à mal tout nous est imputé.

Mais les hommes ! Maris, veufs ou célibataires,

190   Ils peuvent tout risquer, sans peur des commentaires !

Ces médecins surtout !... Le dernier carabin

Aura le droit bientôt de vous surprendre au bain,

Comme Actéon ! - Que faire ? Ah ! qu'il était commode

Le couvent, - autrefois ! - Mais ce n'est plus la mode.

195   Si Monsieur de Cayrol avait su me laisser

Un petit bout d'enfant adorable à bercer,

J'aurais trouvé facile, après lui, cette épreuve,

Et la mère, du moins, protégerait la veuve !

Mais on me croit légère, et l'on est insolent.

Elle reprend machinalement le paquet cacheté, et relit.

200   « Ordonnance ! » La chose est du dernier galant !

Un autre, pour montrer sa flamme plus intense,

Aurait feint d'accomplir un exploit d'importance,

Aurait cru que ma chaise au galop s'emportait ;

Au-devant des porteurs bravement se jetait,

205   Ou, surveillant de près la baigneuse distraite,

M'arrachait aux périls d'une douche indiscrète !...

Mais lui !... - Voyez un peu ce joli billet doux,

Sentant la pharmacie, et parfait pour la toux !

Ah ! C'est affreux ! On joue avec l'amour! On blesse

210   Cruellement un coeur qui n'a que sa faiblesse !

Je puis avoir des torts, mais nul ne me défend!

On me traite en malade, ou plutôt en enfant ;

Et celui que j'ai cru plus fidèle et plus tendre,

M'abreuve d'ironie, au lieu de me comprendre !

215   Pourquoi pas quelque philtre à se faire adorer ?

Je rage, je suffoque, et je voudrais pleurer !

Elle commence par froisser l'enveloppe, puis l'ouvre brusquement et en tire, avec une colère mêlée de surprise, plusieurs petites lettres également cachetées, qu'elle examine et range successivement sur la table.

Des paquets ! C'est cela. - étiquetés ! La dose !

Et c'est ainsi qu'on aime, et c'est cela qu'on ose !

Lisant:

« Amers, dérivatifs, stimulants, calmants...» Quoi ?

220   Tant de médicaments dissemblables, pour moi ?

Tout le Codex !...

Elle aperçoit un billet ouvert.

Ce pli m'expliquera sans doute...

Pourquoi trembler ainsi ? Qu'est-ce que je redoute?

Elle s'arrête un instant, rêve, puis ouvre lentement le billet et le lit

« Oui, vous êtes malade, et le miroir vous ment !

Je voudrais vous guérir, lentement, sûrement...

225   Du mal dont vous souffrez j'ai saisi les symptômes :

C'est un vide du coeur, tout hanté de fantômes ;

Vous doutez du bonheur, et vos nerfs excités

N'ont plus rien qui se prête à nos réalités !

Si mon art vous surprend et se singularise,

230   N'importe ! ouvrez un pli, Madame, à chaque crise

Pour moi, comme pour vous, j'ai dosé le poison !

Je suis audacieux pour votre guérison:

Peut-être pour la mienne aussi ! » Que veut-il dire ?

Un silence. Elle touche les diverses enveloppes et les tâte.

Est-ce poudre ou parole ?... Est-ce à prendre ?... Est-ce à lire ?...

Elle prend le premier pli et lit:

235   « Amers ! » Ouvrons ! Rien ?

Elle regarde à l'intérieur de l'enveloppe comme pour y chercher quelque chose.

Rien qu'une lettre ?

Elle lit.

  « Pardon,

Madame ! J'avais tort, quand je vous ai fait don

De mon coeur tout entier que je croyais plus ferme !

Si vous n'avez pas- su lire ce qu'il renferme,

La faute en est à moi d'être si mal compris,

240   Et votre dur accueil en est le juste prix!

Avant vous, je n'avais qu'un culte, la science.

J'ai senti que l'amour est une autre croyance;

J'ai rêvé qu'à vous voir marcher à mon côté,

Je doublerais ma force avec ma volonté,

245   Et que je me ferais une place tout autre,

Pour honorer un nom qui deviendrait le vôtre !

Sauvage, j'ai cherché le monde; maladroit,

J'ai paru tour à tour trop ardent ou trop froid!

Grave, on m'a fait pour vous risquer un badinage :

250   Je vois que j'ai joué fort mal mon personnage ;

Et je sais désormais qu'il ne m'est plus permis,

Ridicule à ce point, d'être de vos amis ! »

- Pauvre Reynold !- « Amers ! » Mais non ! mais cette lettre

Est douce comme baume, et déjà me pénètre !

Souriant avec une certaine curiosité :

255   Tous les autres paquets seraient-ils aussi doux?

Le traitement me plaît. Encore un : risquons-nous !

Elle prend un second paquet dont elle lit la suscription :

« Dérivatif. »

Elle l'ouvre et en tire une lettre qu'elle lit.

« Oh ! Non, ne partez pas encore !

Demeurez ! Ce pays est de ceux qu'on explore.

C'est à moi de partir, c'est moi qui me soumets.

260   Retrouvez votre calme à l'air pur des sommets !

Le matin, gravissez ces routes ombragées,

En sinueux lacets sous les pins allongées !

Le soir, sur ce beau lac bercez-vous mollement !

Ah ! Si tous deux, perdus dans cet enchantement,

265   Oubliant les rameurs, nous voguions en silence !

Si je pouvais redire au flot qui nous balance

La page où Lamartine a versé ses douleurs,

Et dans la coupe d'or cristallisé ses pleurs !

Ces vers dignes de vous, ils sont dans ma mémoire !

270   Je sais aussi pleurer, et vous pouvez m'en croire.

Mais laissons cette idylle et ce rêve ébauché.

Je l'avais entrevu, je m'en suis détaché!

L'oubli sera pour vous facile et sans souffrance,

Puisque je n'ai connu que votre indifférence! »

Elle essuie une larme et demeure rêveuse.

275   Ah ! Son « dérivatif » agit mal ! Il a cru

Distraire ma pensée, et tout a reparu !

Elle prend un autre paquet et l'ouvre.

Un « stimulant» : tant mieux!... sa haine, je suppose ?...

Elle lit avec émotion.

« Pourquoi me lisez-vous, Madame? quelle cause

Vous fait pousser toujours le traitement plus loin ?

280   Ne vous occupez plus d'un fou, qui n'a besoin

Que de songer à vous pour être insupportable,

Et qui met ses clients en péril véritable... »

S'interrompant.

- Ah mon Dieu 1

Continuant.

- « Ma raison ne tient que par un fil.

Pour vous guérir j'ai pris un poison si subtil,

285   Que j'en suis la victime à la fin ! Pauvre sage,

Échouant dans l'amour dès son apprentissage!

Moquez-vous! je n'ai plus au coeur aucun orgueil :

De mes ambitions je vais porter le deuil;

Ma vie est condamnée et ma carrière est close !

290   Adieu donc! ».

Très troublée.

  Cette fois, il a forcé la dose !

Me faire vos adieux, Reynold ! si brusquement !

Je me sens défaillir! vite! vite, « un calmant »...

Les gens devraient crier quand on les assassine !

Un drame qui se cache en pleine médecine!

Elle saisit le dernier paquet, et l'ouvre rapidement.

295   « Ma chère nièce.... » Tiens ? Que veut dire cela,

Et comment cette douche arrive-t-elle là ?

Elle s'arrête un instant, puis, plus gaiement.

Ma tante qui s'en mêle et travaille au volume?..

Elle lit.

« Je tombe juste à point pour arracher la plume

À Reynold: il pleurait et m'a tout avoué !

300   Ce n'est qu'un grand enfant, et je l'ai secoué !

Je soupçonnais déjà vos beaux projets de fuite,

Ma nièce, et je venais l'en avertir de suite.

Il a joint mon billet au sien, bon gré, mal gré !

Il reste, et j'ai promis que je vous retiendrai.

305   N'allez pas m'obliger à manquer de parole!

Vous l'aimez ! Vous l'aimez, ma nièce, ou je suis folle !

Vite, un bon mouvement ! Vous l'aimez ! Tous ces jeux

Auraient fatigué même un coeur plus ombrageux !

Cette fois, vous direz un bon oui, je l'espère,

310   Et ferez trois heureux ! »

Émue et après un silence :

  - Le traitement opère....

Bonne tante ! les mots ont des effets puissants !

Quel calme inattendu!... Qu'est-ce donc que je sens ?...

Que c'est bon !...

Touchant sa tête et son coeur.

Là, puis là, quel étrange bien-être!...

La crise est dissipée... il me semble renaître!...

Elle court à la porte qu'elle ouvre.

315   Mariette !

Elle revient à la table, s'assied et écrit à haute voix.

  « Je suis guérie, il était temps !

À mon tour d'ordonner, Reynold : je vous attends ! »

Elle se lève et, tout en fermant sa lettre.

Ô vertus d'Aix-les-bains, vraiment inespérées !

Pour cette guérison, merci, sources sacrées !

J'y devrais, en partant, suspendre un ex-voto,

320   Puisqu'un jour a suffi, - sans une goutte d'eau !

 



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