LA VOLIÈRE, OU LES OISEAUX POLITIQUES

VAUDEVILLE

REPRÉSENTÉ, POUR LA PREMIÈRE FOIS, À PARIS, SUR LE THÉATRE DU GYMNASE-DRAMATIQUE, LE 16 MAI 1850.

1850.

PAR MM. LEUV[E]N et BRUNSWICK.

À PARIS, TRESSE, Galerie du Théâtre Français, PALAIS-ROYAL.

Imprimerie Dondey-Dupré, rue Saint-Louis, 46, au Marais.


Texte établi par Paul FIEVRE, septembre 2024.

Publié par Paul FIEVRE, octobre 2024.

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2025 à 16:00:40.


DISTRIBUTION DE LA PIÈCE.

JACQUOT, marchand d'oiseaux M. GEOFFROY.

PINCETOUT, oiseleur M. Alexandre LANDROL.

MELONNINI, M. PRISTON.

CASCARET, commis de Jacquot Mlle VALÉRIE.

LE CANARD, M. VILLARS.

LE SERIN, M. LESUEUR.

LE CHAT-HUANT, M. MARCHAND.

LE DINDON, M. BORDIER.

UN PETIT PERROQUET VERT, Le petit EDMOND.

UN PETIT PERROQUET BLANC, Le petit AUVIGNE.

FRANCINETTE, poule blanche, Melle MACÉ.

UNE HIRONDELLE, Melle WOLFF.

DEUXIÈME HIRONDELLE, Melle JENNY.

TROISIÈME HIRONDELLE, Melle DELPHINE.

UN COCHER, M. MANTE.

CORMORAN, personnage muet.

L'OIE, personnage muet.

LA GRUE, personnage muet.

LA CHAUVE SOURIS, personnage muet.

PERROQUETS, personnage muet.

HIRONDELLES, personnage muet.


LA VOLIÈRE

Le théâtre représente un jardin ; de tous côtés on aperçoit de grandes volières remplies d'oiseaux de tous genres.

SCENE I.
Jacquot, Cabaret.

Au lever du rideau la scène est vide.

JACQUOT, appelant dans la coulisse de gauche.

Cascaret !...

CASCARET, dans la coulisse de droite.

Bourgeois !

JACQUOT, criant.

Les oiseaux doivent avoir faim... donne-leur donc à manger.

CASCARET, accourant.

Oui, bourgeois.

Il entre tenant un petit panier rempli de graine.

JACQUOT, entrant.

Cascaret !...

L'apercevant.

Ah ! C'est bien heureux !... Monsieur Cascaret, s'il vous arrive de faire encore jeûner mes oiseaux, je vous flanque à la porte de mon établissement, de mon bazar de volatiles.

CASCARET.

C'est drôle tout de même, que vous, monsieur Jacquot, un ancien notaire, vous vendiez des chardonnerets, des pinsons, des perroquets.

JACQUOT.

Eh bien, quoi ! C'est l'exploitation de l'oiseau par l'homme !...

CASCARET.

Mais, bourgeois...

JACQUOT.

Tu m'impatientes !... Va-t'en, et porte ce qui te reste là de graine à ma jolie poule blanche, ma benjamine, ma Francinette, et que, dans mes moments de gaieté, j'appelle ma petite France.

CASCARET.

Oh ! Dites donc, à propos de ça, le Canard fait drôlement de cancans sur votre petite France.

JACQUOT.

Bah !

CASCARET.

Dame !.. Il rôle autour d'elle pas mal de prétendants!...

JACQUOT.

Chut ! Je sais bien .. Je sais bien qu'il y a des prétendants... mais ça ne te regarde pas; c'est à elle de fixer son choix... Va faire ce que je t'ai dit... Ah ! Cascaret, ferme bien toutes les portes.

CASCARET.

Oui, oui... à cause de Monsieur Pincetout, votre voisin.

JACQUOT.

Cet horrible oiseleur... Il rôde toujours autour de mes volières pour saisir et piper mes oiseaux.

On entend à l'extérieur le cri du Canard.

Allons bon ! Voilà déjà le Canard... Il vient encore nous apporter de fausses nouvelles... C'est bien le bipède le plus hâbleur, le plus... dentiste que je connaisse.

SCÈNE II.
Les mêmes, Le Canard.

LE CANARD.

AIR : Canard, canard. (Caleb.)

Mes deux poumons sont de bons démocrates;

Je vais criant qu'on va revoir chez nous

Raison, génie, inspirer nos Socrates,

Et nos Solons dîner à vingt-deux sous ;

5   Je vais criant : égoïsme, ignorance,

Ambition, qui de tout fait sa part,

Orgueil, intrigue, et tous les maux de France,

C'est aujourd'hui le jour de votr' départ...

Canard, canard, canard!

10   Ah ! vive le canard !

Oui, vive le canard !

JACQUOT.

Canard, ta place n'est pas ici... Elle est dans la basse-cour ou dans la rivière... Barbote, mon ami, barbote !...

LE CANARD.

Il n'y a pas que moi qui barbote en France ; d'ailleurs, c'est ma mission de troubler l'eau.

JACQUOT.

Quant à ça, je ne te blâme pas, surtout dans ce moment-ci.

AIR : Je loge au quatrième étage.

Jadis la Franc', comme Narcisse,

Fière de fraîcheur, de santé,

Mirait quelquefois, par caprice,

15   Dans l'eau du fleuve, sa beauté ;

Elle charmait sa vanité.

Les temps sont changés, camarade,

L'eau devient un triste miroir,

Trouble-la... le pays malade

20   Frémirait, s'il pouvait s'y voir.

LE CANARD.

À propos, vous ne savez pas ? Nos deux candidats... Ils ne seront pas nommés... À la fin de leur profession de foi, ils ont l'imprudence eu de dire qu'ils avaient un domicile !... Ils échoueront contre les deux autres, qui ont l'avantage de n'en pas avoir. Ah ! Vous ne savez pas ? Paris touche à un grand cataclysme.

CASCARET.

Cata, quoi ?

LE CANARD.

Clisme !... Depuis longtemps il s'organise une vaste conspiration contre la République.

JACQUOT.

Ah ! Sapristi !... Ah ! Quel malheur !... Sapristi!...

LE CANARD.

Le nombre des affiliés est immense... On connaît le lieu de leurs réunions.

JACQUOT.

Où se rassemblent-ils ?

LE CANARD.

Sur le Pont-Neuf, dans la statue d'Henri IV.

JACQUOT.

En voilà un canard !

LE CANARD.

Quand. quand, quand, quand on passe le soir, on les voit entrer dans le cheval... Ils sont tous à la queue.

JACQUOT.

Canard ! Il fallait rester chez toi, si, en fait de nouvelles, tu n'avais...

LE CANARD, se fâchant.

Ne parlez jamais de navets devant un canard.

Cascaret sort. On entend la ritournelle de l'air suivant.

SCÈNE III.
Jacquot, Le Canard, puis Francinette.

JACQUOT.

Eh ! J'entends ma petite poule Francinette !

FRANCINETTE, entrant.

AIR de Vert-Vert. (Par une route solitaire.)

Cod, cod, cod, cod, cod, cod, codette !

Me voilà, c'est moi Francinette,

Et je compte dans le paya

De nombreux, de brillants partis

25   Oui, chacun d'eux voudrait fixer mon choix.

Mais je ne sais vraiment à qui donner ma voix.

S'engager avec eux. C'est un grand embarras.

Et je crains les faux pas...

Cod, rod, cod, cod, cod, cod, codette,

30   Me voilà, c'est moi Francinette,

Et je compte dans le pays

De nombreux, de brillants partis !

JACQUOT.

Eh bien, ma pauvre Francinette, toujours solitaire, rêveuse, quêteuse.

FRANCINETTE, soupirant.

C'est vrai, père Jacquot, je cherche...

AIR : Adieu, je vous fuit, boit charmant.

Je ne sais pas si l'avenir,

Me prépare quelque trouvaille;

35   Le présent ne vient pas m'offrir

Ici des perles sur la paille !

Vous me direz : quels sont tes voeux !

Je ne le sais pas bien encore...

Mais il me semble que je veux,

40   Quelque chose... qui me restaure.

JACQUOT.

Ah ! Mon Dieu ! Ma Francinette, ma petite France !... Mais vous boitez, ma chérie !...

FRANCINETTE.

Vous ne vous en aperceviez pas ? Il y a plus de deux ans que j'éprouve des difficultés dans ma marche.

JACQUOT.

Oui, oui, en effet, j'ai remarqué que tantôt vous penchiez à gauche, tantôt à droite... Dites donc, prenez garde à ça, il faut taire une consultation générale.

FRANCINETTE.

J'en aurais bien envie ; mais-il paraît que je n'ai pas le droit de consulter avant 1852 ; on prétend que je peux aller jusque-là sans danger.

JACQUOT.

Ta, ra, ta, ta !... Ce n'est pas mon avis Je déclare que vous avez besoin d'un soutien... Prenez un mari ; vous ne manquez pas de prétendants.

FRANCINETTE.

Je le sais.

JACQUOT.

D'abord, nous avons le citoyen Vautour... Il ne serait pas fâché de goûter à voire cuisine ; il a fort appétit.

FRANCINRTIE.

Nous avons aussi le Coq.

JACQUOT.

Pauvre Coq ! Il voudrait bien percher à côté de vous, et si vous lui tendiez la perche...

FRANCINETTE.

Et le Duc, comme il soupire pour moi.

JACQUOT.

Ça ne serait peut-être pas un mauvais parti !... Et l'Aigle, donc ! Comme il vous fait de l'oeil !...

FRANCINETTE.

Oui, c'est une association de soupirants non réunis. J'ai eu ce matin un entretien sérieux avec tous les quatre.

JACQUOT.

Avec tous les quatre à la fois ?

FRANCINETTE.

Pourquoi pas ?

AIR du Domino noir.

En amour, comme en politique,

L'usage veut qu'on soit discret,

En tête-à-tête l'on s'explique...

Moi, je n'aime pas le secret.

45   De chacun pesant bien l'ardeur,

Faisant le compte de l'erreur,

Je leur ai dit tout ce que j'avais sur le coeur !

Le Coq brilla par ses travaux ;

Sous sa truelle et ses ciseaux

50   De son tombeau

Versailles sortit tout nouveau.

Par sa force, le calme brille,

Et, vigilant réveil-matin.

À l'ouvrier, à sa famille,

55   Chaque jour il donna du pain.

Le Duc, ou l'appelle boudeur,

On lui reproche sa froideur...

Pour son honneur,

Je réponds à l'accusateur :

60   Si l'homme riche se fait pas

De grandes fêtes, du fracas,

C'est par pudeur...

On n'insulte pas au malheur !

Rendons les ateliers tranquilles,

65   Pacifions tous nos hameaux,

Respectons l'ordre dans les villes,

On dansera dans les châteaux.

L'Aigle est fier et plein de valeur,

Je lui confierais mon honneur.;

70   Mais du canon

Je n'aime plus autant le son...

Autre temps veut autre métier,

Notre sol fut assez guerrier ;

Plomb meurtrier

75   Coûte plus que pain nourricier.

Quant au Vautour, son triste hommage

Voudrait, je crois, forcer mon coeur;

Mais, quand il parle mariage.

Son air sauvage me fait peur.

80   Il veut, despote en la maison,

A chaque instant avoir raison ;

C'est par des cris

Qu'il nous transmet tous ses avis;

Soir et matin,

85   Triste, chagrin,

Il apporte dans le festin,

Pour doux refrain,

La fusillade et le tocsin !

Avec lui jamais d'alliance,

90   C'est un prophète de malheur !

Pour obtenir ma préférence

Il faut avoir un noble coeur.

LE CANARD, à Jacquot.

Ah ! Vous ne savez pas? on dit que les Cosaques sont Picpus!...

JACQUOT.

Canard, assez !... Va porter tes nouvelles à d'autres jobards !

LE CANARD.

Je cours à la Démocratie pacifique

Il sort en chantant.

Canard, canard, canard!

N'est jamais en retard !

95   Ah vive le canard !

SCÈNE IV.
Jacquot, Francinette, un Cocher, tenant un fouet à la main.

LE COCHER, entrant.

Voilà, voilà, Mademoiselle... Votre équipage est prêt...

JACQUOT.

Vous sortez, Francinette ?

FRANCINETTE.

Oui... Un tour au bois... J'ai demandé une voiture...

Regardant dans la coulisse.

Ah ! Bon Dieu ! Qu'est ce que vous m'avez amené là ? Quelle antiquaille !

JACQUOT. regardant aussi.

Mais je reconnais ce carrosse... Oh ! Il est bien vieux... Souvent Henri IV y montait avec tous sec, ministres... Aussi, dans ce temps-là, l'appelait-on le char de l'État.

LE COCHER.

C'est toujours son nom...

JACQUOT.

AIR de Mme Favart.

Couvert d'éclatantes bannières,

Nous offrant un brillant aspect,

Ce vieux char. au temps de nos pères.

Inspirait amour et respect ;

100   Mais, aujourd'hui, chacun veut placé

Sur le siège, dedans, dessus;

Si bien que notre char menace

De devenir un omnibus

En ce moment on entend parler haut dans la coulisse.

FRANCINETTE.

Eh ! Mon Dieu ! Qu'est-ce que cela ?

JACQUOT, allant regarder.

Pardieu ! Ce sont vos prétendants !... Ils veulent tous quatre monter sur le siège et conduire le char de l'État. D'ici, je les entends vous crier :

AIR : Tra la la.

Prenez-moi 1

105   Prenez-moi !

Car je m'y connais, ma foi;

Prenez-moi !

Prenez-moi 1

Le siège doit être à moi !

FRANCINETTE,parlant.

Mais lequel prendre ?

JACQUOT, continuant l'air.

110   L'un vous mèn'ra royal'ment,

L'autr' constitutionnell'ment...

Le troisième impérial'ment,

Le dernier socialement.

FRANCINETTE,parlé.

Une idée !... Je vais faire un essai... Pour aujourd'hui, je les laisserai conduire tous les quatre à la fois...

JACQUOT, bas d Francinette.

SUITE DE L'AIR.

Je n' dois pas vous l' cacher,

115   Vous pourriez bien accrocher ..

Quand on veut bien marcher,

Vaut mieux ne prendr' qu'un cocher.

ENSEMBLE.

JACQUOT.

Je n' dois pas vous l' cacher,

Vous pourriez bien accrocher ..

120   Quand on veut bien marcher,

Vaut mieux ne prendr' qu'un cocher.

FRANCINETTE.

J'espère bien marcher,

Sans avoir peur d'accrocher ;

En les voyant marcher

125   Je choisirai mon cocher.

Elle sort suivie du cocher.

SCÈNE V.
Jacquot, puis Melonnini.

JACQUOT, les suivant jusqu'à la coulisse.

Faites bien attention... N'allez pas verser !

MELONNINI, entrant du côté opposé.

Monsieur Jacquot, s'il vous plaît ?

JACQUOT, se retournant.

Ancien notaire, marchands d'oiseaux ; c'est moi, monsieur...

MELONNINI.

Ai-je pataugé dans Paris pour vous trouver... Après ça, quand on est étranger...

JACQUOT.

Ah ! Vous êtes...

MELONNINI.

Oui... Je suis exotique... Je m'appelle Melonnini !

Avec tristesse.

J'ai le malheur d'habiter un pays qui vit encore en monarchie...

JACQUOT, très-étonné.

Comment ! Il y en a encore ?

MELONNINI, tristement.

Parole d'honneur...

JACQUOT, lui prenant la main.

Je vous plains, Monsieur...

MELONNINI, soupirant.

Oh ! Oui... Nous sommes bien à plaindre.

AIR : Nous avons le pont national.

Nous végétons avec tiédeur

Sous un régime sans couleur ;

Pourvu que l'on soit travailleur.

On vit chez nous de son labeur.

130   On appelle ça le bonheur...

JACQUOT, se récriant.

Ah ! Quel blasphème ! Ah ! Quelle erreur !

MELONNINI.

Chez nous, voyez donc quelle horreur,

Le portier n'est pas électeur 1

Au lieu de se faire orateur,

Un bon tailleur reste tailleur,

135   Jamais de club agitateur,

Pas d'apôtre dévastateur...

JACQUOT.

Quoi ! Pas un seul conspirateur?

MELONNINI.

Pas mêm' d'affreux petit rhéteur t ......

ENSEMBLE.

JACQUOT.

Pour vous, monsieur, quel déshonneur !

MELONNINI.

140   Pour nous, monsieur, quel déshonneur !

Quel pays de malheur !

Ils tombent dans les bras l'un de l'autre.

JACQUOT, s'attendrissant peu à peu.

Comment ! Chez vous, pas le moindre honorable citoyen qui veuille mettre tout sens dessus dessous ?

MELONNINI, mettant son mouchoir sur ses yeux.

Non, monsieur !...

JACQUOT.

Pas de novateur qui hurle : À bas la propriété !;..

MELONNINI, sanglotant.

Non ; Monsieur !

JACQUOT, pleurant plus fort.

Ah ! Monsieur...

Ils tombent de nouveau dans les bras l'un de l'autre en fondant en larmes.

MELONNINI.

AIR : Eh ! ma mère, est-c' que j' sais

Chacun soign' son héritage.

Et c' qu'il a veut le tenir ;

On respect' le mariage;

145   Les enfants doiv'nt obéir;

On se conform', sans murmure,

Aux lois qu' la raison traça...

V'Jà quinze cents ans qu' ça dure...

Ça n' peut plus durer comm' ça !

JACQUOT.

Non, non, faut changer tout ça !

MELONNINI, reprenant tout à coup un air gai.

Un instant nous avons eu de l'espoir... Il entra dans notre pays des étrangers... des individus mâles... Ils furent logés, nourris, éclairés aux fiais du gouvernement... Pour témoigner leur reconnaissance, ils se mirent à jacasser...

JACQUOT.

Jacasser ?...

MELONNINI.

Eh bien, oui ! Bavarder contre le gouvernement... Dire que c'était un ci... que c'était un ça !... qu'il fallait le renverser !... Alors le gouvernement leur dit avec bonté : Non, non, pas de ça, mes petits enfants... Allez jacasser plus loin... Voilà de quoi faire votre route... partez tranquillement... et au plaisir de ne jamais vous revoir...

JACQUOT, avec colère.

Et il leur a donné de l'argent !... Le gouvernement... Tyrannie... tyrannie !...

MELONNINI.

Alors, il m'est poussé une idée... Je me suis dit : allons trouver le célèbre monsieur Jacquot, marchand d'oiseaux...

JACQUOT.

Ancien notaire...

MELONNINI,

Je l'ignorais !... Ancien notaire... Il possède des oiseaux politiques, des perroquets bavards très au fait des nouvelles phrases à la mode, des grands mots patriotiques, je vais en acheter une cargaison, et, une fois dans mon pays, v'lan ! Je les lâche, et la police, vu leur élévation, ne peut pas leur mettre la main sur le collet.

JACQUOT, avec enthousiasme.

Quelle imaginative !... J'ai ce qu'il vous faut...

AIR : Au clair de la lune.

150   Mon art vous seconde,

Vous sort d'embarras !

Que faut-il, en c' monde.

Pour mettr' tout à bas ?

Maint' phrase tout' faite,

155   Au sens incomplet,

Et qu' chacun répète

En vrai perroquet.

Appelant.

Eh ! Cascaret ! Lâche les perroquets politiques !

CASCARET. du dehors.

Voilà ! Voilà ! Voilà !

SCÈNE VI.
Les mêmes, Cascaret, Huit petits Perroquets.

CHOEUR DES PERROQUETS.

AIR de Roger Bontemps.

As-tu déjeuné, Jacquot ?

? Oui, oui, oui, oui ! ? De quoi ? ? Du rôt.

160   As-tu déjeuné, Jacquot ?

? Oui, oui...

JACQUOT, les interrompant.

Silence ! Vous répondrez quand on vous parlera !

À Melonnini.

Monsieur, voilà des perroquets auxquels j'ai fait crier pendant trente ans : Vive le Roi ! Vive l'Empereur !... Maintenant, pour les placer, je lu fais crier : Vive la République ! Un fait ce qu'on peut !

À un des Perroquets.

Attention ! As-tu déjeuné, Jacquot ?

LE PERROQUET.

Oui, oui, oui, oui, oui !

JACQUOT.

Et de quoi ?

LE PERROQUET.

Du nez d'aristo.

MELONNINI.

Ah ! Bravo ! Bravo !

JACQUOT.

Oh ! Ce n'est rien encore... Je l'ai fait percher huit jours dans un club... Il a tout retenu...

Au Perroquet.

As-tu été au club, Jacquot ?

LE PERROQUET.

Oui, oui, oui, oui, oui !

JACQUOT.

Et qu'as-tu entendu, Jacquot ?

LE PERROQUET.

À bas les tyrans, à bas les papas, à bas les mamans, à bat les enfants !

MELONNINI.

Mais c'est très bête, ce qu'il dit là...

JACQUOT.

Dame ! Il répète ce qu'il a entendu... dans les clubs... Maintenant, passons aux vivat politiques...

Au Perroquet.

Jacquot, vive... allons... vive...

LE PERROQUET.

Vive l'empereur... de la République!

MELONNINI.

Eh bien ! Eh bien ! Il se trompe... Il mêle tout ensemble.

JACQUOT.

Ah ! Dam ! Que voulez-vous ! Depuis trente ans on ne sait p'us où on en est ! Et la république, et l'empereur, et la monarchie et le reempereur, et la remonarchie, et la rerépublique !... Allons, Jacquot... Vive... vive la...

LE PERROQUET.

Vive la république de l'empereur !

JACQUOT.

Non, c'est pas ça, voyons, vive...

LE PERROQUET.

Vive... le roi... démocratique et social !

MELONNINI.

Dites donc, dites donc, mais il fait un horrible salmis de l'ancien et du nouveau.   [ 1 Salmis : Ragoût de pièces de gibier déjà cuites à la broche. [L]]

JACQUOT.

Oui, c'est comme lorsque je le fais chanter ; mais j'ai trouvé un moyen !... Vous voyez cette vieille serinette, elle a été faite sous la monarchie.

MELONNINI.

Et vous vous en servez encore ?

JACQUOT.

Mais je l'ai faite arranger, et elle ne joue plus maintenant,que des airs républicains... On me l'a garantie.

Il tourne la manivelle de la serinette ; on entend quelques mesures de la Marseillaise, et, sans interruption, elles sont suivies du commencement de l'air vive Henri IV ; puis la Marseillaise reprend, et bientôt après l'air de Henri IV s'achève.

MELONNINI.

Eh bien, eh bien, qu'est-ce que c'est que ça ?

JACQUOT, regardant l'instrument.

Est-ce qu'il y aurait un réactionnaire caché là dedans !

AIR : Vaudeville de Fanchon.

On m' l'avait garantie,

Et la voilà partie

À droite, à gauche sans raison !..

165   On n'voit que girouettes...

Dans c'temps-ci, plus de convictions ..

Quoi 1 jusqu'aux serinettes

Qui chang'nt d'opinions !

Montrant une cage.

Oh ! Ce n'est pas comme l'oiseau qui est là dans une cage particulière... Cascaret, ouvrez la cage !

À Melonini.

Monsieur, vous allez voir un perroquet qui n'a jamais voulu changer de cri...

Ouvrant.

Petit ! Petit !

SCÈNE VII.
Les mêmes, un Perroquet Blanc, sortant de la cage.

JACQUOT.

Regardez, Monsieur, comme il est joli !...

MELONNINI.

Ah ! Quel charmant plumage !

JACQUOT.

Et ce n'est rien encore que son plumage ! Vous allez entendre son...

Au perroquet.

Jacquot, vive la Ré...

LE PERROQUET BLANC.

Vive son altesse ! Vive monseigneur !

JACQUOT, à Mélonnini.

Voyez-vous !

MELONNINI.

Oui, mais si vous le preniez par la douceur, si vous lui offriez une place, une pension...

JACQUOT.

Ah ! Ah ! Un perroquet ?

MELONNINI.

Ça s'est vu !... Tenez, offrez-lui des friandises.

JACQUOT.

Je veux bien essayer...

Au perroquet.

Tiens, mon petit Jacquot, voilà du bon su-sucre...

LE PERROQUET.

Vive son altesse ! Vive monseigneur ! Vive son altesse !

MELONNINI.

Rien n'y fait... Ah ! Voilà un oiseau rare...

JACQUOT.

J'en ai bien peu comme ça.

AIR : Un page aimait la jeune Adèle.

À mes leçons ils se montrent rebelles,

170   Ma voix en vain voudrait les corriger ;

À leurs vieux cris ils sont toujours fidèles,

Rien ne pourra les en faire changer.

Comprenez-vous, dans les temps où nous sommes

Que j'éprouve tant d'embarras 1...

175   Ces oiseaux-là n' sont pas comm' certains hommes,

Je ne peux pas en faire des ingrats !

MELONNINI.

Allons, Monsieur Jacquot, je vois avec peine que vous n'avez pas les oiseaux que je cherche...

JACQUOT.

Cascaret, éloigne ceux là !...

Cascaret les fait ranger au fond.

Eh mon Dieu ! J'en ai d'autres, que je soigne, que je prépare... mais ce sont de jeunes élèves qui attendent les événements...

AIR des Maris ont tort.

Oui, je lie puis, je le répète,

Les proposer à l'acheteur;

Car leur science est incomplète

180   Et leur langage est sans couleur...

C' n'est pas la faut' du professeur...

Chaqu' jour, du nouveau nous arrive...

J'suis obligé de rester coi...

Je leur apprends à crier vive...

185   En attendant que j' sach' viv' quoi...

Je ne peux que leur fair' crier vive...

Car je n'sais pas encor viv' quoi...

Personn' ne sait encor viv' quoi !

SCÈNE VIII.
LES MÊMES, LE CANARD.

LE CANARD, entrant avec effroi.

Ah ! Vous voilà, Monsieur Jacquot, vous ne savez pas ?

JACQUOT.

Quoi donc ?

LE CANARD.

Je viens d'apprendre pourquoi il n'y a pas eu de boeuf gras cette année... C'est qu'on a craint qu'il ne devint enragé dans les rues de Paris...

JACQUOT.

Pourquoi ?

LE CANARD.

Il aurait pu rencontrer du rouge...

JACQUOT.

Laissez-moi donc tranquille...

LE CANARD.

Vous ne savez pas, on vient de pêcher une baleine près des bains Vigier...   [ 2 Bains Vigier : Bains chauffés installés à bord d'un bateau sur la Seine en contrebas du Pont-Neuf depuis 1761 et récupérés par Vigier en 1800.]

JACQUOT, riant.

Oh ! Je connais celui-là !

LE CANARD.

On l'a ouverte... et qu'est-ce qu'on a trouvé dedans ? les comptes du gouvernement provisoire...

JACQUOT.

AIR : J'ai vu le Parnasse des dames.

Oh ! Cette histoire est par trop forte !

LE CANARD.

190   Je puis vous garantir le fait...

La pauvre baleine était morte

Pour avoir croqué cet objet.

JACQUOT.

Vous prétendez me faire croire

Qu' ces papiers l'ont fait expirer !

LA CANARD.

195   Dam' ! les comptes du Provisoire,

C'est difficile à digérer...

Ça ne peut pas se digérer!

JACQUOT.

Allez vous promener, Canard...

LE CANARD.

Oui, je vais pêcher des nouvelles...

MELONNINI.

Et moi, visiter vos volières...

ENSEMBLE.

REPRISE DE L'AIR de Roger Bontemps.

Oui, je vais, foi de Jacquot.

Vous offrir du neuf et du beau.

200   Vous verrez, chez mes oiseaux,

Les plumages les plus nouveaux.

MELONNINI.

Je vous suis, monsieur Jacquot.

Offrez-moi du neuf et du beau;

Je vais voir chez vos oiseaux

205   Les plumages les plus nouveaux.

LE CANARD.

Je viendrai, monsieur Jacquot,

Vous conter du neuf et du beau.

Bis.

LES PERROQUETS.

As-tu déjeuné, Jacquot ?

Oui, oui, oui, oui. ? De quoi ? ? Du rôt.

Bis.

Cascaret et les perroquets sortent de différents côtés. Jacquot et Melonnini par le fond. Au même instant, Pincetout parait par la gauche.

SCÈNE IX.

PINCETOUT, seul.

AIR : En avant toujours.

210   L'oeil au guet,

Toujours prêt.

Comme un émouchet,

J' viens piper,

Agripper,

215   Happer,

Attraper 1

Mes gluaux,

Mes appeaux,

Mes pièges nouveaux

220   Vont pincer les oiseaux.

Plaçant un grand miroir à alouettes sur le théâtre.

Pauvres oiselets,

Simples et niais,

Vous tromper, quelle joie !

Volez, pour vous voir,

225   Vers ce beau miroir,

Et vous serez ma proie !

L'oeil au guet,

Toujours prêt.

Connue un émouchet,

230   J' viens piper,

Agripper,

Happer,

Attraper !

Mes gluaux.

235   Mes appeaux,

Mes piégés nouveaux

Vont pincer les oiseau !

Regardant autour de lui.

Ah ! Bon ! Plus personne !... Ce gredin de Jacquot est parti... J'ai le champ libre, je vais pouvoir à mou aise lui prendre ce qu'il possède... Pourquoi possède-t-il ?... Parce qu'il a travaillé... belle raison... Est-ce que je ne travaille pas aussi en lui prenant ce qu'il a ?... Je travaille... Disposons mes gluaux, mes appâts, je les ai apportés avec moi...

Appelant.

Cormoran ! plantons les gluaux...

Cormoran paraît portant quatre grandes baguettes surmontés chacune d'un écriteau ; il les plante en terre autour du miroir, puis se retire.

PINCETOIT, lisant le premier écriteau.

DROIT, non, c'est à dire FROID AU TRAVAIL.

Lisant le second écriteau.

À BAS LES RICHES !

AIR: Encore un quart'ron.

Pour c'lui qui n' possèd' guère

Et prétend subito

240   Dev'nir propriétaire,

Avoir tout à gogo,

Ah ! Le bon gluau,

Compère,

Ah ! Quel bon gluau !

Lisant deux autres écriteaux.

PLUS D'IMPÔTS !... - ALLIANCE DU PROLÉTARIAT ET DE LA BOURGEOISIE !...

Même air :

245   Oiseaux trop débonnaires,

Vrais janots et badauds,

Qui doublez vos misères,

En votant toujours faux,

Voilà des gluaux,

250   Mes frères ;

Ah ! Quels bons gluaux !

Maintenant, à mon miroir...

Il dispose le miroir qui se met à tourner.

Bien !...

À ce moment l'orchestre joue la ritournelle de l'air suivant.

Qui vient là ?...

Il regarde.

Bon ! bon ! Mon miroir fait déjà son effet ; j'aperçois la Grue, l'Oie et le Dindon, conduits par le Serin, mes pratiques ordinaires... Ils se dirigent de ce côté... Vite, cachons-nous dans ce bosquet, et lâchons surtout qu'ils ne voient pas la ficelle !

Il entre dans un massif.

SCÈNE X.
Pincetout caché, Le Serin, La Grue, L'Oie, Le Dindon.

CHOEUR.

AIR. Mire dans mes yeux.

Amis, le joli miroir,

Voyez comme il brille !

Amis, le joli miroir !

255   Je grille

De m'y voir !

Voyez, voyez comme il brille !...

Amis, je grille

De m'y voir !

LE SERIN.

Approchons ! Approchons !...

LE DINDON, l'arrêtant.

Glou, glou, glou, glou ! Prenez garde, serin mon compère... Si c'était encore un piège !...

LE SERIN.

Laissez donc ! Je m'y connais... Je ne suis pas Serin pour rien...

LE DINDON.

Glou, glou, glou ! Les leçons que vous recevez ne vous profitent guère..,

LE SERIN, avec vanité.

Des leçons ! Je n'en reçois pas... J'en donne...

AIR : Ah ! le bel oiseau!

260   Ah ! Quell' bonn' leçon vraiment,

J' veux en rire

Jusqu'au délire,

Ah ! Quell' bonn' leçon vraiment

Je donne au gouvernement !

     

265   J'connaissais un candidat

Ami d'la paix de la justice.

Protecteur dé chaque état...

Pas d' danger qu' j' le choisisse...

Ah ! Quell' bonn' leçon vraiment

270   Je donne au gouvernement !

     

C'matin, tin voisin m'disait:

» Puisque votr' liste l'emporte,

Votre argent que j'tenais prêt,

Permettez que je l'exporte. »

275   Ah! q. ell' bonn'leçon vraiment

Je donne au gouvernement !

     

J'veux en rire

Jusqu'au délire,

Ah ! Quell' bonn' leçon vraiment

280   Je donne au gouvernement !

     

Voyons, approchez... Venez sans crainte, vous dis-je... Venez lire ces jolis petits écriteaux... N'ayez pas peur... Hein !... Comme c'est attrayant !...

REPRISE DU CHOEUR D'EMTRÉE.

Amis, le joli miroir 1

Voyez comme il brille!

Amis, le joli miroir !

Je grille

285   De m'y voir !

Tout en chantant, chacun deux s'est approché d'un des écriteaux et parait être pris à la glue.

LE SERIN criant.

Aie ! Aie ! Aie! Je suis pincé !... Je suis englué !...

LE DINDON.

Glou ! Glou ! Glou !... Au secours !

TOUS.

Au secours !

SCÈNE XI.
Les mêmes, Pincetout.

Il rentre vivement et porte sous le bras un grand sac.

PINCETOUT.

AIR : De la Carmagnole.

Je vous tiens, mes petits amis,

Vous êtes cuits,

Vous êtes pris !

LE SERIN.

Ah 1 grand Dieu, de nous c'en est fait 1

290   Nous sommes pris au trébuchet!

PINCETOUT.

Ah ! Ça vous apprendra

À lir' ces écrits-là.

J' vous suivais à la piste

Et bientôt, crac !

295   Par mon mic-mac,

Ma glue socialiste,

Vous mettra, crac !

Dans le sac !

Ouvrant son sac:

Au sac ! Au sac ! Au sac !

LES QUATRE PRISONNIERS, se débattant.

Au secours ! Au secours 1

JACQUOT du dehors.

Qui appelle ?

PINCETOUT.

Jacquot !... Ah ! Diable !... Je ne suis pas en force... Dissimulons !!...

SCÈNE XII.
Pincetout, Le Serin, L'Oie, La Grue, Le Dindon, Jacquot suivi de Cascaret.

JACQUOT accourant.

Me voila ! Me voila ! Ah !.. Bien ! Bon !.. Je vois ce que c'est... Vous vous êtes encore fait pincer... Cascaret !... Aide-les à se désocialiser...

Regardant le serin qui a laissé sa queue au gluau.

Vous avez donc perdu la tête !... Non !... Ce n'est pas la tête qu'il a perdue ! Voyez comme il se fait arranger...

AIR : Le Luth galant.

300   Aux bons avis, aux plus sages discours,

Pauvres serins, vous resterez donc sourds?

Le passé, le présent, hélas! rien ne vous forme;

Aux gluaux du progrès, aux gluaux d'la réforme,

A tout' nouvell' bâtis ; pourvu qu'elle soit énorme.

305   On vous prendra toujours,

On tous plum'ra toujours !

À Pincetout.

Et vous sortez de chez moi, embaucheur !...

PINCETOUT.

Du tout... J'attends ci deux délégués, deux oiseaux de proie ! Nous allons discuter et tenir ici un conclave socialiste.

JACQUOT, arec joie.

Eh bien, je ne serai pas fâché de voir ça.

PINCETOUT.

J'entends mes amis...

SCÈNE XIII.
Les mêmes, Le Chat-huant, La Chauve-souris.

LE CHAT-BUANT ET LA CHAUVE-SOURIS.

AIR : Des premières armes du Diable.

Oiseau de la nuit,

J'arrive sans bruit;

J'aime l'ombre

310   Sombre !

Mon règne viendra ;

A ce moment-là,

La nuit régnera.

PINCETOUT.

Salut et fraternité, citoyen Chat-Huant !

LE CHAT-HUANT.

La séance est ouverte, et nous allons développer nos théories.

JACQUOT.

Ah saperlotte, je vais donc savoir ce que c'est que le socialisme.

LE CHAT-HUANT.

C'est facile à expliquer... Tenez, voilà le citoyen Pincetout qui depuis deux ans a écrit d'admirables articles sur cette nouvelle branche d'industrie. Je lui donne la parole.

PINCETOUT.

Le socialisme, c'est le... non, le socialisme, c'est la... non, le socialisme, c'est les... non, Chat-huant, je vous cède la parole.

JACQUOT.

Ça ne vient pas tout seul ! 1

LE SERIN.

Ces choses faciles là sont difficiles à expliquer.

LE CHAT-HUANT.

Citoyens !... Que je suis bête ! J'ai là dans ma poche la définition la plus lucide, à l'usage des esprits les plus épais.

Il tire un petit livre de sa poche.

Écoutez :

AIR : Aux braves hussards du cinquième.

Par sa surface égalitaire,

315   Ce météore à rayons convergents,

Offre à nos yeux un circuit planétaire

Dont les reflets, en cercles pondérants,

Viennent toujours joindre les adhérents.

En divisant chaque nombre octogone

320   Et les produits, dont l'axe est mu par l'air,

Vous arrivez au péripolygone...

Je crois. Monsieur, avoir été très clair.

Comprenez-vous ?

JACQUOT.

D'honneur, pas plus qu'hier.

Je dirai mieux, pas plus qu'avant-hier.

LE SERIN.

Eh bien, moi, je comprends.

JACQUOT, se fâchant.

Puisque je vous dis que je ne comprends pas.

LE CHAT-HUANT.

Prenez d'abord ce que nous fondons, et quand nous vous aurons fondés...

JACQUOT.

Nous serons fondus !

AIR : Qu'il est flatteur d'épouser celle.

325   Chez nous rien de problématique,

Nous saurons bien vous le prouver.

Par un calcul mathématique,

Nous sommes certains d'arriver.

JACQUOT.

Ah ! Je comprends, sans être un aigle,

330   Cette fois vous avez raison ;

Votre doctrine est une règle

Qui commenc' par la soustraction,

Et finit par la soustraction.

JACQCOT, au Chat-Huant.

Pardon... Une simple question... Avec votre système, de quoi vivra l'ouvrier ?...

LE CHAT-HUANT.

De son salaire.

JACQCOT.

Je croyais que vous l'aviez aboli ?

LE CHAT-HUANT.

Du tout, nous le réglementons. « L'ouvrier qui travaillera bien gagnera un sou par jour, celui qui regardera travailler deux sous, celui qui dormira sur l'ouvrage vingt-cinq francs.

JACQUOT.

Comment, c'est parce qu'il dormira qu'il aura plus ?

LE CHAT-HUANT.

Oui, l'homme qui n'aime pas le travail est un être à plaindre et la société lui doit des consolations... La peine de mort est conservée pour l'homme convaincu d'avoir...

JACQUOT.

Conspiré ?

LE CHAT-HUANT.

Non transpiré en travaillant.

JACRUOT.

Est-ce là toute votre constitution ?

LE CHAT HUANT.

Non pas ! Ce que je viens de vous dire, ce sont les lois organiques, mais voici la constitution.

Il tire un papier de sa poche.

Écoutez !

Lisant.

Article premier : le peuple sera consulté sur la forme du gouvernement à choisir.

Mouvement d'adhésion.

Article deux : on se passera de son avis.

JACQUOT.

Pourquoi se passera-t-on de son avis ?

LE CHAT-HUANT.

Parce qu'il pourrait ne pas être de l'avis de ceux qui ont fait la constitution... Article additionnel : les poules...

JACQUOT.

Auront des dents ?

LE CHAT HUANT.

Non... Les poules, à l'avenir, ne pondront que des oeufs rouges, comme ceux que j'ai dans ma poche.

Il fouille dans sa poche.

Ah ! mon Dieu ! Je me suis assis dessus !... Ils sont endommagés !...

Il montre les oeufs.

JACQUOT.

Tiens !... En voilà un quia l'air d'éclore !... Qu'est-ce qui va donc sortir de là-dedans ?

LE CHAT-HUANT, ouvrant l'oeuf.

Voilà !

Il en tire un petit niveau.

Un triangle social !

JACQUOT.

Ah ! Oui, oui, connu !

AIR : Du baiser au porteur.

Votre triangle humanitaire

335   Ne m'offre qu'un piège fatal,

Égalité dans la misère,

Et fraternité dans le mal.

Avec lui vous faites la guerre

A tout sentiment noble et beau ;

340   Mais l'pays, vous aurez beau faire,

Ne s'mettra pas à votr' niveau.

PINCETOUT, qui a pris te second oeuf.

Tiens, de celui-ci qu'est-ce qu'il en sort donc ?

Il en tire un bonnet rouge.

Un bonnet phrygien !

JACQUOT.

Voulez-vous bien cacher ça !

AIR : D'Yelva.

Mais quels transports, quels accès dé démence

Viennent, hélas ! égarer votre coeur !

Se peut-il que l'on ose en France,

345   Ressusciter ce signe de terreur,

Ah ! Rejetez d'une époque sauvage

Ce bonnet, sinistre drapeau

Que des meurtriers sans courage

Allaient teindre sous l'échafaud !

SCÈNE XIV.
Les mêmes, Le Canard.

LE CANARD, entrant vivement.

Ah ! Vous voilà, Monsieur Jacquot... Vous ne savez pas ?

JACQUOT, se fâchant.

Ça n'est pas vrai !...

LE CANARD.

Hier, entre onze heures et midi, on a découvert huit cent mille jésuites qui se cachaient, depuis six mois, rue Guérin-Boisseau, n° 11, au quatrième étage, au fond du corridor...   [ 3 Rue Guérin-Boisseau : Petite rue parisienne étroite de 4 mètres, située du 2ème arrondissement, entre le 31, rue Palestro et le 184, rue Saint-Denis.]

JACQUOT exaspéré.

Canard, au nom de la Constitution !...

LE CANARD.

De laquelle ?

JACQUOT, montrant le Chat-Huant.

De celle de... monsieur, je vous somme d'aller barboter autre part.

LE CANARD.

Je m'en vas, citoyen, je m'en vas !...

Il va pour sortir et s'arrête en regardant en l'air.

Ah ! Mon Dieu ! Qu'est-ce que je vois ?.. Le ciel est obscurci par une nuée d'oiseaux...

JACQUOT.

Je parie que ça n'est pas vrai !... Ah !... Si !... Enfin, ce sont des oiseaux d'heureux présage !... Des hirondelles, qui nous ramènent le printemps....

SCÈNE XV.
Les mêmes, des Hirondelles, portant des rameaux verts.

CHOEUR DES HIRONDELLES.

AIR : Voici venir les fileuses.

350   Les hirondelles légères

Vous annoncent les beaux jours ;

Nous sommes les messagères,

Du printemps et des amours !

JACQUOT.

Soyez les bienvenues, mes petites hirondelles...

UNE HIRONDELLE.

AIR: De la Fée aux roses.

Oui, je suis l'hirondelle

355   Et viens à tire d'aile

Apporter en ces lieux

Mes chiots les plus joyeux.

Puisse notre ramage,

En conjurant l'orage ;

360   Éloigner de Paris?

Les ennuis.

Les soucis !

Ah ! Fuyez de Paris,

Fâcheux et noirs soucis !

JACQUOT.

Et qu'avez vous fait pendant votre absence, mes gentilles hirondelles ?

SECONDE HIRONDELLE.

Oh ! Nous avons beaucoup voyagé...

TROISIÈME HIRONDELLE.

J'ai volé vers l'Amérique...

PREMIÈRE HIRONDELLE.

Et moi vers l'Italie... Je me suis posée sur la coupole de Saint-Pierre... mes regards embrassaient toute la ville... Oh ! J'ai assisté à un beau triomphe.

AIR : C'est le souvenir d'un génie. (1er Numéro de la Foire au Idées.)

365   J'entends encor dans son enceinte

Un long cri de joie et d'amour.

Noble exilé, la ville sainte

Enfin peut fêter ton retour !

Ces murs, qu'une horde ennemie

370   A souillés par la trahison,

Ta noble main les purifie

Par la prière et le pardon !

JACQUOT.

Permettez, permettez... Mais vous tenez toutes de verts rameaux...

SECONDE HIRONDELLE.

Oui... Des souvenirs de nos voyages...

PREMIÈRE HIRONDELLE.

Et que nous rapportons en France.

AIR : Royale Polka (Quidant).

Oui, nous rapportons à Paris ;

De tous pays,

375   Ces souvenirs de nos voyages.

Ah ! Puissent-ils à des esprits

Trop désunis

Donner enfin de bons avis !

     

Ces feuillages,

380   Ces huis chéris

Furent bénis

Par notre pontife de Rome ;

     

Saint homme,

Il m'a dit « porte les...

385   Pour les Français

Que ce soit un gage de paix !

Oui, Dieu, que ma voix suppliEra,

     

Exaucera

Les voeux de ma reconnaissance.

390   Libre du joug qui l'opprima,

Qui l'accabla,

La France

Se relèvera ! »

     

Voyez ce laurier, il vous dit :

395   «Tout est détruit,

Flétri par la guerre civile 1 »

Sur le tombeau de Virgile

Il allait croissant...

Voyez... Il est taché de sang!

     

400   Ce bouquet de Myosotis

Me fut remis

Par de nobles bannis

De France.

Il peint leur souffrance

405   Et, pour eux, vous dit tout bas:

« Français, ne nous oubliez pas t »

     

Exprès pour moi, l'on détacha

Ce rameau-là

Du vieux saule de Sainte-Hélène;

410   Du héros prenant les accents

Fiers et puissants,

     

Il nous dit: « Français, il est temps!

Contre l'anarchie enfin tous

Unissez-vous !

415   Du désordre brisez la chaîne !

Mon souvenir vous guidera,

Il sera là,

Mon ombre vous protégera ! »

     

Ensemble.

Contre l'anarchie enfin tous

420   Unissons nous,

Du désordre brisons la chaîne !

Son souvenir nous guidera.

Il sera là.

Son ombre nous protégera !

On entend un grand bruit à l'extérieur.

JACQUOT.

Ah ! Mon Dieu ! Qu'est ca que c'est que ça ? Francinette, lui aurait-il arrivé quelque malheur ?

SCÈNE XVI.
Les mêmes, Francinette, Tous les autres personnages d8 la pièce accourant de différents côtés.

CHOEUR GÉNÉRAL.

AIR : Vive la réforme.

425   Mais quel accident ! Quel est ce bruit et ce tapage ?

Que vient-il d'arriver à leur équipage ?

Ces événement alarme tout le voisinage...

Près de vous

Nous v'nons tous.

430   Vite, instruisez-nous !

JACQUOT.

Oh ! Mon Dieu, ma petite Francinette, que vous est-il arrivé ?

FRANCINETTE.

Ce que vous aviez prévu... Nous commencions à rouler... Le Duc, le Coq et l'Aigle s'entendaient assez bien ; mais ce diable de Vautour a voulu tout faire... Il a escamoté le fouet, s'est emparé des rênes, a toujours donné à gauche, et, patatras ! Il nous a versés dans l'ornière... Je ne veux plus qu'il me conduise... Quant aux trois autres prétendants, le Duc, le Coq et l'Aigle, ils peuvent s'entendre, ce sont des gens bien élevés...

JACQUOT.

Mais lequel enfin préférez-vous, ma petite France ?

TOUS.

Oui, lequel ?

JACQUOT.

Car enfin, nous sommes là à attendre... Nous ne savons pas...

FRANCINETTE.

Oh ! Le moment n'est pas venu encore de me prononcer.

JACQUOT.

Que faire alors ?

FRANCINETTE.

AIR de Pertuit.

Ralliez-vous tous, en ce jour,

Contre l'ennemi qui menace ;

Avant tout, chassez le Vautour,

Que d'abord il cède la place !

JACQUOT.

435   Contre lui soyez tous unis,

L'union fait notre espérance ;

Gens d'honneur de tous les partis.

N'ayez qu'un cri : Vive la France 1

TOUS.

N'ayons qu'un cri ; Vive la France 1

VAUDEVILLE FINAL.

CHOEUR GÉNÉRAL.

Air : Hardi coureur. (Lorgnon.) :

440   Ouvrons, ouvrons aux beaux

Oiseaux

Notre volière

Hospitalière...

Oiseaux méchants, envolez-vous,

445   Ne faites plus vos nids chez nous !

FRANCINETTE.

Nos brav's soldats, dont l'honneur nous est cher,

N'écout'ront pas une ligue ennemie...

Ils savent bien qu' mettre la crosse en l'air

Ce s'rait à bas mettre notre patrie !

CHOEUR.

450   Ouvrons, ouvrons aux beaux

Oiseaux

Notre volière

Hospitalière...

Oiseaux méchants, envolez-vous,

455   Ne faites plus vos nids chez nous !

CASCARET.

Le socialism' nous dit d'un ton criard :

J' te mang' tout cru, malheureux, si tu bouge[s] !

Ne craignons rien : en Franc', comme au billard,

Y aura toujours deux blanches contre un' rouge !

CHOEUR.

460   Ouvrons, ouvrons aux beaux

Oiseaux

Notre volière

Hospitalière...

Oiseaux méchants, envolez-vous,

465   Ne faites plus vos nids chez nous !

LE CHAT-HUANT.

Pauvres martyrs d' l'association,

Faut' de clients vous fermez votr' boutique ;

Votre principe en théorie est bon,

Mais c' qui vous manque, hélas ! C'est la pratique !

CHOEUR.

470   Ouvrons, ouvrons aux beaux

Oiseaux

Notre volière

Hospitalière...

Oiseaux méchants, envolez-vous,

475   Ne faites plus vos nids chez nous !

LE SERIN.

Le communisme, en tous lieux détesté,

Et pour lequel nous sommes trop sévères,

N'fra pas d' chang'ments à la propriété...

Il n' veut changer que les propriétaires.

CHOEUR.

480   Ouvrons, ouvrons aux beaux

Oiseaux

Notre volière

Hospitalière...

Oiseaux méchants, envolez-vous,

485   Ne faites plus vos nids chez nous !

L'HIRONDELLE.

À tous les maux la France s'exposa

En nous criant trop fort : Viv' la réforme !

Et maintenant, elle se sauvera

En récriant plus fort : Viv' la réforme!

CHOEUR.

490   Ouvrons, ouvrons aux beaux

Oiseaux

Notre volière

Hospitalière...

Oiseaux méchants, envolez-vous,

495   Ne faites plus vos nids chez nous !

LE CANARD.

La république est, dit-on, sauf erreur,

Un s'cond soleil dont l'éclat nous étonne...

Mais de cet astre, oui, telle est la hauteur,

Que ses rayons ne réchauffent personne.

CHOEUR.

500   Ouvrons, ouvrons aux beaux

Oiseaux

Notre volière

Hospitalière...

Oiseaux méchants, envolez-vous,

505   Ne faites plus vos nids chez nous !

JACQUOT.

Un journal roug' s'écrie avec fracas

Qu'àl'voir descendr'dans la ru' faut s'attendre...

Mais ce journal est descendu si bas.

Que, désormais, il ne peut plus descendre !

CHOEUR.

510   Ouvrons, ouvrons aux beaux

Oiseaux

Notre volière

Hospitalière...

Oiseaux méchants, envolez-vous,

515   Ne faites plus vos nids chez nous !

PINCETOUT.

Nous conseillons de refuser l'impôt.

Et ce conseil est facile à comprendre.

Personn' ne doit entamer son magot...

Car, tout entier, c'est nous qui voulons l'prendre t

CHOEUR.

520   Ouvrons, ouvrons aux beaux

Oiseaux

Notre volière

Hospitalière...

Oiseaux méchants, envolez-vous,

525   Ne faites plus vos nids chez nous !

JACQUOT, au publie.

Notre férule a toujours frappé sec...  [ 4 Férule : Petite palette de bois ou de cuir avec laquelle on frappe les écoliers dans la main. [L]]

Nos ennemis crieront, c'est leur coutume...

Mais nous ferons, malgré leurs coups de bec,

Aux oiseaux roug's une guerre de plume.

CHOEUR GÉNÉRAL.

530   Ouvrons, ouvrons aux beaux

Oiseaux

Notre volière

Hospitalière,

Oiseaux méchants, envolez-vous,

535   Ne faites plus vos nids chez nous.

 



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Notes

[1] Salmis : Ragoût de pièces de gibier déjà cuites à la broche. [L]

[2] Bains Vigier : Bains chauffés installés à bord d'un bateau sur la Seine en contrebas du Pont-Neuf depuis 1761 et récupérés par Vigier en 1800.

[3] Rue Guérin-Boisseau : Petite rue parisienne étroite de 4 mètres, située du 2ème arrondissement, entre le 31, rue Palestro et le 184, rue Saint-Denis.

[4] Férule : Petite palette de bois ou de cuir avec laquelle on frappe les écoliers dans la main. [L]

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