BÉLISAIRE

TRAGÉDIE

DÉDIÉE À MONSEIGNEUR LE COMTE DE BURY

M. DC. XLI.

AVEC LE PRIVILÈGE DU ROI

À PARIS, Chez AUGUSTIN COURBÉ Imprimeur et Libraire ordinaire de Monseigneur Frère unique de sa Majesté, en la petite Salle du Palais, à la Palme.

Représenté pour la première fois en 1640.


Édition critique établie par Claire Chaineaux Mémoire de maîtrise réalisé sous la direction de M. le Professeur Georges FORESTIER Université Paris IV Sorbonne 1997.

Publié par Paul Fièvre, décembre 2023

© Théâtre classique - Version du texte du 30/04/2024 à 20:06:09.


À HAUT ET PUISSANT SEIGNEUR MESSIRE FRANCOIS DE ROSTAING CHEVALIER COMTE DE BURY.

MONSEIGNEUR,

Voici le plus jeune, mais le moins défectueux de mes enfants qui vient se jeter entre vos bras, par le dessein qu'il a de se donner tout à vous, et témoigner à votre grandeur la sincérité de son zèle, et la pureté de mon affection. Son aisné14 a reçu de votre bonté un traitement si favorable, que son Cadet ne pouvait sans ingratitude embrasser en sa naissance un autre autel que celui de votre mérite. Souffrez donc que l'un et l'autre joignent ensemble leurs reconnaissances, et que cette égale inclination qui les porte à vous honorer soit également heureuse auprès de vous. Si le premier dans la vie du Cid vous a fait voir un tableau de votre valeur ; le second par celle de Bélisaire vous mettra devant les yeux l'image de vôtre vertu, et vous verrez dans tous les deux un illustre portrait de vous-mêmes. Il reste pour prix de votre courage que vous receviez un jour des mains de nos Rois ce que tous deux ont reçu de celles de leurs Monarques. Ce sont les voeux, Monseigneur, et du père et des enfants, qui appuyez de l'honneur de votre protection se tiendront trop heureux d'être au nombre de vos créatures, et moi très glorieux de porter toute ma vie la qualité,

MONSEIGNEUR,

de Votre très humble, très obéissant et très affectionné serviteur,

DESFONTAINES.


AU MÊME

Sonnet

Illustre et cher objet qu'adore ma pensée,

Mes vers pour vous louer ont trop peu d'ornements.

Et je crains qu'en faisant de faibles compliments,

Votre rare vertu ne soit intéressée.

Votre gloire ne peut être plus rabaissée,

Qu'alors que le commun en a des sentiments,

Il y faut employer les plus beaux mouvements,

D'une âme que le Ciel ait toujours caressée.

C'est pourtant un devoir dont je veux m'acquitter,

Et faire quelque jour hautement éclater

Les nobles qualités que le Ciel vous partage.

Mais les siècles passés me rendent envieux,

Car pour nous enseigner comme il faut faire hommage

Des hommes comme vous ils en faisaient des Dieux.


LES ACTEURS

JUSTINIAN, Empereur de Constantinople.

VITIGEZ, Roi des Goths.

ISKIRION, Prince Danois.

BÉLISAIRE, Général d'Armée sous Justinian.

NARSÉS, son lieutenant.

PYRANDRE, Capitaine des Gardes.

DORISTEL, Soldat.

DIOPHANTE, Suivant de Bélisaire.

THÉODORE, Impératrice femme de Justinian.

SOPHIE, nièce de Justinian.

AMALAZONTHE, Princesse de Saxe.

La scène est à Constantinople.


ACTE I

SCÈNE I.
Justinian, Théodore, Sophie, Amalazonthe, Bélisaire, Narsès, Vitigez, Diophante, et Deux Gardes.

JUSTINIAN.

Levez-vous.

AMALAZONTHE.

Ah ! Seigneur vous êtes trop Auguste,

Devant mon Empereur ce respect est bien juste,

J'ai perdu mes États, mon rang l'est avec eux,

Et cet abaissement sied bien aux malheureux.

JUSTINIAN.

5   Non, je n'écoute rien en l'état où vous êtes,

Levez-vous.

AMALAZONTHE.

J'obéis aux lois que vous me faites,

Et le commandement de votre Majesté

Sert de juste prétexte à ma témérité.

Seigneur, quoi que le sort, nos malheurs et Bellone,  [ 1 Bellone (ou Bellonne) : déesse italique de la Guerre.]

10   Pour nous mettre à vos pieds nous arrachent d'un trône

L'espoir d'y remonter encore qu'il soit doux,

N'est pas ce qui me fait embrasser vos genoux,

Je vois sans déplaisir le cours de vos conquêtes,

Vous pouvez tout prétendre étant ce que vous êtes,

15   Et malgré leur orgueil les plus superbes Rois,

Pourront sans déshonneur se soumettre à vos lois :

Je ne demande pas que vos mains libérales

Me rendent mes grandeurs, ni ces pompes Royales,

Qui plaisaient ci-devant à mon ambition,

20   Mon coeur n'est plus atteint de cette passion,

Un plus noble désir aujourd'hui le possède,

Il sera satisfait pourvu qu'il me succède,

Et son heureux effet est le bien le plus doux,

Et toute la faveur que j'espère de vous.

25   Donc par cette bonté qui vous rend adorable,

Si mon sexe ou mon sang vous est considérable,

Je conjure à présent le plus grand des humains,

Que ces fers que je vois en de si nobles mains

Passent d'un Innocent en une Criminelle,

30   Ce prince a combattu, mais je suis la rebelle,

Qui seule par l'effort de mes traîtres appas,

Ai fait impudemment révolter ses États,

Oui Seigneur, il m'aimait, et ce brave courage

Eût cru me faire tort s'il vous eut fait hommage,

35   J'avais sur son esprit un absolu pouvoir,

Et son amour enfin a trahi son devoir.

Ne me refusez point, puis qu'ici ma prière

Donne à votre clémence une illustre matière,

Et que pour l'assurer de sa fidélité,

40   Je m'offre pour otage à votre Majesté.

Mais si votre courroux demande une victime,

J'y consens ; punissez son amour, et mon crime,

Au lieu de mon Amant me faisant arrêter,

Vous ôtez le sujet qui l'a fait révolter ;

45   Il sera trop puni si je lui suis ravie,

Ôtez lui sa Maîtresse, et laissez lui la vie,

Conservez par ma mort un homme de son rang,

Et s'il faut sa rançon, payez vous de mon sang.

JUSTINIAN.

Ne vous affligez pas belle et charmante Reine,

50   Cette rigueur pour vous serait trop inhumaine,

Je croirais faillir, si j'avais accepté

Une offre si contraire aux lois de ma bonté,

Quel que soit mon bonheur, j'y veux joindre la gloire,

D'avoir su noblement user de ma victoire,

55   Je ne veux point passer pour insolent vainqueur,

Je redonne les biens pour acquérir le coeur,

Et le Ciel m'est témoin que je ne fais la guerre,

Que pour mieux établir le repos sur la terre :

Quand j'abaisse quelqu'un je le fais justement ;

60   Et quand je puis punir, je pardonne aisément.

AMALAZONTHE.

Gloire de l'Orient, et l'honneur des Monarques,

En qui l'on voit des Dieux tant d'immortelles marques,

Quelque ressentiment que je vous fasse voir,

Je ne m'afflige point d'être en votre pouvoir,

65   Et ce malheur en moi si doucement s'efface,

Que je crains de pêcher en l'appelant disgrâce,

Puisque tant de vertus qui reluisent en vous,

Font même qu'à présent mon sort me semble doux.

Mais Seigneur, si jamais vos bontés adorables,

70   Vous ont rendu facile envers des misérables,

Si jamais les regrets, les sanglots, et les pleurs,

Vous ont fait compatir à leurs vives douleurs ;

Délivrez Vitigez, accordez lui sa grâce

Par ces mains que j'adore, et ces pieds que j'embrasse,

75   Je sais que vous pouvez user de la rigueur,

Que peut impunément exercer un vainqueur,

Mais montrez nous plutôt qu'en ce siècle où nous sommes,

Les Dieux daignent encor se déguiser en hommes ;

Et qu'ayant quelques fois la foudre dans les mains

80   Ils ont compassion des larmes des humains.

VITIGES.

Ce propos généreux divine Amalazonthe,

Veut faire voir ici vôtre gloire et ma honte,

Mais je ne suis pas lâche au point que de souffrir,

Que vous donniez le prix que vous venez d'offrir :

85   Plutôt que m'ordonner que je vous abandonne,

Qu'on m'ôte mes États, mon Spectre et ma Couronne,

Je bénirai mon sort, mes fers me seront doux,

S'ils me laissent l'honneur de vivre auprès de vous.

Madame, les prisons sont des champs élysées,

90   Quand vos divins regards les ont favorisées,

Au lieu que les palais où vos yeux ne sont pas,

Ne sont que des enfers où règne le trépas.

Que le Ciel vous soit donc cruel ou favorable,

Mon sort de vos destins doit être inséparable,

95   Mes jours avecque vous me seront précieux,

Et sans vous je renonce à la clarté des Cieux,

Mais hélas! mes désirs ne sont pas légitimes,

Vos célestes beautés n'ont point part à mes crimes ;

Et la même équité me devrait enseigner

100   Comme je dois souffrir que vous devez régner,

Régnez, séparez-vous du malheur de mes armes,

Mon amour quoi que grand est fatal à vos charmes,

Et c'est pour réparer un si sensible tort,

Que j'implore à genoux votre grâce et ma mort.

AMALAZONTHE.

105   Seigneur.

VITIGES.

Amalazonthe.

THÉODORE.

  Amour incomparable.

SOPHIE.

Amant infortuné.

NARSÈS.

Mais amant adorable,

Car c'est heureusement perdre sa liberté,

Que d'être compagnon de ta captivité,

BÉLISAIRE.

Je plaindrais votre sort illustre Amalazonthe,

110   Si vous ne voyez pas celui qui vous surmonte,

Et mes yeux ne verraient mon bras qu'avec horreur,

S'il vous avait soumise à quelque autre Empereur ;

Mais vous ne devez point envier ma victoire,

Puis qu'elle n'êtes rien au prix de votre gloire,

115   Vous donnant pour vainqueur un Prince généreux,

Qui détruit les malheurs, et qui fait les heureux.

JUSTINIAN.

Oui Princesse espérez, donnez trêve à vos plaintes,

Ma clémence aujourd'hui dissipera vos craintes,

Et vous témoignera par ma facilité,

120   Combien je suis modeste en ma prospérité,

Vivez Amalazonthe ; et vous Prince rebelle,

Aussi fidèle Amant que Vassal infidèle,

Apprenez par l'effet que je vais faire voir,

Qu'il est avantageux d'être sous mon pouvoir.

125   Qu'on détache ses fers.

VITIGES.

  Ah! Seigneur mon offense

Les a trop mérités ; mais par cette clémence,

Vous voulez témoigner que votre Majesté

Sait comme par le fer vaincre par sa bonté,

Ainsi vous triomphez doublement d'un rebelle,

130   Cette chaîne qu'on m'ôte en fait une nouvelle,

Qui s'offrant à mes sens avec moins de rigueur,

Semble passer ici de mes mains à mon coeur ;

Oui Seigneur désormais je saurai reconnaître,

Étant mon Empereur, que vous êtes mon maître,

135   Que je dois relever d'un si juste pouvoir,

Et par votre vertu j'apprendrai mon devoir.

JUSTINIAN, à Bélisaire.

Rare honneur de ma Cour, appui de mon Empire

Que j'honore, qu'on craint ; mais que chacun admire,

Bélisaire en un mot, tes belles actions,

140   Qui me rendent vainqueur de tant de nations,

Me semblent demander l'illustre récompense,

Que mon affection prépare à ta vaillance,

Il est juste, et je veux ayant bien combattu,

Que ma reconnaissance égale ta vertu,

145   Approche, et de ma main prends ces augustes marques,

Dont l'éclat te relève au dessus des Monarques,

Avecque ce pouvoir tes ordres Souverains

Régiront dessous moi l'Empire des humains ;

Je veux que mes sujets respectent ta puissance,

150   Qu'à tes commandements on preste obéissance,

Et que tous les Guerriers qui combattent pour moi

Dans leurs plus beaux desseins n'agissent que par toi.

THÉODORE, à part.

Icare audacieux, cette orgueilleuse pompe

Dont le funeste éclat me déplaît et te trompe,

155   Seront de faux ardents dont les traîtres appas

Attireront ta vie au chemin du trépas.

BÉLISAIRE.

Quelques nobles effets qu'ait produit ma victoire,

Seigneur, je trouve assez de salaire en ma gloire,

Sans que vous ajoutiez à ce rare bonheur

160   Ces titres absolus ni ce suprême honneur

Qui loin de m'obliger exposeront ma vie

Aux atteintes des traits que décochent l'envie :

Pour ces hautes faveurs prenez d'autres objets,

Permettez que je vive au rang de vos sujets,

165   Et par le seul honneur, de franc, et de fidèle

Souffrez que je vous montre et mon coeur et mon zèle,

Les effets en ce point vous feront accorder

Que je sais obéir bien mieux que commander.

JUSTINIAN.

Ici ma volonté s'accorde à ta demande,

170   Fais donc et l'un et l'autre, obéis et commande

Dans le premier effet sur les lois du devoir,

Et dedans le second celles de ton pouvoir.

SOPHIE.

Heureux commandement, puissant démon des armes,

Achève, aide à l'amour, et seconde ses charmes,

175   Conserve Bélisaire au point où je le vois,

Et sais que quelque jour il soit digne de moi.

SCÈNE II.
Théodore, Sophie, Narsés.

THÉODORE.

Hé bien chers confidents des secrets de mon âme,

Dans mes ressentiments mérite-je du blâme ?

Et n'ai-je pas raison de haïr un ingrat,

180   Qui par son arrogance attente sur l'État ?

Vous voyez toutefois que l'Empereur adore

Ce que si justement je déteste et j'abhorre,

Qu'il me rend le mépris de mes propres sujets

Qu'un insolent me brave et rit de mes projets,

185   Et quoi que je m'oppose au dessein qu'il conspire

Qu'il ne lui faut qu'un pas pour monter à l'Empire.

Ô honte, ô désespoir ! Quoi son ambition

Sera donc triomphante à ma confusion ?

Non, il faut qu'au besoin ma vertu se réveille,

190   Que j'arme contre lui ma fureur qui sommeille,

Et que du trône auguste où l'ingrat veut monter,

Je lui fasse un écueil pour le précipiter

Qu'il meure.

SOPHIE.

Justes Dieux

THÉODORE.

Narsés veux-tu me plaire ?

Dépêche de ce pas, va tuer Bélisaire,

195   À ce coeur insolent que ton bras soit fatal,

M'ôtant un ennemi, défaits-toi d'un rival,

Dont la haute faveur à tous deux importune,

Étouffe ma grandeur et nuit à ta fortune,

Emploie à cet effet le fer ou le poison ;

200   N'importe et ne crains rien pour cette trahison,

Si tu rends par sa mort ma vengeance assouvie,

Je saurai bien sauver ton honneur, et ta vie :

NARSÈS.

Madame,

THÉODORE.

Va, dis-je, et sans plus discourir,

Ou si tu ne le fais résous-toi de mourir.

205   Non, arrête, ma haine a trop de violence

Pour ce coup important, il faut plus de prudence,

Ne précipitons rien, écoute : tu connais

Ce Guerrier redoutable entre tous les Danois.

Ce brave Isquirion qui jadis dans son âme

210   Conçut en ma faveur une si vive flamme,

Je l'attends, et je crois qu'il arrive aujourd'hui,

Il est entreprenant, je peux beaucoup sur lui,

Et si quelque raison rend son âme incertaine,

Son amour le rendra partisan de ma haine ;

215   C'est de lui que je veux un coup si glorieux,

Il prêtera sa main, guide la de tes yeux,

Bélisaire est l'objet, votre appui, ma puissance ;

L'un aura ma faveur, l'autre mon alliance,

Et vous saurez tous deux après ce noble effet

220   Comme je sais en fin m'acquitter d'un bienfait.

NARSES, bas.

Il est vrai, ce dessein le fait assez paraître :

Mais je serai plutôt ton ennemi que traître.

THÉODORE.

Ma nièce, c'est ici que vous me ferez voir

Si le sang m'a sur vous donné quelque pouvoir.

225   Comme à moi désormais cette affaire vous touche,

Il est temps de m'ouvrir et le coeur et la bouche,

Afin de témoigner qu'ainsi qu'à mes secrets

Vous prenez quelque part en tous mes intérêts,

Vous devez occuper le rang de vos ancêtres :

230   Mais si vous n'étouffez l'insolence des traîtres,

La couronne est un droit qu'on viendra vous ravir,

Et bien loin de régner on vous verra servir.

Voulez-vous empêcher ce coup qui vous menace,

Employez vos beautés, employez votre grâce,

235   Et par tous ces attraits acquérez vous de loin

Un bras dont la valeur vous défende au besoin ;

Le Prince que j'attends est vaillant et fidèle,

Jeune, noble, charmant, la conquête en est belle,

Et puis l'occasion vous montre ses cheveux :

240   Mais si vous désirez de répondre à ses voeux,

Il faut qu'Isquirion pour illustre douaire,

Vous donne auparavant le sang de Bélisaire ;

C'est par ce beau présent qu'il vous doit mériter,

Et votre ambition se doit bien contenter ;

245   Car par ce riche don que vous devez élire,

Un hymen si charmant vous assure l'Empire.

SOPHIE.

Quand le sang, et le soin que vous avez de moi

Ne m'obligeraient pas à ce que je vous dois,

Mon inclination serait assez puissante

250   Pour rendre à vos désirs mon âme obéissante :

Mais quoi qu'un bel espoir flatte votre projet,

Voyez bien quelle tête en doit être l'objet,

Quel que soit notre mal le remède est bien pire,

Et son funeste effet nous coûtera l'Empire.

255   Madame excusez moi si j'ai ce sentiment,

Je croirais vous trahir de parler autrement,

Et quoi que mes avis soient peu considérables,

Peut-être pourrez vous les trouver raisonnables,

Si vous considérez qu'en cette occasion

260   Mon coeur est dépouillé de toute passion.

Vous craignez, dites vous, que ce grand Bélisaire

Dont la haute valeur se rend si nécessaire,

N'envahisse à la fin cet État florissant,

Où mon Oncle à vos yeux l'a rendu trop puissant ;

265   Et c'est pour cet effet que vous avez envie

De terminer le cours d'une si belle vie :

Bien, suivez vos desseins ; mais à mon jugement

Vous prenez pour le perdre un mauvais fondement :

Car qui croira jamais qu'un si noble courage

270   N'agissant que pour vous, puisse vous faire outrage ;

Puisqu'au lieu de ravir ce qui vous appartient

C'est lui qui vous défend, c'est lui qui vous maintient.

THÉODORE.

Donc, à ce que je vois, vous prenez la défense

D'un sujet orgueilleux dont l'audace m'offense ?

275   Et de ses faux appas l'éclat fallacieux

Comme à Justinian vous a sillé les yeux ?

Bien, bien, que vos vertus lâchement étouffées

A cet audacieux soient d'illustres trophées,

Comme de l'Orient qu'il soit votre vainqueur

280   Il ne régnera pas tant que j'aurai ce coeur,

Quoi que le Prince et vous contre moi puissiez faire,

Je le rendrai bientôt peu capable me plaire,

Et le seul partisan de mon juste courroux

Sera dans peu de temps son maître et votre époux.

SOPHIE.

285   Si cet Isquirion dont vous vantez les charmes

Est comme je le crois si redoutable aux armes

Qu'il vienne en cette Cour ouverte à la vertu,

Montrer les qualités dont il est revêtu :

Qu'il vienne signaler sa force, et son adresse,

290   Repousser les efforts du Persan qui nous presse,

Abattre son orgueil, nous remettre en nos droits,

Et marcher noblement sur la tête des Rois,

Si ce Prince en un mot a dessein de me plaire,

Qu'il vienne faire ici ce qu'a fait Bélisaire,

295   Et non pas demander par une lâcheté

Un parti de mon rang et de ma qualité.

THÉODORE.

Vous y pourrez songer, Narsés approche, écoute,

Sophie est un esprit qu'il faut que je redoute,

Ne l'abandonne pas, observe ses desseins,

300   Tâche de lui donner des mouvements plus sains :

Mais prends garde sur tout qu'une indiscrète flamme

Ne lui fasse éventer le complot que je trame,

Je t'en laisse le soin.

Elle sort.

NARSÈS.

Reposez-vous sur moi.

SCÈNE III.
Sophie, Narses.

SOPHIE.

Hé bien, Narsés, enfin puis-je m'ouvrir à toi ?

305   je te croirais faire un trop sensible outrage

Si je me défiais de ton noble courage,

Vu que de quelque espoir dont tu sois combattu,

Je sais qu'on ne saurait corrompre ta vertu.

Apprends donc aujourd'hui quelle est mon aventure,

310   Le sang combat l'amour, et l'amour la nature :

Mais comme tu peux voir en ce triste duel,

L'amour est innocent, et le sang criminel :

Oui, Narsés, ce Danois qu'attend l'Impératrice,

Et dont elle prétend te rendre le complice,

315   Sous prétexte d'offrir un asile à mon sort,

Vient signer avec elle et ma perte, et ma mort :

Mais avant que je sois l'injuste récompense

De leur assassinat, et de leur violence,

J'arracherai mon coeur, et mon sang répandu

320   Coulera sur celui qu'un Prince aura perdu.

NARSÈS.

Il n'est pas nécessaire, adorable Sophie,

Qu'ici mon innocence en vain se justifie,

Puisque vous avez lu clairement dans mes yeux,

Combien ces procédés me semblent odieux :

325   Aussi certes je tiens vos refus légitimes,

La vertu ne doit point s'acquérir par des crimes,

Et vous avez raison de fuir un amant,

Que par un homicide on veut rendre charmant :

Peut-être que l'amour qu'on croit en Bélisaire

330   Le fait en cette Cour passer pour téméraire,

Mais tant de qualités qui le font admirer

Lui doivent pour le moins permettre d'espérer.

SOPHIE.

Je suis ce sentiment que la vertu te donne,

J'aime ses qualités bien plus que sa personne,

335   Et voyant que tu tiens de ses perfections

Tu partages déjà mes inclinations :

C'est par ces beaux degrés que l'on monte à la gloire,

Qu'on gagne sur les coeurs une illustre victoire,

Et qu'on peut parvenir à ce superbe rang,

340   Qui supplée aux défauts et du corps et du sang :

Théodore prétend que je sois le salaire,

De qui lui portera le coeur de Bélisaire,

Et moi pour m'opposer à ce lâche courroux,

De son libérateur je ferai mon époux.

NARSÈS.

345   L'espoir de posséder un si grand avantage

Doit aux moins généreux inspirer du courage,

Et si par ce moyen l'on vous peut acquérir,

Il n'est point de mortel qui ne se vienne offrir,

Mais je n'ai pas dessein, Princesse généreuse,

350   D'imposer à vos voeux cette loi rigoureuse,

Quelque succès que j'aie en cette occasion

Vous suivrez librement votre inclination,

Je serai glorieux si j'ai l'heur de vous plaire,

Sinon vous donnerez vos voeux à Bélisaire,

355   M'estimant trop heureux si par un prompt secours

Je puis contribuer au bien de vos amours.

SOPHIE.

Va, suis ce mouvement que la gloire t'inspire

Sauve, brave Narsés Bélisaire et l'Empire,

Fais par un noble coup qu'il te doive le jour,

360   L'Empire, son salut, et mon coeur son amour,

Je me promets de toi cet agréable office.

NARSÈS.

Madame assurez-vous de mon humble service,

Et dans quelque danger qu'il me faille courir,

Vous m'y verrez bientôt satisfaire, ou périr.

SOPHIE.

365   Va Narsés, mais sur tout en ce pressant orage,

Que ta discrétion assiste ton courage,

Et souffre si tu veux m'obliger tout à fait,

Que même Bélisaire ignore ce bien fait.

SCÈNE IV.

NARSÈS.

Confus, triste, pensif, je ne sais que résoudre

370   Ayant oui gronder l'épouvantable foudre,

Qui menace aujourd'hui l'objet le plus parfait,

Et le plus innocent que la nature ait fait :

Empêchez immortels le cours de ce désastre,

Armez vôtre courroux en faveur de cet astre,

375   Et toi Dieu des beautés, et des grâces, Amour,

Confonds un assassin qui vient en cette Cour,

S'opposer à tes lois, te combattre et détruire,

Les plus beaux ornements qui soient en ton Empire :

Mais ! Ô Roi du désordre et du dérèglement,

380   Ma voix en ce besoin t'invoque vainement,

Tu ris dans les malheurs, tu te plais dans les larmes,

A ces tristes effets tu réserves tes armes.

Et tu ne porte plus de traits dans ton carquois,

Que pour favoriser des tyrans comme toi,

385   Prépares les cruels, et les mets en usage,

Théodore t'appelle au secours de sa rage,

Seconde ses desseins, allume ton flambeau,

Elle s'en veut servir pour un effet nouveau,

Car ne pouvant souffrir une ardeur légitime,

390   Ta flamme éclairera le triomphe d'un crime,

s'il se peut empêchons ce malheur,

Le Ciel semble à ce coup destiner ma valeur,

Et malgré les efforts d'une crainte importune,

Dire que cet honneur vaut plus que la fortune,

395   Suivons donc cet avis, ne délibérons plus,

C'est trop perdre de temps en propos superflus,

Allons tout de ce pas détourner cet orage,

Empêcher les effets d'un visible naufrage,

Et sauver s'il se peut, mais généreusement,

400   En ami Bélisaire, et Sophie en amant.

ACTE II

SCÈNE I.
Bélisaire, Diophante.

BÉLISAIRE.

Je ne saurais souffrir plus longtemps son absence,

Diophante mets fin à mon impatience,

Va, trouve moi Narsés, dis lui que je l'attends,

Dépêche, et par tes soins rends mes esprits contents,

405   On m'a dit qu'il prenait le plaisir de la chasse,

Visite tout le bois, tandis qu'en cette place

Ces beaux arbres feront malgré l'astre du jour

Que plus commodément j'attendrai ton retour,

Diophante entre dans le bois.

SCÈNE II.

BÉLISAIRE, seul.

Lieux charmants, solitude sombre,

410   Séjour du silence et de l'ombre,

Beaux arbres que je rends témoins de mon tourment,

Ne vous étonnez pas d'entendre mon martyre,

Puis que c'est à vous seulement,

Que ma discrétion m'a permis de le dire.

     

415   Amour ce petit Dieu des coeurs,

Qui des plus superbes vainqueurs,

Abaisse quand il veut et l'audace et la gloire,

Ce tyran contre qui tous mes efforts sont vains,

Ne pouvant souffrir ma victoire,

420   A fait choir aujourd'hui mes lauriers de mes mains.

     

Mon triomphe a produit ma peine,

Et je suis captif d'une Reine,

Dont naguère mon bras était victorieux,

Si j'ai tiré du sang, elle a versé des larmes,

425   Et cet objet impérieux

A plus fait par ses pleurs que mon bras par ses armes.

     

Oui c'en est fait, quitte mon coeur,

Quitte le titre de vainqueur,

Et cède à ses beaux yeux cette orgueilleuse marque,

430   Tu résiste en vain rebelle, résous toi,

Puis qu'ils triomphent d'un Monarque,

De souffrir désormais qu'ils te donnent la loi.

     

Mais hélas ! Aveugle que dis-je,

C'est cette raison qui m'afflige,

435   Et qui m'ôte l'espoir nécessaire à mes voeux,

Ma princesse me plaît, mais ce Roi m'importune,

Et quand je les ai pris tous deux,

J'ai détruit mon amour, et nuit à ma fortune.

     

N'importe, espérons toutefois,

440   Mars qui favorise mes droits

Ne veut pas aujourd'hui que je les abandonne,

Mon rival par ce prix peut rentrer dans ses biens,

Et s'il veut ravoir sa Couronne,

Il faut qu'à mon amour il laisse ses liens.

     

445   Ennemi de mon bien ainsi que de ma gloire,

Qui même dans les fers partages ma victoire,

Monarque malheureux résous toi de céder,

Ce prix qu'injustement on t'a vu posséder ;

Écoute la raison, et cesse de prétendre,

     

450   Ce trésor amoureux que tu n'as peu défendre,

Obéis désormais à la loi de ton sort,

Sois moins ambitieux, ou montre toi plus fort,

Au milieu du combat je t'ai sauvé la vie,

Ingrat souffriras-tu qu'elle me soit ravie ?

455   Un procédé si lâche est indigne d'un Roi,

Rends moi donc aujourd'hui ce que tu tiens de moi,

Si non pour ôter tout obstacle à ma flamme,

J'arracherai le coeur qui veut avoir mon âme.

Mais quel étrange bruit retentit dans ce bois ?

460   Qu'entends-je, justes Dieux ? Mais qu'est-ce que je vois ?

La valeur d'un guerrier par le nombre opprimée,

Cede aux coups d'une bande à sa perte animée,

Il le faut secourir.

SCÈNE III.
Bélisaire, Iskirion, Narses, et trois assassins.

ISKIRION.

Vous voulez mon trépas,

Bien, mais auparavant vous connaîtrez mon bras,

465   Et cet illustre sang que vous voulez répandre,

Coulera lâches coeurs, mais je le saurai vendre,

NARSÈS.

Il n'importe.

BÉLISAIRE.

Donnons, à moi traîtres, à moi,

Ici votre fureur trouvera de l'emploi,

Tournez contre mon sein vos armes criminelles,

470   Quoi déjà la terreur vous a donné des ailes ?

Vous fuyez assassins. Cavalier avancez,

Les voleurs sont défaits, mais ce n'est pas assez,

Il faut que par mes mains l'artisan de ce crime,

Pour tous ses compagnons vous serve de victime.

ISKIRION.

475   Ah ! Seigneur arrêtez, cette punition,

Appartient à mon bras comme à ma passion,

L'outrage qu'il m'a fait m'oblige à cet office.

BÉLISAIRE.

Trop d'honneur serait joint à son juste supplice,

Il ne mérite pas un si noble courroux,

480   Vous frapperiez un homme indigne de vos coups,

Et cette illustre mort qui flatte son envie,

Serait plutôt le prix que la fin de sa vie,

Oui, oui ce châtiment appartient à mon bras,

Rien ne peut malheureux te sauver du trépas,

485   Ôte ce tapabor, vois la main qui s'apprête,   [ 2 Tapabor : Terme vieilli. Nom d'une sorte de bonnet pour la campagne, dont on peut rabattre les bords, pour se garantir de la pluie et du vent.]

À séparer du corps une si vile tête,

Que tu caches perfide avec juste raison,

Pour ne point voir l'horreur joint à ta trahison.

Mais que vois-je ? Ô destins ! Je doute si je veille,

490   Quelle confusion à la mienne est pareille ?

Narsés est-ce bien vous que je vois en ces lieux ?

Ne suis-je point charmé ? Dois-je croire à mes yeux ?

C'est bien vous si j'en crois les traits de ce visage,

Mais qu'il est mal d'accord avec votre courage,

495   Un désordre si grand rend mes esprits confus,

Et dans ce lâche état je ne vous connais plus,

Quel qu'il soit toutefois je demande sa grâce,

Seigneur en ma faveur pardonnez son audace,

Il mérite la mort pour ce qu'il a commis,

500   Mais il fut autrefois au rang de mes amis,

Et de ces actions c'est ici la première

Qui trompe une amitié si parfaite et si chère ;

Excusez-la, Seigneur, les Dieux n'ont point de mains

Pour la première faute où tombent les humains,

505   C'est assez que la foudre ait menacé sa tête,

J'ai soulevé les flots, apaisez la tempête,

Et si je tiens de l'homme en voulant vous venger,

Faites comme les Dieux le sauvant du danger.

ISKIRION.

Quand je ne voudrais pas la raison m'y convie,

510   Puis-je rien refuser à qui je dois la vie ?

Mon Seigneur vos désirs seront toujours les miens,

Je tiens de vous le jour, qu'il vous doive les siens,

J'y consens, et de peur qu'une action si noire

N'efface tout à fait le reste de sa gloire,

515   Et ne le rende infâme aux siècles à venir,

J'en veux perdre, Seigneur, jusques au souvenir.

BÉLISAIRE.

C'est aussi dans l'oubli des plus sanglants outrages

Que se voit la grandeur des illustres courages,

Et par ce noble effet une adroite pitié

520   Punit mieux quelquefois que leur inimitié,

En ces occasions quelle que soit l'offense,

Le pardon est souvent une haute vengeance,

Et c'est un châtiment qui toujours fait sentir

Les peines qu'aux grands coeurs donne du repentir.

NARSÈS.

525   Il est vrai que je souffre un remords bien sensible,

Et bientôt mon trépas vous le rendra visible :

Mais ce vif repentir que j'emporte en mourant

N'est pas d'avoir commis un attentat si grand ;

Au contraire je tiens cet acte légitime,

530   J'appelle ici vertu ce que vous nommez crime,

S'il était achevé je serais satisfait,

Et je meurs de regret de le voir imparfait.

ISKIRION.

Il a perdu le sens.

BÉLISAIRE.

Narsés, quelle manie

D'un esprit si solide a la raison bannie ?

535   D'où te vient cette erreur ? Et pourquoi penses-tu

Qu'un lâche assassinat soit un trait de vertu ?

Quel transport a causé cette fureur extrême ?

NARSÈS.

La raison, la pitié, mon amour, et vous même.

BÉLISAIRE.

Moi, Narsés ? que dis-tu ?

NARSÈS.

Je dis ce que je dois.

BÉLISAIRE.

540   Ah ! sans doute ton coeur dément ici ta voix,

Je n'eus jamais de part aux lâchetés d'un traître.

NARSÈS.

Non, mais si je le suis vous m'obligez à l'être,

Et la seule pitié que j'ai de votre sort

Est le coup qui me perd et qui cause ma mort.

545   Ce faible bras a fait un crime en apparence ;

Mais un crime si beau méritait récompense,

Puisque sans votre abord un facile combat

Eut sauvé votre sang, ma Princesse, et l'État.

ISKIRION.

Ce discours cache un sens que je ne puis comprendre.

NARSÈS.

550   Dedans peu les effets vous le pourrons apprendre,

Et mon malheur me rend bienheureux en ce point,

Que me privant du jour je ne le verrai point.

Adieu, cruel ami, le Ciel te soit prospère,

Et rende ton destin plus doux que je n'espère.

SCÈNE IV.
Narsés, Bélisaire, Iskirion.

BÉLISAIRE.

555   Il expire, Narsés, hélas ! Il ne vit plus,

Ô Dieux ! Que cette mort rend mes esprits confus,

Narsés ouvre les yeux, ah ! Mon attente est vaine,

Il est mort, et mourant il fait naître ma peine.

Destins injurieux où m'avez-vous réduit ?

560   Quoi donc de ma valeur est-ce là tout le fruit ?

Sont-ce là vos faveurs ? Est-ce la récompense

Que vos injustes lois donnent à l'innocence ?

Quand un bras généreux a le vice abattu,

Est-ce là le laurier qu'il a pour sa vertu ?

565   Ah ! Cruels, je vois bien que vous portez envie

À l'extrême bonheur où je coulais ma vie,

Ennuyez de me voir en un état si doux,

Vous voulez que j'éprouve aussi votre courroux.

Hé bien, lancez vos traits, apprêtez mes supplices,

570   Je suis prêt de souffrir toutes vos injustices,

Et pour ne point soûler votre haine à demi,

Mêlez ici mon sang au sang de mon ami.

ISKIRION.

Ce sang ne fut jamais digne de ce mélange,

Ne le regrettez point, vous gagnerez au change,

575   Et sa mort est un coup que le Ciel a permis

Pour vous donner ici de plus nobles amis.

Si je ne savais bien qu'un coeur comme le votre

Ne pris jamais de part aux faiblesses d'un autre,

Je craindrais justement de ne pas obtenir

580   L'amitié que j'espère et qui nous doit unir ;

Mais vous connaissez trop que ce qu'il vient de dire

De conspiration contre vous et l'Empire,

Sont des prétextes faux dont il pensait couvrir

L'horreur d'une action qui le force à mourir.

585   Je suis noble Seigneur, et le Ciel m'a fait Prince,

Mais je suis, grâce aux Dieux, content de ma Province,

Et désormais l'honneur de votre affection

Sera le seul objet de mon ambition,

Secondez maintenant une si juste envie,

590   Ajoutez cette grâce à celle de ma vie,

Favorisez les voeux d'un Prince infortuné,

Ou reprenez le jour que vous m'avez donné.

BÉLISAIRE.

Seigneur je viens de voir un trop clair témoignage

Et de votre naissance, et de votre courage,

595   Pour croire que jamais aucun mauvais dessein

Puisse trouver entrée en un si noble sein :

Cette vertu qu'en vous j'admire et je respecte

Est trop haute pour être ou nuisible ou suspecte,

Et votre bienveillance a des charmes si doux

600   Qu'on ne vous saurait voir et n'être pas à vous :

Prenez donc sur mon coeur une entière puissance,

Il vous offre son zèle et son obéissance,

Et bien que peu puissant, au moins il fera voir,

Qu'il sait et bien aimer et faire son devoir.

ISKIRION.

605   Ah ! Cet abaissement offense vos mérites ;

Comme ils sont hors de prix ils n'ont point de limites,

Et l'admiration dont je me sens charmer

Est le langage seul qui les puisse exprimer :

Cependant permettez que ce premier hommage

610   Soit de notre amitié le symbole et le gage,

Il lui présente un diamant.

Et que ce diamant aussi net que mon coeur

Vous fasse souvenir de votre serviteur.

BÉLISAIRE.

Pour vous rendre toujours ma mémoire fidèle,

Les dons sont superflus, il suffit de mon zèle ;

615   Mais puis que vos désirs m'imposent cette loi,

Plein d'aise et de respect, Seigneur, je le reçois,

Et je proteste ici que les mains de la Parque

Seules pourront m'ôter cette adorable marque.

ISKIRION.

Adieu, je me retire avecque cet espoir.

BÉLISAIRE.

620   J'aurai dans peu de temps l'honneur de vous revoir,

Si vous faites en Cour tant soit peu de demeure.

ISKIRION.

C'est où je vous attends.

BÉLISAIRE.

J'y serai dans une heure,

Cependant trouvez bon qu'un reste d'amitié

Exerce envers ce corps encor quelque pitié,

625   Et puisque son trépas a vengé son injure,

Que mon dernier présent soit une sépulture.

SCÈNE V.

BÉLISAIRE.

Dans ces sombres déserts où rien ne peut parler,

Je pensais soulager mon amoureux martyre,

Mais au lieu de trouver de quoi me consoler,

630   J'y trouve des objets qui le rendent bien pire,

Il faut qu'ici le deuil couvre un triste vainqueur,

Qui sent une horrible tempête.

Hélas ! Destins que sert un laurier sur la tête,

Une palme en la main, quand le crime est au coeur ?

     

635   Allons, hé quoi mes yeux vous n'obéissez pas,

N'osez-vous regarder un objet si funeste ?

Moi-même malgré moi j'en éloigne mes pas,

Et je me sens rebelle en tout ce qui me reste,

Avance main cruelle, et fais un juste effort,

640   Puis que le devoir t'y convie,

Lâche main que crains-tu ? Narsés n'a plus de vie,

Il n'aura plus de voix pour reprocher sa mort.

     

Que dis-je, malheureux ? cet objet que je vois

Tient aujourd'hui mon coeur en de justes alarmes,

645   Car bien qu'il ait perdu l'usage de la voix,

Son sang me dit assez que je lui dois des larmes,

Ce cadavre est mon juge, il définit mon sort,

Je vois écrit sur cette face,

Après tant de bonheur, l'arrêt de ma disgrâce,

650   Et je trouve la foudre en la bouche d'un mort.

     

Narsés je vais mourir, pardonne à mon erreur,

Si ton sang peut parler il faut qu'il me console,

Parmi tant de soupirs et de traits de fureur,

Tâche de prononcer quelque douce parole,

655   Cadavre rigoureux, de quoi m'accusez-vous ?

Je suis prêt de vous satisfaire,

Mais comment, justes Dieux, la mort peut-elle faire

Un juge si cruel d'un coupable si doux ?

     

Quitte, quitte le jour, infortuné vainqueur,

660   Ton deuil par des regrets trop lâchement s'exprime,

Puni ta cruauté par une autre rigueur,

C'est ton sang, non tes pleurs, qui doit laver ton crime,

Prends au lieu d'un laurier un funeste bandeau,

Et que cette fatale épée,

665   Contre toi-même ici par toi-même occupée,

Soit ton juste supplice, et ta main ton bourreau.

     

SCÈNE VI.
Bélisaire, Diophante.

DIOPHANTE, empêchant qu'il ne se jette sur son épée.

Dieux, qu'est-ce que je vois ? Ah, Seigneur !

BÉLISAIRE.

Diophante

Que fais-tu ? Laisse moi, souffre que je contente

Par un coup généreux la rigueur de mon sort,

670   Vois cet objet sanglant, c'est Narsés.

DIOPHANTE.

  Il est mort.

BÉLISAIRE.

Oui, Diophante, il l'est.

DIOPHANTE.

Dieux ! le malheur extrême,

Qui l'a tué ?

BÉLISAIRE.

Moi.

DIOPHANTE.

Vous

BÉLISAIRE.

Moi, mais plutôt lui-même.

Car lors que j'ai commis cet innocent pêché,

Un tapabor tenait son visage caché.

DIOPHANTE.

675   A quelle occasion ?

BÉLISAIRE.

  Épargne ta mémoire,

Tu ne sauras que trop cette tragique histoire ;

Et même si tu veux apaiser mes transports,

Ôte à mes tristes yeux ce déplorable corps.

ACTE III

SCÈNE I.
Théodore, Iskirion.

THÉODORE.

Allez ne craignez rien, achevez cette affaire,

680   Et songez seulement quel est votre salaire,

Avant que vous mander pour ce coup important,

J'avais déjà prévu ce que vous craignez tant,

Et toutes les raisons qu'ici vous avez dites,

Ma prudence déjà me les avait déduites :

685   Mais ce que maintenant je vous ai déclaré

Contre ces vaines peurs vous doit rendre assuré.

Vous savez mon pouvoir et celui de Sophie,

Que ce n'est qu'à nous deux que l'Empereur se fie,

Et que nos sentiments, nos désirs, et nos voix,

690   Passent dans son esprit pour légitimes lois.

Allez sous notre aveu, travaillez pour vous même,

On doit tout hasarder pour avoir ce qu'on aime,

Il faut tout entreprendre, et tenter jusqu'au bout,

Un esprit amoureux est capable de tout.

ISKIRION.

695   Hé bien, Madame, il faut complaire à votre envie,

Un sujet vous déplaît, vous demandez sa vie,

Vous avez sur mon coeur un pouvoir absolu,

Il veut que j'obéisse, et j'y suis résolu.

Pour l'amour de Sophie et pour votre service,

700   Il n'est rien que je n'ose et que je n'accomplisse,

J'affronterai pour vous et l'enfer et les cieux,

Le fer, le feu, la mort, les hommes et les Dieux,

Pour vous je trouverai tout acte légitime,

Je hasarderai tout, ma gloire, mon estime,

705   Ma fortune, mon sang, mon pays, mon honneur,

Et le tout pour Sophie, et pour votre faveur.

J'ai regret toutefois que quelque autre assurance,

Ne preuve mon amour, et mon obéissance,

Et qu'il ne m'est permis d'aspirer autrement

710   A la possession d'un trésor si charmant,

Si Bélisaire est craint, c'est dans cette province,

J'ai le bras d'un soldat, le courage d'un Prince.

Et si vous le vouliez, vous verriez ma valeur

Imprimer sur son corps ma gloire et son malheur.

THÉODORE.

715   La vaillance n'est pas un point qu'on vous dispute,

Ce que veut votre coeur votre bras l'exécute,

Et je ne doute pas qu'un duel entre vous

Ne le fit succomber sous l'effort de vos coups :

Mais en cette occurrence un bras si magnanime

720   Avancerait sa gloire en punissant son crime ;

Et vous donneriez moins en cette occasion

À mes justes désirs qu'à son ambition.

Non, non, il ne faut pas qu'un coup si favorable

Donne à mes ennemis un sépulcre honorable ;

725   Bélisaire est un traître, et par cette raison

Il doit périr aussi par une trahison,

Si l'on peut justement appeler de la sorte

Une action hardie où même un Dieu nous porte.

Ne différez donc plus ce dessein proposé,

730   Et pour rendre à vos mains son effet plus aisé,

Tâchez en l'abordant avecque courtoisie,

Que sa droite par vous adroitement saisie,

Sous prétexte d'honneur et de civilité,

Donne à votre poignard plus de facilité,

735   Ce beau coup achevé, la récompense est preste,

Commencez seulement, et je ferai le reste.

ISKIRION.

Madame s'en est fait, il va perdre le jour,

Victime infortunée ! et de haine et d'amour.

SCÈNE II.

ISKIRION.

Importune raison, hé bien que dois-je faire ?

740   Te faut-il obéir, ou bien t'être contraire ?

Sur une perfidie établir mon bonheur ?

Ou perdre mon amour, pour sauver mon honneur ?

Mon honneur ! Ah ! C'est trop, je ne m'y puis résoudre,

Lancez, lancez sur moi les carreaux de la foudre

745   Dieux justes, Dieux vengeurs, plutôt que de souffrir

Qu'ingrat à vos faveurs je les laisse périr :

Vous avez attaché mon honneur à ma vie,

Que la perte de l'un soit de l'autre suivie,

Ou si chacun des deux doit périr à son tour,

750   Laissez vivre l'honneur, et privez moi du jour :

L'honneur est un trésor à tout bien préférable,

Il est cher, mais, hélas ! Sophie est adorable,

Et se rendre rebelle à des attraits si doux,

Grands Dieux, vous le savez, c'est s'attaquer à vous,

755   Comme elle est des vertus le plus parfait modèle,

Un crime est innocent, quand il se fait pour elle ;

Et la même vertu change de qualité,

Quand elle a le malheur de choquer sa beauté.

Suivons donc les conseils que mon amour me donne,

760   Obéis ma raison puis qu'un Dieu te l'ordonne,

Aussi bien c'est en vain que je veux révéler,

Le trait déjà lancé ne se peut rappeler,

Il faut, il faut franchir constamment la carrière,

Et m'acquérir Sophie ou perdre la lumière.

SCÈNE III.
Bélisaire, Amalazonthe.

BÉLISAIRE.

765   Quoi donc, Amalazonthe, après un traitement,

Que des Princes captifs éprouvent rarement,

Vous voulez aujourd'hui paraître inexorable,

A celui dont l'amour vous est si favorable ;

Et parce qu'il vous aime, un insolent orgueil,

770   Pour un trône qu'il rend lui destine un cercueil.

Bien, bien continuez cette barbare envie,

Ingrate, ôtez le jour à qui vous rend la vie,

Perdez par vos mépris un vainqueur qui vous sert,

Donnez lui vos faveurs, ce grand coeur les mérite,

775   Et les lui disputer c'est ce qui vous irrite.

AMALAZONTHE.

N'en doutez nullement, bien qu'un sort rigoureux

Dans ses nobles projets l'ait rendu malheureux,

Le droit qu'il a sur moi n'est pas moins légitime,

Et chez moi son malheur augmente son estime.

780   Je sais que le Démon qui préside aux combats,

L'a mis dedans les fers, et ravi ses États,

Ses biens, sa liberté, son spectre, sa couronne,

Que son peuple le quitte, et que tout l'abandonne :

Mais bien que votre bras l'ait réduit à ce point,

785   Croyez moi, Bélisaire, il ne le perdra point,

Quoi que vous puissiez faire, ou que vous puissiez dire,

Moi seule je serai ses États, son Empire,

Son espoir; sa grandeur, ses sujets, et sa Cour,

Son conseil mes désirs, et ses lois mon amour.

BÉLISAIRE.

790   Voila dedans les fers parler en souveraine.

AMALAZONTHE.

Vous m'avez fait captive, et le Ciel m'a fait Reine,

Le sort qui me détruit ne m'a pas tout ôté,

J'en conserve le coeur comme la qualité :

Et bien que l'ont m'ait mise en état de me plaindre,

795   Vous ne devez point voir mon malheur sans le craindre.

L'aveugle Déité qui flatte les humains

Tourne aussitôt le dos qu'elle nous tend les mains,

Un moment nous la rend rigoureuse et propice,

Tel qui fut au sommet se voit au précipice,

800   Et pour un mouvement qui n'est jamais égal,

Le mal succède au bien, et le bonheur au mal.

BÉLISAIRE.

Hélas ! Que je fais bien la triste expérience,

Et des rigueurs du Sort, et de son inconstance,

Puis que la même main qui bâtit ma grandeur,

805   Détruit mon espérance et me refuse un coeur.

Ah ! Madame, quittez cette humeur obstinée,

Écoutez les soupirs d'une âme infortunée,

Qu'Amour fait à vos pieds expirer sous les coups,

Et par les traits ardents qu'elle a reçu de vous,

810   Ne lui refusez pas la pitié qu'elle implore,

Et recevez, cruelle, un coeur qui vous adore.

AMALAZONTHE.

Ne m'importunez plus, et quittons ce discours,

J'ai l'esprit à mes maux plutôt qu'à mes amours,

Ce Dieu qui ne se plaît que parmi les délices

815   Rougirait qu'on le vît en ce lieu de supplice.

BÉLISAIRE.

Vous ne rougissez pas qu'une extrême rigueur

Parmi tant de tourments le tiennent dans mon coeur,

Vous estimez ces lieux indignes de la flamme,

Et vous faites cruelle un enfer de mon âme,

820   Accordez mes désirs avecque la raison,

Amour n'est jamais mieux que dans une prison,

Il hait la liberté, fait même qu'on la craigne,

Et la chasse d'un coeur aussitôt qu'elle y règne.

AMALAZONTHE.

Ses plumes nous font voir qu'il sait bien en partir.

BÉLISAIRE.

825   Mais c'est pour y voler, et non pour en sortir,

Conservons lui pourtant l'usage de ses ailes,

Sortant d'une prison qu'il entre en de plus belles,

Votre coeur est tenu sous un lâche pouvoir,

Quittez le pour le mien qui vous veut recevoir,

830   Amour vous nuit ici, qu'Amour vous en retire.

AMALAZONTHE.

Je perdrais mon espoir, et non pas mon martyre.

BÉLISAIRE.

Cet espoir, ma Princesse, entretient vos malheurs,

Cette épine jamais ne produira de fleurs :

Vitigez qui nourrit cette vaine espérance,

835   Vous promet un effet plus grand que sa puissance,

L'Empereur qui m'a fait arbitre de son sort,

Veut qu'il vous abandonne et qu'il cède au plus fort,

En sa rébellion il a trouvé sa perte,

Vous réparez la vôtre en mon amour offerte,

840   Ma première victoire est de vous acquérir.

AMALAZONTHE.

Perdant tout, il me reste une belle à mourir.

Elle sort.

SCÈNE IV.

BÉLISAIRE.

Ah, mourir ! Ah plutôt si mon feu vous offense,

Mais l'ingrate à mes yeux a ravi sa présence.

Où m'avez vous réduit, espoir, ambition ?

845   Que le sort répond mal à mon intention !

Puis que le seul objet qui me tue, et que j'aime,

Dans sa captivité triomphe de moi-même,

Et traite mon amour avec tant de mépris,

Que je trouve un supplice où j'espérais un prix.

850   Mais allons recevoir ce guerrier qui s'avance.

SCÈNE V.
Iskirion, Bélisaire, Doristel.

DORISTEL, parlant à Iskirion.

Le voila.

ISKIRION.

C'est assez, observez le silence,

Grand Prince, justes Dieux, que je suis interdit,

Luy prenant la main. Laissant tomber le poignard

Malheureux, ah ! Seigneur, il ne sera pas dit,

Que ce bras animé d'une indiscrète envie,

855   Ait arraché le coeur à qui je dois la vie,

Va, va lâche instrument d'une aveugle fureur,

Abandonne ma main, ton fer me fait horreur,

Toutefois, déloyal, tu peux encor me plaire,

Viens, passe dans mon sein, et venge Bélisaire,

860   Tu feras par ce trait de générosité

Une juste action pour une lâcheté.

BÉLISAIRE.

Qu'est-ce donc ? Arrêtez.

ISKIRION.

Ah : souffrez que mon crime

Reçoive un châtiment et juste et légitime,

J'ai cherché votre sang, j'ai voulu votre mort,

865   Ce désir criminel demande un même sort,

Et bien qu'il ne soit rien que ministre d'un autre,

Mon sang à cet effet doit payer pour le votre,

Permettez moi Seigneur.

BÉLISAIRE.

Non quittez ce dessein,

Ce fer est seulement destiné pour mon sein,

870   Et si votre bonheur dépend de mon naufrage,

Ce poignard peut encor achever mon ouvrage,

Bien loin d'en murmurer j'en bénirai les coups,

Si mon coeur les reçoit et par vous et pour vous.

ISKIRION.

Ah ! Pour cette bonté qui paraît incroyable,

875   Que vous m'êtes cruel étant si pitoyable,

Ce discours à mon coeur est un bourreau secret,

Vous m'arrachez ce fer, mais je meurs de regret,

Ou si le Ciel encor permet que je respire,

C'est pour faire durer ma honte et mon martyre,

880   Et donner un exemple à la postérité,

Et de mon imprudence et de leur équité,

Oui, Seigneur, permettez, avouant mon offense,

Que d'un terme plus doux je la nomme imprudence,

Puis que mon jugement en cet acte odieux

885   A suivi le conseil de deux guides sans yeux.

Ce monstre si fatal aux plus nobles courages,

Et qui s'offre à nos sens sous mille faux visages,

L'ambition d'abord avecque son poison,

A troublé mon esprit, et séduit ma raison.

890   La faveur et l'espoir ont été ses complices,

L'amour à mes efforts a joint ses artifices,

Et mon aveuglement qui m'en cache l'objet,

M'a fait prêter la main à ce lâche projet.

Mais, Seigneur, maintenant que vos vives lumières

895   Ont dissipé la nuit qui couvrait mes paupières,

Qu'à votre heureux abord le bandeau m'est tombé,

Et me redonne un bien qu'il m'avait dérobé,

Que mon ambition meure en votre présence,

Que ma faveur périsse avec mon espérance,

900   Mon repos, mes plaisirs, et même mon amour,

Plutôt que de souffrir qu'il vous coûtent le jour.

BÉLISAIRE.

Ah ! C'est trop, je connais ces redoutables Astres

Dont le fatal éclat a causé mes désastres :

Oui, je connais ces yeux, ces tyrans inhumains,

905   Qui vous ont mis, Seigneur, la foudre dans les mains.

Déjà par les éclairs j'avais prévu l'orage,

Mes yeux en avaient vu le funeste présage,

Et par cette raison je ne m'étonne pas,

Si votre bras avait résolu mon trépas,

910   Un crime paraît beau quand la cause en est belle,

En vain contre l'amour mon esprit se rebelle,

Tout cède à son pouvoir, et ce superbe enfant

Malgré tous ces efforts est toujours triomphant.

Vous l'avez vu, Seigneur, mais souffrez que je die,

915   Qu'il m'eût payé vos soins par une perfidie,

Et que ce bel objet qui vous tient sous la loi,

N'a jamais eu dessein ni sur vous ni sur moi.

ISKIRION.

Cet amour désormais m'est bien indifférente,

Souffrez que je vous aime, et mon âme est contente :

920   C'est là tout mon désir, c'est là tout mon espoir,

Et l'unique bonheur que je veux recevoir.

Adieu, je me retire avec cette espérance.

BÉLISAIRE.

Oui, mon Prince, vivez avec cette assurance,

Et si cette amitié que je vous jure ici

925   Périt, faites grands Dieux que je périsse aussi.

SCÈNE VI.
Théodore, Sophie;

THÉODORE.

Songez y bien, Sophie, Iskirion est Prince,

Songez que c'est pour vous qu'il quitte sa province,

Et qu'on ne doit jamais par d'injustes mépris

Irriter le courroux des généreux esprits ;

930   Acceptez son amour et redoutez sa haine,

Favorisez ses voeux, il en vaut bien la peine,

Et croyez que l'honneur qu'il vous fait aujourd'hui

Vous oblige à paraître accorte comme lui.  [ 3 Accort : Qui est gentils d'esprit, qui est à la fois avisé et gracieux.]

SOPHIE.

En vain pour me toucher vous parlez de ses charmes,

935   Je méprise ses voeux, ses soupirs et ses larmes,

Et j'estime si peu ses pas et son amour,

Que si mon sujet seul l'arrête en cette Cour,

Il peut s'en retourner et s'épargner la peine

Que donne aux importuns une recherche vaine.

THÉODORE.

940   Si sa recherche est vaine auprès de vos appas,

Sa vengeance a des traits qui ne le seront pas,

Évitez ce malheur.

SOPHIE.

Je crains peu cet orage.

THÉODORE.

Ma nièce il a du coeur.

SOPHIE.

Et j'en ai d'avantage.

THÉODORE.

J'en doute.

SOPHIE.

Je me ris de son ressentiment.

THÉODORE.

945   Il est pourtant à craindre en l'esprit d'un amant,

Et si ce coeur altier épargne un peu le votre,

Craignez que son courroux n'éclate sur un autre.

SOPHIE.

Bien, bien, que ce cruel achève mon destin,

De Prince généreux qu'il se rende assassin,

950   Pour se venger de moi qu'il fasse une injustice.

Bélisaire me plaît, il mérite un supplice,

Il faut verser son sang pour éteindre nos feux,

Mais que vous êtes loin du succès de vos voeux,

Si vous croyez encor qu'après ce trait perfide,

955   Mes yeux puissent jamais souffrir cet homicide ;

Non, non, n'espérez pas que je touche en la main,

Qui, peut-être, a signé cet arrêt inhumain,

Le sang de mon amant me la rend odieuse,

Qu'il m'ôte quant et quant une vie ennuyeuse,

960   Assuré que le coup qui me le ravira,

Est la seule action de lui qui me plaira.

THÉODORE.

Oui, oui, puisqu'à nos voeux vous êtes si contraire,

Vous le verrez périr, ce beau, ce téméraire,

Et devant que la nuit vous dérobe le jour,

965   Vous serez sans amant comme lui sans amour.

Elle sort.

SOPHIE.

Allez, lâche, allez complaire à votre envie,

Allez trancher le cours d'une si belle vie ;

Si mes justes douleurs ne préviennent vos soins,

Mes yeux mêmes cruels en seront les témoins.

970   Mais après mes devoirs rendus à l'innocence,

Vous verrez quant et quant ma mort et ma constance,

Et je vous ferai voir, quoi qu'il faille endurer,

Que ce qu'Amour a fait ne se peut séparer.

ACTE IV

SCÈNE I.
Vitigez, Amalazonthe.

VITIGEZ.

Ma Princesse, d'où vient cette mélancolie

975   Où votre âme paraît si fort ensevelie ?

Est-ce pour étouffer mon amoureuse ardeur

Que vous me recevez avec tant de froideur ?

Ah ! si j'ai le malheur d'avoir pu vous déplaire,

Ordonnez de mon sort, je vais vous satisfaire

980   Pourvu qu'en me privant et d'espoir et d'amour,

Vous permettiez aussi que je perde le jour.

AMALAZONTHE.

Mon Prince, pardonnez à l'ennui qui me presse,

Et comme mon Amour partagez ma tristesse,

Loin de me consoler en mes justes douleurs,

985   Donnez vos sentiments à nos communs malheurs,

Nous sommes menacez d'un violent orage,

Mais pour y résister j'ai beaucoup de courage,

Et le sort vainement déploierait son courroux,

Si m'étant rigoureux il vous était plus doux.

VITIGEZ.

990   Ah ! Madame, en ce point sa rigueur m'est propice,

Et sa triste faveur ferait une injustice,

Si lors que son respect manque pour vos attraits,

Le barbare pour moi manquait aussi de traits,

Non, non, je bénirai mon tourment et mes peines,

995   Si vous prêtez la main à soutenir mes chaînes,

Et si mon sang rendait vos destins plus heureux,

Je verrais le trépas d'un visage amoureux.

Mais, de grâce, Madame, afin de m'y résoudre,

Dites moi de quel bras doit partir cette foudre,

1000   Quel est cet ennemi qui veut m'ôter le jour ?

AMALAZONTHE.

Vous le voyez, Seigneur.

VITIGEZ.

Qui, bons Dieux ?

AMALAZONTHE.

Mon Amour.

VITIGEZ.

Madame, c'est assez, je vois mon infortune,

Et je sais maintenant ce qui vous importune,

Cet amour que vos yeux ont fait naître en mon coeur,

1005   Cet aimable tyran dont je fais mon vainqueur,

Est cause des ennuis peints sur votre visage,

Et du prochain malheur dont j'attends mon naufrage :

Mais, Madame, éteignez ce feu qui vous déplaît,

Employez y mon sang tout fidèle qu'il est,

1010   Et pour rendre à jamais mon amour étouffée,

Donnez à vos attraits un plus noble trophée :

Je crois que ce n'est pas sans un sensible effort,

Que vous avez conclu cet arrêt de ma mort,

Et que votre rigueur voyant mon innocence,

1015   Se fait en me tuant beaucoup de violence.

Mais, Madame, étouffez cette ingrate pitié,

Perdez le souvenir de ma tendre amitié,

Et pour mettre en repos un objet adorable,

N'épargnez point le sang d'un Prince misérable.

AMALAZONTHE.

1020   Ah ! que vous prenez mal le sens de mes discours,

Détruirais-je le bras d'où j'attends le secours ?

Et croyez-vous qu'on puisse éteindre votre vie,

Sans que d'un même coup elle me fut ravie ?

Non, non, la passion dont vous êtes épris,

1025   N'aura jamais chez moi ni froideur ni mépris,

J'approuve vos devoirs, votre grâce me charme,

Et je crains, mais pour vous.

VITIGEZ.

Qui vous met en alarme ?

Doutez vous de ma foi ? Doutez vous de mon coeur ?

AMALAZONTHE.

Non.

VITIGEZ.

Que craignez-vous donc ?

AMALAZONTHE.

Un insolent vainqueur,

1030   Bélisaire.

VITIGEZ.

  Ah ! Madame un rayon d'espérance

Flatte encor mon amour d'une belle apparence :

Ce n'est pas que l'orgueil de ce victorieux

Me fasse ici douter du pouvoir de vos yeux,

Je sais que leurs regards triomphent des plus braves,

1035   Et que des plus grands Rois ils se font des esclaves ;

Mais quoi que Bélisaire ait pu vous témoigner,

Ce n'est pas sur son coeur que vous devez régner,

Je sais bien de quel trait sa belle âme est atteinte,

Et vous avez, Madame, une inutile crainte :

1040   « Mais ainsi que le bruit accompagne le jour,

Toujours la Jalousie accompagne l'Amour,

Partout où va ce Dieu, va ce fantôme sombre,

Qui le suit de si prés qu'on le prend pour son ombre. »

AMALAZONTHE.

Il est bien vrai qu'alors qu'on possède un grand bien,

1045   C'est l'estimer bien peu que de ne craindre rien,

Et par cette raison j'ai sujet de me plaindre,

Car si vous m'estimez vous trouveriez à craindre.

VITIGEZ.

Si votre coeur était moins illustre qu'il n'est,

Je craindrais que mon sort ou bien votre intérêt,

1050   Voyant en quel état mon ennemi me range,

Ne portât quelque jour une Princesse au change,

Mais d'en avoir peur je croirais l'offenser,

Si j'en avais conçu seulement le penser.

Non je ne puis commettre une si lâche faute,

1055   Mon amour est trop grand, et votre âme est trop haute,

Pour craindre que jamais on me puisse ravir

Ni l'honneur d'être aimé, ni l'heur de vous servir.

Mais encor quel sujet a fait naître ces craintes ?

Et quelle occasion autorise vos plaintes ,

AMALAZONTHE.

1060   Ne vous figurez pas que ma présomption

Soit le seul fondement de cette passion,

Mon esprit qui connaît ce Prince opiniâtre,

Ne forge pas un monstre afin de le combattre,

J'ai vu dans ses transports des présages certains,

1065   Et de ce que je dis et de ce que je crains :

Avoir incessamment de ses gens à ma suite,

Veiller mes actions, épier ma conduite,

Entendre tout le jour ce fâcheux compliment,

Que j'ai de mon vainqueur pu faire mon amant.

1070   Dis-moi ne sont-ce pas ces chants de sirènes

Toujours avant-coureurs des tempêtes prochaines,

Où je cours le danger d'un naufrage évident,

Si le Ciel ne détourne un si triste accident ?

Mais le voici qui vient, évitons sa présence.

VITIGEZ.

1075   Il est avec Sophie. Amour si ta puissance

A gravé dans son coeur ma Reine et ses attraits,

Permets que cet objet en efface les traits.

SCÈNE II.
Bélisaire, Sophie.

SOPHIE.

Voilà ce que vous coûte une amitié fidèle,

Vous n'avez rien de saint ni d'aimable auprès d'elle,

1080   C'est ainsi qu'un perfide a payé vos travaux.

BÉLISAIRE.

Ah ! Madame épargnez sa candeur et mes maux.

SOPHIE.

Jusques où l'amitié dans votre âme s'imprime,

Pour un ingrat, un traître, et l'auteur de ce crime.

BÉLISAIRE.

Tous ces propos me sont plus mortels que les coups,

1085   Qui m'étaient destinez puisque c'était pour vous.

Je croyais que son crime eut une autre origine,

Mais puis qu'il adorait votre beauté divine,

Je ne puis condamner le dessein qu'il avait,

De s'ôter un Rival qui se désespérait,

1090   « Voyez votre miroir pour juger de son crime,

Il fournira pour lui d'excuse légitime,

Et vous découvrira par mille appas divers,

Qu'il pourrait pour complice avoir tout l'univers.

Une beauté parfaite est une tyrannie,

1095   Dont ne peut s'affranchir le plus ferme Génie. »

Elle embrase les Dieux, tout cède à son pouvoir,

Et pour ne pas aimer il ne faut pas vous voir.

SOPHIE.

Pourquoi donc, si vos yeux sont si remplis de charmes

Êtes vous insensible au pouvoir de mes armes ?

1100   Je souffre votre abord, j'écoute vos discours,

Vous pouvez me parler et me voir tous les jours,

Vous résistez pourtant, et cette résistance

Fait voir ou votre orgueil, ou mon peu de puissance.

BÉLISAIRE.

Dieux, qu'est-ce que j'entends ? Interdit et confus,

1105   En l'état où je suis je ne me connais plus,

Avecque ce discours, adorable Princesse,

Vous voulez éprouver jusqu'où va ma faiblesse,

Mais que mon coeur ici ne vous soit plus suspect,

Pour avoir de l'orgueil il a trop de respect,

1110   Et je vous ferai voir qu'il sait trop se connaître,

Pour espérer jamais la nièce de son maître.

SOPHIE.

Ah ! que ce feint respect est fatal à mon coeur,

Mais quoi, ta modestie importe à ta rigueur,

Et par ce faux prétexte aussi faux que visible,

1115   Tu crois perdre les noms d'ingrat et d'insensible,

Mais bien loin d'effacer ces viles qualités,

Le titre de perfide accroît tes lâchetés,

Oui, ce titre t'est du, déloyal, et sans blâme,

Tu ne peux que pour moi disposer de ton âme,

1120   Puis qu'un jour les effets te seront des témoins.

Que si tu l'as encor, tu la dois à mes soins,

Oui, tu me dois ton coeur, ton honneur, et ta vie,

Car loin de consentir qu'elle te fut ravie,

Narsés en expirant sans doute a témoigné,

1125   Comme pour ton salut je n'ai rien épargné.

La mort est toutefois le prix de ses services,

Le mépris aujourd'hui paye mes bons offices,

Et de deux ennemis conjurez contre toi,

L'un a ton amitié, l'autre espère ta foi,

1130   Et pour dernier effet de ton ingratitude,

Ce qui m'est désormais plus sensible et plus rude,

C'est que tu crois encor mon dessein assez beau,

Si j'ai pour mon époux un traître et ton bourreau.

BÉLISAIRE.

Hé, de grâce, Madame, épargnez l'innocence,

1135   Ses regrets ont assez expié son offense,

Et quelque sentiment que votre Altesse ait eu,

Son crime même a fait éclater sa vertu.

SOPHIE.

Après ce qu'il a fait l'excusez vous encore ?

BÉLISAIRE.

Il vous aime.

SOPHIE.

L'innocent.

BÉLISAIRE.

De plus il vous adore,

1140   Et je croirais avoir trop de témérité,

De prétendre un honneur qu'il a mieux mérité,

Puis que je ne saurais sans paraître volage,

A vos rares beautés rendre un fidèle hommage.

Ne me blâmez donc pas, mais blâmez seulement

1145   La malice du Sort ou son aveuglement,

Qui nous trompe tous trois, ne contente personne,

Il lui refuse un bien, votre amour me le donne,

Moi, je n'en puis jouir.

SOPHIE.

Et lui l'espère en vain,

Hélas de qui vous tue adorez-vous la main ?

BÉLISAIRE.

1150   Cet injuste reproche offense sa franchise,

Outre qu'ayant sur moi toute chose permise,

J'aimerais l'attentat quand il aurait commis,

Puis que la mort serait un don de mes amis.

SOPHIE.

Aveugle affection ! bien, aime le perfide,

1155   Aime un lâche, un ingrat, un traître, un homicide,

Cette belle amitié te coûtera le jour,

Et ta mort, déloyal, vengera mon amour.

BÉLISAIRE.

Révoquez cet arrêt, cruelle, inexorable,

Hélas ! vous me tuez m'étant trop favorable,

1160   Faveur injurieuse achève ici tes coups,

Voila le plus sensible et plus rude de tous,

Me fallait-il, Destins, vivre après mon naufrage,

Pour m'exposer encore à ce dernier orage ?

Quoi, mon coeur vous offense et ne peut languissant,

1165   Ou vivre en votre grâce, ou mourir innocent ?

Ô Dieux !

SOPHIE.

Demande leur un enfer et des peines,

Ingrat.

BÉLISAIRE.

Écoutez moi.

SOPHIE.

Les attentes sont vaines,

Un perfide jamais.

BÉLISAIRE.

Ne fut pareil à moi,

Madame.

SOPHIE.

Adieu.

BÉLISAIRE.

Cruelle.

SOPHIE.

Importun laisse moi.

BÉLISAIRE.

1170   Un mot, et puis mon coeur s'offre à vous satisfaire.

SOPHIE.

Hé bien, que diras-tu ? Mais, Dieu, que veux tu faire ?

BÉLISAIRE.

Pour la dernière fois contre moi vous servir,

Et vous donner un coeur qu'un autre veut ravir,

Ma vertu vous déplaît, mon respect vous outrage,

1175   Je veux pour vous venger employer mon courage,

Si je vous dois le jour, je vous le rends ici,

Vous demandez ma mort, j'obéis, la voici,

Tenez, prenez ce fer, contentez votre envie.

Frappez.

SOPHIE.

Non je ferais trop d'honneur à ta vie,

1180   Ce coup mal commencé demande un autre bras,

Qui mieux que ma rigueur punira des ingrats.

Elle sort.

BÉLISAIRE.

Hé bien, puis que je suis indigne de la vôtre,

Cruelle, j'attendrai cette office d'un autre,

Et quelque châtiment qui me soit ordonné,

1185   Je subirai l'arrêt que vous aurez donné,

Mais quoi que contre nous sa rigueur puisse faire,

Jusqu'au dernier moment paraissons Bélisaire,

Et puis que l'Empereur m'en donne le pouvoir,

Allons ranger ses gens sous les lois du devoir,

1190   Donner l'ordre à chacun, distribuer les armes,

Mettre dans les emplois les plus braves gens d'armes,

Et montrer que mon coeur aime mieux en ce jour

Périr des traits de Mars que de ceux de l'Amour.

SCÈNE III.
Théodore, Iskirion, Doristel.

THÉODORE.

Hé bien, perfide, ingrat,

ISKIRION.

Ah ! Madame.

THÉODORE.

Hé bien, traître,

1195   Après m'avoir trahie oses-tu bien paraître ?

Bélisaire est vivant, il rit de mes fureurs,

Malgré tous ses desseins il triomphe et je meurs ;

Perfide est-ce donc là l'effet de ta promesse ?

Est-ce ainsi que ton bras t'acquiert une Princesse ?

1200   Sont-ce là les dangers que tu devais courir,

Et comme ta valeur me devait secourir ?

Oui, voila les effets que j'en devais attendre,

Voila tous les devoirs que tu me devais rendre,

Voila comme tu vis, voila comme tu sers,

1205   Voila comme un Rival est dedans les enfers,

Voila ce que tu fais pour mériter Sophie,

Voila ce grand courage à qui mon coeur se fie,

Voila ce noble coup que j'attendais de toi,

Bref voilà ton amour, ton ardeur, et ta foi.

1210   Tu médites en vain des excuses frivoles,

On ne m'apaise pas avecque des paroles,

Il faut pour satisfaire à celles de mon rang,

Un Prince pour un Prince, et le sang pour le sang.

ISKIRION.

Hé bien, assouvissez cette barbare envie,

1215   J'ai trahi vos desseins, arrachez moi la vie,

Tenez, me voila prêt, suivez votre courroux

C'est pour ce sujet seul que je suis devant vous,

Ne le différez point, votre injuste colère,

Frappant Iskirion, frappera Bélisaire,

1220   Son âme vit en moi, mon âme vit en lui,

Même coeur, même esprit nous anime aujourd'hui,

De qui que le sang coule on le peut dire notre,

La fortune de l'un se communique à l'autre,

Et le Ciel fait en nous de si charmants accords,

1225   Que vous frappez mon coeur si vous frappez mon corps.

THÉODORE.

Vous faites vanité de m'avoir outragée,

Mais vous serez punis, et je serai vengée,

Allez, retirez-vous.

ISKIRION.

Je bénirai mon sort,

Si mon affection se preuve par ma mort.

SCÈNE IV.
Théodore, Doristel.

THÉODORE.

1230   Enfin de quel moyen faut-il que je me serve ?

Doristel, c'est à toi que ce coup se réserve,

Si ton coeur est hardi tu me le feras voir,

Que ton bras aujourd'hui me rende ce devoir,

Est-ce de mon esprit ce soin qui m'importune,

1235   Et par ce noble effet établis ta fortune.

DORISTEL.

Oui, Madame, espérez de mon affection,

L'effet de vos désirs en cette occasion :

Je vous dois obéir, et mon âme hardie

Par la peur des dangers n'est jamais refroidie,

1240   Bélisaire est vaillant, mais sans faire le vain,

Son bras ne fut jamais plus fort que cette main,

Qui preste à vous servir, vous venger, et vous plaire,

Va tenter ce qu'un Prince a refusé de faire.

THÉODORE.

Va donc, ne laisse pas alentir cette ardeur.

DORISTEL.

1245   En vain cet insolent se fie à sa grandeur,

Qu'il soit toujours armé, qu'il soit invulnérable,

Qu'il fasse voir en tout une force admirable,

Qu'il ait à son service et le Ciel et l'Enfer,

Qu'il ait pour sa défense et la flamme et le fer,

1250   Qu'il soit appréhendé comme un foudre de guerre,

Que le bruit de son nom fasse trembler la terre,

Qu'il soit toujours sans crainte au milieu des hasards,

Qu'il ait pour compagnon et la Fortune et Mars,

Rien ne se peut sauver de l'effet de mes armes,

1255   Et son sang aujourd'hui vous payera de vos larmes.

THÉODORE.

Va ne perds point de temps en discours superflus.

DORISTEL.

Croyez dès à présent que l'ingrat ne vit plus.

SCÈNE V.

BÉLISAIRE.

Pour vaincre les Persans et dompter leur audace,

Il leur faut exposer les escadrons de Trace,

1260   Et notre corps d'armée étant assez puissant,

Pour enfermer le leur le former en croissant.

Mon cher Iskirion conduira l'avant-garde,

Cet honneur plus que tous aujourd'hui le regarde,

Vu que rien ne l'oblige à cette occasion,

1265   Que la haute valeur et son affection.

Hydaspe et Doristel conduiront les deux ailes,

Ils sont deux hardis, vaillants, braves, fidèles,

Leur émulation fera beaucoup d'effet,

Et dedans le milieu de ce cercle imparfait,

1270   Diophante tiendra quelques bandes moins fortes,

Pour attirer à nous leurs premières cohortes.

Mais insensiblement mon oeil trompe ma main,

Et je cède au sommeil, je lui résiste en vain.

SCÈNE VI.
Doristel, Bélisaire endormi.

DORISTEL.

Dieux ! quel bonheur jamais fut au mien comparable,

1275   Tout rit à mes désirs, et tout m'est favorable,

Le sort qui ne veut pas m'obliger à demi,

M'a livré Bélisaire, et de plus, endormi,

Avançons et faisons un coup si nécessaire,

Laissons ici la soeur à la place du frère ;

1280   Mais quel est ce papier, contentons notre esprit,

Et voyons les secrets que contient cet écrit,

Lisons, Ordre des chefs pour conduire l'Armée,

Voyons quelle valeur est la plus estimée,

Et si depuis vingt ans que j'expose mon sang,

1285   Parmi les plus hardis je n'ai point quelque rang.

Hydaspe et Doristel soutiendront les deux ailes,

Que vois-je ? justes Dieux, ils sont tous deux fidèles,

Fidèles, tu le vois, pauvre Prince, et jadis,

En mille occasions je fus ce que tu dis :

1290   Mais l'aveugle Démon maintenant qui le guide

Me rend en ton endroit, lâche, ingrat, et perfide.

Perfide ! ah, ce nom me donne de l'horreur,

Reconnais toi, mon coeur, désarmes ta fureur.

Aide moi, ma raison, et fais mieux ton office,

1295   Retire mon honneur des bords du précipice,

Et malgré ma faiblesse en un pas si glissant,

Fais-moi vivre fidèle et mourir innocent.

Oui, quittons un dessein qui n'est pas légitime,

Ne reconnaissons pas des bienfaits par un crime,

1300   Et de la même main qui desseignait sa mort,

Redonnons lui le jour et même quand il dort.

SCÈNE VII.

BÉLISAIRE, s'eveillant.

Ennemis de nos soins, amoureux du silence,

Qui des soins plus puissants calmez la violence,

Doux charmeur, n'es-tu pas, ô sommeil gracieux,

1305   L'image du repos qu'on goûte dans les Cieux ?

Si les soins et les maux sont l'enfer où nous sommes,

On te doit bien nommer le paradis des hommes,

Que ce relâche est doux après tant de souci.

Mais quel est ce poignard, et qui l'a mis ainsi ?

1310   Cet objet me prédit quelque triste aventure,

Pour nous en éclaircir lisons cette écriture,

Dont les traits inconnus ne sont pas de ma main :

Si tu veux éviter un projet inhumain,

Prends garde à ta personne on en veut à ta vie.

1315   Ah ! je sais d'où provient cette barbare envie,

Cruelle, et bien j'irai contenter ta rigueur,

Pour ce rare présent tu demandes mon coeur,

Il faut que par un trait d'obéissance extrême

Ma main te l'aille offrir et porter elle même.

1320   Il te plaît, je le veux, allons par cet effort

Éviter mille morts par une seule mort.

ACTE V

SCÈNE I.
Bélisaire, Diophante.

BÉLISAIRE.

Va, que diffères-tu ? va mon cher Diophante,

Va trouver de ma part cette superbe Infante,

Cette altière Sophie en qui la cruauté,

1325   Paraît incomparable ainsi que la beauté,

Dis lui que le trépas a pour moi tant de charmes,

Que tu as vu baiser ces favorables armes,

Qui doivent immoler un Prince infortuné.

Aussitôt que ses yeux me l'auront ordonné,

1330   Dis lui qu'il n'est plus rien dont l'appas me retienne,

Que j'aime ce poignard ravi d'aise qu'il vienne,

D'un objet si charmant ; et qui me rendra vain,

S'il passe dans mon coeur d'une si belle main.

Après rends lui ce fer avecque cette lettre,

1335   Puis observe ses yeux, et tâche à reconnaître,

Si quelque mouvement ou visible ou secret,

Ne témoignera point tant soit peu de regret.

Ami, si tu peu voir que la pitié la touche

S'il coûte seulement un hélas à sa bouche,

1340   Un soupir à son coeur, une larme à ses yeux,

Je tiendrai mon trépas et juste et glorieux,

Et mon ombre là bas heureusement ravie,

N'aura point de regret d'avoir quitté la vie.

DIOPHANTE.

Quel désespoir, Seigneur, vous réduit en ce point ?

BÉLISAIRE.

1345   Sers moi, cher Diophante, et ne t'affliges point,

Imite mon respect, j'obéis, fais de même,

On sert aveuglément les personnes qu'on aime,

Ne diffères donc point d'obéir à mes voeux.

DIOPHANTE.

Quel office d'amour ?

BÉLISAIRE.

C'est le seul que je veux.

DIOPHANTE.

1350   Et bien, j'obéirai.

BÉLISAIRE.

  Va. Belle Amalazonthe,

Dont la haute vertu me captive et me dompte,

Apprends par tous ces maux que je souffres pour toi,

Ton pouvoir, mon amour, ta rigueur, et ma foi,

Puis que ni les tourments, ni le fer, ni la flamme

1355   Ne sauraient arracher ton portrait de mon âme.

SCÈNE II.

THÉODORE.

Il vit, tout le malheur est tombé dessus nous,

J'ai fait un attentat, mais j'en reçois les coups,

Ma honte et mon honneur ont ma haine suivie,

Sa mort me faisait vivre et je meurs en sa vie,

1360   Je suis dedans l'orage, il est hors du danger,

Et même par le bras qui me devait venger.

O Dieux, tout est rebelle et traître à mon courage,

Je n'ai plus de moyens qui secondent ma rage,

Elle n'oserait plus se fier qu'à ma main,

1365   Hors de moi rien ne m'aide et tout secours est vain,

Bélisaire me brave, et pourtant on le souffre,

Je crois qu'il trouverait du bonheur dans un gouffre,

Et que les trahisons qu'on trame contre lui,

Succèdent à ses voeux et lui servent d'appui.

1370   Il ne faut pas pourtant que l'affront m'en demeure,

J'y suis trop engagée, il faut, il faut qu'il meure,

Et qu'il apprenne enfin par un dernier effort,

Que ma haine ici bas est autant que la mort.

Mais que veut Diophante, et que tient là Sophie ?

SCÈNE III.
Sophie, Diophante, Théodore.

SOPHIE, tenant une lettre ouverte.

1375   Ah, quelle ingratitude et quelle perfidie !

THÉODORE.

Ma nièce qu'avez-vous qui vous trouble si fort ?

SOPHIE.

L'horreur d'une action que l'on m'impute à tort,

Oyez, voyez, lisez, et juger tout ensemble.

THÉODORE.

Dieux ! Mon coeur est en feux, et pourtant ma main tremble,

1380   Dissimulez mes yeux, ne me trahissez pas,

Mais lisez en riant l'arrêt de mon trépas.

Lettre de Bélisaire à Sophie.

Rigoureuse Princesse à qui j'ai pu déplaire,

Je renvoie à vos yeux un présent de vos mains,

Leurs traits sont assez inhumains,

1385   Et pour m'ôter la vie, et pour vous satisfaire,

Toutefois si votre rigueur,

A délibéré que mon coeur,

Vous serve par ce fer de sanglante victime,

Je suis prêt d'obéir, le coup me semble beau :

1390   Mais comme l'amour est mon crime,

Qu'une fière beauté soit aussi mon bourreau.

BÉLISAIRE.

Ah, vraiment pour un Prince modeste,

Son insolence ici se rend bien manifeste,

Puis qu'alors que ses voeux ne sont pas satisfaits,

1395   Le dépit aussitôt le porte à ces effets.

Approchez, mon ami, dites à votre maître,

Que Sophie est Princesse, et qu'il doit reconnaître,

Que celles de son sang et de sa qualité,

Ont beaucoup de clémence et peu de cruauté,

1400   Puis que sans s'arrêter à son extravagance,

Elles peuvent souffrir ce trait qui les offense,

Allez, retirez-vous.

DIOPHANTE.

Ah, Madame, en ce point.

THÉODORE.

Fais ce que je commande, et ne réplique point.

DIOPHANTE.

J'obéis.

SCENE IV.
Théodore, Sophie.

THÉODORE.

Vous, Sophie, après un tel outrage,

1405   Serez-vous sans raison ainsi que sans courage ?

Voila, voila le fruit et le prix de vos voeux,

Ô le parfait amant !

SOPHIE.

Mais qu'il est malheureux !

Ô Dieux, que dois-je faire après ce coup de foudre ?

THÉODORE.

Le quitter.

SOPHIE.

Ô Destins !

THÉODORE.

Il vous y faut résoudre,

1410   Et pour y mieux songer retirez-vous d'ici.

SOPHIE.

Finissez, Dieux cruels, ma vie et mon souci.

SCÈNE V.

THÉODORE.

Enfin c'est maintenant, superbe Bélisaire,

Que tu ne saurais plus éviter ma colère,

Il faut, il faut mourir, l'arrêt en est dressé,

1415   Cette lettre le porte, et je l'ai prononcé,

Ta maîtresse elle-même, est ici ma complice,

Et me laissant ce fer approuve ton supplice,

Achève donc ma main un coup mal commencé,

Qu'un crime venge un coeur par un crime offensé,

1420   Une lâche action en veut une pareille,

Son désespoir l'attend, ma fureur le conseille,

Et son mépris me porte à cette passion :

Mais que veut l'Empereur, et quelle occasion

Le fait venir ici, confus, triste, et sans suite ?

SCÈNE VI.
Théodore, Justinian, Un garde.

JUSTINIAN, parlant au garde à la porte.

1425   Qu'autre personne ici ne nous soit introduite.

THÉODORE, à part.

Je lis dedans ses yeux quelque dessein caché,

Je tremble et sens au coeur un poison attaché,

Ma vue est égarée et ma voix est pesante,

Rassurons-nous pourtant ; quel souci vous tourmente,

1430   Seigneur ? et quel sujet vous altère si fort ?

JUSTINIAN.

Un malheur que je crains à l'égal de la mort.

THÉODORE.

O Dieux ! et quel malheur ? je suis toute interdite.

JUSTINIAN.

Hélas !

THÉODORE.

Quoi donc, Seigneur ?

JUSTINIAN.

Bélisaire nous quitte,

Et toute la grandeur dont j'éclate aujourd'hui,

1435   Par ce triste accident me quitte avecque lui.

THÉODORE.

Ah, vous vous faites tort, cette grandeur suprême,

Qui maintient vos États subsiste par vous même,

Le Ciel pour ses faveurs n'a que vous pour objet,

Et vous ne tenez point votre éclat d'un sujet.

JUSTINIAN.

1440   Non, mais en le perdant...

THÉODORE.

  Vous perdez peu de chose,

Et l'effet vous plaira quand vous saurez la cause,

Savez vous le sujet qui l'a fait retirer ?

JUSTINIAN.

C'est ce que je n'ai pu lui faire déclarer,

Mais pour une raison importante et secrète,

1445   Ce Prince m'a prié d'agréer sa retraite.

THÉODORE.

Consentez y, Seigneur, et vous ferez beaucoup.

JUSTINIAN.

Pourquoi ?

THÉODORE.

C'est trop se taire, enfin c'est à ce coup,

Qu'il vous faut détromper, et vous faire connaître,

Que Bélisaire,

JUSTINIAN.

Ô Dieux !

THÉODORE.

Oui, Seigneur, vous est traître,

1450   Et c'est pour ce sujet qu'il veut quitter la Cour,

Tenez, voyez son crime en voyant son amour.

JUSTINIAN.

Je n'en saurais douter, voila son écriture.

THÉODORE.

Et voici qui saura témoigner son injure,

Oui, pour vous témoigner combien j'y prends de part,

1455   Je le vais saluer de vingt coups de poignard,

Ma main de cet affront justement animée

Saura trouver son coeur au coeur de votre armée ;

Ma mort suivra de prés cette témérité,

Mais le perfide aura ce qu'il a mérité.

JUSTINIAN.

1460   Modérez ce transport, si l'ingrat est coupable,

Vous le feriez périr d'un coup trop honorable,

Les traîtres n'ont jamais des supplices si doux,

Un bourreau fera mieux cet office que vous.

Holà, Gardes, à moi, que votre capitaine,

1465   Vienne tôt me trouver dans la chambre prochaine,

Pour recevoir mon ordre et mes commandements.

Vous verrez ma justice et mes ressentiments,

Mais avant que la foudre éclate sur sa tête,

Il faut premièrement que Pyrandre l'arrête.

Justinian sort.

SCÈNE VII.

THÉODORE, seule.

1470   Courage, tout va bien, il n'en peut échapper,

Et le trait de la mort est prêt à le frapper :

Mais avant que la Parque ait achevé sa peine,

Examinons un peu la cause de ma haine,

Je l'aimais autrefois, je le hais aujourd'hui,

1475   D'où vient l'aversion que mon coeur a pour lui ?

Il est toujours charmant, il est toujours lui-même,

Et malgré ma fureur je sens bien que je l'aime,

Ses belles qualités règnent sur mes esprits

Mais, hélas ! Je ne puis endurer ses mépris

1480   Cette seule raison me rend son adversaire,

Il est mon ennemi, mais il est Bélisaire.

Ah, désordre confus de mes pensers errants,

Où se termineront ces dessein différents ?

Je déteste son nom, je le hais, je 'abhorre,

1485   Je le fuis, je le crains, et je l'aime encore,

Je sens mon feu s'éteindre, et puis se rallumer,

Je ne le puis haïr, je ne le puis aimer,

La fureur me saisit, puis elle m'abandonne,

Tantôt je le condamne, après je lui pardonne,

1490   Je cherche tout ensemble, et je crains son trépas,

Et quand ma main le peut mon coeur ne le veut pas.

Achevons toutefois et cessons cet orage,

Mettons le dans le port, ou faisons son naufrage,

Puis qu'il est innocent épargnons sa vertu,

1495   Aimons les qualités dont il est revêtu,

Mais que par ce discours mon âme est abusée,

C'est par cette vertu que je suis méprisée,

Ce sont ces qualités qui troublent mon repos,

Qu'il meure donc, qu'il meure, il est plus à propos,

1500   Puis que pour étouffer le regret qui me tue,

Qu'il meure, et pour ne point me venger à demi,

Perdons d'un même coup et l'amant et l'ami.

Oui, perdons les tous deux, je dois être obéie,

L'amant m'a méprisé, et l'ami m'a trahie,

1505   Tous deux également ont osé m'outrager,

Faisons voir à tous deux que je me sais venger,

Et que me négliger ou que me contredire,

Est pis que de choquer ni l'État ni l'Empire.

SCÈNE VIII.
Sophie, Iskirion.

ISKIRION.

Oui, Madame, il importe au bien de vos amours,

1510   De prêter à ce Prince un utile secours,

Jusqu'ici le respect a régné dans son âme,

Faites y succéder une immortelle flamme,

Et tirez de son coeur par obligation,

Ce qu'un autre a ravi par son affection,

1515   J'en ai dit les moyens, forcez votre courage,

Et son succès, Madame, apaisera l'orage,

Qu'une injuste vengeance excite en cette Cour,

Et par eux vous verrez triompher votre amour,

Oui, Madame, ce coup fait le salut d'un Prince,

1520   D' un malheur évident sauve votre province,

Et retire des fers un misérable amant,

Qui n'est point criminel que d'être trop charmant.

C'est ainsi que sans crime on peut être infidèle,

Et la discrétion est ici criminelle,

1525   Allons donc le trouver, allons le secourir,

Et même s'il se peut le sauver, ou mourir.

SOPHIE.

Allons, puisque ce mal veut un remède extrême,

En cette occasion je me vaincrai moi-même,

Je suivrai vos conseils, et par cette action,

1530   J'exciterai l'amour, ou la compassion.

SCÈNE IX.
Sophie, Iskirion, Pirandre.

SOPHIE.

Entrons

PIRANDRE.

Arrêtez-la, que voulez-vous ?

SOPHIE.

Pirandre,

Est-ce là le respect que vous me devez rendre ?

Ne vous informez point, je sais votre devoir,

Et vous ne devez pas ignorer mon pouvoir.

PIRANDRE.

1535   Mais l'Empereur me fait une expresse défense...

SOPHIE.

Va, mon autorité de ce soin te dispense,

Tu retardes ici par un fâcheux débat,

La salut de mon oncle et celui de l'État.

Ne sois pas en souci de ce que je vais faire,

1540   Je te suis caution de toute cette affaire,

Et ma foi t'en promet d'agréables effets.

PIRANDRE.

Ah, Madame, en ce cas j'obéis et me tais.

SCÈNE X.
Sophie, Iskirion, Bélisaire dans la prison.

ISKIRION.

Ami, lève les yeux, contemple ce visage,

Et crois que son abord t'est un heureux présage,

1545   Puis que le seul dessein qui nous amène ici,

Est de te retirer de crainte et de souci.

Vois cet Astre Divin qui doit finir ta peine,

Sophie est toujours belle et jamais inhumaine,

C'est elle qui te doit retirer de ces fers,

1550   Si tu te rends à ceux que ses yeux t'ont offerts.

BÉLISAIRE.

Il est vrai, cher ami, que parmi mes désastres,

Je n'eusse jamais cru qu'on vit ici des Astres,

Aussi quand leur éclat a paru dans ces lieux,

Saisi d'étonnement ai-je baissé les yeux,

1555   Mais je respire à peine après tant de merveilles,

Qu'une autre illusion enchante mes oreilles,

Et qu'un charme puissant que forment vos discours

Flatte mon désespoir d'un frivole secours.

SOPHIE.

Non, non, sa voix n'a point votre oreille abusée,

1560   Ce que fit Ariane autrefois pour Thésée,

Je le ferai pour vous s'il se peut aujourd'hui,

Sans prétendre de vous ce qu'on voulait de lui.

Oui, mon Prince, je veux vous tirer des ténèbres,

Et donner à vos yeux des objets moins funèbres,

1565   Je veux rompre vos fers, vous redonner le jour,

Et me sacrifier au bien de votre amour.

BÉLISAIRE.

Est-ce pour éprouver beaux yeux trop pitoyables,

Si quelque vanité trouble les misérables,

Ou bien si dans l'État où m'a réduit le sort,

1570   Je puis encore avoir l'espérance du Port,

Non, non, d'un front égal et d'un courage ferme

J'attends de mon trépas le déplorable terme,

Je ne crains pas la mort, car je meurs chaque jour,

Et j'espère en mourant d'y venger votre amour.

SOPHIE.

1575   Non, non, vivez plutôt, je veux pour votre gloire,

Changer votre échafaud en un champ de victoire,

Mais nous perdons du temps, mon Prince il faut partir.

BÉLISAIRE.

Ah, ne me jouez pas, le moyen de sortir,

Ce château n'a-t-il plus de gardes ni de portes ?

SOPHIE.

1580   Un charme tout nouveau t'ouvrira les plus fortes,

Et j'en prendrai le soin de conduire tes pas,

Hors de ce labyrinthe où règne le trépas,

Écoute seulement ce qu'il faut que tu fasses,

Si tu veux que le Ciel finisse tes disgrâces.

BÉLISAIRE.

1585   Je suis prêt d'obéir à vos commandements.

SOPHIE.

Il faut vous travestir sous mes habillements,

Et de peur de donner aux Gardes de l'ombrage,

D'un voile adroitement vous couvrir le visage,

Pour moi sous un habit au votre tout pareil

1590   Je veux rester ici.

BÉLISAIRE.

  C'est donc là le conseil,

Qui me doit aujourd'hui retirer du naufrage,

Ah, laissez Bélisaire il a trop de courage,

Pour vouloir mendier par une lâcheté,

Une honteuse vie, ou bien sa liberté,

1595   Ce coupable dessein perdrait mon innocence,

Et ma fuite serait un aveu de l'offense.

SOPHIE.

Je vous donnerai lieu de vous justifier,

Mais pour un peu de temps forcez ce coeur altier,

A vos justes désirs montrez-vous moins rebelle,

1600   Puis que l'occasion s'en présente si belle,

Pour éviter l'affront d'un trépas rigoureux,

Il sied bien quelquefois d'être moins généreux.

Cessez donc. Justes Dieux !

Là Sophie veut ôter les fers à Bélisaire.

SCÈNE XI.
Théodore, Sophie, Iskirion, Bélisaire.

THÉODORE.

Quelle est cette entreprise ?

Que faites-vous, Sophie ?

ISKIRION.

Ô fatale surprise !

SOPHIE.

1605   Malheureuse.

THÉODORE.

  Je sais ce qui vous mène ici,

Tirez-vous à l'écart je prendrai ce souci.

Pour vous demeurez-là vous m'êtes nécessaire,

À Iskirion.

Je vous veux enseigner ce que vous devez faire,

Et puis lors que j'aurai contenté mon courroux,

1610   Vous verrez ce qu'il a délibéré pour vous.

Orgueilleux, vois ton sort, regarde cette lame,

Et par ce coup apprends.

ISKIRION, lui retenant le bras.

Que faites-vous, Madame ?

THÉODORE.

Insolent, oses-tu traverser mon dessein ?

ISKIRION.

Ah ! quittez ce poignard, ou m'en percez le sein.

BÉLISAIRE.

1615   Mon coeur est son objet, qu'il épargne le votre.

THÉODORE.

Il doit à mon courroux immoler l'un et l'autre.

SOPHIE.

Hélas !

BÉLISAIRE.

Prenez mon sang et épargnez le sien.

ISKIRION.

Il est malaisé qu'il coule sans le mien,

Tenez, frappez, Madame.

SOPHIE.

Honorable dispute.

BÉLISAIRE.

1620   Laisse agir sa fureur, c'est pour moi qu'elle bute,

Souffre, cruel ami, qu'elle achève mon sort,

L'état où tu me vois est bien pis que la mort,

Et je serai content qu'elle m'ôte la vie,

Pour me récompenser de l'avoir bien servie.

THÉODORE.

1625   De m'avoir bien servie ? insolent, que dis-tu ?

Oui, si l'ambition était une vertu,

Si l'orgueil, le mépris, et tous les autres vices,

Partout, comme chez toi, passaient pour bons offices.

Supplice de mes yeux crois-tu bien me servir,

1630   Quand tu défends un bien que tu me veux ravir ?

Crois-tu bien me servir quand par ton arrogance

Tu méprises mes voeux, mes faveurs, ma puissance ?

Et veux-tu que je sois redevable à tes soins,

Parce que je suis celle où tu penses le moins ?

1635   Oui, lors que tu te ris de mon âme asservie,

Tu crois encor, ingrat, m'avoir trop bien servie.

BÉLISAIRE.

A quoi bon ce reproche et tout ce vain discours,

Puis que votre dessein est de finir mes jours ?

Achevez, Théodore, achevez votre ouvrage,

1640   Ce coeur ne tremble point pour un si faible orage,

Vous ne l'avez pu voir amoureux ni brûlant,

Il faut que désormais vous l'ayez tout sanglant.

THÉODORE.

Oui, mais auparavant que je t'ôte la vie,

Je veux savoir, ingrat, en quoi tu m'as servie.

BÉLISAIRE.

1645   Ah ! Ne m'obligez pas de vous entretenir

D'un si triste, si lâche, et honteux souvenir,

D'un si fâcheux effet dispensez ma mémoire,

Si vous ne m'épargnez, épargnez votre gloire,

Et ne permettez pas que je publie ici

1650   Ce qui fait votre honte et mon malheur aussi

Puisqu'il vous plaît pourtant contentons notre envie,

Ne vous ai-je donc pas fidèlement servie ?

Quand voyant votre coeur lâchement abattu,

J'ai fait sur vos désirs régner votre vertu ?

1655   N'ai-je rien fait pour vous, quand malgré tous vos charmes,

La raison contre moi m'a fait rendre les armes,

Et sans se prévaloir de votre aveuglement,

A fait contre vos voeux agir mon jugement ?

Ah, reconnaissez-vous, et songez, Théodore,

1660   Loin de vous mépriser, combien je vous honore,

Puis que sans écouter mon amour suborneur,

J'ai perdu mes plaisirs pour sauver votre honneur :

Que vous ai-je donc fait qui cause votre haine,

Je fus respectueux, vous êtes inhumaine,

1665   J'ai souffert tout l'orage et vous ai mise au port,

Et c'est pour ce sujet que vous voulez ma mort.

THÉODORE.

Ta mort ? Ah ! La raison veut ici le contraire,

Vis heureux, j'y consens, triomphe Bélisaire,

Triomphe, ta vertu qui te rend mon vainqueur,

1670   M'ôte le fer des mains et la haine du coeur.

Ôtons lui les liens.

SOPHIE.

Ah ! Mon Prince.

BÉLISAIRE.

Ah ! Madame,

En délivrant mon corps, vous captivez mon âme,

Et la même pitié dont je vois les effets,

S'offense des liens que vous avez défaits,

1675   Madame vengez-vous de mon ingratitude,

Sur ce coeur insensible à votre inquiétude,

Qu'il meure, cet ingrat, de honte et de regret,

Tirez-le, je le sens qui se flatte en secret ;

Rappelant de vos feux l'agréable mémoire,

1680   Il veut mourir d'amour, qu'il n'en ait pas la gloire,

Son supplice serait trop doux et trop charmant,

Il doit mourir en traître et non pas en amant,

Puis que la main des Dieux vous ayant fait si belle,

L'ingrat a pu vous voir et vous être rebelle,

1685   Pardonnez lui beaux yeux si charmants et si doux,

Je demande sa grâce et l'attends à genoux.

SOPHIE.

Quelle grâce ?

BÉLISAIRE.

L'Amour

SOPHIE.

À ce mot je soupire,

Ses voeux sont mes souhaits ; on me porte où j'aspire :

Mon Prince, levez vous parmi tant d'actions,

1690   N'ajoutez pas ma honte à vos perfections,

Puis-je voir à mes pieds celui qui me surmonte ?

Faut-il que je rougisse et d'amour et de honte ?

Qu'un autre État demande et reçoive mon coeur.

BÉLISAIRE.

C'est ainsi que je dois recevoir mon vainqueur.

ISKIRION.

1695   Que cet effet, Amour, éternise ta gloire.

THÉODORE.

C'est trop se disputer l'honneur de la victoire,

Il nous faut de ce pas aller vers l'Empereur,

Apaiser son courroux et le tirer d'erreur,

J'ai soulevé les flots, calmons en la tempête,

1700   Suivez moi seulement, et je ferai le reste.

SCÈNE XII.
Justinian, Vitigez, Amalaonthe.

VITIGEZ.

Avant que d'en venir à l'extrême rigueur,

Grand Prince ayez égard aux traits de sa valeur.

JUSTINIAN.

Ah ! Je ne puis souffrir l'impunité d'un crime,

Qui détruit mon honneur et tache mon estime,

1705   Je l'avais fait trop grand, il s'est trop oublié.

VITIGEZ.

La prison et ses fers l'auront humilié,

Pardonnez lui, Seigneur.

JUSTINIAN.

Ah ! l'ingrat, ah ! le traître,

Oser insolemment se jouer à son maître ?

Ah ! Je ne puis souffrir cette témérité.

AMALAZONTHE.

1710   Hé, Seigneur, consultez un peu votre bonté,

Elle parle pour lui.

JUSTINIAN.

Je ne m'y puis résoudre.

VITIGEZ.

Que votre Majesté retienne un peu le foudre,

Qui menace son chef d'un malheur infini,

Perdant votre faveur il est assez puni.

JUSTINIAN.

1715   Ah ! Je l'ai trop aimé ce jeune téméraire,

En cette occasion mon coeur que dois-je faire,

L'un émeut mon courroux, l'autre me fait pitié,

Ses services passez m'inspirent la clémence,

Et son crime présent aigrit ma violence,

1720   Et je crains justement en cette extrémité,

De manquer de prudence ayant trop de bonté,

Perdre aussi ce que j'aime et dont le grand courage

A sauvé mes États d'un visible naufrage,

Un Prince généreux, un serviteur ardent,

1725   Un sujet nonpareil, noble, mais imprudent,

Bélisaire, en un mot, ah ! c'est une personne,

Que je puis balancer avec une couronne,

Que résoudrai-je donc ? Mais qu'est-ce que je vois ?

Théodore, bons Dieux ! L'amène devant moi.

1730   Ce procédé nouveau rend mon âme confuse.

SCÈNE DERNIÈRE.
Justinian, Vitigez, Amalazonthe, Théodore, Iskirion, Sophie, Bélisaire, Pyrandre.

THÉODORE.

Il est temps de quitter l'erreur qui vous abuse,

Seigneur, j'ai découvert par un heureux effet,

L'innocence et la foi de ce Prince parfait.

Oui, croyez moi, Seigneur, il fut toujours fidèle,

1735   Il ne brûla jamais d'une amour criminelle,

Et cet objet à qui s'adressait son écrit,

Peut ainsi que le mien éclaircir votre esprit :

C'est pour lui seulement qu'il soupire et qu'il brûle,

Sa main trompe mes yeux et je fus trop crédule,

1740   De me persuader que sa témérité

M'adressât cet écrit qui me fut présenté.

Mais ce qui l'accusait ici le justifie,

Et je connais assez qu'il était pour Sophie,

Puisqu'elle-même enfin m'a fait un noble aveu,

1745   Qu'elle avait excité l'ardeur d'un si beau feu,

Et que les qualités d'un si brave courage,

Méritaient...

JUSTINIAN.

C'est assez, n'en dis pas d'avantage,

La vertu que je vois sur ce front généreux,

Monstre son innocence en l'objet de ses voeux,

1750   Et mon coeur est ravi qu'une si belle flamme

En faveur de Sophie ait embrasé son âme,

Mais j'ai bien du regret qu'en cette occasion

Je ne puisse répondre à son affection,

Pour ne pas rendre vain le voyage d'un Prince,

1755   Que cet espoir retient dedans cette province,

Et qui m'a témoigné que pour le mériter

Il donnerait son sang.

ISKIRION.

Il n'en faut pas douter,

Oui, Seigneur, je l'attends, et je vous la demande,

JUSTINIAN.

Vous l'aurez.

THÉODORE.

Que dit-il ?

SOPHIE.

Ô Dieux que j'appréhende !

ISKIRION.

1760   Grand Prince souffrez donc que cet objet charmant,

Reçoive devant vous le coeur de son amant.

JUSTINIAN.

J'y consens.

ISKIRION.

Ma Princesse en ce bonheur extrême,

Vous donnant ce Guerrier je me donne moi-même,

Il possède mon coeur, ce qui lui plaît m'est doux,

1765   Donnez-vous toute à lui je serais toute à vous,

Mes services auront un illustre salaire,

Si vous reconnaissez les voeux de Bélisaire,

Ce qui fait son bonheur fera le mien aussi,

Et c'est le seul espoir qui me retient ici ;

1770   Consentez, grand Monarque, à cette illustre envie.

JUSTINIAN.

S'il vous plaît, je le veux.

SOPHIE.

Cet espoir est ma vie.

ISKIRION, à Bélisaire.

Et vous ?

BÉLISAIRE.

En ce bonheur où je reste confus,

J'obéirai, Seigneur, ne pouvant faire plus,

Mais j'avouerai toujours tenir cet avantage

1775   Des bontés de Sophie et de votre courage.

ISKIRION.

Votre mérite seul fait vos félicités,

Seigneur.

BÉLISAIRE.

Trêve de grâce à ces civilités,

Je suis assez vaincu par votre bienveillance,

Sans que vous m'attaquiez avec votre éloquence,

1780   Vous voulez m'attaquer à force de bienfaits :

Mais pour récompenser tant de nobles effets,

Mon cher Iskirion, enfin que dois-je faire ?

ISKIRION.

Permettre que mon coeur soit tout à Bélisaire,

Et par un zèle ardent que je monstre en ce jour,

1785   Qu'il est des amitiés plus fortes que l'amour.

VITIGEZ.

Illustres sentiments d'une âme généreuse !

AMALAZONTHE.

Par ce charmant accord qu'ils me rendent heureuse.

JUSTINIAN.

Venez, approchez-vous ; Que les deux Souverains

Puissent joindre vos coeurs comme je joins vos mains.

BÉLISAIRE.

1790   Puissent les immortels par cette grâce insigne,

Et cet extrême honneur dont je me sens indigne,

Répandre tous les jours sur votre Majesté

Mille torrents de gloire, et de prospérité.

SOPHIE.

Puissent les Dieux puissants ainsi que je désire,

1795   Aux deux bouts de la terre étendre votre Empire,

Et puisse être aux humains votre règne aussi doux,

Que le servage heureux que je reçois de vous.

BÉLISAIRE.

Voyez, Amalazonthe, où le sort me destine.

AMALAZONTHE.

À la possession d'une beauté divine,

1800   Qui prenant sur votre âme un plus juste pouvoir,

Vous ôte un vain amour, et me rend mon espoir.

JUSTINIAN.

Suivez donc cet espoir que votre amour vous donne,

Vitigez a pour vous hasardé sa couronne,

Il a tout fait pour vous, vous faites tout pour lui,

1805   Et souffrez que son coeur vous possède aujourd'hui,

Vous l'avez mis aux fers, qu'il y mette votre âme,

Que votre peine soit une commune flamme,

Et qu'Amour et l'Hymen ces aimables Tyrans,

Soient les exécuteurs de l'arrêt que je rends.

VITIGEZ.

1810   Douce punition ! Agréable sentence !

AMALAZONTHE.

Que j'adore les lois d'une telle ordonnance !

JUSTINIAN.

Enfin cet heureux jour si long temps différé,

Est venu quand mon coeur l'avait moins espéré,

Et lors que je prenais le bandeau de Justice,

1815   Je pense que l'amour par un plaisant caprice,

A dévoilé mes yeux de ce funeste atour,

Et remis en sa place un bandeau de l'Amour.

Enfin ce petit Dieu qui causait nos tempêtes,

À lui-même éloigné l'orage de nos têtes,

1820   Et le même pouvoir que je craignais si fort,

Loin de nous abîmer nous a mis dans le port.

 


EXTRAIT DU PRIVILÈGE DU ROI.

Par grâce et privilège du Roi, il est permis à AUGUSTIN COURBÉ, Libraire, de faire imprimer un Livre intitulé, Bélisaire, Tragi-Comédie, Par le Sieur DESFONTAINES. Et défenses sont faites à toutes personnes, de quelque qualité ou condition qu'elles soient, de l'imprimer, ou de le faire imprimer, vendre, ni distribuer, sans le consentement dudit COURBE', et ce durant le temps de sept ans, sur les peines portées par ledit Privilège. DONNÉ à Paris, le vingtième jour de Juin mil six cens quarante-un.

Signé LEMOINE.

Achevé d'imprimer pour la premi7re fois, le 6 Juillet mil six cent quarante et un.


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Notes

[1] Bellone (ou Bellonne) : déesse italique de la Guerre.

[2] Tapabor : Terme vieilli. Nom d'une sorte de bonnet pour la campagne, dont on peut rabattre les bords, pour se garantir de la pluie et du vent.

[3] Accort : Qui est gentils d'esprit, qui est à la fois avisé et gracieux.

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