Farce en un acte (rôles féminins)
PRIX 120 FR.
1959
PATRICE BUET
PARIS LIBRAIRIE THEATRALE EDITIONS BILLAUDOT, Successeur 3, RUE DE MARIVAUX (2e). ET 14, RUE DE L'ÉCHIQUIER (10e)
Imprimerie DIERVILLE, Verneuil (Eure)
Publié par Paul FIEVRE, janvier 2025
Texte établi par Paul FIEVRE, décembre 2024
© Théâtre classique - Version du texte du 29/12/2024 à 11:55:11.
PERSONNAGE.
MADAME TALMONT, 45 ans.
ISABELLE, 20 ans.
CHRISTIANE COMETE, 22 ans.
MADEMOISELLE BRIGNOLET, 22 ans.
JUSTINE, 35 ans.
UN PETIT BONJOUR EN ...
Un salon ou une salle à manger dans une maison de campagne en Normandie. Porte au fond, ouverte sur un jardin. Portes à droite et à gauche. Ameublement confortable. Téléphone. Au lever du rideau, Justine, seule, termine le ménage de la pièce. Entre Mme Talmont, par la droite.
SCÈNE PREMIÈRE.
Justine, Madame Talmont, puis Germaine.
MADAME TALMONT.
Le courrier n'est pas encore arrivé Justine ?
JUSTINE.
Non, Madame.
MADAME TALMONT, elle en était sûre.
Oui... Enfin... Comme il met autant de temps de la poste jusqu'ici que de Paris au chef-lieu, il faut avoir de la patience !...
Voyant des journaux sur une table.
Nous avons les journaux pourtant...
JUSTINE.
Je suis allée les chercher chez le père Ducrod.
MADAME TALMONT.
Vous auriez pu passer à la poste.
JUSTINE.
J'y suis passée... Le facteur était parti...
MADAME TALMONT.
Vous auriez pu le rattraper : il a soixante-dix-huit ans, une jambe de bois et des rhumatismes dans l'autre...
JUSTINE.
On ne sait jamais comment il fait sa tournée... Ça dépend des lettres qu'il a... Aujourd'hui il a dû commencer par le château, et le père Ducrod habite à côté de la mairie... Alors...
MADAME TALMONT.
Par le château ? Pourquoi par le château ?
JUSTINE.
Parce qu'ils mettent du vin en bouteilles aujourd'hui, c'est l'occasion ou jamais...
MADAME TALMONT.
Charmant.... Et il est onze heures du matin !...
Un temps.
D'ailleurs, ça m'est égal, je n'en attends pas...
GERMAINE, qui vient d'entrer par la droite.
De quoi, maman ?
MADAME TALMONT.
De lettres... Si Mademoiselle Brignolet ne devait pas arriver, elle aurait déjà prévenu...
GERMAINE, petit air pincé.
Oui... Malheureusement, elle n'a pas prévenu... et son train, à l'heure qu'il est, doit être en gare...
MADAME TALMONT, à Justine.
Vous avez fini, ma fille ?
JUSTINE, elle a compris.
Oui, oui, Madame...
Elle sort par la gauche.
SCÈNE II.
Madame Talmont, Germaine.
MADAME TALMONT.
Germaine !
GERMAINE.
Maman ?
MADAME TALMONT.
Tu aurais pu te dispenser de cette réflexion devant la bonne.
GERMAINE.
Ça lui prouve que nous ne sommes pas plus contentes qu'elle de voir arriver Mademoiselle Brignolet.
MADAME TALMONT.
Nous, nous avons le droit de ne pas être contentes. Elle, elle ne l'a pas. Elle est payée pour supporter ces ennuis...
GERMAINE.
À moins qu'elle ne nous donne ses huit jours...
MADAME TALMONT.
Ses huit jours !... Comme tu y va !... Parce qu'il nous arrive une amie sur laquelle nous ne comptions pas ?... Je ne comprends vraiment pas, je te l'ai déjà dit, ton acharnement contre Mademoiselle Brignolet...
GERMAINE.
Oh ! Mon acharnement...
MADAME TALMONT.
Parfaitement : ton acharnement. Tu devrais t'estimer très heureuse déjà que notre situation nous ait permis de quitter Paris pour l'été, de venir en Normandie, de nous installer à peu près confortablement dans cette maison...
GERMAINE.
D'accord, c'est une veine que papa ait pu trouver à la louer...
MADAME TALMONT.
Je ne te le fais pas dire ! Une maison comme ça... bien meublée, bien agencée... à une époque où le tourisme est impossible et les hôtels inabordables... C'est une vraie chance, en effet...
GERMAINE.
Entendu... Grâce à papa, nous avons notre coin pour nous reposer...
MADAME TALMONT.
Pendant qu'à Paris, lui, le pauvre, il travaille... pour nous la payer...
GERMAINE.
Oui, oui... Mais enfin, cette maison, si nous voulons nous y reposer, raison de plus pour ne pas la transformer en auberge pour ceux qui ne savent où aller...
MADAME TALMONT.
Que tu es injuste et mauvaise !... Si ton père t'entendait, il y a longtemps que tu aurais reçu une gifle !
GERMAINE.
Papa ne s'est pas rendu compte qu'en nous envoyant Mademoiselle Brignolet...
MADAME TALMONT.
Ne dis donc pas de bêtises... et tâche d'avoir un peu plus de respect pour ton père...
GERMAINE.
Qu'est-ce que tu veux, moi, Mademoiselle Brignolet...
MADAME TALMONT.
Germaine !.... C'est une amie... Ton père n'a pas le droit de l'inviter, non ?...
GERMAINE.
Le droit ! Le droit !... Le droit, bien sûr...
MADAME TALMONT.
Une vieille amie... de longue date... qui fut très liée avec ta grand'mère....
GERMAINE.
Une vieille fille...
MADAME TALMONT.
D'accord.
GERMAINE.
Maniaque...
MADAME TALMONT.
D'accord.
GERMAINE.
Remuante.
MADAME TALMONT.
D'accord.
GERMAINE.
Encombrante.
MADAME TALMONT.
D'accord... mais âgée, seule, sans grandes ressources... Nous avons une chambre d 'amis, c'est pour nous en servir...
GERMAINE.
On choisit ses amis...
MADAME TALMONT.
Ou on les supporte... C'est bien le moindre des choses qu'on leur vienne en aide quand on le peut.
GERMAINE.
Oh ça va, ça va, maman, du moment que tu es satisfaite...
MADAME TALMONT.
Je ne dis pas que je sois satisfaite... Je dis que, dans la vie, il y a certaines circonstances où il faut savoir, avec bonne humeur, accepter de petits sacrifices...
GERMAINE.
Bon !
MADAME TALMONT.
J'espère que tu le comprendras et que tu me feras le plaisir de te montrer vis-à-vis de Mademoiselle Brignolet correcte... et je dirai même aimable...
GERMAINE.
Entendu, maman, là, puisqu'il le faut, je serai aimable...
MADAME TALMONT.
Tu sais très bien l'être quand tu veux.
GERMAINE.
Je le voudrai.
MADAME TALMONT.
À la bonne heure ! Je savais bien que tu n'es pas tout à fait un monstre ! Puisque nous avons le bonheur de disposer de cette maison, en somme, pas trop loin de Paris...
GERMAINE.
Deux cents kilomètres tout de même !
MADAME TALMONT.
À deux pas de la mer...
GERMAINE.
Sept kilomètres !
MADAME TALMONT.
Relativement facile d'accès...
GERMAINE.
Cinq heures d'omnibus et quatre heures de tortillard ! Une paille !
MADAME TALMONT.
Sur les grandes lignes, on ne trouve rien... N'empêche qu'une fois qu'on y est, on y est bien et que c'est l'a seule façon désormais de passer des vacances à peu près potables... Mademoiselle Brignolet, après tout, n'est pas tellement désagréable : à Paris, elle vient bien dîner chez nous tous les quinze jours...
GERMAINE.
Et ici elle dînera quinze jours de suite... et quand je dis quinze jours...
MADAME TALMONT.
Tu n'ignores pas qu'elle a été très utile à ton père pour l'affaire Pommier par ses relations avec Madame Pommier et que c'est pour ça que ton père n'a pu moins faire que de l'inviter... Sais-tu combien on lui demandait à l'hôtel où elle avait l'habitude d'aller avant la guerre et où on la recevait alors pour trente francs par jour ?
GERMAINE.
Évidemment, ça a dû augmenter.
MADAME TALMONT.
Mille francs par jour, sans le vin, sans le petit déjeuner, sans le café, sans les taxes...
GERMAINE.
C'est fou !
MADAME TALMONT.
Tu en conviens ?...
Dégageant.
Alors, voyons, cette bonne Clémence, si son train n'a pas de retard, ne va pas tarder à arriver... Veux-tu voir si sa chambre est prête pendant que je vais au jardin cueillir quelques fleurs...
GERMAINE.
Oui, maman...
Madame_Talmont sort par le fond. Germaine appelle à gauche.
Justine ! Justine !
Entre Justine.
SCÈNE III.
Germaine, Justine.
JUSTINE.
Mademoiselle ?
GERMAINE, à Justine.
Est-ce que tout est préparé pour Mademoiselle Brignolet ?
JUSTINE.
Oui, Mademoiselle.
GERMAINE.
La chambre en ordre ? Le lit, fait ?
JUSTINE.
Oui, Mademoiselle.
GERMAINE.
Vous avez changé l'eau de la carafe ?
JUSTINE, agacée.
Oui, oui, Mademoiselle...
GERMAINE.
Très bien, Justine, très bien, ne vous énervez pas.
JUSTINE, volubile.
Je ne m'énerve pas, Mademoiselle. La chambre est en ordre, le lit est fait, l'eau de la carafe est changée, le parquet est ciré, la descente de lit est lavée... et il y a tout ce qu'il faut dans la table de nuit...
GERMAINE.
Je ne vous en demande pas davantage.
JUSTINE.
C'est donc que Mademoiselle ne sait pas tout.
GERMAINE.
Qu'est-ce que je ne sais pas ?
JUSTINE, récitant.
Mademoiselle Brignolet se lève à six heures. Une tasse de café et messe de sept heures. À huit heures, petit déjeuner, café au lait avec pain et beurre. À onze heures, un quart Vichy. Déjeuner à midi juste. À quatre heures goûter, thé très clair. Dîner à sept heures : bouillon de légumes, deux pommes de terre à l'eau et une petite cuillerée de confiture. À neuf heures, extinction des feux...
GERMAINE.
Je vous félicite de votre mémoire, Justine.
JUSTINE.
Je retiens très bien les choses, Madame m'a bien recommandé...
GERMAINE.
Je vois...
On sonne.
JUSTINE, continuant.
Au moins pendant une huitaine de jours... Après, dame, je ne réponds de rien.
GERMAINE.
On a sonné, je crois... Ça doit être elle.
JUSTINE.
J'y vais.
Elle sort.
GERMAINE, seule, se refaisant vivement une beauté.
J'ai vaguement l'impression qu'il y a de l'orage dans l'air. Ça m'étonnerait.
Un temps pour La poudre.
que Justine...
Autre temps.
supporte Mademoiselle Brignolet plus de huit jours... ou que Mademoiselle Brignolet
Un temps pour le rouge.
supporte Justine
Autre temps.
plus de huit jours... La situation est
Rengainant ses accessoires.
dramatique !...
JUSTINE, reparaissant.
Mademoiselle, c'est Mademoiselle Christiane Comète.
Justine disparaît. Germaine se précipite au devant de Christiane, qui est en costume de voyage et entre par la gauche.
SCÈNE IV.
Germaine, Christiane.
GERMAINE.
Oh par exemple ! C'est toi, Christiane ! C'est toi !...
CHRISTIANE.
Eh oui, c'est moi... Bonjour, Germaine, bonjour...
GERMAINE.
Si je m'attendais !... Ça, au moins, c'est une surprise !... Tu ne peux pas t'imaginer comme je suis contente !... Tout le monde va bien chez toi ?
CHRISTIANE.
Tout le monde.
GERMAINE.
Et toi ?
CHRISTIANE.
Tu vois.
GERMAINE.
Débarrasse-toi, je t'en prié... Ton chapeau, tes gants... ton sac... et raconte... raconte vite... Comment diable te rencontre-t-on dans ce bled perdu ?
CHRISTIANE.
C'est tout simple : papa n'a pas voulu que je reste à Paris...
GERMAINE.
Ah, ton père aussi ?...
CHRISTIANE.
Oui, pourquoi ?
GERMAINE.
Continue, continue...
Bondissant.
Mais alors, le tortillard est arrivé ?
CHRISTIANE.
Le tortillard ? Quel tortillard ?
GERMAINE.
Le tortillard.
CHRISTIANE.
Je ne m'occupe pas du tortillard, moi, je suis en voiture.
GERMAINE, bouche bée.
En voiture !
CHRISTIANE.
Tu sais bien que je suis dans les Huiles...
GERMAINE.
Et Pétroles, oui... Tu y es toujours, dans les Huiles et Pétroles de la Compagnie... je ne sais plus quoi...
CHRISTIANE.
Jusqu'au cou... et ce ne serait pas la peine d'être la secrétaire du Président de la Compagnie A. E. I. O. U. si on n'avait pas de l'essence à toutes les pompes...
GERMAINE.
Naturellement... Eh bien, ça facilite les voyages, ça !
CHRISTIANE.
Les voyages, oui, mais pas les séjours. Il n'y a plus moyen de passer ses vacances à l'hôtel.
GERMAINE.
Archi-pleins et archi-prohibitifs, je connais !
CHRISTIANE.
Tu connais ?
GERMAINE.
Enfin, oui, je m'entends... Parle donc !
CHRISTIANE.
Tu ne me laisses pas le temps !... Donc, mon père, qui ne voulait tout de même pas que je passe l'été à Paris, m'a envoyée chez mon oncle à Bayeux...
GERMAINE.
À Bayeux ?... Je commence à comprendre.
CHRISTIANE.
Ce n'est pas malin : comme ton patelin est sur le chemin...
GERMAINE.
Je comprends...
CHRISTIANE.
Tu y a mis le temps... J'aurais été la dernière des dernières si je ne m'étais pas arrêtée un instant en passant pour te dire bonjour.
GERMAINE.
Je t'en aurais voulu à mort !... Et... il t'attend, ton oncle ?
CHRISTIANE.
Il m'attend sans m'attendre... Quand je pars en voiture, je n'aime pas avoir de rendez-vous, tu sais... Je l'ai simplement averti que j'arriverai dans le courant de la semaine.
GERMAINE.
Très bien ! Alors rien ne s'oppose à ce que tu restes trois ou quatre jours avec nous.
CHRISTIANE.
Pour un petit bonjour en passant, ce serait peut-être exagéré !
GERMAINE.
On ne dit pas un petit bonjour en passant à une copine de pension avec laquelle on a passé les dix meilleures années de sa vie.
CHRISTIANE.
Je ne voudrais pas ennuyer Madame Talmont.
GERMAINE.
Madame Talmont adore les visites.
CHRISTIANE.
Pas les visites de trois, quatre jours.
GERMAINE.
Avec ça !... Tiens, tu connais Mademoiselle Brignolet ? Tu l'as vue assez souvent chez nous à Paris...
CHRISTIANE.
Oui, oui...
GERMAINE.
Eh bien, nous l'attendons justement... Elle vient nous faire une visite... de... de plusieurs mois...
CHRISTIANE.
Non ?
GERMAINE.
Si, si...
CHRISTIANE.
Raison de plus pour que tu n'insistes pas : comme partenaire à la rigolade, Mademoiselle Brignolet n'offre par des horizons ensoleillés...
GERMAINE.
Raison de plus pour que j'insiste : si tu n'as pas une pierre à la place du coeur, tu ne me laisseras pas seule pour affronter ces horizons.
CHRISTIANE.
Ah bon !... S'il s'agit de se dévouer !...
GERMAINE.
Puisque je te le dis...
CHRISTIANE, faussement sérieuse.
Et... c'est payé, çà ?
GERMAINE.
Comment ?
CHRISTIANE.
Cette... place... de demoiselle de compagnie ?
GERMAINE, comprenant.
Ah !
Jouant le jeu.
On donne les deux repas, le petit déjeuner et la chambre.
CHRISTIANE.
C'est tout ?
GERMAINE.
Et le sourire de la patronne !
Riant et se précipitant au cou de Christiane.
Je t'adore, tiens... Tu peux dire que tu ne changeras jamais, toi !
CHRISTIANE.
Et toi donc !
GERMAINE.
Alors, c'est entendu, tu restes ?
CHRISTIANE.
Il faudrait d'abord savoir ce qu'en pense Madame Talmont.
GERMAINE.
Tu me casses les oreilles avec Madame Talmont... Ma mère m'impose Mademoiselle Brignolet, c'est bien le moins qu'elle accepte une de mes amies !
CHRISTIANE.
C'est juste, il y a Mademoiselle Brignolet... Alors, vraiment non, çà n'est pas payé !
GERMAINE.
Ta voiture n'a que deux places ?
CHRISTIANE.
Hein ?
GERMAINE.
Je dis : ta voiture n'a que deux places ?
CHRISTIANE, qui ne voit pas où elle veut en venir.
Oui...
GERMAINE.
Eh ben alors...
CHRISTIANE.
Alors quoi ?
GERMAINE.
Alors il est tout naturel que je te fasse connaître un peu le pays...
CHRISTIANE, appuyant.
Non, tu ne le connais pas ! Le matin, sitôt après le petit déjeuner, nous partirons toutes les deux et nous irons faire le marché... L'après-midi, sitôt après le repas, nous repartirons, toutes les deux et nous irons visiter les environs... Le soir, sitôt après le dîner...
CHRISTIANE.
Nous re-repartirons toutes les deux...
GERMAINE.
Non... Mais nous suggérerons à Mademoiselle Brignolet d'aller se coucher... Et comme ça, la vie sera très supportable... Voilà maman, justement.
Madame Talmont, en effet, vient d'entrer par le fond, les bras chargés de fleurs qu'elle disposera dans des vases.
SCÈNE V.
Les mêmes, Madame Talmont.
CHRISTIANE.
Bonjour, Madame Talmont.
MADAME TALMONT.
Tiens, Christiane ! Bonjour Christiane!
Elle l'embrasse.
Comment allez-vous ?... Quel vent vous amène ?
CHRISTIANE.
Le vent des vacances.
MADAME TALMONT.
Vous aussi !
CHRISTIANE.
Pourquoi pas ?
GERMAINE.
Elle fait comme nous... Elle quitte Paris et elle va chez son oncle, à Bayeux...
MADAME TALMONT, soulagée.
Ah ! Très bien !
CHRISTIANE.
Je n'ai pas voulu passer sans venir vous dire bonjour et embrasser Germaine.
MADAME TALMONT, mi-figue, mi-raisin.
Je pense bien !
Aimable tout de même, à Germaine.
Lui as-tu offert quelque chose, au moins ?
CHRISTIANE.
Merci, je viens à peine d'arriver...
MADAME TALMONT.
Orangeade ? Citronnade ? Thé ? Café ?
À Germaine.
Où diable as tu la tête, toi ?
GERMAINE.
Je te demande pardon, maman, je lui ai offert mieux que çà !
CHRISTIANE, gênée.
Germaine !
MADAME TALMONT.
Quoi ?... Qu'est-ce que tu lui as offert ?
GERMAINE.
Je lui ai offert à déjeuner, à dîner et à coucher.
MADAME TALMONT, un peu interloquée.
Tu as très bien fait !
Se reprenant.
Seulement, elle ne peut pas rester avec nous, puisqu'elle va chez son oncle.
CHRISTIANE.
Oh, mon oncle n'est pas pressé.
MADAME TALMONT.
Il sera tout de même bien content de vous voir. Je m'en voudrais de retarder son plaisir.
GERMAINE.
Il n'y a pas de retard, elle est en avance.
MADAME TALMONT.
Il me semble que, toi aussi, tu as pris de l'avance ?
CHRISTIANE.
C'est ce que je lui disais : ma réponse est soumise à votre acceptation, Madame Talmont.
MADAME TALMONT.
Mon acceptation... Mon acceptation... de quoi ?
GERMAINE.
De l'invitation que j'ai faite à Christiane en ton nom.
MADAME TALMONT.
Ah ! Le déjeuner, le dîner, le coucher...
En prenant son parti.
Mais bien sûr, voyons... Ce que j'en disais, moi, c'était pour son oncle... Il la verra demain voilà tout.
GERMAINE.
Demain ou après-demain...
CHRISTIANE.
Oh ! Il peut même attendre jusqu'à la fin de la semaine.
MADAME TALMONT, à Germaine.
Eh bien ! Je suis ravie de voir que, pour une fois, tu as si vite et si bien profité de ta leçon...
GERMAINE.
Quelle leçon, maman ?
MADAME TALMONT.
Celle que je t'ai donnée tout à l'heure.
À Christiane.
Figurez-vous qu'il y a à peine dix minutes, elle me reprochait, à propos de la pauvre Mademoiselle Brignolet, de vouloir transformer cette maison en refuge pour les vacançards qui ne savent où aller...
CHRISTIANE, sans avoir l'air de comprendre.
Alors, je ne pouvais pas mieux tomber !
GERMAINE.
D'autant plus que, comme j'ai promis à maman d'être, avec Mademoiselle Brignolet, correcte et aimable, je suis sûre qu'elle sera avec toi accueillante et... et maternelle...
MADAME TALMONT.
Ne l'ai-je pas été ?...
À Christiane.
Allez vous mettre à l'aise, mon enfant...
À Germaine.
Tu installeras Christiane dans la chambre à côté de la tienne...
Allant appeler.
Justine !... Justine !...
CHRISTIANE, à GErmaine.
Est-ce qu'il y a aussi un garage ?
GERMAINE.
Bien sûr qu'il y a un garage !... Pour l'instant, c'est la bonne qui y couche ; mais on l'enverra coucher au grenier...
Entre Justine par la gauche.
SCÈNE VI.
Les mêmes, Justine.
MADAME TALMONT.
Justine, il faudra préparer la petite chambre là-haut pour Mademoiselle Comète qui va rester avec nous jusqu'à demain...
GERMAINE, entre ses dents.
Pour commencer...
JUSTINE.
Bien, Madame...
Un temps.
Ça fait deux !
MADAME TALMONT.
Deux quoi ?
JUSTINE.
Deux invitées.
MADAME TALMONT.
Et alors ?
JUSTINE.
Alors rien... Ça double le service... Quand Madame m'a engagée, j'avais deux madames... maintenant j'en ai quatre...
MADAME TALMONT, pincée.
Vous savez admirablement compter, ma fille, je ne vous connaissais pas tant d'instruction.
CHRISTIANE, gentiment, à Justine.
Si c'est pour moi que vous vous inquiétez. Mademoiselle, n'ayez aucune crainte : je fais mon lit moi-même et les petits travaux du ménage ne me font pas peur.
JUSTINE, offensée.
À moi non plus...
Haussant les épaules.
Les petits travaux !
GERMAINE.
À propos de lit, Justine, je vous demanderai de libérer le garage.
JUSTINE.
Libérer le garage ?
GERMAINE.
Oui, Mademoiselle Comète y mettra sa voiture...
JUSTINE.
En voilà une idée, de mettre la voiture au garage !... Et... où est-ce que j'irai coucher, moi ?
MADAME TALMONT.
Vous vous arrangerez un coin dans le grenier.
JUSTINE.
Gomme ça, il faut que je déménage toutes mes affaires ?
GERMAINE.
Naturellement.
JUSTINE.
Naturellement !
CHRISTIANE, à Justine.
Je suis désolée de vous donner tant d'embarras.
GERMAINE.
Mais non, mais non, ce n'est rien, cela.
JUSTINE.
Ce n'est rien pour Mademoiselle.
MADAME TALMONT.
Pour jusqu'à demain, cela n'a pas d'importance.
JUSTINE.
An contraire, ça en a bien plus !... Se donner tout ce travail pour jusqu'à demain !
GERMAINE.
Ce sont les circonstances, qu'est-ce que vous voulez !
JUSTINE, vraiment mécontente.
Les circonstances ont bon dos...
MADAME TALMONT, impatientée.
En voilà assez, ma fille ! Au fait, vous n'aurez qu'à y rester au grenier... Il est très convenable, après tout...
JUSTINE, rageuse.
C'est bon, c'est bon... J'irai au grenier...
GERMAINE, la prenant à part au moment où elle sort, gentiment.
Allez..., allez,.. Vous n'y perdrez rien, va... Mon amie, Mademoiselle Comète, est généreuse...
JUSTINE, entre ses dents.
On dit ça !
Elle sort par la gauche.
SCENE VII.
Madame Talmont, Germaine, Christiane.
MADAME TALMONT.
Ouf ! Eh bien, voilà : tout est arrangé.
À Germaine.
Il ne te reste plus qu'à installer ton amie Christiane...
GERMAINE.
Oui, maman... Tu viens, Christiane ?...
CHRISTIANE, sortant avec Germaine par la droite.
À tout à l'heure, Madame Talmont !
MADAME TALMONT.
À tout à l'heure !
SCÈNE VIII.
Madame Talmont, seule.
MADAME TALMONT, remontant.
Évidemment, je me serais bien passé de cette petite Comète, qui est bien la plus insupportable jeune fille que je connaisse... Enfin !...
Elle va pour sortir à droite, mais la sonnerie du téléphone l'arrête.
Qu'est-ce qu'il y a encore ?...
À l'écouteur.
Allo ! Oui, c'est moi-même... Allo ! Qui est là ?...
Aimable.
Tiens ! Bonjour, ma chère amie... Quelle bonne surprise ! Comment allez-vous ?...
Un temps.
Très bien. Ah ?...
Un temps.
Ah ?...
Un temps. Son visage se rembrunit.
Quoi ?...
Ne pouvant en croire ses oreilles.
Non ?... Par exemple !...
Un temps.
Avec les enfants !... Mais ce n'est pas possible !
Son agitation va désormais croître d'autant plus que son interlocutrice invisible ne la laisse pas parler; alors, par moments, elle trépigne.
Oh ! Écoutez, Mathilde... ? Oui, mais, écoutez... Ils ont du toupet.
Criant.
Je dis, qu'ils ont du toupet !... Évidemment... Eh bien, ils s'en retourneront... Où ? Où ils voudront ! Ah non, ça alors, çà !... C'est un imbécile !
Criant.
Je dis que mon mari est un imbécile ! Oui, oui, il est très bon, mais c'est un imbécile ! Non, je veux que... Laissez-moi vous dire... Il faut leur... Eh bien, mais vous... Je sais bien, mais... Non, je vous en prie, Mathilde, il faut leur... C'est absolument imposs... Vous n'avez qu'à... Ah non ! Écoutez !...
Crescendo.
Ne raccrochez pas !, ne raccrochez pas ! ! ne raccrochez pas ! !
Complètement retournée.
Elle a raccroché !
Elle repose brutalement l'appareil et s'éponge le front.
Eh bien, çà, alors, çà !... C'est un... c'est une... catastrophe !...
Un temps. Furieuse.
Il y a tout de même des gens qui ont un sans-gêne !...
Elle hésite entre le téléphone, la dépêche à envoyer, le mot à écrire, tourne, vire.
Eh, non, non, non, il n'y a rien à faire !... Rien ! C'est une... c'est un... c'est un cataclysme !...
Entre Germaine toute guillerette, par la droite.
SCÈNE IX.
Madame Talmont, Germaine.
GERMAINE.
Ça y est !... Justine est en train de déménager ; et Christiane commence à emménager...
MADAME TALMONT.
Oui ?... Eh bien, tu peux aller dire à Justine de réaménager et à Christiane de déménager.
GERMAINE, riant.
Hein ?... Tu déménages, maman !
MADAME TALMONT.
Je le voudrais bien ! Sais-tu qui nous arrive ?
GERMAINE.
Il nous arrive encore quelqu'un ?... Chic, alors !
MADAME TALMONT.
Et même quelques-uns !
GERMAINE, qui a l'air d'être ravie.
Qui ça ?
MADAME TALMONT.
Je te le donne en cent !
GERMAINE.
En cent ou en mille...
MADAME TALMONT.
Tu ne devinerais pas... Tu n'as jamais rien deviné !
GERMAINE.
Alors, dis...
MADAME TALMONT, dans un grand geste.
Les cousins de Saint-Maur.
GERMAINE.
Les cousins de Saint-Maur ?
MADAME TALMONT, re-grand geste.
Les cousins de Saint-Maur !
GERMAINE.
Comment le sais-tu ?
MADAME TALMONT.
C'est Mathilde qui vient de me téléphoner.
GERMAINE.
Mathilde ?... Pourquoi Mathilde ?
MADAME TALMONT.
Parce que, soi-disant, ils n'ont pas eu le temps de nous prévenir eux-mêmes.
GERMAINE.
Non ?
MADAME TALMONT.
Si !... Aujourd'hui, ma petite, les gens sont comme çà : ils vous tombent dessus et ils vous préviennent après !
GERMAINE.
Moi, ce que je ne comprends pas là-dedans c'est Mathilde...
MADAME TALMONT.
Moi, je comprends. Ils se sont décidés tout à coup comme c'est leur habitude... Pour une lettre, il était trop tard, un télégramme n'aurait pas été assez explicite, le téléphone était trop cher...
GERMAINE.
Dame ! Rats comme ils sont!
MADAME TALMONT.
Oui... Tu les connais, les cousins !... Alors, au dernier moment, en route pour la gare, ils se sont arrêtés chez Mathilde, en laissant leur taxi en bas, et ils lui ont demandé de me téléphoner de leur part... Voilà ! C'est simple comme bonjour !...
GERMAINE.
Ils sont partis ?
MADAME TALMONT.
Bien sûr, qu'ils sont partis !
GERMAINE.
Il n'y a plus moyen de les arrêter ?
MADAME TALMONT.
Eh non ! Il n'y a plus moyen de les arrêter !
GERMAINE.
Ils sont partis quand ?
MADAME TALMONT.
Ce matin... Ils arriveront sans doute par le train d'après celui de Mademoiselle Brignolet car... J'oubliais de te dire...
GERMAINE.
Quoi donc ?
MADAME TALMONT.
Comme à Mademoiselle Brignolet, c'est ton père qui leur a soufflé cette idée-là !
GERMAINE.
Papa ?
MADAME TALMONT.
Papa, oui !... Quelle idée d'aller comme ça raconter à tout le monde que nous avons cette maison ! Ah non, non, non, quel imbécile !
GERMAINE.
Ils ne savaient sans doute pas où aller, eux non plus, passer leurs vacances....
MADAME TALMONT.
Ton père n'avait pais besoin de leur dire de venir les passer chez nous !
GERMAINE.
Il leur a peut-être dit ça en l'air.
MADAME TALMONT.
Les choses qu'on dit en l'air vous retombent toujours sur le nez.
GERMAINE.
Papa est si bon.
MADAME TALMONT.
Je sais, je sais, qu'il est bon, mais c'est un imbécile !
GERMAINE.
Que veux-tu, maman ! Il y a, dans la vie, certaines circonstances où il faut savoir, avec bonne humeur, accepter les petits sacrifices...
MADAME TALMONT.
Oh ! Je t'en prie, ce n'est pas le moment de plaisanter !
GERMAINE, innocemment.
Je ne plaisante pas, maman !
MADAME TALMONT.
De petits sacrifices ! Merci !... Mademoiselle Brignolet, ça allait encore... mais les cousins de Saint-Maur !...
GERMAINE.
Ils ne viennent pas tous ?
MADAME TALMONT.
Eh si ! Ils viennent tous !
GERMAINE.
Je ne pensais qu'au cousin et à la cousine...
MADAME TALMONT.
Tu te figures qu'ils auraient laissé leurs enfants là-bas ?
GERMAINE.
Ce grand dadais de Théophile...
MADAME TALMONT.
Et cette dinde de Virginie...
GERMAINE.
Le jeune Toto...
MADAME TALMONT.
Et le mignon petit Pépé, qui passe ses jours à pleurnicher et ses nuits à hurler...
GERMAINE.
Où va-t-on mettre tout ce monde-là ?
MADAME TALMONT.
Il n'y a pas à chercher : on leur installera le grenier.
GERMAINE.
Le grenier ? Mais...
Justine vient d'entrer par le fond.
SCÈNE X.
Les mêmes, Justine.
MADAME TALMONT.
Qu'est-ce qu'il y a, Justine ?
JUSTINE.
Je venais dire à Madame que j'ai terminé.
MADAME TALMONT.
Terminé quoi ?
JUSTINE.
Le garage est libre... Mademoiselle l'amie de Mademoiselle en a pris possession... et moi, je suis au grenier...
Soupir.
Au grenier !
MADAME TALMONT.
Très bien, Justine, très bien, il ne vous reste plus qu'à recommencer...
JUSTINE.
À recommencer ?
MADAME TALMONT.
Et à descendre vos affaires... Voyons, où ça, Germaine ?
GERMAINE.
À la buanderie...
MADAME TALMONT.
C'est ça : à la buanderie.
JUSTINE.
À la buanderie ?
GERMAINE.
À moins que vous ne préfériez le cellier... ou la tonnelle...
JUSTINE.
Mademoiselle veut rire !
MADAME TALMONT.
Nous n'en avons pas envie du tout, je vous assure !
GERMAINE, qui sent venir l'orage.
Nous sommes aussi ennuyées que vous, Justine... Nous n'y pouvons rien... Il nous arrive encore deux personnes...
MADAME TALMONT.
Les cousins de Saint-Maur.
JUSTINE, qui en tombe assise.
Deux et deux quatre... et deux six... et un sept...
MADAME TALMONT.
Comment sept ? Ça ne fait que six... Mademoiselle Brignolet, Mademoiselle Comète, les cousins et nous deux...
JUSTINE.
Eh bien, et moi alors ?... Je ne compte pas, moi ?... Il faut bien que je me serve aussi... Ce n'est pas une de ces dames qui me servira ?...
MADAME TALMONT.
Vous faites mieux de ne pas y compter.
GERMAINE.
Mettons sept... un de plus, un de moins.
MADAME TALMONT.
Il est vrai qu'il y a aussi les deux filles des cousins...
JUSTINE.
Et deux, neuf !
GERMAINE.
Et les deux garçons...
JUSTINE, effondrée.
Et deux, onze !
GERMAINE.
Oh ! Le petit ne compte pas, il est encore au biberon...
MADAME TALMONT.
Cela ne fait donc que dix et demi.
GERMAINE.
Faites-vous une raison, Justine...
Regardant sa mère du coin de l'oeil.
Vous savez, il y a, dans la vie, certaines circonstances, où il faut accepter avec bonne humeur de petits sacrifices comme a dit...
JUSTINE.
N'importe qui qui a dit ça, c'est un bel imbécile !
MADAME TALMONT.
Justine !... Vous vous oubliez, ma fille ! Allons, levez-vous !
JUSTINE.
Je me lève... Mais je dois prévenir Madame que Madame ne devra pas compter sur moi pour les cousins de Saint-Maur.
MADAME TALMONT.
Vous ne voulez pas dire que vous nous quitteriez ?...
JUSTINE.
Je veux dire que je préfère rendre mon tablier plutôt que d'avoir dix personnes et demi à servir !
MADAME TALMONT.
Attendez au moins qu'elles arrivent... Elles ne resteront peut-être pas longtemps...
JUSTINE.
Sans parler de toutes celles qui peuvent encore débarquer...
MADAME TALMONT.
Oh ça ! Il n'en viendra plus, je vous le promets...
JUSTINE.
Au train où ça va !...
Entre Christiane par la droite.
SCÈNE XI.
Madamme Talmont, Germaine, Justine, Christiane.
CHRISTIANE, entrant.
Je vous annonce Mademoiselle Brignolet... Je viens de l'apercevoir au sommet de la route...
On sonne.
MADAME TALMONT.
C'est elle... Voulez-vous y aller, Justine...
JUSTINE.
Çà commence !...
GERMAINE, doucement, accompagnant Justine.
Ne commencez pas, Justine, avec Mademoiselle Brignolet... La pauvre ! Elle est toute seule. Soyez gentille avec elle...
Justine sort par la gauche. Germaine remonte.
SCÈNE XII.
Les mêmes, moins JUSTINE
CHRISTIANE, dégagée, pour dire quelque chose.
J'espère ? que je ne vous dérangerai pas trop...
GERMAINE.
Mais non, mais non...
CHRISTIANE.
Il est épatant, ton garage, tu sais...
MADAME TALMONT.
Oui, çà faisait une chambre très confortable pour la bonne...
CHRISTIANE, souriant.
Je lui revaudrai ça, Madame Talmont...
Entrent par la gauche Mademoiselle Brignolet et Justine, celle-ci portant deux valises, celle-là suant et soufflant, encombrée d'un tas de paquets.
SCÈNE XIII.
Les mêmes, Mademoiselle Brignolet, Justine.
MADAME TALMONT, se précipitant.
Ah ! Voilà cette bonne Clémence !... Bonjour ma chère amie !...
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
Bonjour !
Elles s'embrassent.
Bonjour, Germaine...
GERMAINE.
Bonjour, Mademoiselle Brignolet...
Elles s'embrassent également. Mademoiselle Brignolet est très émue.
MADAME TALMONT.
Vous connaissez Mademoiselle Christiane Comète...
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
Oui, oui, bonjour, Mademoiselle... Enchantée de vous revoir...
CHRISTIANE.
Bonjour, Mademoiselle, vous êtes bien aimable...
Elles se serrent la main.
MADAME TALMONT, s'empressant.
Mais débarrassez-vous, voyons... Vous avez l'air rendue !... Allons, Justine aidez un peu...
Et pendant que Mademoiselle Brignolet, aidée par toutes, se débarrasse :
Votre santé ?...
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
Très bonne, merci !
GERMAINE.
Votre voyage ?
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
S'est bien passé, merci !... Et chez vous, tout va bien ?
MADAME TALMONT.
Tout va très bien, vous voyez...
GERMAINE.
Mais comment avez-vous fait pour transporter tant de choses de la gare ici ?
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
J'ai eu la chance de trouver une personne complaisante qui m'a accompagnée presque jusqu'à la porte...
GERMAINE.
Nous ne pouvions pas aller à la gare, n'est-ce pas, étant donné l'incertitude de l'heure des trains...
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
Bien sûr, bien sûr, mon enfant...
S'asseyant enfin.
Ouf ! Je suis éreintée !
MADAME TALMONT.
Justine, donnez donc un peu de limonade... avec du citron...
JUSTINE.
Oui, Madame...
GERMAINE.
Je vais vous aider...
Elles vont toutes deux pendant les répliques suivantes, servir les rafraîchissements.
MADEMOISELLE BRIGNOLET, à Madame Talmont.
Je ne saurais trop vous dire, chère amie, combien je vous suis reconnaissante, à vous et à votre mari, d'avoir bien voulu me recevoir...
MADAME TALMONT.
C'est tout naturel...
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
Si, si, si, je vous suis reconnaissante pour moi... et surtout pour Célestine.
MADAME TALMONT.
Célestine ?
GERMAINE.
Pourquoi : Célestine ? Qui est-ce ?
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
C'est ma soeur, voyons !
MADAME TALMONT.
Ah ! Celle qui habite rue de la Pomme ?
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
Qui habitait.
MADAME TALMONT.
Comment : qui habitait ?
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
C'est vrai, vous ne savez pas !... Ah ! Il y a eu tant de choses depuis !... J'ai été obligée de la prendre avec moi...
MADAME TALMONT.
Ah ?
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
Oui, ma chère amie... Figurez-vous que...
Geste de l'index au front.
Oui, oui, oui, elle finissait par perdre son si peu... Alors, dame, je ne pouvais pas la laisser seule, n'est-ce pas?
MADAME TALMONT.
Bien entendu, je reconnais là votre bon coeur... Et... vous avez pu la placer quelque part ?
MADEMOISELLE BRIGNOLET, à Germaine qui lui présente le plateau.
Merci, ma petite Germaine...
Elle boit.
Ah, ça fait du bien !...
Reprenant, à Madame Talmont.
La placer quelque part ? Eh non... Vous savez, ces sortes de maladies-là, c'est très difficile à caser... et puis, je ne voulais pas me séparer d'elle...
GERMAINE.
Alors qu'est-ce que vous avez fait ?
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
Eh bien, je l'ai amenée ici avec moi... Quand il y en a pour une, il y en a pour deux...
Sensation.
JUSTINE, bas à Germaine.
Mademoiselle a entendu ?
GERMAINE.
J'entends, j'entends.
MADAME TALMONT.
Mais... où est-elle ?
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
Où elle est ? Elle est à la gare... Je l'ai laissée avec Pauline...
MADAME TALMONT.
Pauline ?
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
Ma petite nièce... Je n'aurais pas voulu arriver chez vous, à deux personnes, sans Pauline... pour aider un peu au ménage, vous comprenez ?...
GERMAINE.
Vous avez très bien fait, Mademoiselle Brignolet...
CHRISTIANE, bas, à Germaine.
Toi, alors, tu exagères !
MADAME TALMONT, en écho.
Très bien fait, très bien fait...
Bas.
Ah ça, est-ce que je rêve, moi ?
JUSTINE, haut.
En somme, si je compte bien, Mademoiselle Brignolet, c'est encore trois Madames...
MADAME TALMONT.
Justine !
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
Nous irons les chercher tout à l'heure à la gare, si vous voulez bien...
GERMAINE.
Pourquoi ne sont-elles pas montées avec vous ?
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
À cause de Moustique... et des bagages...
CHRISTIANE.
Qu'est-ce que c'est que Moustique?
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
C'est mon chien... Vous verrez, un adorable petit Ric... Il n'a qu'un défaut : il déchire les rideaux et il aboie toute la journée...
CHRISTIANE.
Pour les bagages, j'ai ma voiture...
MADEMOISELLE BRIGNOLET, ravie.
Vous avez une voiture, Mademoiselle ?... Oh, alors, ça, c'est parfait... si elle est assez grande...
GERMAINE, bas, à Madame Talmont.
Allons, maman, souris un peu...
MADAME TALMONT, bas, la pinçant.
Ah toi !
MADEMOISELLE BRIGNOLET, expliquant.
Quand on se déplacé comme ça, on a tellement d'affaires à traîner avec soi... Enfin, ne vous inquiétez pas, si on ne peut pas tout prendre en une fois, on fera deux voyages, voilà tout... Avec une voiture !...
MADAME TALMONT.
En somme, il n'y a que deux personnes à prendre, et les bagages ?
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
C'est ça, et puis Moustique le chien... et Bichette la chatte...
MADAME TALMONT.
Et vous êtes sûre que c'est tout ?
MADEMOISELLE BRIGNOLET.
Bien entendu. Je ne voudrais pas vous encombrer... Ah, si j'avais su que vous étiez si grandement logée...
GERMAINE.
Ça parait comme ça, mais la maison est toute petite.
MADAME TALMONT.
Qu'est-ce que vous faites Justine ?
JUSTINE, jetant son tablier.
Vous voyez, Madame, Madame voit... Je quitte mon tablier... Je libère le grenier, le garage, la buanderie, le cellier et la tonnelle... et je vais faire mes malles...
À Christiane.
Mademoiselle voudra peut-être bien m'emmener ?
GERMAINE.
Mais voyons, Justine...
JUSTINE, claquant la porte en sortant par la gauche.
Je me suis engagée dans une maison bourgeoise, moi !... Pas dans un capharnaüm !
MADAME TALMONT, s'effondrant.
Eh ben, ça alors, c'est le bouquet !
GERMAINE.
Allons, allons, maman, tu sais bien qu'il y a dans la vie certaines circonstances où il faut accepter avec bonne humeur de petits sacrifices... N'est-ce pas, Christiane ?...
CHRISTIANE.
Bien sûr... D'ailleurs, moi, tu sais, je ne suis venue que vous dire un petit bonjour en passant...
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