CROISIÈRES

Pour jeune homme

PATRICE BUET

H. BOULORD éditeur, 78, avenue Saint-Jean NIORT

IMP. GARNIER, SAINT-MAIXENT-L'ÉCOLE


Publié par Paul FIEVRE, janvier 2025

Texte établi par Paul FIEVRE, décembre 2024

© Théâtre classique - Version du texte du 29/12/2024 à 22:23:15.


PERSONNAGE.

LE COLLEUR D'AFFICHES

Texte extrait de "CINQ MONOLOGUES-SAYNÈTES pour jeunes GENS", Patrice BUET, Niort : Boulord, 1938. pp. 5-7


CROISIÈRES

L'interprète est colleur d'affiches. Il porte la blouse blanche, les espadrilles, la casquette à carreaux. Il porte aussi le seau à colle et le rouleau d'affiches. Il entre en sifflotant, traverse la scène, revient et pose son seau.

Tout de môme, je suis curieux de savoir ce qu'ils m'ont donné à coller aujourd'hui...

Il déroule une de ses affiches, la tient à bout de bras et lit :

Partez en croisières... Croisière en Méditerranée, croisière en Indochine, croisière au Pôle Nord...

Se tournant vers le public.

Ah ! là là !... Les croisières!...

Roulant son affiche.

Dire qu'il faut que ça soit moi qui colle ça !... Les croisières, ça me connaît... Et je les connais... Vous parlez d'un truc !... Tout l'héritage de la tante Aglaé y a passé...

Pour une fois que je faisais un héritage, j'aurais pu trouver autre chose... J'avais cinq mille balles de liquides... Je les aurais liquidées en... liquides, que j'en aurais au moins profité agréablement...

Rêveur.

Les croisières !... Je m'en souviens... La mer bleue, les pyramides, la Syrie et les coteaux du Liban, Istanbul, Athènes, Naples...

Amer.

Toute la poésie du monde, qu'ils disaient, tout le soleil de l'univers, tout l'enchantement du ravissement, et patati et patata...

Quand je suis arrivé à Marseille, la mer bleue était grise... et quand on a été au milieu, elle était verte... et moi aussi... « Regardez les côtes de la Corse », que le Cicéron criait dans son entonnoir... En fait de côtes, ça se corsait plutôt... Dire qu'on appelle ça, la terre ferme, que je me disais à moi-même... Y a pas plus sauteur !...

« Regardez, le Stromboli, que craint encore le Cicéron, le volcan de Sicile toujours en activité... » Un volcan qui vomit du feu, des pierres, du sable, de la lave... vous parlez d'un tableau pour des gens qui ont le mal de mer !... Oh ! Ma douleur !... Enfin, on arrive en Egypte, on prend le train pour aller au Caire... Pas dommage, que je me pensais, d'être montés sur des roulettes ; là, au moins, le paysage reste à sa place... Et l'estomac aussi... Ça n'a pas duré longtemps : pour nous faire plaisir, on nous avait préparé des chameaux. Et le chameau, ça alors, c'est comme si qu'on serait attaché au sommet du mât d'une coquille de noix qui ferait des ronds, par gros temps, en face d'un port non abrité... Ah ! Le chameau de chameau !... C'est à ce moment-là que j'ai compris pourquoi on donne ce nom-là aux belles-mères !

Tant qu'aux Pyramides, encore un vrai remède contre le vertige !... Mais vous parlez de panneaux d'affiches !... Et personne n'a encore eu l'idée de les utiliser à ça !... On voit bien qu'ils n'ont pas de périodes électorales dans le désert... Là, par exemple, s'ils faisaient voter les morts, comme à Marseille, vous parlez d'un embouteillage dans les isoloirs... Ils conservent des momies depuis cinq ou six mille ans... Il leur faudrait des urnes grandes comme... grandes... comme... comme les pyramides, parbleu !... En les retournant, ça en ferait de belles...

Regardant encore son affiche.

Égypte... Turquie... Istanbul !... Turquie!... Ah ! La Turquie !... Ça, c'est bien !.. Mais la Corne d 'or, c'est une blague... Il n'y a pas plus d'or que de corne dans le Bosphore... Comme la Grèce, tenez... Il n'y a rien de gras là-bas... C'est un pays sec comme une trique, où il faut écarter les cailloux pour trouver un arbre et où il y a une de ces poussières... qui vous donne une de ces soifs !... Et comme ils font leur vin avec du raisin de Corinthe, plus on en boit, plus on a soif !... Ce qui fait que, moi, je suis monté six fois à l'Acropole en croyant la descendre... Le soir, je ne sentais plus mes jambes... Ça a eu l'avantage qu'entre Le Pirée et Naples, je ne me suis pas aperçu une seule fois que le bateau dansait... Comme j'avais le tourneboulis dans la tête, avec les cabrioles du navire, ça faisait compensation...

Enchaînant, les yeux sur l'affiche.

Voir Naples et mourir, qu'on dit !... J'ai vu Naples... Je n'en suis pas mort... On avait tout juste six heures pour visiter. Le beau ciel d'Italie était noir. Le soleil tombait en morceaux. La verte campagne napolitaine disparaissait sous une pluie torrentueuse... Vous parlez d'une trempette !... À peine débarqué, j'ai eu tout juste le temps de me planquer dans un bureau de tramways... De là, à travers les vitres dégoulinantes, voilà que j'aperçois une fumée formidable : « Tiens, y a donc le feu par là ? » Que je demande à un autocheton à côté de moi... Y me répond : « Non foco... Vesuvio ». Le Vésuve ! Encore un volcan !... Ah ! Flûte alors ! C'est à croire qu'ils les fabriquent dans ce pays-là... J'ai relevé mon col et je me suis précipité, en face, dans une trattoria, pleine de condottieris, où j'ai avalé deux fiasco de chianti et trois verres de grappa, en dégustant un quart de gorgonzola... Remarquez, comme en peu de temps, j'étais arrivé à parler italien !... Deux jours après, on rentrait à Marseille... La France, enfin, ça, c'est un pays !... J'étais tout épaté de m'y retrouver... On ne se figure pas, mais essayez un peu de le quitter pour voir...

Reprenant son seau.

Allons coller les croisières... Y a peut-être des gens à héritage qui s'y laisseront prendre...

Sortant.

Vous parlez d'une rigolade !...

 



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