Saynète en prose pour Petits Garçons
[1931.]
H. BEZANÇON
PARIS, ANDRÉ LESCOT, LIBRAIRE-ÉDITEUR, 10 rue de l'Éperon, 10.
Texte établi par Paul FIEVRE, octobre 2024
Publié par Paul FIEVRE, novembre 2024.
© Théâtre classique - Version du texte du 31/01/2025 à 18:56:01.
PERSONNAGES
HENRI, 10 ans.
MARCEL, 13 ans.
RENÉ, 9 ans.
Édité avec "Où est le presbytère, Monologue", deuxième édition, Paris : André Lescot, 1931.
LE PROCÈS D'UNE MOUCHE
La scène représente une salle d'études. Sur la table est posé un verre ; sous ce verre, il y a une mouche dont la présence réelle n'est pas absolument nécessaire. Henri est assis devant la table : il regarde fixement le verre, d'un air boudeur.
Il saute sur sa chaise.
MARCEL et RENÉ entrant.
Bonjour, Henri !...
RENÉ.
Comment, tu es enfermé dans une salle d'études par ce beau temps-là ?... Un jeudi ! Tu n'as donc pas fini tes devoirs ?...
HENRI, sombre.
Si !...
MARCEL.
Tant mieux ; car nous venions te chercher pour faire une grande promenade...
HENRI, de même.
Je ne peux pas !...
MARCEL, apitoyé.
Mon pauvre vieux !... Tu es donc en prison ?..,
HENRI, rageur.
Tu l'as dit... mais...
Montrant le verre.
Elle aussi !...
RENÉ, s'approchant curieusement.
Tiens ! Une mouche !... Oh ! Ce qu'elle est drôle !... Elle se frictionne le museau avec ses pattes...
MARCEL, riant.
Tu appelles ça un museau ?...
RENÉ.
Son nez, si tu préfères...
À Henri.
Au fait, qu'est-ce que vous faites là... tous les deux ?...
MARCEL.
Oui !... Tu as l'air de lui en vouloir, à cette mouche ?
HENRI.
Il y a de quoi.
Éclatant.
Elle est cause que maman m'a mis en pénitence !
RENÉ.
Bah ! Comment ? Elle n'a pas pu rapporter ?
HENRI.
Non ! Mais c'est de sa faute si j'ai mangé une grande tarte à la crème...
RENÉ.
Il n'y a pas de quoi lui en vouloir pour cela... au contraire !...
HENRI.
Tu en parles à ton aise... Mais maman s'est fâchée, et m'a consigné pour tout mon jeudi.
Portant la main à sa poitrine.
Et puis... vois-tu... ça me pèse...
MARCEL.
Sur la conscience ?
HENRI.
Non : sur l'estomac.
RENÉ.
Raconte-nous comment ça s'est passé.
HENRI, très vite.
Voici : la tarte était sur le buffet, en attendant le dîner... Moi, je... passais, par hasard... quand je vis cette vilaine gourmande de mouche... installée dans la crème !...
MARCEL.
Tu aurais voulu être à sa place ?
HENRI, négligeant l'interruption.
Je la chasse. Elle s'envole... pour revenir une minute plus tard. Je la chasse de nouveau... elle revient ; cela, dix fois !
RENÉ.
Alors, tu te fâches ?...
HENRI.
Tout rouge... et d'un geste plus vif, vlan ! Dans la crème !
RENÉ, cri du coeur.
Quelle chance !
HENRI.
Je ne pouvais pas rester comme cela, n'est-ce pas ?
MARCEL.
Non... tu t'es essuyé...
HENRI.
Naturellement... avec ma langue... seulement, cela commençait à faire un vide dans le gâteau... !
Sérieusement.
Dame ! Avec tout ce que cette mouche avait déjà mangé en mon absence n'est-ce pas ?... Je me dis : je vais couper ce petit coin-là ! Il est sacrifié...
MARCEL.
Nous devinons le reste.
HENRI.
Oui... le reste... Je l'ai mangé aussi.
Montrant la mouche.
Vous le voyez : c'est bien de sa faute.
RENÉ, convaincu.
Pour ça, oui !
HENRI.
Aussi, après avoir été surpris et puni par maman, quand je l'ai reconnue, elle, sur un rideau...
MARCEL.
Ta mère ?
HENRI.
Mais non : la mouche !... qui se léchait les babines, avec un air de se moquer de moi, je l'ai attrapée et mise en pénitence... à son tour !...
MARCEL.
Tu es sûr de l'avoir reconnue ?
HENRI, avec feu.
Si j'en suis sûr ?... Pas une n'a cette mine diabolique !... Vous ne voyez pas, vous autres, combien elle a l'air diabolique ?
Les trois garçons se penchent autour du verre et regardent.
RENÉ, se redressant.
Diabolique ?... Oui... un peu...
MARCEL, de même.
Moi, je n'ai pas d'aussi bons yeux que vous, mes amis : je ne lui vois aucun air.
À Henri.
À propos, qu'est-ce que tu vas en faire ?
HENRI, farouche.
Je ne sais pas...
RENÉ, vivement.
Oh ! Une idée : si nous la jugions, à nous trois !
MARCEL.
Oui, oui !... C'est une bonne idée... C'est ça ! Toi, Henri, tu lui intentes un procès... Tu te portes partie civile...
HENRI.
Que nous débites-tu là ?
MARCEL, important.
Laissez-moi organiser... Je sais... Papa a lu, l'autre jour, le compte rendu d'un procès devant moi.
Montrant la table d'étude.
Voici le tribunal.
HENRI.
Je serai le juge.
MARCEL.
Non. Il faut que le juge soit impartial.
RENÉ.
Qu'est-ce que c'est ?
MARCEL.
Petit nigaud ! Ça veut dire qu'il faut des juges désintéressés dans le procès... qu'ils n'aient de parti pris ni pour, ni contre, comprends-tu ?
HENRI.
Mais je n'ai pas de parti pris : je la déteste, voilà tout.
RENÉ.
Oh ! Dépêchez-vous... Moi, je serai le juge, si vous voulez !
MARCEL.
Tu es trop jeune... Enfin, sois-le si tu veux : tu n'auras pas grand'chose à dire.
HENRI.
Et moi ?
MARCEL.
Tu seras le procureur général.
HENRI.
Qu'est-ce que je ferai ?
MARCEL.
Tu diras du mal de la mouche ! Tu la chargeras, et tu réclameras contre elle une punition sévère.
HENRI.
Ah ! Tu peux y compter !
MARCEL.
Moi, je me charge de la défense. Voyons, René, assieds-toi devant la table, à la place d'Henri... là... Henri et moi, sur une chaise, de chaque côté... et ma cliente au milieu.
Tandis qu'il parle, ils ont fait les changements indiqués ci-dessus.
RENÉ, riant.
Bon ! Voilà qu'il appelle la mouche sa cliente !... Est-ce drôle ?...
MARCEL.
Ce juge est décidément trop jeune : il manque de gravité... Hum ! À vous la parole, monsieur le Procureur Général.
Henri ne répond pas.
MARCEL, à Henri.
Monsieur le Procureur Général !...
HENRI.
Ah ! C'est moi ?... Attends un peu !... Je vais lui conter son fait à cette gueuse de mouche.
MARCEL.
Oui, mais de la gravité ! De la tenue !... Commence en disant : Messieurs...
HENRI.
Si tu veux, Messieurs, je viens réclamer du tribunal la plus exemplaire des punitions...
René, désoeuvré, soulève le verre tout doucement.
HENRI, à René.
Fais donc attention ! Tu vas la laisser échapper.
... contre la coupable qui est sous ce verre... Elle a causé la fin prématurée d'une tarte à la crème, laquelle ne devait être mangée qu'au dîner... Elle a forcé une mère à punir son fils... Un jeudi, par un temps superbe !... Tout cela par sa gourmandise, son indélicatesse, son entêtement et son mauvais exemple !... Dix fois, on a essayé de la remettre dans le bon chemin... dix fois elle est retombée dans sa faute, je veux dire dans la crème !...
S'enflammant.
C'est une sale bête !...
Il se rasseoit.
MARCEL, se levant.
Messieurs...
S'interrompant.
Eh bien, écoute donc, toi, René !... Ce n'est pas la peine qu'on parle !
René qui regardait les faits et gestes de la mouche avec attention relève la tête.
MARCEL, reprenant.
Messieurs ! Vous venez d'entendre un réquisitoire court... sévère... trop sévère !... Car ma cliente y est traitée de sale bête ! Cela me paraît excessif... on peut aimer la crème sans être une sale bête... la preuve, c'est que Monsieur le Procureur Général lui-même s'en est léché les dix doigts...
HENRI, sursautant.
Tu vas prendre son parti ?
MARCEL.
Puisque je suis avocat !...
Reprenant.
Quel crime si grand ma cliente a-t-elle commis ? Pensez-vous que, si Monsieur Henri, ici présent, était une mouche voltigeant dans une salle à manger, il hésiterait à se poser sur une tarte à la crème ?... Moi-même... et monsieur le juge...
RENÉ.
Oh ! Moi, je me poserais !...
MARCEL.
Le tribunal avoue ses faiblesses... Comment une mouche, créature forcément sans éducation, sans principes, n'aurait-elle pas les siennes ? Qui lui enseigna le respect du bien d'autrui ? Sa mère l'ignorait aussi bien qu'elle-même !... D'ailleurs, elle est si petite qu'elle peut prendre un peu de notre superflu sans nous faire aucun tort appréciable... Faut-il, Messieurs, je vous le demande !... Pour une faute si vénielle, priver la pauvrette d'air, de soleil, de ciel bleu, de liberté ?... N'a-t-elle pas expié, déjà, par cette prison préventive ?
Il montre le verre. Avec attendrissement.
Sa vie est si courte !... Qu'est-ce qu'un jeudi dans la vie d'un écolier ?...
HENRI, vivement.
C'est le jour le plus agréable, tiens !
MARCEL.
Je veux dire comme durée !... Mais dans la vie d'une mouche ! Hélas !... Qui sait si la pauvre bestiole vivra jeudi prochain... Si quelque papier tue-mouche ou la flamme d'une bougie... on en frémit, Messieurs !...
S'interrompant, à René qui pleurniche.
Qu'est-ce que tu as ?
RENÉ, larmoyant.
Ça me ferait de la peine !...
MARCEL.
Cela vous fait de la peine, ô équitable juge !... Je l'espère bien ! Sans cela, ce serait inutile que je dépense mon éloquence !... Acquittez donc ma cliente, en soulevant ce verre oppressant, étouffant, sous lequel elle gémit ...
RENÉ, levant le verre.
Ça y est...
TOUS TROIS, le nez en l'air, intonations diverses.
Elle s'est envolée !...
HENRI, maussade.
Tout de même, vous auriez bien pu attendre mon avis... Cette coquine-là...
MARCEL.
Ne te plains pas. D'abord, nous allons te tenir compagnie... N'est-ce pas, René ?
RENÉ.
Mais oui ! Tant pis pour la promenade.
HENRI, éclairci.
Merci... Vous êtes de bons camarades... Je vous revaudrai ça.
MARCEL.
Et puis, tu ne sais pas ? J'ai toujours eu un doute... Tu as cru reconnaître ta mouche... mais... C'était peut-être une erreur judiciaire !
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