UN BON PLACEMENT

COMÉDIE EN UN ACTE.

1888. Droits de reproduction, de traduction et de représentation réservés.

FERNAND BESSIER.

PARIS, LIBRAIRIE THÉÂTRALE 14, RUE DE GRAMMONT, 14

Imprimerie Générale de Chatillon-sur-Seine. - A. PICHAT


Texte établi par Paul FIEVRE août 2021

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:26.


PERSONNAGES

LA MARQUISE.

BERTHE, sa filleule.

LUCETTE, jeune paysanne. (Costumes du XVIIIème siècle.)

Extrait de "Saynètes pour jeunes filles", Fernand Bessier, Paris, Librairie Théâtrale, 1888. pp 37-67.


UN BON PLACEMENT

Un salon. - À droite, un petit meuble fermant à clef; - à gauche, une fenêtre. - Au fond, la porte d entrée ; à droite, porte conduisant à une pièce voisine.

SCÈNE PREMIÈRE.

Au lever de rideau, la marquise est assise ; à côté d'elle, Berthe, tenant dans ses mains une petite bourse qu'elle ne cesse de regarder.

BERTHE.

Et tout cet argent est pour moi, marraine ?

LA MARQUISE.

Oui, mon enfant.

BERTHE.

Je peux en faire ce que je voudrai ?

LA MARQUISE.

Tu peux t'en servir à ta guise. Tu es entièrement libre. Te voilà grande d'ailleurs, et je ne doute point que tu n'en fasses un bon et digne usage.

BERTHE.

Comme vous êtes bonne ! Et que je vous aime !

Elle l'embrasse.

LA MARQUISE, souriant.

C'est bon, petite flatteuse que vous êtes ; m'est avis que vous m'aimez aujourd'hui davantage !...

BERTHE.

Oh ! Si on peut dire... Méchante marraine !...

LA MARQUISE.

Non... Mets que je n'ai rien dit. Va, sois sans crainte. Je sais tout ce qu'il y a de bien et de bon là-dedans.

Elle lui montre son coeur.

Je sais même les petits défauts qui s'y glissent parfois. - Tu sais, mignonne, que les vieilles gens sont un peu sorciers ; mais, dans la vie, vois-tu, la meilleure manière d'être heureux et de rendre heureux ceux qui nous aiment, c'est de n'écouter jamais sa tête et d'écouter toujours son coeur. Ainsi, mon enfant, j'aurais pu l'offrir un autre cadeau, un collier, un bracelet, une robe ! Mais j'ai préféré te laisser libre dans ton choix ; je veux savoir comment tu emploieras ton premier argent. Je veux connaître le placement que tu en feras !

BERTHE.

Et pourquoi, marraine ?

LA MARQUISE, se levant et lui tapotant la joue.

Ah ! Ceci, c'est mon secret, fillette ; et vous ne m'en voudrez pas de ne point encore vous le dire.

BERTHE.

Je peux donc, avec cet argent, acheter beaucoup de choses ?

LA MARQUISE.

Tu peux acheter tout ce que tu voudras. Te voilà riche maintenant.

BERTHE, comme se parlant à elle-même.

Ce sera difficile !...

LA MARQUISE.

Quoi donc ?

BERTHE.

Le choix à faire ! On désire tant de choses !

LA MARQUISE.

Ah ! Dame ! Ceci te regarde ; mais n'oublie pas que tes amies doivent venir te voir à l'occasion de ta fête. Dans ta joie, tu as tout oublié : même de leur faire préparer la collation dont tu me parlais hier encore. T'en souviens-tu ? Tu voulais descendre toi-même à la cuisine et leur confectionner, de tes propres mains, le fameux gâteau qu'on t'a appris à faire au couvent.

BERTHE.

C'est vrai, marraine,... et je vais....

LA MARQUISE.

Non, - reste là. Je vais donner moi-même les ordres nécessaires. Tu as d'ailleurs ta toilette à terminer, car l'heure presse et le temps marche. Tu sonneras dès que tu voudras être coiffée. Je veux que tu sois belle, très belle : la coquetterie est de ton âge, et ce n'est point un bien gros défaut. Monsieur l'abbé de Chenoncey nous disait toujours en riant que la coquetterie était le seul défaut sur lequel le bon Dieu fermait parfois les yeux.

Embrassant Berthe au front.

À tout à l'heure, ma chère enfant.

BERTHE.

À tout à l'heure, ma bonne marraine.

La marquise sort.

SCÈNE II.

BERTHE.

Elle va au petit meuble, l'ouvre, verse ter la tablette l'argent que contient sa bourse, et l'étalé.

Une, deux, trois, quatre, cinq ! Cinq pièces d'or, et toutes neuves encore ! Brillent-elles ! On dirait des petits soleils. - Et dire qu'avec ceci, je peux avoir tant de choses ! Voyons, que puis-je bien choisir ?... Des bijoux ! Un collier de belles perles blanches, comme celui de Marie de Sofanges ? Cela fait bien autour du cou, et j'ai entendu toutes mes amies en désirer un semblable. Pourtant un bracelet, c'est gentil aussi ; un bracelet d'or, avec un joli fermoir émaillé ! Et une robe, une superbe robe de soie, à grands ramages, comme ma cousine de Puymarin : ce n'est pas à dédaigner non plus. Je me rappelle, lorsqu'elle est entrée dans le salon : tout le monde l'a complimentée sur sa toilette. Et de fait, sa robe était exquise. - Ah ! Qu'il est donc difficile de choisir ! Tout vous plait, et on craint toujours que ce soit justement ce qu'on laisse qui vous plaise le plus ; prête à se décider, on regrette déjà... Mais j'y pense! SI j'offrais un bal à mes amies ? Cela se fait, maintenant, et le plaisir serait pour toutes. Oui, mais pour moi, que m'en resterait-il ? Et puis, des bals, on en donne partout ; et je me trompe encore quelquefois dans le menuet, au moment de la révérence. - Il faut pourtant que je me décide. Je n'aurais jamais cru que cela fût si embarrassant !

On frappe à la porte du fond.

Tiens ! Qui vient là ? Sans doute la femme de chambre que ma marraine m'envoie... Entrez.

On frappe encore.

Entrez donc !...

SCÈNE III.
Berthe, Lucette.

La porte du fond s'ouvre et Lucette paraît. Timidement, elle t'arrête sur la seuil, n'osant avancer ; elle tient un panier à la main.

BERTHE, sans se retourner.

C'est vous, Marton ?

LUCETTE, timidement.

Non, Mademoiselle. Ce n'est pas Marton, c'est moi.

BERTHE, te retournant étonnée.

Qui donc ? Ah ! C'est toi, Lucette !

LUCETTE, saluant.

Moi-même, Mademoiselle, pour vous servir. J'apporte ce panier de fruits pour Madame la Marqulse, et comme la mère m'avait bien recommandé de le remettre moi-même, j'ai demandé, à l'office, où était Madame. On m'a dit qu'elle était avec vous. Alors, sans façon, je suis venue, j'ai frappé, et me voilà.

BERTHE, allant au panier.

Et qu'est-ce que tu apportes ?

LUCETTE, découvrant ton panier.

De belles pêches, les premières, Mademoiselle Berthe ! Dès que la mère les a vues mûres à point, vitement elle est allée les cueillir : « elles seront pour madame et pour mademoiselle, a-t-elle dit. Elle m'a donc préparé mon panier, et je me suis aussitôt mise en route. N'est-ce pas qu'elles sont belles ?

BERTHE.

Superbes !

LUCETTE.

Et veloutées donc ! Et roses ! et vermeilles ! - Par instant on les dirait dorées.

BERTHE.

C'est gentil d'avoir pensé à nous !

LUCETTE.

Daniel c'est tout naturel quand on a de bons maîtres. On n'est jamais plus content et plus heureux que lorsqu'on peut les remercier et leur prouver un peu sa reconnaissance.

BERTHE.

Tu es une brave fille, Lucette.

LUCETTE.

Je fais mon possible pour cela. Et maintenant, Mademoiselle Berthe, que je vous ai vue, dites-moi où je pourrai trouver madame la marquise, pour que, après lui avoir fait mes compliments, je puisse aussitôt m'en retourner à la ferme.

BERTHE.

Tu es donc bien pressée ?

LUCETTE.

Oh ! Oui, mademoiselle.

BERTHE.

On t'attend chez toi ?

LUCETTE.

Non, pas chez moi, mais chez la mère Renaude, cette pauvre chère femme, dont vous devez vous souvenir.

BERTHE, cherchant.

Attends donc ! N'est-ce pas cette petite vieille qui nous racontait toujours de si belles histoires ?

LUCETTE.

Parfaitement, Mademoiselle. Ah ! C'est qu'elle en savait toujours ; et toujours de plus belles et de plus nouvelles. On ne se lassait pas de l'entendre. Elle parlait, ma foi, presque aussi bien que notre curé.

BERTHE, souriant.

Vraiment !

LUCETTE.

D'ailleurs, on raconte dans le village, que la Renaude n'a pas toujours été la pauvre femme qu'on connaît. Les vieux disent qu'elle a été presque riche autrefois ; elle avait été élevée, paraît-il, avec la fille d'une grande dame, qui l'avait prise en affection et voulait la garder auprès d'elle. Mais voilà que malheureusement la grande dame mourut, et sa fille fut emmenée très loin par des parents inconnus. Et la Renaude resta toute seule auprès de sa mère, avec une petite somme que sa protectrice lui avait laissée en mourant. Mais des maladies survinrent, puis des pertes, si bien qu'un beau jour la Renaude n'eut plus rien et dut se mettre à l'ouvrage pour vivre; elle s'y mit le plus bravement possible, luttant de toutes ses forces, et avec cela toujours bonne, ne se plaignant jamais, rendant service à tous, aux grands comme aux petits, et aimée aussi de tout le monde. - Vous souvenez-vous quelle joie, lorsqu'elle entrait dans la ferme ! Tous les enfants couraient à elle pour l'embrasser. Hélas ! La pauvre chère femme ne racontera plus de longtemps ses belles histoires aux petits.

BERTHE.

Et pourquoi ? Que lui est-il donc arrivé ?

LUCETTE.

La maladie, Mademoiselle, une affreuse maladie qui l'a prise un matin, il y a quinze jours, et l'a couchée dans son lit. Elle ne peut plus bouger ni bras ni jambes, et la pauvre vieille femme se lamente, ne sachant pas si elle aura du pain à manger le lendemain. Et c'est affreux, Mademoiselle, la misère, à cet âge ! Tant qu'on est bien portant, cela va encore, mais quand la maladie arrive et vous cloue sur un lit, toute seule dans une grande pièce nue, sans feu, avec la huche vide, alors c'est terrible ! Je sais bien que chez les voisins, chacun s'est empressé de lui venir en aide ; mais quand on a peu, l'aide que l'on apporte est bien peu de chose.

BERTHE.

Pauvre femme !

LUCETTE.

Et ce n'est pas tout, allez. - Voilà que maintenant, elle ne peut plus payer son loyer. Les hommes de loi sont venus, de vilains hommes, habillés tout de noir ; et il parait qu'il faudra qu'elle s'en aille.

BERTHE.

Comment ?

LUCETTE.

Oui, Mademoiselle. Même malade, il faudra qu'elle abandonne sa maison. Et cet abandon-là fera plus que la maladie : cela la tuera.

BERTHE.

Oh !

LUCETTE.

Je le sais bien, moi, qui l'entends souvent parler. Hier encore, elle disait qu'elle ne pourrait se résoudre à quitter cette maison où elle avait si longtemps vécu. Les vieilles gens s'attachent aux choses qui les entourent. Elle regardait un à un ses pauvres meubles ; elle leur parlait ni plus ni moins, voyez-vous, qu'à des personnes naturelles. Et elle pleurait, fallait la voir ! Et c'est bien triste, allez, des larmes de vieille femme ! Ça fendait le coeur. Et tenez, v'là que vous pleurez, vous aussi ; vous voyez bien !

BERTHE.

Tu as raison, Lucette. À cet âge, être si malheureux, c'est bien triste !

LUCETTE.

Aussi vais-je vous quitter bien vite et retrouver cette pauvre chère femme, car notre aide, à tous, est maintenant sa seule consolation. Cela lui prouve au moins qu'on ne l'oublie pas.

BERTHE.

Et que faudrait-il pour la sauver ?

LUCETTE.

Ce que nous n'avons, ni les unes ni les autres : de l'argent.

BERTHE, allant an petit meuble, et prenant la bourse qu'elle y a placée auparavant.

Tiens, prends ceci.

LUCETTE.

De l'or !

BERTHE.

Oui. On ne voudra pas les meubles de la mère Renaude! On ne la chassera pas de sa maison ! Et moi...

Gaiement.

debout J'en serai quitte pour mettre une vieille robe. D'autant que je ne savais qu'acheter ; me voilà fixée maintenant.

LUCETTE, refusant.

Mais, Mademoiselle Berthe...

BERTHE.

Prends donc, te dis-je ! Que crains-tu ? Cet argent est à moi, bien à moi ; j'en peux disposer à mon gré. Ma chère marraine me l'avait donné pour ma fête. Mais prends vite, te dis-je, puisque le temps presse et que la mère Renaude attend.

LUCETTE, prenant la bourse.

Oh ! Que vous êtes bonne, Mademoiselle Berthe. Va-t-elle être heureuse, la pauvre chère femme ! Elle ne pleurera plus. C'est bon, n'est-ce pas, de faire des heureux ?...

BERTHE.

Oui.

LUCETTE.

Et maintenant, dites-moi bien vite où je trouverai Madame la Marquise.

BERTHE.

Mais, au grand salon, probablement. Adresse-toi à Marton ; elle t'accompagnera, et la préviendra, s'il y a déjà du monde.

LUCETTE, remontant.

C'est cela.

S'arrétant.

Mais auparavant, Mademoiselle Berthe, je voudrais vous demander une chose.

BERTHE.

Quoi donc ?

LUCETTE.

Et je n'ose pas.

BERTHE, riant.

Demande toujours !

LUCETTE.

Vous ne m'en voudrez pas au moins ?

BERTHE.

Es-tu drôle !

LUCETTE.

Eh bien ! Mademoiselle Berthe, si c'était un effet de votre bonté, si cela ne vous faisait point trop de peine, dites, voulez-vous que je vous embrasse ?

Elle s'arrête, honteuse, baissant la tête.

BERTHE, lui tendant la joue.

Tiens !

LUCETTE, l'embrassant.

Oh ! Merci, Mademoiselle. Et soyez tranquille, ce baiser-là, je le rapporterai à la mère Renaude, qui serait bien heureuse d'en faire autant. Maintenant, au revoir, je me sauve !

BERTHE.

Et ne perds pas l'argent !...

LUCETTE.

Soyez tranquille. Je me perdrai plutôt moi-même.

Elle sort.

SCÈNE IV.

BERTHE, seule.

Elle retourne à sa table, regarde sa bourse vide.

Eh bien ! Vrai, je ne regrette rien. Pauvre femme ! Cet argent la sauve... Et moi, que m'eût il donné ? Une parure... La joie d'une heure, - et à elle, ses larmes auraient coulé toujours !... D'ailleurs, je n'aurais su que choisir. Je n'ai plus à chercher à présent. Tout ce que je demande c'est que marraine n'en sache rien. Bah ! Elle ne s'en apercevra pas ; si elle m'interroge, je répondrai que je n'ai rien décidé encore.

La porte s'ouvre, et la marquise paraît tenant un écrin

SCÈNE V.

BERTHE, un peu surprise.

Ah ! C'est vous, marraine.

LA MARQUISE.

Comment? Pas encore à notre toilette ! Ah ! Berthe, ma mignonne, à quoi pensiez-vous donc ?

BERTHE.

Mais à rien, Marraine, j'étais là ; j'attendais...

LA MARQUISE.

Tu cherchais peut-être encore l'objet à choisir ?

BERTHE, vivement.

Oui, c'est cela, Marraine, je cherchais.

LA MARQUISE.

Eh bien ! Moi, je vais peut-être t'aider.

BERTHE.

Comment ?

LA MARQUISE, ouvrant l'écrin.

Regarde.

BERTHE.

Oh ! Le beau collier!

LA MARQUISE.

N'est-ce pas ?

BERTHE.

Les perles en sont superbes.

LA MARQUISE.

C'est Maître Benoît, notre orfèvre, qui me le fait tenir pour voir s'il me plairait. Mais, trop jeune pour moi, je crois qu'il te siérait à merveille. Qu'en dis-tu ?

BERTHE.

Moi ! Mais... je ne sais pas.

LA MARQUISE.

Comment, tu ne sais pas ? Mais qu'est-ce que tu as donc, mon enfant ? Tu me sembles embarrassée !...

BERTHE, hésitant.

Moi... Non... J'admire, au contraire, ce collier ; je le trouve merveilleux.

LA MARQUISE.

Prends-le alors !

BERTHE.

Que je le prenne...

LA MARQUISE, avec un sérieux comique.

Mais oui. Vraiment vous me semblez, Berthe, ma mie, courir après d'invisibles papillons. Êtes-vous bien certaine d'être là, auprès de moi, avec un écrin dans la main ?

BERTHE.

Ma bonne marraine !

LA MARQUISE.

Ah ! Mais j'y pense... Je devine ce qui te trotte par la tête, mon enfant. Tu crains que le collier ne soit trop cher. Eh bien ! Rassure-toi ; s'il manque quelque chose dans ta bourse, nous la compléterons.

BERTHE, arec effort.

Merci, mais vrai, je ne peux pas.

LA MARQUISE.

Comment tu ne peux pas ?

BERTHE.

Il ne me plaît pas.

LA MARQUISE.

Ce collier ne te plaît pas ?

BERTHE.

Non.

LA MARQUISE.

Ah ! Vous êtes difficile, Berthe !

BERTHE, vivement.

Vous êtes fâchée, Marraine ?

LA MARQUISE.

Non. J'avoue pourtant qu'il m'eût été agréable de vous en voir parée, ce soir.

BERTHE.

Vous voyez bien que vous êtes fâchée, puisque vous ne me tutoyez plus !

LA MARQUISE.

Je vais donc renvoyer le collier à Maître Benoît.

BERTHE, avec un soupir.

Oui.

LA MARQUISE.

Si tu préférais autre chose...

BERTHE.

Oh ! Non.

LA MARQUISE.

Décidément, ma petite, vous êtes par trop difficile, et c'est un vrai défaut que cette coquetterie-là.

BERTHE, elle baisse la tète, avec un soupir et à part.

Il était bien joli pourtant ! Eh bien non ! Je ne le regrette pas... Si c'était à refaire, je recommencerais.

SCÈNE VI.
La Marquise, Berthe, Lucette.

LUCETTE, entrant virement, puis s'arrêtent, honteuse.

Ah ! Vous voilà, Madame la marquise ! Je vous demande bien pardon d'entrer ainsi sans frapper. Mais je ne voulais pas partir sans vous avoir fait ma révérence. La mère et le père m'auraient trop grondée, quand j'aurais été de retour à la maison.

LA MARQUISE.

C'est donc toi qui me demandais tout à l'heure...

LUCETTE.

Moi-même, avec votre permission, Madame la Marquise. J'avais déjà vu Mademoiselle Berthe.

LA MARQUISE.

Ah !

LUCETTE, voyant que Berthe lui fait signe en cachette, et ne comprenant pas.

Oui, Madame, j'avais un panier de pêches à vous remettre ; je l'ai déposé à l'office. Et maintenant que voilà ma commission faite, et mes salutations aussi, si vous voulez bien me le permettre, je vais m'en retourner chez nous.

LA MARQUISE.

Et tout le monde se porte bien, là-bas ?

LUCETTE.

Vous êtes bien bonne, Madame la Marquise ! Tout le monde va bien. Il n'y a que la pauvre mère Renaude, notre voisine..., vous savez bien, cette vieille femme, qui habitait cette petite maison, à l'entrée même du village...

Même jeu de Berthe, lui faisant signe de ne rien dire.

LUCETTE, ne comprenant pas.

Oui, j'ai raconté tout cela à Mademoiselle Berthe. On allait la chasser de sa maison, cette brave femme ; on allait vendre ses meubles et la jeter dans la rue, malade, sans un morceau de pain, et sans un coin pour reposer sa tête ! Heureusement que la voilà sauvée maintenant.

LA MARQUISE.

Sauvée ?

LUCETTE.

Oui, c'est pour cela que j'ai hâte d'arriver et de lui annoncer cette bonne nouvelle. Ah ! Va-t-elle être contente, la pauvre vieille ! Pour sûr qu'elle croira que vous êtes un ange du bon Dieu, mademoiselle Berthe !

LA MARQUISE.

Que veux-tu dite ?

BERTHE.

Rien, marraine ; c'est Lucette qui se trompe.

Même jeu.

LUCETTE.

Que je me trompe ? Qu'elle ne croira pas ça ? Ah ! Vous ne la connaissez pas, allez ! Mais soir et matin, elle priera pour vous, et nous tous aussi, qui vous aimions tant déjà.

LA MARQUISE, à Lucette.

Explique-toi mieux, je ne comprends pas.

BERTHE, suppliante.

Lucette !

LA MARQUISE.

Eh bien ! Qu'y a-t-il ? Tu crains qu'elle ne parle!

LUCETTE.

C'est donc mal ce que j'ai dit là?

LA MARQUISE.

Non, mon enfant, et je désire tout savoir.

LUCETTE.

Oh ! D'autant, Madame la marquise, que je le dirai à tout le monde, là-bas. Le bien qu'on nous fait voyez-vous, nous ne pouvons jamais trop nous en souvenir.

Sortant de l'or de ta poche.

Tenez ! Voilà ce que m'a donné Mademoiselle Berthe, quand je lui ai parlé de la mère Renaude : tout cet argent. Je ne le voulais pas ; mais elle a exigé que je le prenne, - et je l'ai pris.

LA MARQUISE, regardant Berthe, qui baisse les yeux à part.

Je comprends tout. Est-ce vrai, Berthe, tout cela ?

BERTHE.

Oui, marraine. Vous m'ayez dit que je pouvais, à mon gré, disposer de l'argent que vous m'avez donné. Je connaissais cette pauvre femme dont Lucette me racontait l'affreuse misère. Alors, je lui ai tout donné.

Doucement et s'approchant d'elle.

Oh ! Ne m'en veuillez pas, ma bonne et chère marraine, je n'ai besoin de rien; je me passerai de collier et de bracelet ; je ne vous demande qu'une chose, c'est de ne pas m'en vouloir et de ne pas me gronder.

LA MARQUISE.

Toi !

Lui ouvrant les bras.

Embrasse-moi !

BERTHE, se jetant dans ses bras.

Oh ! Marraine !

LA MARQUISE.

Chère enfant ! Brave petit coeur !

BERTHE.

Vous ne m'en voulez plus, alors ?

LA MARQUISE.

Je t'en aimerais mille fois davantage, si c'était possible !

À Lucette.

Et toi, Lucette, tu peux dire à cette pauvre femme d'être sans inquiétude...

Souriant.

Si toutefois Berthe veut bien me mettre de moitié dans sa bonne oeuvre.

LUCETTE, avec élan.

Ah ! Madame, vous êtes bonne comme du bon pain !

LA MARQUISE, souriant.

Merci, Lucette.

BERTHE, doucement, lui serrant la main.

Merci, marraine.

LA MARQUISE, bas.

Oh ! Avec toi, je n'en ai pas fini.

LUCETTE, prenant son paquet.

Cette fois-ci, je m'en vais. Je suis déjà en retard ; mais je marcherai plus vite, voilà tout. Une bonne nouvelle à porter, cela vous donne des ailes ! Au revoir, Madame la Marquise !

Elle salue.

Au revoir, Mademoiselle Berthe.

Même jeu.

BERTHE.

Au revoir, Lucette!

LA MARQUISE.

Et reviens, demain, nous donner des nouvelles de notre protégée.

Souriant.

Peut-être aurai-je quelque chose à te donner !

LUCETTE.

À moi ?

LA MARQUISE.

Oui, à toi. On gagne toujours à faire le bien.

LUCETTE.

Ce n'est pourtant pas difficile.

LA MARQUISE.

Non. Il s'agit seulement d'avoir du coeur ! Au revoir, Lucette.

LUCETTE, faisant la révérence.

Votre servante, Madame et Mademoiselle !

Elle sort.

SCÈNE VII.
La Marquise, Berthe.

BERTHE.

Et maintenant, Marraine, si vous le permettez, je vais me hâter de terminer ma toilette. Mes amies peuvent arriver, et je voudrais être prête pour les recevoir.

LA MARQUISE.

Et que vas-tu mettre ?

BERTHE.

Ma belle robe à panier.

Elle va pour sortir.

LA MARQUISE, souriant, va A la table, prend le coffre et la rappelle.

Et ceci que tu oublies !

BBRTHE, étonnée.

Moi ?

LA MARQUISE, lui tendant le coffret.

Ton collier !

BERTHE.

Mais...

LA MARQUISE.

Tu as donné ton argent à Lucette ; je te donne, moi, le collier. Je t'avais bien dit que je voulais me mettre de moitié dans ta bonne oeuvre.

BERTHE.

Oh ! Marraine.

LA MARQUISE, souriant.

À moins qu'il ne te plaise plus !...

BERTHE.

Oh ! Si.

LA MARQUISE.

Eh bien ! Alors, prends-le vite. Crois-tu que j'aurais laissé emporter par Lucette ta petite bourse, sans cela !

BERTHE.

Je peux donc...

LA MARQUISE.

Mais Oui.

Berthe prend le collier, puis se jette à son cou.

Et va bien vite t'en parer. Il te rappellera la bonne action que tu as faite. Et n'oublie jamais ceci, mon enfant : c'est que Dieu n'a donné la richesse aux uns que pour leur permettre d'aider les autres, et que faire le bien est encore le meilleur et le plus sûr des placements.

L'embrasant.

Va.

 



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