LA FOLIE DE SILÈNE

PASTORALE

M. DC. XXIIII.

AVEC PRIVILÈGE DU Roi.

À PARIS, Chez Paul MANSAN, demeurant rue de la Bucherie, près le petit Châtelet. Et chez Claude Colet, au Palais, en la galerie des prisonniers.


Texte étable pas Paul FIEVRE août 2024

Publié par Paul FIEVRE septembre 2024

© Théâtre classique - Version du texte du 31/01/2025 à 18:55:58.


SUJET DE CETTE PASTORALE.

Sévère vieille Magicienne, ayant connu par son art, que le contentement de Pimandre son fils, dépendait de l'accomplissement de ses désirs, par son mariage avec Mélie fille de Polite, elle se résout de l'enlever du logis de son père, qui était veuf, où s'étant transportée à cet effet, et y rencontrant Tyrsis frère de Mélie, elle le trouva si beau qu'elle l'emporta avec fa soeur, privant ainsi Polite du support de sa viduité : mais comme ce transport se fit de nuit, Sévère s'étant endormie dedans un bois en son chemin, ayant ces deux petits enfants à ses deux cotés, une bergère partant par là de hasard sur le matin, ayant jeté l'oeil sur Tyrsis, trouva l'enfant si gracieux qu'elle le ravit à celle qui l'avait paraVant ravi à son père, et l'emporta chez elle ; où elle le fit élever soigneusement. Sévère demeura bien étonnée à son réveil, ne trouvant plus que Mélie auprès d'elle, et de peur qu'on ne lui ravit derechef, la tint depuis pour sa fille, et les entretint en cette créance Pimandre et elle, qu'ils étaient ses deux enfants, qui depuis s'aimèrent uniquement, comme frère, et soeur ; mais l'âge croissant en eux, l'amitié crut pareillement, et se tourna en une passion réciproque, toutefois retenue, et modérée par la considération du sang, et le respect, de la parenté.

Tyrsis devenu grand, ayant jeté les yeux sur Mélie sans la connaître, en devient passionnément amoureux, mais elle le rejette, et ne le peut écouter, ayant une secrète inclination pour Pimandre. Corile, gentille bergère, poursuit Tyrsis, qui ne la peut aimer à cause de l'affection qu'il porte à Mélie. Polite cherchant ses deux enfants, devient amoureux de Laurie, il envoie Silene son valet lui porter une lettre: lequel rencontré par l'Amour qui lui brouille ta cervelle, entre en folie, et devient amoureux de son maître, le prenant pour une nymphe, ou il fait mille extravagances. Un Satyre amoureux de Corile, repoussé d'elle assez rudement, pour ce qu'elle affectionne Tyrsis, de persuade que lui ôtant cet objet de devant les yeux, il pourra gagner ses bonnes grâces ; pour cet effet, il a recours à ses charmes, et change Tyrsis en Myrte.

Corile voyant la perte de son Tyrsis, et se voulant tuer après lui, en cit dé.tournée par Po lite, qui limitent là inopinément, cherchant les en fans de toutes parts : Elle, revenant puis a près au même lieu faire les effusions, et rendre les derniers devoirs à son berger, pensant arracher une branche de ce myrte qui couvrait la figure de Tyrsis, il la prie de le laisser en repos, et la conjure de forcer son sacrifice au temple du Dieu Pan, ce qu'elle lui promet faire.

Polite ne sachant qu'est devenu Silene son valet, pour jouir des amours de sa Laurie, a recours à un Magicien qui lui enseigne un charme, ou il entre du myrte ; pour en cueillir, il s'adresse au même arbre de Tyrsis, qui se découvre à lui, lui fait le récit de son aventure, et le console.

Pimandre et Mélie ne pouvant espérer de remède à leurs amours, implorent l'assistance des Dieux, et s'en vont au Temple, pour savoir quelle fin elles pourront prendre.

Le Satyre, voyant que nonobstant ses charmes, il ne pouvait rien obtenir de Corile par amitié, a recours à la force, et veut entreprendre sur son honneur, mais il en a empêché par le Dieu Pan, qui fait revenir Tyrsis en sa première forme, en la présence du Satyre qu'il chasse du pays : fait entendre à Pimandre, et à Mélie l'histoire de leur naissance, et les fait marier ensemble, puis désabusant Tyrsis, et lui faisant voir que Mélie était sa soeur, lui fait épouser Corile, et récompenser sa constance : et pour l'accomplissement de cette oeuvre, donne une verge à Polite, pour faire revenir Silene en son bon sens, qui est la réduction de cette Pastorale.


LES ACTEURS.

CORILE, Bergère.

LE SATYRE.

MÉLIE, Bergère.

TYRSIS, Berger.

POLITE, Vieillard.

SILENE, son valet.

PIMANDRE, Berger.

ÉCHO.

AMOUR.

PAN, Dieu des Bergers.


ACTE PREMIER.

CORILE, SATYRE, MÉLIE, THYRSIS, POLITE, SILENE.

SCÈNE I.

CORILE, seule.

Puis que de mes amours, Amour n'a plus de cure,

Puisque de tant d'ennuis qu'en bien aimant t'endure,

Tyrsis, le fier Tyrsis, de mon âme vainqueur,

Honore son triomphe et endurcit son coeur ;

5   Silence bien aimé de ces lieux solitaires,

Et vous arbres muets, soyez mes secrétaires ;

Prêtez-moi votre oreille, entendez mes soucis,

Et me soyez au moins plus doux que mon Tyrsis.

Sachez donc, que Corde autrefois si cruelle,

10   Versant de beaux pasteurs qui gémissaient pour elle,

Pasteurs qui méritaient, vu leur fidélité,

Plus d'amour sans mentir, ou moins de cruauté,

Ores est au rebours plus humble devenue ;

Elle est dessous le joug de Tyrsis retenue,

15   Et d'un juste supplice amendant son méfait,

Sent les maux qu'elle a faits par ceux-là qu'on lui fait ;

Amour le Dieu vengeur des âmes trop cruelles,

Échauffe ores mon sang, enflammes mes nouvelles,

Endurcit sans raison mes esprits furieux,

20   Et fait dedans mon coeur un Mont gibet de feux :

Ainsi parmi ces maux, j'éprouve par moi-même,

Combien leur passion fut ardente, et extrême :

Les dédains de Tyrsis, me témoignent combien,

Ils font amers et durs, aux coeurs qui aiment bien :

25   Je le suis, il me fuit, je crie et me lamente,

Mais son oreille est sourde à ma voix languissante ;

Il dédaigne mes pleurs, il se rit de mes cris,

Et mes plus humbles voeux lui tournent à mépris ;

Au moins si quelquefois, d'une amoureuse oeillade,

30   Il modérait l'accès de mon âme malade ;

Si quelquefois au moins il daignait m'écouter,

S'il feignait s'émouvoir en m'oyant lamenter,

Que te vivrais contente, et je verrais ma vie,

En si belle prison doucement asservie :

35   Mais de ses yeux cruels les mortelles rigueurs,

Ont rendu les deux miens tout remplis de malheurs :

Pourquoi beaux yeux, séjour d'une si chaude flamme,

Pourquoi si lâchement trahissez vous mon âme ?

Pourquoi sous les appas d'une insigne beauté,

40   Nourrissez-vous l'aigreur de votre cruauté ?

Beaux yeux de mon Tyrsis, vous ressemblez l'avette,   [ 1 Avette : apette ou abeille. [L]]

Après m'avoir blessé d'une plaie secrète,

Pour ôter le remède au mal que m'avez fait,

Vous laissez dans mon coeur l'aiguillon de son trait,

45   Trait ? Qui vous peut donner tant d'ardeur et de flamme,

Si mon Tyrsis n'a rien qu'un glaçon dedans l'âme ?

Où logez-vous ensemble ? Où logez vous beaux yeux.

Tant de cruels dédains ? Tant d'attraits gracieux ?

Mais pendant qu'en ce lien mes ennuis je soupire,

50   Je vois que le Soleil peu à peu se retire ;

Que mon bêlant troupeau dans ce champ épandu,

Doit être avant le soir à mon père rendu ;

Adieu silence adieu, adieu, adieu bois solitaires,

Soyez moi pour le moins fidèles secrétaires.

SCÈNE II.

SATYRE, seul.

55   Vois donc ? Cette beauté qui dans le coeur me point,

Verra toujours ma peine, et n'en sentira point ?

Moi, qui fus caressé de mainte hamadryade,

Quand gaillard je voulais leur jeter quelque oeillade,

Moi que Diane, même en chassant par ces bois,

60   A du beau nom d'ami salué maintes fois,

Aujourd'hui je verrai qu'une simple bergère,

Méprisera mes voeux, et mon humble prière,

Pour aimer trop simplette un inconnu berger,

Qui depuis quelque temps d'un rivage étranger,

65   S'est glissé parmi nous, et qui d'un doux visage,

A surpris finement cette fille peu sage ;

Ce nouvel Adonis, ce Narcisse nouveau,

Bien qu'il ait plus que moi délicate la peau,

Le poil mieux frisotté, la bouche plus vermeille,

70   Le teint plus frais encor, et plus courte l'oreille,

Il n'est point comme moi des demi-Dieux issu ;

Non Corile, il n'est point d'une nymphe conçu ;

Il n'a point tant que moi de vigueur, et de flamme,

Pour savoir au besoin contenter une Dame ;

75   Il est trop délicat, il est trop peu nerveux,

Trop mollasse, et trop beau pour un brave amoureux

Ses discours bien polis, sa perruque tant belle,

Ne sont jamais l'amour que du bec et de l'aile :

J'ai beaucoup plus que lui de force, et de vertu,

80   Je ne voudrais qu'un bras pour le rendre abattu ;

Pour le plier sous moi, et pour voir ce superbe,

D'un petit coup de poing renversé dessus l'herbe :

Viens-donc Corile, viens laisse là ce pasteur,

Viens mon tout, avec moi radoucir ton ardeur,

85   Viens dedans ces forêts, viens parmi ces ombrages,

Cueillir les plus beaux fruits de nos deux pucelages :

Ici tout est serein, et mes cuisants soucis,

Étant près de ce lieu me semblent adoucis :

Ici le passereau d'une aile trémoussante,

90   Et d'un brusque baiser sa femelle contente ;

Ici parmi le frais de ces mignardes fleurs ;

Mainte nymphe à l'envi refroidit ses chaleurs ;

Ici Corile, ici, te veux contre ta bouche,

Lascivement dresser mainte et mainte escarmouche :

95   Je veux ici mourir, et veux que dans ces bois,

Ensemble nous mourions et revivions cent fois :

Viens y donque mon tout, viens y donc ma Nymphette,

Je m'en irai tandis avecque ma musette,

Résonner dans mon antre une gaie chanson,

100   Que t'ai faite pour toi en trépignant au son ;

Je marierai si bien la voix avec la danse,

Que ma langue, et mes pieds auront même cadence ;

Et que les animaux plus farouches des bois,

Apaiseront leur ire aux accents de ma voix.

SCÈNE III.
Mélie, Tyrsis.

MÉLIE.

105   Que cela m'importune, et que j'aurais de honte,

De rechercher Tyrsis, vite qui ne fait conte

De tant de vains propos, de tant de vains discours,

Qui dédaigne ton nom, tes voeux, et tes amours ;

Et qui sans point mentir est ailleurs asservie.

TYRSIS.

110   Belle et fière beauté, doux plaisir de ma vie,

Délices de l'amour, Nymphe, dont les beaux yeux.

Me font voir ici bas tout le plus beau des Cieux,

Arrête un peu tes pas, arrête un peu ma belle,

Quoi ? Me voudrais tu fuir ? Serais-tu plus cruelle,

115   Qu'un lion, ou qu'un ours, que tu iras pourchassant,

Et de ton dard vainqueur par ces bois terrassant ?

Leur poil tout hérissé, leur effroyable audace,

Leur grincement de dents, qui de loin te menace,

Tout cela ne t'étonne, et ne peut t'empêcher,

120   Quand leurs antres affreux tu n'ailles les chercher :

Un astre plus bénin, un Dieu plus favorable,

Ne m'a point fait le front ni la face effroyable,

Ma belle je n'ai point, je n'ai point ainsi qu'eux,

La fierté dans le coeur, et l'horreur dans les yeux :

125   Pourquoi donc me fuis-tu ? Las ! Je crains ma Mélie,

Que leur rage s'apaise aux dépens de ta vie ;

s'armant contre toi d'un courage félon,

Ils ne fassent de toi comme ils firent d'Adon :

Adon, ce beau berger qui sans croire folâtre,

130   La mère des Amours, s'allait souvent ébattre,

À chasser aux forêts les sangliers, et les loups,

Mais enfin peu discret il sentit leur courroux ;

Si le sang épandu te plaît tant, ô Mélie,

Noie dedans mon sang mes amours ma vie ;

135   Aussi bien de tes yeux le coup est si mortel,

Que celui de ton dard ne me peut être tel.

MÉLIE.

Tyrsis je ne suis point d'une âme si sauvage,

D'un coeur si inhumain, ni d'un fi fier courage,

Pour armer contre toi, ni ma main, ni mes yeux ;

140   Je me montre cruelle aux tigres furieux,

Aux lions rugissants, aux sangliers pleins d'audace ;

C'est contre eux seulement que je dresse ma chasse,

Non contre les bergers.

TYRSIS.

Pourtant fière beauté,

As-tu contre Tyrsis usé de cruauté.

MÉLIE.

145   Mais quoi ? Que t'ai-je fait ?

TYRSIS.

  Tu as rempli mon âme,

Du feu toujours brûlant d'une cuisante flamme ;

Tu as de mille traits coup sur coup élancés,

Percé mon coeur à jour, mes sens offensé.

MÉLIE.

De quels traits, de quels feux ?

TYRSIS.

De vives étincelles,

150   Qui doNnent dans mon coEur des atteintes mortelles ;

Qui sortent de tes yeux, de tes yeux le séjour,

Et le trône Royal du puissant Dieu d'un amour :

Ainsi par toi blessé, cruelle, et dédaigneuse,

Tu feints de ne point voir cette plaie amoureuse ;

155   Et au lieu de donner à mon mal guérison,

De mille fiers dédains tu aigris ce poison :

Peut-il être qu'encor mes lèvres tremblotantes,

Ces soupirs si ardents, ces oeillades fréquentes,

Ces plaintes, ces discours, cette pâle couleur,

160   Ne t'aient point appris où me tient la douleur ?

Garde bien que le Ciel en fin ne se dépite,

Que le puissant Amour contre toi ne s'irrite,

Et qu'un jour il te fasse aimer au lieu de moi,

Un cruel, un ingrat sans amour, et sans foi.

MÉLIE.

165   Je reconnais amour, je sais qu'elle est sa force,

Mais mon coeur devient glace encontre ton amorce ;

Tyrsis, tu pourrais bien autre part t'adresser,

Et de ces beaux discours une autre caresser

Pour toi, de cent glaçons ma poitrine est armée,

170   Pour toi, de cent dédains mon âme est animée,

Pour toi, j'arme mes yeux de fierté, de rigueur,

Pour toi la cruauté loge dedans mon coeur :

Autre amour que le tien trop doucement m'enflamme,

Je ne saurais loger deux cors avec une âme,

175   Et mon coeur enflammé des yeux d'un beau berger,

Ne se saurait Tyrsis à d'autre partager

Laisse moi donc en paix, cherche une autre maîtresse,

Étant ailleurs vouée, en paix aussi te laisse.

TYRSIS.

Rigoureuse beauté, à qui donc donnez-vous,

180   De vos yeux mes soleils le paradis si doux ?

Je vous verrai toujours contraire à mon envie,

Maîtresse de mon coeur, et d'un autre asservie,

Un autre recevra de vos chastes beautés,

Les plus douces faveurs, et moi les cruautés :

185   Il faudra que ma flamme à votre froideur cède,

Vous qui me possédez qu'un autre vous possède

Qui se rie, sachant la douleur qui m'époint,

Je verrai tout cela, et je ne mourrai point,

Non, non, Mélie, non, une meurtrière lame,

190   Fera d'un coup vomir, mes amours et mon âme,

On me verra plutôt en ces sauvages lieux,

Noyer mes tristes tours des larmes de mes yeux :

Las ! Mon coeur et mes yeux, n'ayez donc plus d'envie,

De vivre, ni de voir, absent de ma Mélie ;

195   Vous vivez de la voir, mais un semblable effort,

En ne la voyant plus, doit causer votre mort.

SCÈNE IV.
Polite et Silene son valet.

POLITE.

Ma foi je crois que c'est en terre,

Qu'amour fait une petite guerre,

Et je crois que de jour en jour

200   Se sont nouveaux effets d'amour ;

J'avais vécu un si bel âge,

Affranchi de ce dur servage ;

Fallait il qu'encore une fois,

Je retombasse sous ses lois ?

205   Je n'en avais pensé aucune,

Lorsque la mauvais fortune

Me rendit en ces quartiers ci

Seulement un pieux souci

Une affection paternelle,

210   M'y poussait, pour avoir nouvelle,

De deux enfants, que j'aimais mieux,

Ni que mon coeur, ni que mes yeux,

Enfants, qu'une vieille sauvage,

Me ravit en leur plus bas âge,

215   Silène, tu sais voirement,

Que ce fut cela seulement,

Qui me mut ; ores je les quitte,

Je n'ai plus soin de ma poursuite,

Et l'amour m'a si bien épris,

220   Qu'il occupe tous mes esprits

Amour est ma douce conquête.

SILENE.

Ma foi, vous vous rompez la tête,

Et le ciel après vos amours.

POLITE.

Si ai je ouï dire toujours,

225   Qu'on qu'on recherche les vieux gendarmes.

SILENE.

Oui, quand ils ont de bonnes armes,

Mais ma foi votre pauvre état,

Faudrait en approchant du choc.

POLITE.

Non, non j'ai encore la force,

230   De lâcher une amorce,

Les vieux savent mieux les détours,

Que les plus jeunes en amours.

SILENE.

Mon maître, vous avez beau dire,

Votre cas ressemble à la cire,

235   Ma foi, plus on le manierait

Et tant plus mol il deviendrait.

POLITE.

Tu t'y entends, il te le semble ;

Mais bien, dis plutôt, qu'il ressemble,

À l'oeuf, qui durcir peu à peu ;

240   Quand il se sent auprès du feu.

SILENE.

Encore avez vous du courage .

MaIS nonobstant tout ce langage,

Je croIS que dès le premier jour,

Lassé du doux combat d'amour,

245   Vous vous reposeriez tout blême,

Sans attendre jusqu'au septième.

POLITE.

Non, non, tu ne me connais pas ;

Quoi du premier jour être las ?

Vois-tu, je suis de ma nature,

250   Toujours frais, changeant de monture.

SILENE.

Vous avez bien mieux la façon,

De vous endormir sur l'arçon,   [ 2 Arçon : Être ferme dans, sur les arçons. Au propre, se tenir bien en selle ; au figuré, défendre ses principes, ses opinions avec vigueur. [L]]

Que de courir deux où trois postes.

POLITE.

Amour, favorise ses hôtes,

255   Et les rend gaillard et dispos.

SILENE.

Savez vous pas bien, que les os,

Au decours n'ont pas tant de mouette,   [ 3 Decours : Déclin du croissant de lune. Par analogie, Période de déclin d'une maladie.]

Que lorsque la Lune est nouvelle ?

POLITE.

Le désir m'irait échauffant.

SILENE.

260   Vous ressemblez au chien couchant,

Qui porte toujours bas la tête.

POLITE.

Mais aussi quand il sent la bête,

Il lève incontinent le nez.

SILENE.

Mon Maître ?

POLITE.

Quoi ?

SILENE.

Or devinez,

265   De qui votre cas a la mine.

D'un qui va blutant la farine,  [ 4 Bluter : Passer la farine par le bluteau. (Sorte de tamis, qui sépare la farine du son.) [L]]

Lequel se tue, et ne fait rien.

POLITE.

Ha ! ha ! ha ! Tu t'y entends bien,

Regarde un peu ma convenance

270   Un petit saut, une cadence,

Hé bien ? Ne fait-il pas beau voir ?

Cela mérite bien d'avoir,

Quelque nymphe pour ma compagne.

SILENE.

Quand la neige est sur la montagne,

275   On dit qu'il fait bien froid au bas.

POLITE.

Cessons, cessons tous ces débats,

Retournons-nous en au village.

Tu verras, je veux faire rage,

D'écrire un sonnet à l'amour ;

280   Et puis demain au point du jour,

Tu l'iras porter à Laurie.

SILENE.

Allons, mais avant je vous prie,

Goûtons si notre vin est frais.

POLITE.

Allons nous goûterons après.

SILENE.

285   J'aime bien mieux remplir ma panse

De bons morceaux, que de science.

ACTE SECOND.

SCÈNE I.
Pimandre, Mélie, Corile, Thyrsis.

PIMANDRE.

Jamais pauvre berger sous l'amoureux empire,

N'eut un sort plus étrange, un plus cruel martyre,

Un tourment plus nouveau que celui que je sens,

290   Forcer ma volonté, mes désirs et mes sens :

Amour cruel tyran des âmes les plus belles,

M'assaut de nouveaux traits et de flammes nouvelles,

D'un inconnu brasier allume ores mon coeur,

Et me fait endurer pour l'amour de ma soeur :

295   Mais qu'appelai-je amour, c'est plutôt une rage ;

Toutefois s'il est vrai que sur notre visage,

Amour imprime au vif de nos coeurs les désirs,

Et si l'on peut juger par mille chauds soupirs :

Je crois qu'un feu pareil nos deux âmes bourrelle,

300   Qu'elle meurt pour m'aimer, comme je meurs pour elle ;

Mais nos yeux languissants pleins d'amoureux attraits,

Sont seuls de nos amours les courriers plus secrets :

Car un puissant respect, et une sainte honte,

Ces illicites feux à toute heure surmonte :

305   Lorsque je veux ouvrir la bouche pour parler,

Et à ma chère soeur mes amours déceler,

Un respect me retient, et empêche ma langue,

Étouffant au gosier ma voix, et ma harangue :

Mélie ma belle âme, et mon tout, et ma soeur,

310   Que nous sert de brûler d'une pareille ardeur ?

Que nous servent ces feux, et ces flammes égales,

Si elles nous font languir comme nouveaux Tantales,

Que servent ces douceurs près de soi nuit, et jour,

Si faute d'en goûter il faut mourir d'amour :

315   Que sert (quand il me plaît) dessur ta lèvre tendre,

Y rendre mille baisers pour après te les rendre,

De pouvoir sans soupçon, sans crainte et sans danger,

Sur le bord de ton lit le matin me ranger,

Voir les rares beautés dessur ton front écloses,

320   Et baiser de ton sein les oeillets et les roses ;

Les baisers, mais que dis-je, avec tant de douceur,

Que ces baisers sont plus que du frère à la soeur :

Mélie, que me sert que ces faveurs j'emporte ;

Si aux autres désirs je dois fermer le porte ;

325   Ce n'est point sans raison que l'on te peint sans yeux,

Car ce tyran des coeurs, enfant audacieux ;

Qui te meut d'offenser de ta pointure amère,

Aveuglément les coeurs d'une soeur et d'un frère ?

Si tu sais que nature en sa moquant de toi,

330   Pour bouclier à tes traits, vient opposer sa loi ?

Garde pour d'autres coeurs tes ardentes flammèches,

Trouve ailleurs une bute à poignantes flèches,

Et nous laisse en repos ; mais que dis-je insensé ?

Amour pardonne moi, las ! Je t'ai offensé ;

335   Tu n'es point si cruel de blesser sans remède ;

La pitié de mon mal dont l'amour la possède,

A tiré par l'effort d'un amour ravisseur,

Les larmes de ses yeux, les soupirs de son coeur ;

Sans le connaître au vrai, craintive et pitoyable,

340   Elle plaint la rigueur de mon fort déplorable,

Et de mes passions se sentant martyrer,

Soupire mes soupirs, et pleure mon pleurer ;

Si c'est le feu d'amour qui tourmente son âme,

Si je suis le sujet d'une vive flamme,

345   Que ne vient elle donc me dire librement,

Que je donne à son mal un doux allégement ?

Si c'est un feu sensible, une douleur non feinte,

Que n'est l'amour plus fort en elle que la crante ?

Mais la voici venir, il faut contraindre ici,

350   Et ma bouche, et mes yeux.

MÉLIE.

  Ô mon plus plus cher souci,

Mon frère, que cent fois j'aime mieux que ma vie,

Si vous ne dédaignez ni les feux de Mélie,

Ni son humble prière, he ! Dites-moi mon coeur,

D'où vient que je vous vois cette pâle couleur ?

355   D'où tiennent ces soupirs ? Cette tristesse ?

Et le penser chagrin qui jamais ne nous lasse ?

PIMANDRE.

Avant que ma couleur me puisse revenir,

Dieux ! Entendez ma voix, et me faites mourir,

Et devant que par moi ma peine soit connue,

360   Perdent mes yeux plutôt, et la vie, et la vue.

MÉLIE.

Mais si est-ce qu'à moi vous pouvez librement,

Comme à votre humble soeur conter votre tourment.

PIMANDRE.

Il faut celer son mal, et ce dont il procède,

Lorsque le déclarer n'apporte aucun remède.

MÉLIE.

365   Il faut dire son mal, et en l'affliction,

Goûter de quelque ami la consolation.

PIMANDRE.

Tout cela ne ferait qu'augmenter mon martyre.

MÉLIE.

Mais il s'amoindrirait bien plutôt de le dire.

PIMANDRE.

C'est aux impatienTs à conter leur malheur.

MÉLIE.

370   C'est aux désespérés à chérir leur douleur.

PIMANDRE.

Les petites douleurs ne sont jamais secrètes,

Mais les grandes toujours sont sourdes et muettes.

MÉLIE.

Il faut dire son mal, si l'on en veut guérir.

PIMANDRE.

Il faut celer le mal qu'on ne peut secourir.

MÉLIE.

375   Le plus extrême mal trouve un remède extrême.

PIMANDRE.

Mais de vos arguments battez vous en vous-même,

Ma soeur, si nous devons nos amours déceler,

À ceux qui les sachant nous peuvent consoler ;

Si la soeur doit savoir les soupirs de son frère,

380   Au moins faites-moi part de la douleur amère

Qui traverse votre âme, et me contez comment,

Vous nourrissez en vous un si cruel tourment ;

Je fuis assez certain qu'un violent martyre,

Possède votre coeur, mais vous ne l'osez dire :

385   Me celer votre peine, et la mienne écouter,

Être soeur pour ouïr, et non pour raconter,

Ce n'est pas la raison ?

MÉLIE.

Mon frère, je confesse,

Que j'ai le coeur épris d'une amère tristesse ;

Que mille et mille ennuis m'agitent nuit et jour,

390   Que ces ennuis encor sont causez de l'amour,

Que cela vous suffise, et ne me pressez ore,

De savoir le beau nom qu'en mon âme j'adore ;

Le savoir serait vain, comme il m'est vain aussi,

De nourrir dedans moi cet amoureux souci,

395   Et croyez seulement au mal qui me possède,

Deux cruels ennemis dérobent le remède.

PIMANDRE.

Je crois qu'un sort pareil, et qu'un pareil destin,

Doit être de nos maux le principe, et la fin ;

Deux puissants ennemis à nos desseins s'opposent,

400   Et rien qu'un désespoir cruel ne me proposent :

Mon mal est sens remède, et la mort seulement,

Peut à semblables maux donner allègement :

Adieu ma chère soeur, mais qu'avant je te baise.

MÉLIE.

Baiser empoisonné, mon ardeur ne s'apaise,

405   Ains s'augmente, et s'accroît sous vos cruels appas,

Baiser infortuné, vous causez mon trépas ;

Grands Dieux êtes-vous sourds, ma plainte non pareille,

N'a-t-elle pu venir jusques à votre oreille ?

N'avez vous point mes cris, et mes soupirs ouï ?

ÉCHO.

410   Oui.

MÉLIE.

Qu'est ce qui parle à moi ? Qui que tu fois Déesse,

Qui sembles prendre soin du souci qui m'oppresse,

Réponds moi favorable, et me dis librement,

De mes ennuis futurs le triste événement.

415   Que serai-je à la fin, moi qui toujours lamente ?

ÉCHO.

Amante.

MÉLIE.

Amante misérable, he ! Que me sert d'aimer,

Si je ne goûte rien de l'amour que l'amer.

Peut-il y avoir fin au mal qui me dévore ?

ÉCHO.

420   Ore.

MÉLIE.

Quand doit cesser l'ennui qui dans moi fait séjour ?

ÉCHO.

Ce jour.

MÉLIE.

Je mourrai donc ce jour, prends courage Mélie,

Aujourd'hui cesseront tes amours, et ta vie ;

425   He ! Que dis je cesser, partirai-je là-bas,

Mon âme et mon amour exempte du trépas ?

Mais vois-je pas Tyrsis, bons Dieux ! Sauriez-vous faire,

Que ce fâcheux de moi je puisse un jour distraire.

TYRSIS.

En t'attendant Mélie, au milieu de ce bois,

430   Appuyé contre un chêne, ainsi je soupirais

Ton beau nom tant aimé, sur l'air de ma musette ;

Mélie, mes amours, ma belle Nymphelette,

Disais-je en soupirant, quoi mon plus cher souci,

Veux tu donc que je vive, ains que je meure ainsi,

435   Privé de tes beaux yeux, ma lumière agréable,

Sans qu'au moins tu me sois en mourant secourable ?

MÉLIE.

En vain tu m'appelais pour te donner secours,

Puisque je n'ai souci de toi, ni tes amours.

TYRSIS.

Ha ! Que tu es cruelle, ingrate, et inhumaine,

440   L'arbre plus endurci à pleure de ma peine,

J'ai tiré par mes cris, des tigres furieux,

Et la plainte du coeur, larmes des jeux,

Toi seule tu t'en ris.

MÉLIE.

Laisse-là ce langage,

Pour me moins discrète, et plus que moi volage.

CORILE.

445   J'ai les yeux dessillez dès la pointe du jour,

Et crois que le sommeil est ennemi d'amour ;

Paissez mon cher troupeau, paissez l'herbe menue,

Corile cependant se nourrit de la vue,

De son aimé Tyrsis ! Mais ô Dieux le voici,

450   Et voici quant et quant ma corivale aussi :

Berger ingrat, au moins permets-moi que je die,

Ce que tes yeux cruels ont causé dedans moi.

TYRSIS adreirint à Mélie.

Bergère ingrate au moins permets-moi que je die.

MÉLIE répondant à Tyrsis.

C'est en vain raconter quelle est ta maladie,

455   Si je ne puis avoir de remède pour toi.

TYRSIS, à Corile.

C'est en vain raconter quelle, etc.

CORILE, à Tyrsis.

Cruel, hélas ! Comment, ton âme n'est émue,

De me voir languissante, et demandant secours ?

TYRSIS, à Mélie.

Cruelle, hélas ! Comment, ton âme ? etc.

MÉLIE, répondant à Tyrsis.

460   Non, car si les amants (dit-on) n'ont point de vue,

Ceux qui sont sans amours sont aveugles, et cours.

TYRSIS, à Corile.

Non, car si les amants l'ont point etc.

CORILE, à Tyrsis.

Mes soupirs, mes ennuis, mes larmes et mes plaintes,

Te sont-ils pas témoins de ma belle amitié ?

TYRSIS, à Corile.

465   Mes soupirs, mes ennuis, mes larmes, et mes etc.

MÉLIE, à Tyrsis.

Les larmes des amants, le plus souvent sont feintes,

Une feinte douleur ne m'émeut à pitié.

TYRSIS, à Corile.

Les larmes des amants, le plus souvent sont etc.

CORILE, à Tyrsis.

En vain donque mes cris, etc.

tournez la page.

TYRSIS, à Mélie.

470   En vain donque mes cris, en vain donque mes peines,

Les verrai-je toujours emporter par le vent ?

MÉLIE, à Tyrsis.

Comme ceux de Narcisse au bord de la fontaine,

Soupirant ces amours à l'ombre seulement.

TYRSIS a Corile.

Comme ceux de Narcisse au bord de la fontaine,

475   Soupirant ces amours à l'ombre seulement.

TYRSIS, seul.

Puisqu'en vain donc je t'aime, et t'adore Mélie,

Puisque tes yeux cruels, vrais meurtriers de ma vie,

Se cachent pour ne voir mon amoureux tourment,

Pensers, soyez-moi donc mon doux contentement,

480   Mes biens aimés pensers, soyez à la bonne heure,

Mon plus doux aliment jusqu'à tant que je meure :

Pensers, yeux de mon coeur, doux sommeil de mes sens,

Doux charme de mes maux, doux miroir des absents,

Douce mâne d'amour, pensers douces délices,

485   Doux feux de mes désirs, douce erreur, doux supplices,

Ombre de mes plaisirs, doux appas de mon cour,

Penser, bonheur resté de mon cruel malheur,

Pour vous seuls je veux vivre, et ma triste influence.

Ne me peut rendre heureux qu'en cela, que je pense :

490   Pensers je vous adore, et vous crois offenser,

Si je vis d'un autre air que de mon seul penser,

Soyez donc chers pensers, soyez à la bonne heure,

Mon plus doux aliment, jusqu'à tant que je meure.

ACTE TROISIÈME.

SILENE, AMOuR, SATYRE, CORILE, PIMANDRE, POLITE.

SCÈNE I.
Silene, Amour.

SILENE.

aU diable soit le chien d'amour,

495   Je n'en dors plus ni nuit, ni jour,

Je trouve mon maître à toute heure,

Qui chante, qui rit, et qui pleure,

Tant ce petit fils de putain,

Le tourmente soir et matin ;

500   Cependant, il faut que Silène,

En endure toute la peine ;

Silène ici, Silène là,

Faisons ceci, faisons cela ;

Au diable soit la frénésie,

505   Qui lui a mis en fantaisie :

Je veux au frais de cet ormeau,

Dormir une heure, bien, et beau ;

Pour récompenser la nuitée,

Je ne tiens à rien contée ;

510   Que cette fraîcheur seulement,

Me donne un grand contentement ;

Je vais dormir tout à mon aise.

Que mon maître s'il veut s'apaise.

AMOUR.

Ce n'est chez les rois seulement,

515   Que je hante ordinairement,

Ce n'est seulement dans les villes,

Que je fais mes tours plus habiles ;

Ils m'y ont trop bien accoutré,

Pour y être encor rencontré :

520   Ils m'ont couvert de tant de ruses,

De tant de fard, de tant d'excuses,

Qu'ainsi déguisé en plein jour,

On disait, ce n'est pas amour :

Mais je veux dedans les villages,

525   Attaquant les coeurs plus sauvages,

C'est là, que je veux faire voir,

Quel est mon souverain pouvoir :

À l'un, d'une flèche dorée,

J'ai rendu l'âme enamourée,

530   Il aime, il soupire, il se plaint :

Mais l'autre que j'avais atteint,

D'un trait plombé, a dans son âme,

plus de glaçons que lui de flamme :

L'un de traits tout pleins de douceur,

535   Je rends amoureux de sa soeur ;

La soeur par ma pointure amère,

Se rend l'amante de son frère ;

De ce nom le fort sans pitié,

Traverse leur belle amitié ;

540   Mais ce n'est que mon ordinaire,

Je veux bien autre chose faire,

M'étant rendu soudain ici,

Pour en ce dormeur que voici,

À qui j'embrouille la cervelle,

545   Faire voir chose plus nouvelle :

Ce folâtre ores en dormant,

Reçoit un doux contentement,

Pour ce que te lui représente,

En songe une fille galante,

550   Belle, gentille, et dont les yeux,

Semblent pleins d'attraits gracieux,

Il l'embrasse, baise, et accole,

Et va noyant son âme folle,

Parmi les amoureux désirs,

555   Parmi les doucereux plaisirs,

Parmi les mignardes caresses,

Et les délices tromperesses.

Or quand le sommeil ennuyeux,

Lui aura défilé les yeux,

560   Je ferai que sa fantaisie,

Sera si doucement saisie,

De ce vain objet de beauté,

Qu'il le verra représenté,

À tout moment devant sa vue

565   Il pensera l'embrasser nue :

Et la tenir, mais tout soudain,

Elle échappera de sa main,

Et nouvel Ixion peu sage,   [ 5 Ixion : prince grec de la mythologie, il ne tint pas sa promesse de faire un cadeau à son beau père et le tua. Les dieux le condamnèrent de ce meurtre.]

Il n'embrassera que l'image.

SILENE.

570   Non ma foi, je ne rêve pas,

La tiens-je pas entre mes bras ?

He ! Quoi donc petite mauvaise,

Vous fuyez, de peur qu'on vous baise ;

Ha ! Je vous attraperai bien :

575   Mignonne, faites-moi ce bien,

Qu'encore un coup je vous accole :

Vous riez, vous faites la folle ;

Voyez comme après qu'elle a fait,

Elle me veut jouer d'un trait ;

580   Je la tiens, elle est échappée,

Ma foi mon couteau l'a coupée,

Elle saigne du petit doigt,

Si l'aurai-je, quoi qu'il en soit,

Vous vous moquez, ha, voire, voire,

585   La voilà parmi cette foire,

Qui achète du ruban vert :

Mais qu'est ce que cela vous sert,

Que vous profite tant de peine,  [ 6 Vers 588 : dans l"dition originale, on lit proufite, nous changeons en profite.]

Que souffre le pauvre Silène ?

590   Ha ! Vous revenez donc mon coeur,

Ça, que j'éteigne mon ardeur,

Que tant de FOIS Je vous embrasse,

Que vous en soyez, toute lasse.

He ! Ne vous plus devant moi,

595   Elle se couche-là, ma foi !

Je veux sur cette herbe nouvelle,

Me coucher encor auprès d'elle :

Çà, ça, mon coeur, recommençons,

Et tellement nous embrassons,

600   Que parmi ces douces étreintes

Nos âmes s'envolent contraintes,

Au paradis des amoureux :

Çà que je frise tes cheveux,

Que je baisote ton oreille,

605   Ton front, et ta bouche vermeille ;

Il semble que tu ne veux pas,

Quoi ? Ne suis-je pas bien ton cas,

Tu voudrais donc aimer peut être,

Un qui fut un peu plus grand Maître,

610   Qui en eût un peu plus que moi :

La, là, j'ai assez bien de quoi

Te contenter, ces grands (la folle ;

Elle rit de cette parole,)

Je te dis que ces grands, si grands,

615   Ne sont pas non les plus friands ;

À la fin la voilà comblée,

Ne crains point qu'en cette assemblée,

Personne en veuille dire rien :

Ils n'ont garde, je le sais bien,

620   Je leur rendrais bien la pareille,

Tu te fais bien tirer l'oreille,

Couchons nous là sous cet ormeau ;

Quoi, tu t'enfuis, tout beau, tout beau,

Je te suivrai dedans cet antre.

ÉCHO

625   Entre

SILENE.

Las ! Tu me réponds donc mon coeur

ÉCHO

Heur.

SILENE.

Aurai-je ta bouche ivoire ?

ÉCHO

Voire.

SILENE.

630   J'irai puis que je m'en souviens.

ÉCHO

Viens.

SCÈNE II.
Satyre, Corile.

SATYRE.

Je te dirai bien plus, que mes braves aïeux,

Descendirent jadis de la race des Dieux ;

Je sais tous les secrets, et j'ai bien la science,

635   De faire mains effets, hors l'humaine puissance :

S'il me plaît, sans tarder, Corile, je puis bien,

Faire que ce grand tout ne sera plus qu'un rien ;

Le Ciel, la terre, l'air, sous mes paroles tremblent :

Et à mon seul sujet contrairement s'assemblent ;

640   La Lune, au teint d'argent, contrainte par mes vers,

Forçant le cours du Ciel, fait le sien à l'envers :

Pluton me craint encor, et dans les salles sombres,

Je me vois redouté de maintes pâles ombres,

Qui rentrent mon nom, et savent bien comment,

645   Je les puis rendre heureux d'un clin d 'oeil seulement :

Ils savent que je puis, (car telle est ma puissance)

Leur redonner le tour, ainsi qu'en leur naissance :

Ils savent que je puis, remâchant quelques vers,

Adoucir les tourments qu'ils souffrent aux enfers ;

650   Je puis bien tout cela : mais je ne puis mon âme,

Éteindre tant soit peu le brasier qui m'enflamme ;

Je puis, mais je ne puis avoir place en ton coeur,

Ni donner relâche à ma triste douleur.

Si tu daignais Corile être un jour ma compagne,

655   Tu trouverais chez nous, et la molle châtaigne,

Et le lait frais caillé, oui, oui, tu trouverais,

La pomme, la cerise, et la prune, et la noix ;

J'ai le raisin muscat, le beurre, le fromage,

Mais je t'ai réservé sur tout dans une cage,

660   Un couple de ramiers, qui sans fin cloassant,

Vont d'un friand baiser l'un l'autre caressant :

Corile, à l'envi d'eux, ne m'étant plus farouche,

Tu viendrais assaillir d'un long baiser ma bouche.

Et moi qui ne voudrais couard te refuser,

665   Je n'en revengerait par un mignard baiser ;

Nous ferions tout ravis en cette douce guerre.

Et crois qu'il n'y aurait demi-dieux sur la terre,

Plus heureux, plus contents, que nous serions tous deux,

Et plus que nous sans fin, l'un de l'autre amoureux.

CORILE.

670   Que te sert le babil, je n'eus jamais envie,

De passer avec toi les beaux jours de ma vie ;

Ce coeur plein de constance, et d'amour, et de foi,

Est trop à son Tyrsis, pour se donner à toi :

Mange tout seul tes noix, tes prunes, ton fromage,

675   Et porte tes baisers ailleurs, si tu es sage,

Les liens me sont trop chers pour te priser beaucoup.

SATYRE.

Il ne faut s'étonner vaincu du premier coup,

Pour ouïr un propos de refus, ou d'excuse,

La femme bien souvent en accordant refuse ;

680   Si tu prises si peu tout ce que je t'ai dit,

J'ai dedans les forêts encore le crédit,

D'y trouver le sanglier, le chevreuil, et la biche,

Et de tous mes trésors je ne te serai chiche,

CORILE.

Tu as le poil trop rude, et trop sale la peau,

685   Va, je veux un ami plus gentil et plus beau.

SATYRE.

Mais si est ce mon coeur, si est ce je t'assure,

Que chacun me dit bien, que cette chevelure,

Qu'on voit éparpillée ainsi négligemment,

Donne dessur mon corps un mignard d'ornement,

690   Ce poil que tu dis rude, ainsi qu'un frais bocage,

Me donne ce me semble un agréable ombrage ;

L'arbre déplaît à l'oeil, quand au temps des froideurs,

On le voit dépouillé de feuilles, et de fleurs :

Que semblerait un peu, dites belle inhumaine,

695   Le cheval sans le crin, et la brebis sans laine ?

Le petit oisillon sans être bigarré,

De ce gentil duvet qui le rend si paré ?

Ne prends point à dédain tout cela ma rebelle,

Mon corps est rude et laid ; mon âme est pure et belle ;

700   Le sexe féminin in doit être gracieux,

Doux, délicat, et beau, pour complaire à nos yeux,

L'homme robuste, et fort de muscles, et de veines,

Pour supporter puissant, les travaux et les peines :

Que mes pieds de chevreuil ne te soient à mépris,

705   Par eux, de bien courir j'ai remporté le prix,

Par eux j'ai surpassé d'un fort long avantage,

Le cerf au pied léger dans le désert sauvage ;

Pour quoi donc ma cruelle, he ! Pourquoi donc mon coeur,

Ne prends tu point pitié de ma juste douleur ?

710   Pourquoi mon tout, ma belle, et mon âme, et ma vie,

Méprises tu les voeux de mon âme asservie ?

CORILE.

Pour ce que je ne fuis, je ne veux point t'aimer,

Et que d'un feu plus beau je me sens enflammer,

Satyre, laisse-moi, mon Tyrsis tient mon âme,

715   Et d'un rais de ses yeux seulement il l'enflamme.

SATYRE.

Je jure les grands Dieux, les grands Dieux immortels,

Dont tous les tours dévot, j'honore les autels,

Que je m'en vengerai, tu ne sais pas peu sage,

Que l'amour irrité, tourne souvent en rage,

720   Ton Tyrsis, ton mignon, ton bien-aimé berger,

Sentira les effets dont je me sais venger.

SCÈNE III.

PIMANDRE, seul.

J'erre parmi ces bois, pensif, et solitaire.

Et rien que mes pensers ne me saurait complaire,

Pensers vains, abuseurs, fantômes plein de vent,

725   Pensers, enfants de l'air, miroir trop décevant,

Faux prophètes d'amour, images mensongères,

Peintres, dont les tableaux ne sont rien que Chimères,

Songes de nos esprits, fureur de nos fureurs,

Feints appas de notre âme, erreur de nos erreurs ;

730   Pensers trompeurs, et vains, fuyez à la malheure,   [ 7 À la malheure : Vieilli. Mal à propos, malheureusement. [CNRTL]]

N'abusez pas mes sens ,et souffrez que je meure ;

Mélie, que me sert d'aller fuyant tes yeux,

Si je porte dans moi mon penser amoureux?

je grimpe sur un mont, je cours une campagne,

735   Mais mon triste penser sans cesse m'accompagne :

Comme on voit ça, et là, la navire tourner,

Sans pourtant de son sort l'aiguille détournent,

Mon amour, quelque part que mes sens me tournent ;

Les yeux de mon penser vers toi sans cesse tournent ;

740   J'aime autant donc mourir, Mélie, te voyant,

Que mon triste penser me tue en te fuyant ;

Pensers trompeurs, et vains, fuyez à la malheure,

N'abusez plus mes sens, et souffrez que te meure.

SCÈNE IV.
Polite, Silene.

POLITE.

Je cherche partout mon Silène,

745   Mais je perds mon temps, et ma peine,

On m'a dit qu'il est dans ces bois,

Qui va chantant à pleine voix,

Le nom de ma belle Laurie ;

Quoi ? Me l'aurait-il bien ravie,

750   Ce poltron ? Je lui ferais voir,

Combien j'ai sur lui de pouvoir ;

Non, non, ce n'est pas pour sa bouche.

SILENE.

C'était trop faire la farouche,

Sans me baiser.

POLITE.

755   Mais le voici.

SILENE.

J'eusse fait le farouche aussi.

POLITE.

Qu'est-ce qu'ainsi seul il barbote.

SILENE.

Ah ! Je déchire votre cote,

En la troussant sur vos genoux.

POLITE.

760   Ho ! Ho ! Silène, éveillez-vous.

SILENE.

Ha ! Mon coeur, que vous êtes belle,

Je ne dors pas non, ma rebelle.

POLITE.

Que veux faire ce poltron ci ?

SILENE.

Çà, çà, dessous cet arbre ci,

765   Je te veux tonner dessous l'ombre,

Deux abricots, et un concombre.

POLITE.

Je crois qu'il est devenu fol.

SILENE.

Dis-tu qu'il est devenu mol ?

Non est, ma foi, tante mignonne,

770   S'il est mol ; je veux qu'on le donne,

Par morceaux aux chats du pays.

POLITE.

Il tend tous mes sens ébahis,

Silène, au tu baillé ma lettre,   [ 8 Bailler : envoyer.]

À Laurie ?

SILENE.

Laisse-l'y mettre,

775   Et tu t'en joueras si tu veux.

POLITE.

Mais serait-il bien amoureux

De moi? Si n'ai-je pas envie,

De quitter pour lui ma Laurie :

Ho ! Ho ! Silène l'insensé ?

SILENE.

780   Ma foi, je n'eusse pas pensé,

Que tu m'eusses fait cet outrage.

POLITE.

Tu es ivre, où tu n'es pas sage,

Mais parle un peu, dis par ta foi,

Qui t'a fait amoureux de moi ?

SILENE.

785   Amour, qui me prit par derrière,

Me tirant une flèche entière,

Il me la ficha si avant,

Qu'il m'en sort un pied par devant.

POLITE.

C'est sen esprit qui s'extravague.

SILENE.

790   Si tu me veux prêter ta bague,

Tu verras si te sais courir.

POLITE.

Ce fol, ci me fera mourir

De rire, et bien, que dit Laurie ?

SILENE.

Si seras tu par tout suivie,

795   Tu as beau t'échapper de moi.

POLITE.

Il est fol à ce que je vois,

Quel démon ainsi le possède ?

Il en faut chercher le remède,

Je le veux suivre, et m'enquérir,

800   Si l'on le pourra point guérir,

Voyez comme il s'enfuit grand erre.  [ 9 Erre : Train, allure. Il n'est usité que dans ces locutions : aller grand'erre ; aller belle erre. [L]]

SILENE.

Je m'en veux aller à la guerre,

Car je sais bien tabouriner.  [ 10 Tabouriner : utiliser un tabourin qui est un petit tambour. ]

POLITE.

Cesseras-tu de badiner ?

805   Entre au logis, dis grosse bête,

Te veux-tu rompre ainsi la tête ?

SILENE.

Ô le plaisir que tu auras,

Étant couchée entre mes bras.

ACTE QUATRIÈME.

SATYRE, CORILE, TYRSIS, et POLITE.

SCÈNE I.

SATYRE, seul.

Grands Dieux de là-haut, que douce est la vengeance,

810   Quand nous avons reçu quelque notable offense ;

Mes esprits irrités, en font tout unis

Pleurez Nymphes, pleurez le malheur de Tyrsis.

J'ai toute nuit erré parmi les forêts sombres,

Invoquant à hauts cris les infernales ombres,

815   Les esprits plus puissants du manoir ténébreux;

J'ai conjuré Pluton dans son palais ombreux;

Et pour signe d'avoir exaucé ma prière,

La Lune pour un temps a perdu sa lumière ;

Et les cieux ont été fort longtemps obscurcis,

820   Pleurez Nymphes, pleurez le malheur de Tyrsis.

Ils m'ont aussi promis que la Nymphe rebelle,

Qui à mes humbles voeux se montre si cruelle,

Verra de son berger les membres tant aimés,

En un myrte sauvage aujourd'hui transformés

825   Elle verra ses yeux pleins de traits, et d'amorce,

Et ces cheveux dorés prendre une rude écorce ;

Elle verra ses bras en branches endurcis,

Pleurez Nymphes, pleurez le malheur de Tyrsis.

Cependant, il me faut obéir à leurs charmes,

830   Rechanter en mon roc quelques sinistres carmes,

Pour adoucir ma peine, et mes cuisants soucis,

Nymphes, pleurez le malheur de Tyrsis.

SCÈNE II.
Corile, Tyrsis, Polite.

CORILE.

Tyrsis, ayez pitié de l'ardeur qui m'enflamme,

Modérez le brandon qui consomme mon âme ;

835   Et faites, que les traits qui coûtent ma douleur,

Cherchent dorénavant autre but que mon coeur :

Car tant que je serai captive en ce servage,

Mes voeux s'adresseront à votre belle image.

TYRSIS.

Corile, je te plains, et je me plains aussi,

840   De ne pourvoir t'aimer, et de m'aimer ainsi ;

Plut aux Dieux que mon âme à la tienne asservie,

Pût oublier un jour les amours de Mélie ;

Corile, tu serais alors tout mon souci,

Je serais tout à toi, tu serais mienne aussi ;

845   Un rigoureux destin, (belle je le confesse,)

Me contraint d'adorer une ingrate maîtresse,

Et ne me permet pas de te pouvoir aimer,

Nymphe, qu'un feu pareil, à pouvoir d'enflammer,

Mais bons Dieux ! Qu'est ceci ? Je tremble, je chancelle,

850   Et sens bien que mon sang peu à peu de congèle ;

Mon âme se départ, et dissout en froideurs,

Adieu belle bergère, adieu, car je me meurs.

CORILE.

Tyrsis, mon cher Tyrsis, quelle, cruelle envie.

Des hauts Dieux courroucés te prive ainsi de vie ?

855   Mon Tyrsis, parle à moi ; mais hélas ! Quel malheur,

Il est sans mouvement, sans pouls, et sans chaleur ;

Ces beaux yeux, ont perdu la lumière si belle,

Ce teint qui paraissait une rose nouvelle,

Qu'un matin voit éclore en sa prime beauté,

860   Est terne, pâle, et mort, he ! Quelle cruauté,

Qu'ainsi devant mes yeux la clarté soit ravie,

À celui qui était la vie de ma vie ;

Tu es mort mon Tyrsis, et Corile vivra,

Non, non, crois que de près Corile te suivra ;

865   Au moins j'aurai cet heur de te baiser mourante,

Ce que le sort cruel ne m'a permis vivante ;

La mort assemblera, (bien qu'injuste elle soit,)

Ce qu'amour plus injuste assembler ne pouvait :

Cheveux crêpés, et blonds, dont mon âme blessée,

870   Fut de mille liens doucement enlacée ;

Beaux yeux hôtes d'amour, qui causez en mon coeur,

Tant d'attraits, tant de feux, de flammes et d'ardeur,

Belle bouche, d'oeillets, et de roses mêlée,

Dont les douces rigueurs me rendaient affolée,

875   Et vous, belle âme encor, hôtesse de ce corps,

S'il tous reste du soin là-bas parmi les morts,

Déplorable berger, voyez votre Corile,

Dont l'humeur nourricière en larmes se distille,

Qui en un même temps,et en un même lieu,

880   Meurt impatiemment, en vous disant adieu :

Adieu mon cher Tyrsis, je ne saurais plus vivre,

Vivant tu me fuyais, et mort je te veux suivre.

POLITE.

Non ferez, non ferez, quoi Nymphe ? Quel grand tort

Vous a fait ce berger, pour vous donner la mort ?

CORILE.

885   Hé laissez moi mourir.

POLITE.

  Mais voyez, je vous prie,

Elle est morte, où du moins elle est évanouie :

Je sens dessur son front une humide sueur,

Elle vît, je lui sens un battement de coeur ;

Mais ce berger est mort, ô la grande merveille,

890   Il est mort, et sa bouche est encore vermeille ;

Il est encor tout chaud, ce berger votre ami,

N'est pas encore mort ; non, il n'est qu'endormi.

CORILE.

Hé ! Laissez moi mourir, permettez que je te suive.

POLITE.

Je la veux emmener puis qu'elle est encor vive ;

895   Non, vous ne mourrez pas, ce serait cruauté,

Que de faire mourir une telle beauté ;

Sus bergère, prenez un petit de courage

Essayons de gagner peu à peu le village,

Je vous y aiderai, puis je viendrai quérir,

900   Ce berger, qu'on pourra peut-être bien guérir.

CORILE.

Hé ! Quelle guérisOn.

POLITE.

Je crois vraiment ma mie,

Que vous vous abusez car il est plein de vie.

CORILE.

Je sais bien qu'il est mort, mais mon cruel destin,

Ne veut pas que mes maux prennent encore fin.

SCÈNE III.

SATYRE, seul.

905   Le temps est arrivé maintenant que ta vie,

Te sera beau Tyrsis par la Parque ravie ;  [ 11 Parque : Chacune des trois déesses qui filaient, dévidaient et coupaient le fil de la vie des hommes. [L]]

Tes cheveux ; de Corile autrefois tant aimés

En feuilles se verront de myrte transformés ;

Je n'aurai crainte alors, qu'au frais de ce bocage,

910   Elle aille quelquefois se seoir sous ton ombrage,

C'est là que pour te faire un plus grand déplaisir,

Avec elle j'irai contenter mon désir ;

Là, nous nous baiserons, là je verrai ta vie,

Par une humeur jalouse encor un coup ravie ;

915   À travers ton écorce, à tous coups tu verras,

Corile qui t'aimait, mourir entre mes bras :

Mais une ardeur divine, une fureur subite,

Hors de moi me transporte, et tous mes sens agite,

Parachevez grands Dieux, vous me devez venger,

920   C'est à vous à punir maintenant ce berger.

Ici Tyrsis est changé en Myrte.

Me voilà satisfait, rien plus je ne demande,

Mais pour le bien reçu d'une dévote offrande,

Humble, et plein de respect, ô grands Dieux immortels,

J'ai présentement honorer vos autels.

SCÈNE IV.
Corile, Tyrsis.

CORILE.

925   Les Deux n'ont pas voulu que contre moi cruelle,

Je m'ouvrisse le sein d'une plaie mortelle,

Sans que premier ce corps si chèrement aimé,

Fût de mes propres mains doucement embaumé ;

J'apporte ici des lis, des oeillets, et des roses,

930   Au frais de ce matin nouvellement écloses ;

J'ai le lait, et le miel, et ne dois plus avoir,

Que des rameaux de myrte et ce dernier devoir,

Qu'à mon aimé Tyrsis je désire de rendre ;

Et laver de mes pleurs sa bienheureuse cendre ;

935   Mais j'en aperçois un, il m'en faut approcher,

Et pour mon sacrifice, une branche arracher.

TYRSIS.

Bergère, si ton coeur fut jamais pitoyable,

Ne trouble mon repos, laisse-moi misérable,

Languir sous la rigueur de ce myrte endurci.

CORILE.

940   Je suis hors de moi-même, ô bons Dieux ! Qu'est-ce ci ?

Qui que tu sois, pardonne à cette mienne offense,

Excuse par pitié, ce que mon ignorance,

T'a pu faire de mal, que s'il te reste au coeur,

Quelque peu de regret de ton cruel malheur,

945   Et comme la voix te reste la mémoire,

Esprit infortuné ; que je tiendrais à gloire,

De savoir qui tu es, quel des Dieux animé,

T'a, corne je te vois, en arbre transformé.

TYRSIS.

Je pardonne à ta main, ignorante, et cruelle,

950   Le mal quelle m'a fait ; mais las ! Pardonne belle,

Pardonne à ton Tyrsis, qui fut plus inhumain,

Envers toi mille fois, qu'envers lui n'est ta main :

Pardonne à ses dédains, pardonne à son audace,

Et vois comme le Ciel les orgueilleux menace.

CORILE.

955   Hélas ! Mon cher Tyrsis, hé ! Combien de malheurs,

Combien dessur mon chef se versent de douleurs ;

Mais si tu as perdu cette humeur si farouche,

Si le doux souvenir de Corile te touche,

Au moins, ô ma belle âme, au moins dis-moi comment,

960   Les Dieux ont procuré ce triste événement.

TYRSIS.

Tes beaux yeux, que les miens trop cruels dédaignèrent

Tant de brasiers ardents autrefois allumèrent,

Dans le coeur du Satyre, et les bouillants esprits,

Furent de ton amour si vivement épris,

965   Que te voyant vers lui cruelle, et dédaigneuse,

Il crut que tu étais de Tyrsis amoureuse ;

Une jalouse humeur soudain le posséda,

Et de son art magique en ce besoin s'aida :

Lors que moins nous pensions si grande si puissance,

970   Il endormit mes sens, mêmes en ta présence ;

Tu me vis à tes pieds comme mort étendu,

Corile, il m'en souvient, par trop me fut rendu,

Ton oeil moite de pleurs, et pour dernier office,

Tu me voulus offrir ta vie en sacrifice,

975   Pour me suivre à la tombe : or les Dieux plus amis,

De me faire mourir ne lui avaient permis ;

Aussi ne pouvant mieux pour assouvir sa rage,

Sur mon corps innocent, il suscite un orage,

Un air tout ensoufré, qui d'auprès moi sortit,

980   Et en un même instant la terre m'engloutit ;

Lors il chanta sur moi quelques sinistres carmes,

Et te sentis soudain par le fort de ses charmes,

S'endurcir tous mes nerfs, mon poil se rallonger,

Et en branches soudain, et feuilles se changer ;

985   Mon cors devient un tronc, je sentis que mes veines,

Se vidant de leur sang, aussitôt furent pleines,

D'un suc noir et grossier, ainsi que tu me vois,

Se perdit de Tyrsis, tout excepté la voix,

L'âme et la passion dedans cet arbre enclose ;

990   Telle de ton Tyrsis fut la métamorphose :

Mais parmi ces malheurs, un Dieu doux et bénin,

Soulage mes travaux d'un gracieux destin ;

Et trompant les efforts de l'envieux Satyre,

Fait que l'air d'Arcadie encore je respire ;

995   Ce Dieu prenant pitié de mon cruel émoi,

Sans l'avoir mérité me rend du tout à moi :

Il redonne à mes nerfs leur vigueur coutumière,

À mes veines leur sang, à mes yeux leur lumière,

À mes sens leur office, à mon coeur les soupirs,

1000   À mon âme l'ardeur, l'amour et les désirs,

Bref, il rend à mon corps, sa puissance, et sa force,

L'enfermant seulement dans cette dure écorce :

Un jour heureux (dit-il) ains trois fois heureux jour,

T'ôtera cette écorce, et le bandeau d'amour;

1005   Donque, s'il reste encor bergère dans ton âme,

Quelque petit brasier de cette antique flamme,

Si tu voulais du bien, même après le trépas,

À Tyrsis, qui cruel ne le méritait pas,

Au nom des Dieux, rends lui, ce favorable office,

1010   Porte ces fleurs, ce miel, ce lait, ce sacrifice,

Au Temple du Dieu Pan, et la d'une humble voix,

Invoque à chef baisé son grand nom par trois fois,

Que ce jour il avance, et qu'il batte un peu l'heure,

Pour me tirer d'ici, ou que bientôt je meure :

1015   Ainsi, ce Dieu bénin, puisse abréger le cours

De mes ans malheureux four bienheurer tes jours.

CORILE.

Autre âme de mon âme, ô ma belle lumière,

Tu n'es pas seulement en ce tronc prisonnière,

Corile y est encor : las ! Le plus beau de moi,

1020   Mon coeur, et mes désirs, sont enclos avec toi ;

Mais demeure en repos par tant de larmes saintes

Par tant de tristes cris, et d'amères complaintes

Je m'en vais mon Tyrsis importuner les Dieux,

Qu'ils te rendent enfin un état plus heureux.

SCÈNE V.
Polite, Tyrsis.

POLITE.

1025   Puisque Silène est est fol, il faut que de moi-même,

Je cherche le remède à mon amour extrême,

Celui qui a peu sage un tiers interposé

En amours, il s'en trouve à la fin abusé ;

J'ai trouvé dans ces bois un mage vénérable,

1030   Qui connaissant mon mal doit mettre secourable

À l'endroit de Laurie, et d'un charme trompeur,

Doit embraser son âme, et enflammer son coeur :

J'ai loué par trois fois ma face à la fontaine,

Invoquant le beau nom de ma belle inhumaine,

1035   Ainsi qu'il m'avait dit, et j'ai cueilli sans bruit,

Et l'armoise, et le trèfle au milieu de la nuit ;   [ 12 Armoise : Terme de botanique. Plantes de la famille des synanthérées, dont plusieurs sont toniques et emménagogues. [L]]

J'ai maintes fleurs encor, dont la force inconnue,

Se remarque à l'épreuve, et non pas à la vue ;

Mais il me faut du myrte, afin qu'après mes voeux,

1040   J'entasse tout cela, des blonds, et doux cheveux

De ma belle Laurie, en voici un tout contre,

Les Dieux puissent aider cette heureuse rencontre.

TYRSIS.

Père, arrête ta main, garde-toi d'arracher,

Les membres de Tyrsis, jadis ton fils si cher.

POLITE.

1045   Quels charmes sont ceci ? Las ! Je n'ai point d'envie,

De troubler le repos de ta dolente vie ;

Myrte, plus armé cent fois que non pas moi,

Car je me sens pressé un si puissant émoi,

T'oyant nommer Tyrsis, que pour cette parole,

1050   Mon âme, ce me semble, hors de son lieu s'envole :

Mais ne me flatte point, es-tu mon fils si cher,

Que depuis si longtemps je suis venu chercher ?

TYRSIS.

Je le suis, et je suis ce berger misérable,

À qui tu fus un jour doucement favorable,

1055   Lorsque tu empêchas par un bienheureux sort,

Que Corile pour moi ne se donnât la mort.

POLITE.

Quel astre infortuné, mon Tyrsis ne fit naître ?

TYRSIS.

L'astre malin d'amour de mes destins fut maître,

Par lui, jalousement un satyre animé,

1060   Envieux de mon heur, ainsi m'a transformé ;

Mais ne te fâche point, prends courage mon père,

Les Dieux avec le temps détourneront arrière,

De mon chef innocent le malheur que tu vois,

Adieu mon père, adieu je sens faillir ma voix.

POLITE.

1065   Ha ! Père infortuné, que le malheur contraire,

M'a toujours procuré de peine, et de misère,

Que le Ciel m'est cruel, après un si long temps,

le trouve ores mon fils, je l'entends, je l'entends :

Mais las ! S'embrasse un tronc, et ma lèvre ne touche,

1070   En le pensant baiser qu'un insensible souche ;

Tyrsis, je n'oserai chétif te requérir,

Parle doux nom de fils, ce nom me fait mourir ;

Infortuné Tyrsis, dis-moi, je te conjure

Par les pleurs que j'épands, puisque cette aventure,

1075   Ne peut toujours durer, quel Dieu doit mettre fin,

Au triste événement de ce cruel destin :

Tyrsis, tu ne dis mot, ce rigoureux silence

Ne me peut figurer une bonne espérance ;

Plutôt mon cher Tyrsis ce croulement de chef,

1080   Me promet qu'éternel durera le méchef,   [ 13 Méchef : Terme vieilli. Fâcheuse aventure. [L]]

Arrière donc fureur amoureuse, et traîtresse,

Qui pensez finement abuser ma vieillesse,

Arrière amour, arrière, il ne faut plut parler,

Que d'étonner de cris, le ciel, la terre et l'air,

1085   Mon mal est sans remède, mon deuil sans exemple ;

Je veux dorénavant, me pouvoir dire un temple

Où les cuisants regrets de mon triste malheur,

Immoleront mon âme, aux pied de la douleur.

ACTE CINQUIÈME.

SCÈNE I.
Pimandre, Mélie, Satyre, Corile, Pan, Tyrsis, Polite, et Silene.

PIMANDRE.

Puis qu'un sort tout pareil nos deux âmes possède,

1090   Puisque nous ne pouvons espérer

Ici bas en nos maux, implorons des grands Dieux

Ma soeur, dedans leur temple, un destin plus heureux.

MÉLIE.

Allons je vous suivrai.

SATYRE.

Tu ris de mon martyre,

Tu te gausses voyant que pour toi je soupire,

1095   Mais c'est trop m'abuser, il faut fière beauté,

Qu'aujourd'hui le respect cède à la cruauté.

Ça, ça, qu'on se dépêche, il faut faire sans dire.

CORILE.

Ô Cieux ! Secourez-moi.

SATYRE.

Ça tôt.

CORILE.

Quoi donc Satyre,

Ne crains tu point les Dieux perfide ravisseur ?

SATYRE.

1100   Mais toi, qui ne veux pas m'aider par la douceur.

CORILE.

Plutôt grand Jupiter, d'une horrible tempête,

En mille et mille parts acravante ma tête,   [ 14 Acravanter : Ployer sous un fardeau. [L]]

Mon Tyrsis je t'invoque, ha ! Tyrsis, ha ! Tyrsis !

Bons Dieux ! Secourez moi.

SATYRE.

Leurs bras sont accourcis.

PIMANDRE.

1105   Voyons que c'est ma soeur.

PAN.

  Le Ciel t'est favorable,

Qui prête sa faveur toujours au misérable :

Race ingrate des Dieux, impudent ravisseur,

Ne crains tu point des Dieux le courroux punisseur ?

penserais-tu forcer d'une atteinte faiblette,

1110   Des arrêts de là-haut la contrainte secrète ?

Je te bannis d'ici, que jamais tu ne sois,

Hôte de ce pays, de ces champs, de ces bois ;

Mais avant il me plaît, que même en ta présence,

Tyrsis retourne encor en sa première essence ;

1115   Le Ciel me l'a permis, et le grand Jupiter,

Daigna pour ce sujet ma prière écouter ;

Un tonnerre grondant dessur ma sainte tête,

M'assura que les Dieux accordaient ma requête ;

Cessez charmes, cessez et soyez adoucis,

1120   Ô destins trop cruels du malheureux Tyrsis.

Ici Tyrsis reprend sa première forme.

TYRSIS.

Je vous vois donc encor, ô Soleil de ma vie,

Je vous vois donc encor, ô ma char Mélie,

Ha ! Que d'aise, et que d'heur, mais ou suis-je bons

Et où me pousse ici le saint décret des cieux ?

PAN.

1125   Pasteurs, tenez vous cois, et vous belles nymphettes,

Oyez de vos destins les choses plus secrètes ;

Attentives, prêtez l'oreille à ce discours,

Qui commence, et finit vos cruelles amours.

POLITE.

Avec combien d'ennuis, d'angoisse, et de tristesse,

1130   Polite malheureux se trouve ta vieillesse.

Mais quels gens sont-ce ci ? Trouvez à l'impourvu

Il faut les écouter, je crois qu'ils ne m'ont vu.

PAN.

Polite, nourrissait d'une soigneuse cure.

Mélie, avec Tyrsis, sa chère géniture,

1135   Ses enfants bien aimés, dont la chaste beauté,

Était le support de sa viduité  [ 15 Viduité : Veuvage. [L]]

Ils étaient son soulas, son support, et sa vie

Passant ainsi ses jours, sans souci, sans envie ;

Mais le Ciel qui voyait leur destin de plus loin,

1140   Traversa ce bonheur, sans en quitter le soin :

Sévère, vivait lors parmi notre Arcadie,

Mère de toi, Pimandre, experte en la magie,

En l'art de deviner, et qui prévoyait bien,

Des astres dominants, et le mal, et le bien ;

1145   Savante, elle connut qu'une douce influence,

Avait lié les coeurs même dès leur enfance,

De Pimandre et Mélie, et qu'hymen quelque jour,

Devait favoriser leur réciproque amour.

POLITE.

Dieux ! Qu'est ce que j'entends.

PAN.

Un jour, elle eut envie,

1150   D'aller chez ce Polite et d'enlever Mélie,

Afin de la nourrir, chétive, qui doutais.

D'un bonheur, que le ciel en fin lui promettait,

Résolue à ce point, l'Aurore aux doigts de roses,

À peine avait du ciel les barrières décloses,

1155   Qu'elle part de sa grotte, et fit tant de chemin,

Traversant le pays, qu'elle arrive à sa fin,

Au logis de Polite, où seulets, et sauvegarde,

Étaient les deux enfants, mais sous la sauvegarde,

Des grands Dieux immortels ; soudain qu'elle t'eut vu ;

1160   Tu allumas son coeur lascif d'un nouveau feu ;

Tes yeux, bien innocents, embrasèrent son âme,

Tyrsis, d'une si douce, et si puissante flamme,

Qu'oubliant, et son âge, et tout autre devoir,

Elle délibéra sur l'heure de t'avoir,

1165   Et t'enlever aussi, se promettant qu'heureuse,

Elle ferait un jour ta première amoureuse :

Donnant les premiers fruits de tes embrassements,

À son sein, tout flétri par la longueur des ans,

Ainsi elle t'enlève.

POLITE.

Ô Dieux ! Que de merveilles,

1170   Dois- je croire à mes yeux, croirai-je mes oreilles ?

PAN.

Aidée à ce dessein par un sien serviteur,

Tyrsis, elle te prend, et Mélie ta soeur,

Tout deux en même temps, votre âge jeune et tendre,

Parures petits enfants, ne se pouvait défendre :

1175   Comme ils sont dans un bois, je fais qu'un fort sommeil,

Les surprend tout soudain, et leur fait clore l'oeil,

Alors leur reprenant cette proie roule,

Je te pris, mon Tyrsis, et lui laissai Mélie,

Lui laissant quant et quant, un éternel désir,

1180   Un éternel ennui d'un si soudain plaisir ;

T'ayant acquis ainsi, ta vie me fut chère,

Et fis soigneusement qu'une sage bergère,

Te prit, et te nourrit, attendant que les Cieux,

Bien heurassent enfin tes destins amoureux :

1185   Sévère, à son réveil ne te trouvant près d'elle,

Une soudaine peur la presse, et la martèle :

Elle brasse, elle court, et d'une affreuse voix,

Fait retentir Tyrsis, Tyrsis, parmi ces bois ;

Quel importun destin, quelle Nymphe traîtresse,

1190   Disait elle à ravi, ma vie, et ma liesse ;

Mon Tyrsis, où est tu ? Mais Écho seulement,

Répondait pitoyable, et plaignait son tourment ;

Force donque lui fut de prendre patience,

Et d'adoucir son mal, d'une faible espérance

1195   De te trouver un jour, et pouvait à plaisir,

Étant robuste, et fort, contenter son désir.

Pour ce coup seulement, Mélie, elle te mène

Chez elle, ou un soupçon la tourmente et la gêne ;

Elle craint de te perdre, et qu'ainsi quelque jour,

1200   On dérobe à son fils le fruit de son amour.

Tyrsis lui sert d'exemple, ainsi fine, et accorte,

Elle les veut lier d'une chaîne plus forte,

Elle vous entretient dès lors en cette erreur,

Quelle était votre mère, et qu'étiez frère et soeur,

1205   Le destin amoureux qui commande à vos âmes,

Ne laisse pas pourtant de vous causer des flammes,

Mais une injuste loi, martyre des amants ;

S'oppose sous ces noms à vos contentements,

Arrête vos désirs, le respect, et la crainte,

1210   De la loi, rend leur flamme, où cachée, où éteinte ;

Ainsi le Ciel voulut traverser vos amours,

Jusqu'à ce jour fatal, qui bienheure vos jours :

Suivez donc à présent les saintes ordonnances,

Et des cieux, et d'amour et de vos influences,

1215   Beau couple, ne souffrez que cette simple erreur,

Retarde plus avant votre commun bonheur ;

Mélie, non plus soeur, mais ta plus chère Diane

Soit ce jour le guerdon de ta pudique flamme ;   [ 16 Guerdon : Terme vieilli. Récompense. [L]]

Pimandre, non plus frère, ains amant bienheureux

1220   Soit ce jour le guerdon de tes plus chastes feux.

PIMANDRE.

L'aise me rend muet, ma bégayante langue,

Ne saurait par quel bout commencer sa harangue ;

Tu es mienne Mélie, et Pimandre tout tien.

MÉLIE.

Oui, je suis toute à toi, puisque tu es tout mien.

PAN.

1225   Et toi Tyrsis tu as ores la connaissance,

Aussi de ton erreur, mais quoi ? Ton ignorance,

Incoupable te rend, et sais bien que les Dieux,

Excuseront bénins, ta désir furieux ;

Les Dieux pardonneront à l'innocente flamme,

1230   Un forfait n'est point tel, s'il n'est commis de l'âme ;

Suis donque ton destin, l'amoureuse douceur,

Qui t'embrasait tantôt pour Mélie ta soeur,

Soit ores convertie a bien aimer Corile,

Corile qui n'st point d'un bergerot la fille ;

1235   Elle est même, Tyrsis, Cloris la Nymphe un jour,

Me donna ce présent, témoin de notre amour :

Je veux donc, qu'oubliant les amours de Mélie,

Corile maintenant, soit ton coeur, et ta vie,

Ton âme, tes désirs, et ta chère moitié ;

1240   Car elle a mérité ta fidèle amitié :

Et pour ce seul regard, j'a toujours eu la cure,

De toi, de ton amour, et de ton aventure ;

Les charmes dissipant du Satyre velu,

Qui t'avait transformé en un arbre feuillu,

1245   Pensant de ta Corile attirer la belle âme,

Pour laquelle il brûlait d'une cuisante flamme,

Portant dedans l'esprit un furieux martel,

De voir à son amour préférer un mortel :

C'est moi, qui détruisant par ma dernière force,

1250   Tous ces enchantements, j'ai tiré de l'écorce,

Sous laquelle je t'ai préservé de la mort,

De ma Corile, en toi, prédestinant l'accord ;

Afin que désormais vous puissiez sans envie,

Passer heureusement le cours de votre vie.

TYRSIS.

1255   Ô grand Dieu des Pasteurs, à bon droit adoré,

Ton saint temple sera de nos vaux honoré.

CORILE.

Deux fois tu es mon père, et puis à bon droit dire,

Que revivante encor, par toi seul je respire

Deux fois l'air d'Arcadie.

POLITE.

Il me faut approcher,

1260   C'est trop en se cachant ma liesse cacher ;

Ça, que je vous embrasse, ô Tyrsis, ô Mélie,

Enfants, le seul objet de ma dolente vie ;

Mes enfants bien aimés mes enfants gracieux,

Que je rebaise encor votre front, et vos yeux.

PAN.

1265   Amis, pour honorer la fête solennelle,

Je veux de votre fol débrouiller la cervelle ;

Et pour ce seul état, je vous mets en la main

Cette verge, de qui l'effet ne sera vain,

La passant sur son front trois fois, son efficace

1270   Remettra son esprit en sa première place ;

Je veux pour davantage encores approuver,

Ce bienheureux hymen, au banquet me trouver ;

Et afin que les Dieux autorisent vos flammes,

Chantons en leur honneur ces beaux épithalames.

ÉPITHALAME.

1275   Sur ce couple d'amants heureux,

Autant aimés, corne amoureux ;

Que le Ciel a jamais envoie

Une moisson de doux plaisirs,

De ris, d'amours, et de désirs,

1280   Où la douleur enfin se noie.

POLITE.

Que ce Dieu qui eut au besoin,

De leurs amours toujours le soin,

Et qui conduit leur destinée,

Accouplant leurs belles moitiés ;

1285   Bénisse ores leurs amitiés.

En cette célèbre journée.

PAN.

Jamais les jalouses rancoeurs,

Ne trouvent place dans les coeurs,

De vos bergères gracieuses ;

1290   Que les dédains, ni les mépris,

Ne troublent jamais vos esprits,

De leurs riottes odieuses.  [ 17 Riotte : Terme vieilli. Querelle, dispute. [L]]

POLITE.

Plutôt un éternel printemps,

Qui les accompagne en tout temps,

1295   Rende leur amour fortunée.

Et que dans ces champs d'alentour,

Nos bergers chantent tour à tour,

Ô ! Hymen, hymen, hyménée.

SILENE, chantant.

Si j'avais autant de moutons,

1300   Que j'ai baisé ces gros tétons,

Ma foi je voudrais que mon maître,

Fût mon valet, et s'allant paître ;

Ha ! Le voici, ha ! le voilà,

C'est celui-ci, c'est celui-là

1305   Ha ! Qui m'a donné cette femme,

Dieux ! Pardonnez à ma pauvre âme,

Car je me meurs en combattant :

Quarante, il m'en faut bien autant,

Car je veux aller en Égypte :

1310   Voyez comme ils prennent la fuite,

Il faut sur ce joli gazon,

Chanter une gaie chanson.

POLITE.

Voici l'écervelé, le grand Dieu Pan renvoie,

Ce brouillard importun qui ton esprit dévoie,

1315   Et te rende les sens.

SILENE.

  Ha ! Qu'est-ceci bons Dieux !

Mon Maître, pardonnez à mon mal furieux,

Je vous ai trop fâché étant en ma folie,

De n'avoir pas porté votre lettre à Laurie ;

Je ne sais où elle est, car en dormant un jour,

1320   Mon esprit fut troublé d'un fantastique amour.

POLITE.

Va, ne te souci point, allégresse, allégresse,

Que ce jour soit rempli de joie, et de liesse :

Viens, je te dirai tout étant à la maison,

Je veux que nous faisions coupe-gorge à l'oison,

1325   Que l'on n'épargne rien, de bon coeur, je le jure.

SILENE.

Et moi pareillement, ma joie vous assure,

Que je veux travailler à ce joli festin,

Autant, ou plus que deux, mais y a-t-il du vin ?

TYRSIS.

Voilà bien deviné, sais-tu pas que nos vignes,

1330   Ont à ce coup porté des vendanges infimes,

Que chez nous, il y a plus de vingt muids de vin ?

SILENE.

Ha ! Vraiment, ce sera tout l'honneur du festin.

POLITE.

Allons-nous en devant, toi Silène, viens vite.

SILENE.

Je ferai sans mentir plutôt que vous au gîte.

1335   Ne pensez que je sois en ce lien langoureux,

Tandis que jouirez des baisers amoureux

De vos chères moitiés, cependant preu vous fasse,  [ 18 Preu : (Ce) qui est le plus ancien dans une chronologie. [CNRTL]]

L'oison n'est pas bien cuit, vous attendrez la farce.

 



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Notes

[1] Avette : apette ou abeille. [L]

[2] Arçon : Être ferme dans, sur les arçons. Au propre, se tenir bien en selle ; au figuré, défendre ses principes, ses opinions avec vigueur. [L]

[3] Decours : Déclin du croissant de lune. Par analogie, Période de déclin d'une maladie.

[4] Bluter : Passer la farine par le bluteau. (Sorte de tamis, qui sépare la farine du son.) [L]

[5] Ixion : prince grec de la mythologie, il ne tint pas sa promesse de faire un cadeau à son beau père et le tua. Les dieux le condamnèrent de ce meurtre.

[6] Vers 588 : dans l"dition originale, on lit proufite, nous changeons en profite.

[7] À la malheure : Vieilli. Mal à propos, malheureusement. [CNRTL]

[8] Bailler : envoyer.

[9] Erre : Train, allure. Il n'est usité que dans ces locutions : aller grand'erre ; aller belle erre. [L]

[10] Tabouriner : utiliser un tabourin qui est un petit tambour.

[11] Parque : Chacune des trois déesses qui filaient, dévidaient et coupaient le fil de la vie des hommes. [L]

[12] Armoise : Terme de botanique. Plantes de la famille des synanthérées, dont plusieurs sont toniques et emménagogues. [L]

[13] Méchef : Terme vieilli. Fâcheuse aventure. [L]

[14] Acravanter : Ployer sous un fardeau. [L]

[15] Viduité : Veuvage. [L]

[16] Guerdon : Terme vieilli. Récompense. [L]

[17] Riotte : Terme vieilli. Querelle, dispute. [L]

[18] Preu : (Ce) qui est le plus ancien dans une chronologie. [CNRTL]

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