COMÉDIE FACÉTIEUSE
1620.
Par le Sieur D.
À ROUEN, DE L'IMPRIMERIE De David du Petit Val, Imprimeur Libraire ordinaire du Roi.
Texte établi par Paul FIÈVRE, février 2024
Publié par Paul FIEVRE, février 2024
© Théâtre classique - Version du texte du 30/09/2024 à 21:18:45.
L'AUTEUR À MONSIEUR SON INTIME.
Monsieur.
Mon intime, étant allé voir, il y a bien un mois, un mien parent, lequel demeure demi-lieue près la ville des Lexobiens : ainsi comme nous devisions de plusieurs choses plaisantes, selon son humeur joviale, entre autres bons conte du temps, il m'en récita un de l'amour folâtre d'un gentilhomme son voisin avec sa servante : auquel ayant pris grand plaisir, parce qu'il est fort comique, je me suis avisé de passer huit jours de ces ardentes chaleurs caniculaires, à lui donner forme de comédie, puis vous en faire un présent, d'autant que je sais que vous prenez plaisir à la lecture de telles facéties : recevez-le donc gaiement, et comme un petit témoignage de mon affection, que je vous promets durer autant que ma vie.
Votre intime ami pour vous servir D.
Ce 12 d'août 1619
ENTRE-PARLEURS.
LE GENTILHOMME, amoureux de Gillette sa servante.
GILLETTE, sa servente.
MATURIN, grand laquais du gentilhonne aussi amoureux de Gillette.
LA DEMOISELLE, maîtresse de Gillette et femme du Gentilhomme.
MAÎTRE JOSSE, prêtre vicaire.
ACTE I
SCÈNE I.
La Gentilhomme, Gillette.
LE GENTILHOMME.
Certes l'adage est véritable
Qui dit que dessus une table
Un met trop souvent présenté
Rend notre estomac dégoûté :
5 | Bref une chose trop commune |
En fin de temps nous importune.
Je dis ceci parlant de moi,
Qui suis sous la nocière loi [ 1 Nocière : inusité. Qui appartient, préside aux noces. [L]]
Par le vouloir des destinées,
10 | Arrêté depuis quinze années, |
Ayant toujours à mon pouvoir
Rendu d'un mari le devoir
À ma moitié, mais cette flamme
D'amour, qui nous échauffait l'âme
15 | Par le longtemps ci dessus dit |
Maintenant fûmes [...] refroidis.
Ce qui fait que de notre couche
Je ne viens plus [...] escarmouche
Si souvent comme au temps passé,
20 | Non pas que je sois harassé : |
Mais c'est que par trop je me lasse
De ma compagne qui se casse,
Si bien que pour me rafraîchir
Il me faut les bornes franchir
25 | Des vieilles lois du mariage, |
Et rechercher d'une grand courage
Pour alléger ma passion
Quelque jeune et tendre fion [ 2 Fion : Terme populaire. Tournure, bonne façon. Il a du fion. [L]]
Qui se fléchisse à ma prière.
30 | Gillette notre chambrière |
Serait fort propre à mon dessin,
Elle est gentille et tout à plein
De gaie humeur, elle sait dire
Fort à propos le mot pour rire,
35 | Ce qu'ayant bien considéré, |
Je m'en suis tout enamouré,
Mais néanmoins elle l'ignore,
N'ayant eu le moyen encore
De lui conter, et l'éprouver.
40 | Or sus, je m'en vais la trouver, |
Mais la voici, bonne aventure :
Vertu bleu le belle monture !
Voilà de quoi désennuyer
Un expert et fort écuyer :
45 | Qu'elle est d'une gentille taille |
Pour enter en champ de bataille :
Tant plus je vais la regardant
Plus mon coeur en devient ardent :
Approchons, c'est trop de demeure
50 | Et l'accostons à la bonne heure. |
GILLETTE, voyant venir monsieur devers elle, elle parle ainsi.
Monsieur vient devers moi tout doux
Je crois pour me tâter le pouls,
Car si je me suis déçue
Deux fois je me suis aperçue
55 | Qu'il me voit d'un oeil amoureux. |
LE GENTILHOMME.
Dès longtemps j'étais désireux
D'être rencontré, ma Gillette,
En quelque lieu toute seulette [ 3 Seulet : Diminutif de seul, usité seulement dans le style pastoral et surtout au féminin. [L]]
Pour avoir la commodité
60 | De te parler en sûreté. |
Arrête donc, j'ai quelque chose
Que je te veux.
GILLETTE.
Monsieur, je n'ose
Plus longtemps ici m'arrêter.
LE GENTILHOMME.
Et qui te fait ainsi hâter ?
GILLETTE.
65 | J'ai crainte de Mademoiselle. |
LE GENTILHOMME.
Non, non, n'ayez point de peur d'elle,
Je te servirai de garant
Si vous avez du différent.
Pour ce sujet, doncques arrête,
70 | Prêtant l'oreille à la requête |
Que je m'en vais te déclarer :
Je ne cesse de soupirer,
Jour et nuit pour ton beau visage
Qui m'a su gagner le courage,
75 | Et su tellement me forcer |
Que je n'ai d'autre penser :
Pourquoi sans faire la hautaine
Prends pitié de ma dure peine,
Et ne permets que ce tourment
80 | Me pousse dans le monument. |
Tu serais certes bien coupable
Si tel accident déplorable
M'arrivait pour ton amitié ;
Mais si tu prends de moi pitié
85 | Gillette, je te fais promesse |
De te faire du bien sans cesse,
Et pour encor plus t'émouvoir,
Je te promets de te pourvoir
En te mariant à ton aise :
90 | Or sus viens ça que je te baise |
Et que je touche ton téton
Beaucoup plus vermeil qu'un bouton
De mois de mai, doncques approche.
GILLETTE.
Monsieur, l'on m'en ferait reproche :
95 | S'il vous plaît de vous revirer. |
LE GENTILHOMME.
Hé quoi ? Me veux tu marier ?
Tiens tiens voilà que je te donne,
C'est un ducat, ois comme il sonne
Un air du tout harmonieux,
100 | Vois-tu comme il reluit aux yeux ? |
Si je reconnais que tu m'aimes
Je t'en donnerai bien de même,
J'ai dans mon logis un trésor,
Où plusieurs pareils font encore.
105 | Tiens, prends-le donc en espérance |
D'en avoir plus grand abondance.
GILLETTE.
Monsieur, je ne le prendrai pas,
J'encourrai plutôt le trépas.
Qu'un tel vice j'aille commettre :
110 | Hé vous avez beau me promettre, |
Non, Monsieur je n'en ferai rien,
Car je suis fille de bien :
D'autres que vous m'ont effrayée,
Mais je ne me suis effrayée,
115 | Des beaux discours qu'ils m'ont tenus : |
Ô qu'ils étaient les bien venus,
Le plus souvent pour leur salaire
Ils ont éprouvé ma colère,
Leur déférant sur le museau
120 | Un rude coup de mon fuseau, |
Ou bien de ma quenouille forte.
LE GENTILHOMME.
Si n'entends-je pas de la sorte.
Gillette me voir caressé
Plutôt j'aime d'être embrassé
125 | D'une façon gaie et gaillarde. |
GILLETTE.
Hélas Monsieur que je n'ai garde
De vous traiter si rudement,
Je sais bien le commandement
Qu'un maître a dessus sa servante :
130 | J'aimerais mieux n'être vivante |
Que d'avoir commis de défaut,
Trop bien pour quelque gros pitaud [ 4 Pitaud : Par dénigrement, homme, femme de la campagne de lourde structure. [L]]
De mon état qui voudrait faire
Quelque chose pour me déplaire,
135 | Mais pour vous mon maître et seigneur, |
Je vous porte par trop d'honneur.
LE GENTILHOMME.
Moins de respect, Gillette, et change
Cette rude façon étrange
En vraie amour, j'aimerai mieux
140 | Un doux accueil de te beaux yeux |
Que tant d'honneur, je te le jure.
GILLETTE.
Je ne me ferai telle injure
Que de perdre la chasteté.
LE GENTILHOMME.
Ma foi, c'en est trop disputé,
145 | Et trop de langage, |
Je veux avoir ton pucelage
Avant que finisse ce jour,
Soit par argent ou par amour :
Il ne faut point tant de paroles,
150 | Tiens, prends encore ces deux pistoles, |
Et m'accorde ce dernier point.
GILLETTE.
Monsieur, je ne les prendrai point
Pour un sujet si déshonnête.
LE GENTILHOMME.
Prends les donques que, je te les prête
155 | À me les rendre dans le temps |
Que tous hommes seront content :
Le terme est long et profitable.
GILLETTE.
Puisque vous l'avez agréable
Je les prendrai doncques, Monsieur.
LE GENTILHOMME.
160 | Or pour une telle faveur, |
Permets que je baise ta joue,
Et qu'avec ton téton je joue.
GILLETTE.
Je ne veux pas pour un baiser
Arrogamment vous refuser :
165 | Mais premier il faut prendre garde |
Qu'ici quelqu'un ne nous regarde.
LE GENTILHOMME.
Je ne vois rien ni près ni loin
Qui puisse servir de témoin :
Encore un Gillette ma belle.
GILLETTE.
170 | Monsieur, je vois Mademoiselle, |
Hé lâchez-vous, retirez-vous.
LE GENTILHOMME.
Que ce baiser m'a semblé doux !
Qu'en dépit de ma vieille amie,
Qu'elle eut été bien endormie
175 | Au lieu de me venir fâcher, |
En un plaisir que j'ai si cher.
Or je m'en vais en espérance
D'avoir un jour la jouissance
De Gillette mon petit coeur
180 | S'il ne m'arrive du malheur ? |
Mais je crois si bien me conduire
Qu'il n'aura pouvoir de ma nuire.
SCÈNE II.
La demoiselle, et Gillette.
LA DEMOISELLE.
Que c'est un grand contentement
Et même un grand soulagement
185 | D'avoir pour faire le ménage |
Une servante qui soit sage
Et pleine de fidélité,
Aimant que tout l'utilité
Et le profit de sa maîtresse,
190 | En travaillant presque sans cesse. |
Pour moi je crois que le soleil
Ne vois rien ici de pareil;
C'est une trésor inestimable,
C'est un bien qui n'a de semblable
195 | Qu'on doit estimer grandement; |
Ne se trouvant que rarement.
J'en puis parler comme certaine
Ayant été dix ans en peine
Après ce bien tant approuvé
200 | Avant que de l'avoir trouvé : |
Or, maintenant j'en suis saisie,
Ayant selon ma fantaisie
Une chambrière qui fait [ 5 Chambrière : Femme attachée au service de la personne et des chambres. On dit maintenant femme de chambre. [L]]
Notre ménage à mon souhait,
205 | Et bref j'en suis si bien servie, |
Que ma fois j'aurais bien envie,
Que de céans aucun effort
Ne la retirât que la mort.
Hé bien Gillette, notre affaire
210 | Va-t-elle comme d'ordinaire ? |
Que fait le harnais, son labeur
Sera-t-il point un peu meilleur
Que celui de l'autre semaine ?
Mais à propos de notre laine,
215 | Dites un peu comme en va-t-il, |
En ferons-nous bientôt du fil,
Puisque après de la draperie
Pour vêtir notre infanterie ?
GILLETTE.
N'ayez de cela nul souci,
220 | Car elle est prête Dieu merci : |
Une partie est assez fine
Pour faire de belle étamine :
L'autre pour faire un beau drap gris
Qui ne sera d'un petit prix
225 | Pour se parer aux grandes fêtes. |
LA DEMOISELLE.
Dis, Gillette, que font nos bêtes,
Nos boeufs, nos vaches et nos veaux
Et nos brebis et nos pourceaux.
GILLETTE.
Mademoiselle, ils font grand'chère,
230 | Toutes les fois qui je vais traire |
Nos vaches, j'en tire deux seaux
Et si j'en donne encor eaux veaux.
LA DEMOISELLE.
Cela va bien, à la bonne heure,
Combien avez-vous fait de beurre
235 | Cette semaine. |
GILLETTE.
Un bien grand coeur |
Mais ma foi je n'ai pas pris le soin
De le peser, mais j'ai créance
Que s'il était dans le balance,
Douze livres seraient son poids.
LA DEMOISELLE.
240 | C'est bien allé, les autres mois |
Elle n'avaient tant de laitage,
Mais c'était faute de fourrage,
Cette année il en était peu.
Gillette, qu'avons nous au feu ?
GILLETTE.
245 | Vous avez de bons choux à pomme, |
Avec du boeuf qui s'y consomme,
Et du lard et du mouton gras.
LA DEMOISELLE.
C'est bien assez pour un repas,
Mais mon mari qui se promène,
250 | Toujours quelques uns nous amène, |
Or Gillette sais-tu que c'est,
Mais que notre dîner soit prêt,
Viens-t-en nous guérir pour repaître,
Pendant je vais trouver ton maître,
255 | Lequel est dedans ce verger, |
Ce crois-je à faire ménager.
ACTE II
SCÈNE I.
Maturin et Gillette.
MATURIN.
En vain je tâche à me défendre,
Je suis de guet, il me faut rendre,
Amour de qui l'on parle tant,
260 | À cette fois me va domptant, |
C'est force, il faut que je lui cède
Et que je cherche du remède.
À son feu dont je suis brûlé,
Et qui me rend presque affolé
265 | De la belle et douce manière, |
De notre grande chambrière
Gillette, dont l'habileté,
Acquiert céans l'autorité
D'une autre seconde maîtresse,
270 | Qui commande, travaille et presse |
Chacun à faire ce qu'il doit,
Ô que si cela dépendait
De ma volonté, je vous jure,
Qu'une plus heureuse aventure
275 | Je ne voudrais pour m'enrichir, |
Il faut tâcher de la fléchir
Et faire si très bien en sorte,
Que de l'amour elle me porte,
À propos la voici venir,
280 | Çà çà, je vais l'entretenir. |
GILLETTE parle seule, avant que voir Maturin.
Monsieur en a dans la cervelle,
Il me fait de la crécerelle, [ 6 Crécerelle : Oiseau de proie du genre faucon. [L]]
Et pense si bien m'enjôler
Qu'à son vueil je me laisse aller [ 7 Vueil : volonté, voloir. [CNRTL]]
285 | Mais il n'a pas besogne faite, |
Me tient-il pour quelque nicette [ 8 Nicette : nicet ; Terme vieilli. Quelqu'un qui ne sait pas, simple par ignorance. ]
Qui ne sait les jours d'aujourd'hui,
Je ne suis pas encor à lui.
MATURIN.
Qu'est-ce que Gillette remâche,
290 | Corbleu je crois qu'elle se fâche |
De quelque chose, écoutons-là
Et sachons d'où proviens cela,
Mais afin qu'elle ne me voit
Je vais m'ôter hors de sa voie,
295 | Et me cacher dedans ce coin. |
GILLETTE.
Ô qu'il est encore bien loin
Du but où son désir aspire,
Et si paravant qu'il y tire,
Je me ferai bien supplier,
300 | Il parle de me marier |
À je ne sais quel badaud d'homme,
Auquel il promet une somme
D'argent, afin de ma doter :
Et tout cela pour me monter,
305 | Mais ma foi je suis bien plus fine, |
Qu'il ne paraît pas à ma mine,
Les villes où j'ai demeuré,
Ont mon esprit du tout leurré,
Je ne suis pas ainsi légère
310 | Bon pour quelque simple bergère, |
Qui dessous l'ombre des ormeaux,
N'a jamais vu que ses troupeaux.
MATURIN.
Quelque peine que j'ai su vendre,
Jamais je n'ai su bien entendre,
315 | Cela que Gillette a conté, |
Et si j'ai fort bien écouté,
C'est fait, la harangue est finie,
Allons après, car je renie
Tous les grands diables des enfers,
320 | Si cette occasion je perds, |
J'en ferai longtemps pénitence,
Touche de vive repentance,
Hau, Hau, Gillette : un mot, un mot.
GILLETTE parle, le vers suivant seule, puis les suivants à Maturin.
Que me veut dire ce gros sot ?
325 | Est-ce toi qui m'a appelée ? |
Je n'étais pas bien loin allée,
Que me veux-tu ?
MATURIN.
Vous discourir,
D'un chaud mal qui me fait mourir,
S'il vous plaît le vouloir entendre.
GILLETTE.
330 | Si c'est un mal qui puisse prendre, |
Cartier à part, retire toi, [ 9 Cartier : Celui qui fait et vend des cartes à jouer.[L]]
Il n'approche si près de moi.
MATURIN.
Encore que mon mal soit extrême,
Si n'offense-t-il que moi-même,
335 | Moi tout seul j'en ressens les coups, |
Bien que la cause en soit en vous.
GILLETTE.
Je n'entends tel discours frivoles,
Éclaircis-moi mieux ces paroles,
Sinon je m'en vais te quitter.
MATURIN.
340 | Hé ne veuillez vous dépiter, |
En peu de mots je vais vous dire
Le mal qui fait que je soupire,
Sachez doncques que mon tourment
Procède de cous promptement,
345 | C'est vous qui m'avez fait malade, |
Par la force de mainte oeillade,
Que vos yeux me surent darder,
Lorsque j'osai vous regarder,
Un jour que nous étions ensemble.
GILLETTE.
350 | De crainte et de frayeur je tremble, |
T'oyant dire que de mes yeux
Il sort un mal contagieux,
Ha ha, la plaisante cassade, [ 10 Cassade : Bourde qu'on invente, mauvaise excuse, défaite. Donneur de cassades. [L]]
Ô que te voilà bien malade,
355 | Pauvre homme fait ton testament, |
De peur de mourir promptement.
MATURIN.
Quoi donques, Gillette cruelle,
Au lieu d'une amour mutuelle,
Vous vous moquez ainsi de moi ?
360 | Vous en souvienne par ma fois, |
Si je puis j'en prendrai vengeance,
Ou je manquerai de puissance,
Vous donnant pour dure châtiment,
De mon corps un embrassement,
365 | Ça vous l'aurez tout à cette heure. |
GILLETTE.
Lâche moi, Maturin demeure,
Ainsi me veux-tu châtier,
Qu'en dépit du galefretier ; [ 11 Galefretier : Terme vieilli qui signifie homme de rien, homme sans feu ni lieu.]
Voilà mon couvre-chef par terre,
370 | Qu'au diable je donne le herre. [ 12 Herre : Étoffe d'un tissu grossier dont les brasseurs se font des vêtements de travail, et qu'ils étendent sur les tringles de la touraille. [CNRTL]] |
MATURIN.
Et moi vous quittant en ce lieu,
M'en allant je me donne à Dieu.
SCÈNE II.
Le Gentilhomme, et Gillette.
LE GENTILHOMME.
Le mal d'amour est incurable,
Si le doux sujet agréable
375 | Qui cause notre passion, |
N'en a quelque compassion,
Pour chose que j'aie su faire,
Jamais je n'ai pu me distraire
De l'amour que je vais pourtant,
380 | À Gillette que j'aime tant, |
Et dont je suis presque idolâtre,
Elle fait de l'opiniâtre,
M'alléguant l'honneur pour raison
Et que jamais dans sa maison,
385 | Fille de ne s'est tant oubliée, |
Que d'être garce publiée;
Et qu'elle ne commencera,
Mais que plutôt elle mourra,
Et quelle ne commencera,
390 | Mais que plutôt elle mourra, |
Discours que m'a mis en tel doute,
Que peu s'est fallu, qu'en déroute
je n'ai le combat entrepris
Quitté, sans emporter le prix,
395 | Et certes j'étais en ce terme, |
Presque réduit m'y tenant ferme,
Sans que je me suis avisé,
Qu'il n'est rien de si déguisé,
Que les paroles d'une femme,
400 | Et que souvent dedans leur âme |
Elles pensent tout autrement,
Que leur propos dits faussement,
Pourquoi reprenant ma brisée,
Je vais voir si cette rusée
405 | Qui se veut faire courtiser, |
Aurait point bien peu d'aviser :
Hà ! Je le vois eu lieu commode,
Je vais l'accoster à ma mode.
GILLETTE voyant venir la Gentilhomme, parle ainsi seule.
Voilà Monsieur, qui vient vers moi,
410 | Pour me parler comme je crois, |
De l'affection qu'il me porte,
Et qu'il me dit être si forte,
Que rien ne la peut égaler,
Comme je vais dissimuler,
415 | Et faire encor de la fâcheuse, |
Ainsi qu'elle fille honteuse,
Qui n'a pas encore goûté
De fruit d'amour tant souhaité,
Mais mot, car le voici tout contre,
420 | Vois comme il se met sur le montre, |
Et comme il est partout poli,
Le tout pour me sembler joli.
LE GENTILHOMME.
Mon coeur, ma Gillette, ma bonne,
Pendant que l'on ne voit personne
425 | À travers cette cours marcher, |
Allons un peu dans ce bûcher,
Ou bien si tu l'as agréable,
Retirons nous en cette étable,
En laquelle sont les chevaux,
430 | Là je te dirai les travaux |
En quoi je vis, pour te voir dure
À m'accorder ce que nature
Fait exercer aux animaux
Tant raisonnable que brutaux.
GILLETTE.
435 | Monsieur, il n'est point nécessaire |
Que j'entende une telle affaire,
S'il vous plaît, vous m'excuserez,
Et seule ici me laisserez,
Afin d'achever ma besogne,
440 | Que ma maîtresse ne me hogne. [ 13 Hogner : grogne, grommeler, gronder. [CNRTL]] |
LE GENTILHOMME.
Ha Gillette, ho qu'est ceci,
Quoi me faut-il traiter ainsi ?
Comment, tant plus tu me captives,
Et plus tu fais la rétive,
445 | Chasse de toi cette rigueur, |
Et prends pitié de ma langueur.
GILLETTE.
Monsieur, la pitié sans remède
N'est propre au mal qui vous possède,
Puis quand je pourrais vous aider,
450 | Je ne veux pas m'y hasarder, |
D'autant que l'honneur que j'estime,
Fait que je déteste ce crime.
LE GENTILHOMME.
Ce n'est pas un crime qu'aimer,
Aucun ne t'en saurait blâmer,
455 | S'il n'est bien ignorantissime. |
GILLETTE.
Bon pour un amour légitime,
Mais son contraire est vicieux,
Étant même haï des cieux,
Ainsi que j'entends souvent dire
460 | À notre bon homme messire. |
Jean des Jardins.
LE GENTILHOMME.
Ha, ha, vraiment
Il prêche ore ce document, [ 14 Ore : or. [L]]
Cassé de la grande faiblesse
Qui l'accompagne en sa vieillesse,
465 | Mais durant les beaux jeunes ans, |
Il se donnait bien du bon temps,
Ne faisant nulle conscience
De vivre en sainte continence. [ 15 Continence : Abstinence des plaisirs de l'amour. [L]]
GILLETTE.
Monsieur, votre accusation
470 | Est fort sujette à caution, |
D'autant que vous êtes contraire
À la foi pure et salutaire,
Que ce bon messire vieillard
Nous prêche simplement sans fard.
LE GENTILHOMME.
475 | Bien que ma foi prenne origine |
De la fine prêche calvine,
Si ne voudrai-je avoir blâmé
Un homme de bien renommé
De quelque sexe qu'il peut être,
480 | Soit païen, musulman ou prêtre ; |
Mais c'en est assez devisé,
Reprenons le discours brisé,
Dont mon amour est la matière;
Et me dis si toujours entière
485 | Tu resteras à me nier |
Des amants le plaisir dernier :
Ma Gillette trop accomplie,
Avise toi je te supplie,
Et ne le laisse plus ainsi
490 | D'ennuis et de peine transi, |
Aime moi Gillette ma vie,
Aime moi donc je t'en convie
Par tout ce qui peut émouvoir.
GILLETTE.
Monsieur, je sais que mon devoir
495 | Est de vous aimer comme maître, |
Et de vous le faire paraître
Vous servant bien, mais pour amants
Vous aimer, l'on m'irait blâmant.
LE GENTILHOMME.
Aucun n'en saura la nouvelle,
500 | Car je te serai fort fidèle. |
GILLETTE.
Quand bien votre discrétion
Irait celant sa passion,
Par ma foi, J'aurais trop de crainte
De devenir en bref enceinte.
LE GENTILHOMME.
505 | Que cela ne te fasse peur, |
Je sais prévenir ce malheur
Par une certaine science
Dont j'ai parfaite expérience.
GILLETTE à part elle, puis au Gentilhomme.
Me voici tantôt aux abois,
510 | Si mon esprit fin et matois |
N'invente quelque échappatoire
Qui lui retard la victoire :
Monsieur, Monsieur retirez-vous,
Je viens de voir tout près de nous
515 | Mademoiselle qui sans doute |
Trop défiante nous écoute.
LE GENTILHOMME.
Je m'en vais donc, mais cependant
Pense de m'aller accordant,
Tu m'entends bien sans davantage
520 | Y dépendre plus de langage. |
Si je ne me vais décevant
Me voilà tantôt bien avant
Dans mon amoureuse entreprise :
Gillette m'est certes acquise,
525 | Je ne vois plus rien me resteras |
Qu'un lieu propre pour l'ajuster,
Lequel en toute diligence
Je vais chercher dans le silence
De cette obscure et proche nuit,
530 | Propre pour l'amoureux déduit |
ACTE III
SCÈNE I.
Maître Jossse prêtre et Maturin.
MAÎTRE JOSSE.
Que le monde est plein de malice,
Comme il se va souillant au vice
N'estimant non plus la Vertu
Que l'on ferait un vieil fétu.
535 | Non seulement le populaire |
Se vit plaisant à tout mal faire,
Mais [tant] que l'on voit les plus hauts
En honneurs, ont plusieurs défauts
Et telles personnes célèbres,
540 | Ne sont ici que des ténèbres, |
Au lieu d'être un flambeau luisant
Qui nous aille au bien conduisant.
Mais ce qui plus encore me fâcher
Et qui fait qu'à tous coups je lâche
545 | Des cris d'ennui, c'est que j'en vois |
Faisant les saints tous plein de foi,
Qui n'ont dedans a fantaisie
Rien qu'une fausse hypocrisies :
Ô gent méchante, et dont l'enfer
550 | En bref se verra triompher. |
MATURIN.
J'allais jusques au presbytère [ 16 Presbytère : maison du curé. [L]]
Voir maître Josse débonnaire,
Pour l'avertir d'un nouveau cas
Qui se passe, et qu'il ne sait pas :
555 | Mais le voici, dont j'ai grand' joie, |
Même il vient par cette voie :
Bonjour, Monsieur.
MAÎTRE JOSSE.
À vous aussi
Que faisais-tu tout seul aussi.
MATURIN.
Monsieur, j'allais chez vous me rendre
560 | Pour une chose vous apprendre, |
Dont vous seriez certes fâché
S'il en arrivait du pécher.
MAÎTRE JOSSE.
Conte le mon, sans plus attendre,
Car je désir de l'entendre.
MATURIN.
565 | Monsieur, mon maître est transposé |
De la bonne grâce et beauté
De Gillette, sans fin sans cesse
Il la cherche, poursuit et presse
Sans lui donner aucun repos :
570 | Et j'ai grand peur pour ses propos |
Accompagnés d'un présent riche,
Fassent qu'enfin il ne lui niche
Son étourneau dans son boulin, [ 17 Boulin : Pot de terre qui sert de retraite aux pigeons. [L]]
Car c'est un mauvais patelin : [ 18 Patelin : Fig. Celui qui tâche, par des flatteries et de belles paroles, de tromper, ou, simplement, d'en venir à ses fins [L]]
575 | Pourquoi Monsieur je vous conjure |
Au moins du facteur de nature,
Et lequel vous allez servent,
De vois Gillette, paravant
Que mon maître qui la cajole
580 | Monte dessus et la bricole [ 19 Bricole : Partie du harnais d'un cheval qui s'applique à son poitrail. [L]] |
Ce qui me fait vous en prier,
C'est qu'elle étant à marier
J'ai désir d'aller voir son père,
Et la bonne femme de mère,
585 | Pour les supplier de bon coeur |
De ma faire cette faveur,
De vouloir franchement entendre
À me recevoir pour leur gendre.
MAÎTRE JOSSE.
Une fille de douce humeur
590 | Laquelle aime sur tout l'honneur, |
M'est venu voir depuis naguère,
Qui m'a conté tout le mystère
Que tu me viens de réciter,
Ma suppliant de rapporter
595 | Tout ce qui me serait possible, |
Pour empêcher ce vice horrible.
C'est pourquoi je m'acheminais
Vers ce quartier, pour d'une voix
De charité douce et plaignante,
600 | Remontrer à cette servante. |
MATURIN.
Continuez votre chemin,
Vous ferez un oeuvre divin.
MAÎTRE JOSSE.
Si fais-je, et si de plus j'espère
Mon voyage être salutaire.
SCÈNE II.
Le Gentilhomme, et Gillette.
LE GENTILHOMME.
605 | Après avoir bien débattu, |
Bien résisté, bien combattu
Enfin ma Gillette, ma vie,
Tu as accompli mon envie :
Par quoi tu te peux assurer
610 | De voir toujours sans fin durer |
L'amitié que je t'ai promise.
GILLETTE.
Las ! Monsieur, vous m'avez surprise
Lorsque je ne guettais pas,
Étant couchée entre les draps
615 | Autrement, c'est chose arrêtée, |
Vous ne m'eussiez ainsi gâtée :
Or puis que vous m'avez ravi
Mon pucelage poursuivi
Par maints garçons, je vous exhorte
620 | À m'aimer d'une manière bien forte, |
Ayant de moi toujours du soin,
Ne me délaissant au besoin,
S'il arrivait que la fortune
Vers moi se montrât importune.
LE GENTILHOMME.
625 | Gillette, je te fais serment |
De t'aimer bien fidèlement,
Et quelque chose qu'il survienne
De te tenir toujours pour mienne
Te faisant part de mes trésors
630 | Comme je te fais de mon corps : |
Mais de ta part sois moi fidèle
M'aimant d'une amour immortelle.
GILLETTE.
Monsieur, vivez en sûreté
Que toujours ma fidélité
635 | Sera comme un roc immuable : |
Puis vous êtes par trop aimable
Pour qui que ce fut vous changer,
Non je n'ai pas l'esprit léger
Comme une arondelle qui vole, [ 20 Arondelle : aronde, hirondelle. [L]]
640 | Je suis de votre amour trop folle. |
LE GENTILHOMME.
Et le tien bien plus je chéris,
Que si j'étais ton vrai mari :
Or sus viens ça que je te baise
Cinq ou six coups tout à mon aise.
645 | Un si doux et friand plaisir |
En t'embrassant me vient saisir,
Que j'y serai une semaine,
Si tu n'en avais de la peine.
GILLETTE.
Ho c'est assez pour une fois :
650 | Ne me baisassiez-vous d'un mois |
Vous m'avez tellement pressée,
Que j'en ai le bouche enfoncée.
LE GENTILHOMME.
Je t'aime tant que je voudrai-je
Pouvoir du tout m'unir à toi.
ACTE IV.
SCÈNE I.
Maître Josse, et Gillette.
MAÎTRE JOSSE.
655 | Je m'étais mis ici derrière, |
Feignant de dire mon bréviaire
Attendant que je pourrais voir
Gillette que veut décevoir
Son maître trop amoureux d'elle,
660 | Parce qu'elle est un peu plus belle |
Que se femme, de qui les yeux
N'ont plus rien qui soit gracieux.
Mais si bientôt elle ne passe
Près de moi ; c'est fait, je me lasse,
665 | Je ne saurais plus me tenir |
En ce lieu, la voici venir :
Je crois que son Ange lucide
Tout exprès devers moi la guide,
À celle fin de l'exhorter
670 | À chastement se comporter : |
Or je sors de mon échauguette [ 21 Échauguette : Espèce de guérite de bois qui est placée sur un lieu élevé et où l'on met une sentinelle. [L]]
Pour l'a[ssa]ssiner de ma baguette.
GILLETTE à par elle.
Que me veut ce beau sermonnement.
MAÎTRE JOSSE.
Écoute Gillette, ma soeur
675 | D'Ève et d'Adam. |
GILLETTE à par elle.
Monsieur j'ai hâte. |
J'ai laissé dans l[e] met la pâte,
Je m'en vais pour faire le pain.
MAÎTRE JOSSE.
Si n'iras-tu pas si soudain
Que premier je ne t'avertisse
680 | Que tu te gardes bien d'un vice |
Où ton maître veut t'attirer,
Ne le crois pas pour soupirer,
Son discours est plein de cautelle [ 22 Cautelle : Précaution mêlée de défiance et de ruse. [L]]
Comme celui d'un infidèle :
685 | Et bien qu'il soit fort diligent |
À te promettre de l'argent,
Voire même de t'en faire offre,
En eut-il le comble d'un coffre,
N'en prends en sol, l'honneur vaut mieux
690 | Que tous les trésors précieux : |
Puis d'autre part aies empreinte
Dedans le coeur de Dieu la crainte,
Pense en la mort qui de son dard
Nous vient percer de part en part,
695 | Alors que notre âme insensée |
Y porte le moins sa pensée.
Les pense aux tourments destinés
Aux bas enfers pour les damnés,
Lesquels n'ont jamais d'intermède
700 | Comme étant sans aucun remède. |
Penses-y ma fille souvent,
Et ne rejette pas au vent
Le bon conseil que je te donne.
GILLETTE.
Monsieur, je ne sache personne
705 | Qui puisse avec vérité |
M'accuser d'impudicité,
Je suis bien pauvre, mais honnête,
Et ne serai jamais si bête
De prêter nul consentement
710 | À vivre si brutalement |
Monsieur, je ne suis pas si promptement
À croire quand quelqu'un m'en conte :
Je sais fort bien le renvoyer
Autre part se désennuyer.
MAÎTRE JOSSE.
715 | C'est très bien fait, dit-il merveille, |
N'y prête jamais ton oreille :
Fuis tel causeurs comme un serpent,
Car las trop tard l'on se repent
D'avoir cru leurs paroles saintes,
720 | Qui causent après mille plaintes. |
Or bien, puisque je reconnais,
Que tu veux vivre sous les lois
De la vertu, sainte portière
De Paradis, je fais prière
725 | Au Tout-puissant, qu'à l'avenir, |
Il te veuille toujours tenir
En sa très sainte bienveillance,
Sans que rien te porte nuisance.
Adieu ma fille, qu'à jamais
730 | Il te donne sa douce paix. |
GILLETTE.
Adieu Monsieur, qu'on récompense
Il vous garde de toute offense :
Vivez joyeux sans ressentir
Onques les coups d'une repentir.
735 | Pourtant ce bon prêtre honorable |
M'a dit chose très profitable
Si je pouvais l'exécuter.
Moi pour ne pas le mécontenter,
J'ai fait de la sainte nitouche, [ 23 Sainte nitouche : Usité seulement dans cette locution familière, sainte nitouche, personne hypocrite, doucereuse, affectant la simplicité et l'innocence. [L]]
740 | Parlant d'honneur à pleine bouche, |
Et tenant en mon coeur caché
Ce plaisir qu'il nomme pécher,
Qui ne l'est qu'en tant qu'on l'évente,
Et que par sottise on s'en vante.
SCÈNE II.
LA DEMOISELLE.
745 | Perfide méchant et léger |
Tu m'as doncques voulu changer
Suivant sa passion brutale,
Pour une qui m'est inégale
De richesse et d'extraction,
750 | Et qui n'a de perfection |
Pour attirer un bon courage,
Que quelques beaux traits de visage,
Encore dépourvus d'appas
Sinon pour quelques esprits bas,
755 | Au nombre desquels je se conte, |
Puisque tu n'as aucune honte
De quitter mon amour certain,
Pour embrasser cette putain :
Encore ne suis-je point si laide
760 | Qu'on me puisse dire un remède |
Pour quérir la mal de Cypris :
Non, ma beauté n'est pas sans prix,
Je me vis hier devant ma glace
Où je remarquai que ma face
765 | A des attraits assez charmants |
Pour esclaver plusieurs amants :
Et quand il serait au contraire
Si devrai je bien te plaire,
M'ayant cette obligation
770 | Que d'avoir fait élection |
De sa personne, au préjudice
De cent qui m'offraient leur service.
Ô que si j'eusse pu prévoir
Le manquement de ton devoir,
775 | Assure toi vilain lubrique |
Que je t'eusse bien fait la nique, [ 24 Nique : Usité seulement dans cette locution : faire la nique à quelqu'un, lui témoigner moquerie et mépris par un certain signe de tête. [L]]
Te renvoyant dans un bordeau
Amortir le paillard flambeau [ 25 Paillard : Proprement, celui, celle qui couche sur la paille, homme, femme misérable. [L]]
Que l'amour, non mais bien érine, [ 26 Érine : Terme d'anatomie et de chirurgie. Petite pince armée de crochets dont on se sert soit en disséquant soit dans certaines opérations pour soulever et écarter les parties qu'on veut disséquer. [L]]
780 | Alluma dedans ta poitrine : |
Mais à quoi tant de vains discours ?
Me vengerai-je point des tours
De ce méchant rempli d'ordure ?
Oui, je m'en vengerai, j'en jure,
785 | Et voire tout présentement, |
Ayant à mon commandement
Sa mignonne et bonne commère,
Que je vais battre de colère,
Cependant qu'il est empêché
790 | À se promener au marché. |
LA DEMOISELLE va trouver Gillette et la bas, ce qui fait qu'elle lui parle ainsi.
Hélas pourquoi suis-je battue,
À l'aide, accourez on me tue,
Hé je vous demande pardon,
Las ! Est-ce là donc le guerdon [ 27 Guerdon : Terme vieilli. Récompense. [L]]
795 | De mon très fidèle service. |
LA DEMOISELLE.
Non, mais bien celui de ton vice.
MATURIN.
Digne morbieu que vois-je là ?
Tout beau, tout beau, holà, holà,
Mademoiselle.
LA DEMOISELLE.
Ta fièvre quartaine,
800 | Tu défends donc cette vilaine ? |
Par la merci-bieu grand pendard,
Je m'en vais bien rosser ton lard.
MATURIN.
Haro, morbieu comme elle frappe, [ 28 Haro : Fig. et familièrement. Crier haro sur quelqu'un, se récrier contre ce qu'il dit ou fait. [L]]
C'est pour le meilleur que j'échappe,
805 | Car je n'aime pas bien le ton, |
Que sonnent les coup de bâton
Dessus mon dos et sur ma tête,
Mais fuis pauvrette et ne t'arrête,
Pendant que Mademoiselle oint
810 | D'huile de latte mon pourpoint. [ 29 Latte : Il se dit quelquefois pour instrument de bastonnade. [L]] |
LA DEMOISELLE.
Merci bien grand erre d'hôtière, [ 30 Erre : Train, allure. [L]]
Tu l'as donc fait fuir arrière ?
Ho, sans doute nez de taureau,
Tu lui servais de maquereau,
815 | Puisqu'ainsi tu la favorises |
Et que tu m'as lâcher prise.
MATURIN.
Je n'entends point cette leçon,
Est-ce de boeuf ou du poisson ?
Je n'en ai nulle connaissance,
820 | Je manque trop de suffisance, |
Et ne suis assez bon valet,
Pour savoir porter le poulet
Mais je sais bien sous une treille,
Vider plutôt une bouteille,
825 | Puis au partir de la chanter, |
Rire, gaudir, danser, sauter. [ 31 Gaudir : Terme familier et qui commence à vieillir. Se réjouir. [L]]
LA DEMOISELLE.
Quoi doncques, ce faquin se moque ?
Il faut qu'encore je le choque
À coups de pierres, et là donc.
MATURIN.
830 | Hé comme je tire le long, |
Digne morbieu, sans raillerie,
Il m'est à voir d'une furie,
Qui marche et fait maint soubresaut,
Sur une théâtre large et haut.
LA DEMOISELLE.
835 | Or maintenant je suis vengée, |
Ma bonne pièce est délogée,
Après avoir un coteret [ 32 Coteret : Nom des deux principales pièces du métier à tapisserie de haute lisse. [L]]
Épous[se]té son corps guilleret, [ 33 Guilleret : Qui a une pointe de gaieté. [L]]
Hà que je l'eusse bien lattée,
840 | Si ce coquin ne l'eût ôtée |
D'entre mes points, et mon mari
En dut-il faire le mari,
Si désormais l'amour le pique,
Il chosera cette impudique, [ 34 Choser : Gronder qqn, blâmer qqn, chercher querelle à qqn. [CNRTL]]
845 | Ailleurs qu'en ce lieu de respect, |
Il se peut bien torcher le bec.
ACTE V
SCÈNE I.
Le Gentilhomme, et Maturin.
LE GENTILHOMME.
Par la vertubleu quand j'y pense,
Un malheureux influence,
Des étoiles aux cours divers,
850 | M'a bien vu ce jour de travers, |
Pendant que j'étais à la ville,
Ma femme un peu trop incivile,,
A fait vider honteusement
Gillette mon contentement
855 | Sans avoir égard au scandale, |
Qu'aux yeux d'un chacun elle étale,
Commettant tel acte indiscret;
Qu'elle devait tenir secret,
Pour me rendre bien diffamée
860 | De la sorte, la renommée |
De sa maison; ni celle aussi
De Gillette, mon doux souci
Ha, si par quelque intelligence
Le ciel m'eut donné la science
865 | D'avoir ce malheur deviné, |
Pour rien je n'eusse abandonné
Cette maison, ores déserte,
Faisant une grande perte,
Laquelle je l'espérais
870 | Recouvrer en bref, je mourrais, |
Car l'ennui qui me fait la guerre
Me jetterait bientôt par terre,
Or donc afin de prévenir
Tout le mal qui pourrait venir
875 | De cet accident déplorable |
Qui me serait fort reprochable,
S'il ne se voyait réparé,
Pour un tour d'esprit admiré,
Inventons quelque trait notable,
880 | Que l'on croit si vraisemblable, |
Que l'on n'en sache que juger,
Ho, c'est fait j'y viens songer,
Amour petit-fils de Cyprine,
Vraiment ta puissance est divine
885 | D'aiguiser si bien les esprits |
De ceux que tu détiens épris
D'une beauté jeune et gaillarde,
Qui d'un oeil riant les regarde,
Or sus je m'en vais réciter
890 | Ce que tu m'as fait inventer, |
C'est que je cherche du remède
En la cause d'où me procède
L'ennui dont je suis tourmenté
Autrement tout serait gâté,
895 | Il faut que je chérisse et flatte, |
Notre jeune servante Agathe,
De qui l'esprit fin et rusé
tout notre malheur a causé,
Puis mais que l'ai gagnée,
900 | Par le moyen d'une poignée |
De quarts d 'écus, je lui ferai
Dédire le mal avéré,
Par la languette conteresse [ 35 Conteresse : Celle qui raconte qqc. [L]]
À sa trop crédule maîtresse,
905 | Mais mot, ici près j'aperçois |
Maturin qui vient vers moi,
Que dit-on Maturin, bien est-ce ?
MATURIN.
Par la mordienne ma maîtresse
A fait naguère bien du bruit
910 | Je pensais que tout fut détruit |
Oyant gronder dedans sa tête
Une affreuse et rude tempête,
Laquelle est tombée à grand bonds,
Dessus Gillette aux cheveux blonds,
915 | Et même sur mes omoplates, |
En la tirant d'entre ses pattes.
LE GENTILHOMME.
Ô malheur ! En arrivant,
J'ai trouvé Marthe ici devant,
Laquelle n'a dit la furie
920 | De ta maîtresse, et sa crierie. [ 36 Crierie : Cris importuns. [L]] |
MATURIN.
Par bieu, Monsieur vous ferez bien,
Si cette rage encor la tient,
De n'entrer sitôt dans la salle,
De crainte qu'elle ne vous halle,
925 | Ou plutôt qu'elle vous saute au collet, |
Et vous plume comme un poulet.
LE GENTILHOMME.
Elle est doncques bien transportée,
MATURIN.
Elle est tellement agitée
De jalousie et de fureur,
930 | Que j'en tremble encore d'horreur, |
Et mais que votre honneur se garde,
J'ai fait quelque peu de moutarde,
Dedans le fond de ce vieil étui
De mon fessier, le tout d'ennui,
935 | D'avoir vu telle batterie |
Sur Gillette ma favorite. [ 37 On lit favorie au lieu de favorite.]
LE GENTILHOMME.
Me contant ce mal arrivé,
Tu fais ici tout du privé,
Or va-t-en et ne te soucie,
940 | Je rendrai ma femme adoucie, |
Avant que le soleil qui luit,
Fasse place à l'obscure nuit,
Que n'ai-je au mal qui me tourmente,
Une âme aussi bien patiente,
945 | Que celle de ce fol garçon, |
Qui rit de tout, de la façon
Que faisait jadis Démocrite,
Dont l'on vante encor le mérite.
SCÈNE II et dernière.
Maturin et Maître Josse.
MATURIN.
Gambades, gambades en l'air,
950 | C'est fait, il n'en faut plus parler |
Le sort répare mes dommages,
Et m'élève cinq cent étages
Par dessus toute sorte d'heur,
Je pète dessus la grandeur,
955 | Des plus haut huppés de remarque, |
Et ne voudrais être monarque,
Des mores, ni des ottomans,
Ni de nos cousins allemands,
Ha comme je m'en vais m'ébattre,
960 | Et m'en donner autant que quatre, |
Ha comme je m'en vais tantôt
Remplir ma panse de bon rôt,
Et de cidre mon cher délice,
Afin d'être plus fort en lice,
965 | Lors qu'il faudra m'y présenter |
Cette nuit proche, pour jouter
Avec ma lance naturelle,
Contre une qui m'était rebelle,
Mais je me vais trop retardant,
970 | Le temps se passe, et cependant |
Mon contentement se diffère,
Sus allons vite au presbytère
Quérir Maître Josse le Roux,
Pour me faire monsieur l'époux,
975 | Je vais frapper d'une main forte, |
De mon bâton contre sa porte.
MAÎTRE JOSSE.
Ho, qui frappe si rudement ?
MATURIN.
Monsieur ouvrez-moi promptement,
J'ai hâte je sui hors d'haleine
980 | D'avoir course. |
MAÎTRE JOSSE.
Ho quelle peine |
Est-ce toi qui vient m'affliger ?
MATURIN.
Monsieur, vous pouvez l'alléger,
Accordant mon humble requête,
Et mettant dessus votre tête
985 | Votre large bonnet carré. |
MAÎTRE JOSSE.
Et quand je m'en serai paré,
Que servira cette entreprise.
MATURIN.
Nous nous en irons à l'église,
Où la robe sur votre dos,
990 | Vous me direz, coniongo vos. |
MAÎTRE JOSSE.
Ores j'entends ton badinage,
Tu me parles de mariage,
N'est-il pas vrai.
MATURIN.
Monsieur, oui.
MAÎTRE JOSSE.
Vraiment j'en suis tout réjoui,
995 | À la bonne heure, Dieu te donne |
Une femme gentille et bonne,
Mais dis, comment la nomme-t-on.
MATURIN.
C'est la fille de Rogaton.
MAÎTRE JOSSE.
Oui, Gillette, votre servante ?
MATURIN.
1000 | C'est celle qui je me vante. |
MAÎTRE JOSSE.
Ma foi, je n'en suis pas fâché,
Mais comment s'est fait ce marché ?
Mademoiselle courroucée
Ne l'avait-elle pas chassée ?
MATURIN.
1005 | Oui, par un mauvais rapport |
Que l'on lui fit.
MAÎTRE JOSSE.
Elle eut grand tort
De faire boire cette honte
À cette fille, elle est trop prompte,
Vraiment je ne l'eusse pensé,
1010 | Mais comme tout s'est-il passé, |
Je voudrais bien un peu l'entendre.
MATURIN.
Encore qu'il me fâche d'attendre
Si longuement, je veux pourtant
Le tout vous aller racontant.
1015 | Mademoiselle fut saisie |
Du mal qu'on nomme jalousie,
Par une faux rapport inventé,
Dont son esprit fut transportée
Hors des limites raisonnables,
1020 | Comme celui des bacchanales, |
Mais pour abréger mon discours,
Oyez, qui fit ce méchant tout,
Ce fut Agathe la mauvaise,
De qui l'esprit n'est jamais aise,
1025 | S'il n'apporte quelque débat, |
Qui fasse venir au combat,
Or comme elle était résolue
De cette action dissolue
S'en moquant seulette à l'écart,
1030 | Mademoiselle en quelque part, |
Entendit au long l'artifice
Qu'avait tins cette fine épice, [ 38 Fine épice : C'est une fine épice, se dit d'un homme rusé. [L]]
Ce qui fait qu'elle la tança,
Et rudement la menaça
1035 | De lui donner dessus la joue, |
Si devant tous elle ne loue
Gillette lui criant merci
De l'avoir offensée ainsi
Puis cela fait elle commande,
1040 | Que tout sur le champ on lui mande |
Qu'elle revienne promptement,
Et son père semblablement,
Étant venue en diligence
Chacun connut son innocence,
1045 | Et qu'Agathe pour se venger, |
L'avait voulu ainsi charger
Dont je sentis telle allégresse,
Que j'en fis maint tout de souplesse,
Puis sans plus longtemps dilayer, [ 39 Dilayer : Renvoyer à un temps plus éloigné. [L]]
1050 | Humblement j'allais supplier |
Son père, auquel elle ressemble
De nous vouloir conjoindre ensemble,
Ce qu'enfin m'ayant accordé,
Devers vous je suis abordé,
1055 | Pour requérir votre assistance. |
MAÎTRE JOSSE.
Cela va bien, or sus avance,
Allons nous-en te marier.
MATURIN.
Allons mais je voudrais prier
Cette assistance vénérable,
1060 | De prendre place à notre table, |
Et d'être de notre festin,
Mais je crains que l'esprit mutin
De notre bonne Damoiselle
Ne leur brasse quelque querelle
1065 | Dont j'aurais un bien grand émoi |
Pour ce chacun aille chez soi.
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Notes
[1] Nocière : inusité. Qui appartient, préside aux noces. [L]
[2] Fion : Terme populaire. Tournure, bonne façon. Il a du fion. [L]
[3] Seulet : Diminutif de seul, usité seulement dans le style pastoral et surtout au féminin. [L]
[4] Pitaud : Par dénigrement, homme, femme de la campagne de lourde structure. [L]
[5] Chambrière : Femme attachée au service de la personne et des chambres. On dit maintenant femme de chambre. [L]
[6] Crécerelle : Oiseau de proie du genre faucon. [L]
[7] Vueil : volonté, voloir. [CNRTL]
[8] Nicette : nicet ; Terme vieilli. Quelqu'un qui ne sait pas, simple par ignorance.
[9] Cartier : Celui qui fait et vend des cartes à jouer.[L]
[10] Cassade : Bourde qu'on invente, mauvaise excuse, défaite. Donneur de cassades. [L]
[11] Galefretier : Terme vieilli qui signifie homme de rien, homme sans feu ni lieu.
[12] Herre : Étoffe d'un tissu grossier dont les brasseurs se font des vêtements de travail, et qu'ils étendent sur les tringles de la touraille. [CNRTL]
[13] Hogner : grogne, grommeler, gronder. [CNRTL]
[14] Ore : or. [L]
[15] Continence : Abstinence des plaisirs de l'amour. [L]
[16] Presbytère : maison du curé. [L]
[17] Boulin : Pot de terre qui sert de retraite aux pigeons. [L]
[18] Patelin : Fig. Celui qui tâche, par des flatteries et de belles paroles, de tromper, ou, simplement, d'en venir à ses fins [L]
[19] Bricole : Partie du harnais d'un cheval qui s'applique à son poitrail. [L]
[20] Arondelle : aronde, hirondelle. [L]
[21] Échauguette : Espèce de guérite de bois qui est placée sur un lieu élevé et où l'on met une sentinelle. [L]
[22] Cautelle : Précaution mêlée de défiance et de ruse. [L]
[23] Sainte nitouche : Usité seulement dans cette locution familière, sainte nitouche, personne hypocrite, doucereuse, affectant la simplicité et l'innocence. [L]
[24] Nique : Usité seulement dans cette locution : faire la nique à quelqu'un, lui témoigner moquerie et mépris par un certain signe de tête. [L]
[25] Paillard : Proprement, celui, celle qui couche sur la paille, homme, femme misérable. [L]
[26] Érine : Terme d'anatomie et de chirurgie. Petite pince armée de crochets dont on se sert soit en disséquant soit dans certaines opérations pour soulever et écarter les parties qu'on veut disséquer. [L]
[27] Guerdon : Terme vieilli. Récompense. [L]
[28] Haro : Fig. et familièrement. Crier haro sur quelqu'un, se récrier contre ce qu'il dit ou fait. [L]
[29] Latte : Il se dit quelquefois pour instrument de bastonnade. [L]
[30] Erre : Train, allure. [L]
[31] Gaudir : Terme familier et qui commence à vieillir. Se réjouir. [L]
[32] Coteret : Nom des deux principales pièces du métier à tapisserie de haute lisse. [L]
[33] Guilleret : Qui a une pointe de gaieté. [L]
[34] Choser : Gronder qqn, blâmer qqn, chercher querelle à qqn. [CNRTL]
[35] Conteresse : Celle qui raconte qqc. [L]
[36] Crierie : Cris importuns. [L]
[37] On lit favorie au lieu de favorite.
[38] Fine épice : C'est une fine épice, se dit d'un homme rusé. [L]
[39] Dilayer : Renvoyer à un temps plus éloigné. [L]