GILLETTE

COMÉDIE FACÉTIEUSE

1620.

Par le Sieur D.

À ROUEN, DE L'IMPRIMERIE De David du Petit Val, Imprimeur Libraire ordinaire du Roi.


Texte établi par Paul FIÈVRE, février 2024

Publié par Paul FIEVRE, février 2024

© Théâtre classique - Version du texte du 30/09/2024 à 21:18:45.


L'AUTEUR À MONSIEUR SON INTIME.

Monsieur.

Mon intime, étant allé voir, il y a bien un mois, un mien parent, lequel demeure demi-lieue près la ville des Lexobiens : ainsi comme nous devisions de plusieurs choses plaisantes, selon son humeur joviale, entre autres bons conte du temps, il m'en récita un de l'amour folâtre d'un gentilhomme son voisin avec sa servante : auquel ayant pris grand plaisir, parce qu'il est fort comique, je me suis avisé de passer huit jours de ces ardentes chaleurs caniculaires, à lui donner forme de comédie, puis vous en faire un présent, d'autant que je sais que vous prenez plaisir à la lecture de telles facéties : recevez-le donc gaiement, et comme un petit témoignage de mon affection, que je vous promets durer autant que ma vie.

Votre intime ami pour vous servir D.

Ce 12 d'août 1619


ENTRE-PARLEURS.

LE GENTILHOMME, amoureux de Gillette sa servante.

GILLETTE, sa servente.

MATURIN, grand laquais du gentilhonne aussi amoureux de Gillette.

LA DEMOISELLE, maîtresse de Gillette et femme du Gentilhomme.

MAÎTRE JOSSE, prêtre vicaire.


ACTE I

SCÈNE I.
La Gentilhomme, Gillette.

LE GENTILHOMME.

Certes l'adage est véritable

Qui dit que dessus une table

Un met trop souvent présenté

Rend notre estomac dégoûté :

5   Bref une chose trop commune

En fin de temps nous importune.

Je dis ceci parlant de moi,

Qui suis sous la nocière loi  [ 1 Nocière : inusité. Qui appartient, préside aux noces. [L]]

Par le vouloir des destinées,

10   Arrêté depuis quinze années,

Ayant toujours à mon pouvoir

Rendu d'un mari le devoir

À ma moitié, mais cette flamme

D'amour, qui nous échauffait l'âme

15   Par le longtemps ci dessus dit

Maintenant fûmes [...] refroidis.

Ce qui fait que de notre couche

Je ne viens plus [...] escarmouche

Si souvent comme au temps passé,

20   Non pas que je sois harassé :

Mais c'est que par trop je me lasse

De ma compagne qui se casse,

Si bien que pour me rafraîchir

Il me faut les bornes franchir

25   Des vieilles lois du mariage,

Et rechercher d'une grand courage

Pour alléger ma passion

Quelque jeune et tendre fion  [ 2 Fion : Terme populaire. Tournure, bonne façon. Il a du fion. [L]]

Qui se fléchisse à ma prière.

30   Gillette notre chambrière

Serait fort propre à mon dessin,

Elle est gentille et tout à plein

De gaie humeur, elle sait dire

Fort à propos le mot pour rire,

35   Ce qu'ayant bien considéré,

Je m'en suis tout enamouré,

Mais néanmoins elle l'ignore,

N'ayant eu le moyen encore

De lui conter, et l'éprouver.

40   Or sus, je m'en vais la trouver,

Mais la voici, bonne aventure :

Vertu bleu le belle monture !

Voilà de quoi désennuyer

Un expert et fort écuyer :

45   Qu'elle est d'une gentille taille

Pour enter en champ de bataille :

Tant plus je vais la regardant

Plus mon coeur en devient ardent :

Approchons, c'est trop de demeure

50   Et l'accostons à la bonne heure.

GILLETTE, voyant venir monsieur devers elle, elle parle ainsi.

Monsieur vient devers moi tout doux

Je crois pour me tâter le pouls,

Car si je me suis déçue

Deux fois je me suis aperçue

55   Qu'il me voit d'un oeil amoureux.

LE GENTILHOMME.

Dès longtemps j'étais désireux

D'être rencontré, ma Gillette,

En quelque lieu toute seulette  [ 3 Seulet : Diminutif de seul, usité seulement dans le style pastoral et surtout au féminin. [L]]

Pour avoir la commodité

60   De te parler en sûreté.

Arrête donc, j'ai quelque chose

Que je te veux.

GILLETTE.

Monsieur, je n'ose

Plus longtemps ici m'arrêter.

LE GENTILHOMME.

Et qui te fait ainsi hâter ?

GILLETTE.

65   J'ai crainte de Mademoiselle.

LE GENTILHOMME.

Non, non, n'ayez point de peur d'elle,

Je te servirai de garant

Si vous avez du différent.

Pour ce sujet, doncques arrête,

70   Prêtant l'oreille à la requête

Que je m'en vais te déclarer :

Je ne cesse de soupirer,

Jour et nuit pour ton beau visage

Qui m'a su gagner le courage,

75   Et su tellement me forcer

Que je n'ai d'autre penser :

Pourquoi sans faire la hautaine

Prends pitié de ma dure peine,

Et ne permets que ce tourment

80   Me pousse dans le monument.

Tu serais certes bien coupable

Si tel accident déplorable

M'arrivait pour ton amitié ;

Mais si tu prends de moi pitié

85   Gillette, je te fais promesse

De te faire du bien sans cesse,

Et pour encor plus t'émouvoir,

Je te promets de te pourvoir

En te mariant à ton aise :

90   Or sus viens ça que je te baise

Et que je touche ton téton

Beaucoup plus vermeil qu'un bouton

De mois de mai, doncques approche.

GILLETTE.

Monsieur, l'on m'en ferait reproche :

95   S'il vous plaît de vous revirer.

LE GENTILHOMME.

Hé quoi ? Me veux tu marier ?

Tiens tiens voilà que je te donne,

C'est un ducat, ois comme il sonne

Un air du tout harmonieux,

100   Vois-tu comme il reluit aux yeux ?

Si je reconnais que tu m'aimes

Je t'en donnerai bien de même,

J'ai dans mon logis un trésor,

Où plusieurs pareils font encore.

105   Tiens, prends-le donc en espérance

D'en avoir plus grand abondance.

GILLETTE.

Monsieur, je ne le prendrai pas,

J'encourrai plutôt le trépas.

Qu'un tel vice j'aille commettre :

110   Hé vous avez beau me promettre,

Non, Monsieur je n'en ferai rien,

Car je suis fille de bien :

D'autres que vous m'ont effrayée,

Mais je ne me suis effrayée,

115   Des beaux discours qu'ils m'ont tenus :

Ô qu'ils étaient les bien venus,

Le plus souvent pour leur salaire

Ils ont éprouvé ma colère,

Leur déférant sur le museau

120   Un rude coup de mon fuseau,

Ou bien de ma quenouille forte.

LE GENTILHOMME.

Si n'entends-je pas de la sorte.

Gillette me voir caressé

Plutôt j'aime d'être embrassé

125   D'une façon gaie et gaillarde.

GILLETTE.

Hélas Monsieur que je n'ai garde

De vous traiter si rudement,

Je sais bien le commandement

Qu'un maître a dessus sa servante :

130   J'aimerais mieux n'être vivante

Que d'avoir commis de défaut,

Trop bien pour quelque gros pitaud  [ 4 Pitaud : Par dénigrement, homme, femme de la campagne de lourde structure. [L]]

De mon état qui voudrait faire

Quelque chose pour me déplaire,

135   Mais pour vous mon maître et seigneur,

Je vous porte par trop d'honneur.

LE GENTILHOMME.

Moins de respect, Gillette, et change

Cette rude façon étrange

En vraie amour, j'aimerai mieux

140   Un doux accueil de te beaux yeux

Que tant d'honneur, je te le jure.

GILLETTE.

Je ne me ferai telle injure

Que de perdre la chasteté.

LE GENTILHOMME.

Ma foi, c'en est trop disputé,

145   Et trop de langage,

Je veux avoir ton pucelage

Avant que finisse ce jour,

Soit par argent ou par amour :

Il ne faut point tant de paroles,

150   Tiens, prends encore ces deux pistoles,

Et m'accorde ce dernier point.

GILLETTE.

Monsieur, je ne les prendrai point

Pour un sujet si déshonnête.

LE GENTILHOMME.

Prends les donques que, je te les prête

155   À me les rendre dans le temps

Que tous hommes seront content :

Le terme est long et profitable.

GILLETTE.

Puisque vous l'avez agréable

Je les prendrai doncques, Monsieur.

LE GENTILHOMME.

160   Or pour une telle faveur,

Permets que je baise ta joue,

Et qu'avec ton téton je joue.

GILLETTE.

Je ne veux pas pour un baiser

Arrogamment vous refuser :

165   Mais premier il faut prendre garde

Qu'ici quelqu'un ne nous regarde.

LE GENTILHOMME.

Je ne vois rien ni près ni loin

Qui puisse servir de témoin :

Encore un Gillette ma belle.

GILLETTE.

170   Monsieur, je vois Mademoiselle,

Hé lâchez-vous, retirez-vous.

LE GENTILHOMME.

Que ce baiser m'a semblé doux !

Qu'en dépit de ma vieille amie,

Qu'elle eut été bien endormie

175   Au lieu de me venir fâcher,

En un plaisir que j'ai si cher.

Or je m'en vais en espérance

D'avoir un jour la jouissance

De Gillette mon petit coeur

180   S'il ne m'arrive du malheur ?

Mais je crois si bien me conduire

Qu'il n'aura pouvoir de ma nuire.

SCÈNE II.
La demoiselle, et Gillette.

LA DEMOISELLE.

Que c'est un grand contentement

Et même un grand soulagement

185   D'avoir pour faire le ménage

Une servante qui soit sage

Et pleine de fidélité,

Aimant que tout l'utilité

Et le profit de sa maîtresse,

190   En travaillant presque sans cesse.

Pour moi je crois que le soleil

Ne vois rien ici de pareil;

C'est une trésor inestimable,

C'est un bien qui n'a de semblable

195   Qu'on doit estimer grandement;

Ne se trouvant que rarement.

J'en puis parler comme certaine

Ayant été dix ans en peine

Après ce bien tant approuvé

200   Avant que de l'avoir trouvé :

Or, maintenant j'en suis saisie,

Ayant selon ma fantaisie

Une chambrière qui fait  [ 5 Chambrière : Femme attachée au service de la personne et des chambres. On dit maintenant femme de chambre. [L]]

Notre ménage à mon souhait,

205   Et bref j'en suis si bien servie,

Que ma fois j'aurais bien envie,

Que de céans aucun effort

Ne la retirât que la mort.

Hé bien Gillette, notre affaire

210   Va-t-elle comme d'ordinaire ?

Que fait le harnais, son labeur

Sera-t-il point un peu meilleur

Que celui de l'autre semaine ?

Mais à propos de notre laine,

215   Dites un peu comme en va-t-il,

En ferons-nous bientôt du fil,

Puisque après de la draperie

Pour vêtir notre infanterie ?

GILLETTE.

N'ayez de cela nul souci,

220   Car elle est prête Dieu merci :

Une partie est assez fine

Pour faire de belle étamine :

L'autre pour faire un beau drap gris

Qui ne sera d'un petit prix

225   Pour se parer aux grandes fêtes.

LA DEMOISELLE.

Dis, Gillette, que font nos bêtes,

Nos boeufs, nos vaches et nos veaux

Et nos brebis et nos pourceaux.

GILLETTE.

Mademoiselle, ils font grand'chère,

230   Toutes les fois qui je vais traire

Nos vaches, j'en tire deux seaux

Et si j'en donne encor eaux veaux.

LA DEMOISELLE.

Cela va bien, à la bonne heure,

Combien avez-vous fait de beurre

235   Cette semaine.

GILLETTE.

  Un bien grand coeur

Mais ma foi je n'ai pas pris le soin

De le peser, mais j'ai créance

Que s'il était dans le balance,

Douze livres seraient son poids.

LA DEMOISELLE.

240   C'est bien allé, les autres mois

Elle n'avaient tant de laitage,

Mais c'était faute de fourrage,

Cette année il en était peu.

Gillette, qu'avons nous au feu ?

GILLETTE.

245   Vous avez de bons choux à pomme,

Avec du boeuf qui s'y consomme,

Et du lard et du mouton gras.

LA DEMOISELLE.

C'est bien assez pour un repas,

Mais mon mari qui se promène,

250   Toujours quelques uns nous amène,

Or Gillette sais-tu que c'est,

Mais que notre dîner soit prêt,

Viens-t-en nous guérir pour repaître,

Pendant je vais trouver ton maître,

255   Lequel est dedans ce verger,

Ce crois-je à faire ménager.

ACTE II

SCÈNE I.
Maturin et Gillette.

MATURIN.

En vain je tâche à me défendre,

Je suis de guet, il me faut rendre,

Amour de qui l'on parle tant,

260   À cette fois me va domptant,

C'est force, il faut que je lui cède

Et que je cherche du remède.

À son feu dont je suis brûlé,

Et qui me rend presque affolé

265   De la belle et douce manière,

De notre grande chambrière

Gillette, dont l'habileté,

Acquiert céans l'autorité

D'une autre seconde maîtresse,

270   Qui commande, travaille et presse

Chacun à faire ce qu'il doit,

Ô que si cela dépendait

De ma volonté, je vous jure,

Qu'une plus heureuse aventure

275   Je ne voudrais pour m'enrichir,

Il faut tâcher de la fléchir

Et faire si très bien en sorte,

Que de l'amour elle me porte,

À propos la voici venir,

280   Çà çà, je vais l'entretenir.

GILLETTE parle seule, avant que voir Maturin.

Monsieur en a dans la cervelle,

Il me fait de la crécerelle,  [ 6 Crécerelle : Oiseau de proie du genre faucon. [L]]

Et pense si bien m'enjôler

Qu'à son vueil je me laisse aller  [ 7 Vueil : volonté, voloir. [CNRTL]]

285   Mais il n'a pas besogne faite,

Me tient-il pour quelque nicette  [ 8 Nicette : nicet ; Terme vieilli. Quelqu'un qui ne sait pas, simple par ignorance. ]

Qui ne sait les jours d'aujourd'hui,

Je ne suis pas encor à lui.

MATURIN.

Qu'est-ce que Gillette remâche,

290   Corbleu je crois qu'elle se fâche

De quelque chose, écoutons-là

Et sachons d'où proviens cela,

Mais afin qu'elle ne me voit

Je vais m'ôter hors de sa voie,

295   Et me cacher dedans ce coin.

GILLETTE.

Ô qu'il est encore bien loin

Du but où son désir aspire,

Et si paravant qu'il y tire,

Je me ferai bien supplier,

300   Il parle de me marier

À je ne sais quel badaud d'homme,

Auquel il promet une somme

D'argent, afin de ma doter :

Et tout cela pour me monter,

305   Mais ma foi je suis bien plus fine,

Qu'il ne paraît pas à ma mine,

Les villes où j'ai demeuré,

Ont mon esprit du tout leurré,

Je ne suis pas ainsi légère

310   Bon pour quelque simple bergère,

Qui dessous l'ombre des ormeaux,

N'a jamais vu que ses troupeaux.

MATURIN.

Quelque peine que j'ai su vendre,

Jamais je n'ai su bien entendre,

315   Cela que Gillette a conté,

Et si j'ai fort bien écouté,

C'est fait, la harangue est finie,

Allons après, car je renie

Tous les grands diables des enfers,

320   Si cette occasion je perds,

J'en ferai longtemps pénitence,

Touche de vive repentance,

Hau, Hau, Gillette : un mot, un mot.

GILLETTE parle, le vers suivant seule, puis les suivants à Maturin.

Que me veut dire ce gros sot ?

325   Est-ce toi qui m'a appelée ?

Je n'étais pas bien loin allée,

Que me veux-tu ?

MATURIN.

Vous discourir,

D'un chaud mal qui me fait mourir,

S'il vous plaît le vouloir entendre.

GILLETTE.

330   Si c'est un mal qui puisse prendre,

Cartier à part, retire toi,  [ 9 Cartier : Celui qui fait et vend des cartes à jouer.[L]]

Il n'approche si près de moi.

MATURIN.

Encore que mon mal soit extrême,

Si n'offense-t-il que moi-même,

335   Moi tout seul j'en ressens les coups,

Bien que la cause en soit en vous.

GILLETTE.

Je n'entends tel discours frivoles,

Éclaircis-moi mieux ces paroles,

Sinon je m'en vais te quitter.

MATURIN.

340   Hé ne veuillez vous dépiter,

En peu de mots je vais vous dire

Le mal qui fait que je soupire,

Sachez doncques que mon tourment

Procède de cous promptement,

345   C'est vous qui m'avez fait malade,

Par la force de mainte oeillade,

Que vos yeux me surent darder,

Lorsque j'osai vous regarder,

Un jour que nous étions ensemble.

GILLETTE.

350   De crainte et de frayeur je tremble,

T'oyant dire que de mes yeux

Il sort un mal contagieux,

Ha ha, la plaisante cassade,  [ 10 Cassade : Bourde qu'on invente, mauvaise excuse, défaite. Donneur de cassades. [L]]

Ô que te voilà bien malade,

355   Pauvre homme fait ton testament,

De peur de mourir promptement.

MATURIN.

Quoi donques, Gillette cruelle,

Au lieu d'une amour mutuelle,

Vous vous moquez ainsi de moi ?

360   Vous en souvienne par ma fois,

Si je puis j'en prendrai vengeance,

Ou je manquerai de puissance,

Vous donnant pour dure châtiment,

De mon corps un embrassement,

365   Ça vous l'aurez tout à cette heure.

GILLETTE.

Lâche moi, Maturin demeure,

Ainsi me veux-tu châtier,

Qu'en dépit du galefretier ;  [ 11 Galefretier : Terme vieilli qui signifie homme de rien, homme sans feu ni lieu.]

Voilà mon couvre-chef par terre,

370   Qu'au diable je donne le herre.  [ 12 Herre : Étoffe d'un tissu grossier dont les brasseurs se font des vêtements de travail, et qu'ils étendent sur les tringles de la touraille. [CNRTL]]

MATURIN.

Et moi vous quittant en ce lieu,

M'en allant je me donne à Dieu.

SCÈNE II.
Le Gentilhomme, et Gillette.

LE GENTILHOMME.

Le mal d'amour est incurable,

Si le doux sujet agréable

375   Qui cause notre passion,

N'en a quelque compassion,

Pour chose que j'aie su faire,

Jamais je n'ai pu me distraire

De l'amour que je vais pourtant,

380   À Gillette que j'aime tant,

Et dont je suis presque idolâtre,

Elle fait de l'opiniâtre,

M'alléguant l'honneur pour raison

Et que jamais dans sa maison,

385   Fille de ne s'est tant oubliée,

Que d'être garce publiée;

Et qu'elle ne commencera,

Mais que plutôt elle mourra,

Et quelle ne commencera,

390   Mais que plutôt elle mourra,

Discours que m'a mis en tel doute,

Que peu s'est fallu, qu'en déroute

je n'ai le combat entrepris

Quitté, sans emporter le prix,

395   Et certes j'étais en ce terme,

Presque réduit m'y tenant ferme,

Sans que je me suis avisé,

Qu'il n'est rien de si déguisé,

Que les paroles d'une femme,

400   Et que souvent dedans leur âme

Elles pensent tout autrement,

Que leur propos dits faussement,

Pourquoi reprenant ma brisée,

Je vais voir si cette rusée

405   Qui se veut faire courtiser,

Aurait point bien peu d'aviser :

Hà ! Je le vois eu lieu commode,

Je vais l'accoster à ma mode.

GILLETTE voyant venir la Gentilhomme, parle ainsi seule.

Voilà Monsieur, qui vient vers moi,

410   Pour me parler comme je crois,

De l'affection qu'il me porte,

Et qu'il me dit être si forte,

Que rien ne la peut égaler,

Comme je vais dissimuler,

415   Et faire encor de la fâcheuse,

Ainsi qu'elle fille honteuse,

Qui n'a pas encore goûté

De fruit d'amour tant souhaité,

Mais mot, car le voici tout contre,

420   Vois comme il se met sur le montre,

Et comme il est partout poli,

Le tout pour me sembler joli.

LE GENTILHOMME.

Mon coeur, ma Gillette, ma bonne,

Pendant que l'on ne voit personne

425   À travers cette cours marcher,

Allons un peu dans ce bûcher,

Ou bien si tu l'as agréable,

Retirons nous en cette étable,

En laquelle sont les chevaux,

430   Là je te dirai les travaux

En quoi je vis, pour te voir dure

À m'accorder ce que nature

Fait exercer aux animaux

Tant raisonnable que brutaux.

GILLETTE.

435   Monsieur, il n'est point nécessaire

Que j'entende une telle affaire,

S'il vous plaît, vous m'excuserez,

Et seule ici me laisserez,

Afin d'achever ma besogne,

440   Que ma maîtresse ne me hogne.  [ 13 Hogner : grogne, grommeler, gronder. [CNRTL]]

LE GENTILHOMME.

Ha Gillette, ho qu'est ceci,

Quoi me faut-il traiter ainsi ?

Comment, tant plus tu me captives,

Et plus tu fais la rétive,

445   Chasse de toi cette rigueur,

Et prends pitié de ma langueur.

GILLETTE.

Monsieur, la pitié sans remède

N'est propre au mal qui vous possède,

Puis quand je pourrais vous aider,

450   Je ne veux pas m'y hasarder,

D'autant que l'honneur que j'estime,

Fait que je déteste ce crime.

LE GENTILHOMME.

Ce n'est pas un crime qu'aimer,

Aucun ne t'en saurait blâmer,

455   S'il n'est bien ignorantissime.

GILLETTE.

Bon pour un amour légitime,

Mais son contraire est vicieux,

Étant même haï des cieux,

Ainsi que j'entends souvent dire

460   À notre bon homme messire.

Jean des Jardins.

LE GENTILHOMME.

Ha, ha, vraiment

Il prêche ore ce document,  [ 14 Ore : or. [L]]

Cassé de la grande faiblesse

Qui l'accompagne en sa vieillesse,

465   Mais durant les beaux jeunes ans,

Il se donnait bien du bon temps,

Ne faisant nulle conscience

De vivre en sainte continence.  [ 15 Continence : Abstinence des plaisirs de l'amour. [L]]

GILLETTE.

Monsieur, votre accusation

470   Est fort sujette à caution,

D'autant que vous êtes contraire

À la foi pure et salutaire,

Que ce bon messire vieillard

Nous prêche simplement sans fard.

LE GENTILHOMME.

475   Bien que ma foi prenne origine

De la fine prêche calvine,

Si ne voudrai-je avoir blâmé

Un homme de bien renommé

De quelque sexe qu'il peut être,

480   Soit païen, musulman ou prêtre ;

Mais c'en est assez devisé,

Reprenons le discours brisé,

Dont mon amour est la matière;

Et me dis si toujours entière

485   Tu resteras à me nier

Des amants le plaisir dernier :

Ma Gillette trop accomplie,

Avise toi je te supplie,

Et ne le laisse plus ainsi

490   D'ennuis et de peine transi,

Aime moi Gillette ma vie,

Aime moi donc je t'en convie

Par tout ce qui peut émouvoir.

GILLETTE.

Monsieur, je sais que mon devoir

495   Est de vous aimer comme maître,

Et de vous le faire paraître

Vous servant bien, mais pour amants

Vous aimer, l'on m'irait blâmant.

LE GENTILHOMME.

Aucun n'en saura la nouvelle,

500   Car je te serai fort fidèle.

GILLETTE.

Quand bien votre discrétion

Irait celant sa passion,

Par ma foi, J'aurais trop de crainte

De devenir en bref enceinte.

LE GENTILHOMME.

505   Que cela ne te fasse peur,

Je sais prévenir ce malheur

Par une certaine science

Dont j'ai parfaite expérience.

GILLETTE à part elle, puis au Gentilhomme.

Me voici tantôt aux abois,

510   Si mon esprit fin et matois

N'invente quelque échappatoire

Qui lui retard la victoire :

Monsieur, Monsieur retirez-vous,

Je viens de voir tout près de nous

515   Mademoiselle qui sans doute

Trop défiante nous écoute.

LE GENTILHOMME.

Je m'en vais donc, mais cependant

Pense de m'aller accordant,

Tu m'entends bien sans davantage

520   Y dépendre plus de langage.

Si je ne me vais décevant

Me voilà tantôt bien avant

Dans mon amoureuse entreprise :

Gillette m'est certes acquise,

525   Je ne vois plus rien me resteras

Qu'un lieu propre pour l'ajuster,

Lequel en toute diligence

Je vais chercher dans le silence

De cette obscure et proche nuit,

530   Propre pour l'amoureux déduit

ACTE III

SCÈNE I.
Maître Jossse prêtre et Maturin.

MAÎTRE JOSSE.

Que le monde est plein de malice,

Comme il se va souillant au vice

N'estimant non plus la Vertu

Que l'on ferait un vieil fétu.

535   Non seulement le populaire

Se vit plaisant à tout mal faire,

Mais [tant] que l'on voit les plus hauts

En honneurs, ont plusieurs défauts

Et telles personnes célèbres,

540   Ne sont ici que des ténèbres,

Au lieu d'être un flambeau luisant

Qui nous aille au bien conduisant.

Mais ce qui plus encore me fâcher

Et qui fait qu'à tous coups je lâche

545   Des cris d'ennui, c'est que j'en vois

Faisant les saints tous plein de foi,

Qui n'ont dedans a fantaisie

Rien qu'une fausse hypocrisies :

Ô gent méchante, et dont l'enfer

550   En bref se verra triompher.

MATURIN.

J'allais jusques au presbytère  [ 16 Presbytère : maison du curé. [L]]

Voir maître Josse débonnaire,

Pour l'avertir d'un nouveau cas

Qui se passe, et qu'il ne sait pas :

555   Mais le voici, dont j'ai grand' joie,

Même il vient par cette voie :

Bonjour, Monsieur.

MAÎTRE JOSSE.

À vous aussi

Que faisais-tu tout seul aussi.

MATURIN.

Monsieur, j'allais chez vous me rendre

560   Pour une chose vous apprendre,

Dont vous seriez certes fâché

S'il en arrivait du pécher.

MAÎTRE JOSSE.

Conte le mon, sans plus attendre,

Car je désir de l'entendre.

MATURIN.

565   Monsieur, mon maître est transposé

De la bonne grâce et beauté

De Gillette, sans fin sans cesse

Il la cherche, poursuit et presse

Sans lui donner aucun repos :

570   Et j'ai grand peur pour ses propos

Accompagnés d'un présent riche,

Fassent qu'enfin il ne lui niche

Son étourneau dans son boulin,  [ 17 Boulin : Pot de terre qui sert de retraite aux pigeons. [L]]

Car c'est un mauvais patelin :  [ 18 Patelin : Fig. Celui qui tâche, par des flatteries et de belles paroles, de tromper, ou, simplement, d'en venir à ses fins [L]]

575   Pourquoi Monsieur je vous conjure

Au moins du facteur de nature,

Et lequel vous allez servent,

De vois Gillette, paravant

Que mon maître qui la cajole

580   Monte dessus et la bricole  [ 19 Bricole : Partie du harnais d'un cheval qui s'applique à son poitrail. [L]]

Ce qui me fait vous en prier,

C'est qu'elle étant à marier

J'ai désir d'aller voir son père,

Et la bonne femme de mère,

585   Pour les supplier de bon coeur

De ma faire cette faveur,

De vouloir franchement entendre

À me recevoir pour leur gendre.

MAÎTRE JOSSE.

Une fille de douce humeur

590   Laquelle aime sur tout l'honneur,

M'est venu voir depuis naguère,

Qui m'a conté tout le mystère

Que tu me viens de réciter,

Ma suppliant de rapporter

595   Tout ce qui me serait possible,

Pour empêcher ce vice horrible.

C'est pourquoi je m'acheminais

Vers ce quartier, pour d'une voix

De charité douce et plaignante,

600   Remontrer à cette servante.

MATURIN.

Continuez votre chemin,

Vous ferez un oeuvre divin.

MAÎTRE JOSSE.

Si fais-je, et si de plus j'espère

Mon voyage être salutaire.

SCÈNE II.
Le Gentilhomme, et Gillette.

LE GENTILHOMME.

605   Après avoir bien débattu,

Bien résisté, bien combattu

Enfin ma Gillette, ma vie,

Tu as accompli mon envie :

Par quoi tu te peux assurer

610   De voir toujours sans fin durer

L'amitié que je t'ai promise.

GILLETTE.

Las ! Monsieur, vous m'avez surprise

Lorsque je ne guettais pas,

Étant couchée entre les draps

615   Autrement, c'est chose arrêtée,

Vous ne m'eussiez ainsi gâtée :

Or puis que vous m'avez ravi

Mon pucelage poursuivi

Par maints garçons, je vous exhorte

620   À m'aimer d'une manière bien forte,

Ayant de moi toujours du soin,

Ne me délaissant au besoin,

S'il arrivait que la fortune

Vers moi se montrât importune.

LE GENTILHOMME.

625   Gillette, je te fais serment

De t'aimer bien fidèlement,

Et quelque chose qu'il survienne

De te tenir toujours pour mienne

Te faisant part de mes trésors

630   Comme je te fais de mon corps :

Mais de ta part sois moi fidèle

M'aimant d'une amour immortelle.

GILLETTE.

Monsieur, vivez en sûreté

Que toujours ma fidélité

635   Sera comme un roc immuable :

Puis vous êtes par trop aimable

Pour qui que ce fut vous changer,

Non je n'ai pas l'esprit léger

Comme une arondelle qui vole,  [ 20 Arondelle : aronde, hirondelle. [L]]

640   Je suis de votre amour trop folle.

LE GENTILHOMME.

Et le tien bien plus je chéris,

Que si j'étais ton vrai mari :

Or sus viens ça que je te baise

Cinq ou six coups tout à mon aise.

645   Un si doux et friand plaisir

En t'embrassant me vient saisir,

Que j'y serai une semaine,

Si tu n'en avais de la peine.

GILLETTE.

Ho c'est assez pour une fois :

650   Ne me baisassiez-vous d'un mois

Vous m'avez tellement pressée,

Que j'en ai le bouche enfoncée.

LE GENTILHOMME.

Je t'aime tant que je voudrai-je

Pouvoir du tout m'unir à toi.

ACTE IV.

SCÈNE I.
Maître Josse, et Gillette.

MAÎTRE JOSSE.

655   Je m'étais mis ici derrière,

Feignant de dire mon bréviaire

Attendant que je pourrais voir

Gillette que veut décevoir

Son maître trop amoureux d'elle,

660   Parce qu'elle est un peu plus belle

Que se femme, de qui les yeux

N'ont plus rien qui soit gracieux.

Mais si bientôt elle ne passe

Près de moi ; c'est fait, je me lasse,

665   Je ne saurais plus me tenir

En ce lieu, la voici venir :

Je crois que son Ange lucide

Tout exprès devers moi la guide,

À celle fin de l'exhorter

670   À chastement se comporter :

Or je sors de mon échauguette  [ 21 Échauguette : Espèce de guérite de bois qui est placée sur un lieu élevé et où l'on met une sentinelle. [L]]

Pour l'a[ssa]ssiner de ma baguette.

GILLETTE à par elle.

Que me veut ce beau sermonnement.

MAÎTRE JOSSE.

Écoute Gillette, ma soeur

675   D'Ève et d'Adam.

GILLETTE à par elle.

  Monsieur j'ai hâte.

J'ai laissé dans l[e] met la pâte,

Je m'en vais pour faire le pain.

MAÎTRE JOSSE.

Si n'iras-tu pas si soudain

Que premier je ne t'avertisse

680   Que tu te gardes bien d'un vice

Où ton maître veut t'attirer,

Ne le crois pas pour soupirer,

Son discours est plein de cautelle  [ 22 Cautelle : Précaution mêlée de défiance et de ruse. [L]]

Comme celui d'un infidèle :

685   Et bien qu'il soit fort diligent

À te promettre de l'argent,

Voire même de t'en faire offre,

En eut-il le comble d'un coffre,

N'en prends en sol, l'honneur vaut mieux

690   Que tous les trésors précieux :

Puis d'autre part aies empreinte

Dedans le coeur de Dieu la crainte,

Pense en la mort qui de son dard

Nous vient percer de part en part,

695   Alors que notre âme insensée

Y porte le moins sa pensée.

Les pense aux tourments destinés

Aux bas enfers pour les damnés,

Lesquels n'ont jamais d'intermède

700   Comme étant sans aucun remède.

Penses-y ma fille souvent,

Et ne rejette pas au vent

Le bon conseil que je te donne.

GILLETTE.

Monsieur, je ne sache personne

705   Qui puisse avec vérité

M'accuser d'impudicité,

Je suis bien pauvre, mais honnête,

Et ne serai jamais si bête

De prêter nul consentement

710   À vivre si brutalement

Monsieur, je ne suis pas si promptement

À croire quand quelqu'un m'en conte :

Je sais fort bien le renvoyer

Autre part se désennuyer.

MAÎTRE JOSSE.

715   C'est très bien fait, dit-il merveille,

N'y prête jamais ton oreille :

Fuis tel causeurs comme un serpent,

Car las trop tard l'on se repent

D'avoir cru leurs paroles saintes,

720   Qui causent après mille plaintes.

Or bien, puisque je reconnais,

Que tu veux vivre sous les lois

De la vertu, sainte portière

De Paradis, je fais prière

725   Au Tout-puissant, qu'à l'avenir,

Il te veuille toujours tenir

En sa très sainte bienveillance,

Sans que rien te porte nuisance.

Adieu ma fille, qu'à jamais

730   Il te donne sa douce paix.

GILLETTE.

Adieu Monsieur, qu'on récompense

Il vous garde de toute offense :

Vivez joyeux sans ressentir

Onques les coups d'une repentir.

735   Pourtant ce bon prêtre honorable

M'a dit chose très profitable

Si je pouvais l'exécuter.

Moi pour ne pas le mécontenter,

J'ai fait de la sainte nitouche,  [ 23 Sainte nitouche : Usité seulement dans cette locution familière, sainte nitouche, personne hypocrite, doucereuse, affectant la simplicité et l'innocence. [L]]

740   Parlant d'honneur à pleine bouche,

Et tenant en mon coeur caché

Ce plaisir qu'il nomme pécher,

Qui ne l'est qu'en tant qu'on l'évente,

Et que par sottise on s'en vante.

SCÈNE II.

LA DEMOISELLE.

745   Perfide méchant et léger

Tu m'as doncques voulu changer

Suivant sa passion brutale,

Pour une qui m'est inégale

De richesse et d'extraction,

750   Et qui n'a de perfection

Pour attirer un bon courage,

Que quelques beaux traits de visage,

Encore dépourvus d'appas

Sinon pour quelques esprits bas,

755   Au nombre desquels je se conte,

Puisque tu n'as aucune honte

De quitter mon amour certain,

Pour embrasser cette putain :

Encore ne suis-je point si laide

760   Qu'on me puisse dire un remède

Pour quérir la mal de Cypris :

Non, ma beauté n'est pas sans prix,

Je me vis hier devant ma glace

Où je remarquai que ma face

765   A des attraits assez charmants

Pour esclaver plusieurs amants :

Et quand il serait au contraire

Si devrai je bien te plaire,

M'ayant cette obligation

770   Que d'avoir fait élection

De sa personne, au préjudice

De cent qui m'offraient leur service.

Ô que si j'eusse pu prévoir

Le manquement de ton devoir,

775   Assure toi vilain lubrique

Que je t'eusse bien fait la nique,  [ 24 Nique : Usité seulement dans cette locution : faire la nique à quelqu'un, lui témoigner moquerie et mépris par un certain signe de tête. [L]]

Te renvoyant dans un bordeau

Amortir le paillard flambeau  [ 25 Paillard : Proprement, celui, celle qui couche sur la paille, homme, femme misérable. [L]]

Que l'amour, non mais bien érine,  [ 26 Érine : Terme d'anatomie et de chirurgie. Petite pince armée de crochets dont on se sert soit en disséquant soit dans certaines opérations pour soulever et écarter les parties qu'on veut disséquer. [L]]

780   Alluma dedans ta poitrine :

Mais à quoi tant de vains discours ?

Me vengerai-je point des tours

De ce méchant rempli d'ordure ?

Oui, je m'en vengerai, j'en jure,

785   Et voire tout présentement,

Ayant à mon commandement

Sa mignonne et bonne commère,

Que je vais battre de colère,

Cependant qu'il est empêché

790   À se promener au marché.

LA DEMOISELLE va trouver Gillette et la bas, ce qui fait qu'elle lui parle ainsi.

Hélas pourquoi suis-je battue,

À l'aide, accourez on me tue,

Hé je vous demande pardon,

Las ! Est-ce là donc le guerdon  [ 27 Guerdon : Terme vieilli. Récompense. [L]]

795   De mon très fidèle service.

LA DEMOISELLE.

Non, mais bien celui de ton vice.

MATURIN.

Digne morbieu que vois-je là ?

Tout beau, tout beau, holà, holà,

Mademoiselle.

LA DEMOISELLE.

Ta fièvre quartaine,

800   Tu défends donc cette vilaine ?

Par la merci-bieu grand pendard,

Je m'en vais bien rosser ton lard.

MATURIN.

Haro, morbieu comme elle frappe,  [ 28 Haro : Fig. et familièrement. Crier haro sur quelqu'un, se récrier contre ce qu'il dit ou fait. [L]]

C'est pour le meilleur que j'échappe,

805   Car je n'aime pas bien le ton,

Que sonnent les coup de bâton

Dessus mon dos et sur ma tête,

Mais fuis pauvrette et ne t'arrête,

Pendant que Mademoiselle oint

810   D'huile de latte mon pourpoint.  [ 29 Latte : Il se dit quelquefois pour instrument de bastonnade. [L]]

LA DEMOISELLE.

Merci bien grand erre d'hôtière,  [ 30 Erre : Train, allure. [L]]

Tu l'as donc fait fuir arrière ?

Ho, sans doute nez de taureau,

Tu lui servais de maquereau,

815   Puisqu'ainsi tu la favorises

Et que tu m'as lâcher prise.

MATURIN.

Je n'entends point cette leçon,

Est-ce de boeuf ou du poisson ?

Je n'en ai nulle connaissance,

820   Je manque trop de suffisance,

Et ne suis assez bon valet,

Pour savoir porter le poulet

Mais je sais bien sous une treille,

Vider plutôt une bouteille,

825   Puis au partir de la chanter,

Rire, gaudir, danser, sauter.  [ 31 Gaudir : Terme familier et qui commence à vieillir. Se réjouir. [L]]

LA DEMOISELLE.

Quoi doncques, ce faquin se moque ?

Il faut qu'encore je le choque

À coups de pierres, et là donc.

MATURIN.

830   Hé comme je tire le long,

Digne morbieu, sans raillerie,

Il m'est à voir d'une furie,

Qui marche et fait maint soubresaut,

Sur une théâtre large et haut.

LA DEMOISELLE.

835   Or maintenant je suis vengée,

Ma bonne pièce est délogée,

Après avoir un coteret  [ 32 Coteret : Nom des deux principales pièces du métier à tapisserie de haute lisse. [L]]

Épous[se]té son corps guilleret,  [ 33 Guilleret : Qui a une pointe de gaieté. [L]]

Hà que je l'eusse bien lattée,

840   Si ce coquin ne l'eût ôtée

D'entre mes points, et mon mari

En dut-il faire le mari,

Si désormais l'amour le pique,

Il chosera cette impudique,  [ 34 Choser : Gronder qqn, blâmer qqn, chercher querelle à qqn. [CNRTL]]

845   Ailleurs qu'en ce lieu de respect,

Il se peut bien torcher le bec.

ACTE V

SCÈNE I.
Le Gentilhomme, et Maturin.

LE GENTILHOMME.

Par la vertubleu quand j'y pense,

Un malheureux influence,

Des étoiles aux cours divers,

850   M'a bien vu ce jour de travers,

Pendant que j'étais à la ville,

Ma femme un peu trop incivile,,

A fait vider honteusement

Gillette mon contentement

855   Sans avoir égard au scandale,

Qu'aux yeux d'un chacun elle étale,

Commettant tel acte indiscret;

Qu'elle devait tenir secret,

Pour me rendre bien diffamée

860   De la sorte, la renommée

De sa maison; ni celle aussi

De Gillette, mon doux souci

Ha, si par quelque intelligence

Le ciel m'eut donné la science

865   D'avoir ce malheur deviné,

Pour rien je n'eusse abandonné

Cette maison, ores déserte,

Faisant une grande perte,

Laquelle je l'espérais

870   Recouvrer en bref, je mourrais,

Car l'ennui qui me fait la guerre

Me jetterait bientôt par terre,

Or donc afin de prévenir

Tout le mal qui pourrait venir

875   De cet accident déplorable

Qui me serait fort reprochable,

S'il ne se voyait réparé,

Pour un tour d'esprit admiré,

Inventons quelque trait notable,

880   Que l'on croit si vraisemblable,

Que l'on n'en sache que juger,

Ho, c'est fait j'y viens songer,

Amour petit-fils de Cyprine,

Vraiment ta puissance est divine

885   D'aiguiser si bien les esprits

De ceux que tu détiens épris

D'une beauté jeune et gaillarde,

Qui d'un oeil riant les regarde,

Or sus je m'en vais réciter

890   Ce que tu m'as fait inventer,

C'est que je cherche du remède

En la cause d'où me procède

L'ennui dont je suis tourmenté

Autrement tout serait gâté,

895   Il faut que je chérisse et flatte,

Notre jeune servante Agathe,

De qui l'esprit fin et rusé

tout notre malheur a causé,

Puis mais que l'ai gagnée,

900   Par le moyen d'une poignée

De quarts d 'écus, je lui ferai

Dédire le mal avéré,

Par la languette conteresse  [ 35 Conteresse : Celle qui raconte qqc. [L]]

À sa trop crédule maîtresse,

905   Mais mot, ici près j'aperçois

Maturin qui vient vers moi,

Que dit-on Maturin, bien est-ce ?

MATURIN.

Par la mordienne ma maîtresse

A fait naguère bien du bruit

910   Je pensais que tout fut détruit

Oyant gronder dedans sa tête

Une affreuse et rude tempête,

Laquelle est tombée à grand bonds,

Dessus Gillette aux cheveux blonds,

915   Et même sur mes omoplates,

En la tirant d'entre ses pattes.

LE GENTILHOMME.

Ô malheur ! En arrivant,

J'ai trouvé Marthe ici devant,

Laquelle n'a dit la furie

920   De ta maîtresse, et sa crierie.  [ 36 Crierie : Cris importuns. [L]]

MATURIN.

Par bieu, Monsieur vous ferez bien,

Si cette rage encor la tient,

De n'entrer sitôt dans la salle,

De crainte qu'elle ne vous halle,

925   Ou plutôt qu'elle vous saute au collet,

Et vous plume comme un poulet.

LE GENTILHOMME.

Elle est doncques bien transportée,

MATURIN.

Elle est tellement agitée

De jalousie et de fureur,

930   Que j'en tremble encore d'horreur,

Et mais que votre honneur se garde,

J'ai fait quelque peu de moutarde,

Dedans le fond de ce vieil étui

De mon fessier, le tout d'ennui,

935   D'avoir vu telle batterie

Sur Gillette ma favorite.  [ 37 On lit favorie au lieu de favorite.]

LE GENTILHOMME.

Me contant ce mal arrivé,

Tu fais ici tout du privé,

Or va-t-en et ne te soucie,

940   Je rendrai ma femme adoucie,

Avant que le soleil qui luit,

Fasse place à l'obscure nuit,

Que n'ai-je au mal qui me tourmente,

Une âme aussi bien patiente,

945   Que celle de ce fol garçon,

Qui rit de tout, de la façon

Que faisait jadis Démocrite,

Dont l'on vante encor le mérite.

SCÈNE II et dernière.
Maturin et Maître Josse.

MATURIN.

Gambades, gambades en l'air,

950   C'est fait, il n'en faut plus parler

Le sort répare mes dommages,

Et m'élève cinq cent étages

Par dessus toute sorte d'heur,

Je pète dessus la grandeur,

955   Des plus haut huppés de remarque,

Et ne voudrais être monarque,

Des mores, ni des ottomans,

Ni de nos cousins allemands,

Ha comme je m'en vais m'ébattre,

960   Et m'en donner autant que quatre,

Ha comme je m'en vais tantôt

Remplir ma panse de bon rôt,

Et de cidre mon cher délice,

Afin d'être plus fort en lice,

965   Lors qu'il faudra m'y présenter

Cette nuit proche, pour jouter

Avec ma lance naturelle,

Contre une qui m'était rebelle,

Mais je me vais trop retardant,

970   Le temps se passe, et cependant

Mon contentement se diffère,

Sus allons vite au presbytère

Quérir Maître Josse le Roux,

Pour me faire monsieur l'époux,

975   Je vais frapper d'une main forte,

De mon bâton contre sa porte.

MAÎTRE JOSSE.

Ho, qui frappe si rudement ?

MATURIN.

Monsieur ouvrez-moi promptement,

J'ai hâte je sui hors d'haleine

980   D'avoir course.

MAÎTRE JOSSE.

  Ho quelle peine

Est-ce toi qui vient m'affliger ?

MATURIN.

Monsieur, vous pouvez l'alléger,

Accordant mon humble requête,

Et mettant dessus votre tête

985   Votre large bonnet carré.

MAÎTRE JOSSE.

Et quand je m'en serai paré,

Que servira cette entreprise.

MATURIN.

Nous nous en irons à l'église,

Où la robe sur votre dos,

990   Vous me direz, coniongo vos.

MAÎTRE JOSSE.

Ores j'entends ton badinage,

Tu me parles de mariage,

N'est-il pas vrai.

MATURIN.

Monsieur, oui.

MAÎTRE JOSSE.

Vraiment j'en suis tout réjoui,

995   À la bonne heure, Dieu te donne

Une femme gentille et bonne,

Mais dis, comment la nomme-t-on.

MATURIN.

C'est la fille de Rogaton.

MAÎTRE JOSSE.

Oui, Gillette, votre servante ?

MATURIN.

1000   C'est celle qui je me vante.

MAÎTRE JOSSE.

Ma foi, je n'en suis pas fâché,

Mais comment s'est fait ce marché ?

Mademoiselle courroucée

Ne l'avait-elle pas chassée ?

MATURIN.

1005   Oui, par un mauvais rapport

Que l'on lui fit.

MAÎTRE JOSSE.

Elle eut grand tort

De faire boire cette honte

À cette fille, elle est trop prompte,

Vraiment je ne l'eusse pensé,

1010   Mais comme tout s'est-il passé,

Je voudrais bien un peu l'entendre.

MATURIN.

Encore qu'il me fâche d'attendre

Si longuement, je veux pourtant

Le tout vous aller racontant.

1015   Mademoiselle fut saisie

Du mal qu'on nomme jalousie,

Par une faux rapport inventé,

Dont son esprit fut transportée

Hors des limites raisonnables,

1020   Comme celui des bacchanales,

Mais pour abréger mon discours,

Oyez, qui fit ce méchant tout,

Ce fut Agathe la mauvaise,

De qui l'esprit n'est jamais aise,

1025   S'il n'apporte quelque débat,

Qui fasse venir au combat,

Or comme elle était résolue

De cette action dissolue

S'en moquant seulette à l'écart,

1030   Mademoiselle en quelque part,

Entendit au long l'artifice

Qu'avait tins cette fine épice,  [ 38 Fine épice : C'est une fine épice, se dit d'un homme rusé. [L]]

Ce qui fait qu'elle la tança,

Et rudement la menaça

1035   De lui donner dessus la joue,

Si devant tous elle ne loue

Gillette lui criant merci

De l'avoir offensée ainsi

Puis cela fait elle commande,

1040   Que tout sur le champ on lui mande

Qu'elle revienne promptement,

Et son père semblablement,

Étant venue en diligence

Chacun connut son innocence,

1045   Et qu'Agathe pour se venger,

L'avait voulu ainsi charger

Dont je sentis telle allégresse,

Que j'en fis maint tout de souplesse,

Puis sans plus longtemps dilayer,  [ 39 Dilayer : Renvoyer à un temps plus éloigné. [L]]

1050   Humblement j'allais supplier

Son père, auquel elle ressemble

De nous vouloir conjoindre ensemble,

Ce qu'enfin m'ayant accordé,

Devers vous je suis abordé,

1055   Pour requérir votre assistance.

MAÎTRE JOSSE.

Cela va bien, or sus avance,

Allons nous-en te marier.

MATURIN.

Allons mais je voudrais prier

Cette assistance vénérable,

1060   De prendre place à notre table,

Et d'être de notre festin,

Mais je crains que l'esprit mutin

De notre bonne Damoiselle

Ne leur brasse quelque querelle

1065   Dont j'aurais un bien grand émoi

Pour ce chacun aille chez soi.

 



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Notes

[1] Nocière : inusité. Qui appartient, préside aux noces. [L]

[2] Fion : Terme populaire. Tournure, bonne façon. Il a du fion. [L]

[3] Seulet : Diminutif de seul, usité seulement dans le style pastoral et surtout au féminin. [L]

[4] Pitaud : Par dénigrement, homme, femme de la campagne de lourde structure. [L]

[5] Chambrière : Femme attachée au service de la personne et des chambres. On dit maintenant femme de chambre. [L]

[6] Crécerelle : Oiseau de proie du genre faucon. [L]

[7] Vueil : volonté, voloir. [CNRTL]

[8] Nicette : nicet ; Terme vieilli. Quelqu'un qui ne sait pas, simple par ignorance.

[9] Cartier : Celui qui fait et vend des cartes à jouer.[L]

[10] Cassade : Bourde qu'on invente, mauvaise excuse, défaite. Donneur de cassades. [L]

[11] Galefretier : Terme vieilli qui signifie homme de rien, homme sans feu ni lieu.

[12] Herre : Étoffe d'un tissu grossier dont les brasseurs se font des vêtements de travail, et qu'ils étendent sur les tringles de la touraille. [CNRTL]

[13] Hogner : grogne, grommeler, gronder. [CNRTL]

[14] Ore : or. [L]

[15] Continence : Abstinence des plaisirs de l'amour. [L]

[16] Presbytère : maison du curé. [L]

[17] Boulin : Pot de terre qui sert de retraite aux pigeons. [L]

[18] Patelin : Fig. Celui qui tâche, par des flatteries et de belles paroles, de tromper, ou, simplement, d'en venir à ses fins [L]

[19] Bricole : Partie du harnais d'un cheval qui s'applique à son poitrail. [L]

[20] Arondelle : aronde, hirondelle. [L]

[21] Échauguette : Espèce de guérite de bois qui est placée sur un lieu élevé et où l'on met une sentinelle. [L]

[22] Cautelle : Précaution mêlée de défiance et de ruse. [L]

[23] Sainte nitouche : Usité seulement dans cette locution familière, sainte nitouche, personne hypocrite, doucereuse, affectant la simplicité et l'innocence. [L]

[24] Nique : Usité seulement dans cette locution : faire la nique à quelqu'un, lui témoigner moquerie et mépris par un certain signe de tête. [L]

[25] Paillard : Proprement, celui, celle qui couche sur la paille, homme, femme misérable. [L]

[26] Érine : Terme d'anatomie et de chirurgie. Petite pince armée de crochets dont on se sert soit en disséquant soit dans certaines opérations pour soulever et écarter les parties qu'on veut disséquer. [L]

[27] Guerdon : Terme vieilli. Récompense. [L]

[28] Haro : Fig. et familièrement. Crier haro sur quelqu'un, se récrier contre ce qu'il dit ou fait. [L]

[29] Latte : Il se dit quelquefois pour instrument de bastonnade. [L]

[30] Erre : Train, allure. [L]

[31] Gaudir : Terme familier et qui commence à vieillir. Se réjouir. [L]

[32] Coteret : Nom des deux principales pièces du métier à tapisserie de haute lisse. [L]

[33] Guilleret : Qui a une pointe de gaieté. [L]

[34] Choser : Gronder qqn, blâmer qqn, chercher querelle à qqn. [CNRTL]

[35] Conteresse : Celle qui raconte qqc. [L]

[36] Crierie : Cris importuns. [L]

[37] On lit favorie au lieu de favorite.

[38] Fine épice : C'est une fine épice, se dit d'un homme rusé. [L]

[39] Dilayer : Renvoyer à un temps plus éloigné. [L]

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