LA JEUNE INDIENNE

COMÉDIE en un acte et en vers.

M. DCC. LXIV avec APPROBATION et PRIVILÈGE DU ROI

par M. De Chamfort

À PARIS, chez CAILLEAU, libraire, rue Saint Jacques, à Saint-André.

Représentée pour la première fois à Paris, au Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain par la troupe de la Comédie française, le 30 avril 1764.


publié par Paul FIEVRE, avril 2008, revu février 2017

© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 22:59:14.


ERRATA DE L'EDITION 1764

Le Lecteur est prié de lire cet ERRATA exigé par l'Auteur.

Page 7 vers 29. "forma", lisez "formait".

Page 9 vers 4. "les hommes", lisez "des hommes".

Page 13 vers 7. "te voici", lisez "te voilà".

Page 16 vers 4. "J'écoute de mon mieux ; à toutes je réponds." lisez "J'écoute ; de mon mieux à toutes je réponds."

Page 19. vers 8. "Les mortels", lisez "Ces mortels".

Page 22. dernier vers, "Si"la terre est stérile", "si le terre est fertile".

Page 24. vers 12, "essuyer les dédains", lisez "mendier les dédains".

Page 26. "parleraient", lise "parlaient".

Page 35. vers 8. "Du sommet", lisez "Au sommet".

Page 35. vers 9. "Et sur le bord des mers", lisez, "Et sur le sein des mers".

Page 35. vers 15. "Du moment", lisez "Au moment".

Page 36. vers 18. "Ils réclamaient", lisez "ils rallumaient."

Page 38 vers 2. "à mon sein", lisez "en mon sein".


ACTEURS

BETTI.

BELTON.

MOWBRAI.

MYLFORD.

UN NOTAIRE.

JOHN, laquais.

La scène est à Charlestown, colonie anglaise de l'Amérique septentrionale.


LA JEUNE INDIENNE

SCÈNE PREMIÈRE.
Belton, Mylford.

MYLFOR.

À Charlestown, enfin, vous voilà revenu :  [ 1 Charlestown : vile de l'Etat du Massachussets, à 1 Km de Boston. [B]]

L'ami que je pleurais à mes voeux s'est rendu.

Je vous vois ; vous calmez ma juste impatience.

Mais de ce morne accueil que faut-il que je pense ?

5   J'arrive au moment même. En entrant dans le port,

J'apprends votre retour, j'accours avec transport ;

Je m'attends au bonheur de répandre ma joie

Dans le sein d'un ami que le ciel me renvoie :

Je vous trouve abattu, pénétré de douleur.

10   Daignez me rassurer, ouvrez-moi votre coeur.

Tout semble vous promettre un destin plus tranquille.

De ces lieux à Boston le trajet est facile ;

D'un père, avant trois jours, vous comblerez les voeux...

BELTO.

Ah ! J'ai fait mon malheur ! Comment puis-je être heureux ?

15   La jeunesse d'un fils est le vrai bien d'un père.

Je regrette mes jours perdus dans la misère,

Ces jours si prodigués, dont le plus sage emploi

Pouvait me rendre utile à ma famille, à moi.

Dès longtemps, cher Mylford, une fougueuse ivresse,

20   L'ardeur de voyager domina ma jeunesse.

J'abandonnai mon père, et le ciel m'en punit.

Dans un orage affreux notre vaisseau périt?

Je fus porté mourant vers une île sauvage :

Un vieillard et sa gille accourent au rivage.

25   J'allais périr, hélas ! Sans eux, sans leur secours ;

Quels soins, quels tendres soins ils prirent de mes jours ?

Leur chasse me nourrit ; leur force, leur adresse,

Pourvut à mes besoins et soutint ma faiblesse.

Voilà donc les mortels parmi nous avilis ?

30   J'avais passé quatre ans dans ce triste pays,

Quand ce vieillard mourut. L'ennui, l'inquiétude,

Mon père, mon état, ma longue solitude,

Cet espoir si flatteur d'être utile à mon tour

À celle dont les soins m'avaient sauvé le jour,

35   Tout me rendit alors ma retraite importune :

J'engageai ma compagne à tenter le fortune.

Vous savez tout. Après mille périls divers,

Nous fûmes à la fin rencontrés sur les mers,

Par un de vos vaisseaux qui nous sauva la vie.

40   Mais quels chagrins encore il faudra que j'essuie !

I faudra retourner vers un père indigné

Contre un fils criminel et plus infortune.

Soutiendrai-je ses yeux en cet état funeste !

Irai-je de sa vie empoisonner le reste ?

45   Prodigue de ses biens et même de ses jours,

Puis-je encore justement prétendre à tes secours ?

MYLFOR.

L'amour et l'amitié vont d'une ardeur commune

D'un amant, d'un ami respecter la fortune.

BELTO.

L'amour ?...

MYLFOR.

Oubliez-vous qu'Arabelle autrefois

50   Fut promise à vos voeux ? Eh ! Vous l'aimiez, je crois.

BELTO.

Personne sans l'aimer ne peut voir Arebelle :

Mais quand Mowbrai formait cette union si belle,

Quand cet aimable objet à mes voeux fut promis,

De l'amour, je le sens, il n'était pas le prix.

55   Votre oncle affermissait une amitié sincère

Qui joignait ses destins aux destins de mon père ;

Mais croyez-vous encore qu'il voulût aujourd'hui,

Après cinq ans passés...

MYLFOR.

Quoi ! Vous doutez de lui ?

Vous ignorez pour vous jusqu'où va sa tendresse ?

60   Vos malheurs vont hâter l'effet de sa promesse.

Les charmes d'Arabelle augmentent chaque jour :

Je lirai dans son coeur, il sera sans détour.

Pour vous, voyez mon oncle ; il est d'un caractère

Excellent, sans façon, d'une vertu sévère.

65   La secte dont il tranche les compliments ;

Les Quakers, comme on sait, ne sont pas fort galants.  [ 2 Quakers : secte religieuse dont les membres se donnent le nom de Société Chrétienne des Amis, prit naissance en Angleterre et fut fondée en 1647 par George Fox cordonnier de Leicester. Les Quakers rejettent tout sacrement n'admettent aucun culte extérieur, aucune hiérarchie ecclésiastique. (...) Ils se refusent de prendre part à la guerre, condamnent le spectacle, le chant, les jeux de hasard, la chasse. [B]]

BELTO.

Eh ? Depuis si longtemps vous croyez qu'Arabelle...

MYLFOR.

Répondez-moi de vous, je réponds presque d'elle.

BELTO.

Revenez au plutôt : un coeur comme le mien

70   Doit, vous n'en doutez pas, goûter votre entretien.

Votre oncle m'est fort cher : je l'aime ; mais son âge

M'impose du respect, et m'interdit l'usage

De ses épanchements à l'amitié si doux ;

Mon coeur en a besoin, et les garde pour vous.

SCÈNE II.

BELTON, seul.

75   Je revois ce séjour ! Je vis parmi les hommes :

Quel sort vais-je éprouver dans ces lieux où nous sommes ?

Cet hymen d'Arabelle, autrefois projeté,

Devient dans ma disgrâce, une nécessité.

Généreuse Betti, tes soins et ton courage

80   Sauvent mes tristes jours, m'arrachent au naufrage :

Je saisis le bonheur au fond de tes déserts,

Et je trouve une amante au bout de l'univers.

Pourquoi donc te ravir à ce climat sauvage ?

Étais-je malheureux ? Ton coeur fut mon partage.

85   Ô ciel ! Je possédais, dans ma félicité,

Ce coeur tendre et sublime avec simplicité ;

Heureux et satisfaits du bonheur l'un et l'autre !

Le mépris n'y suit point la triste pauvreté ;

Le mépris, ce tyran de la société,

90   Cet horrible fléau, ce poids insupportable

Dont l'homme accable l'homme et charge son semblable.

Oui, Betti, je le sens, j'aurais bravé pour toi

Les maux que ton amour a supportés pour moi.

Mais je ne puis dompter l'horreur inconcevable...

95   Ma faiblesse à Betti paraîtra pardonnable,

Mon déplorable état, et nos communs malheurs.

SCÈNE III.
Mowbrai, Belton.

MOWBRA.

Laisse-là tes saluts, mon cher, couvre ta tête.

Pour être un peu plus franc, sois un peu moins honnête.

Je te l'ai déjà dit, et le dit de nouveau :

100   Aime-moi, tu le dois ; mais laisse ton chapeau.

Mon ami, tes erreurs et ta folle jeunesse

De ton malheureux père ont hâté la vieillesse.

Ce père fut pour moi le meilleur des amis.

Je te retrouve, Je lui rendrai son fils.

BELTO.

105   Mais, monsieur...

MOWBRA.

  Heum, Monsieur ! C'est Mowbrai qu'on me nomme.

BELTO.

Pensez-vous...

MOWBRA.

Penses-tu... Je ne suis qu'un seul homme

Et non deux ; souviens-t-en, et parle au singulier.

BELTO.

Tu le veux : eh bien ! Soit. Je vais vous... tutoyer.

Mon père est indulgent ; mais ma trop longue absence

110   A peut-être depuis lassé sa patience ;

Après tous les chagrins que j'ai pu lui donner,

Le penses-tu ? Peut-il encore me pardonner ?

MOWBRA.

Tu ne sais pas ce que c'est que l'âme paternelle.

Dès qu'un enfant revient se ranger sous notre aile,

115   On n'examine plus s'il est coupable ou non ;

Et l'aveu de l'erreur est l'instant du pardon.

Mais après ce qu'ici je consens à te dire,

Si désormais encor un imprudent délire

T'égarait, t'éloignait des routes du devoir,

120   Si d'un pareil aveu tu t'osais prévaloir,

Je te mépriserai sans retour ; mais je pense

Qu'après cinq ans entiers d'erreurs et d'imprudence,

Le fils infortuné d'un ami généreux,

Puisqu'il s'adresse à moi, veut être vertueux :

125   Et pour me mettre en droit d'adoucir ta misère

Ici Belton frémit.

Ta misère... Oui. Voyez un peu la belle affaire...

Regardez comme il est confus, humilié,

Pour ce mot de misère ! Ô ciel ! Quelle pitié !

De ton père envers moi l'amitié peu commune

130   Dernièrement encor a sauvé ma fortune.

Je perdis deux vaisseaux, presque au port, sous mes yeux ;

On me crut sans ressource : un créancier fougueux,

Afin de rassurer sa timide avarice,

Veux que je fixe un terme, et que j'aille en justice,

135   Par un serment coupable autant que solennel,

Déshonorer le nom de l'Éternel.

À l'Être tout puissant faire une telle injure !

J'allais m'exécuter, la faillite est sûre,

Quand je reçus soudain ce billet. Lis.

BELTON, prend le billet et lit.

140   « Monsieur... »

MOWBRA.

Ah ! Sans doute.

BELTON, continue.

  « Je viens d'apprendre le malheur

Qui vous met hors d'état de pouvoir faire face

À quelque arrangement. Je vous demande en grâce

D'accepter de ma part cinquante mille écus,

Que j'ai fort à propos nouvellement reçus.

145   Ignorez, s'il vous plaît, l'auteur de ce service.

Si la fortune un jour vous redevient propice,

Je les réclamerai. Conservez ce billet :

Il est votre quittance, et je suis satisfait. »

MOWBRA.

Ton père de ce trait me parut seul capable.

150   C'est en effet à lui que j'en suis redevable...

Ne te voilà-t-il pas interdit, confondu !

Mon fils, ne sois jamais surpris de la vertu.

Te voilà maintenant en état de comprendre

Quel intérêt sensible à tous deux je dois prendre :

155   Mais n'attends pas de moi des protestations,

Des élans d'amitié, des exclamations,

Je suis tout uni, moi : sois donc ma famille ;

Dès ce jour mon neveu te présente ma fille.

BELTO.

Votre... Ta fille !....

MOWBRA.

Eh ! Oui. Tu sembles t'étonner ?

160   À ton aise, s'entend, ne vas pas te gêner.

BELTO.

Dès longtemps, en faveur d'une amitié fidèle,

Ta bouche à mon amour promettait Arabelle.

J'aspirais à ces noeuds ; et cet espoir flatteur,

Précieux à mon père, était cher à mon coeur.

165   Mais je me rends justice, et j'ai trop lieu de craindre

Que mes longues erreurs n'aient dû peut-être éteindre

Cet espoir dont jadis mon coeur s'était flatté.

Je sens que cet hymen, entre nous concerté,

Serait le seul moyen de me rendre à mon père,

170   Et de m'offrir à lui digne de lui plaire.

MOWBRA.

Va, mon coeur est encor ce qu'il fut autrefois ;

Je chéris ton malheur, il ajoute à tes droits.

Oui, tant de maux soufferts, fruits de ton imprudence,

Doivent t'avoir donné vingt ans d'expérience.

175   Belton, il faut du sort mettre à profit les coups ;

Oublier ses malheurs, c'est le plus grand de tous.

Adieu... Bon ! Glisse donc le pied ! La révérence !

À part.

Il me fait enrager avec son élégance.

Depuis trois jours entiers que nous l'avons ici,

180   Il ne se forme pas, il est toujours poli.

Haut.

La franchise, mon cher, voilà ta politesse :

Les bois t'en auraient dû donner de cette espèce.

Il veut sortir, et revint sur ses pas.

À propos, j'oubliais... Quelle est donc cette enfant

Que toute ma famille entoure en l'admirant ?

185   En habit de sauvage, en longue chevelure,

Je viens de l'entrevoir... L'aimable créature !

BELTO.

C'est elle dont les soins et les heureux travaux

Ont protégé mes jours, m'ont conduit sur les eaux ;

Elle était avec moi, lorsque ton capitaine,

190   Nous voyant lutter seuls contre une mort certaine,

Cingla soudain vers nous, et nous prit à son bord.

MOWBRA.

Ah ! Ce que tu m'en dis m'intéresse à son sort.

Elle a des droits sacrés sur ta reconnaissance ;

Mais je te laisse. Adieu : la voici qui s'avance.

Il sort.

BELTON, seul.

195   Hélas ! Puis-je à mon coeur dissimuler jamais

Qu'il n'est qu'un seul moyen de payer ses bienfaits ?

SCÈNE IV.
Betti, Belton.

BETT.

Ah ! Jet e trouve enfin. L'on m'assiège sans cesse.

D'où vient qu'autour de moi tout le monde s'empresse ?

Ou me fait à la fois cinq ou six question ;

200   J'écoute de mon mieux, à toutes je réponds ;

On rit avec excès. Que faut-il que je croie,

Belton ? Le rire ici marque toujours le joie...

BELTO.

Tu leur a fait plaisir...

BETT.

Oh bien ! Si c'est ainsi,

Tant mieux. Mais, toi, d'où vient que tu ne ris pas aussi ?

205   On te croirait fâché.

BELTO.

  J'ai bien raison de l'être.

BETT.

Quelle raison ? Dis-moi, ne puis-je la connaître ?

Tu parais inquiet...

BELTO.

Je le suis.... Non pour moi.

BETT.

Pour qui donc, mon ami ?

BELTO.

Le dirai-je ? Pour toi !

Je crains que dans ces lieux ton sort ne soit à plaindre.

BETT.

210   Tu m'aimes, il suffit ; que puis-je avoir à craindre ?

BELTO.

Non, il ne suffit pas. Il faut, pour être heureux,

Quelque chose de plus...

BETT.

Que faut-il en ces lieux ?

BELTO.

La richesse.

BETT.

À parler tu m'instruisis sans cesse ;

Mais tu ne m'as pas dit ce qu'était la richesse.

BELTO.

215   Eh ! Peut-on se passer ?...

BETT.

  Tu parles de l'amour...

On ne s'aime donc pas dans ce triste séjour ?

BELTO.

On s'aime ; mais souvent l'amour laisse connaître

Des besoins plus pressants.

BETT.

Et que peuvent-ils être ?

BELTO.

L'amour sans d'autres biens...

BETT.

L'amour sans la gaieté

220   Ne peut guère suffire à la félicité ;

Mais dans votre pays, ainsi que dans le nôtre,

Ne peut-on à la fois conserver l'un et l'autre ?

BELTO.

Il faut, pour bien jouir de l'un et l'autre don,

Être riche.

BETT.

Eh ! Dis moi, suis-je riche, Belton ?

BELTO.

225   Toi ? Non ; tu n'as pas d'or.

BETT.

  Quoi ! Ce métal stérile

Que j'ai vu...

BELTO.

Justement.

BETT.

Il te fut inutile ;

Tu ne t'en servis pas pendant plus de quatre ans.

Mais dans ce pays-ci tu connais bien des gens ;

Ils t'en donneront tous, s'il t'est si nécessaire ;

230   Ils ne voudront jamais laisser souffrir leur frère.

BELTO.

Écoute-moi, Betti, tu n'es plus dans les bois.

Les hommes en ces lieux sont soumis à des lois ;

Le besoin les rapproche et les unit ensemble :

Ces mortels opposés, que l'intérêt rassemble,

235   Voudraient ne voir admis dans la société

Que ceux dont les travaux en ont bien mérité.

BETT.

Mais... Cela me paraît tout à fait raisonnable.

BELTON, à part.

Chaque instant à mes yeux la rend plus estimable.

Haut.

Betti... La pauvreté m'inspire un juste effroi.

BETT.

240   La pauvreté ! Mais, c'est manquer de tout, je crois ?

BELTO.

Oui.

BETT.

J'en sauvai toujours et toi-même et mon père...

Quoi ! Nous pourrions ici manquer du nécessaire ?

BELTO.

Non ; mais il ne faut pas y borner tous nos soins.

Nous sommes assiégés de différents besoins ;

245   Ils naissent chaque jour, chaque instant les ramène ;

Et lorsque par hasard la fortune inhumaine

Ne nous a pas donné...

BETT.

Je ne te comprends pas...

Manquer d'un vêtement, d'un abri, d'un repas,

Voilà la pauvreté ; je n'en connais pas d'autre.

BELTO.

250   Voilà la tienne : hélas ! Connais quelle est la nôtre.

BETT.

Une autre pauvreté ! Vous en avez donc deux ?

On doit dans ce pays être bien malheureux !

BELTO.

C'est peu de contenter les besoins de la vie...

Une prévention, parmi nous établie,

255   Fait ici, par malheur, une nécessité

Des choses d'agrément et de commodité,

Dont les yeux étonnés ont admiré l'usage ;

Et d'éternels besoins un funeste assemblage...

BETT.

Oh ! Cette pauvreté... C'est votre faute aussi.

260   Pourquoi donc inventer encore celle-ci ?

Chez nous, grâce à nos soins, la terre inépuisable

Était de tous nos biens la source intarissable.

Belton, comment ont fait, et comment font encor

Tous ceux qui, parmi vous, possède le plus d'or ?

BELTO.

265   L'un le tient du hasard, et tel autre d'un père ;

Du crime trop couvert il devient le salaire ;

Mais la vertu parfois a produit...

BETT.

Que dis-tu ?

Avec de l'or vous payez la vertu ?

BELTO.

Contre le besoin d'or l'infaillible remède...

BETT.

270   Eh bien !

BELTO.

  C'est de servir quiconque la possède ;

De lui vendre son coeur, de ramper sous ses lois.

BETT.

Ô ciel ! J'aime bien mieux retourner dans nos bois.

Quoi ! Quiconque a de l'or oblige un autre à faire

Ce qu'il juge à propos, tout ce peut lui plaire ?

BELTO.

275   Souvent.

BETT.

  En laissez-vous aux malhonnêtes gens ?

BELTO.

Plus qu'à d'autres.

BETT.

De l'or dans les mains des méchants !

Mais vous n'y pensez point, et cela n'est pas sage :

N'en pourraient-ils pas faire un dangereux usage ?

Vous devez trembler tous, si l'or peut tout oser.

280   De vous et de vos jours ils peuvent disposer.

La flèche qui, dans l'air, cherchait la nourriture,

Était, entre mes mains, moins terrible et moins sûre !

BELTO.

Chacun, suivant son coeur, s'en sert différemment ;

Des vertus ou du vice il devient l'instrument.

285   Avec avidité celui-ci la resserre,

L'enfouit en secret, et le rend à la terre...

BETT.

Ah ! Fuyons ces gens-là. Tu vines de me parler

D'un pays plus heureux où nous pouvons aller,

Ce pays où les gens veulent qu'on soit utile

290   À leur société. Si la terre est fertile,

Ils en auront de trop : nous le demanderons ;

Et comme elle est à tous, soudain nous l'obtiendrons.

BELTO.

Ils ne donneront rien ; les champs les plus fertiles

Ne suffisent qu'à peine aux habitants de ville...

BETT.

295   Tant pis, car j'aurais bien travaillé.

BELTO.

  Dans ces lieux,

On épargne à ton sexe un travail odieux.

BETT.

C'est que vos femmes sont languissantes, débiles :

J'en ai déjà vu deux tout à fait immobiles ;

Mais pour moi le travail eut toujours des appas ;

300   Dans nos champs, dès l'enfance, il exerça mes bras.

BELTO.

Tu ne peux travailler au séjour où nous sommes ;

L'usage le défend.

BETT.

Le permet-il aux hommes ?

BELTO.

Sans doute, il le permet.

BETTI, avec joie.

Belton, embrasse-moi.

BELTO.

Quoi donc.

BETT.

Tu me rendras ce que j'ai fait pour toi.

BELTO.

305   Ah ! C'est trop prolonger un supplice si rude !

Vois la cause et l'excès de mon inquiétude.

Va, Betti, j'ai déjà regretté ton pays :

Ici, par ces travaux, nous sommes avilis.

Vois à quel sort, hélas ! Nous devons-nous attendre ?

310   Des besoins renaissants l'horreur va nous surprendre ;

Privés d'appuis, de biens, abandonnés de tous,

L'oeil affreux du mépris s'attachera sur nous.

Nous n'oserons encore prendre ces soins utiles

Que l'amour ennoblit, qu'ici l'on croit serviles.

315   Il faudra dévorer, mendier les dédains ;

Rebutés, condamnés à l'affront d'être plaints,

Tout aigrira nos maux, jusqu'à notre tendresse ;

Nous haïrons l'amour, nous craindrons la vieillesse ;

En d'autres malheureux reproduits, chaque jour,

320   Nos mains repousseront le fruit de notre amour.

BETT.

Ciel !

SCÈNE V.
Betti, Belton, Mylford.

MYLFORD, à Belton.

Je quitte Arabelle, et je vais vous instruire...

BETTI, à Mylford.

Aimes-tu Belton ?

MYLFOR.

Oui.

BETT.

Bon ! Il vient de me dire

Qu'il n'a point d'or...

BELTON, à Mylford.

Ô ciel ! Oseriez-vous penser !...

MYLFOR.

Par un vain désaveu craignez de m'offenser.

325   Vous connaissez mon coeur, mes sentiments, mon zèle.

Je sais l'heureux devoir de l'amitié fidèle :

Tout mon bien est à vous.

BELTON, à Betti.

À quoi me réduis-tu ?

BETTI, à Belton.

Mais il t'offre on or : que ne le reçois-tu ?

À Mylford.

Nous ne prendrons pas tout.

BELTON, à Mylford.

Souffrez que je l'instruise.

À Betti.

330   Il se fait tort pou moi, son coeur le lui déguise.

Il m'offre tout son bien, je dois le refuser,

Ou de son amitié ce serait abuser.

Cette offre où quelquefois un ami se résigne,

Quand on l'ose accepter, on en devient indigne.

BETT.

335   Quoi ! L'on rejette ici les dons de l'amitié !

BELTO.

Souvent qui les reçoit excite la pitié.

BETT.

Je ne vous entends point. Si chez vous la parole

Ne présente aucun sens, c'est donc un bruit frivole.

Des cris dans nos forêts parlaient plus clairement

340   Que ce langage vain que votre coeur dément.

Quoi ! Tu veux que les dons puissent être une tache;

Que sur qui les reçoit quelque opprobre s'attache,

Que la main d'un ami ?... Non, tu t'es abusé,

J'en suis sûre ; jamais je ne t'ai méprisé.

MYLFOR.

345   Belton, vous entendez la voix de la nature.

Elle me venge, ami ; vous m'aviez fait injure.

À Betti.

Je voudrais lui parler ; Betti, retire-toi.

BETT.

Pourquoi donc ? Ne peux-tu parler devant moi ?

Est-il quelque secret que l'on doive me taire ?

À Belton qu'elle regarde tendrement.

350   Quand je t'en confiais, éloignais-je mon père ?

Tu le veux ?...

Belton fait signe de la tête.

Allons donc !

Betti en sortant, soupire, et regarde plusieurs fois Belton.

SCÈNE VI.
Belton, Mylford.

MYLFOR.

Enfin tout est conclu.

Je suis sûr qu'Arabelle, et son coeur m'est connu.

Sa réponse pour vous est de plus favorables.

"Ces noeuds, a-t-elle dit, me semblent désirables.

355   Mon coeur, de puis six ans, à Belton fut promis ;

Mes yeux ont vu Belton, et ce coeur est soumis.

Je déplorais sa mort, le ciel nous le renvoie ;

Mon père a commandé, j'obéis avec joie."

Mais de cet air chagrin, que dois-je enfin penser ?

360   L'amitié doit savoir...

BELTO.

  Ah ! C'est trop l'offenser.

Connaissez mon état. La jeune infortunée,

Compagne de mes maux, en ces lieux amenée...

L'homme est fait pour aimer. J'ai possédé son coeur.

Dans un climat barbare elle a fait mon bonheur.

365   Non, je ne puis trahir sa tendresse fidèle :

Elle a tout fait pour moi.

MYLFOR.

Vous ferez tout pour elle.

Il m'est doux de trouver mon ami généreux ;

Mais mon premier désir est de vous voir heureux.

De l'hymen d'Arabelle observez l'avantage ;

370   Observez que déjà vous touchez à cet âge,

Où pour un état sûr votre choix arrêté

Doit vous donner un rang dans la société.

Pour vous, par cet hymen la fortune est fixée ;

Et de tous vos malheurs la trace est effacée.

MYLFOR.

375   Je le sens, vos raisons pénètrent mon esprit.

Sans peine, il les admet ; mais mon coeur les détruit.

Qui ? Moi ! Trahir Betti ! La rendre malheureuse !

Je n'en puis soutenir l'image douloureuse.

Hélas ! Si vous saviez tout ce que je lui dois !

380   Mais qui peut le savoir ? C'est elle, je le vois.

Le remords à ses yeux m'agite et me dévore.

SCÈNE VII.
Betti, Belton, Mylford.

BETTI, à Belton.

As-tu quelque secret à me cacher encore ?

Hélas ! Oui... Loin de moi tu détournes les yeux.

Ah ! Je eux t'arracher ce secret odieux.

385   Mais qui vient nous troubler ?

MYLFORD, à Belton.

  C'est mon oncle lui-même.

BETT.

Quel pays ! On n'y peut jouir de ce qu'on aime.

MYLFOR.

Adieu, décidez-vous ; vous n'avez qu'un instant :

Songez à votre état, au prix qui vous attend,

À cinq ans de malheurs, à vous, à votre père,

390   Et prenez un parti que je crois nécessaire.

BETTI, à Belton, lui montrant Mowbrai.

Ne faut-il pas sortir encore pour celui-là ?

Moi, j'aime ce vieillard, je reste.

SCÈNE VIII.
Betti, Belton, Mowbrai.

MOWBRA.

Te voilà !

Je te cherchais ; j'apporte une heureuse nouvelle.

J'ai pour toi la promesse et les voeux d'Arabelle.

395   Le contrat est tout prêt.

BELTO.

  Une telle faveur...

Autant qu'il est en vous... peut faire mon bonheur.

BETTI, à Mowbrai, avec ingénuité.

Bien obligé....

MOWBRA.

Betti, tu serviras ma fille ;

Et je te veux toujours garder dans ma famille.

BETT.

Oh ! Pour moi, je ne veux servir que mon ami.

MOWBRAI, à Belton.

400   Combien tu dois l'aimer ! Je me sens attendri.

En formant ces doux noeuds, l'amitié paternelle

Croit assurer aussi le bonheur d'Arabelle ;

Et par l'égalité cet hymen assorti,

À ma fille...

BETT.

Belton, que parle-t-il ici

405   De sa fille ? Et qu'importe ?...

MOWBRAI, à Belton.

  Eh ! Daigne lui répondre.

BELTON, à part.

Dieux ! Quel affreux moment : Que je me sens confondre !

MOWBRA.

Son amitié mérite un meilleur traitement,

Et du dois avec elle en user autrement.

Et quand elle saurait qu'un prochain hyménée

410   De ma fille à ton sort joindra la destinée.

Elle prend part assez...

BETT.

Bon vieillard, que dis-tu ?

MOWBRAI, à Belton.

Mais d'où vint cet air inquiet, éperdu ?

À Betti.

Dès aujourd'hui ma fille...

BELTON, à part.

Il va lui percer l'âme.

MOWBRA.

Par des noeuds éternels va devenir sa femme.

BETT.

415   Sa femme ! Votre fille !...

À Belton.

  Est-il bien vrai, cruel !

Aurais-tu formé ce projet criminel ?

Quoi ! Tu pourrais trahir l'amante le plus tendre ?

Ô malheur ! Ô forfait que je ne puis comprendre !

Mais je ne te crains plus ; tu m'as dit mille fois

420   Qu'ici contre le crime on a recours aux lois.

J'ose les implorer ; tu m'y forces, perfide !

Respectable vieillard, sois mon juge et mon guide ;

Que ta voix avec moi implore aujourd'hui.

MOWBRA.

À part.

Qu'allais-je faire ? Ô ciel !... Je serai ton appui.

425   Mais, mon enfant, ces lois que ton amour réclame,

En vain...

BETT.

Quoi ! Par vos lois il peut trahir sa flamme !

Il pourrait oublier... Dieu ! Quels affreux climats !

Dans quel pays, ô ciel ! As-tu conduit mes pas ?

Arrache-moi des lieux, témoins de mon injure,

430   Qui d'amant chéri font un amant parjure ;

Exécrable séjour, asile du malheur,

Où l'on a des besoins autres que ceux du coeur ;

Où les bienfaits trahis, où l'amour qu'on outrage...

De la fidélité quel est ici le gage ?

435   Quel appui...

MOWBRA.

  Des témoins, sûrs garants de l'honneur.

BETTI, vivement.

Ah ! J'en ai...

MOWBRA.

Quels sont-ils ?

BETT.

Moi, le ciel et son coeur.

MOWBRA.

Si, par une promesse auguste et solennelle...

BETT.

Il m'a promis cent fois l'amour le plus fidèle.

MOWBRA.

A-t-il par un écrit ?...

BETT.

Ô ciel ! Qu'ai-je entendu ?

440   Quoi ? Tu peux demander un écrit ! L'oses-tu ?

Un écrit ! Oui, j'en ai... Les horreurs du naufrage,

Mes soins dans un climat que tu nommas sauvage,

Les dangers que pour toi j'ai mille fois courus ;

Voilà mes titres ! Viens, puisqu'ils sont méconnus,

445   Dans le fond des forêts, barbare, viens les lire ;

Partout, à chaque pas, l'amour sut les écrire,

Au sommet des rochers, dans nos antres déserts,

Sur le bord du rivage et sur le sein des mers.

Il me doit tout. C'est peu d'avoir sauvé ta vie,

450   Qu'un tigre ou que la faim t'aurait cent fois ravie ;

Mes travaux, mes périls t'ont sauvé chaque jour.

Entre mon père et lui partageant mon amour...

Mon père !... Ah ! Je l'entends à son heure dernière,

Au moment où nos mains lui fermaient la paupière,

455   Nous dire : "Mes enfants, aimez-vous à jamais" ;

Je t'entends lui répondre : oui, je te le promets.

Se tournant vers le Quaker.

Tu t'attendris...

BELTON, à part.

Ô ciel ! Quel homme impitoyable

Pourrait...

MOWBRA.

De la trahir serais-tu bien capable ?

BETTI, à Belton.

Que ne me laissais-tu dans le fond des forêts ?

460   J'y pourrais sans témoins gémir de tes forfaits.

Dans mon obscur réduit, dans ma grotte profonde,

Savais-je s'il était des malheureux au monde ?

Ah ! Combien je le sens, quand tu ne m'aimes plus !

Eh bien ! Puisqu'à jamais nos liens sont rompus...

465   Tire-moi de ces lieux... qu'au moins, dans ma misère,

Mes pleurs puissent couler sur le tombeau d'un père.

Toi, cruel, vis ici parmi les malheureux,

Ils te ressemblent tous, ils te souffrent chez eux.

BELTON, se retournant tendrement.

Betti...

BETT.

Tu m'as donné ce nom que je déteste.

470   Ce nom qui me rappelle un souvenir funeste,

Ce nom qui fit, hélas ! mon malheur aujourd'hui.

Jadis il me fut cher : il me venait de lui.

À ce nom qu'il aimait, autrefois sa tendresse

Daignait joindre le sien, les prononçait sans cesse ;

475   Sa faisait un bonheur de les unir tous deux ;

Prononcés par ma bouche, ils rallumaient ses feux ;

Son affreux changement pour jamais les sépare.

MOWBRAI, à part.

Mon coeur est oppressé.

À Belton.

Quoi ! Tu pourrais, barbare !

BELTO.

Je le suis en effet pour avoir résisté

480   À cet amour si tendre et trop peu mérité

À Betti.

Ah ! Crois-en les serments de mon âme attendrie !

L'indigence et les maux où j'exposais ta vie,

Seul à t'abandonner pouvaient forcer mon coeur :

Même en te trahissant, je voulais ton bonheur.

485   Dût cent fois dans tes bras la misère, l'outrage,

M'accabler, m'écraser, je bénis mon partage.

Je brave ces besoins qui pouvaient m'alarmer.

Je n'en connais plus qu'un : c'est celui de t'aimer.

Je te perdais ! Ô ciel ! Que j'allais être à plaindre !

Il se jette à ses pieds.

490   Voudras-tu pardonner ?...

BETT.

  Ah ! Tu n'as rien à craindre,

Cruel, tu le sais trop : ce coeur qui t'est connu

Peut-il ?...

BELTO.

Chère Betti ! Quel coeur j'aurais perdu !

Ils s'embrassent.

MOWBRA.

Ô spectacle touchant ! Tendresse aimable et pure !

L'amour porte en mon sein le cri de la nature !

495   Livrez-vous sans réserve à des transports si doux ;

Je le sens, et mon coeur les partage avec vous.

À Belton.

Tu fus vil un instant...

À Betti.

Et toi, que tu m'es chère !

Il va vers la coulisse.

John, John.

SCÈNE IX.
Betti, Mowbrai, Belton, John.

MOWBRA.

Écoute.

JOH.

Quoi ?

MOWBRA.

Fais venir le notaire.

John sort.

MOWBRA.

Belton, rends grâce au ciel de t'avoir réservé

500   Ce coeur si généreux par toi-même éprouvé ;

Et que ton âme un jour puisse égaler la sienne.

BETT.

Égale, cher Belton, ta tendresse est la mienne.

Existant dans ton coeur, riche de ton amour,

Le mien peut être heureux, même dans ce séjour.

À Mowbrai.

505   Cesse de l'accabler par ce cruel reproche :

Il m'aime...

MOWBRA.

Quelqu'un vient, c'est le notaire.

SCÈNE X.
Betti, Belton, Mowbrai, Le Notaire.

MOWBRA.

Approche.

LE NOTAIR.

Serviteur.

MOWBRA.

Assied-toi... C'est pour ces deux époux.

BETTI, à Belton.

Quel est cet homme-là ?

BELTO.

Cet homme vient pour nous.

LE NOTAIRE, à Mowbrai.

Tu te trompes, je crois ; je ne viens pas pour elle ;

510   Et j'ai sur ce contrat mis le nom d'Arabelle.

MOWBRA.

Efface-moi ce nom ; mets celui de Betti.

LE NOTAIR.

Betti !

MOWBRA.

Vite, dépêche.

LE NOTAIR.

Allons, soit... J'ai fini.

BELTO.

Signons.

LE NOTAIR.

C'est bien dit ; mais, avant la signature,

Il faudrait mettre au moins la dot de la future.

MOWBRA.

515   Allons, mets : ses vertus.

LE NOTAIRE, laissant tomber sa plume.

  Bon ! Tu railles, je crois ?

MOWBRA.

Ses vertus.

LE NOTAIR.

Allons donc, tu te moques de moi.

Qui jamais aurais vu ?...

MOWBRAI, avec impatience.

Mets ses vertus, te dis-je.

LE NOTAIR.

Tout de bon ! Par ma foi, ceci tient du prodige.

N'ajoute-t-on plus rien ?

MOWBRA.

Est-il rien au dessus ?...

520   Ajoute, si tu veux, cinquante mille écus.

LE NOTAIR.

Cinquante mille écus, si tu veux ! L'accessoire

Vaut bien le principal, autant que je puis croire.

BELTON, à Betti.

Il nous comble de biens ! Ah ! Courons dans ses bras...

BETT.

Ah ! Surtout, bon vieillard, ne nous méprise pas.

MOWBRA.

525   Que dit-elle ?

BETT.

  Je sais que chez vous on méprise

Quiconque en recevant des dons...

MOWBRA.

Autre sottise.

Où prend-elle cela ? Sera-ce de toi, Belton,

Qui peux la prévenir de cette illusion ?

De rougir des bienfaits ton âme a la faiblesse ?

530   Puisqu'avec le malheur tu confonds la bassesse,

Je dois te rassurer. Je ne te donne rien :

La somme est à ton père, et je te rends ton bien.

LE NOTAIRE, à Belton.

Signez.

Belton signe.

À Betti.

À vous.

BETT.

Qui ? Moi, je ne sais point écrire.

BELTO.

Donnez-moi votre main, l'amour va la conduire.

BETT.

535   Et le coeur et la main, Belton, tout est à toi.

BELTO.

Votre coeur en aimant ne le cède qu'à moi.

BETT.

Eh bien ! C'est donc fini ? Que cela veut-il dire ?

BELTO.

Qu'au bonheur de tous deux vous venez de souscrire ;

Vous m'assurez l'objet qui m'avait su charmer.

BETT.

540   Quoi ! Sans cet homme noir, je n'aurais pu t'aimer !

Au notaire.

Donne-moi cet écrit.

LE NOTAIR.

Il n'est pas nécessaire.

Cet écrit doit toujours rester chez le notaire.

D'ailleurs que feriez-vous de....

BETT.

Ce que j'en ferais ?

S'il cessait de m'aimer, je le lui montrerais.

LE NOTAIR.

545   Peste ! Le beau secret qu'a trouvé là madame !

BELTO.

En doutant de mes feux vous affligez mon âme.

MOWBRA.

Par les noeuds les plus saints je viens de vous unir.

Ton ère l'aurait fait, j'ai dû le prévenir.

Il approuvera tout ;

En montrant Betti.

Et voilà notre excuse.

550   Instruisons mon ami que sa douleur abuse.

Lui-même en t'embrassant voudra tout oublier :

Consoler ses vieux jours, c'est te justifier.

 


APPROBATION.

J'ai lu par ordre de Monseigneur le Vice-Chancelier, une Comédie intitulée La Jeune indienne en un Acte et en Vers : et je n'y ai rien trouvé qui puisse en empêcher l'impression. À Paris ce 10 Mai 1764.

MARIN.


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Notes

[1] Charlestown : vile de l'Etat du Massachussets, à 1 Km de Boston. [B]

[2] Quakers : secte religieuse dont les membres se donnent le nom de Société Chrétienne des Amis, prit naissance en Angleterre et fut fondée en 1647 par George Fox cordonnier de Leicester. Les Quakers rejettent tout sacrement n'admettent aucun culte extérieur, aucune hiérarchie ecclésiastique. (...) Ils se refusent de prendre part à la guerre, condamnent le spectacle, le chant, les jeux de hasard, la chasse. [B]

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