MONOLOGUE
1881.
PAR PAUL BILHAUD.
À PARIS, TRESSE, Galerie du Théâtre Français, PALAIS-ROYAL.
© Théâtre classique - Version du texte du 31/07/2023 à 20:02:01.
PERSONNAGES
L'AMOUREUX.
Paru dans "Saynètes et monologues", Troisième série, Paris, Tresse Editeur, 1881. pp. 95-105
PREMIER AMOUR
L'AMOUREUX
À Coquelin-Cadet.
J'étais jeune alors et j'aimais !
J'aimais comme on n'aima jamais !
Ou, pour mieux dire,
J'aimais comme on aime à seize ans,
5 | Lorsque le coeur, moins que les sens, |
Fait qu'on soupire. -
Elle avait le nez retroussé !...
Enfin, ce qui m'avait pincé,
Elle était blonde !
10 | Blonde, d'un beau blond vaporeux ; |
La seule couleur de cheveux
Que j'aime au monde !
Je t'adorais ! Oui, mais tout bas.
J'enrageais ! Elle n'avait pas
15 | L'air de comprendre. |
J'avais de grands élancements ;
Je suivais tous ses mouvements
D'un regard tendre !...
Rien n'y faisait ! - Enfin, un jour,
20 | Presque affolé par mon amour, |
L'âme égarée,
J'allais... lorsque j'appris soudain
Que, chez elle, le lendemain,
Une soirée
25 | Se donnait. - J'étais invité. - |
« Tant pis ! C'est la fatalité,
Dis-je en moi-même.
Auguste, allons, n'hésite pas ;
Il faut parler. Tu lui diras :
30 | Oui, je vous aime ! » |
« Je ne puis vivre loin de vous,
Tenez, je suis à vos genoux...
Plus bas encore !
Répondez-moi, dites un mot !...»
35 | Je la tutoierai, s'il le faut : |
« Oui, je t'adore ! »
Quelquefois ça ne fait pas mal.
J'étais résolu. - Pour le bal,
Alors je pense
40 | À me faire beau, séducteur, |
Pour que de moi tout sur son coeur
Soit éloquence.
Le matin, je me fis raser
Tout frais ; puis je me fis friser.
45 | Dans la journée, |
C'était tombé par la chaleur.
Je retournai chez le coiffeur.
Dans la soirée.
J'eus encor le désagrément
50 | De me défriser, en passant |
Dans ma chemise ;
Et ma barbe avait repoussé !...
Chez le coiffeur je repassai
Pour qu'il me frise
55 | Et qu'il me rase de nouveau. |
Enfin, bien pomponné, la peau
Un peu brûlante,
Mais cent fois moins que mon ardeur,
Au logis qu'habitait mon coeur
60 | Je me présente. |
J'avais des souliers neufs, vernis ;
Ils étaient bien un peu petits,
Mais la nature,
M'ayant fait le pied un peu grand,
65 | Il fallait corriger vraiment |
Cette imposture.
« Si mon pied lui tape dans l'oeil,
J'en pourrai montrer quelque orgueil,
Dis-je en moi-même;
70 | Car déjà c'est un grand bonheur |
Que d'avoir un pied dans le coeur
De ce qu'on aime »
Et voilà pourquoi j'avais mis,
Ce soir, des souliers trop petits.
75 | J'avais encore |
Autre chose en entrant au bal.
- On doit avoir un arsenal
Quand on adore. -
C'était un mouchoir séducteur,
80 | Imprègne. non, trempé d'odeur ; |
« Et si ma blonde,
Me disais-je, danse avec moi,
Je tire mon mouchoir, ma foi,
Et je l'inonde »
85 | « D'un parfum des plus enivrants; |
Ayant ainsi troublé ses sens,
Coûte que coûte,
Comme elle n'entendra plus rien,
Alors, tant pis! il faudra bien
90 | Qu'elle m'écoute! » |
J'allai t'inviter à valser.
Elle accepta, sans balancer,
Et je crois même
Qu'en acceptant elle sourit...
95 | Seulement elle me promit |
Pour la quinzième.
C'était bien un peu long, cela !
Je ne dansai pas jusque-là !
Vive, animée,
100 | Je la suivais des yeux de loin, |
Le coude appuyé sur un coin
De cheminée.
Et quand je voyais un danseur
Nouveau serrant avec bonheur
105 | Sa taille souple, |
D'un regard je le foudroyais !...
Mais, en moi, pourtant, j'enviais
Cet heureux couple. -
J'en avais déjà foudroyé
110 | Environ près de La moitié |
Tout autour d'elle,
Quand je sentis une douleur
Tout à coup m'étreindre le coeur :
Douleur cruelle
115 | Qui me fit frissonner, hélas § |
Et cependant ce n'était pas
La jalousie
Qui me faisait trembler ainsi.
- Messieurs, j'ai grand besoin ici
120 | De poésie. - |
Vous avez aime tous un jour,
Et vous savez ce qu'est l'amour ;
On est très bête
Lorsque l'on aime, c'est un fait,
125 | Et la moindre chose vous fait |
Perdre la tête.
Le moindre rien paraît charmant :
Ainsi, par hasard, qu'un amant
Tombe par terre,
130 | Si sur sa gauche est la douleur, |
Il s'écrie « Ah ! côté du coeur !
Blessure chère ! »
Moi, je ressemble à cet amant
Pour mon histoire, seulement...
135 | C'est le contraire. |
Au bal, je m'en souviens encor,
Je m'écriai « Coté... du cor ! »
Voilà l'affaire.
Vous concevez mon embarras ;
140 | Comment me tirer de ce pas |
Sans ridicule ?
Je pouvais à peine marcher,
je voyais mon tour approcher
« Si je recule, »
145 | « Si je refuse de danser, |
Mon Dieu, que va-t-elle penser?
Hélas ! sans doute,
Se fâcher, et non sans raison ;
Et mon amour ! Mes projets ! Non,
150 | Coûte que coûte, » |
« Je surmonterai. » Mais, hélas!
Je ne pouvais seulement pas
Bouger de place. -
Que n'a-t-on pu trouver encor
155 | Quelque remède qui du cor |
Nous débarrasse !
Voilà ce qu'un gouvernement
Devrait chercher évidemment
Par une somme,
160 | Un prix quelconque, à découvrir : |
C'est un moyen sûr pour guérir
Le cor de l'homme !
Je vous ai dit que je souffrais
D'aimer ! En vain je soupirais
165 | Pour cette femme ! |
L'amour ignoré, c'est la mort !
Et pourtant je souffrais du cor
Plus que de l'âme !
Ce que je fis en cet état,
170 | Comme c'est assez délicat, |
Je m'en vais prendre
Une simple comparaison.
Vous avez assez de raison
Pour me comprendre.
175 | Prenons, par exemple, un habit |
Qui vous soit un peu trop petit
Et qui vous serre.
Vous cherchez donc quelque moyen
Pour que votre habit aille bien.
180 | Mais comment faire ? |
C'est simple. Otez votre gilet.
Mettez votre habit tel qu'il est,
Et je suppose
Qu'il vous ira parfaitement.
185 | Le gilet gênait simplement, |
Voilà la chose.
Cet exemple doit vous montrer
Comment je pus me délivrer
De ma souffrance.
190 | Oui, le coeur plein d'émotion, |
Soudain je sortis du salon,
Pâle, en silence,
Et, dans un endroit écarté,
Quittant ma bottine, j'ôtai.
195 | Dois-je le dire ? |
Pensez au moyen du gilet.
Je fis ainsi, j'ôtai l'objet
De mon martyre,
Ma... non ! Je n'irai pas plus loin.?
200 | Je la mis avec un grand soin |
Dans une poche,
Puis, je revins au bal, content,
Éprouvant un soulagement
Dont rien n'approche.
205 | La quinzième valse, ô bonheur ! |
Préludait. L'amour dans le coeur,
La joie aux lèvres,
J'allai vers elle, elle sourit,
Je l'enlaçai, mon corps frémit
210 | De mille fièvres, |
Mais je ne pouvais pas parler.
Je commençais à m'essouffler,
Et sur ma joue
Je sentais monter la rougeur.
215 | Je m'arrêtai, car j'avais peur, |
Je vous t'avoue,
De paraître rouge à ses yeux
C'est si laid pour un amoureux !
« L'instant suprême
220 | Approche, allons, c'est le destin, |
Dis-je ; il faut qu'elle sache enfin
Combien je l'aime ! »
Je me souvins de mon mouchoir
Que j'avais, dans le doux espoir
225 | D'un tête-à-tête, |
Imprégné d'un parfum divin
Qui devait m'assurer enfin
De sa défaite
En t'enivrant, « C'est le moment,
230 | Me dis-je, allons ! » Et, gravement, |
Sans rien lui dire,
Mais ne la quittant pas des yeux
Pour mieux voir l'effet merveilleux,
Alors je tire
235 | Mon mouchoir. - Mais elle partit |
D'un grand éclat de rire, et dit :
« - Monsieur Auguste! ·
Amour, voilà bien de tes coups!
J'avais retiré, savez-vous
240 | Quoi ? Ma... tout juste ! |
Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /htdocs/pages/programmes/edition.php on line 606