LE VOLONTAIRE

MONOLOGUE COMIQUE EN VERS

DIT PAR FELIX GALIPAUX, du Palais-Royal.

1881. Tous droits réservés

GEORGES FEYDEAU

PARIS, PAUL OLLENDORFF, ÉDITEUR, 28 bis, rue de Richelieu, 28 bis.

Imprimerie Générale de Chtillon-sur-Seine - A. Pichat.


Texte établi par Paul FIEVRE, septembre 2019

publié par Paul FIEVRE, septembre 2019.

© Théâtre classique - Version du texte du 27/02/2023 à 19:06:14.


PERSONNAGES

UN SOLDAT.


LE VOLONTAIRE

À Léon Landau.

Excusez ! C'est moi.... L'on prétend

Que le ministre de la guerre

Est ici ? C'est vrai ? - Justement

J'ai plus d'une plainte à lui faire...

5   Depuis trois jours, de mon état,

Monsieur, si parmi nous vous êtes,

Apprenez que je suis soldat...

Quel métier ! Mille baïonnettes !

Vous dire à quel point j'en suis las !

10   ... Comme ministre de la guerre,

Nous ne savez peut-être pas

Bien ce que c'est qu'un militaire ?

Affreux ! - J'ai pincé dans trois jours

Vingt jours de salle de police ;

15   Si cela doit durer toujours,

J'en aurai dix fois mon service.

... Lundi j'arrive ; un vieux sergent

Me dit: « Holà ! cré mill'tonnerre,

C'qu'on salu'donc plus maintenant ?

20   - Pardon, Monsieur le militaire

Fais-je alors, mais je ne crois pas

Avoir l'honneur de vous connaître ;

Et je vous vois du haut en bas

Sans parvenir à vous remettre.

25   - F'rez deux jours sall'polic' crebleu !

C'est qu'ça donc ? Vot'nom un peu vite ? »

Tout abasourdi, voyant bleu,

Je tends ma carte de visite :

« C'qui m'a donné pareil crétin ?

30   F'rez deux jours ! M'entendez ? Tonnerre !

Cretin ! Oui... t-a-i-n tin ! »

Et j'ai mes quatre jours à faire.

Non, c'est révoltant, quoi qu'on dise,

De s'entendre à tous les moments

35   Punir à la moindre bêtise

Par de vulgaires ignorants ;

Par des gens qui, soir et matin,

Dans un style de télégraphe

Viennent vous traiter de « crétin ! »

40   Sans même y mettre l'orthographe.

... Enfin avant-hier, c'est plus fort !

L'on nous commande à l'exercice

- Vous allez voir si j'avais tort. -

« Portez arme ! » Belle malice 1

45   Moi qui ne suis pas un gogo,

Tout seul je reste l'arme à terre.

« Eh bien ! hurle-t-on, grand nigaud

Pour quand ? - Oui, bernick ! Petit père !

Je n'aurai pas porté plus tôt

50   L'arme, que, la chose est certaine,

Il me faudra, tout aussitôt

La reposer ! C'est pas la peine. »

Bien v'lan ! Autre punition.

Oui ! - Tenez, on nous crie en face

55   Plus tard : « droite conversion ! »

Et chacun de tourner sur place.

Quant à moi, je ne bronche pas.

Honte ! Est-ce ainsi que l'on débauche,

Que l'on débauche des soldats !

60   Mon père est député de gauche,

Honneur à son opinion !

À son parti je me rallie.

« Qui ? moi ! Faire conversion

À droite ? Jamais de la vie ! »

65   Ça m'a valu ni plus ni moins,

Deux jours de salle de police !

Je les ferai ! Mais néanmoins,

Je crierai haut à l'injustice...

Avant d'entrer au régiment

70   Je m'étais fait, plein de prudence,

Au colonel sournoisement

Recommander avec instance.

Sitôt l'exercice fini,

Couvant dans mon coeur ma colère,

75   Je demande à monter chez lui

Pour lui détailler mon affaire.

Il me reçoit d'un air grognon :

- D'ailleurs c'est toujours de la sorte, -

« C'est vous qu'on nomme Potiron ?

80   - Pruneau ! Mon colonel. - N'importe !

Pruneau, Potiron, c'est tout un.

C'est toujours chose qui se mange,

Et faut pas faire le malin

Savez, orénom ! Ou je vous range 1

85   Vous m'êtes recommandé vous !...

Par chose !... Que je me rappelle !

Un de vos parents ?... Vertuchoux !

Ce crétin !... Comment qu'on l'appelle ?

Un nom en «off» ? Ah ! Oui : «Trucard» -

90   - Non, mon colonel : « La Rusée ».

- Là dessus le voilà qui part,

Qui monte comme une fusée

« Crénom ! « La Rusée » ou « Trucard »

C'est peut-être pas même chose ?

95   Me prenez donc pour un jobard ?

Faut pas nous la faire à la pose !

Quand vous m'aurez bien regardé ?

Coucherez ce soir à la caisse !

Allez !... M'êtes recommandé,

100   Vous !... Soignerai! Faut que ça cesse ! »

Moi j'écumais : « Ah ! C'est cela ?

J'irai me plaindre ! » II devient bistre :

« Crénom !... Prison ! Ce crétin-là !...

Et pouvez vous plaindre au ministre !...

105   Mais certainement que j'irai !

Ah ! Bien, si vous croyez me faire

Peur ! » Et sans plus hésiter, j'ai

Couru bien vite au ministère

Et me voilà ! - Vous savez tout

110   Monsieur, et voyez mes supplices,

Comprenez-vous qu'on soit à bout

Devant toutes ces injustices.

Bien non ! C'est trop d'obsession !

Assez du métier militaire,

115   Acceptez ma démission.

Et ramenez-moi chez ma mère.

 



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