******************************************************** DC.Title = DON JAPHET D'ARMÉNIE, COMÉDIE. DC.Author = SCARRON, Paul DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:21. DC.Coverage = Espagne DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/SCARRON_DOMJAPHETDARMENIE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70326x DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** DON JAPHET D'ARMÉNIE COMÉDIE M DC LIII. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. par SCARRON À PARIS, Chez Augustin Courbé, Imprimeur et Libraire de Monseigneur le Duc d'Orléans, dans la petite salle du Palais, à la Palme.Achevée d'imprimer pour la première fois le 2 mai 1653. Représenté pour la première fois au public en 1652 au Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne. ACTEURS DON JAPHET D'ARMÉNIE, fou de l'Empereur Charles-Quint. FOUCARAL, laquais de Don Japhet. DON ALFONCE ENRIQUEZ, ou ROC ZURDUCACI, Cavalier, amoureux de Léonore. MARC ANTOINE, ou PASCHAL ZAPATA, valet de Don Alfonce. LE COMMANDEUR de Consuegre. LÉONORE, nièce du Commandeur. MARINE, sa servante. ELVIRE, Soeur de Don Alfonce. DON ALVARE, amoureux d'Elvire. RODRIGUE, Gentilhomme du Commandeur. LE BAILLI d'Orgas. JEAN VINCENT, Laboureur d'Orgas. PEDRO, Harangueur. UN COURIER. TORRIBIO PONCIL, Gredin. LLORENTE RIBEROS, Gredin. La Scène est dans Orgas, jusqu'au troisième Acte, qu'elle passe dans Consuegre. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Don Alfonce, Marc Antoine. MARC ANTOINE. La résolution est tout à fait étrange. DON ALFONCE. Si Marc Antoine m'aime, il faut bien qu'il s'y range. MARC ANTOINE. Moi ? Je n'approuve point ce bas attachement,Et n'attends rien de bon de ce déguisement :Encor si vous vouliez seulement me permettre D'envoyer à Madrid le moindre mot de Lettre,Votre mère serait moins en peine de vous :Elle croit que son fils de sa nièce l'époux,A trouvé dans Séville, en Don Sanche son frère,Un oncle, un bienfaiteur, et comme un nouveau père ; Et que riche seigneur de seigneur indigent,Vous avez de son frère et la fille et l'argent :Cependant dans Orgas un malheureux village,Emporté des désirs d'un homme de votre âge,Sans songer qu'à Séville un grand bien vous attend, Vous suivez en aveugle un bel oeil qui vous prend :La villageoise est belle, et jeune, je l'avoue,[Note : Coucher en joue : donner au fusil une position couchée, horizontale, en l'ajustant à l'épaule et contre la joue pour tirer. (Dict. littré). Ici sens figuré à connotation scabreuse.]Don Alfonse en passant peut la coucher en joue,Et s'il la peut blesser, bon ; c'est autant de pris :Mais être avec fureur de son amour épris, Et pour elle oublier son devoir, sa naissance,C'est en quoi je vous dois manquer de complaisance ;Et connaissez-vous bien ce Révérend Seigneur,À qui vous vous voulez donner pour serviteur ? DON ALFONCE. C'est un homme bien riche à ce que j'entends dire, MARC ANTOINE. Et de qui le métier n'est que de faire rire. DON ALFONCE. Tant mieux. MARC ANTOINE. Mais il est fou de plus. DON ALFONCE. Encore mieux ;J'aurai mon passe-temps d'un fou facétieux. MARC ANTOINE. Je m'en vais vous en dire et l'histoire et la vie.Il se fait appeler Don Japhet d'Arménie, Venu de Père en fils du puîné de Noé,Voilà le Maître à qui vous vous êtes loué :Alors que Charles-Quint passa par son village,On mena devant lui ce sage Personnage,Il le trouva plaisant : il lui donna du bien ; Lui fit suivre la Cour, et presque en moins de rienLe Drôle a si bien fait par son humeur plaisante,Qu'il possède aujourd'hui cinq mil écus de rente :César ayant quitté l'Espagne, il a vouluParaître en son village, où faisant l'absolu, (Car il est glorieux) son bien et sa marotte,Ont si mal réussi chez le Compatriote ;Que couru des enfants, des autres maltraité,Et de fréquents affronts tous les jours irrité,Comme dans son pays on n'est jamais Prophète, Il en est à la fin délogé sans trompette ;Et s'est depuis huit jours retiré dans Orgas,Où l'on l'a bien reçu ne le connaissant pas ;En peu de mots, voilà quel est le personnage. DON ALFONCE. Tout ce que tu dis là me donne du courage. MARC ANTOINE. Je l'aperçois venir, et le Bailli du Bourg,Qui le croit, sot qu'il est, un des Grands de la Cour. DON ALFONCE. Éloignons-nous. SCÈNE II. Don Japhet, le Bailli, Foucaral. DON JAPHET. Bailli, votre fortune est grande,Puisque vous m'avez plu. LE BAILLI. Le bon Dieu vous le rende. DON JAPHET. Peut-être ignorez-vous encore qui je suis, Je veux vous l'expliquer autant que je le puis :Car la chose n'est pas fort aisée à comprendre,Du bon Père Noé j'ai l'honneur de descendre ;Noé qui sur les eaux fit flotter sa maison,Quand tout le genre humain but plus que de raison : Vous voyez qu'il n'est rien de plus net que ma race,Et qu'un cristal auprès paraîtrait plein de crasse ;C'est de son second fils que je suis dérivé ;Son sang de père en fils jusqu'à moi conservé,Me rend en ce bas Monde à moi seul comparable : L'Empereur Charles-Quint, ce Héros redoutable,Mon Cousin au deux mille huitantième degré,Trouvant avec raison mon esprit à son gré,M'a promené longtemps par les villes d'Espagne,Et depuis m'a prié de quitter la campagne ; Parce que deux soleils en un lieu trop étroit,Rendraient trop excessifs le contraire du froid :La façon de parler est obscure au village,Entendez-vous Bailli mon sublime langage ? LE BAILLI. Monsieur, je n'entends pas la langue de la Cour. DON JAPHET. Vous ne m'entendez pas ? Je vous aime autant sourd ;Car assez rarement mon discours s'humanise.[Note : Métaphoriser : Mettre en métaphores. Certain style que ceux qui se croient parfaits appellent faux précieux, lequel métaphorise tout jusqu'aux laquais et aux mouchettes, DE COURTIN, la Civilité française, p. 169, Paris, 1695. [L]]Mais pour vous aujourd'hui je démétaphorise(Démétaphoriser, c'est parler bassement)Si mon discours pour vous n'est que de l'Allemand, [Note : Loquelle : Faconde : " Merveille est de sa memoire et belle loquelle (Charles V) ; car n'y aura si estrange proposition que, au respondre, il ne repete de point en point. " (Chr. de Pisan, Charles V, II, 16.)] [LC]]Vous aurez avec moi disette de loquelle,[Note : Parallèle : (...) signifie encore, Comparaison. Le parallelle de Cesar et d'Alexandre. Je ne veux point entrer en parallelle, qu'on me mette en parallelle avec cet homme-là. ([F]]L'Empereur donc de qui je suis le parallèle :M'entendez-vous Bailli ? LE BAILLI. Nenni. DON JAPHET. [Note : Parangon : Vieux mot qui ne peut entrer aujourdhui que dans le comique, et qui veut dire modéle achevé sur lequel on se doit conformer. [R]]Le parangon ? LE BAILLI. Encore moins. DON JAPHET. Comment ? Altérer mon jargon,Ce serait déroger à ma noblesse antique ; Tâchons pourtant d'user de quelque terme obliquePour nous accommoder à cet homme des champs :Charles-Quint donc mon cher parent en peu de temps,[Note : Cocagne : C'est le nom qu'on donne en Languedoc à un petit pain de pastel avant qu'il soit reduit en poudre, et vendu aux teinturiers. On en fait grand trafic en ce pays-là. Et parce qu'il ne vient que dans des terres fort fertiles, et qu'il apporte un très grand revenu à ses maîtres, vu qu'on en fait jusqu'à cinq ou six recoltes par an, quelques-uns ont nommé le haut Languedoc un pays de Cocaigne : et c'est là-dessus qu'est fondée la fable du Royaume de Cocaigne, de ce pays imaginaire où les habitants vivent fort heureux sans rien faire. [F]]M'ayant mis à son aise en prince de Cocaigne,Et tout à fait exclus des Hôpitaux d'Espagne ; (Car Bailli dussiez-vous cent fois en enrager,J'ai six mille ducats tous les ans à manger.)Le Cacique Uriquis, et sa fille Azatèque,L'un et l'autre natif de ChicuchiquizèqueÉtant venus en Cour pour se dépayser, L'Empereur mon Cousin me força d'épouserCette jeune indienne un peu courte et camarde,Mais pourtant agréable en son humeur hagarde :À mes noces, le grand César rien n'oublia,[Note : Trépudier : Du Latin tripudiare, ou, suivant l'expression d'Horace, à la fin de la 18e ode du 3e Livre, pellere ter pede terram. Frapper la terre avec les pieds, danser un branle. [T]]Et fit le bon parent, même il trépudia : Entendez-vous le mot trépudier, Compère ? LE BAILLI. Non par ma foi Monsieur. DON JAPHET. C'est danser en vulgaire :Enfin en équipage à ma grandeur égal,Mon train moitié sur mule et moitié sur cheval,Dans mon pays natal je menai ma famille, C'est-à-dire Uriquis, et ma femme sa fille :Arrivé dans mon bourg qu'on nomme Almodobar,Mon beau-père Uriquis y devint gras à lard,Et prit goût à nos vins, ma compagne de coucheFut comme son papa fort sujette à sa bouche ; Enfin elle mourut d'un excès de melon,Et son Père Uriquis d'un ulcère au talon :De ce beau-père éteint, de cette femme éteinte,Il ne me resta pas la moindre plume peinte,[Note : Guenuchon : Diminutif de guenuche, petite guenon. Il est bas. [T]]Le moindre Guenuchon, le moindre perroquet, [Note : Caquet : abondance de paroles inutiles qui n'ont point de solidité. Les femmes parlent beaucoup, mais elles n'ont que du caquet, ne parlent que de bagatelles. [F]]Tout leur bien du Pérou n'étant que du caquet.Les gens d'Almodobar à leur dam me déplurent,Vous pouvez bien penser que punis ils en furent,Et bientôt ; car prenant ma résolution,J'ai choisi dans Orgas mon habitation, Où je vais faire un train digne de mon mérite :Bailli, cherchez-moi donc des serviteurs d'élite,Nobles, bien faits, adroits, sobres, et parlant peu. LE BAILLI. Je vous en ai trouvé déjà six. DON JAPHET. C'est bien peu. FOUCARAL. C'est plus qu'il ne nous faut. DON JAPHET. Il me faudra six pages, Sans les Valets de pied qui recevront des gages. LE BAILLI. On vous trouvera tout. DON JAPHET. Comment est votre nom ? LE BAILLI. Je m'appelle Alonzo : Gil, Blas, Pedro, Ramon. DON JAPHET. Tant de noms de baptême ? LE BAILLI. Autant. DON JAPHET. Mon cher compère,On vous soupçonnera d'avoir eu plus d'un père. LE BAILLI. Vous ferai-je venir vos valets. DON JAPHET. Promptement ;Foucaral ce bailli me plaît extrêmement. LE BAILLI. Je vous amène ici la fleur de la Contrée. DON JAPHET. Qu'ils me fassent savant de leurs noms dès l'entrée. SCÈNE III. Torribio Poncil, Llorente Riberos, Don Roc Zurducaci, ou Alphonse Enriquez, Pascal Zapatero, ou Marc Antoine, DomJaphet, le Bailli, Foucaral, Torribio Poncil, Pascal Zapatero, Llorente Riberos, Don Roc Zurducaci. Les quatre Valets, dont il y en aura deux fort mal vêtus, diront tous à la fois leurs noms d'un ton de voix fort éloigné de celui de Japhet. DON JAPHET. Comment ? Tous à la fois, Parlez séparément, et modérez vos voix.Toi, parle et dis ton nom, jeune homme au nez de Cabre. TORRIBO PONCIL. Torribio Poncil. DON JAPHET. Ton pays ? TORRIBO PONCIL. La Calabre. DON JAPHET. Maudit pays: et toi ? LLORENTE RIBEROS. Llorente Riberos. DON JAPHET. Ton pays ? LLORENTE RIBEROS. Portugal. DON JAPHET. De quel lieu ? LLORENTE RIBEROS. De Miros. MARC ANTOINE. Pascal Zapatero. DON JAPHET. Ton pays ? MARC ANTOINE. Allobroge. DON JAPHET. Attends une autre fois qu'un Maître t'interroge ;Et ton pays natal, quel est-il ? DON ALFONCE. Annecy. DON JAPHET. [Note : Haye : Terme employé par les piqueurs pour arrêter les chiens qui prennent le change. [L]]Haye aux autres : et toi ? DON ALFONCE. Don Roc Zurducaci. DON JAPHET. [Note : Biscain : Le biscain est l'habitant de la Biscaye, province d'Espagne. Bilbao est la capitale de la Biscaye.]Biscain ? DON ALFONCE. Non Monsieur, je suis de la Galice. DON JAPHET. Tu parais grand fripon. DON ALFONCE. Fort à votre service. DON JAPHET. [Note : Apostat : qui quitte la vraie religion, ou qui renonce à ses voeux. [F]]Torribio Poncil est un nom apostat,Changeant Poncil en Ponce a mon majordomat,Il pourra parvenir : mais avant toute choseIl faut au nom de Ponce ajouter Don, pour cause : Llorente Riberos aura nom Ribera,Pascal Zapatero, Don Pascal Zapata.Ils prendront tous le Don, comme le majordome,Et seront dans deux ans des plus Grands du Royaume :Quant au Galicien Don Roc Zurducaci, [Note : Congé : Permission, autorisation. Se marier sans le congé de ses parents. [L]]Je lui donne congé de s'appeler ainsi ;Aurait-il bien l'esprit d'être mon Secrétaire ? DON ALFONCE. Jeune comme je suis, Monsieur je sais tout faire,Je rase, je blanchis, je couds, je sais saigner,Je sais noircir le poil, le couper, le peigner, Je travaille en parfums, je sais la médecine ;[Note : Entendre : se dit aussi de celui qui sait tout ce qu'il doit savoir sur quelque chose. Il entend bien sa charge, son métier. [F]]J'entends bien les procès, et fais bien la cuisine ;Je suis grand spadassin, excellent écuyer,Fort entendu chasseur, et parfait jardinier ;J'écris Français, Gothique, Italien, Tudesque ; J'écris en héroïque aussi bien qu'en burlesque ;Je fais des impromptus, rondeaux et bouts rimés ;[Note : Bel esprit : Un bel esprit, de beaux esprits, ceux qui se distinguent par l'élégance et la délicatesse, parfois affectées. [L]]Bref, je suis bel esprit, et des plus renommés,Regardez si je suis digne d'être des vôtres. DON JAPHET. Et plus que digne. Holà, je casse tous les autres ; Car lui seul me suffit avec mon Foucaral. DON ALFONCE. Monsieur, je ne vais point sans mon ami Pascal. DON JAPHET. Qu'il soit mis sur l'État. Pourquoi cette soutane ?Êtes-vous Insacris ? Id est antiprofane :Êtes-vous Médecin. Êtes-vous Avocat ? DON ALFONCE. [Note : Canonicat : autrefois le bénéfice d'un chanoine (il n'existe plus de bénéfices ecclésiastiques en France). [L]]Monsieur, je suis pourvu d'un bon Canonicat. DON JAPHET. De Rome j'obtiendrai par grâce singulière,Que vous puissiez aller vêtu d'autre manière ;Le Pape mon cousin ne m'en peut refuser,Quittez donc la Soutane, ou l'achevez d'user, Zurducaci ! DON ALFONCE. Seigneur. DON JAPHET. N'étant que secrétaire,Le Don à votre nom n'est pas fort nécessaire. DON ALFONCE. Je le retrancherai. DON JAPHET. Zurducaci ! DON ALFONCE. Seigneur. DON JAPHET. Don Pascal Zapata sera mon contrôleur.Et vous Zurducaci vous choisirez mes pages. DON ALFONCE. C'est à moi trop d'honneur. DON JAPHET. Choisissez-les bien sages. FOUCARAL. Et bien galleux aussi. DON JAPHET. Faquin de Foucaral,Épargnez le prochain sans en dire du mal.Depuis deux ou trois jours j'ai la tête pesante,[Note : Caminer : cheminer. C'est le sens propre de ce mot. [LC]]Je m'en vais exercer ma vertu caminante Dans les lieux d'alentour. Que l'on m'attende ici ;Foucaral ! FOUCARAL. On y va. Japhet et Foucaral s'en vont. MARC ANTOINE. Nous voilà Dieu merciEnrôlés dans le train de Japhet d'Arménie,Ou plutôt nous voilà gradués en folie ;Madame votre mère. DON ALFONCE. Ha ! Ne me dis plus rien, Tu pourrais faire mieux, et je le sais fort bien :Et pour toi tu feras sagement de te taire,Ou retourne à Madrid, ou bien me laisse faire :Mais j'aperçois venir celle qui m'a charmé,Vis-tu jamais un corps par le Ciel mieux formé Et si je te disais, qu'un Esprit admirableAnime ce beau Corps te serais-je croyable ? MARC ANTOINE. Non par ma foi Monsieur. DON ALFONCE. Éloignons-nous un peu. MARC ANTOINE. À la voir seulement vous étiez tout en feu. SCÈNE IV. Léonore, Marine. LÉONORE. Je ne le puis celer, je l'aime. MARINE. À la bonne heure, Puisqu'il vous aime aussi voulez-vous tout à l'heureQue j'aille lui parler ? LÉONORE. Ha ! Tu ne sais pas tout. MARINE. [Note : Sur le bon bout : Se mettre sur le bon bout, se mettre sur un bon pied, faire plus de dépenses. [L]]Est-ce que l'Adonis se tient sur le bon bout ?[Note : Aile : En avoir dans l'aile, être atteint d'une maladie grave, d'une disgrâce imprévue, et aussi être amoureux. [L]]Je ne le pense pas ; car il en a dans l'aile,Et se plaint tous les jours de votre humeur cruelle : Pourquoi donc tant pleurer ? Quelque autre de ce BourgA-t-elle eu le pouvoir de gagner son amour ?Vous êtes belle et riche, et quoique villageoise,Vous pouvez aspirer à devenir Bourgeoise ;S'il était grand Seigneur comme il n'est qu'Écolier ? LÉONORE. Si tel que tu le vois il était Cavalier. MARINE. Est-ce lui qui le dit, il ne l'en faut pas croire,Un Inconnu peut bien nous forger une histoire. LÉONORE. Tu n'en douteras plus quand je t'aurai contéPar quel moyen je sais quelle est sa qualité : Te souvient-il du jour que du prochain village,Le Peuple dans Orgas vint en Pèlerinage ?Te souvient-il aussi de ces deux CourtisansQui se vinrent mêler parmi nos Paysans,Dont l'un était fort jeune, et de fort bonne mine ? MARINE. Il m'en souvient fort bien, et que sur la poitrineIl portait la Croix rouge, et même qu'il vous pritPar deux fois à danser ; son compagnon me fitMille discours en l'air ; le fils du vieux RamireEn fut jaloux de vous, et nous en fit bien rire ; Pourquoi m'en faites-vous aujourd'hui souvenir ?Je ne vois pas encor où vous voulez venir. LÉONORE. Quoi, tu ne le vois pas ? As-tu des yeux Marine ? MARINE. J'en ai : mais je ne suis sorcière ni devine. LÉONORE. Je ne le suis non plus que toi mais toutefois, J'ai mieux connu que toi que celui que tu voisEn habit d'Écolier, et dont je suis éprise,Est le beau Courtisan qui pour moi se déguise ;Dès le jour qu'il parut dans notre Bourg d'OrgasJe le reconnus bien, et ne me trompai pas : Mais ce n'est pas encor sur cela que j'assureLe fondement certain de cette conjecture :Une Lettre rompue, et qui s'adresse à lui,De sa poche est tombée à mes yeux aujourd'hui ;Soit qu'il n'en sache rien, comme cela peut-être, Ou qu'il ait fait le coup pour se faire connaître,Sans témoins je l'ai prise, et le mieux que j'ai pu,Seule en ai rassemblé chaque morceau rompu ;Non que de mon humeur je sois fort curieuse,Mais je l'aime Marine, et mon âme amoureuse Eût lors tout entrepris pour découvrir au vraiPour qui mon coeur faisait son premier coup d'essai :Ma curiosité m'apprit à mon dommage,Qu'un homme tel que lui n'est pas pour le village :Je vis qu'il s'appelait Don Alfonce Enriquez ; Je vis de plus Marine en termes fort exprès,Qu'il va se marier richement à Séville,Où l'attend un parti de la même Famille ;Sa Mère lui mandait (car c'était de sa partQue la Lettre venait) que depuis son départ On n'avait eu de lui ni Lettres ni nouvelles,Et qu'elle s'en trouvait en des peines mortelles,Tu peux juger par là de l'état où je suis,À chasser mon amour je fais ce que je puis ;Et tant plus à chasser cet Amour je m'efforce, Tant plus dedans mon coeur il prend nouvelle forceMais quelque fort qu'il soit, il cède à ma raison ;Qui doute, qu'un jeune homme et de bonne Maison,Puisse être épris pour moi d'un amour légitime ?Je l'aime, mais non pas assez pour faire un crime ; Et bien que je sois faible à régler mes désirs,Je ne le veux pas être à choisir mes plaisirs :Il est vrai que j'abhorre un homme de village,Et ne puis deviner d'où me vient ce courage. MARINE. Vous êtes en danger d'être fille longtemps. LÉONORE. Il est peu de Maris qui ne soient dégoûtants. MARINE. Et que deviendra donc le fils du vieux Ramire ? LÉONORE. Qu'il meure. MARINE. Et l'écolier ? LÉONORE. Qu'il pleure et qu'il soupire,Je pleure et je soupire aussi de mon côté. MARINE. Et s'il vous proposait avec sincérité D'être votre Mari, feriez-vous l'insensible ? LÉONORE. Ha ! Ne me parle point d'une chose impossible. MARINE. Pourquoi non ? S'il vous aime il faut tout espérerD'un homme qui pour vous s'amuse à soupirer,Plutôt que de s'aller marier à Séville, Où l'attend, dites-vous, je ne sais quelle fille :Mais vous vous y prenez de mauvaise façon,Il est tout feu pour vous, et vous êtes glaçon :Cependant vous l'aimez, voyez quelle faiblesse ?Par ma foi si j'étais de quelqu'un la Maîtresse, Et que ce quelqu'un-là me plût autant qu'à vous,Ce galant déguisé qui vous fait les yeux doux,Sans me donner la gêne en sotte villageoise,S'il me disait je t'aime, et moi vous, lui dirais-je :Car quand on aime bien, pourquoi dire que non ; Vous brûlez toute vive, et de grâce à quoi bon,Cette rigueur forcée ? Aimez-le, s'il vous aime,Je le dis tout de bon, je le ferais de même ;Montrez-lui de l'amour pour augmenter le sien :Promettez-lui beaucoup, ne lui permettez rien ; Si son amour le presse, il faudra bien qu'il chante,Ou son amour pour vous sera peu véhémente ;S'il aime jusqu'au point de vouloir épouser,Qu'il le fasse aussitôt : car ce n'est que ruserQu'épouser en papier ou donner sa parole. LÉONORE. Que je suis malheureuse, et que Marine est folle ? SCÈNE V. Alfonce, Léonore, Marine, Marc Antoine. DON ALFONCE, qui rentre sur le théâtre avec Marc Antoine. Léonore, il est temps que j'apprenne mon sort,Et que vous me donniez ou la vie ou la mort ;Je vous ai déclaré que pour vous je soupire,Vous ne me dites rien, quand j'ose vous le dire, Ce silence à mon feu ne promet rien de bon,Et quand vous m'aimeriez je puis croire que non.Je sais que la beauté quand elle est peu commune,Peut soumettre à ses pieds la plus haute fortune :Et quand bien je serais riche et de qualité ; Que mon Amour serait une témérité,Je ne vous dis donc point que le bien de mon PèreMe pourrait élever au bonheur que j'espère ;Si par là seulement on vous peut espérer.Les grands Rois seulement peuvent vous adorer ; Mon Amour veut tenir le vôtre de soi-même ;Je crois vous dire assez, disant que je vous aime,Et par le simple aveu de mon affection,Que je mérite assez votre compassion ;Donnez-moi donc la mort, ou bien de l'espérance. LÉONORE. Consultez là-dessus votre persévérance,C'est de là seulement, je le dis tout de bon,Que vous pourrez savoir si je vous aime, ou non :Mais le temps seulement me la fera connaître. DON ALFONCE. Je puis donc espérer. LÉONORE. Cela pourrait bien être, Marine allons-nous-en. MARC ANTOINE. La peste, qu'elle en sait ;Hé bien de son discours êtes-vous satisfait ? DON ALFONCE. Oui, car je l'aimerai tant que j'aurai de vie. MARC ANTOINE. Vous ne pouvez avoir une plus noble envie. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Don Japhet, Foucaral, le Bailli, Don Alfonce, Marc Antoine. DON JAPHET. Foucaral ! Foucaral ! FOUCARAL. Monseigneur, Monseigneur. DON JAPHET. Ne veux-tu pas venir ? FOUCARAL. Je viens. DON JAPHET. Faquin d'honneur ;Et le Bailli vient-il ? FOUCARAL. Il vient. DON JAPHET. J'entends qu'il vienne ;Car encor faut-il bien que quelqu'un m'entretienneDans ce malheureux Bourg rempli de gens grossiers,Avec ce Bailli seul, je parle volontiers : Il n'est que demi fat pour être du village :Mais ne viendra-t-il pas ? Sait-il bien que j'enrageAlors qu'il faut attendre ? Holà ho, Foucaral ;Don Roc Zurducaci ! Don Zapata Pascal ?Ou Pascal Zapata ; car il n'importe guère Que Pascal soit devant ou Pascal soit derrière.Holà mes gens ! Mon train ! Ô les doubles Coquins,Les Gredins, les Bourreaux, les traîtres, les Faquins ;Sachent tous mes valets que ma bonté se lasse,Sachent les malheureux qu'aujourd'hui je les casse ; Je m'en vais tant crier qu'ils viendront, les marauds. FOUCARAL. [Note : Gros : signifie un amas de troupes qui marchent ensemble. Il parut un gros de cavalerie sur la colline. [F]]Monsieur ne criez point, tous vos gens en un grosViennent auprès de vous. DON JAPHET. Hé bien donc je m'apaise,J'avais déjà les yeux ardents comme la braise :Don Pascal Zapata, Don Roc Zurducaci Je veux être servi. DON ALFONCE. Nous vous servons aussi. DON JAPHET. Bailli ! LE BAILLI. Monsieur. DON JAPHET. [Note : Taille : était autrefois un droit seigneurial, et l'on voit dans les coutumes, que plusieurs héritages tenus roturièrement, devaient taille. [T]]Le bourg est-il chargé de tailles ?[Note : Antiquaille : terme de mépris, qui se dit des pièces antiques, ou vieux meubles qui sont de peu de valeur. [T]]Est-il noblifié de vives antiquailles ? LE BAILLI. Je ne vous entends point. DON JAPHET. [Note : Hobereau : se dit figurément et ironiquement des petits nobles de campagne qui n'ont point de bien, et qui vont manger les autres ; et aussi de ceux qui sont apprentifs et novices dans le monde. [F]]A-t-il des hobereaux ? LE BAILLI. Encore moins. DON JAPHET. J'entends de ces gentilshommeaux, [Note : Tireur au volant : en termes de Chasse, se dit proprement du chasseur qui sait bien s'aider d'un fusil, qui tire en volant, qui est sûr de son coup. On appelle aussi tireur de laine, un filou qui vole la nuit. [F]]Des tireurs en volant, des tyrans de village,Des nobles. LE BAILLI. Oui Monsieur. DON JAPHET. Et de plus d'un étage ? LE BAILLI. Je ne vous entends plus. DON JAPHET. Je veux dire les unsNobles comme le Roi, les autres fort communs ;C'est-à-dire nouveaux, de Noblesse ambiguë, Qu'on reconnaît vilains dès la première vue. LE BAILLI. Oui Monsieur. DON JAPHET. En grand nombre ? LE BAILLI. Environ sept ou huit. DON JAPHET. Sont-ils Chasseurs rusés, ou Chasseurs à grand bruit ? LE BAILLI. Oui Monsieur. DON JAPHET. Des enfants en ont-ils en grand nombre ? LE BAILLI. Oui Monsieur. DON JAPHET. Déjà grands ? LE BAILLI. Oui Monsieur. DON JAPHET. [Note : Encombre : Accident fâcheux qui empêche, qui fait échouer. [L]]Mal encombre. Puisse arriver à qui me répond toujours oui. LE BAILLI. Oui Monsieur. DON JAPHET. Ha le traître ! Hé quoi tout aujourd'hui ?Il consentira donc ? LE BAILLI. Oui Monsieur. DON JAPHET. Ha j'enrage !Dis-moi non, malheureux, et change de langage ?Confesse seulement une fois. LE BAILLI. Mais Monsieur. Je ne vous entends point. DON JAPHET. Il voit Don Alfonce qui rit.Vous faites le rieurDon Roc Zurducaci. DON ALFONCE. Non Monsieur. DON JAPHET. Voici l'autreQui me va tout nier ; Bailli, dans le Bourg vôtreFait-on avec trois os insulte au bien d'autrui ?Le bon Bailli me va répondre encore oui. LE BAILLI. Ne vous entendant point, je ne sais que vous dire. DON JAPHET. Je ne sais si je dois le quereller ou rire ;Esprit bouché, dis-moi, joue-t-on dans ton Bourg ?Aux Cartes, aux Tarots, aux Dés ? LE BAILLI. Oui tout le jourOn ne fait autre chose. DON JAPHET. Ont-ils de belles filles ? LE BAILLI. Oui Monsieur, pour ma part j'en ai deux fort gentilles. DON JAPHET. Quel âge ? LE BAILLI. La plus vieille aura bientôt sept ans. DON JAPHET. Fi, vous n'avez encor que de petits enfants ;Ne s'en trouve-t-il point qui soient déjà venues ?Je ne hais point cela : mais je les veux charnues. FOUCARAL. Mon Maître est dégoûté. LE BAILLI. La fille à Jean Vincent,Le Collecteur du bourg seule en vaut plus d'un cent :[Note : Mais la voila : L'original de 1653 porte 'le' mais il s'agit de la fille, nous corrigeons.]Mais la voilà qui parle à votre secrétaire. FOUCARAL. [Note : Drôle : Il signifie un gaillard, un éveillé, un plaisant, un bon compagnon, qui est prêt à tout faire pour se divertir ou pour divertir les autres. Se prend aussi quelquefois pour un homme qui cherche à faire tort à quelqu'un, qui est à craindre. [F]]Le Drôle l'a fleurée. DON JAPHET. En mon nom va lui faireUn petit compliment, et me la fais venir, J'ai dessein de la voir, et de l'entretenir ;Dis-lui d'abord mon nom, Don Japhet d'Arménie,Mon nom seul vaut autant qu'une cérémonie. DON ALFONCE. Que maudit soit le fou, son laquais vient à nous. FOUCARAL. De la part de Japhet le cacique des fous, [Note : Cacique : C'est le nom general que les Espagnols ont donné à tous les princes, seigneurs, et petits rois de toutes les terres de l'Amérique. [F]]Je viens, plus fou que lui de servir un tel maître,Vous dire qu'à vos yeux il voudrait bien paraître. DON JAPHET a suivi son laquais. Le voilà tout paru ; par l'âme de Noé,[Note : Le texte original porte : La Sotte à l'oeil brillant. (à préposition). Nous préférons : La Sotte a l'oeil brillant. (a verbe avoir).]La Sotte a l'oeil brillant et l'air bien enjoué. LÉONORE. Quoi, vous m'appelez sotte ? DON JAPHET. Ha, petite Mignonne ! Sotte entre Courtisans, c'est-à-dire Friponne. LÉONORE. Friponne, encore pis. DON JAPHET. [Note : Friponner : Escroquer en fripon. [L]]Oui, tu m'as friponné ;[Note : Emérillonner : Rendre vif, éveillé. (Dict. Le Curne)]Mon coeur infriponnable, oeil emérillonné :Ha ! Si le Ciel t'avait fait naître une Duchesse ;S'il t'avait seulement fait naître une Comtesse, Nous pourrions en vertu du lien conjugal,Coucher en même lit sans qu'on en dît du mal :Mais hélas par malheur ta naissance est trop basse,Et l'hymen entre nous aurait mauvaise grâce ;Si bien que sans rien craindre, et sans scrupuliser, [Note : S'humaniser : Se régler sur les autres hommes, s'y conformer, s'adoucir, devenir plus humain et plus honnête. [R]]À simple concubine, il faut s'humaniser,Si tu veux posséder un corps comme le nôtre. LÉONORE. Monsieur, vous me prenez sans doute pour une autre,Si le Ciel vous a fait trop grand Seigneur pour nous,Le Ciel m'a fait aussi pour un autre que vous : Marine allons-nous-en. DON JAPHET. Ha Beauté Printanière !Veux-tu me fuir ainsi, comme une bête fière,Tu ne t'en iras pas sans m'avoir pardonnéLe pardonnable effet d'un Amour forcené :Et toi, de ce Lion, Tigresse inséparable, N'auras-tu point pitié d'un Amant misérable ? MARINE. Et vous, Monsieur Japhet, de Noé descendu,Tous ces beaux mots ne sont qu'autant de bien perdu,Léonore n'est point Lion, ni moi Marine ;Je ne suis point Tigresse, et n'en n'ai point la mine, Je suis bonne Chrétienne, et Léonore aussi,Allez faire blanchir votre linge noirci. DON JAPHET. Tu me reproches donc ma fraise, ha mouche guêpe !Tu ne dois point trouver à redire à mon crêpe :Après avoir perdu ma fidèle moitié, Au moins devais-je un crêpe à sa rare amitié.Zurducaci. DON ALFONCE. Seigneur. DON JAPHET. Quitte cette inhumaine,Et ne l'approche point sous peine de ma haine ;Je veux par des mépris un peu l'humilier :Mais que veut ce bonhomme avec ce cavalier ? LE BAILLI. Je crois que c'est à moi qu'il en veut. SCÈNE II. Jean Vincent, Rodrigue, Don Japhet, Foucaral, Don Alfonce, Marc Antoine, Léonore, Marine. JEAN VINCENT. À vous-même.Monsieur, c'est le Bailli. DON JAPHET, à part. Si faut-il qu'elle m'aime. JEAN VINCENT. Ma foi tout aujourd'hui ce Cavalier et moiNous vous avons cherché. LE BAILLI. Je suis comme le Roi ;On me trouve où je suis. DON JAPHET. Il ne me quitte guère. RODRIGUE. Cette Lettre Monsieur vous apprendra l'affaire.Qui m'achemine ici. Le Bailli lit l'inscription.Pour le Bailli d'Orgas,Je le suis grâce à Dieu, vous ne vous trompez pas. LETTRE.Bailli d'Orgas, ne manquez pas, la présente reçue, de mettre entre les mains du gentilhomme que je vous envoie, une jeune fille nommé Léonore, qu'un Laboureur d'Orgas nommé Jean Vincent a nourrie dès son bas âge. Elle n'est pas sa fille comme il a fait croire à tout le monde. Elle est ma nièce, fille de Don Pedro de Tolède ambassadeur à Rome.Don Fernand de Tolède, Commandeur de Consuegre. MARINE. Jean Vincent, est-il vrai ? JEAN VINCENT. N'en doutez point Marine. DON JAPHET. Puisque la villageoise est d'illustre Origine, Grâces à son Destin je puis sans dérogerAvec elle bientôt sous l'hymen m'engager.Adorable Beauté qui d'une seule oeillade,Avez d'un homme sain fait un homme malade ;Puisque le Commandeur peut disposer de vous, Jetez les yeux sur moi, vous verrez votre Époux. DON ALFONCE, à part. Dieu m'en veuille garder. FOUCARAL. Et vous belle Marine,Don Foucaral peut-il en vertu de sa mine,D'un esprit sans pareil, et d'un corps sans égalMultiplier par vous le nom de Foucaral ? MARINE. Le nom de Foucaral ? Qui moi ? Laquais immonde ?Assez de Foucarals sans moi sont dans le monde. DON JAPHET. Vous m'aimerez bien fort ? LÉONORE. Plus qu'on ne peut penser. FOUCARAL, à Marine. Ton bel oeil m'a blessé. MARINE. [Note : Penser : il doit s'agir du verbe 'panser' qui signifer soigner.]Va te faire penser. LE BAILLI. Mais notre ami Vincent, où l'aviez-vous trouvée ? JEAN VINCENT. Je vous dirai comment la chose est arrivée.À la Cour de Madrid, où m'avait appeléUn malheureux procès pour un cheval volé ;Une vieille Duègne un jour dans une ÉgliseMe demanda mon nom avec grande franchise. Je lui dis que j'étais un Laboureur d'Orgas,Appelé Jean Vincent : la Vieille parlant bas,Trouvez-vous vers le soir, en tel lieu, me dit-elle,C'est pour votre profit si vous êtes fidèle :À ce mot de profit, jugez si je manquai De me trouver au lieu qu'on m'avait indiqué ;Je n'y manquai donc pas, la vieille GouvernanteS'y trouva devant moi, plus que moi diligente ;Elle mit dans mes mains un beau petit enfantQui n'avait pas un jour, et de plus de l'argent : L'enfant était paré d'une chaîne massive ;Je ne refusai rien, la Duègne craintiveM'ayant recommandé le secret, s'en alla :L'enfant est justement la Dame que voilà,Je crois par son moyen que ma fortune est faite, Comme on me l'a promis la chose étant secrète :Or la chaîne, Messieurs, n'était pas de laiton,[Note : Quarteron : se dit aussi des poids, et signifie le quart d'une livre. [F]]Elle était d'or ducat du poids d'un quarteron.Ma femme. DON JAPHET. Taisez-vous, il ne m'importe guèreSi votre chaîne était ou pesante ou légère. Cavalier, vous direz au Seigneur CommandeurQue le noble Japhet est fort son serviteur,Et qu'il se réjouit que son nom soit Tolède,Qu'en Noblesse ici bas le Roi même me cède :Car je suis Don Japhet, de Noé petit-fils, D'Arménie est mon nom, par un ordre préfix,Qu'avant sa mort laissa ce fameux Patriarche,Parce qu'en Arménie un mont reçu son Arche :Dites-lui que je puis avec lui m'allier,Puisque sa nièce et moi sommes à marier ; Qu'à cause de mon deuil il serait peu honnêteQue j'allasse chez lui si tôt troubler la Fête ;Et que par bienséance il le faudra laisserQuelque temps tout son saoul sa nièce caresser ;Dites-lui que j'irai le trouver en personne : Et malheur pour Orgas puisque je l'abandonne.Partez. RODRIGUE. Comment partez ? Quel est donc ce Seigneur ? LE BAILLI. C'est le grand Don Japhet. MARC ANTOINE. De la Terre l'honneur. LE BAILLI. Cousin de Charles-Quint. DON ALFONCE. Le Mari d'Azatèque,Le gendre d'Uriquis, de Chicuchiquizèque. FOUCARAL. Et moi Don Foucaral. RODRIGUE. Ha Monseigneur ! Pardon,Je suis tout étourdi du bruit de votre nom.J'embrasse vos genoux. DON JAPHET. Et je vous en dispense,Sacrifice chez moi vaut moins qu'obéissance.Pascal, Roc, Foucaral, et vous Bailli d'Orgas, Suivez-moi : toutefois, non, ne me suivez pas.Ou bien suivez-moi donc : et vous ô Beauté fière,Votre Oncle vous va faire agir d'autre manière,Il sait combien par moi l'on peut être ennobli,Votre incivilité méritait un oubli : Mais je pardonne tout à cause de votre âge,La Cour vous ôtera bientôt l'air du village,Ô que joints par hymen, nous aurons des Japhets ;Et de corps et d'esprit également bien faits !Je vous ai déjà dit, Monsieur mon Secrétaire, De ne l'approcher point, vous n'en voulez rien faire ;[Note : Factoton : Celui qui se mêle, qui s'ingère de tout dans une maison. Il est du style familier, et ne se dit guère qu'en dénigrement. (Ac. 1762)]Vous me l'aviez bien dit, vous êtes factoton,[Note : Hoqueton : Casaque d'archer. Il se prend figurément pour l'archer même. [F]]Et vous ne valez rien sous ce noir Hoqueton :Et vous qui l'écoutez, Madame Léonore,Vous ne valez pas mieux ; et vous Monsieur encore Qui devriez à partir être plus diligent,Homme fait comme vous ne vaut pas grand argent.Japhet s'en va. RODRIGUE. Si ce brave homme-là n'est blessé par la tête,Je le suis plus que lui, Madame êtes-vous prête ?Votre Carrosse attend. LÉONORE. Je suis prête à partir : Mais Marine sans toi je n'y puis consentir ;Me voudrais-tu quitter ? MARINE. Vous me devez connaître,Je vous suivrai partout quand ce serait au Cloître. JEAN VINCENT. Devant que de partir il faut un peu manger. RODRIGUE. [Note : Traite : Étendue de chemin qu'un voyageur fait d'un lieu à un autre sans se reposer. [L]]La traite est longue, il faut promptement déloger, Un relais nous attend dans un bourg, où MadamePourra faire un repas. LÉONORE. En l'état où j'ai l'âmeJe n'en ai pas besoin. MARINE. Quand j'ai l'esprit content,Je suis ainsi que vous, je ne mange pas tant. SCÈNE III. Don Alfonce, Léonore, Marc Antoine, Rodrigue, Jean Vincent, Marine. DON ALFONCE qui était sorti avec Japhet, revient sur le Théâtre avec Marc Antoine. Madame, Don Japhet, Monseigneur et mon Maître, Vous mande que demain vous le verrez paraîtreAuprès du Commandeur ; je voudrais bien savoirCe qu'il peut espérer de l'honneur de vous voir ;Avec juste raison pour lui je m'intéresse,Souhaitant plus que lui de vous voir ma Maîtresse ; Mais avec la Fortune un esprit peut changer. LÉONORE. La chose vaut assez la peine d'y songer ;Dites-lui cependant qu'il aime, et qu'il espère,Qu'il peut se montrer tel qu'il plairait à mon Père ;Et s'il daigna m'aimer tout pauvre que j'étais, Qu'un pareil sentiment peut lui donner mon choix,Pourvu qu'il soit constant, et qu'il soit véritable. DON ALFONCE. Madame il fera tout, si votre oeil favorable,Par le moindre regard nous permet d'espérer :Oui, Madame, on peut être en état d'aspirer À quelque haut degré que le Ciel vous envoie,Pourvu qu'un peu d'espoir ressuscite ma joie. Léonore Alfonce se retire au bout du Théâtre avec Marc Antoine.Adieu, nous vous verrons avec le grand Japhet. RODRIGUE. Cet homme pour un fou paraît bien fait :Mais son galimatias donne assez à connaître Qu'il a l'esprit malade aussi bien que son Maître. LÉONORE. Il parle quelquefois intelligiblement. JEAN VINCENT. Vous n'avez que le temps qu'il vous faut justement :Allez tout de ce pas vous jeter en carrosse. Ils s'en vont. SCÈNE IV. Marc Antoine, Don Alfonce. MARC ANTOINE. Et nous droit à Séville achever notre noce. DON ALFONCE. Nous n'en sommes pas là, Léonore n'est plusUn reprochable objet de désirs superflus ;À ses perfections la naissance étant jointe,[Note : Pointe : (figurément et familièrement) Poursuivre, suivre, pousser sa pointe, poursuivre une résolution, une idée avec vigueur ou obstination.[L]]Nonobstant tes avis, je veux suivre ma pointe ;Demain avec Japhet j'espère de la voir, Et toi sois complaisant tu feras ton devoir. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Le Commandeur, Don Alvare. LE COMMANDEUR. Vous dites donc Monsieur, que ma bonne Cousine,Dans deux jours au plus tard en ces lieux s'achemine ?Son fils ne devrait pas lui donner tant d'ennui :Mais n'a-t-on point reçu de nouvelles de lui ? DON ALVARE. Depuis deux mois entiers qu'il partit de Séville,Personne ne l'a vu dans cette grande ville,Chez sa Mère à Madrid il n'est point retourné,Il peut être volé, malade, assassiné :Il se fie un peu trop en son jeune courage, Et n'a jamais été des hommes le plus sage ;Il a l'esprit, le coeur, la taille et la beauté :Mais on lui trouve aussi trop de témérité :Vous auriez grand pitié de cette pauvre mère,À voir de la façon qu'elle se désespère ; Elle craint pour son fils un malheur imprévu,Lorsqu'elle l'espérait de femme bien pourvu. LE COMMANDEUR. Je la consolerai de toute ma puissance,Pour moi vous me voyez dans la réjouissance,La fille de mon frère, une jeune Beauté, À qui même on avait caché sa qualité,Pour certaine raison que vous saurez ensuite,A depuis peu d'Orgas été chez moi conduite ;Elle vous plaira fort, et le bon LaboureurQui l'a si bien nourri est un homme d'honneur : Mais que veut ce garçon en son habit bizarre ? SCÈNE II. Foucaral, Le Commandeur, Don Alvare. FOUCARAL. Monseigneur Don Japhet, des hommes le plus rare,Et le plus fou qui soit d'Angleterre au Japon,M'envoie ici savoir, si vous trouverez bonQue sa digne personne, et sa fine folie, Viennent chasser d'ici toute mélancolie. LE COMMANDEUR. Quel est donc ce Japhet que je ne connais point ? DON ALVARE. Japhet ? C'est la folie en chausse et en pourpoint ;L'Empereur en vertu de son extravagance,En a fait en deux ans un homme d'importance, Et d'un gueux mort de faim, un fou très opulent. FOUCARAL. Il s'est mis dans la tête un amour violentPour un Ange d'Orgas, Madame LéonoreVotre nièce, Monsieur. DON ALVARE. Je le croyais encore,Auprès de l'Empereur. FOUCARAL. Son bon temps est passé, Et l'Empereur enfin s'en est, dit-on, lassé :Maintenant dans Orgas, fou qu'il est, il espèreQu'il obtiendra de vous, et de Monsieur son père,Madame Léonore, et je ne pense pasQu'il soit encor longtemps sans venir sur mes pas, Tant sa présomption incessamment le presseDe venir s'étaler aux pieds de sa maîtresse,[Note : Trancher : se dit encore ironiquement des fanfarons, de ceux qui affectent de paraître plus qu'ils ne sont. Il tranche du grand Seigneur ; pour dire, Il fait le grand Seigneur. [T]]Et de venir ici trancher du grand seigneur ;Car c'est là sa marotte. LE COMMANDEUR. Il me fait trop d'honneur,Ma nièce Léonore est fort à son service. FOUCARAL. Il ne faut pas douter qu'il ne vous divertisse,Il est un peu plus fou qu'il n'était à la Cour,Jugez ce qu'il doit être avec beaucoup d'amour. LE COMMANDEUR. Nous en régalerons notre chère Cousine. DON ALVARE. L'absence de son fils la tue, et m'assassine, S'il était marié, je le serais aussiAvec sa Soeur que j'aime, et qu'elle amène ici :Vous le savez, Monsieur, ce que j'ai fait pour elle,Cependant depuis peu cette Mère cruelleÀ soi-même, à sa fille, et plus encore à moi, Diffère notre hymen, et ne dit point pourquoi ;Et ce n'est que depuis que ce fils qu'elle adore,N'écrivant point, la fait douter s'il vit encore,Auprès d'elle, Monsieur, vous pouvez m'obliger. LE COMMANDEUR. Je vous entends, il faut la chose ménager, Et bien prendre son temps. FOUCARAL. Avec votre licenceJe m'en vais donner ordre à notre subsistance,Et visiter l'office. LE COMMANDEUR. Et quand arrive-t-ilVotre Maître Japhet ? FOUCARAL. Son esprit volatil ;Pressé de son amour qui lui donne des ailes, Le rangera bientôt auprès des Demoiselles. LE COMMANDEUR. [Note : Allusion au personnage de Cervantes : Don Quichotte.]Je veux bien recevoir ce second Don Guichot,Instruire tous mes gens, et leur donner le mot,Afin que rien ne manque à la cérémonie,[Note : Achever : (figurément et familièrement) consommer la ruine, le désappointement, les contrariétés de quelqu'un. [L]]Dont je veux achever Don Japhet d'Arménie. DON ALVARE. [Note : Achever : C'est un fou achevé, pour dire, entierement fou. [F]]Il est tout achevé si jamais on le fut ;Il a l'esprit gâté si jamais homme l'eut,C'est un fou très complet. Foucaral revient sur le Théâtre.Don Japhet le fantasque,[Note : Trotter comme un Basque : (familièrement) Aller, courir comme un Basque, aller, courir fort vite. [L]]Jusques ici d'Orgas a trotté comme un Basque.Il arrive. LE COMMANDEUR. Hé mon Dieu, courez-y promptement. Seigneur Alvare, allez l'amuser un moment,Cependant que j'irai donner ordre à la pièce :Et vous Rodrigue, allez faire venir ma Nièce ;Il n'en n'est pas besoin, car elle vient à nous,Ma nièce vous verrez, aujourd'hui votre Époux, Le brave Don Japhet des hommes le plus sage. LÉONORE. Je ne mérite pas un si grand Personnage. LE COMMANDEUR. Je m'en vais donner ordre à le bien recevoir,Et vous de votre part faites votre devoirÀ lui faire un accueil digne de son mérite. SCÈNE III. Marine, Léonore. MARINE. Dieu sait si l'Écolier sera de la visite. LÉONORE. J'en ai grand peur Marine, et d'un autre côtéDu désir de le voir mon esprit est tenté ;Je n'avais contre moi que ma basse naissance,Et je crains aujourd'hui d'un Père la puissance, Qui sans avoir égard au choix que j'aurai fait,Peut-être a fait déjà sur moi quelque projet,Et m'aura destiné quelque Mari funesteQui n'aura que du bien, et n'aura pas le reste :Je suis digne d'Alfonce, il est digne de moi ; Mais quand on a son Père on ne peut rien de soi,Et j'aurais bien l'aimer et m'en voir adorée,Qu'un tel bien sans mon Père aurait peu de durée. MARINE. Si vous aviez l'esprit un peu plus résolu. LÉONORE. Pourrais-je m'exempter d'un pouvoir absolu, De qui dépend ma bonne ou mauvaise fortune ?Mais voici de ce fou l'arrivée importune. SCÈNE IV. Le Commandeur, Don Alvare, Rodrigue, Don Japhet, Léonore, Marine, Les gens du Commandeur, Un Harangueur. On fait du bruit derrière le Théâtre. On fait du bruit derrière le Théâtre. LE COMMANDEUR. Si tous mes gens sont prêts qu'on les fasse sortir,Aux dépens de Japhet je me veux divertir ;Don Alvare, instruisez ma nièce. RODRIGUE. Place, place, Voici le grand Japhet. LE COMMANDEUR. Que tout le monde fasseCe que j'ai commandé. DON JAPHET. Pascal, Roc, Foucaral !Dites bien que je suis venu sur un cheval,Les traîtres n'y sont plus. Ah, Canailles, Canailles !Vous m'avez donc quitté par droit de représailles, Il faut que je vous quitte : ô gibiers de Corbeaux !Puissiez-vous devenir chef-d'oeuvres de Bourreaux ! LE COMMANDEUR. Puisque le grand Japhet me rend une visite,Je me tiens très heureux. DON JAPHET. Monsieur. DON ALVARE. À son mérite,Il n'est rien de pareil. DON JAPHET. Si. LE COMMANDEUR. Son nom est connu Partout. DON JAPHET. Je. DON ALVARE. Par trois fois qu'il soit le bienvenu. DON JAPHET. Messieurs. DON ALVARE. Le Commandeur, mon Seigneur et mon MaîtreEst ravi de vous voir. DON JAPHET. Mais. LE COMMANDEUR. Pour bien reconnaîtreTant d'obligation, je ne sais pas commentOn peut s'en acquitter par un seul compliment. DON JAPHET. Enfin. LE COMMANDEUR. Nous tâcherons par notre bonne chèreDe vous faire oublier la Cour. MARINE. Et moi j'espèreQue le grand Don Japhet m'aimera. LÉONORE. Quant à moiJe lui donne mon coeur, mon amour, et ma foi. DON JAPHET. Ha Messieurs, permettez au moins que je réponde : Trêve de compliments, ou que Dieu vous confonde.Pascal, Roc, Foucaral, parlons à notre tour. LE HARANGUEUR, toussant, reniflant et se mouchant, en soutane. Monsieur. DON JAPHET. Ventre de moi, je parlerai. LE HARANGUEUR. La CourQui vous a vu briller comme le Zodiaque,Et qui fit cas de vous comme d'un Roi d'Ithaque. DON JAPHET. Ô de ces grands parleurs le plus impertinent,Parle sans te moucher. LE HARANGUEUR, toujours reniflant, toussant. J'ai fait incontinent :La Cour donc, dont jadis vous fîtes les délicesDe notre grand César Charles-Quint. DON JAPHET. Quels supplicesSuis-je venu chercher. LE HARANGUEUR. La Cour donc, où jadis Chacun vous regarda comme un autre Amadis,Alors que. DON JAPHET. Concluez. LE HARANGUEUR. La Cour donc. DON JAPHET. Que fit-elle,La Cour, la Cour, la Cour. LE HARANGUEUR. La Cour donc, qu'on appelleLe céleste séjour. DON JAPHET. Quoi toujours renifler,Moucher, tousser, cracher, et toujours me parler ? Et moi je ne pourrai dire quatre paroles ?[Note : Pistole : Monnaie d'or étrangère battue en Espagne, et en quelques endroits d'Italie. La pistole est maintenant de la valeur d'onze livres, et du poids des louis, et au même titre et remède. [F]]Et de grâce, Messieurs, je donne cent pistoles,Et qu'on m'ôte d'ici ce fâcheux renifleur,De quoi diable sert-il à votre Commandeur. DON ALVARE. C'est son grand Harangueur. DON JAPHET. Ô le plaisant office! Et vous qui me parlez, quel est votre exercice ? DON ALVARE. Je suis son grand Veneur. DON JAPHET. Et tous ces grands fous-là. DON ALVARE. Ce sont ses Officiers. DON JAPHET. Le beau train que voilàEt votre Commandeur reçoit ainsi son monde ?Et ne veut pas chez lui que personne réponde ? DON ALVARE. Il vous honore fort. DON JAPHET. Je m'en suis aperçu ;Mais l'Empereur saura comment on m'a reçu,Et si l'on traite ainsi les hommes de mérite ;Reçoit-on bien un homme alors que l'on le quitte ;Et qu'on lui met en tête un maudit Harangueur ; Qui m'aurait à la fin fait mourir de langueur ;J'en écrirai deux mots à l'illustre Duc Dalve,Son Parent et le mien. Bon Dieu. DON ALVARE. C'est une salvePour bien vous régaler. DON JAPHET. Ah ma foi je suis sourd.Ce grand bruit a percé ma pauvre tête à jour ; nièce du Commandeur autrefois villageoise,Et main tenant grand Dame, et Dame discourtoise ;[Note : Guet-apens : embûche dressée pour assassiner, pour dévaliser quelqu'un, pour lui faire quelque grand outrage. [L]]Est-ce de guet-apens, ou par cas fortuitQue l'on m'a voulu perdre à force de grand bruit ?De cent sots compliments sans y compter le vôtre, Contre moi décochés, entassés l'un sur l'autre,N'était-ce pas assez pour me faire enrager,Sans qu'un chien d'Harangueur me vint aussi chargerDe son hem, de sa toux, de sa reniflerie :Et pourquoi sur le tout cette mousqueterie ? À moi de l'arme à feu l'ennemi capital :Rendez-moi donc réponse, Ange ou Démon fatal. On fait semblant de parler, et on ne fait qu'ouvrir la bouche sans prononcer.Parlez haut, parlez haut, sans tant mâcher à vide,Ô que l'amour devient à mon goût insipide !Je ne vous entends point, me parlez-vous ou non ? Elle me parle, hélas, je suis sourd tout de bon !Elle feint de parler, c'est moi qui n'entends goutte ;Le Cousin de César est assourdi sans doute :À mon âge Messieurs, n'est-ce pas grand pitiéDe m'avoir rendu sourd sous ombre d'amitié ? Parlez bien haut Messieurs, de grâce à la pareille,Vérifions un peu ma surdité d'oreille :Hélas on s'égosille, et je n'entends non plusQue si l'on me voulait emprunter mes écus :Maudit Amour, maudit Orgas, maudit voyage, Maudite Léonore, et maudit son voyage : Le Commandeur revient.Ha Commandeur d'Enfer vous voilà de retour,En êtes-vous bien mieux de m'avoir rendu sourd ;Vous riez, est-ce ainsi que mon malheur vous touche ?Peste soit le grand fou, comme il ouvre la bouche. Ô le fâcheux objet alors qu'on n'entend rien,De voir ouvrir ainsi tant de gueules de chien ;Sur mon Dieu je voudrais aussi perdre la vue,Afin de ne voir point cette sotte cohue,J'aimerais bien mieux voir un troupeau de Sergents ; Ô que les grands Seigneurs ont de vilaines gens !Pascal, Roc, Foucaral, il faut plier bagage,Me voilà revenu de mon beau mariage ;Dieu m'a donné l'ouïe, et Dieu m'en a perclus,Et que de Léonore on ne me parle plus ; La Drôlesse me coûte et l'honneur et l'ouïe,Et je ne l'en vois pas guère moins réjouie.Si jamais à Coquette. LE COMMANDEUR, parle tout de bon. Ha tout beau Don Japhet,Vous guérirez bientôt. DON JAPHET. J'entends bien en effet,Ha, sur mon Dieu j'entends ! LÉONORE, parlant le plus haut qu'elle pouvait. Monsieur. DON JAPHET. Tout doux, la peste. LÉONORE, toujours haut. Vous nous entendez bien ? DON JAPHET. Je vous entends de reste,Ne criez plus. LE COMMANDEUR, fort haut. Monsieur, si le bien de vous voirA causé votre mal, j'en suis au désespoir. DON JAPHET. Il n'en est pas besoin, Commandeur de mon Âme,Je vous entends mon cher, grand Dieu que je réclame, Si vous m'avez rendu la faculté d'ouïr,Léonore peut bien encore se réjouir ;Je ne rétracte point le don de ma franchise :Mais qu'on reparle encor pour assurer la crise,Je ne suis plus fâché. DON ALVARE fort haut. Monsieur assurément Vous n'aurez que la peur. DON JAPHET. Ha ! Parlez doucement,Vous me rassourdissez, la peste comme il crie,On dirait qu'il n'a fait autre chose en sa vie. TOUS à la fois et fort haut. Vous nous entendez bien ? DON JAPHET. Bon Dieu vous criez tous,J'aimerais bien autant ouïr hurler des Loups. LE COMMANDEUR, toujours haut. On s'est accoutumé. DON JAPHET. Qu'on se désaccoutume,Ma cervelle n'est pas dure comme une enclume. TOUS fort haut. Vous nous entendez donc ? DON JAPHET. Et oui, je vous entendsPour la centième fois : mais c'est malgré mes dentsQu'on me donne un fauteuil, Messieurs, et tout à l'heure, Car quand on devient sourd, on se lasse, ou je meure ;Et si vous m'aimez bien, notre cher Commandeur,Qu'on ne me montre plus le vilain Harangueur,S'il ne revient encore faire ses reniflades,[Note : Gourmade : Terme familier. Coup de poing, particulièrement sur la figure. [L]]On me verra ma foi sur lui faire à gourmades. Ne le voilà-t-il pas ? Le Harangueur passe au travers du théâtre. DON ALVARE. Il n'a fait que passer. DON JAPHET. Qu'il ne passe donc plus, ou bien c'est m'offenser ;Pour un si grand Seigneur, vous avez ce me sembleAutant de francs gredins qu'on puisse voir ensemble.Ils ont la mine tous d'être de grands Vauriens, Et je ne voudrais pas les changer pour les miens. LE COMMANDEUR. C'est par trop de chaleur qu'ils ont pu vous déplaire. DON JAPHET. Ou sottise, ou chaleur, ils avaient pu mieux faire :Mais pour vous obliger j'oublierai le passé,Je vous suis venu voir de mon amour pressé, Engendré dans mon coeur par votre Léonore :Que me répondez-vous ? LE COMMANDEUR. Que votre Amour l'honore. DON JAPHET. Oui, mais j'en mourrai moi, si vous ne vous hâtez ;Car je suis fort pressé de mes nécessités :Nous autres esprits chauds nous pressons les affaires, Il faut donc donner ordre aux choses nécessaires. LE COMMANDEUR. Ne précipitons rien. DON JAPHET. Je meurs, d'homme d'honneur. LE COMMANDEUR. Je viens de recevoir ordre de l'Empereur,De vous bien régaler ; de plus il amplifieD'un brevet de Marquis Don Japhet d'Arménie. DON JAPHET. L'Empereur mon Cousin me donne un Marquisat ?Bon Parent par mon chef, le présent n'est pas fat ;Un Marquisat pourtant est chose fort commune,La multiplicité de Marquis importune ;[Note : Emmarquiser : Terme de plaisanterie. Donner le titre de marquis. [L]]Depuis que dans l'État on s'est emmarquisé, On trouve à chaque pas un Marquis supposé. LE COMMANDEUR. Celui que l'on vous donne est nommé Rochesolles. DON JAPHET. Le nom ne m'en plaît pas beaucoup. DON ALVARE. Entre les pôlesIl n'en est pas un tel : son nom vient d'un Rocher,D'où l'on voit chaque jour mille soles pêcher, Dont la dîme est à vous. DON JAPHET. Est-ce un port ? FOUCARAL. Magnifique. DON JAPHET. Le Château du Marquis est-il beau ? FOUCARAL. Tout de brique. DON JAPHET. Il durera longtemps : les habitants du lieu,[Note : Morifique : adj. tiré de "Maures" synonyme de musulmans.]Morifiques ou chrétiens ? FOUCARAL. Grands serviteurs de Dieu. DON JAPHET. Les Dames ? FOUCARAL. Elles sont et courtoises et belles. DON JAPHET. Douces ? FOUCARAL. Comme du lait. DON JAPHET. Je les aime bien telles ;Et de Couvents, combien ? FOUCARAL. Neuf. DON JAPHET. Des paroisses ? FOUCARAL. Huit. DON JAPHET. Y prend-t-on des manteaux ? FOUCARAL. Par ci par là la nuit. DON JAPHET. Tant pis ; y souffre-t-on quelques filles de joie ? FOUCARAL. Selon. DON JAPHET. Et le Seigneur fait-il battre monnoie ? FOUCARAL. Tant qu'il veut. DON JAPHET. Lieu Public pour les comédiens ? FOUCARAL. Fort beau. DON JAPHET. J'en veux avoir souvent d'Italiens,Je les trouve bouffons : mais toi que j'interroge,Es-tu natif du lieu pour en faire l'éloge ? FOUCARAL. Un Maître que j'avais y fut pendu tout vif, Pour avoir seulement coupé le nez d'un juif.Le juge en est sévère. DON JAPHET. On y fait donc justice ? FOUCARAL. C'est le meilleur Bourreau qui soit dans la Galice. DON JAPHET. Je veux faire pourvoir dans les prochains États,À la confusion de tant de Marquisats ; Fais m'en ressouvenir : ô future Marquise,Vous voyez que le Ciel mes desseins favorise :Mais mon cher Commandeur, concluons vitement,Je suis de mon amour pressé cruellement ;[Note : Humide radical : fluide imaginaire qu'on a regardé comme le principe de la vie dans le corps humain. [L]]L'humide radical dans mon coeur se dissipe, Mon esprit s'en altère, et mon corps s'en constipe. LE COMMANDEUR. Tenez bien quelque temps. DON JAPHET. Voire qui le pourrait,Mon Amour me conduit à mon trépas tout droit. LE COMMANDEUR. Encor faudrait-il bien donner ordre aux affaires,Vos Noces ne sont pas des Noces ordinaires, Il y faut des Ballets, des combats de Taureaux. DON JAPHET. Taureaux, j'en suis, je veux y jouer des couteaux,Et donner au public sans crainte de leurs cornesÉchantillon sanglant de ma valeur sans bornes ;[Note : Tauricider : Terme vieilli. Combattre et tuer les taureaux dans les courses de taureaux. [L]]Je veux tauricider avec mon seul laquais. FOUCARAL. Tauricidez tout seul. RODRIGUE tout bas à l'oreille du Commandeur. Madame Anne Enriquez,Dans la Cour du Château présentement arriveSi mal, qu'on ne croit pas dans les deux jours qu'elle vive. LE COMMANDEUR. Je vais la recevoir, Monsieur tout aussitôtJe reviens vous trouver. DON JAPHET. Allez, il ne m'en chaut, Pourvu que mon Soleil incessamment m'éclaire :Mais ne la vois-je pas avec mon Secrétaire ?Il est récidivant le Faquin, et toujoursIl prend sa blanche main avec sa patte d'Ours ;Je veux faisant semblant de chanter le surprendre, L'ayant surpris, le battre, et puis le faire pendre. CHANSON, sur le chant de "Las qui hâtera le temps".Beauté seringue à brasier,Coeur d'acierTu m'as mis le flanc,À feu et à sang : Hélas l'amour m'a prisComme le chat fait la souris.[Note : Pendard : Par exagération, celui, celle qui est digne de pendaison, qui ne vaut rien du tout. [L]]Je t'y prends, grand pendard, tu baises donc sa main,Aujourd'hui tu mourras ou pour le moins demain !Quoi, ta bouche à tabac, de ses moites moustaches, A cette main d'ivoire ose faire des taches ?Icare audacieux, téméraire Ixion,Je te juge et condamne à la décollation :[Note : Inquiné : Souillé (latinisme qui n'est pas en usage) [L]]Et toi, de qui je tiens la main très inquinée,Je t'exclus de l'honneur d'un futur hyménée. LÉONORE. Si vous vouliez m'ouïr. DON JAPHET. Je serais un grand sot. DON ALFONCE. Monsieur. DON JAPHET. [Note : Cagou : Mot du style bas, pour signifier un homme qui vit d'une manière obscure et mesquine, et qui fuit la bonne compagnie. [T]]Tais-toi truand, pied plat, cagou, bigot. LÉONORE. Monsieur assurément si vous vouliez m'entendre,Vous connaîtrez l'erreur qui vous a pu surprendre. DON JAPHET. Je vous entends, parlez. LÉONORE. Votre homme m'ayant fait Des Compliments pour vous, pour montrer en effetJusqu'à quel point mon coeur a pour vous de l'estime,Je vous mandais par lui, sans penser faire un crime,Que j'étais toute à vous, votre homme un peu trop prompt,M'en a baisé la main, et fait rougir le front, C'est de cette façon que c'est passé la chose. DON JAPHET. Tout de bon? Mon courroux s'apaise par sa cause:Donnez-moi cette main qu'il ne baisera plus,Je veux la dévorer de mes baisers goulus.Don Roc, regarde-moi promener cette Belle, Aussi digne de moi que je suis digne d'elle.Vous m'aimerez bien fort ? LÉONORE. Oui, je vous le prometsAutant que je le dois. DON JAPHET. Je n'en doutai jamais. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Don Alfonce, Marc Antoine. DON ALFONCE. Que cette nuit est propre à me bien affliger. MARC ANTOINE. Je ne vois pas encor votre Amour en danger. DON ALFONCE. Il n'y fut donc jamais. MARC ANTOINE. Votre mère peut-être. DON ALFONCE. Ma Mère avec son fils a toujours fait le Maître :Mais est-elle arrivée ? MARC ANTOINE. Et votre soeur aussi. DON ALFONCE. Hélas que mon beau temps s'est bien tôt obscurci !Es-tu bien assuré que c'est elle ? MARC ANTOINE. Elle-même. DON ALFONCE. Et que ferai-je donc en ce malheur extrême ? MARC ANTOINE. Vous pourriez espérer. DON ALFONCE. Je suis désespéré.Et la Terre et les Cieux ont mon trépas juré. MARC ANTOINE. Pour moi j'éprouverais la bonté de ma mère. DON ALFONCE. N'ayant pas épouser la fille de son frère, Elle m'ayant prié de le faire instamment,Et moi l'ayant promis si solennellement ;Alors qu'elle verra que j'ai fait le contraire,Que pourrai-je lui dire ? Et qu'aura-t-elle à faire ;Me voudra-t-elle ouïr ? Tu connais son humeur, Et de son esprit fier la sévère rigueur ;Je n'y vois nul remède, il faut que je m'absente ;Car irais-je ajouter au mal qui la tourmente,La rage de me voir en ces lieux déguisé :Au lieu d'être à Séville, à sa nièce épousé ? Mais quitterais-je aussi la belle Léonore,Un ange à qui je plais, un ange que j'adore,Qui m'a donné son coeur en échange du mien :Hélas j'ai tout à craindre, et je n'espère rien ? MARC ANTOINE. Pour moi, je lui dirais ingénument la chose. DON ALFONCE. J'y suis tout résolu, tantôt pourvu qu'elle oseParaître en son balcon, comme elle m'a promis,Elle saura l'état où le malheur m'a mis. MARC ANTOINE. Voici venir quelqu'un. SCÈNE II. Marine, Don Alfonce, Marc Antoine. MARINE, avec une bougie. À telle heure, une filleChercher un escalier, l'ambassade est gentille ; Il faudrait pour le moins savoir l'art de MaugisPour trouver ce qu'on cherche en un si grand logis. DON ALFONCE. Qui va là ? MARINE. [Note : Haye : Terme employé par les piqueurs pour arrêter les chiens qui prennent le change. [L]]Haye, c'est moi. DON ALFONCE. Qui vous. MARINE. C'est moi, qui tremble. MARC ANTOINE. Ou je me trompe, ou c'est Marine. MARINE. Il me le semble. DON ALFONCE. Marine, que viens-tu si tard chercher ici. MARINE. Je vous y viens chercher. DON ALFONCE. Je t'y cherchais aussi. MARINE. Je viens vous annoncer un sujet de tristesse,Léonore ne peut accomplir sa promesse ;Japhet à sa fenêtre en conversation,Doit passer cette nuit par assignation ; De l'ordre de son Oncle on ne s'est pu défendre,Voilà ce que je viens de sa part vous apprendre. DON ALFONCE. Il ne me restait plus qu'un fou me vînt priverDu bonheur le plus grand qui pouvait m'arriverQuoi, les plaisirs d'un fou me coûteront des larmes ? Et j'en perds l'entretien d'un objet plein de charmes ;Et que veut-elle faire avec ce Maître fou ? MARINE. Son oncle le voulant, je ne vois pas par oùElle peut s'exempter des choses qu'il désire. DON ALFONCE. Un accident fâcheux que je lui voulais dire Se pouvait éviter sans ce Prince des fous ;Je veux ici l'attendre, et le rouer de coups,Pour avoir ma raison du mal qu'il me procure,L'exploit m'en est facile en une nuit obscure ;Retire-toi, Marine, ou bien demeure ici, Pour voir transir de peur un fou d'amour transi ; MARINE. Léonore m'attend, foin, ma bougie est morte,Je pourrais bien heurter mon nez à quelque porte,Peste soit de l'amour. DON ALFONCE. Nos fous viendront bientôt. MARC ANTOINE. Je m'en vais étriller Foucaral comme il faut ; Les voici. SCÈNE III. Foucaral, Don Japhet, Don Alfonce, Marc Antoine. FOUCARAL. Cette nuit est noire comme un diable. DON JAPHET. Elle est à mon dessein d'autant plus favorable. FOUCARAL. Et pour moi j'en ferai d'autant plus de faux pas. DON JAPHET. Pour te dire le vrai la nuit ne me plaît pas :Mais en cas d'employer une échelle de soie, On peut bien hasarder quelque chose. FOUCARAL. Avec joie.Je pourrais hasarder quelques coups de bâton,S'il était question de tâter un téton. DON JAPHET. J'en tâterai tantôt deux, des plus beaux du monde,Durs, distants l'un de l'autre, et de figure ronde. FOUCARAL. Peste, quoi ? Deux Tétons ? J'en aurais assez d'un. DON JAPHET. Si le Ciel m'avait fait d'un mérite commun,Léonore aurait pu résister à mes charmes :Mais je n'ai qu'à paraître, il faut rendre les armes :Ce fat Zurducaci lui faisait les doux yeux. FOUCARAL. [Note : Voirement : pour, vraîment, se dit encore en quelques Provinces. [T]]C'est un fat voirement, et Pascal en est deux. MARC ANTOINE. Je m'en vais te payer bientôt de ta louange. DON JAPHET. Que j'aurai du plaisir avecque ce bel Ange ;Je puis très justement dire avec feu César,Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu. FOUCARAL. Par hasard, Si ce vieil Commandeur vous donnait de l'épée ? DON JAPHET. Alors, je ne suis plus César, je suis Pompée. FOUCARAL. Que voulez-vous donc faire avec ces chantres-ci. DON JAPHET. [Note : Dulcifier : Terme de pharmacie. Rendre doux, tempérer l'âcreté, l'acidité, la force d'un liquide en le mêlant avec un autre liquide plus doux. [L]]J'en veux dulcifier mon amoureux souci. FOUCARAL. Et si le Commandeur entend votre Musique ? DON JAPHET. Foucaral, ta raison est assez énergique :Mais aussi j'irai perdre un ducat avancé. FOUCARAL. Préférez-vous l'argent à quelque bras cassé. DON JAPHET. Nous sommes loin encor d'où repose ma joie,Pour gagner mon argent devant qu'on les renvoie ; Ils chanteront les vers que je fis l'autre jour,Sur le feu violent de mon brûlant amour :Quant à moi de tout temps j'aime la symphonie,Et tiens que des bons vers, les beaux airs sont la vieChantez Musiciens, mais non ne chantez pas, Foucaral a raison, retournez sur vos pas ;Ma Musique pourrait être ici scandaleuse,Écoute les doux fruits de ma vertu amoureuse.Amour Nabot,Qui du Jabot, De Don Japhet,As faitUne ardente fournaise ;Hélas, hélas !Je suis bien las D'être rempli de braise.Ton feu GrégeoisM'a fait pantois,Et dans mon PisA mis Une essence de braise,Bon Dieu, bon Dieu,Le coeur en feu,Peut-on être à son aise.Qu'en dis-tu Foucaral, n'ai-je pas bien rimé ? FOUCARAL. Ces mots Nabot, Jabot, et Pantois m'ont charmé. DON JAPHET. Je pourrais bien demain après la jouissance,Ainsi que de raison produire quelque stance. Alfonce et Marc Antoine les frappent chacun le sien.Ha chien de Foucaral pourquoi me frappes-tu ? FOUCARAL. Qui moi ? Je viens aussi ma foi d'être battu. DON JAPHET. L'on redouble sur moi. FOUCARAL. L'on m'en a fait de même. Japhet et Foucaral ne branlent point. DON JAPHET. Le bourreau qui me frappe est d'une force extrême. FOUCARAL. Et celui qui me frappe est un hardi frappeur :Monsieur si vous vouliez je crierais au voleur. DON JAPHET. Ne gâtons rien. FOUCARAL. [Note : Morbleu : Sorte de jurement en usage même parmi les gens de bon ton. [L]]Mort bleu cependant l'on me gâte. DON JAPHET. Le Lutin qui me bat n'a pas beaucoup de hâte,Il frappe posément. FOUCARAL. Oui bien ce dites-vous,On m'a déjà donné plus de deux mille coups. DON JAPHET. Ouf, Messieurs les frappeurs, je défends le visage. FOUCARAL. Ma foi je vais crier. DON JAPHET. Foucaral, soyez sage. FOUCARAL. Je ne le suis que trop pour le bien de mon dos. DON JAPHET. Pour sauver le visage aux dépens de nos os,Mettons-nous ventre à ventre, et face contre face. FOUCARAL. Où diable vous trouver ? DON JAPHET, ils seront joints. Maintenant que l'on fasseTout ce que l'on voudra. DON ALFONCE. Qui va là ? FOUCARAL. Rien ne va. DON ALFONCE. Comment ? FOUCARAL. Nous ne bougeons. DON ALFONCE. Don Alfonce s'en va.Il faut s'en tenir là ;C'est assez pour un coup. FOUCARAL. On vous quitte des autres.Les reins me font grand mal. DON JAPHET. Aussi font bien les nôtres ;J'y sens grande douleur. FOUCARAL. Je n'en sens guère moins. DON JAPHET. Grâces à Dieu, ceci s'est passé sans témoins. FOUCARAL. Nommez-vous l'aventure une bonne fortune ?Et la grêle de coups doit-elle être communeAvec moi qui ne sers ici que de records ? DON JAPHET. Il revient des Esprits céans. FOUCARAL. Plutôt des corpsDe frappante manière, et de main vigoureuse. DON JAPHET. Je n'en rabattrai rien de ma verve amoureuse ;Je tiens tous ces coups-là fort au-dessous de moi. FOUCARAL. Je les tiens dessus vous. DON JAPHET. Je m'en veux plaindre au Roi. FOUCARAL. C'est fort bien avisé. DON JAPHET. Le Balcon de ma BelleDoit être près d'ici, siffle. FOUCARAL. Répondra-t-elle ? DON JAPHET. Elle me l'a promis. SCÈNE IV. Léonore, Don Japhet, Foucaral qui siffle. LÉONORE, au haut d'un balcon. Est-ce vous Don Japhet ? DON JAPHET. Oui, c'est moi mon bel ange, un peu mal satisfait,D'un petit accident que de bon coeur j'oublie,Puisque j'aurai l'honneur de votre compagnie. LÉONORE. Je ne le puis celer, le désir de vous voir Me fait abandonner le soin de mon devoir. DON JAPHET. Ha ! Vous m'assassinez d'excès de courtoisie,[Note : Alérion : Terme de Blason. Petit aiglon qu'on représente avec les ailes étendues, et sans bec ni pieds. [Ac. 1762], ici sens figuré pour signifier un petit mais noble oiseau aux senteurs enivrantes.][Note : Malvoisie : est aussi un vin muscat qui vient de Provence, qu'on fait cuire, et dont on fait évaporer environ le tiers. [F] ici sens figuré pour signifer le douceur sucrée.]Alérion musqué doux comme malvoisie :Mais ne ferais-je point vers vous ascension. LÉONORE. Aimable Don Japhet, c'est mon intention, Je m'en vais vous jeter l'échelle. DON JAPHET. Ha Séraphique !Pour vous remercier faible est ma Rhétorique :Foucaral ! FOUCARAL. Monseigneur ? DON JAPHET. Et bien, qu'en penses-tu ?Je suis venu, j'ai vu. FOUCARAL. Mais l'on vous a battu. DON JAPHET. Foucaral ! FOUCARAL. Monseigneur ? DON JAPHET, en montant. Je monte, ou Dieu me sauve. Foucaral ! FOUCARAL. Qu'a-t-il fait ? DON JAPHET. L'occasion est chauve. FOUCARAL. Et vous aussi. DON JAPHET. Va-t-en Foucaral. FOUCARAL. Volontiers. DON JAPHET. En matière d'amour je n'aime pas un tiers. LÉONORE. Il faudrait retirer l'échelle. DON JAPHET. Oui ma Belle,Je la vais retirer cette divine échelle, Par qui j'ai pu monter à votre firmament. LÉONORE. Je vous viens retrouver dans un petit moment ;Je m'en vais m'informer si mon Oncle sommeille. DON JAPHET. Je crains autant que vous que ce vieillard s'éveille.Allez donc ma Diane, allez voir ce qu'il fait, Et revenez trouver le bienheureux Japhet. LÉONORE. Je ne reviendrai point, qu'après être assuréeQu'il dorme d'un sommeil profond et de durée ;S'il allait découvrir ce que je fais pour vous,Ce serait fait de moi. DON JAPHET. Ce serait fait de nous : Ces assignations, ces balcons, ces échelles,Aboutissent souvent en blessures mortelles.Me voilà pris en cage ainsi qu'un Perroquet,Je commence à trembler pour mon dessein coquet :Ô des Amants furtifs Déesse ténébreuse ! Si tu fais réussir l'entreprise amoureuse,[Note : Liron : [loir] Quelques-uns l'appellent rat liron et lerot. C'est un animal qui dort tout l'hiver dans les creux des arbres. Il a le museau aigu, la queuë grande, et le ventre gros. [F]]Je t'offre en sacrifice, un, deux, ou trois Lirons,Et deux gros chats-huants, déesse des larrons ;De ton obscurité redouble un peu la dose,Et rends bien assoupi le vieillard qui repose ; Prête-moi ta faveur à me bien divertir :Car j'en ai grand besoin pour ne te point mentir :J'entends quelque rumeur, le Ciel me soit en aide ! SCÈNE V. Don Alvare, Le Commandeur, Rodrigue, et autres. DON ALVARE. Amorce le fusil. DON JAPHET. Je suis mort sans remède. DON ALVARE. Ou je me trompe fort, ou je vois un voleur Qui va par le balcon voler le Commandeur ;Qu'on lui mette d'abord du plomb dans la cervelle. DON JAPHET. Ha Messieurs ! Suspendez la Sentence mortelle,Je ne suis point voleur, je ne suis seulementQu'homme à bonne fortune, ou bien fidèle Amant ; De plus, l'on m'a battu bien fort depuis une heure,Si frais battu Messieurs, est-il juste qu'on meure ? DON ALVARE. À grands coups de cailloux qu'on le fasse baisser. DON JAPHET. Cailloux à moi ? Bon Dieu, ce serait me blesser ;Un grand Seigneur blessé ne vaut pas le moindre homme. RODRIGUE. Ce n'est qu'un discoureur, vite qu'on me l'assomme. DON ALVARE. Tirerai-je ? DON ALVARE. Oui tirez. DON JAPHET. Tout beau, ne tirez pas.Je ne vaux rien, tiré. DON ALVARE. Jette-toi donc en bas. DON JAPHET. Vous savez ce qu'on fait à quiconque se tue,[Note : S'homicider : Se tuer soi-même. [L]; On dit aujourd'hui : suicider.]Et que s'homicider est chose défendue. LE COMMANDEUR. Faisons-le dépouiller, et jeter ses habits. DON ALVARE. Cavalier amoureux, loyal comme Amadis,Ou les cailloux sur vous vont pleuvoir d'importance,Ou bien dépouillez-vous sans faire résistance,De vos chers vêtements, pour nous en faire un don. DON JAPHET. Mes vêtements Messieurs, parlez-vous tout de bon ?Savez-vous que je suis le plus frileux du monde ? DON ALVARE. Savez-vous que l'on va faire jouer la fronde ?Vite, qu'on me le fronde, il ose raisonner. DON JAPHET. Frondeurs, ne frondez pas, je vais vous les donner : [Note : Rondelle : gardes de l'épée, de l'armure. [LC]]Voilà pour commencer, la rondelle et l'épée,Je me disais tantôt César, je suis Pompée :César vint, vit, vainquit, et moi, je suis venu,Je n'ai rien vu, l'on m'a battu, puis mis à nu.Ô noir amour ! LE COMMANDEUR. Ma foi ce fou me fait bien rire. DON JAPHET. Vous riez, assassins. DON ALVARE. Qu'est-ce que j'entends dire ?Je crois que ce voleur nous appelle assassins,Qu'on le tue. DON JAPHET. [Note : Spadassin : traîneurd'épée, coupe-jarret, qui fait métier de se battre, d'assassiner, qui ne porte l'épée que pour mal faire, et non pas pour servir le Roi. [F]]Ha Messieurs ! Je disais spadassins,Et consens de bon coeur que quelqu'un m'assassine.Si j'ai cru votre troupe autre que spadassine. DON ALVARE. Cependant les habits ne se dépouillent pas. DON JAPHET. Vous me pardonnerez, je vais tout mettre bas. DON ALVARE. Vous marchandez beaucoup. DON JAPHET. Qu'à mes habits ne tienne,Qu'on ne gâte une peau douce comme la mienne.Qu'ainsi ne soit, voilà, mon fidèle chapeau : Mais Messieurs voulez-vous que je demeure en peau ?Vous donnerai-je aussi les habits qui me couvrent ? DON ALVARE. Que cents coups de cailloux tout à l'heure l'entrouvrent. DON JAPHET. Messieurs, ne parlons plus de lapidation,Je m'en vais achever la spoliation, Et vous achèverez de plier ma toilette. DON ALVARE. Le malheureux me raille, il faut que je le metteDe son Balcon en bas, donne-moi ce fusil,Je veux faire un beau coup. DON JAPHET. Messieurs, que vous faut-il ?[Note : Nud : (ou nu) Qui n'a aucun habillement qui le couvre. [F] ici, "nud" evité le iatus.]Ce n'est donc pas assez d'être nud en chemise ? [Note : Chétif : Qui est de peu de valeur, qui se dit des personnes, et des choses. Cet homme est bien chetif, maigre, mal fait, miserable. [F]]Et la plainte au chétif ne sera pas permise ?Ma foi c'est bien à moi de faire le railleur,Mort de peur, mort de froid, et pris pour un voleur ;[Note : Bile : Humeur du corps humain, dont la secrétion se fait dans le foie. On le dit figurément pour colère ; émouvoir, échaufer la bile de... [FC]]Laissez-moi donc en paix, attiédissez vos biles,Et que mes vêtements vous puissent être utiles : [Note : Haut de chausses : La partie du vêtement de l'homme, qui le couvre depuis la ceinture jusqu'aux genoux. [T]]Voilà mon haut-de-chausse, et mon pourpoint aussi. DON ALVARE. C'est trop, c'est trop. Adieu, Seigneur, et grand merci. DON JAPHET. C'est trop, c'est trop ma foi, c'est moi-même qu'on raille,Me voilà nud pourtant, peste soit la canaille ;Si je n'avais été si haut embalconné, Cents coups au lieu d'habits je leur eusse donné :Mais mon ange est long temps. SCÈNE VI. Une Duègne, Don Japhet. LA DUÈGNE. La nuit est fort obscure,Gare l'eau. DON JAPHET. Gare l'eau ? Bon Dieu, la pourriture ;Ce dernier accident ne promet rien de bon :Ha ! Chienne de Duègne, ou servante, ou Démon ; [Note : Compisser : vieux mot qui signifiait, pisser dessus, ou pisser souvent et partout. [F]]Tu m'as tout compissé, pisseuse abominable,Sépulcre d'os vivant, habitacle du Diable ;Gouvernante d'Enfer, épouvantail plâtré,Dents et crins empruntés, et face de châtré. LA DUÈGNE. Gare l'eau. DON JAPHET. La Diablesse a redoublé la dose ; Exécrable Guenon, si c'était de l'eau roseOn la pourrait souffrir par le grand froid qu'il fait ;Mais je suis tout couvert de ton déluge infect ;Et quand j'espérerais le retour de ma Belle,[Note : Putréfait : terme peu usité. Tombé en putréfaction. [L]]Étant tout putréfait que ferais-je avec elle ? Il faut céder au Temps, c'est assez pour un coup.J'ai fort mal réussi : mais j'aurai fait beaucoupSi je puis descendant l'échelle que j'accroche,Garantir mon cher corps de chute, ou d'anicroche :Que maudit soit l'amour, et les Balcons maudits D'où l'on sort tout couvert d'urine, et sans habits :Que le métier d'amour est un rude exercice ! SCÈNE VII. Le Commandeur, et ses Gens, Don Alvare, Rodrigue, Foucaral, Don Japhet. LE COMMANDEUR. Qui va là ? DON JAPHET. Qui me dit qui va là ? LE COMMANDEUR. La Justice. DON JAPHET. Je ne suis point gibier de tels chasseurs que vous. DON ALVARE. Qu'on le saisisse au corps. DON JAPHET. Autre grêle de coups : Faisons bien les mauvais : au premier qui me toucheDe l'âme d'un fusil je fermerai la bouche. DON ALVARE. Les armes bas, de par le Roi. DON JAPHET. Le Ciel m'a faitSon plus proche parent. LE COMMANDEUR. Est-ce vous Don Japhet ? DON JAPHET. Est-ce vous Commandeur ? LE COMMANDEUR. Ainsi nud à telle heure. DON JAPHET. Je m'en allais baigner. LE COMMANDEUR. En Hiver ? DON JAPHET. Oui je meure ;L'Amour mon pauvre corps a si fort enflammé,Que je me puis baigner sans en être enrhumé :Amour par ta bonté rends l'échelle invisible ? LE COMMANDEUR. Autant que la saison votre amour est terrible ; Et l'on vous peut nommer un amoureux sans pair,De vous baigner ainsi dans le fort de l'Hiver. DON JAPHET. [Note : Fidel : ne veut pas dire que celui dont le seigneur parle soit fidèle, mais qu'il est vassal et par conséquent obligé d'être fidèle. [LC]]Foi de fidel amant présentement je sue. RODRIGUE avec les habits de Japhet. J'ai trouvé ces habits au détour de la rue ;Un homme qui fuyait les tenait embrassés Il les a laissés choir, je les ai ramassés. LE COMMANDEUR. À qui sont ces habits ? FOUCARAL. Ce sont ceux de mon Maître,Je les reconnais bien. DON JAPHET. Cela pourrait bien être ;Je les avais donnés à garder à mes gens,Ils les ont égarés, comme ils sont négligents. LE COMMANDEUR. Seigneur Japhet, venez chauffer votre Personne,Et prenez vos habits, la chaleur vous est bonne. DON JAPHET. Pour vous faire plaisir j'approcherai du feu. Don Japhet et les autres s'en vont, et Don Alfonce et Marc Antoine entrent sur le Théâtre. SCÈNE VIII. Don Alfonce, Marc Antoine. DON ALFONCE. La Fortune et l'Amour me font ici beau jeu ;L'échelle de ce fou tout à l'heure aperçue, Me prépare une entrée au Ciel. MARC ANTOINE. J'en crains l'issue. DON ALFONCE. Le Commandeur dormant, que peut-il m'arriver ? MARC ANTOINE. Et s'il vient voir sa nièce, il vous pourra trouver. DON ALFONCE. Et si le Ciel tombait ? Vois-tu, laisse-moi faire,La Fortune et l'Amour ont soin du téméraire ; Suis-moi dans le Balcon, où tu feras le guet. MARC ANTOINE. Dieu nous veuille garder d'avoir pis que Japhet ;Ô qu'il est mal aisé quand on sert un jeune hommeDe dormir tous les jours à l'aise et de bon somme. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Don Alvare, Don Japhet. DON ALVARE. L'Alezan est fougueux. DON JAPHET. Il ne me plaît donc pas. DON ALVARE. Il ne vous faudrait donc qu'un bon cheval de pas. DON JAPHET. Fort bien, et qui pourtant donnât quelques courbettes :[Note : Bossette : Petit rond doré et élevé en bosse, qu'on met aux deux côtez d'un mords de cheval. [F]]Je hais fort les chevaux qui portent des bossettes :J'en voudrais un qui fût entre triste et gaillard,[Note : Bayard : nom propre du fameux cheval des quatre fils Aymon. [T]]Qui tînt fort de la Mule, et fort peu du Bayard. DON ALVARE. J'en chercherai quelqu'un doux comme une litière. DON JAPHET. [Note : Bière : tombeau.]Mon dessein entre nous, menace de la bière ;Ne puis-je pas porter quelque bonne arme à feu,[Note : Epingle : Fig. et familièrement. Tirer son épingle du jeu, se dégager adroitement ou sans perte d'une mauvaise affaire ; locution qui vient d'un jeu de petites filles : elles mettent des épingles dans un rond, et, avec une balle qui, lancée contre le mur, revient vers le rond, elles essayent d'en faire sortir les épingles ; quand on fait sortir la mise, on dit qu'on retire son épingle du jeu. [L]]Afin de mieux tirer mon épingle du jeu ? DON ALVARE. Ce serait un coup sûr : mais ce n'est pas la mode. DON JAPHET. Quoi, l'usage prévaut ? Ô sottise incommode?En chose où le péril paraît de tous côtés,On peut fort bien passer sur les formalités.Et si quelque taureau vient à moi comme un foudre,Puisqu'un vilain taureau peut un homme découdre, [Note : Tirer à quartier : fuir.]Ne peut-on pas alors se tirer à quartier ? DON ALVARE. Ce serait l'action d'un lâche Cavalier. DON JAPHET. Ce serait l'action d'un Cavalier bien sage. DON ALVARE. Laissez votre sagesse, et montrez du courage. DON JAPHET. Je n'en montre que trop, et l'arme que j'aurai, Que sera-ce ? DON ALVARE. Une lance au bois peint et doré. DON JAPHET. Je veux entrer en lice avec la hallebarde. DON ALVARE. Hallebarde contre un taureau, Dieu vous en garde. DON JAPHET. Et qu'on pourrait-on dire? DON ALVARE. On s'en moquerait fort. DON JAPHET. S'en moquera-t-on moins quand on me verra mort ? DON ALVARE. Souvenez-vous au reste en frappant de la lance,De choisir bien l'épaule. DON JAPHET. Et pourquoi non la panse?Et plus large, et plus tendre, et plus belle à frapper.Où l'on peut ajuster cent coups sans se tromper. DON ALVARE. Cela n'est pas permis. DON JAPHET. Ô le maudit usage ! DON ALVARE. Monsieur encore un coup, ayez bien du courage,Et le reste ira bien. DON JAPHET. J'ai peur qu'il aille mal:Car un Taureau n'est pas un traitable animal. DON ALVARE. En peu de mots, voici ce que vous devez faire,Vous entrerez en lice hardi, non téméraire ; Votre lance en l'arrêt, ferme dans les arçons,[Note : L'original porte rendons, le participe présent est plus vraisemblable.]Et rendant le salut aux dames des balcons. DON JAPHET. Et puis après j'irai chercher des coups de cornes ;Ô que mon sot dessein rend tous mes esprits mornes !Je voudrais de bon coeur être sans Marquisat, Et pouvoir m'exempter de ce maudit combat :Adieu je vais m'armer, si jamais j'en échappe,Je veux que l'on me berne, en cas qu'on m'y rattrape. SCÈNE II. Don Alvare, Elvire. DON ALVARE. Hé bien, ma chère Elvire, ai-je encor à languir ? ELVIRE. Ma Mère est un esprit qui ne peut revenir, Nous n'obtiendrons jamais ce que nous voulons d'elle,Qu'elle ait de mon frère une bonne nouvelle ;S'il ne revient bientôt nous espérons en vain. DON ALVARE. Il faut l'aller chercher, et partir dès demain :S'il est en quelque endroit des lieux que le Ciel couvre, Il sera bien caché si je ne le découvre :Mais il est mort, Elvire ? ELVIRE. Hélas j'en ai grand peur !Car ma Mère en mourrait sans doute de douleur. DON ALVARE. Vous me commandez donc de chercher votre frère. ELVIRE. C'est l'unique remède à nos maux salutaire. DON ALVARE. Mais aussi vous quitter ! ELVIRE. Mais Alvare, il le faut,Sa mort, ou son retour vous ramènent bientôt. DON ALVARE. Bien donc, pour vous rejoindre il faut que je vous quitte. ELVIRE. [Note : L'original porte Elvire au lieu d'Alvare plus vraisemblable.]Votre action Alvare, aura tout son mérite,Vous trouverez un frère, et vous aurez sa soeur. SCÈNE III. Le Harangueur, Don Alvare, Elvire. LE HARANGUEUR, ou Haro. Ha Seigneur Don Alvare, un horrible malheurAujourd'hui nous prépare une histoire tragique. DON ALVARE. Quoi donc Seigneur Pedro ? LE HARANGUEUR. Ce fou mélancoliqueAvait un Secrétaire en habit d'écolier ;Ce n'en était pas un, c'était un cavalier, Éperdument épris d'amour pour Léonore. DON ALVARE. Elle l'aime ? LE HARANGUEUR. Elle l'aime, et même elle l'adore :Ce bienheureux Amant, dans sa chambre introduitOù vraisemblablement il a passé la nuit,Fait bien voir qu'elle l'aime, et qu'elle en est aimée. DON ALVARE. Et comment l'a-t-on su ? LE HARANGUEUR. Sa chambre mal ferméeLes a laissé surprendre à notre Commandeur ;Soit qu'il fût averti ; soit que le seul malheurAit conduit notre Maître à voir son infamie,Lorsqu'il pensait trouver une nièce endormie, Il ne s'est point troublé le téméraire Amant ;Aux cris du Commandeur, nos gens en un momentSont venus bien armés au secours de leur Maître,L'autre valet du fou, camarade peut-être,De ce jeune écolier, s'est mis à son côté, Et lui sans s'effrayer de l'inégalité,A fait tout ce qu'eût fait le plus brave des hommes ;Oui, jamais il n'en fut en la terre où nous sommes :De plus vaillant que lui : c'est un Roland, un Cid ;Il a blessé nos gens du plus grand au petit ; Notre Commandeur même est blessé dans l'épaule :Enfin on a saisi cet Amadis de Gaule,Et sous son jupon noir qui le décréditait,Non sans étonnement, on a vu qu'il portaitUn riche vêtement, non d'un homme ordinaire, Mais bien d'un grand Seigneur, soi-disant Secrétaire :Quoique pris on l'a vu conserver sa fierté,Comme un jeune Lion dans les fers arrêté :Madame Léonor dans sa chambre est pâmée,Où notre Commandeur l'a lui-même enfermée. ELVIRE. Quel étrange malheur ? LE HARANGUEUR. Je crois que le voici. SCÈNE IV. Don Alfonce, Le Commandeur, Don Alvare. DON ALFONCE, en habit de Cavalier et lié. Quand je devrais mourir. LE COMMANDEUR. Tu dois mourir aussi. DON ALFONCE. J'en aurais fait mourir devant ma mort bien d'autres,À moins d'être accablé du grand nombre des vôtres. LE COMMANDEUR. Exécrable assassin. DON ALFONCE. Mon crime est mon Amour, Je serai trop heureux quand je perdrai le jour. LE COMMANDEUR. Tu n'es qu'un imposteur. DON ALFONCE. Je suis un misérable. LE COMMANDEUR. Et mon infâme nièce. DON ALFONCE. Est un ange adorable. LE COMMANDEUR. Ha je la punirai, je le dois, je le puis. DON ALFONCE. Oses-tu sans respect parler d'elle où je suis ? Si je n'étais, lié, ta bouche criminelleNe hasarderait pas des blasphèmes contre elle. LE COMMANDEUR. Méchant, tu l'as séduite ; et ta conditionEst chose supposée, et pure invention. DON ALFONCE. Il est vrai Commandeur, j'ai ta nièce séduite, Nous devions elle et moi demain prendre la fuite ;Je l'adore, elle m'aime, et m'a donné sa main,Que n'exécutes-tu ton Arrêt inhumain ?Sa bouche d'un soupir rendra ma mort heureuse ;C'est là l'ambition de mon âme amoureuse, Si mon trépas lui coûte une larme, un soupir,Je mourrai de l'Amour le glorieux Martyr. LE COMMANDEUR. Je te ferai mourir au milieu des supplices. DON ALFONCE. Les plus cruels tourments me seront des délices,Puisqu'ils me serviront vers elle à mériter. LE COMMANDEUR. Dis ton nom, scélérat, ou je te vais planterCe poignard dans le sein. DON ALFONCE. C'est toute mon envie,[Note : Avoir affaire de : avoir besoin de [L].]Si je perds Léonore, ai-je affaire de vie ?Délivre-moi le bras, donne-moi ton poignard,Tu me verras percer mon coeur de part en part ; Tu veux savoir mon nom, je le saurais bien taireAu bien de mon Amour s'il était nécessaire,Pour la peur de cent morts je ne dirais pas,Un Amant comme moi ne craint point le trépas :Mais pour justifier ma flamme, il le faut dire, Je m'appelle Enriquez, voilà ma soeur Elvire,Et ma Mère est ici malade, et moi je suisPrêt de te satisfaire autant que je le puis :Si ce que je te dis t'irrite davantage,Exerce dessus moi ton poignard et ta rage. ELVIRE. Ha mon frère ! DON ALFONCE. Ha ma soeur, laisse-moi donc parler !Que délibère-t-on ? Je suis tout prêt d'allerPour réparer ma faute épouser Léonore,Ou bien perdre le jour, que sans elle j'abhorre,Et je répète encor que je bénis mon sort, Si mon Ange visible a regret en ma mort. LE COMMANDEUR. Le valet de Japhet étant un Don Alfonce,Vous délier moi-même est toute ma réponse,Vous priant d'oublier tout ce qui s'est passé. DON ALFONCE. C'est à vous d'oublier, vous êtes l'offensé. LE COMMANDEUR. J'espère qu'entre nous finira la querelle,Vous donnant Léonore, et mon bien avec elle. DON ALFONCE. C'est m'élever au Trône en me tirant des fers,Et me porter au Ciel au sortir des Enfers. LE COMMANDEUR. Que l'on aille quérir ma nièce. ELVIRE. Hélas mon frère ! Que vous avez coûté de larmes à ma mère ? DON ALFONCE. J'aurai peine à fléchir son esprit absolu,Qui ne démord jamais de ce qu'elle a voulu. LE COMMANDEUR. Nous obtiendrons tout d'elle, une juste prière,Parmi les gens d'honneur ne se refuse guère. DON ALFONCE. Elle pourrait sans doute en une autre saisonSe plaindre de son fils avec juste raison.Je devais épouser sa nièce, elle était belle,Je pouvais espérer de grands biens avec elle :Mais peut-on éviter la volonté des Cieux ? Et peut-on s'exempter du pouvoir de deux yeux ?Pouvais-je deviner qu'en allant à Séville,J'entrerais dans les fers d'une divine fille ?Et suis-je dans les fers où les beaux yeux m'ont mis,En l'état de tenir ce que j'avais promis ? SCÈNE V. Foucaral, Le Commandeur, Don Alfonce, et tous les autres. FOUCARAL. Messieurs, or écoutez le malheur effroyable,Qui vient d'assassiner Don Japhet misérable. LE COMMANDEUR. Le Taureau l'a-t-il mal traité ? FOUCARAL. Vous l'avez dit,Il s'est mis sur les rangs aussi vaillant qu'un Cid ;Un taureau mal appris qui l'a vu dans la place, A pris aversion pour sa tragique face ;Et l'a suivi longtemps les cornes dans les reins ;Le vaillant champion sans songer à ses mains,Voyant que le taureau le poursuivait si vite,A de la selle en bas bientôt changé de gîte ; L'impertinent taureau le voyant piéton,Est allé droit à lui sans craindre son bâton ;Et le brave Japhet, voyant ses grandes cornes,S'est présenté trois fois pour transgresser les bornes ;[Note : Nescio vos : forumle latine signifiant : je ne vous connais pas.]Le peuple mal courtois a dit, nescio vos ; Cependant l'animal a pris son homme à dos :[Note : Grègue : Haut-de-chausses qui serre les fesses et les cuisses, que tous les hommes portaient au siecle passé [XVIème], et qui est demeuré pseulement aux Pages, qui les appellent autrement trousses ou culottes. [F]]Et les cornes s'étant en grègue embarrassées,L'infortuné Japhet, et ses belles pensées,Ayant été longtemps dans l'air bien secoué,(Sans cornade pourtant, dont le Ciel soit loué) S'est à la fin trouvé couché sur la poussière,Foulé de coups de pieds d'une étrange manière :On le remporte à quatre, et je viens tout exprèsVous faire le récit de ce triste succès :Mais notre Secrétaire est vêtu comme un Prince, [Note : Justaucorps : espèce de vêtement à manches qui descend jusqu'aux genoux et qui serre la taille. [L]]Que diable a-t-il donc fait de son justaucorps mince ? DON ALVARE. Don Roc Zurducaci n'est plus un écrivain,Il épouse aujourd'hui Léonore, ou demain ; FOUCARAL. Et mon maître ? DON ALVARE. Et ton Maître, il prendra patience. FOUCARAL. Cela nuira beaucoup à sa convalescence : Comme un valet toujours dit tout ce qu'il a vu,[Note : Impourvu : terme vieilli. Non prévu. [L]]Je m'en vais lui conter la chose à l'impourvu. LE COMMANDEUR. Léonore entre.Ma nièce, approchez-vous, dedans la promptitudeJe vous ai tantôt fait un traitement bien rude :Mais je crois me remettre assez bien avec vous, En vous faisant présent d'un si parfait Époux. LÉONORE. Votre bonté me rend et muette et confuse,Et mon crime est si grand. LE COMMANDEUR. Votre choix vous excuse :Monsieur, je vous la donne. DON ALFONCE. Et moi je la reçois,Comme un bien, qui me rend aussi riche qu'un Roi. LE COMMANDEUR. Il faut aller trouver votre mère, et j'espèreQue nous obtiendrons tout d'une si bonne mère. ELVIRE. Ce bien heureux Hymen va la ressusciter. LE COMMANDEUR. Et vous et Don Alvare, y pourrez profiter. DON ALVARE. Si vous vous en mêlez la chose est fort facile. LE COMMANDEUR. Et de plus elle est juste, autant qu'elle est utile. SCÈNE VI. Foucaral, Don Japhet, Le Commandeur, et les autres. FOUCARAL. Place Messieurs, je viens vous trouver à grands pas,Mortel avant-coureur de quatre ou cinq trépas ;Pour vous signifier que la fureur dans l'âme,[Note : Chanter la gamme : On dit proverbialement, Chanter la gamme à quelqu'un, pour dire, le quereller, le reprendre, ou lui reprocher sa faute. [L]]Don Japhet courroucé vient chanter votre gamme. DON JAPHET armé de toutes pièces, avec une lance. Où se cachera-t-il, ce Commandeur maudit,[Note : Dit : signifie un bon mot, une sentence, un apophthegme des Anciens. On dit en proverbe, qu'un homme a son dit et son desdit, pour dire, qu'il change de parole ou de dessein. [F]]Qui dans un même jour a son dit et dédit ?Ha te voilà vieux fou, sans honneur sans parole,Maître de valets fous, Oncle de nièce folle !Et tu ris grand vilain ? Et tu m'as mal traité ? Et tes valets ont pris la même liberté ?Cependant qu'au péril de cent mille cornades,[Note : Lançade : coup de lance. [LC]]Je combats des Taureaux à grands coups de lançades,Tu me ravis ta nièce, ignorant, affronteur ;En faveur d'un valet qui n'est qu'un imposteur : Elle aurait succédé dans ma couche honorable,À ma chère Azatèque une Reine adorable :Et traître tu la fais femme d'un écrivain,D'un grand faquin qui vit du travail de sa main ?De fourbe le plus grand qui soit dans la Castille, [Note : Soudrille : terme de raillerie. Méchant et misérable soldat, dont on ne fait point de cas. [T]]Est-ce pour tes beaux yeux qu'on s'expose en soudrille ?Ne contes-tu pour rien d'être venu d'Orgas ?Et suis-je un homme à perdre, et mon temps et mes pas ?Si je n'étais Chrétien (mais le Christianisme)Me défend d'entreprendre un sanglant cataclysme, Si je n'étais Chrétien, Commandeur effronté,Je t'aurais dépaulé, décuissé, détêté ;Si je n'avais eu peur de m'accabler moi-même,J'aurais fait le Samson dans ma fureur extrême ;[Note : Sens dessus dessous : [Sens devant derrière] Sont des phrases adverbiales, pour marquer de la confusion et du désordre, et que ce qui devait être devant ou dessus, est derrière ou dessous. [F]]J'aurais mis ton château tout sens dessus dessous, Ton renifleur et toi, ta nièce, et son époux :Si tu m'avais tenu la parole promise,Je lui donnais mon bien, je la faisais Marquise,Moi parent de César, moi Marquis, moi JaphetJ'allais faire l'esclave, et j'aurais fort mal fait : Mais que je sache encor pourquoi d'un secrétaire[Note : Indiscret : celui qui agit par passion, sans considerer ce qu'il dit ni ce qu'il fait. (...) Un indiscret se fait souvent de grandes affaires par quelque parole qu'il a lâchée mal à propos. [F]]Cette jeune indiscrète, est l'injuste salaire ;Est-ce pour les profits du Secrétariat,Qui ne lui vaudra pas par an demi ducat ? DON ALFONCE. Monseigneur Don Japhet. DON JAPHET. Vitement, qu'on me l'ôte Ce perfide valet. DON ALFONCE. Je confesse ma faute :Mais lorsque vous saurez que j'étais Cavalier,Que l'amour m'a fait prendre un habit d'Écolier,Et que j'étais aimé de ma belle Maîtresse ;Vous ne me croirez plus d'âme double et traîtresse, Et vous pardonnerez. DON JAPHET. On lui corne aux oreilles avec une trompe de postillon.Maudit soit le Cornet.C'est bien encore pis que le coup de Mousquet.Qui diable es-tu ? SCÈNE VII. Un Courier, Don Japhet, Le Commandeur, Don Alfonce, et tous les autres. LE COURIER. Je suis le Courier ordinaireDe votre grand César. DON JAPHET. Qui t'amène ? LE COURIER. Une affaireQui vous importe fort. DON JAPHET. Parle, et ne corne pas, On je t'étranglerai. LE COURIER. Parlerai-je tout bas ? DON JAPHET. Pourquoi faquin ? LE COURIER. De peur de vous rompre la tête. DON JAPHET. Et tu viens de la rompre abominable bête,Parle donc vitement ? LE COURIER. Je n'ai point à parler. DON JAPHET. Et pourquoi non bourreau, que je dois étrangler ? LE COURIER. Parce que ce paquet de tout vous doit instruire. DON JAPHET. Lis-le donc vitement. LE COURIER. Je n'ai su jamais lire. DON JAPHET. Qu'un autre lise donc. LE COURIER. Je le sais tout par coeur. DON JAPHET. Fais-en donc le récit. LE COURIER. De par moi l'Empereur. DON JAPHET, à part. De ce visage-là je garde quelque idée, Et j'ai vu quelque part cette face ridée. LE COURIER. L'héritier du Soleil, le grand Mango Capac,Souverain du pays d'où nous vient le Tabac,Prit Coïa Mama sa soeur en Mariage,Du pays du Pérou la fille la plus sage ; Du Valeureux Mango, de la belle CoïaEst sortie en nos jours l'Infante Ahihua ;Elle arrive à Madrid pour être baptisée,De mon Cousin Japhet qu'elle soit l'Épousée ;Je leur donne un impôt que j'ai mis depuis peu, Tant sur les Perroquets qui sont couleur de feu,Que sur les Lamantins du grand Fleuve Orillane,Et mes prétentions sur la riche Guyane. DON JAPHET. Le traître de Courier ressemble au Renifleur,Faites-moi voir un peu le seing de l'Empereur. LE COURIER. Le voilà bien écrit de sa dextre Royale. DON JAPHET. Il n'en faut point douter. LE COURIER. La Dame OccidentaleA deux vaisseaux chargés de précieux bijoux,De gorges de Griffons, de peaux de Loups-garous[Note : Vezugues : lieu imaginaire (voir "Gazette et nouvelles ordinaires de divers pays loingtains", 1632.)]De baume gris de lin, de Vezugues musquées, De grandes pièces d'or non encor fabriquées. DON JAPHET. Bon cela. LE COMMANDEUR. De Guenons qui parlent Portugais,De gros diamants bruns, et de rubis balais. DON JAPHET. Est-ce tout ? LE COMMANDEUR. Ce n'est pas là la centième partie.Mais il faut faire grâce à votre modestie. DON JAPHET. Mais ne seriez-vous point ce maudit renifleur,Ou du moins le parent de ce mauvais railleur ?Si ce malheureux-là m'avait fait le message,Je romprais là-dessus tout net un mariage,L'Empereur mon Cousin s'en dût-il offenser. Hé bien la belle Iris, vous pouviez bien penserQu'un homme comme moi ne manque point de femme,Vous avez avec nous un peu fait la grand Dame,Je m'en vais épouser l'Infante Ahihua,Qui me va réjouir comme un Alléluia : Et vous son cher galant, jadis mon Secrétaire,Vous m'avez fait du bien, en me pensant mal faire,Je vous sais fort bon gré de m'avoir supplanté,Coquettes et cocus ont grande affinité,Coquettes avec Coquet ne trouve pas son compte, Et Coquet de Coquette a toujours de la honte ;Vous avez bien joué le Roc Zurducaci,Vous en êtes content, et je le suis aussi :Et vous le Commandeur qui me l'aviez promise,Un grand fourbe est gîté dedans votre chemise ; Certains petits discours parvenus jusqu'à moi,Me font beaucoup douter de votre bonne foi ;Vos fréquents compliments, votre reniflerie,L'affaire du Balcon, et la mousqueterie,Tout cela contre vous fait un procès-verbal, Qui vous condamne d'être à jamais animal,Si ce n'est qu'un Japhet doit mépriser l'offense,César est son Parent, malheur à qui l'offense,Je pars pour aller voir un Ange du Pérou. LE COMMANDEUR. Vous n'y pouvez aller sans savoir bien par où ; Un ordre m'est venu de César qu'on doit suivre,Quatre mille ducats dans huit jours on me livre,Que l'on doit employer à faire votre train. DON JAPHET. Tout de bon ? LE COMMANDEUR. Vous verrez l'ordre écrit de sa main :Cependant, Monseigneur, votre noble Présence Prendra part s'il lui plaît à la réjouissance. DON JAPHET. Je suis donc votre avis, et ne m'en irai pas :Foucaral, fais venir mon bagage d'Orgas. FOUCARAL. Il est déjà venu sans mulets ni charrette,J'ai tout dans un chausson au fonds de ma pochette. LE COMMANDEUR. Allons voir votre mère, et tâchons d'obtenirQu'elle veuille aujourd'hui vos souffrances finir,Le Seigneur Don Japhet honorera vos Noces,Et puis après ira suivi de vingt CarrossesRecevoir dans Madrid l'infante Ahihua, Qui vient de Père en fils, de Capac et Coïa. DON JAPHET. Soit ; aussi bien mon train n'est pas chose encore prête,Mais point de renifleur, ou je trouble la fête. ==================================================