******************************************************** DC.Title = LES TROIS IVROGNES, opuscule dramatique. DC.Author = SACY, Claude-Louis-Michel de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Opuscule dramatique DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:12. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/SACY_TROISIVROGNES.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES TROIS IVROGNES OPUSCULE DRAMATIQUE TIRÉ DES «OEUVRES DE THÉOPHILE» M. DCC LXXVIII. Avec Approbation et Privilège du Roi. De SACY, Claude-Louis-Michel de À PARIS, Chez DEMONVILLE. Imprimeur-Librairie de l'Académie Française, rue Saint-Severin, aux Armes de Dombes. PERSONNAGES PONTANUS, Pédant. RONDON, Bourgeois. LA TRANCHÉE, Caporal. MADAME PRINTEMPS, Cabaretière. UN BOURGUEMESTRE. DES GARDES. La scène est en Flandres, dans une Guinguette. Édition tirée de Claude-Louis-Michel de Sacy, Un Gascon à Paris, opuscule dramatique, dans Opuscules dramatiques, ou Nouveaux amusements de campagne, tome second, Paris, Chez Demonville, Imprimeur-Libraire de l'Académie française, 1778, p. 115-135. LE TESTAMENT SCÈNE PREMIÈRE. Pontanus, Rondon, La Tranchée, tous trois ivres ; Madame Bontemps. PONTANUS, à Rondon. Te rappelles-tu, compère, le sujet de notre conversation ?... Elle était fort intéressante. RONDON. Je ne m'en souviens pas ; j'ai la mémoire un peu troublée, et je ne sais pourquoi, car il y a longtemps que je n'ai été aussi sobre qu'aujourd'hui... Une bouteille avec le cousin,... une bouteille avec mon confrère, ... deux bouteilles avec toi, cela ne fait que quatre bouteilles... Ce n'est pas trop... Revenons au sujet de cette conversation... Ma foi, je l'ai perdu. LA TRANCHÉE. Faisons apporter du vin ; nous le trouverons peut-être au fond de la bouteille... Madame Printemps... une bouteille de vin du Rhin ; deux , si vous voulez. Je ne suis pas difficile ; et si vous voulez en apporter trois, je m'en accommoderai encore... Eh bien, Madame Printemps, vous ne venez pas ! Apportez donc du vin... Et le sujet de la conversation. MADAME PRINTEMPS, mettant une bouteille de vin sur la table. Faut-il que je fois obligée de recevoir chez moi de pareils ivrognes ? LA TRANCHÉE. Elle est charmante, Madame Printemps ; si elle voulait, j'aurais un joli sujet de conversation à traiter avec elle. Elle s'en va.Mais buvons ; cela nous rafraîchira la mémoire. Ils boivent.Ne vous avais-je pas bien dit que, quand j'aurais bu, j'aurais la mémoire plus sûre. Nous parlions de ce voyage que je fis en Amérique avec mon Régiment, et je vous faisais la description de cette tempête qui nous assaillit ; le roulis était si violent, les secousses étaient si rudes, que nous chancellions sur nos jambes, et qu'on m'aurait pris pour un homme ivre, moi qui ne bois jamais. Il boit. À votre santé , mon oncle. RONDON, après avoir bu. [Note : Vaisseau : ce mot a deux sens ; navire et contenant de liquide.]Mais il me semble que le plancher chancelle aussi sous nos pieds, et que nous avons beaucoup de peine à nous tenir debout... Ne ferait ce pas une tempête qui agite notre vaisseau, et qui nous fait trébucher de la sorte ? PONTANUS. Moi, j'opine que c'est un tremblement de terre, causé par l'exhalation des vapeurs souterraines, qui, par les lois de la Physique... LA TRANCHÉE. Un tremblement de terre sur mer ! Mon pauvre oncle perd la tête. PONTANUS. Je perds la tête, moi ! Insolent ! Ne suis-je pas Capitaine du vaisseau ? Capitaine ne vient-il pas de Caput ? Et tu veux qu'un Capitaine perde la tête ! Il chancelle et se laisse tomber. LA TRANCHÉE, en le relevant. Je vous avais bien dit que vous n'aviez pas le pied marin. Si vous aviez fait, comme moi, un voyage en Amérique, vous vous soutiendriez mieux. PONTANUS. Un moment, mes amis, un moment ; il me vient une excellente idée ; je m'en vais me présenter aux vents, et je leur dirai :Quos ego... Sed motos prastae componere fluctus.Vous savez comme cela réussit, lorsqu'Enée se trouvait dans le même péril que nous ? LA TRANCHÉE. Moi, je m'en vais mettre le fabre à la main et défendre le pavillon. RONDON. Défendre le pavillon contre la tempête, tu déraisonnes, mon ami. LA TRANCHÉE. [Note : Grenadier : Autrefois, soldat qui était chargé de lancer à la main les grenades dont il allumait la mèche. [L]]Quoi ! Il faudra que je sois mangé des poissons, moi ! Un Caporal de Grenadiers ! PONTANUS. [Note : Emérite : Qui, ayant exercé un emploi, a pris sa retraite et jouit des honneurs de son titre. [L]]Un Professeur émérite ! LA TRANCHÉE. [Note : Sergent : grade militaire au dessus de caporal.]À la veille d'être Sergent ! PONTANUS. À qui il n'a manqué que trois voix pour être Recteur. RONDON. Buvons, pour prendre courage. Ils boivent.Mes amis, faisons ce qu'on pratique en pareille occasion. Jetons les marchandises à la mer pour soulager le vaisseau. LA TRANCHÉE. Cet avis est fort bon ; mais commençons par vider ces bouteilles, de peur que le poids du vin n'empêche le vaisseau de gouverner. Ils boivent, prennent tous les meubles et les jettent par la fenêtre dans la rue. PONTANUS, à la tranchée. Mon neveu, détache aussi cette pendule. LA TRANCHÉE. La peur vous trouble la vue, mon oncle ! Ne voyez-vous pas que c'est la boussole ; si nous la jetons à la mer, comment ferons nous pour continuer notre route ? PONTANUS. Mes amis, nous avons agi imprudemment ; avant de jeter les marchandises à la mer, il aurait fallu suspendre une croix à une corde, pour avertir les passants :Là, je trouve une croix de funeste présage. LA TRANCHÉE. La peur fait radoter mon cher oncle ; il a peur de caser la tête aux poissons... Songeons à bien fermer les portes, pour empêcher les vagues d'entrer. On frappe rudement à la porte. PONTANUS. Entends-tu les vagues qui battent contre le vaisseau ? Mes amis, il faut périr ; embrassons-nous, recommandons-nous à tous les Saints, et faisons, comme Panurge, un mot de testament. Toi, mon cher neveu, je te lègue mon Traité de la Sobriété, qui te sera remis par mon Traiteur, chez qui je l'ai laissé en gage. La porte est enfoncée ; la Garda entre, précédée du Bourguemestre et de Madame Printemps. SCÈNE II. Les Acteurs précédents, Un Bourguemestre, Madame Printemps, des gardes. PONTANUS, montrant le Bourguemestre. Voilà sans doute Monsieur le Notaire qui vient pour écrire notre testament. LA TRANCHÉE. Eh ! Non. Ne voyez-vous pas que c'est un ballot de drap noir qu'il faut jeter à la mer pour alléger le vaisseau. MADAME PRINTEMPS. Monsieur le Bourguemestre, voici les ivrognes qui ont brisé mes meubles, et les ont jetés par la fenêtre. PONTANUS. Madame, lisez la Coutume de la mer ; vous y verrez qu'un Capitaine, dans la tempête, n'est point responsable des marchandises. Ce n'est pas ma faute, si la vôtre est avariée ; et c'est bien assez que j'aie préservé votre vaisseau du naufrage. MADAME PRINTEMPS. Parlez-lui donc, Monsieur le Bourguemestre, parlez-lui donc. LE BOURGUEMESTRE. Que voulez-vous que je dise à un homme qui déraisonne ? PONTANUS. [Note : Barbara : Mot forgé par les scolastiques pour désigner mnémoniquement une forme de syllogisme. [L]]Je déraisonne ! Moi ! Je déraisonne ! Voulez-vous que je vous argumente en barbara, en datizi, en ferio ? LE BOURGUEMESTRE. Il ne s'agit point d'argumenter ; il s'agit de payer le dégât que vous avez fait. PONTANUS. Oh ! Très volontiers ; et quand mon Traité de la Sobriété sera imprimé, je satisferai Madame Printemps. LA TRANCHÉE. Madame Printemps est bonne, elle nous accordera ce temps-là. C'est la plus jolie sirène que j'aie vue dans la mer ; et je ferais volontiers naufrage entre ses bras. LE BOURGUEMESTRE. En attendant qu'ils paient, qu'on les mène en prison. LA TRANCHÉE. [Note : Sentine : Terme de marine. La partie la plus basse de l'intérieur d'un navire où les eaux s'amassent et croupissent. [L]]Ne me mettez pas au fond de cale, au moins, je n'aime pas l'odeur de cette sentine. ==================================================