******************************************************** DC.Title = LES SONGES, OPUSCULE DRAMATIQUE. DC.Author = SACY, Claude-Louis-Michel de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Opuscule dramatique DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 12:57:11. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/SACY_SONGES.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES SONGES OPUSCULE DRAMATIQUE M. DCC LXXVIII. Avec Approbation et Privilège du Roi. De SACY, Claude-Louis-Michel de À PARIS, Chez DEMONVILLE. Imprimeur-Librairie de l'Académie Française, rue Saint-Severin, aux Armes de Dombes. PERSONNAGES UN CAPITAINE. UN AUMONIER. UN ENTREPRENEUR DE VIVRES. UN LABOUREUR. La Scène est dans un Bois de Hanover. Édition tirée de Claude-Louis-Michel de Sacy, La Noblesse, opuscule dramatique, dans Opuscules dramatiques, ou Nouveaux amusements de campagne, tome premier, Paris, Chez Demonville, Imprimeur-Libraire de l'Académie française, 1778, p. 297-304. LES SONGES SCÈNE UNIQUE. LE CAPITAINE, à l'Aumonier. Il y faisait chaud, n'est-ce pas ? Avez-vous vu cette dernière action ? Comme ma Compagnie a donné ! Et ce Capitaine Hanovrien que j'ai tué ! Et ce Chasseur à qui j'ai abattu un bras ! Et ce drapeau que j'ai pris ! Sont-ce là des exploits ? Cependant je n'en serai pas mieux traité, quand je demanderai la Croix. On m'objectera que ma Compagnie a été massacrée : est-ce ma faute à moi, si l'on nous jette dans une embuscade soixante contre trois cents ? Le nombre nous a accablés, et je me vois forcé de traverser les bois à pied, comme vous, sous la conduite de ce laboureur. L'AUMÔNIER. Avouez que ce font-là de grandes sottises. Eh ! Pourquoi ne pas vivre, manger, boire dormir en paix ? Les Héros sont de grands fous ! Laissez les Princes vuider leurs querelles eux-mêmes. LE CAPITAINE. Mon cher Abbé, ne parlez jamais ni guerre ni politique, vous n'y entendez rien. LE LABOUREUR. Mon Capitaine, voudriez-vous bien me dire quel est le sujet de cette guerre ? LE CAPITAINE. Le sujet de cette guerre ?... Je le savais fort bien quand nous sommes entrés en campagne ; mais maintenant je l'ai oublié. LE LABOUREUR. Vous tuez donc les gens sans savoir pour quoi ? Et nos champs qu'on ravage ! Et nos femmes qu'on viole ! Et nos granges qu'on brûle ! Et nos chevaux qu'on fait périr en conduisant votre maudite artillerie ! On n'est pas obligé de rendre raison de tout cela ! Hier encore ces maudits Hussards Hanovriens mirent le feu à une belle ferme voisine de la mienne. LE VIVANDIER. [Note : Vivandier : Celui, celle qui suit un corps de troupes, et qui vend des vivres. [L]]Qui le sait mieux que moi ? C'était mon magasin ; j'y ai perdu pour cinquante mille écus de vivres. Mais on me les remboursera. LE CAPITAINE, à part. On ne me rembourse pas à moi mes équipages que j'ai perdus, et qui ne valaient que six cents livres, tandis que ce fripon est dédommagé d'une perte énorme qu'il n'a peut-être pas faite. L'AUMÔNIER. Messieurs, continuez votre route si vous voulez. Pour moi, je me sens excédé de lassitude. Dussé-je être pris par les Hanovriens, je vais dormir dans ce bois. LE CAPITAINE. Je vous imiterai de bon coeur. LE VIVANDIER. Je me sens aussi les yeux appesantis. LE LABOUREUR. La fatigue est un excellent remède contre l'insomnie. Le gazon est un duvet quand on est bien las. Étendons-nous sous ce chêne, et dormons. L'AUMÔNIER. Ne soyez pas étonnés, si vous m'entendez parler en dormant ; j'ai l'habitude de rêver tout haut. LE CAPITAINE. J'ai la même habitude. Vous avez vu les exploits que je fais quand je suis éveillé ; si vous voyiez ceux que je fais quand je dors, vous seriez bien plus surpris. LE LABOUREUR. Cela m'arrive aussi quelquefois. LE VIVANDIER. Il est singulier que le hasard ait rassemblé ici quatre somnambules ; je le suis aussi. Ils s'endorment et ne parlent plus qu'en rêvant. L'AUMÔNIER. Hem... hem... hem... Ite, Missa est, j'en suis quitte : allons déjeuner. Je n'ai pas été long, mon Général. Pour payer ma diligence, votre Grandeur devrait bien me donner ce gros Prieuré qui est à sa nomination. Le maudit métier que celui d'Aumônier de l'Armée ! LE CAPITAINE. [Note : Croix de Saint Louis : Médaille militaire récompensant les officiers valeureux. Créée en 1694 par Louis XIV, on ne l'attribue plus depuis 1830.]N'aurai-je donc jamais la Croix de Saint-Louis ! Ne faut-il que des exploits pour la gagner ! Aux armes, Soldats, aux armes ; en joue, feu, point de quartier, tuez, massacrez, égorgez : courage, le sang coule ; ne vous rebutez pas, taillez en pièces ce peloton ; plus vous en tuerez, moins il en restera. LE LABOUREUR. Embrasse-moi ma femme ; tu as été bien inquiète pendant mon absence ! Tu as passé de tristes nuits ! Le petit Lucas commence-t-il à marcher ? Quand lui donnerons-nous un frère ? C'est à nous de peupler la terre, puisque les Grands la dépeuplent.. L'AUMÔNIER. Que ce vin est délicat ! Que ce chapon est gras ! Et ce faisan, comme il est cuit à propos ! Goûtes-en, ma Fanchette ; je partage mes meilleurs morceaux avec toi. LE CAPITAINE. J'aurai reçu de mon camarade un soufflet impunément !... Un soufflet à moi ... Un soufflet !... En garde... Une... deux... il est mort... Que devenir ? Qu'ai-je fait ? J'ai tué mon meilleur ami ! Quel coeur que celui que je viens de percer ! L'AUMÔNIER. Tu viens de le percer ; je t'avais dit cependant, Fanchette, qu'il ne fallait pas percer ce tonneau-là avant un mois. Le vin ne sera pas clair. LE CAPITAINE. Marchez, mes camarades, marchez ; ne craignez rien, il n'y a pas de danger. L'AUMÔNIER. Il y a toujours le danger de boire du vin trouble, et cela ne vaut rien pour la santé. LE CAPITAINE. On dit que l'Armée va s'acheminer vers Mayence ; si je pouvais bien faire dans cette expédition ! L'AUMÔNIER. Ce que vous pouvez y faire de mieux, c'est de m'apporter une douzaine de jambons pour passer mon carême. LE CAPITAINE. Enfin me voilà parvenu : je suis Lieutenant-général, toute l'Europe parle de moi. Encore une victoire, et je suis Maréchal de France. Dieux ! Quel plaisir ! Dix mille prisonniers, cinquante drapeaux pris, vingt timbales, dix étendards, quinze mille ennemis sur le champ de bataille. Quel spectacle ! Je nage dans le sang et dans la joie. LE LABOUREUR. La belle récolte ! Les beaux fruits ! Que ce froment est pur ! Comme mes troupeaux se sont multipliés malgré la guerre ! Comme ma famille va se nourrir ! Comme je soulagerai mes voisins que la guerre a ruinés ! Heureuse famille, bénissez Dieu ! Il est encore plus généreux que les hommes ne sont méchants. L'AUMÔNIER. Me voilà donc Prieur enfin ! Quelle cave bien garnie ! Quelle basse-cour nombreuse ! Fanchette, prends soin de tout cela ; car, après toi, je n'aime rien tant que mes chapons. LE VIVANDIER. La guerre est finie, jouissons. Me voilà Secrétaire du Roi ; j'achète une terre de six cents mille livres, voiture élégante, bel attelage, maîtresse jolie. Qui dirait qu'on peut acquérir tout cela, en vendant du pain noir et de la chair de cheval ? L'AUMÔNIER. Mais, ma Fanchette, si Monseigneur l'Evêque allait être informé ?... N'importe, Fanchette ; deux mois de Séminaire sont bientôt passés. Jouissons du présent sans songer à l'avenir ; viens... LE LABOUREUR. Lucas, ce n'est pas ainsi qu'on tient une faux ; donne-moi la, et regarde-moi faire ; tiens. Il fait un mouvement comme pour faucher, et applique un coup de poing sur la face de l'Aumônier qui se réveille et le réveille aussi. L'AUMÔNIER. II fallait donc au moins me laisser achever mon rêve !... Mais écoutons ce vivandier il me semble qu'il fait sa confession. LE VIVANDIER. Si le Général allait découvrir que j'avais gagné les Hussards Hanovriens pour mettre le feu à cette ferme, où je disais qu'il y avait pour cinquante mille écus de vivres, et où il n'y avait rien, je serais pendu. Ne pourrais-je pas, en sacrifiant une partie de ma fortune ?... Mais non, ce Maréchal est un homme incorruptible. LE CAPITAINE. Alerte, alerte ! À vos rangs ; chargez vos armes, marche ! Laissez-moi porter le premier coup. Il lève le bras et frappe le Vivandier ; tous deux se réveillent, et ils continuent leur route. ==================================================