******************************************************** DC.Title = LA NOBLESSE, DIALOGUE. DC.Author = SACY, Claude-Louis-Michel de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Opuscule dramatique DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 07/03/2021 à 21:02:06. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/SACY_NOBLESSE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA NOBLESSE DIALOGUE M. DCC LXXVIII. Avec Approbation et Privilège du Roi. De SACY, Claude-Louis-Michel de À PARIS, Chez DEMONVILLE. Imprimeur-Librairie de l'Académie Française, rue Saint-Severin, aux Armes de Dombes. PERSONNAGES MONSIEUR DE CHEVERT. UN MARQUIS. La Scène se passe à Versailles. Édition tirée de Claude-Louis-Michel de Sacy, La Noblesse, opuscule dramatique, dans Opuscules dramatiques, ou Nouveaux amusements de campagne, tome premier, Paris, Chez Demonville, Imprimeur-Libraire de l'Académie française, 1778, p. 297-304. LA NOBLESSE, DIALOGUE. LE MARQUIS, d'un ton impérieux. Rangez-vous, Monsieur, et faites-moi place. CHEVERT. Monsieur, vous allez sans doute où le plaisir vous invite ? Moi, je vais où le devoir m'appelle, et je crois devoir passer avant vous. LE MARQUIS. Votre premier devoir est de céder le pas à un homme de qualité, et de ne pas oublier qu'il y a quarante ans vous n'étiez qu'un mince roturier. CHEVERT. C'est ce qui fait ma gloire ; je ne dois ma noblesse qu'à moi même. LE MARQUIS. Cela est plaisant ! Bientôt on rougira d'être noble de naissance, et un Secrétaire du Roi sera plus fier qu'un homme de qualité. CHEVERT. Ma noblesse ne ressemble point à celle des Secrétaires du Roi ; ils achètent la leur au poids de l'or, j'ai payé la mienne du plus pur de mon sang. LE MARQUIS. Ainsi, vous osez comparer votre noblesse à la mienne ! Savez-vous bien que mes ancêtres ont marché à la première Croisade ? CHEVERT. J'ai marché, moi, aux expéditions de Bohême, de Flandres, d'Italie : mais vous, Monsieur, qu'avez-vous fait ? LE MARQUIS. Lisez l'Histoire, mon ami, lisez l'Histoîre, CHEVERT. Et qu'y verrai- je ? LE MARQUIS. Qu'un de mes aïeux eut tout l'honneur du Siège de je ne wais quelle ville, et ma foi, peu m'importe de le savoir. CHEVERT. J'ai escaladé Prague ; j'ai partagé l'honneur de cette conquête : mais vous, Monsieur, qu'avez-vous fait ? LE MARQUIS. Je ne me souviens pas sous quel règne un de mes aïeux sauva l'armée Française, et fit une belle retraite. CHEVERT. J'ai de même sauvé à Prague les débris de l'armée Française ; j'ai, contre toute espérance, obtenu une capitulation honorable : mais vous, Monsieur, vous, qu'avez-vous fait ? LE MARQUIS. Un de mes aïeux facilita le passage des Alpes sous François Ier. CHEVERT. Je me suis signalé sur ces mêmes montagnes ; j'eus part aux victoires du Prince de Conti ; il daigna m'estimer : mais vous, Monsieur, vous, qu'avez-vous fait ? LE MARQUIS. Si vous étiez un peu lettré, vous sauriez que l'histoire de ma famille est imprimée. CHEVERT. Heureusement la vôtre ne l'est pas. LE MARQUIS. Elle le sera dans peu : j'ai chargé un petit Abbé de l'écrire, et les actrices de l'Opéra lui fourniront des Mémoires. CHEVERT. Cette histoire donnera, je crois, un nouveau lustre à celle de vos aïeux. LE MARQUIS. Laissons-là l'ironie. Que me reprochez-vous ? CHEVERT. D'être inutile à l'État. LE MARQUIS. Ne suis-je pas Colonel ? N'en ai-je pas le rang, la pension ? CHEVERT. Et quel est votre Régiment ? LE MARQUIS. Je n'en ai point : si j'étais Colonel en pied, il faudrait que je passasse une partie de l'année en Province ; et vous sentez vous-même qu'un homme tel que moi est fait pour la Cour et pour la Capitale. Ainsi, je me contente du titre et de la pension ; je laisse le Régiment à d'autres. Si je ne brigue point l'honneur d'aller ; à la guerre, ce n'est pas que je craigne la mort : mais si j'étais tué, vingt beautés qui font l'ornement de la Cour, en mourraient de chagrin ; c'est pour elles que je me conserve. Pour vous, mon Gentilhomme, si vous mourriez, je crois que vous ne seriez guère regretté des Belles. CHEVERT. Non : mais quelques vieux soldats me pleureraient peut-être. LE MARQUIS, d'un ton amer. Je le crois bien, vous avez été leur camarade. CHEVERT. Je vous le répète, c'est ce qui fait ma noblesse. LE MARQUIS. J'aime bien qu'un homme qui n'a point de dettes, qui n'a que des rosses à sa voiture, et dont le Cocher est laid et bossu, ose se croire noble ! CHEVERT. Vous avez d'étranges idées de la noblesse, Monsieur le Marquis ; si j'étais législateur dans mon Gouvernement, la noblesse serait personnelle et jamais héréditaire. L'État aiderait aux fils des nobles à la faire revivre, parce qu'elle serait morte avec leurs pères. À la guerre, par exemple, ils auraient le choix, du poste le plus périlleux. Voilà quel serait leur privilège. LE MARQUIS. Ainsi, moi, dans votre État, je serais un roturier ! Cela serait plaisant. Je voudrais bien savoir comment je serais fait si j'étais roturier. CHEVERT. Comme vous êtes ; peut-être un peu plus, modeste... Mais je cours au Conseil. LE MARQUIS. Et moi au rendez-vous... Deux mots encore avant de nous séparer. Dites-moi donc pourquoi vous ne vous mariez pas. D'un ton ironique.Vous pourriez faire souche. CHEVERT. Si je ne me marie pas, c'est de peur d'avoir un jour des descendants qui vous ressemblent, et qui soient nobles, comme vous l'êtes. ==================================================