******************************************************** DC.Title = LA CÉLIANE, TRAGI-COMÉDIE DC.Author = ROTROU, Jean DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragi-comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 03/05/2020 à 17:09:34. DC.Coverage = Italie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/ROTROU_CELIANE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86221284 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA CÉLIANE TRAGI-COMÉDIE M. D.C. XXXVII. AVEC PRIVILEGE DU ROI. DE ROTROU. Achevé d'imprimer pour la première fois le 13. Février 1637. Les exemplaires ont été fournis. MADAME, Ce n'est pas ici le présent dont je m'étais obligé, et je devrais au lieu de cette Comédie vous envoyer cet immortel ouvrage dont vous serez la matière. Vu que dès l'abord que j'eus l'honneur de vous faire la révérence la première fois, les merveilles que je vis en votre visage, m'imposèrent une secrète loi de les publier, et de faire d'elles un de ces tableaux parlants, où les Dames voient ce qu'elles sont, bien mieux que dans leurs miroirs ; Mais, MADAME, il y a bien loin des grands desseins à l'exécution, je me serais déjà acquitté de cette dette envers une moindre beauté que la vôtre : mais il faut que les louanges soient proportionnées à leurs sujets, et je ne sais point de paroles si belles que vous ; peut-être que le temps et l'étude m'en apprendront : et en attendant (MADAME) prenez la peine de vous divertir avec ma Céliane, et de juger par elle, si je dois espérer de réussir à ce grand poème, où je veux dire aussi éloquemment à toute la France, ce que vous êtes, que véritablement je vous vais dire ici que je suis, MADAME, Votre très humble, et très obéissant serviteur, ROTROU. ACTEURS FLORIMANT, Amoureux de Céliane. PAMPHILE, Amoureux de Nise. NISE, CÉLIANE, PHILIDOR, Amoureux de Céliane. JULIE, Amoureuse de Philidor. LA NOURRICE. La Scène est à Palerme en Sicile. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Florimant, Pamphile. FLORIMANT. Il est bien malaisé, suivant l'ordre des choses,Qu'on ne trouve une épine entre beaucoup de roses :Et que le plus heureux s'estime si content,Qu'il n'ait quelque sujet de ne l'être pas tant .De quel oeil, cher ami, vis-je votre arrivée, Est-il quelque douceur que je n'aie éprouvée ?Et jadis ce mortel, qui logea le Soleil ,Eut-il quelque plaisir à mon plaisir pareil ?Malgré les cruautés d'une ingrate maîtresse,De ce coeur amoureux je bannis la tristesse. De ce teint la pâleur, et les pleurs de ces yeux :Enfin je chassai tout, pour vous recevoir mieux.Nous paraissions tous deux les plus heureux du monde,Et notre volupté n'avait point de seconde.Elle en a maintenant, et je vois que le Ciel Veut parmi ces douceurs mêler un peu de fiel.Il change depuis peu votre humeur ordinaire,Et depuis quelques jours, elle est plus solitaire.Ce teint n'est plus si vif, ni cet oeil si joyeux.En un mot vous trouvez ce séjour ennuyeux. Mais sans être fâché de ma bonne fortune,Vous ne sauriez trouver cette terre importune. PAMPHILE. Il faut tout avouer, que n'avouerai-je pasÀ ceux que j'ai promis d'aimer jusqu'au trépas ?Monsieur, l'éloignement d'une beauté que j'aime, Mêle un peu de tristesse à mon bonheur extrême :Et ne condamnez point la peine que je sens,Puisqu'elle est ordinaire aux amoureux absents.Tout ce qu'on voit de beau dans le teint de l'aurore,Le Soleil comme il est sur le rivage More , L'amante d'Adonis, et celle des Zéphyrs ;Tout cela ne vaut pas l'objet de mes soupirs .Jugez de quels attraits cette belle est pourvue,Vous me voyez pourtant, et j'ai quitté sa vue.Une autre m'estimait, dont j'abhorrais les fers, Et m'a rendu suspect à celle que je sers.L'importune feignait d'asservir ma franchise,Qui n'a jamais cédé qu'aux doux charmes de Nise.Cet agréable objet de mon affection,M'a depuis témoigné quelque altération. Je voyais ses soupçons dépeints sur son visage,Et pour l'en divertir j'entrepris ce voyage.Je ne vanterai point votre ardente amitié,Nestor , pour son ami, n'en eut pas la moitié.Et je suis trop heureux si dans cette visite, J'ai l'honneur de prouver comme je vous imite,Et de vous témoigner le dessein que j'en fais,Par les plus grands efforts qu'un esprit fit jamais .Quoi que l'on nous raconte, et qu'on se persuade,J'effacerai les noms d'Oreste, et de Pylade. FLORIMANT. Adieu, je vais trouver l'objet de mon souci,Vous craignez d'être seul, et je vous mets ici. PAMPHILE. Que la même faveur ne m'est-elle permise ?Que n'ai-je un seul instant de l'entretien de Nise ? Adieu, je vais rêver sur un objet si doux, Et dans une heure au plus je retourne chez vous. SCÈNE II. Pamphile, Nise. PAMPHILE seul, couché dans un bois, s'éveille au chant des rossignols. Petits habitants de ces bois, Témoins de ma longue tristesse, Les charmes de vos belles voix Augmentent le mal qui me blesse ; Employez ces divins accords À plaindre la triste aventure, Qui mit des plumes sur vos corps, Et vous fit changer de nature . Vous, qu'amour ne fait plus, ni gémir, ni pleurer, Soupirez de regret de ne plus soupirer . L'espoir entretient les amants, Et les flatte avec tant de charmes, Que vos plus doux contentements Sont plus ennuyeux que nos larmes : Quoique nos esprits affligés Témoignent de vives atteintes, En souffrant ils sont obligés Au sujet qui cause leurs plaintes . Et leur mélancolie a de certains appas, Qu'en ses plus doux transports la volupté n'a pas . Puissant démon de l'amitié , Que les coeurs ont tort qui te craignent ; Que leur repos fait de pitié, Que nous plaignons ceux qui nous plaignent ; Que dans les assauts amoureux On gagne à se laisser atteindre, Les vaincus sont les plus heureux, Et les vainqueurs les plus à plaindre. Tu forces nos esprits avec des traits si doux, Que c'est craindre son bien, que de craindre tes coups. Tu fais paraître nos douleurs Dans les choses qui n'ont point d'âme, L'air comme nous verse des pleurs Et les cailloux, font de la flamme. Échos, par un triste propos, Nous entretient de son martyre , Le Ciel n'a jamais de repos, L'eau se plaint, et le vent soupire : La terre comme nous se range à ce dessein, Et présente des fruits à qui lui fend le sein. Que le sort d'un amant est doux, Quand de beaux yeux l'ont fait malade, Qu'il estime les Dieux jaloux, S'il obtient le bien d'une oeillade, Qu'il est content d'être défait. Qu'il a de voeux pour qui le blesse, Qu'il voit d'un esprit satisfait Ses blessures et sa faiblesse : Qu'en sa perte, son coeur trouve un état heureux, Et qu'il serait fâché d'être plus généreux. Si dans les stériles ferveurs Il serre les fers, et les dore : Que fait-il, lorsque les faveurs Lui donnent l'objet qu'il adore ? Quel insensé voudrait guérir De l'aimable ardeur qui le presse, Et ne se plairait à mourir Entre les bras de sa maîtresse ? Ah dieux ! qui de vous tous goûte un contentement, Préférable au plaisir d'en parler seulement ? Mais d'un heureux repos le Ciel me favorise,Agréable sommeil entretiens-moi de Nise . Il se rendort. NISE, arrive près du bois, sans voir Pamphile qu'elle cherche. Donc j'aime encor ces faux attraits, J'adore des yeux infidèles, C'est pour moi seulement que l'amour n'a point d'ailes, Et que la mort n'a point de traits. Fais, que dans l'horreur de ces lieux , Le trépas termine mes peines, Et sollicite (amour) à m'épuiser les veines, Celui qui m'épuise les yeux. Aveugle tyran de nos sens , Quelles cruautés sont capables D'assouvir ta vengeance et punir les coupables, Si tu punis les innocents ? Que tes lois ont de faux appas, Qu'injustement on les adore, Faux dieu te peux-tu plaire en l'âme qui t'abhorre, Et vivre où l'on te t'aime pas ? Laisse enfin régner ma raison, Porte le venin que tu caches, Dans ces coeurs orgueilleux, ou dans ces âmes lâches, Qui ne vivent que de poison. Épargne, ou redouble tes coups, Augmente, ou fais cesser ma flamme : Sors de ce coeur malade, ou fait sortir mon âme, Sois-moi plus cruel, ou plus doux. Elle continue.Quels dieux à ma prière allègeront mes peines,Si celles que j'adresse à moi-même sont vaines,Mes transports à mes mains ont cent fois eu recours, Et cent fois elles m'ont refusé du secours .Après l'effort qui m'a l'espérance ravie,Hélas ! je me hais bien, d'aimer encor la vie.N'avez-vous point mes yeux assez versé de pleurs ?Et mon teint languissant a-t-il encore des fleurs ? En l'état où je suis ai-je droit de me plaindre,D'un feu que j'entretiens, et que je puis éteindre ?Simple , que de ce fer j'espère vainement,Percer un jour le coeur de ce perfide amant.Ce coeur, en qui jamais n'a régné la constance, Que tous objets nouveaux trouvent sans résistance.Esclave d'autant d'yeux qu'il en a vu d'ouverts,Et qu'une heure fait vivre en mille endroits divers.Irai-je pour punir ses passions traîtresses,Le chercher dans le sein de toutes ses maîtresses ? Ah, que profiterai-je en ces pas superflus ?Mille me l'ont ôté, qui ne l'ont déjà plus.Mille que cet ingrat a trahis de ses feintes,Pour un même sujet poussent de mêmes plaintes. Elle tire son épée. Pamphile éveillé, voit Nise sans la connaître.Non c'est trop consulter en ce lâche entretien, Laisse vivre son coeur, Nise, et punis le tien.Punis cet imprudent , ou plutôt le délivreDes honteuses fureurs, où l'amour le fait vivre.Que son repos succède à tant d'ennuis soufferts,Et par ce fer heureux, tire-le de ses fers. PAMPHILE, la retenant. Quelle fureur vous porte à ce honteux outrage,Se servir contre soi de son propre courage,Employer contre vous ces efforts inhumains,Sur le cours de vos ans faire attenter vos mains.Telle action dément cette façon guerrière, Donnez un peu de temps au moins à ma prière. NISE, reconnaissant Pamphile. Justes Dieux ! c'est Pamphile, oui je suis ton dessein :Mais ce temps servira pour te percer le sein.L'obstacle que ton bras a mis à mon envie,En prolongeant mes jours accourcira ta vie. PAMPHILE, ne la reconnaissant pas. Oui, si je ne calmais tes efforts insensés,Dieux ! quel étrange sort a tes esprits blessés ? NISE. Celui qui fit mon coeur esclave de tes charmes,À qui pour me blesser ton oeil prêta des armes. PAMPHILE. À ces mots je ne puis que répondre, sinon Que tu te plains d'un homme ignorant de ton nom. NISE. Ton oeil (perfide auteur de mon cruel martyre)Le lira sur ton sein où je le vais écrire. PAMPHILE. Si toujours ton orgueil te fait parler ainsi,Le bras qui t'a servi, te pourrait nuire aussi. NISE. En telle occasion, dont la fin est douteuse,Le silence est louable, et la vie est honteuse . PAMPHILE. Si le silence (ami) te plaît jusqu'à ce point,Il te faut envoyer où l'on ne parle point. NISE, blessée tombant à terre. Ah ! que je dois de voeux à cette heureuse lame, Qu'avec un doux effort sa pointe m'ôte l'âme !Vis content beau guerrier , mes importuns attraitsEn cet heureux trépas vont perdre tous leurs traits.Trépas qu'avec sujet, uniquement je prise,Puisqu'il est un présent de Pamphile à sa Nise. PAMPHILE, reconnaissant sa maîtresse, et l'épée lui tombant des mains. Charmes, qui décevez mon oreille et mes yeux,Qui me parlez de Nise, en l'horreur de ces lieux :Cessez vaines erreurs de me former l'imageDe celle à qui je rends un éternel hommage.N'accusez point ici mon courage vainqueur, D'avoir éteint les yeux qui m'embrasent le coeur.Cieux ! enfers ! éléments ! quel sort me représente,Le port, le teint, la voix, et l'oeil de mon amante.Ah ! Ciel ta prévoyance a d'insignes défauts,Et ton soin n'est pas vrai si mon crime n'est faux. Tu sais combien l'ardeur qui nous conjoint est pure,Tu sais, injuste Ciel, que mon amour me dure,Que mon coeur a des voeux pour ses moindres appas,Enfin tu sais qu'il brûle, ou tu ne le vois pas.Et toutefois cruel, cette sanglante lame, À tes yeux a percé le beau sein de ma dame.Inutiles discours, adorable beauté,De quelle mort veux-tu punir ma cruauté ?Quel effort m'ouvrira le ténébreux empire ?Où ta juste fureur veut-elle que j'expire ? Si déjà ta belle âme habite dans le Ciel,Fais-le jeter sur moi tout ce qu'il a de fiel.Que ta plainte le touche et le fasse résoudre.À n'avoir que pour moi l'usage de la foudreQu'il fasse en ta faveur par des soins éternels, Renaître, et remourir, ces membres criminels. Qu'amour ne vante plus sa grandeur souveraine,Toute sa dignité meurt avecque ma Reine.Le coup dont j'ai souillé ses innocents attraits,A rompu tous ses fers, et brisé tous ses traits. Déjà ce Dieu préside aux infernales rives,Son pouvoir ne fait plus que des ombres captives.Mais ! ô faibles discours, entretiens superflus,Que servent ces regrets si Nise ne vit plus.Mon Ange, mon souci, cher Soleil que j'adore, Tu ne peux être éteint, puisque je brûle encore. NISE, sortie d'évanouissement. Traître, perds le souci de prolonger mon sort,Et ne mets point d'obstacle aux faveurs de la mort.Ne me fais plus l'objet de tes feintes traîtresses,Réjouis de ce coup tes nouvelles maîtresses . Je quitte sans regret la lumière du jour,Si ma perte te sert à gagner leur amour. PAMPHILE. Si de la vue encore ce beau corps a l'usage,Madame, ouvrez les yeux sur mon triste visage :C'est Pamphile qui pleure, et meurt à vos genoux, Que vous faites l'objet de vos soupçons jaloux.Vous accusez Pamphile homicide inhumaine.Ah pardonnez ces mots à l'excès de ma peine.Mes plus fermes efforts sont vains en ces douleurs,Et ma voix cède ici son office à mes pleurs. NISE. Depuis qu'il t'a fallu vaincre de si beaux charmes,Amour t'a bien instruit de l'usage des larmes.Mais que ton coeur dément tes yeux et tes propos,Et que tous mes soupçons troublent peu ton repos. PAMPHILE, donne un poignard à Nise. Si ma fidélité vous est si peu connue, Faites-la par ce fer paraître toute nue.Cruelle, ouvrez le sein où vous croyez caché,L'auteur de vos soupirs et d'un si noir péché.Nise, ce malheureux qui s'offre sans défense,Souhaite que sa mort prouve son innocence. Madame consultez seulement ces ruisseaux,Jugez de vos attraits sur le front de ces eaux.Entretenez cette onde, et n'apprenez que d'elle,Si quand on vous a vue on peut être infidèle .Vous verrez cet instable, et perfide élément , À vos moindres regards calmer son mouvement.Ses froideurs cèderont au plus beau feu du monde,Pour la seconde fois amour naîtra de l'onde .Quel autre ayant langui sur les fleurs de ce sein,Pourrait être distrait de son premier dessein, Et trouverait ailleurs des beautés préférablesAux célestes attraits de vos yeux adorables ?Ah ! Nise, si le Ciel vous avait un moment Fait prendre notre sexe et notre sentiment : Et que l'aveugle enfant qui sous ses lois nous range, Vous eût offert le choix ou de Nise, ou d'un Ange :Que Nise aurait bientôt vos esprits asservis !Qu'un aimable transport tiendrait vos sens ravis.Vous connaîtriez alors si ma constance est vraie,Si vos yeux peuvent faire une légère plaie, Et si le changement a des charmes assez,Pour guérir les esprits que vous avez blessés. NISE. Les appas de ta voix me peuvent bien contraindre,D'avouer ton mérite, et que tu sais bien feindre :Mais un sujet t'arrête en ce bord étranger, Qui prouve bien aussi que tu sais bien changer. PAMPHILE. Cruelle, qu'espéré-je en ma juste défense ?Puisque de mes raisons vous faites mon offense.Puisque vous employez pour accuser mes sens,Le seul moyen qu'ils ont de paraître innocents. Vous savez que mes yeux moins que mon infortune,Firent naître en Bélise une flamme importune.Et le Ciel est témoin, que jamais ses transportsN'ont eu sur mon esprit que de faibles efforts.Toutefois, j'entendis que son âme était vaine, Jusqu'au point d'assurer que je flattais sa peine ,Même que de l'espoir d'un glorieux succès,Son coeur entretenait ses amoureux accès, Et que sa vaine humeur en cette frénésie,Recevait pour faveur la moindre courtoisie. Nise avouez ce point , votre crédulitéVous fit mal estimer de ma fidélité.Et quelque passion que l'on vous eût jurée,Je vis trop clairement votre humeur altérée.Ah ! que la feinte est vaine en un esprit jaloux ! Vos yeux ne luisaient plus avec des traits si doux.Vos sens qui ne pouvaient forcer vos rêveries,Ne semaient plus d'appas à mes douces furies .Je ne vous voyais plus le visage si sain,Un linge plus serré me cachait ce beau sein, Un voile injurieux couvrait ces tresses blondes,Vous n'aviez plus le soin de les friser en ondes. J'endurai toutefois ce sensible tourment,Et je ne m'en plaignis que des yeux seulement.Enfin je résolus pour calmer cet orage, De donner quelque mois au plaisir d'un voyage .Plaisir si séparé de votre oeil mon vainqueur,Que quel contentement me peut toucher le coeur .Ma voix ne vous osa proposer ma sortie,Que votre autorité possible eût divertie. En ces lieux étrangers mes pensers les plus douxOnt été seulement ceux qui parlaient de vous.J'ai toujours dans le sein votre image gardée.J'ai toujours eu des voeux pour cette belle idée.Si tes yeux (juste Ciel) m'ont vu changer de fers, Pour me punir assez, fais de nouveaux enfers . NISE. Ta Nise, cher Pamphile, est enfin satisfaite,Pardonne aux vifs accès d'une humeur indiscrète,D'une humeur trop crédule aux conseils d'un enfant :Et de qui ton esprit est enfin triomphant. Tu reconnais ici, cher auteur de ma peine, Un effet d'amitié dessous un front de haine.Et si tu dois te plaindre, accuse mon amour,Du dessein que j'avais de te priver du jour.Mais sortons de ces lieux, que dans cette faiblesse, Ce qui me reste encore de vigueur ne me laisse.Oppose ton courage à ces ruisseaux de pleurs, Et fais que je trépasse ailleurs que sur ces fleurs. PAMPHILE. Excuse, mon souci, la douleur qui me blesse,Qui ne m'a pas permis de prévoir ta faiblesse, Et qui m'a fait donner à mon propre secours,Le temps que je devais à conserver tes jours.Le lieu de Florimant est au bout de la plaine,Que tu traverseras avecque peu de peine.Appuie ici ta main, dieux, qu'avez-vous permis ? Et rencontrant mon bien, quel mal ai-je commis ? SCÈNE III. Florimant Gentilhomme de Crète, Philidor Gentilhomme de Cypre. FLORIMANT, seul. Les faveurs ont enfin mes chaînes resserrées,Amour n'a plus pour moi que des flèches dorées,Mes transports ne sont plus des objets de pitié,Céliane est sensible à ma longue amitié. D'une pareille ardeur sa belle âme soupire,Et d'un heureux espoir entretient le martyre.Ses froideurs me lassaient, et déjà ma raisonConseillait à mon coeur de rompre sa prison.Le repos me tentait avec de si beaux charmes, Que mes yeux rougissaient d'avoir jeté des larmes.Mes feux s'alentissaient, mes fers étaient usés,Et j'épargnais mes voeux tant de fois refusés.Déjà la liberté me paraissait si belle,Que je n'estimais plus le titre de fidèle ; Lorsque (sans l'espérer) son courage changé,A plus qu'auparavant mon esprit engagé.Que ma prison me plaît depuis que ma geôlièreLa chérit, et s'y rend avec moi prisonnière.Depuis qu'à même autel elle a ses voeux offerts, Et que ses belles mains portent de mêmes fers. PHILIDOR, surprenant Florimant. Après un siècle entier de poursuites si vaines,Céliane peut-elle encore vous toucher ,Demandez-vous à ce rocher,Si celui qui vous blesse allègera vos peines ? FLORIMANT. Ce soin n'est plus celui qui mon âme importune,Mais en voyant sortir ce liquide élément,Je lui demandais seulement,S'il commence à pleurer depuis votre infortune. PHILIDOR. Je crois que la beauté, dont nous aimons les charmes, Nous ôte également les sujets d'espérer,Et ceux que mon sort fait pleurer,Ne sont pas vos amis, ou vous doivent des larmes. FLORIMANT. Qu'ils plaignent à souhait ma douce rêverie,Philidor, leur pitié ne fait pas nos malheurs : Que tout le monde fonde en pleurs,Pourvu que seulement Céliane me rie. PHILIDOR. Jugez par la hauteur combien durent ces chênes,Votre amitié pourrait durer plus longuement,Avant qu'un regard seulement, Vous fît imaginer qu'elle estime vos chaînes. FLORIMANT. Le temps vous l'apprendra par des preuves plus fortes, Donnez-vous seulement la peine de la voir,Elle fera sur votre espoir,Ce que l'Hiver a fait dessus ces feuilles mortes. PHILIDOR. À quelques animaux l'air sert de nourriture ,Aucuns ont vu d'odeurs certain peuple vivant ,Le Soleil se repaît de vent,Ami, je vous crois tous d'une même nature. FLORIMANT. Écho ne peut fléchir l'amant qu'elle importune, La terre nous paraît toujours en même point ,Les ondes ne reposent point ,Ami, je vous crois tous d'une même fortune. PHILIDOR. Il est vrai que ses yeux refusent mon hommage,Que son coeur est de marbre, aussi bien que son sein Et que si le mien était sain,Il songerait plutôt à prier son image . FLORIMANT. Quoi qu'on doive souffrir pour de si belles choses,Ami, je suis atteint de te voir tourmenté, Et vais saluer ta santé, D'une fois de Nectar sur sa bouche de roses . ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Florimant, Céliane. FLORIMANT. Quelque effort si puissant que fasse mon devoir,Je ne puis ma déesse, être froid et te voir,Il faut (quelque respect que ta rigueur m'oppose)Que mon âme, aux enfers, ou sur ton sein repose ; Qui pourrait s'abstenir en des accès pareils ?Quoi veux-tu que je tremble auprès de deux Soleils ?Tu sais que j'ai semé trop de pas et de peines,Que je ne dois plus voir mes espérances vaines.Tu vois comme je brûle, et tu sais mon souci, Que si ton coeur est juste, il faut qu'il brûle aussi.Donc soulageons un peu notre commune flamme,Laisse dessus ta bouche évanouir mon âme ,Et ne t'oppose plus aux innocents plaisirs, En la baisant.Que tes chastes beautés doivent à mes désirs. Délicieux transports ! ma Princesse ! mon ange !Ah ! qu'ici mon amour heureusement se venge ! Et que cette licence, après tes longs mépris,Donne à mes passions un agréable prix.Rossignols, à l'aspect de ces charmes visibles, Témoignez que vos coeurs sont encore sensibles.C'est de nous, que vos chants doivent prendre des lois,Et vous êtes sans yeux, si vous êtes sans voix.Ne craignez point ici l'embûche de Térée,Son destin doit avoir votre âme rassurée : Après son lâche effort, les dieux vous furent doux,Et ce lascif n'est plus qu'un oiseau comme vous . CÉLIANE. Je crains de ces discours une triste aventure. FLORIMANT. Hé quoi ? CÉLIANE. Qu'aimant leur voix, vous n'aimiez leur nature,Et qu'ici ma bonté ne me fasse obliger Un naturel, comme eux, peu sensible et léger. FLORIMANT. Quoi, vous suivez du Ciel la fâcheuse coutume,Qui ne donne jamais de miel sans amertume. Vous mêlez de l'Absinthe aux douceurs que je sens,Un même instant est doux, et cruel à mes sens. Qui vous fait outrager une amitié si sainte ?Et sur quoi fondez-vous cette jalouse crainte ?Mauvaise, vous pourriez si longtemps m'affliger,Que véritablement je deviendrais léger :Que mon âme pourrait chez les ombres descendre, Et ne laisserait plus en ces lieux que ma cendre. CÉLIANE. Quand on ôte à l'amour tout sujet de vieillir ,Que les moindres faveurs sont encore à cueillir,Qu'on laisse un jeune esprit dans son inquiétude,Qu'on feint de ne pas voir même la servitude, Qu'une dame répond de regards seulement,Et qu'elle paraît saine au milieu du tourment :Lors sa beauté peut tout sur une âme amoureuse,Elle est plus absolue, étant plus rigoureuse,La fait mieux approcher en s'en feignant plus loin , Et la conserve mieux en ayant moins de soin.Mais quand nos passions flattent votre martyre,Qu'à vos jeunes désirs nous donnons plus d'empire,Que nous ne traitons plus votre amour en enfant,Et que de notre coeur le vôtre est triomphant ; Cette première ardeur beaucoup moins vous tourmente, Votre flamme décroît, lorsque la nôtre augmente :Vos liens ne sont plus si serrés que devant,Et pour vous trop donner, nous vous perdons souvent. FLORIMANT. Mon tout, si ta beauté ne veut plus que je vive, Sois encore un moment dans cette humeur craintive,Prolonge d'un instant ces fâcheux entretiens,Cruelle, et mes désirs obéiront aux tiens.Ah ! si tu crois mon coeur de ce crime capable,Ordonne-lui sa peine avant qu'il soit coupable : Que seul je sois l'objet des plus cruels tourments,Que peuvent redouter les parjures amants ;Qu'un châtiment cruel prévienne mon offense,Défends-moi de te voir avec tant de licence.Étouffe mon espoir, accorde à mes rivaux, Le fruit que ta beauté doit à mes longs travaux.Au moins en ce malheur, mon âme languissanteTiendra de toi, le bien de mourir innocente. CÉLIANE. Ah pardon, mon souci, ton esprit amoureuxTiendra plutôt de moi le bien de vivre heureux. Tu ne dois plus douter, si mon âme est atteinte,Juge de mon amour, par l'excès de ma crainte ; [D]Si j'ai failli, tes yeux ont causé mon péché,Et si je t'aimais moins, je t'aurais moins fâché. FLORIMANT. Non non, l'amour m'oblige à punir ta malice, N'espère pas ainsi t'affranchir du supplice ;Toutefois (juge ici de mon affection)J'en veux laisser le genre à ton élection.Ordonne un châtiment toi-même à ton offense,Ayant fait le péché, fais aussi la sentence, Vois si les moins cruels te traiteraient ainsi ;Ton coeur est criminel, qu'il soit le juge aussi. CÉLIANE. De moins cruels que toi, m'ordonneraient ma peine,Et ne me rendraient pas à moi-même inhumaine ;T'aurai-je contenté si je t'offre des fleurs ? Seras-tu satisfait, si je répands des pleurs ?Est-ce assez me punir de t'appeler mon âme,Ou seras-tu content d'un regard tout de flamme ?Je lis, à voir tes yeux sur ma bouche attachés,Qu'ils voudraient bien punir, ce qui les a fâchés, J'y consens, venge-toi sur cette criminelle. FLORIMANT, en la baisant. Que ne peut être, ô Dieux ! ma vengeance éternelle !Adorable sujet de mes chastes amours,Pour te laisser punir, offense-moi toujours. CÉLIANE. Je suis d'un naturel si soigneux de ton aise, Que je ne puis souffrir, que le Soleil me baise ;Avançons dans ce bois, et parmi ces ormeaux ;Cherchons, pour nous couvrir, de plus épais rameaux,Où rien ne vienne plus traverser notre joie,Où nous n'ayons plus rien que l'Amour qui nous voie . SCÈNE II. Nise, au lit, Pamphile. PAMPHILE. Mes soins vous ont guérie, et par l'humaine loi,Votre beauté me doit ce qu'elle tient de moi : Votre corps étant sain, vous seriez inhumaine,Si vous ne souhaitiez, que mon âme fût saine ;Donc, ne présentez plus d'obstacles à mes sens, Et soulagez l'ardeur de mes feux innocents. NISE. Puisque les doux liens d'un heureux mariage,Vont joindre à ton destin ma fortune, et mon âge ;Que puis-je refuser pour gage de ma foi,Si par la loi d'amour je ne suis plus à moi ? PAMPHILE. Ah propos qui me charme ! ombre, amour, solitude,Témoins du prix qu'on donne à mon inquiétude,Qui voyez, quel bonheur succède à mes regrets,Ne publiez jamais ces amoureux secrets,Et nous soyez beaux lieux plus fidèles encore, Que ceux où va languir Céphale avec l'Aurore .Que dois-je ici choisir, puissant maître des Dieux,De la bouche, du sein, de la joue, ou des yeux ?Que dois-je préférer de tant de belles choses :Si j'aime les oeillets, et les lys, et les roses ? Ma lèvre est suspendue, en cette égalité, Et l'abondance, ici cause ma pauvreté.Mais cette belle bouche a terminé ma peine,Quel sujet tient encor mon ardeur incertaine ?Qui ne sait (puisqu'elle a diverti mon trépas) Que mes premiers baisers sont dus à ses appas ?Cher objet de mes voeux, mon Ange, ma PrincesseAh ! mon âme s'égare en ces fleurs que je presse ! Il se tient la bouche sur son sein. NISE. Qu'un esprit, cher amant, sent bien d'autres plaisirs,Quand la seule vertu fait naître ses désirs ! En baisant ces cheveux, tu n'as qu'un avantageQu'une toile insensible avecque toi partage.Crois-tu touchant ce corps alléger ton souci ?Ce bonheur est commun à mes habits aussi ;Tous ces plaisirs son faux, si la beauté de l'âme, N'est le premier objet de l'amoureuse flamme ;Quand l'esprit s'est acquis de bonnes qualités,C'est à lui seulement qu'on doit ses libertés :Comme il est sans défauts, nos amitiés sont telles :Comme il est immortel, elles sont immortelles ; Qui sait ranger ses voeux aux lois de la raison,Ne porte point de fers, et n'a point de prison :Son esprit innocent, ne sait point d'artifices,Il ignore les mots de feux, et de supplices :Ses yeux ne jettent point, ni de flamme, ni d'eau, L'amour n'a point chez lui d'ailes, ni de bandeau,Son coeur est toujours sain, sa flamme toujours douce,Car ce Dieu n'a pour lui que des fleurs en sa trousse . PAMPHILE, levant sa tête de dessus le sein de Nise. Que sagement tu sais parmi ces voluptés,Modérer les transports de mes sens enchantés, Ton louable entretien m'a conservé la vie,Qu'en cette douce ardeur le plaisir m'eût ravie !Même encore à l'aspect de ces charmants appas ;J'ignore si je vis, ou si je ne vis pas ! SCÈNE III. Florimant, Philidor, Céliane, sortant du bois, [puis Pamphile.]. FLORIMANT. Enfin le Dieu du jour a permis à sa soeur, D'étaler ses appas aux yeux de son chasseur .Il nous fait retirer, les beaux rais de son frèreNe brillent plus du tout dessus notre hémisphère, Philidor paraît.Mais sachons le dessein de ce fâcheux rival,Qui sans doute en ces lieux attend un coup fatal, Et dont les vains désirs se repaissent encoreDe l'espoir d'agréer aux beaux yeux que j'adore. PHILIDOR. Je vois l'indigne objet qui préside à mon sort ;Que mon esprit malade endure à cet abord ! Que fait mon beau Soleil si tard en cette plaine ? CÉLIANE. J'y plaignais les amants dont l'espérance est vaine. PHILIDOR. N'avais-je point de part en ce triste discours ? CÉLIANE. Tant, que je veux enfin vous donner du secours. PHILIDOR. Comment proposez-vous de guérir ma faiblesse ? CÉLIANE. En fuyant votre abord ; puisque le mien vous blesse. PHILIDOR. Ce coeur n'est point encore sensible à mes soupirs. CÉLIANE. Aussi peu, que ce bois l'est à ceux des Zéphyrs. PHILIDOR. Et Florimant est cher à vos yeux, qu'il adore ? CÉLIANE. Autant comme Zéphyr l'est aux filles de Flore . PHILIDOR. Eût-on cru qu'un bel oeil s'abusât quelquefois ? FLORIMANT, prend la parole. Le sien ne fut jamais plus juste qu'en ce choix. PHILIDOR. Non depuis que ta feinte a son âme occupée. FLORIMANT. Depuis qu'elle a connu ma flamme, et mon épée,Et lorsque par ta mort elle en aura jugé,Elle en sera plus sûre, et je serai vengé. Ils se battent. PAMPHILE, arrive qui les sépare, et dit. Si dessus vos esprits ma prière est sans charmes,Au travers de ce corps faites voie à vos armes ; Parlant à Florimant.Ah ! laisse cher ami, céder ta passionAu respect, que tu dois à notre affection ; Parlant à Philidor.Et vous, pour éviter le titre de barbare, Révérez les attraits d'une beauté si rare. PHILIDOR, s'en allant. Que vous sert d'opposer ces inutiles soins ?Nos armets quelque jour se verront sans témoins ; Il s'en va.Et ma juste colère, en rage convertie,Peut être différée, et non pas divertie. PAMPHILE, parlant à Florimant. J'ai su des bruits communs qu'on entend à la Cour,Que vos inimitiés sont des effets d'amour,Céliane est le prix qui fait votre querelle,Et qu'un même destin vous fait brûler pour elle. FLORIMANT. Depuis que l'oeil du jour a connu des guerriers, Qu'on préfère à son sang la gloire des lauriers,Depuis qu'aux beaux exploits l'honneur ouvrit la source,Et qu'il fait traverser de l'Afrique sous l'Ourse ,A-t-on vu, cher ami, nos desseins furieuxAnimés par l'espoir d'un prix si glorieux ? Et quoi que la victoire ait promis à nos têtes, Avons-nous eu pour but de si belles conquêtes ? PAMPHILE. Il est vrai qu'au pouvoir de sa rare beauté,Le plus ambitieux rendrait sa liberté,Et que lorsqu'un amant adore un beau visage, Comme il lui doit son coeur, il lui doit son courage.Mais puisque à ce combat elle ne consent pas,Que le bruit de vos coups fait pâlir ses appas,Et que son coeur blessé, vous fait assez paraîtreLe regret de vous voir dans le péril de l'être, Elle doit de ce bras les efforts limiter,Et pouvant l'employer, a droit de l'arrêter :Mais admirez Monsieur, le bonheur de ma vie,Celle qui sous ses lois tient mon âme asservie,Nise est : FLORIMANT. Elle est ? PAMPHILE. Chez vous : FLORIMANT. Ô doux ravissement ! PAMPHILE. Je vous conterai tout, courons-y seulement. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Céliane, La Nourrice. CÉLIANE. Ah ! que tu m'entretiens de vaines espérances !Que ton discours est faible, après tant d'apparences !Nourrice, il est trop vrai, le nom de Florimant,Est le nom d'un perfide, et d'un ingrat amant ; Ah ! que ce changement fit bien voir sa défaite !Sa bouche s'entrouvrit, et demeura muette.D'abord il ne pouvait supporter ses appas ;Sans couleur, et sans geste, il recula deux pas.Après ce long respect, on oit cet infidèle Bégayant, proférer trois fois le nom de belle.Mais à quelques efforts que sa voix eût recours,Il se tut, et ne put achever son discours ; Tant que nous pûmes voir cette jeune effrontée,Il eut toujours la vue en ses yeux arrêtée, Et ses timides bras, qu'il approchait des siens,Semblaient se présenter à de nouveaux liens.Que mon occasion lui donnait peu de peine ; Et qu'à le retenir ma présence était vaine ;Nise avait trop d'appas, et dans ce changement, Je n'eus pas la faveur d'un regard seulement ;Depuis ce jour fatal, on voit en son visageDes signes trop certains de son nouveau servage. LA NOURRICE. Je ne puis concevoir cette désunion,Je crois, que tout ce mal n'est qu'en l'opinion ; Et qu'un jour vous saurez, que vos jalouses craintes,Vous ont d'un faux pinceau ses actions dépeintes,Que le Ciel bénira vos chastes amitiés,Et qu'un heureux hymen joindra vos deux moitiés . CÉLIANE. Quelque si bon moyen, que ta prudence essaie, Tu ne saurais guérir cette incurable plaie,J'ai perdu tout l'espoir, qui me flattait jadis,J'ai par trop de faveurs ses esprits refroidis,Et le même moyen, dont mon âme craintive,Pensait le conserver, est celui qui m'en prive. SCÈNE II. Florimant, Pamphile, Nise. FLORIMANT, seul. Ingrat ami, volage amant, Qui t'es rendu si lâchement Aux traits de ce nouveau martyre ; Avec qui peux-tu soupirer ? Ah ! qu'il est honteux de le dire, Et sensible de l'endurer ! Si dans ce tourment sans pareil, J'ose importuner le Soleil D'approuver ma nouvelle flamme, Ce Dieu rira de mes discours, Et me répondra, que mon âme Est plus légère, que son cours. Si je me découvre à sa soeur, Elle dira, que son chasseur Souffre encore ses premières peines , Et l'aurore oyant mon tourment, Vanterait les premières chaînes Que porte encore son amant . En vain mes soupirs, et mes pleurs Voudraient faire à ces belles fleurs Approuver mon nouveau servage, Elles m'apprendraient que le vent, (Quoi qu'on die) est moins volage, Et ne change pas si souvent . Si les rochers savent mes maux, Écho rira de mes travaux, Jamais un si honteux caprice N'a terni son affection, Et la mémoire de Narcisse Plaît encore à sa passion. Mais que mon esprit vainement S'entretient sur ce changement, Qu'on le blâme, ou qu'on l'autorise, Le Dieu des Dieux est mon vainqueur, Et celui, qui n'aime pas Nise N'a point d'yeux, ou n'a point de coeur. Il continue.Oui, mais tant de serments, dont ton âme profane,A lâchement déçu l'esprit de Céliane,Et les siens mutuels, ne condamnent-ils pasL'injure, que tu fais à ses chastes appas ? Les Dieux ne sont-ils plus maîtres de ces tempêtes,Dont ils ont foudroyé tant de coupables têtes ?Peuvent-ils approuver de te voir en ce point ?Et t'y souffriront-ils, s'ils ne l'approuvent point ?Et même, quand le Ciel avouerait ton offense, Pamphile arrive, et l'entend sans se faire voir.Que Nise s'offrirait à tes voeux sans défense,Qu'elle oublierait Pamphile, et que cette beautéSe donnerait pour prix de ta déloyauté :Traître, aurais-tu le coeur si lâche, et si barbareQue de souiller l'éclat d'une amitié si rare, Que d'oser assouvir ta sale passionDes faveurs qu'elle doit à son affection ?Pourrais-tu voir payer ses flammes de fumée,Et voudrais-tu cueillir les fleurs qu'il a semées ?Célestes qui voyez quel charme m'a séduit, Qui savez l'infortune où je me vois réduit,Que ma nouvelle ardeur ne fut point volontaire,Et que mon faible esprit tâche de s'en distraire,Traversez justes Dieux mes coupables desseins,Faites naître en mon coeur des mouvements plus saints, Ou si l'astre ennemi, qui gouverne ma vie ,Me procure la fin de ma brutale envie,Entre les doux accès de ce contentement,Et ceux de mon trépas, ne mettez qu'un moment :Que le même linceul, où mon amour impure Éteindra son ardeur, serve à ma sépulture ,Et qu'on grave au-dessus ; voici le monument D'un ami détestable, et d'un perfide amant. PAMPHILE, sans se faire voir. Ciel au point que je crois que ton courroux s'apaise,De quelle cruauté traverses-tu mon aise ! FLORIMANT. Mais romps, infortuné ; ces fâcheux entretiens ;Il t'est facile encor de rompre tes liens,D'éviter ces malheurs, et de rendre ton âmeÀ l'aimable sujet de ta première flamme ;Étouffe la fureur de ce brasier naissant, Que ce même brasier ne t'étouffe en croissant ;Céliane te rit, t'aime, te favorise,Et ton abord possible est odieux à Nise.Qui te fait insensé négliger des moissons,Pour aller sans espoir semer sur des glaçons ? Ah pensers importuns ! faux titre de fidèle,Nise a charmé ce coeur, ne me parlez que d'elle,Vains respects d'amitié, folle crainte des Dieux,Je ris de vos conseils, les amants n'ont point d'yeux. PAMPHILE. En cette occasion, ciel, enfer, destinée, À quoi se portera mon âme infortunée ? FLORIMANT. Enfin que résoudrai-je en l'état où je suis ?Quel remède assez prompt finira mes ennuis ? PAMPHILE, se montrant à son ami. Celui, que l'amitié qui régit ma penséeM'ordonne d'apporter à votre âme blessée, Et qui vous doit prouver la candeur de ma foi ; En vous cédant un bien, qui n'était dû qu'à moi.Quittez ce vain respect qui votre âme importune,Établissez votre heur dessus mon infortune ;Adorez Florimant, ce miracle vainqueur, Dont les chastes attraits vous ont touché le coeur.Suivez ce beau dessein, que le mien autorise,N'ayez plus de soupirs ni de voeux, que pour Nise,Et croyez que ce coeur tiendra plus chèrementD'être parfait ami, que d'être heureux amant. FLORIMANT. Quels envieux démons ont trahi mes pensées ?Et vous ont laissé voir mes flammes insensées ?Quelle fatalité vous cachait en ces lieux,Au point que je croyais n'être vu, que des Cieux ?Eh bien vous connaissez par mon nouveau servage, Que de tous les amants je suis le plus volage,Que j'ai terni l'éclat d'une sainte amitié,Que je mérite plus d'horreur, que de pitié ;Oui, ce malheur me rend de vos voeux incapable,Si vous m'aimez encor, vous aimez un coupable, Le plus digne de mort, et le plus odieuxQui jamais ait senti la colère des Dieux ;Mais cessant de m'aimer, conservez cette estime,Que je sais reconnaître, et détester mon crime, Tirant un poignard.Et que le détestant, ce coeur, qu'il a noirci A du courage assez pour se punir aussi. Il est retenu, par Pamphile, et continue.Voulez-vous conserver, par cette résistance,La même ingratitude, et la même inconstance ?Qui tâche à divertir le juste châtiment,Que mérite un coupable, il pèche également. Les soins que vous prenez de sauver un parjureVous rendent partisan de votre propre injure. PAMPHILE. Si nos coeurs sont unis d'un accord si parfait,Vous n'en pouvez ici refuser un effet,Calmez ces mouvements, et conservez la vie À qui se l'ôterait, vous la voyant ravie.Vivez, possédez Nise, et ne refusez pasLe présent que mon coeur vous fait de ses appas ;Pour vous la procurer, j'emploierai cette bouche,Rien ne la peut toucher, si ma voix ne la touche ; Son âme, et mes discours, auront peu de douceur,Si dans peu, je n'en fais Florimant possesseur ;Pour la perdre, mes soins prendront les mêmes armes,Qu'ils prirent autrefois pour m'acquérir ses charmes,Avec les mêmes pleurs qui vainquirent son coeur, Je la rendrai traitable à votre esprit vainqueur ;Si vos divins regards, ne trouvent point de nue,Vous voyez, immortels, mon âme toute nue,Employez vos efforts à ma punitionSi ma voix est contraire à mon intention. FLORIMANT. Que ta rare vertu me charme, et me transporte ! Et que l'objet est vil d'une amitié si forte !Cessez de nous vanter, vaines antiquités,Les beaux fers, qui jadis ont des coeurs arrêtés ;Les auteurs nous ont feint ces exemples notables, Ici la vérité fait ce qu'ont dit les fables .Ami, seul estimable entre tous les amis ;Tu vois à ton désir mon courage remis.De toi seul désormais ses actions dépendent.Quoi que tes volontés ordonnent, ou défendent. PAMPHILE. Donc laissez reposer vos soins sur mon souci ;Et permettez que seul j'attende Nise ici ; Florimant s'en va.Tout autre éprouvera ce dessein peu facile ;Si mon affection ne vous la rend docile. Il continue, étant seul.Astres injurieux, qui gouvernez mon sort, Faites-vous mon dessein complice de ma mort ?De tant d'autres moyens, qui pouvaient m'ôter l'âme, Choisissez-vous ma main pour achever ma trame ?M'obligez-vous cruels au soin de rechercherComment je pourrai perdre un bien qui m'est si cher ? Faut-il donc que mon oeil emploie à ma ruine Les pleurs, dont il acquit cette beauté divine ?Ayant causé ses feux, les faut-il amortir ?Ayant fait son amour, l'en dois-je divertir ?Verrai-je triompher un autre de ma prise ? Et dois-je davantage à Florimant qu'à Nise ?Mais pour me repentir me devais-je engager ?Ma promesse m'oblige à me désobliger. Nise arrive.Je le vois mon Soleil, (si rien me peut permettre,D'appeler mien le bien, que je viens de promettre). NISE, tendant les bras à Pamphile. Quelle fâcheuse humeur entretient mon amant ;Et pourquoi n'en reçois-je un accueil plus charmant ?Pourquoi ne vient-il pas sur ma bouche innocenteLaisser évanouir son âme languissante ?Mauvais, si vos froideurs vous durent plus longtemps, Et si vous différez le baiser que j'attends,Quelque jour, mon humeur, à son tour inhumaine,Vous traitera de même, en une même peine. PAMPHILE. Vous avez assez lu dans mes douces ferveurs,Que je n'estime rien au prix de vos faveurs, Que vos moindres regards ont élevé ma vieEn un point, où je crois qu'un Dieu me porte envie ;Un seul de vos baisers charme tous mes esprits,Et je ne songe plus au Nectar sans mépris :Mais souffrez, que mon âme, esclave de la vôtre, Les prenne désormais par la bouche d'un autre ;D'un ami sans exemple, et que je tiens si cher,Que par lui, je croirai vous voir, et vous toucher.L'Hymen, qui vous doit rendre à ses désirs faciles ; En vous joignant à lui ne vous joint qu'à Pamphile, Qu'à ce même Pamphile, où vos yeux innocents . Voyant Nise étonnée.Mais Dieux quel changement altère ainsi vos sens ?Si vous trouvez ma voix à vos voeux si contraire,Ôtez-moi le moyen de vous jamais déplaire ;Punissez de ce fer l'auteur de vos tourments, Étouffez par ma mort la gloire des amants,Et que j'aille en la nuit de l'infernale rive,Plaindre les douces nuits dont mon malheur me prive. NISE. Complice des assauts, que me livre le sort,Puis-je être plus constante à l'arrêt de ma mort ? Et veux-tu que je montre, en ce mal incurable,Au Tyran qui me tue un oeil plus favorable ?Suis-je point obligé à ton lâche dessein ?Rirai-je, en me voyant mettre le fer au sein ?Et puis-je, sans rougir, voir la façon hardie, Dont tu viens à mes yeux montrer ta perfidie ? PAMPHILE. J'atteste ces esprits, pour qui la véritéDe nos intentions n'a point d'obscurité,Et qui savent l'état de mes longues misères,Que jamais vos beautés ne me furent si chères, Que je baise mes fers, que jamais la raisonNe me conseilla moins de rompre ma prison,Par le dessein fatal, dont je vous importune, Je creuse mon tombeau, je détruis ma fortune,Je me fais un outrage, en ce funeste lieu, Qu'à peine mon respect aurait souffert d'un Dieu ;Moi-même je me fais cette incurable plaie,Et je suis l'ennemi le plus cruel que j'aie ;Mais la nécessité m'ordonne ce tourment.Je préfère à mon bien celui de Florimant, Et quelque affection, qui menace ma vie,Pour lui, je la tiendrais heureusement ravie ;Toutefois je vivrai, si vous le conservez ,Payez à mon ami, ce que vous le devez,Et qu'un heureux Hymen entretienne la flamme, Que vos divins attraits ont fait naître en son âme. NISE. Ne croyez point mes yeux, à ce spectre mouvant,À ce corps, seulement formé d'air, et de vent ,Et qui pour me tromper, emprunte la figure,D'un, qui partage encor, le beau feu que j'endure. Cet agréable Amant trouve son mal trop doux,Un rival déplairait à son esprit jaloux ;Déçois, déçois, fantôme une âme plus facile ;Mon coeur ne peut douter de la foi de Pamphile. PAMPHILE, tirant son épée. Non, non, je ne suis plus cet Amant fortuné, Depuis qu'à te quitter les Dieux m'ont condamné :Et je rends par ce coup leur colère assouvie, Toi, juge par ma mort, si je n'ai point de vie, Il se veut tuer.Ne la diffère point, où se fonde ta peur,Si tu crois que ce corps ne soit que de vapeur ? NISE, en le retenant. Cruel, qu'à mon respect ta rage se retienne,Ou permets à ma main de précéder la tienne ;Inhumain, lâche auteur de tous mes déplaisirs,Pamphile, oui, mon coeur, s'accorde à tes désirs ;Tu ne vois plus mon tout, mon âme suspendue, Ordonne à qui tu veux, la faveur qui t'est due,Soumets à ton ami ce misérable corps,Et calme cher amant ces furieux efforts ;Qu'il dispose à souhait de ma franchise offerte,(Mon coeur) ce déplaisir m'est plus doux, que ta perte. Mon mal s'adoucira par ce contentement,Que je n'aurai jamais refusé mon amant . PAMPHILE. Quels Dieux m'affranchiront du titre de barbare ?Comment reconnaîtrai-je une faveur si rare ?Ne plains point mon tourment, adorable beauté, Puisque mon mal ne vient que de ma cruauté ?Possède Florimant, et qu'un siècle de joiePréserve d'accidents vos deux trames de soie . ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Florimant, Céliane. CÉLIANE. Ce ne sont pas les yeux de Nise que tu vois,Ingrat ne force point tes gestes, ni ta voix, Ce n'est pas mon sujet, qui te rend solitaire,Et ce n'est plus à moi, que tu tâches de plaire.Mon pouvoir est trop faible à te contraindre tant,Et tu fais trop languir la beauté qui t'attend. FLORIMANT. Quel envieux destin, homicide, inhumaine, Vous peut rendre suspecte une foi si certaine ?Quelle humeur vous a fait résoudre mon trépas ?Et quel jaloux soupçon, m'a changé ces appas ?Mes devoirs vous ont dû rendre plus assurée,De la fidèle ardeur, que je vous ai jurée. CÉLIANE. Quoi ce que j'aperçus, quand Nise te toucha, Les agréables traits, qu'elle te décocha,Le transport, qui parut en ton âme saisie,Les voeux, que tu couvrais du nom de courtoisie ;Les regards amoureux que je te vis jeter, La peine qu'on te vit souffrir à la quitter,L'humeur, qui t'a depuis éloigné de ma vue,Cette altération qu'à ton abord j'ai lue,Et ces froids entretiens prouvent-ils pas assez ,Que Nise a dans ton coeur mes appas effacés ? FLORIMANT. Mon âme t'a paru sous une fausse image,Céliane est la seule à qui je rends hommage,Voyant mes actions de l'oeil de la raison,Tu ne te plaindrais pas de cette trahison.Je jure de tes yeux l'agréable lumière, Que je conserve encor ma passion première,Et que ton seul objet causait le doux souci,Dont l'aimable entretien me retenait ici.Je songeais à tracer d'un style net et rare,Ces innocents plaisirs dont tu n'es plus avare. Le dessein d'exprimer comment ton oeil me prit,Était le doux ouvrage où rêvait mon esprit :Je m'étais proposé de graver sur ces chênes ,La douceur de tes yeux, et celle de mes peines.Puis j'eusse écrit au bas la candeur de ma foi, Et qu'ils ont beaucoup moins de fermeté que moi .Que de faibles raisons t'ont formé cet ombrage !Et qu'en ce changement je me ferais d'outrage !Ah ! que tu juges mal de mes plus doux souhaits !Qu'à ton opinion moi-même je me hais. CÉLIANE. Traître, que tes pareils savent bien d'autres feintes,Quand ils veulent cacher leurs nouvelles atteintes.Et que ton lâche esprit dont le crime est vainqueur,Sait bien faire ta voix complice de ton coeur !Entretiens, entretiens tes nouvelles pensées, Conte combien tes yeux ont de filles blessées,Range encore d'autres coeurs sous le joug de tes lois,Et puis vante partout tes glorieux exploits. Elle s'en va. FLORIMANT, seul, la voyant sortir. Inhumaine beauté, quelle preuve assez forteTe peut donc témoigner l'amour qui me transporte ? Reviens (belle homicide) et si par mon trépas,Je dois prouver ma flamme à tes chastes appas,Mais la fuite m'oblige ; et me permet de taire,Ce qu'aussi bien ses yeux ne me verraient pas faire.Les doux attraits de Nise ont ravi mes esprits, Mon coeur a pour objet cet agréable prix :Céliane y conserve une faible puissance,Et sa flamme y mourut, quand l'autre y prit naissance,Mais toi, qui t'es chargé du soin de me guérir, [G] Ami, que ton rapport tarde à me secourir ! Que je languis longtemps dans le dessein d'apprendreCe que Nise me doit, ou permettre, ou défendre !Si son coeur est sensible à ma chaste amitié,Si je dois espérer sa haine ou sa pitié.Ah ! qu'il vient à propos jouir de cet ombrage, Avec le beau sujet de mon nouveau servage ! SCÈNE II. Florimant, Pamphile, Nise. PAMPHILE, parlant à Florimant. Que cet aimable jour dissipe tes ennuis,Ce jour, qui te destine à tant d'heureuses nuits,Ce jour, qui t'a vaincu cette belle farouche ,Et qui mettra ce soir un Soleil dans ta couche. FLORIMANT, parlant à Nise. Esclave de vos yeux, un timide respectTient les miens abaissés à cet aimable aspect,Pareil à ces captifs, qu'on ne voit point paraître,L'oeil, et le front ouverts à l'aspect de leur maître.Qu'une divinité soit l'objet de mes voeux ! Que son Amant la range au dessein que je veux,Ciel, qui l'eût espéré ! non mon âme confuse Doute de ce bonheur, et croit qu'on la refuse ; Que votre belle humeur vient sous de faux attraitsFlatter un malheureux que vous tuerez après ! NISE. Non, non, ne doutez plus des faveurs assurées,Qu'à votre affection Pamphile a procurées,Puisqu'il vous donne un prix, que l'amour a fait sien,Et qu'il peut à son gré disposer de son bien. PAMPHILE. Vous offensez, cruel, l'amitié la plus nue , Que jamais dans un coeur le Ciel ait reconnue,Des voeux, que si souvent mon ardeur vous a faitsEn ai-je quelquefois retranché ces effets ?Puis-je, étant tout à vous, vous refuser Madame ?Puis-je donner mon coeur, et retenir mon âme ? FLORIMANT. Quelque foi, que je doive à tes moindres propos,Je doute de me voir si près de mon repos,Et je tiendrai toujours cette gloire incertaine ;Si Madame, d'un mot ne me tire de peine ;M'assurant de sa foi, qu'un Hymen solennel, Après, entretiendra d'un lien éternel. NISE. Puisque à vos passions le Ciel m'a destinée,Que différerons-nous plus un célèbre Hyménée ?Oui, ce corps est à vous, et la mort seulement A droit de traverser votre contentement. FLORIMANT. Doux arrêt de ma vie ! PAMPHILE. Et de mon infortune. FLORIMANT. Dieux ! que votre grandeur me serait importune ! Que ma victoire est belle, et mon destin heureux,De m'avoir fait époux aussitôt qu'amoureux !Mais Pamphile, un remords que ton regard m'envoie Traverse infiniment ces doux excès de joie,Ton oeil triste, et mourant prouve un ennui secret,Tu ne me donnes point ce trésor sans regret,Et dans ce déplaisir dont une âme est atteinte,Ta voix me fait une offre, et tes yeux une plainte, Aussi je t'obéis avec peu de raison,Et mon ingratitude est sans comparaison.Hélas ! dois-je souffrir, que mon sujet sépareCe que le Ciel a joint d'une amitié si rare,Vos soupirs étouffés, adorable beauté, Ne m'accusent, que trop de cette lâcheté.Il est vrai que j'offense une amour trop parfaite,J'avoue, heureux amants votre plainte secrète.Sur ce coeur criminel elle obtient son effet ;Et le traître renonce au dessein qu'il a fait : Que de nouveaux serments réunissent vos âmes. Je ne m'oppose plus à vos fidèles flammes.Et puisque je dois prendre, ou Nise, ou le tombeau,J'épouse le dernier, et je le trouve beau.Le noir front de la mort , à mes yeux a des charmes, Adieu, vivez heureux, ne versez plus de larmes,Sans crime désormais je ne puis voir le jour,Souffrez, que l'amitié triomphe de l'amour. PAMPHILE, le retient. Las ! permets à nos pleurs de mouiller nos visages,Notre amour rend par eux ses derniers témoignages, Ce dieu reçut dans l'eau l'être et le sentiment ;Souffre qu'il meure aussi dans le même élément.Il est mort pour Pamphile, et ces dernières larmes,Me vont rendre ce Dieu sans pouvoir, et sans armes,C'est fait, je n'aime plus. NISE. Ah ! cruel, que dis-tu PAMPHILE. Qu'autant qu'il est permis de chérir la vertu . FLORIMANT. Nise employez pour lui vos redoutables charmes,Se défendant si mal, prenez pour lui les armes.Sous quelle étroite loi me veut-il engager ?Que je sois obligé de le désobliger ? Pour l'heur de posséder ce visage adorable, Pamphile, mon trépas, est-il considérable ?C'est peu que de ma mort : pour un si digne objet,Troie a brûlé jadis pour un moindre sujet ;Prends le fruit de tes voeux, que le Ciel autorise. PAMPHILE. Ils seront accomplis, si tu possèdes Nise. FLORIMANT. Conserve-toi son bien. PAMPHILE. Ne le refuse point. FLORIMANT. Ah ! quels rivaux, Amour, s'aiment jusqu'à ce point ?Oui, je l'accepterai de ta main favorable. PAMPHILE. Ce discours me contente. NISE. Et me rend misérable. SCÈNE III. [Céliane, puis Philidor, puis Julie]. CÉLIANE, déguisée en Jardinière tenant un panier de fleurs. Jalouse frénésie, où portes-tu les Dames,Depuis que ton poison s'empare de leurs âmes ?Quels étranges moyens leur fais-tu concevoir, Pour connaître le mal qu'elles craignent de voir ?Qu'il me serait aisé de sortir de misère, Si le Ciel m'avait fait une âme plus légère !On ne me verrait pas le sein mouillé de pleursEn ce rustique habit aller vendre des fleurs ;Le souci d'épier si l'ingrat m'a changée ,Ne m'eût pas aisément à ce dessein rangée ; En ce prochain logis, cet infidèle amantEntretient tous les jours sa joie, et mon tourment.Là de mille faveurs sa nouvelle maîtresseFlatte les passions de cette âme traîtresse ;Quelque soin qu'il emploie à couvrir ce dessein, Il ne me peut ôter cette crainte du sein,Et je verrai bientôt, par cette feinte aisée,Que son humeur est plus que mon corps déguisée. PHILIDOR, la rencontre. Voyons ces belles fleurs, quelle peur t'a surpris ?On ne veut pas, ami, te frustrer de leur prix . CÉLIANE. Ah Dieux ! c'est Philidor, plût au Ciel, que leur perteM'affranchît du regret, de me voir découverte. PHILIDOR. Lys, où le Ciel a peint mes désirs innocents,Soucis, qui figurez les ennuis que je sens,Oeillets, qui me peignez le beau teint de Madame, Roses, qui faites voir la couleur de ma flamme. CÉLIANE. Tout ce discours, Monsieur, vaut moins que votre argent,Mon père veut surtout, que je sois diligent. PHILIDOR. N'épargne à mon sujet ni le temps, ni la peine,La récompense, ami, ne t'est que trop certaine, Dieux, que je vois d'appas dessus ce teint vermeil !Et qu'il a de rapport au teint de mon Soleil !Ses yeux, sa même voix, son geste, sa parole. CÉLIANE. Au lieu de prolonger cet entretien frivole,Payez-moi ces bouquets, si fraîchement cueillis, Voyez-vous de ces fleurs vos jardins embellis ? PHILIDOR, la reconnaît. Au moins tu les soumets aux oeillets de ta joue,Sur qui toujours la Grâce, avec l'Amour se joue ; Et pour qui je promets ce que j'ai de plus cher, Si j'obtiens seulement le bien de les toucher . Tu me connais mon coeur, et ma persévéranceA mérité les fleurs d'une heureuse espérance. CÉLIANE. Le temps me presse, adieu, quelque jour FlorimantTe dira le sujet de ce déguisement ;Ou si tu veux tout seul achever ta harangue , Cette fleur te fera l'office de ma langue. Elle lui donne un souci, et s'en va. PHILIDOR, seul. Au lieu d'avoir rendu mon tourment adouci,Elle s'enfuit l'ingrate, et me laisse un souci.Donc je tiens tout le prix de mes longues poursuites,Des soucis, sont les fleurs, que ma peine a produites. Elle rit de ma flamme, et tant de cruautéNe me fait pas quitter cette ingrate beauté .Tu ne peux Philidor supporter cet outrage,Elle a plus de rigueur, que tu n'as de courage ?Éteins, cruel, éteins, ces inutiles feux, Ne verse plus de pleurs, ne pousse plus de voeux ; Suivant encor la loi de cette âme intraitable ,Toi-même, tu serais de ton malheur coupable.La vertu de garder une immuable foi,Après tant de rigueur serait un vice en toi. Étouffe ce brasier ; qu'un autre esprit te flatte ; [H] Et perds le soin honteux d'adorer une ingrate.Ô frivole discours, que je parle aisément ;Mais que j'aurais de peine à guérir ce tourment,Qu'un remède est aisé, dans l'esprit d'un malade, Et que facilement il se le persuade ;Mais lorsque l'abusé travaille à sa santé,Qu'il y remarque peu, cette facilité ;Depuis que cet enfant qui régit tout le monde,Fait révérer ses lois sur la terre, et sur l'onde. Depuis que tant de coeurs soupirent dans ses fers,Quel amant a souffert les maux, que j'ai soufferts.Il est constant aussi, qu'entre toutes les Dames,Céliane a fourni, ses plus ardentes flammes,Et les traits, les plus forts, et les plus acérés, Que ce superbe Dieu, nous ai jamais tirés.On se propose en vain d'oublier cette belle,Depuis qu'on l'a connue, il faut être fidèle,Les coeurs qu'elle a blessés, craignent leur guérison,Ôtant les libertés, elle ôte la raison. JULIE, l'aborde et lui dit. Je te surprends encor, en ta mélancolie, PHILIDOR. La cause en donne encor, agréable Julie.Je brûle, et pour loyer d'un brasier si cuisant,Je n'ai que cette fleur, dont je te fais présent. JULIE la prend, et la rompt. Je la prends de ta main. PHILIDOR. Tu la romps, dédaigneuse. JULIE. Pour ce qu'elle est contraire à mon humeur joyeuse.M'as-tu vue autrefois conserver un souci ?Que tu serais content, si tu vivais ainsi !Veux-tu joindre les noms d'heureux, et de fidèle,Il faut, que mon humeur te serve de modèle. Je sens bien que tes yeux attirent mon désir,Je ne te vois jamais, sans beaucoup de plaisir,Je ne sais point d'objets, qui me plaisent de même,Et si c'est là t'aimer, je confesse que j'aime ;Mais, avec cette amour, je ris de tes dédains, Mon coeur n'est point sensible aux traits dont tu te plains .Il a fort peu changé depuis que je t'honore,J'oserais bien jurer, qu'il est entier encore ;Je ne sens point d'ardeurqu'il ne souffre aisément,Je ne cours point à l'eau pour cet embrasement . Que je sois libre, ou non, mes fers sont invisibles,Et je ne les hais point, s'ils ne sont point nuisibles.Je ne consulte point les rochers d'alentour,Je ne verse des pleurs, ni la nuit, ni le jour.Tu sais bien Philidor, si j'en suis solitaire, Alors que tu me fuis, tu vois si je m'altère.Je vois d'un oeil égal ton mépris apparent , Fuis-moi, recherche-moi, tout m'est indifférent :Les yeux de Céliane ont ton âme touchée,C'est l'objet de tes voeux, je n'en suis point fâchée, Si tu ne possédais de si charmants appas,Je suivrais ton humeur, et ne t'aimerais pas. PHILIDOR. Je n'ai point résolu d'ôter rien à ta gloire :Ce que je ne crois plus, un autre le peut croire.Je t'estimais jadis le Phénix de ces lieux , Mais je ne te vois plus avec les mêmes yeux.Hélas ! quoi que j'accorde, ou que je désavoue,Il doit peu t'importer qu'un aveugle te loue.Comment puis-je assurer, si quelque chose est beau,Puisque je ne vois rien qu'au travers d'un bandeau ? JULIE. Tu retombes toujours dans ton erreur première,Quel bandeau te ravit le bien de la lumière ?Mais c'est trop Philidor, choquer ton sentiment,Et j'offre du secours à ton aveuglement ;Appuie ici ta main, n'épargne point ma peine, Traversons à pas lent cette inégale plaine,Souffre que de ces eaux je détourne tes pas,Évite ces buissons que tu n'aperçois pas.Ô Dieux ! le bel aveugle, et qu'il est peu timide,De marcher en ces lieux sans bâton, et sans guide ! PHILIDOR. Ne m'importune plus de ces propos railleurs,Va Julie exercer ta belle humeur ailleurs,Que de faibles soucis ta passion t'apporte,Et que c'est mal aimer, que d'aimer de la sorte ;Tu ris de mon malheur, mais possible dans peu Ton coeur éprouvera, si l'amour est un jeu.Adieu, fuis ce tyran, évite ses atteintes,Et crains qu'un jour tes ris ne se tournent en plaintes. Il s'en va. JULIE. Garde de t'égarer en ces lieux d'alentour. PHILIDOR. Et toi, crains de tomber dans les pièges d'Amour. JULIE, seule. En l'état où je suis, que cette crainte est vaine,Et que je veux en vain dissimuler ma peine ;C'est un faible moyen envers cet inconstant,Que de me plaindre peu lorsque je souffre tant.Il tient pour vérités des termes si frivoles, Il pense que mon coeur s'accorde à mes paroles.Et l'ingrat ne sait pas, qu'en l'art de bien aimer,On ne joint ces froideurs, qu'à dessein d'enflammer ;J'espérais l'émouvoir, paraissant moins émue,Et je ne lui parlais, que pour n'être pas crue ; Mais qu'ai-je fait hélas qu'augmenter ses glaçons !Je sais bien mal, Amour, pratiquer tes leçons. SCÈNE IV. NISE, tenant du poison en une chambre. Si jusques à ce point le Ciel me favorise,Que tu n'aies prévenu l'intention de Nise ,Pardonne-moi Pamphile, et ne t'offense pas, Du dessein qui me fait recourir au trépas.M'aimant, tu ne dois pas aimer mon infortune,La mort m'est favorable, et la vie importune,Je vivais seulement, pour vivre sous ta loiMon coeur, je ne puis être, et n'être pas à toi. Quand cet heureux poison m'aura la vie éteinte,N'accuse point le Ciel, ne pousse point de plainte,Tes pleurs ne rendraient pas mes mânes satisfaits.Et mon affection veut de plus beaux effets.De ce qui restera de ce fatal breuvage, Achève, comme moi ta vie, et ton servage.Puisqu'une même ardeur a conjoint notre sort,Fuyons sa cruauté par une même mort.Que par même sentier, nos âmes divisées,Aillent se réunir aux bords des Élysées. Alors la mienne veuve , et de corps, et d'époux,Engagera sa foi sous des liens plus doux.En l'agréable nuit de ces campagnes sombres, Une amour éternelle unira nos deux ombres !Alors tu me pourras entière posséder : Tu n'auras plus d'ami, qui t'oblige à céder.Nos communs déplaisirs ne seront plus qu'un songe :Mais on a mérité le mal qu'on se prolonge.Nise ayant les moyens de sortir de tourment,Et craignant d'en user tu souffres injustement. Breuvage savoureux, mon unique remède,Je te préfère au vin que verse Ganymède,Et quoique le Nectar éternise les Dieux,En me privant du jour, tu m'es plus précieux. SCÈNE V. Julie, Nise, Céliane. JULIE, surprend Nise. Et lui arrêtant le bras, dit.Dieux que viens-je d'entendre ? NISE. Ô surprise importune ! JULIE. Nise, qu'espérez-vous ? NISE. Finir mon infortune.Que la pitié vous touche en l'état où je suis, Et ne prolongez point le cours de mes ennuis.Ai-je trop peu souffert, pour comble de misère ?Dieux ! faut-il que la soeur soit complice du frère ? Que l'un soit le sujet de mon cruel tourment,Et que l'autre s'oppose à mon allègement ? JULIE, laissant tomber le verre. Ah Nise, consultez cette rare prudenceQue tant de beaux effets ont mise en évidence,Consultez la raison, dont jamais les conseils N'ont porté les esprits à des desseins pareils,Et quoi ? Nise se rend, ce grand courage cède,Elle cherche la mort, et manque de remède.Nise qui peut guérir par un mot seulement,Disant, j'aime Pamphile, et je hais Florimant, Quelque trépas futur, que mon frère vous conte,Avec quelques efforts, que l'ennui le surmonte,Ne l'imaginez pas au rang de ces transis,Qui rendent par leur mort leurs tourments adoucis.Ses maux ne sont pas tels, que deux mots de tristesse Ne soient l'unique effet du tourment qui le blesse.De quelque désespoir qu'il paraisse agité,Croyez que de ce temps il sera limité. NISE. Ah ! que vous me tenez un discours inutile.Dans le dessein que j'ai de contenter Pamphile. Sa fidèle amitié me donne à Florimant, Et je dois obéir à cet ingrat amant. JULIE. Et vous cherchez la mort. NISE. Oui, par la seule crainte,De ne pouvoir souffrir cette injuste contrainte,Et de n'obtenir pas de mon cruel ennui, Le bien de faire voir, que je peux tout pour lui. JULIE. Dieux les plaisants effets dont votre coeur se pique,C'est bien traiter l'amour à la façon antique.Ces transports étaient bons aux amants de jadis,Par aucun accident ils n'étaient refroidis. Et dans leurs passions, ils faisaient des folies,Qu'on n'autorise plus, en nos mélancolies .Nous voyons aujourd'hui ces abus consommés,Nous aimons seulement à dessein d'être aimés.Ailleurs qu'en ces deux points l'amour est sans puissance, Et ne peut qu'exiger de notre obéissance .Ce Pamphile, sans droit vous cause tant d'ennuiEt pouvant tout pour soi, ne peut rien pour autrui.Quel est ce paysan ? CÉLIANE déguisée, entre. Ces fleurs vous plairont-elles ?Jamais cette saison n'en fit voir de si belles. NISE. Que veut cet importun ? CÉLIANE. Voyez quelle scienceA de toutes ces fleurs composé l'alliance,Puis-je offrir à vos yeux des bouquets moins flétris ?Mais la couleur est peu, leur odeur fait leur prix . JULIE. C'est Céliane, ô Dieux ! que mon âme est ravie . CÉLIANE. La crainte de leur prix vous en ôte l'envie,Mais Madame. JULIE. Ce port, ces yeux m'en sont témoins. CÉLIANE. Elles méritent bien une offre, pour le moins.Hélas, ignorez-vous. JULIE. Que d'ennui la surmonte. CÉLIANE. Que ce qui m'appartient se donne à si bon compte, Et de quelque valeur, que puisse être mon bien,En possédez-vous pas, qui ne vous coûte rien ? NISE. Que dit cet insensé ? CÉLIANE. Que ces lys, et ces rosesEmporteraient le prix sur les plus belles choses ; JULIE. Nise la méconnaît, que ce plaisir est doux ! C'est trop dissimuler, Céliane c'est vous. NISE. C'est Céliane, ô Dieux ! CÉLIANE. Je connais cette belle,Et ce reste de fleurs est réservé pour elle. NISE. Non, non, ne feignez plus, je connais le tourmentQui vous a fait résoudre à ce déguisement. L'Amour a sur votre âme un souverain Empire,Et ce que vous craignez est ce que je désire.Un même objet s'oppose à nos félicités,Je souhaite sa perte, et vous la redoutez. CÉLIANE. Je dissimule en vain. JULIE. Qu'elle est bien déguisée! CÉLIANE. Vous croyant abuser, je me suis abusée ;Mais que vous prenez mal ce divertissement,Où le plaisir me porte, et non pas le tourment.Madame, sur mon coeur l'amour n'a plus d'Empire,Rien ne m'amène ici que le dessein de rire. Possédez Florimant, ne le possédez pas,C'est un faible sujet pour attirer mes pas. JULIE. Elle aime cet ingrat, quoiqu'elle dissimule,Et je dois du remède au feu dont elle brûle ;Conduis mes voeux Amour, et me vois faire un coup ; Où ce déguisement me servira beaucoup ; Vous nous celez en vain votre amoureux martyre,L'Amour doit être encore en un coeur qui soupire,Madame vous souffrez pour cet ingrat Amant,C'est l'unique sujet de ce déguisement. Mais faisons-le brûler de sa première flamme,Je me charge du soin de vous rendre son âme.Florimant sera vôtre, et les mêmes moyensRemettront cette belle en ses premiers liens. CÉLIANE. Pour son occasion disposez de ma vie, Mais l'amour désormais touche peu mon envie,La perte d'un ingrat me cause peu d'ennuis, Je n'aimai jamais moins, qu'en l'état où je suis. JULIE. Qu'elle sent de contrainte en son amour extrême !Combien elle a de peine à confesser qu'elle aime ! Suivez-moi seulement, et n'espérez pas moins, Qu'un repos éternel de mes fidèles soins. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. FLORIMANT, seul. Que je bénis (Amour) la douce violence,Dont tes aimables traits ont forcé ma défense !Et que je me repens de tous les vains propos, Dont mon coeur t'accusait de troubler son repos .Non, tu n'es point l'auteur de ces cruelles flammes ;Ce poison des esprits, ce tyran de nos âmes ;Cet ennemi des coeurs ni cet enfant sans yeux,Qui trouble le repos des hommes, et des Dieux ! Si tu couvres de fiel les flèches de ta trousse,C'est pour nous rendre après notre flamme plus douce,Et l'espoir seulement, qui ravit mes esprits,Après un peu de maux, m'est un trop digne prix. SCÈNE II. Julie, Florimant. JULIE. Mon frère n'est pas seul. FLORIMANT. Ma douce inquiétude, Entretiens mon esprit en cette solitude.Je trouve en mes pensers un plaisir si parfait, Que je doute, ma soeur, qu'il soit tel en l'effet.N'estimeras-tu pas ma gloire sans seconde,Quand je possèderai ce miracle du monde ? JULIE. Mais plutôt le bonheur d'accomplir vos désirs,Serait le plus cruel de tous vos déplaisirs.Vous cherchez notre honte en cette jouissance ;Quelle altération ! mon discours vous offense ? FLORIMANT. Qui t'oblige cruelle, à me parler ainsi ? JULIE. Adieu. FLORIMANT. Non, non, achève et m'ôte de souci ;Ne laisse point de trouble en mon âme incertaine. JULIE. Je vous affligerais, en vous tirant de peine. FLORIMANT. Qui me peut traverser, en ce bien sans pareil ?Trouves-tu quelque tâche en ce divin Soleil ? Peut-elle appréhender un propos qui l'offense ?Et qu'on ne pût tenir de la même innocence ? JULIE. Hélas ! que l'apparence est un miroir bien faux. FLORIMANT. As-tu dans son honneur trouvé quelque défaut ?Pamphile en parle-t-il, et cet ami fidèle Te peut-il rien vanter qu'il ait obtenu d'elle ? JULIE. Il aurait obtenu ce qu'il a mérité,Et je pardonnerais à leur égalité.Mais qu'un vil paysan FLORIMANT. Comment possède Nise ? JULIE. Vous croirez ce discours, si votre oeil l'autorise, Suivez-moi seulement. FLORIMANT. Ô Dieux ! Que me dis-tu ? JULIE. Vous verrez des sujets de vanter sa vertu. SCÈNE III. Nise, Céliane en jardinier, dans une chambre fermée, [ puis Julie, Florimant]. CÉLIANE. Las ! si tu fus jamais à nos desseins prospère,Amour, accorde-moi le succès que j'espère,Si quelquefois un coeur te touche en soupirant, Tire notre bonheur de ce mal apparent ;Nise, n'épargnons rien en cette heureuse feinte,Il faut qu'en nos discours, notre amour soit dépeinte,Espérons en Julie, et suivons son conseil,Qui peut seul divertir un malheur sans pareil ; J'entends déjà du bruit. Julie, et Florimant viennent écouter à la porte. FLORIMANT. Qu'elle se laisse atteindre,Aux voeux d'un paysan ! CÉLIANE. Sus commençons de feindre.Que je mérite peu vos inclinations,Vu l'inégalité de nos conditions,Je n'adressais mes voeux, qu'à de simples Bergères, Quand le Ciel me cachait vos beautés Étrangères,J'avais en leurs faveurs mes désirs limités,Encor, assez souvent ils étaient rejetés,J'aimais sans espérance, et leur humeur faroucheM'accordait rarement un baiser de leur bouche. Aujourd'hui, je possède un miracle d'Amour,L'objet le plus charmant qui respire le jour .À qui je ne dois rien, que de l'obéissance,Et dont mon amour seule égale la naissance. FLORIMANT, tout bas. Ô Dieux ! NISE. Par ce discours, tant de fois répété, Tu ne fais qu'un reproche à mon honnêteté :Il est vrai que je suis d'une humeur trop facile , Je suis coupable, autant que ta naissance est vile.J'aime au lieu le plus bas, que je pouvais aimer,Des Princes, par mes yeux se sont laissé charmer : Mais un aveugle enfant me brûle de tes flammes,Sans égard son pouvoir dispose de nos âmes.Il m'a réduite au point de ne changer jamais,Et d'arrêter en toi, tous les voeux que je fais.J'épouse Florimant ; mais ce froid Hyménée, N'est qu'une couverture, à ton bien destinée.Ce nom ne servira qu'à couvrir nos plaisirs,Que nous rendrons toujours égaux à nos désirs. FLORIMANT. Tu mentiras lascive. JULIE. Écoutons. CÉLIANE. Ô merveille !À qui jamais l'Amour n'en fit une pareille . Que je suis au-dessous de cet excès d'honneur !Dieux ! que n'est mon mérite égal à mon bonheur ?Mais j'ai trop assuré mes fidèles services ;Ma bouche, maintenant, veut d'autres exercices,Sa violente ardeur ne se peut contenir, Je sais mieux vous baiser, que vous entretenir. Elles se baisent.Agréables transports, dont mon âme est ravie, Ah ! qui dans vos plaisirs conserverait la vie ? FLORIMANT. Ô signes trop certains du malheur de mes jours !Éteignons dans leur sang leurs lascives amours. JULIE, le tirant loin de la porte. Cherchez, cherchez, Pamphile, et différez mon frère,Ces violents efforts d'une juste colère ;Non pour lui conserver cet objet odieux,Qui doit être abhorré de la terre, et des Cieux, Mais pour le divertir par un soin favorable, Du funeste conseil de son sort déplorable.Il consulte en ces bois sur la fin de ses jours,Si déjà ce cruel n'en a borné le cours.Las ! j'ai trop reconnu sa passion secrète,Le présent qu'il vous fit est un don qu'il regrette. Détournez son trépas, faisant ses yeux témoinsDe l'infidélité qu'il soupçonne le moins. FLORIMANT. Dieux ! qu'un prompt changement renverse toutes choses,Et que je suis confus, en ces métamorphoses ! JULIE. Mais la nécessité d'aller à son secours, Vous doit faire épargner le temps et le discours. FLORIMANT. Attends-nous en ce lieu. Il s'en va. JULIE, entre dans la Chambre. La feinte est bien conduite,Daigne, Dieu des Amants, favoriser la suite. À Céliane.Ce divertissement ne se peut trop priser ;Qui t'a si bien instruite en l'art de courtiser. Mille fois ma franchise à ta voix s'est rendue,Et je brûle d'Amour de t'avoir entendue. CÉLIANE, la baisant. C'est gausser à propos ; mais peu de paysans,Sans me vanter beaucoup, sont si bons courtisans. NISE, les voyant se baiser. Dieux ! quelle affection est pareille à la vôtre ; Mon amant à mes yeux en caresser une autre ;La baiser, l'embrasser ; infidèle, inconstant,Eh quoi ta passion n'a duré qu'un instant ;Et vous qui vous offrez à cet amant volage,Me croyez-vous d'humeur à souffrir cet outrage ? CÉLIANE. Je me résous plutôt à l'infidélité,Que de rien refuser d'une telle beauté ;Nise accordez ce point à l'ardeur qui me presse,Que vous étant ma femme, elle soit ma maîtresse,C'est l'ordinaire humeur des hommes de ce temps, Quand ils n'en ont que deux, ils sont assez contents . JULIE. À Nise.Madame, rejetez cet Amant infidèle, À Céliane.Et vous, il faut tâcher de fléchir cette belle,Prenez en ma faveur ce divertissement,Cette feinte est requise à mon contentement. J'aperçois Philidor, dont la triste pensée,Pourra changer d'objet, vous croyant insensée.Cet infidèle amant m'est plus cher que le jour,Et vous pouvez ainsi me rendre son amour. CÉLIANE. Que Nise seulement seconde ma folie, Je ferai toute chose en faveur de Julie. SCÈNE IV. Philidor, Julie, Nise, Céliane. PHILIDOR, éloigné. Enfin je sens un peu refroidir mes esprits,Il est trop malaisé de souffrir ses mépris,J'ai langui trop longtemps pour cette âme intraitable,Julie est d'une humeur qui la rend plus aimable. Et ce trésor acquis a de puissants appas,Pour me faire oublier celui que je n'ai pas. JULIE, va au devant de lui. Que par un faible effort notre raison se change,Philidor, savez-vous cet accident étrange ? PHILIDOR. J'ai peine à concevoir quel accident tu dis, Si ce n'est que mes voeux sont beaucoup refroidis, Montrant Céliane.Et que cette beauté si sourde à ma prière,Laisse rentrer mon coeur en sa prison première.Quelques rares attraits qu'elle tienne des Cieux,Ceux de ta belle humeur valent ceux de tes yeux. Il me souvient encor de notre Amour passée,Et j'ai quelque regret de t'avoir offensée. JULIE. Tu crois que ce discours m'oblige infiniment,Et que l'Amour me cause un sensible tourment.Non, non, que cet objet occupe ta pensée, Adore constamment cette fille insensée. PHILIDOR. Que me dis-tu Julie ? JULIE, elle le mène dans la chambre. Approche seulement,Et vois cette Maîtresse, ou plutôt cet Amant.Une jalouse humeur l'a mise en cette sorte,Crains bien de t'engager dans une Amour si forte. CÉLIANE, à Nise. Merveille de ces lieux, doux charme des esprits,Quelle soumission peut changer tes mépris ?Quel effet merveilleux d'une ardeur sans seconde,Te peut rendre évident le plus beau feu du monde ?Oblige mon courage aux plus sanglants hasards, Qu'on ait jamais courus sous les drapeaux de Mars ,Quelques difficultés, où ton désir m'engage ,Crois que ce vil habit couvre un noble courage.En ton nom, je puis tout, et sans témérité,J'affronterais la mort pour servir ta beauté. NISE. Voyez quelle manie a sa raison troubléeEt le sensible ennui dont son âme est comblée ;La seule jalousie a causé son tourment,Elle prie, elle pleure, et me parle en Amant. CÉLIANE. Donc mes soupirs sont vains. NISE. Je plains ton infortune, Mais que puis-je répondre à ta plainte importune ? CÉLIANE. Réponds-moi seulement, inhumaine beauté,Que tu seras sensible à ma fidélité.Souffre, que cent baisers pris sur ta belle bouche,M'assurent aujourd'hui que mon amour te touche. Vois d'un oeil favorable un malheureux Amant,Dont ta seule bonté peut finir le tourment. PHILIDOR. Dieux ! si j'offre des voeux à cette âme insensée,(Après ce que je vois) que la mienne est blessée. CÉLIANE. Si rien ne peut fléchir ce courage inhumain, J'implore au moins l'honneur de mourir de ta main [L] Achève les rigueurs de mon sort lamentable,Une si belle mort ne m'est point redoutable :Seulement, quand ta main m'aura percé le flanc,Verse une goutte d'eau, pour un fleuve de sang , L'espoir d'être pleuré des plus beaux yeux du monde,Fait qu'au point de mourir ma joie est sans seconde,Accorde à mes désirs, cette félicité ;Quoi rien de tes faveurs ? rien de ta cruauté ?Le temps me vengera, cruelle dédaigneuse, Et le Ciel punira ton humeur orgueilleuse.Hélas ! que j'ai souffert d'inutiles douleurs,Elle est sourde à ma plainte, et se rit de mes pleurs. NISE. Que vous puis-je accorder ? et qui croyez-vous être ? CÉLIANE. Le plus fidèle amant, que le Ciel ait fait naître, Dont vous dussiez priser l'insigne affection,Et qui mérite bien votre inclination. NISE. Eh bien parfait amant, est-ce assez ? je vous aime,Et ne refuse rien à votre amour extrême :Je veux à vos douleurs apporter du secours. CÉLIANE. Donc que mille baisers confirment ce discours. NISE. De qui n'en obtiendrait cette bouche vermeille ?Baisez-moi, j'y consens. CÉLIANE. Ô faveur sans pareille !Amant le plus heureux qui respire en ces lieux,Que tu vois maintenant ton destin glorieux ! JULIE. Qu'en dis-tu Philidor ? PHILIDOR. Que tu plains sa folie ! JULIE. Et que tu fais état de l'humeur de Julie !Jamais la jalousie en mon coeur n'a régné,Ma raison s'est toujours son usage épargné,Et tu peux bien ailleurs engager ta franchise, Sans me mettre en l'état où Florimant l'a mise. PHILIDOR. Je retourne Julie à mes voeux anciens,Et présente les bras à mes premiers liens ;Sous ses premiers vainqueurs mon âme est asservie,Et je n'ai point dessein de changer de ma vie ; Respirons à jamais sous une même loi,Et reçois ce baiser pour gage de ma foi. JULIE, le retirant. Corrigez Philidor, cette humeur indiscrète,Et portez vos baisers à qui je les souhaite.Ne m'obligez pas tant, c'est prendre trop de soin, Et je vous en prierai quand j'en aurai besoin,Cherchez un autre objet à votre rêverie,Vous revenez trop tard, et mon âme est guérie,Qu'une beauté plus rare ait votre affection,Vous forcez trop pour moi, votre inclination. PHILIDOR. Ces discours me sont dus, et cette résistanceEst la punition de mon peu de constance.Mais bientôt ce mépris doit être limité,Je ne suis pas d'humeur d'être tant abusé. JULIE. Ni moi d'humeur aussi, d'être beaucoup pressée, Mon inclination ne peut être forcée.Si c'est vous rebuter, NISE. Ô plaisirs plein d'appas : JULIE. Ne vous présentez point, vous ne le serez pas, PHILIDOR. Mauvaise, vous riez : mais ce discours m'offense. JULIE. Oui, je ris, et riant je dis ce que je pense. PHILIDOR. Si cette froide humeur vous durait bien longtemps, Je sais bien le moyen d'être tous deux contents. JULIE. Et quel ? PHILIDOR. Que vous m'ôtiez tout sujet d'espérance,Et que je vous imite en cette indifférence ;C'est l'unique moyen de vivre sans souci. JULIE. J'y consens Philidor. PHILIDOR. Et j'y consens aussi ; JULIE. Adieu, vis bienheureux! PHILIDOR, s'en allant. Adieu vivez contente. JULIE. Ô le parfait amant ! que l'amour le tourmente.Philidor, Philidor, mon coeur reviens ici. PHILIDOR, revenant. Que voulez-vous ? JULIE. Et quoi, tu fais l'amour ainsi ? PHILIDOR. Je ne suis qu'une loi que vous-même avez faite. JULIE. Ah ! mes yeux t'ont prouvé ma passion secrète,Quand ma bouche feignait, mon coeur était sans fard,Mais je parle d'aimer à qui n'en sait pas l'art.J'aime, j'aime cruel, et ton âme si dure Est l'unique sujet du tourment que j'endure,Je perds le souvenir de tes mépris passés,Et ces ardents baisers te le montrent assez . PHILIDOR. Ah Dieux ! que ces faveurs réchauffent mon envie,Disposez de mon coeur, disposez de ma vie ; Trop de bonheur succède aux maux que j'ai soufferts,Jamais le changement ne brisera mes fers. JULIE. C'est assez mon souci, maintenant prends la peine,D'aller chercher Pamphile, au long de cette plaine,Ce déplorable amant veut achever son sort, Un secret désespoir lui fait chercher la mort ;Divertis son dessein, il est : suis cette voie . Il s'en va.Il ne le peut trouver au lieu où je l'envoie,Pamphile est dans le bois, et Florimant aussi,Tout mon dessein était de l'écarter d'ici. Cette agréable feinte heureusement succède,Et votre maladie est proche du remède. La chambre se ferme. [SCÈNE V]. [Pamphile, puis Florimant]. PAMPHILE, seul dans le bois assis. Acquitté des devoirs qu'exigeait l'amitié , Pamphile sur toi-même exerce ta pitié,Que ta raison, par qui ton ami sort de peine, Ne perde pas pour toi la qualité d'humaine.Bel astre des saisons , qui sais combien d'ennuisVont envoyer mon âme aux éternelles nuits :S'il te souvient encor des amoureuses flammes,Par qui ton sort fut joint au destin de nos âmes, Et si tu sais combien on souffre de trépas,Alors qu'on aime bien, et qu'on ne jouit pas ;Vois d'un visage égal la fin de ma fortune,Puisque je m'affranchis de mille morts, par une :L'amour qui te fit donc n'a pour moi que du fiel , Autrefois ses faveurs t'ont fait quitter le Ciel,Et ce Dieu se plaît tant à me livrer la guerre,Qu'aujourd'hui sa rigueur me fait quitter la terre. Florimant vient, et l'écoute sans se faire voir.Nise est à Florimant, tout espoir m'est ôté, Différer mon trépas, c'est une lâcheté, Encor parmi l'horreur de ce dessein funeste,Et parmi tant de maux, quelque plaisir me reste,Que je me servirai pour me percer le flanc,Du fer, que ma Déesse a vengé de son sang.Ayant osé couper ses délicates veines. Que tu m'obligerais de terminer mes peines !Tu sais déjà l'endroit, que tu dois traverser, Tu me donnas au coeur, quand tu l'osas blesser .Mais je crains que ce fer contraire à mon envie,Au lieu de m'achever ne prolonge ma vie ; Et que le sang divin dont je le vois tachéM'empêche de mourir, quand il m'avait touché .Inutiles discours ! lâche tu délibères,Tu crains plus (coeur abject) la mort que tes misères.Dans le gouffre d'ennuis où le sort t'a jeté, Redouter le trépas, c'est l'avoir mérité.Ouvrons, ouvrons ce flanc, et que chacun y liseLe pouvoir de l'amour, et des beaux yeux de Nise, FLORIMANT, l'arrête, et dit. Eh quoi ! tu perds le temps à de si vains regrets,Tandis que ta maîtresse éteint ses feux secrets, Tu conçois des desseins contre ta propre vie,Alors qu'elle amortit son amoureuse envie. PAMPHILE. En vain cette surprise a mon bras arrêté,Possède cher ami, cette chaste beauté,Et ne me défends point de chercher ce que j'aime, Le jour t'est agréable, et la mort m'est de même. FLORIMANT. Ô la chaste beauté ! l'objet de notre amourEst l'objet le plus saint qui respire le jour. Si le crime est prisable, et si c'est innocenceQu'avoir permis cent fois la dernière licence. À l'homme le plus vil qui respire en ces lieux,Et qui jamais ait vu la lumière des Cieux ! PAMPHILE. Épargne la vertu dont le Ciel l'a pourvue,Que me dis-tu cruel ? FLORIMANT. Ce que m'a dit ma vue,Suis, suis-moi seulement, tes yeux seront témoins Du visible forfait que tu croirais le moins ;Je rends à tes désirs cette chaste Diane,Et je n'aspire plus qu'aux voeux de Céliane. PAMPHILE. Dieux que viens-je d'entendre ! FLORIMANT. Hâtons-nous, suis mes pas. PAMPHILE. Pourquoi, fâcheux rapport, préviens-tu mon trépas ? SCÈNE DERNIÈRE. Nise, Julie, Céliane dans la chambre, [puis Florimant, Pamphile, puis Philidor]. JULIE. Il est temps d'achever ces agréables feintes,Qui finiront aussi vos soupirs, et vos plaintes,Quand ils viendront ensemble écouter vos discours ;Que de nouveaux serments témoignent les amours .Si tôt qu'un peu de bruit vous frappera l'oreille, Commencez d'exprimer une ardeur sans pareille,Adieu, si je les trouve en ces lieux d'alentour, Je vais conter merveille, et hâter leur retour. Elle s'en va. NISE. Que mon espoir est faible, et que ma crainte est grande ,Que d'un mal apparent tout notre bien dépende ! Sur la forme d'un crime établir son bonheur,Faire pour son repos soupçonner son honneur ;Hélas ! dois-je espérer une agréable issue,De cette invention que nous avons conçue ? CÉLIANE. Quelque appréhension qui nous puisse assaillir, Un Dieu nous conseillant, nous ne saurions faillir. FLORIMANT. Approchons-nous sans bruit. Ils viennent tous deux avec Julie. CÉLIANE. Ils sont tous à la porte,Commençons. NISE. Oublierais-je une amitié si forte ?Et quoi qu'on attribue au céleste pouvoir,Me peut-il empêcher les moyens de te voir ? J'obligerai toujours tes fidèles promesses,Des mêmes privautés, et des mêmes caresses,Toujours nous nagerons en des mers de plaisirs,Toujours nos voluptés passeront nos désirs :Jamais nos passions ne seront refroidies, Jamais de changements, jamais de perfidies ;Florimant ne pourra posséder, que le corps.Tu posséderas tout avecque moins d'efforts,Ta présence m'est douce, et la sienne ennuyeuse,Le jour me sera cher, et la nuit odieuse. PAMPHILE, tout bas. Que de brutalité sous des traits innocents !Dois-je de la croyance au rapport de mes sens ? CÉLIANE, baisant Nise. C'était par un destin également propice :Qu'un Berger captivait la Déesse d'Érice ;Qu'un Médor sans renom possédait les beautés, Dont ses fameux rivaux ont été rejetés ,Et que tous les matins sur le rivage More,Un chasseur languissait dans les bras de l'Aurore .Mais déjà ces beaux yeux réchauffent mes désirs ;Baisons-nous mille fois, je meurs en ces plaisirs. FLORIMANT. En ce ressentiment, c'est trop de retenue, frappant contre la porte.L'injure qu'il nous fait nous est assez connue.Rompons, brisons la porte. CÉLIANE, se lève. Ah Dieux : qu'ai-je entendu ? NISE, en riant. Cache-toi mon souci. FLORIMANT, les voyant au travers la porte. Voyez comme éperduPour éviter l'effet de ma juste furie, Le traître s'est caché sous la tapisserie ;Brisons, qu'attendons-nous, en cette passion ? NISE ouvre, et lui dit. D'où vous provient Monsieur, tant d'altération ? FLORIMANT. Quoi toujours solitaire, et toujours si pensive ? NISE. Je m'entretiens ici du bonheur qui m'arrive, Et mon penser prévient de souhaits infinisL'agréable moment où nous serons unis. FLORIMANT. Oui, tu le chéris fort, ce moment favorable,Car ma possession t'est fort considérable ;Tu n'adresses qu'à moi tous les voeux que tu fais, Et je puis rendre seul, tes désirs satisfaits.J'ai fort touché ton coeur ; et sans doute il ne pense,Qu'à faire en ma faveur des efforts de constance.Cette fidélité ne se peut violer,En vain tout l'univers la voudrait ébranler : Et je crois que jamais la veuve de Sychée,Ne fut pour un Troyen si vivement touchée .Qu'ai-je pour mériter cette inclination ?Peux-tu bien subsister en tant de passion ?Que l'Amour est puissant dans le coeur d'une Dame ! Le tien étouffera de l'ardeur qui l'enflamme ;Modère ces transports, ma lumière, mes yeux,Et ne m'aime pas tant, pour te conserver mieux.Ô le fidèle objet ! JULIE, tout bas. Ô l'agréable ruse ! NISE. Oui fidèle, et bien plus que celui qui m'accuse. Ma constance, Monsieur, n'a que trop de témoins. FLORIMANT. Ô qu'elle en est remplie, Artémise en eut moins .Jamais un paysan n'a son âme blessée,Et jamais à nos yeux il ne l'a caressée.Je vous rends cher ami, cet aimable trésor, Il ne me touche plus, et vous l'aimez encor.Adorez, constamment cette rare merveille,Dont la fidélité n'eut jamais de pareille :Un secret repentir me rend mes premiers fers.Céliane est sensible aux maux, que j'ai soufferts. PAMPHILE. Ne me proposez plus de servir cette belle,Elle est due à l'amant qui meurt d'amour pour elle,Déjà ce beau mignon , son coeur, et son espoir,Est privé trop longtemps du bonheur de la voir.Prions-le de paraître : Il va lever la tapisserie. NISE. Ô Dieux ! je suis perdue. FLORIMANT, prenant Céliane. Viens traître recevoir la faveur qui t'est due,Meurs aux pieds de ta vie, et va traiter l'amour . CÉLIANE. Oui je perds sans regret la lumière du jour. FLORIMANT. Ô Dieux ! c'est Céliane. Le fer lui tombe des mains. CÉLIANE. Ajoute, âme perfide,À cette qualité le titre d'homicide, Exerce sur mon coeur ton courage inhumain,Ton oeil l'a bien percé, perce-le de ta main.Ne pouvant qu'obtenir de ce cruel courage,Qu'il me donne la mort, s'il ne peut davantage,Je vis pour être tienne, et ne le pouvant pas, Qu'au moins de ta faveur je tienne le trépas. FLORIMANT. Dieux ! que j'en suis touché ! que sa voix a de charmes !Cesse de soupirer, épargne-moi des larmes,Et souffre qu'à tes pieds, adorable beauté,J'implore le pardon de ma légèreté, D'autres n'ont plus sur moi qu'un pouvoir inutile,Je ne m'oppose plus au dessein de Pamphile,Et je veux désormais t'aimer si constamment,Que rien n'égalera notre contentement ; JULIE. Ô Dieux ! l'heureux effet ! CÉLIANE. Avec quelles caresses Puis-je récompenser de si douces promesses ?Et toi qui m'as portée à cette invention ,Que je suis obligée à ton affection ! JULIE, parlant à Pamphile, et à Florimant. Voyez si mon esprit mérite des louanges,Étant le seul auteur de ces effets étranges, Céliane épiait sous ces faux vêtements,Si Nise était l'objet, qui causait vos tourments ;Et la reconnaissant, j'ai conçu cette feinte.Pour bannir d'entre nous la tristesse, et la plainte.Le Ciel a tellement favorisé mes voeux, Que rien n'est plus contraire au bonheur que je veux.Leurs crimes supposés, et leurs feintes caresses,Donnent à trois amants leurs premières maîtresses. PAMPHILE, à Nise. Heureuse invention : mais que m'ordonnes-tu,M'ayant vu (cher amant ) soupçonner ta vertu ? J'aurais trop peu de pleurs, pour laver cette offense,Si mon seul repentir servait à ma défense ;Mais tu m'as obligé toi-même à t'offenser,Et tu m'as fait faillir pour me récompenser. NISE. Bannissons, cher amant, toute mélancolie : Et rendons mille voeux à l'esprit de Julie. PHILIDOR, vient et dit à Julie. Je ne le trouve point ; JULIE. Le voici de retour ;Admire Philidor les effets de l'Amour,Tu promets de m'aimer, cet amant est à Nise,Mon frère à Céliane a rendu sa franchise , Elle a par ce bonheur recouvert sa raison,Si bien que notre joie est sans comparaison.Et nous voyant unis par ces trois mariages,Rien ne peut traverser la douceur de nos âges. PHILIDOR. Dieux ! quel miracle Amour fait paraître en ce lieu, Que je suis étonné du pouvoir de ce Dieu !Nous devons en ces lieux, pour ce triple mystère ,Lui faire autant d'autels qu'il en a dans Cythère,Et rendre sa bonté si célèbre aux Neveux.Que les plus froids un jour l'importunent de voeux. ==================================================