******************************************************** DC.Title = LES COUPS DE L'AMOUR ET DE LA FORTUNE, TRAGI-COMÉDIE DC.Author = QUINAULT, Philippe DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragi-comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 22/06/2022 à 06:08:54. DC.Coverage = Espagne DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/QUINAULT_COUPSDELAMOUR.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES COUPS DE L'AMOUR ET DE LA FORTUNE. DÉDIÉE À SON ALTESSE DE GUISE. TRAGI-COMÉDIE M. DC. LV. Avec Privilège du Roi. Par le sieur Quinault À PARIS, Chez GUILLAUME DE LUYNE, Libraire-Juré, au Palais, dans la Salle des Merciers, à la Justice.Achevé d'Imprimer pour la première fois le dernier Octobre 1655. Les Exemplaires ont été fournis. Représenté pour la première fois au Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne le 15 octobre 1665 MONSEIGNEUR, C'est avec une juste confusion, que j'ose vous choisir pour le glorieux Protecteur d'une Pièce de Théâtre, qui ne doit être considérable que pour avoir eu la gloire de paraître devant VOTRE ALTESSE, et de n'avoir pas eu le malheur de lui déplaire. Je ne cèlerai point que c'est le dernier ordre que j'ai reçu de feu l'Illustre Monsieur Tristan, qui s'est occupé toute sa vie à vous honorer dans ses Ouvrages, et qui jusqu'à la mort a reçu des marques de votre estime, et de votre libéralité. Il me souviendra toujours de la tendresse avec laquelle cet homme admirable à qui je dois tout ce que j'ai de connaissances dans les belles-Lettres, m'assura que vous auriez la bonté de ne me refuser pas votre protection ; et sans doute il ne s'est point trompé, puisque vous m'avez déjà fait l'honneur de me dire d'une manière toute charmante, que vous prendrez quelque soin de ma fortune. Je ne me servirai pas ici de la méthode ordinaire des Écrivains les plus estimés, qui ne manquent jamais de comparer les Personnes qu'ils honorent, aux Grands Hommes qu'ils introduisent dans leurs Écrits ; je vous abaisserais sans doute, au lieu de vous élever, si je prétendais chercher quelque rapport entre VOTRE ALTESSE et le héros de cette tragi-comédie. L'imagination la plus vive et la plus heureuse ne peut rien inventer qui soit du prix de votre Mérite. Et j'oserai seulement vous dire en vous offrant les COUPS DE L'AMOUR ET DE LA FORTUNE, que vous êtes le Prince du Monde le plus accompli, et pour qui l'Amour et la Fortune doivent faire les plus grands coups. Vous sortez d'une Maison si fameuse, que l'on ne saurait parcourir l'Histoire d'aucune Monarchie, sans y rencontrer celle de quelques-uns de vos illustres Ancêtres. Mais l'éclat de votre Naissance doit encore céder aux brillants de votre Personne. La Nature libérale a pris autant de soin pour favoriser VOTRE ALTESSE, que pour former le Grand Alexandre. Ce Conquérant célèbre, n'a jamais été ni plus brave ni plus charmant que vous, et vous ne serez pas un jour moins renommé, si vous n'êtes pas moins heureux que lui. Il est à croire que le dernier péril que vous avez bravé, sera le dernier de vos malheurs. La Fortune n'est pas moins inconstante dans ses rigueurs, qu'elle est inégale dans ses caresses ; et l'on doit s'assurer qu'elle vous sera bientôt autant favorable qu'elle fut autrefois contraire. J'ose espérer qu'alors vous aurez la bonté de souffrir que j'ajoute quelque éclat au bruit que fera la Renommée en faveur de vos grandes actions, et que je laisse à la Postérité des marques immortelles du Voeu que j'ai fait d'être toute ma vie avec un zèle peu commun, et des respects très profonds, MONSEIGNEUR, DE VOTRE ALTESSE, Le très humble, et très obéissant Serviteur, QUINAULT. ODE. Je prétends louer dans mes Vers Un PRINCE, à qui les Destinées Doivent un rang dans l'Univers Entre les Têtes couronnées. MUSES, mes divines Amours, De qui j'implore le secours Pour une Personne si chère, Quittez le liquide cristal Qui sort de votre Mont natal, Et me conduisez à portraire* D'un Art qui ne soit point vulgaire, Un HÉROS qui n'a point d'égal. Mais votre secours n'est pas loin, Je vous vois, Nymphes immortelles, Et pour m'assister au besoin Vous ne fûtes jamais si belles. Parlons d'un Style relevé Du PRINCE le plus achevé Qui parut jamais sur la Terre, Qui des Peuples, et de la Cour, Est l'Espoir, l'Honneur, et l'Amour, Qui peut passer pour un Tonnerre, Et n'est pas moins Dieu de la Guerre Que le Soleil est Dieu du jour. Ce HEROS brave et glorieux, Dont les charmes sont sans mesure, Reçut mille présents des Cieux, Et mille dons de la Nature. Son Coeur ne se peut comparer, Son Esprit se fait admirer Des plus Éclairés de la France : Bien qu'il ait la valeur de Mars, Des belles-Lettres, et des Arts, Il possède la connaissance, Et la grandeur de sa Naissance Brille jusques dans ses regards. Il descend de mille Guerriers, Dont la gloire n'est pas commune ; Son père a cueilli des Lauriers Jusques sur le front de Neptune. La Renommée à haute voix, Du bruit de ses fameux exploits A souvent frappé nos oreilles ; Mais ce Demi-Dieu sans pareil, Pour le Combat et le Conseil Après ses travaux et ses veilles, Effaça toutes ses merveilles Lorsqu'il produisit ce SOLEIL. La Fortune au Cerveau léger, Qui sans raison flatte, ou s'irrite, En l'affligeant, crut affliger La Vertu même, et le Mérite. Mais il a bravé son courroux D'un air qui doit apprendre à tous Que sa gloire ne peut s'accroître. César fit voir moins de valeur, D'esprit de force et de chaleur, Quand de Rome il devint le Maître ; Que ce PRINCE en a fait paraître Dans le plus fort de son malheur. La Seine, à son retour fatal, Le Corps nu jusqu'à la ceinture ; Lui fit de ses mains de cristal Une Couronne de verdure. Et comme elle la lui tendit, Sur ses Rives on entendit Qu'elle prononça des Oracles : La Nymphe en élevant sa voix Nous assura qu'en mille endroits Triomphant des plus grands obstacles, Il fera dans peu des Miracles, Qui feront soupirer des Rois. Crois en espoir comme en vigueur, (Dit-elle, à ce PRINCE admirable) La fermeté de ton grand Coeur Fait trembler le Sort qui t'accable. J'ai feuilleté tout ce matin, Le Livre secret du Destin Où j'ai trouvé tes aventures ; Les Astres de tes maux lassés, Doivent être bientôt forcés À rouler après tant d'injures, Pour tes prospérités futures Plus que pour tes malheurs passés. Tu dois si hautement porter La gloire de tes Destinées, Qu'en ta Vie on pourra conter Plus de victoires que d'années. Je vois des Aigles couronnés, Je vois des Lions déchaînés, Que d'abord ta Valeur étonne : Et qui d'épouvante surpris, Par la menace et le mépris, Que tu leur dois faire en personne ; De plus d'une illustre Couronne Te laissent les riches débris. La Nymphe en achevant ces mots Rentra dedans son Lit tranquille, Et par ces merveilleux propos Anima ce nouvel Achille. Cet Oracle fut écouté, Par l'inconstante Déité, Qui promit d'être favorable, Mais, PRINCE, suivant les clartés Et les brillantes qualités Qui vous rendent Incomparable, La Fortune n'est pas solvable Pour les biens que vous méritez. Portraire : Faire la représentation d'une personne avec le pinceau, la plume, le crayon, etc. [F] QUINAULT. LES PERSONNAGES. ROGER, Parent d'Aurore. GUSMAN, Écuyer de Roger. STELLE, soeur d'Aurore. LE COMTE D'URGEL. AURORE, Comtesse de Barcelone. LOTHAIRE, Comte de Roussillon. DIANE, soeur de Roger. LAZARILLE, Écuyer de Lothaire. ELVIRE, Suivante d'Aurore. CARLOS, Soldat de l'Armée d'Aurore. Suite. La Scène est à Barcelone. ACTE I. SCÈNE I. Gusman, Roger. GUSMAN. Ah ! Seigneur, par quel sort vous trouvai-je en ces lieux ? ROGER. Ah ! Gusman, quel destin te présente à mes yeux ? GUSMAN. J'allais dans la Castille, et ma course était vaine ; Que vous m'épargnez bien des pas et de la peine : Je partais pour vous joindre où je vous ai laissé, Et mon voyage est fait plutôt que commencé. ROGER. Depuis que je t'attends six Lunes sont passées. GUSMAN. Si j'ai failli, Seigneur, mes fautes sont forcées, J'étais dans Barcelone en état de partir Quand par mer, et par terre, on la fit investir, Et dans ce jour marqué, pour une conférence, [Note : Poste : Il se dit de l'établissement des relais, pour faire diligemment des courses et des voyages. [FC]][Note : Diligence : Faire diligence, se dépêcher, se hâter. [L]]J'allais prendre la poste et faire diligence. ROGER. Hé bien, en quel état est Diane ma soeur ? GUSMAN. Près la Princesse Aurore elle est dans la faveur : J'ai pour vous de sa part une Lettre importante Qui vous promet des biens qui passent votre attente. ROGER, lit. Mon frère, tout l'État se trouve désolé, L'injustice y fait voir l'innocence affligée ; Par les troupes de Stelle, Aurore est assiégée, Venez la soutenir dans son trône ébranlé. C'est à elle à qui le Sceptre appartient justement, Vous sortez de son sang, vous la devez défendre : Partez, et quelque emploi que vous puissiez prétendre Il ne vous coûtera qu'un souhait seulement.Diane. GUSMAN. Voulez-vous occasion plus belle ? ROGER. Tu m'apportes sans doute une bonne nouvelle, Je suis comblé de joie, et bénis ton abord. GUSMAN. J'apporte un autre avis qui vous déplaira fort. ROGER. Quoi, quel avis ? GUSMAN. Tenez pour maxime assurée Que la plus grande joie a le moins de durée. ROGER. Que sais-tu ? GUSMAN. Que qui suit la Fortune et l'Amour Gagne, perd, rit et pleure, au moins six fois par jour. ROGER. Dis-moi tout promptement, ta morale me choque. GUSMAN. Sachez que Léonor de votre amour se moque, Qu'avec elle Dom-Juan doit être marié. [Note : Herbe : Fig. et familièrement. Couper l'herbe sous le pied à quelqu'un, le supplanter. [L]]Et qu'il vous coupe enfin l'herbe dessous le pied. ROGER. Il faut s'en consoler. GUSMAN. Qui vous a fait si sage. ROGER. Depuis six mois entiers je sais qu'elle est volage, J'appris de Dom-Bernard qui vient chercher emploi Son amour pour Dom-Juan, et ses mépris pour moi ; Et laissant lors agir mon dépit et l'absence Mon changement de près suivit son inconstance. GUSMAN. Tant mieux, je n'aurai plus de Poulets à porter, Perdre beaucoup d'amour c'est beaucoup profiter. ROGER. La Fortune, Gusman, ne m'est pas si propice, En sortant d'un malheur j'entre en un précipice, Une Beauté nouvelle a troublé ma raison ; Et l'Amour seulement m'a changé de prison. GUSMAN. Quoi, depuis mon départ ? ROGER. Dans un combat tragique Des troupes de Castille et de celles d'Afrique, Le Prince d'Aragon s'étant trop avancé Se trouvait sans secours, et se sentait blessé, Lorsqu'avec quelque gens dont j'avais la conduite À ceux qui le pressaient je fis prendre la fuite ; Mais dans ma Tente à peine était-il arrivé, Que je le vis mourir après l'avoir sauvé ; Et qu'au point d'expirer, d'une voix demi-morte, Me donnant ce Portrait, il parla de la sorte. N'ayez après ma mort rien à me reprocher, Recevez de mes mains ce que j'ai de plus cher, De l'Objet que je sers, c'est la charmante Idole : À ces maux trois soupirs coupèrent sa parole, Et me firent douter en ce dernier effort Qui terminait sa vie ou l'Amour ou la Mort ; Ainsi vint dans mes mains cette image fatale, Et dès que j'observai les charmes qu'elle étale, Tous les feux dont ce Prince avait senti l'ardeur, Abandonnant son Âme entrèrent dans mon Coeur. GUSMAN. Votre amour, si j'osais dire ce que je pense, Avecque la folie a grande ressemblance ? Quoi, des traits qu'un Pinceau vous a su figurer Vous causent des langueurs, et vous font soupirer ; Et quelque peu d'émail de couleur et de gomme Font un si grand désordre au coeur d'un si grand homme ? Quand on perd la raison l'on a vos sentiments : Voilà ce que vous sert d'avoir lu des Romans. ROGER. Bien qu'à ce beau Portrait j'adresse mon hommage Ce n'est pas ce que j'aime, il n'en est que l'image, J'aime un autre Chef-d'oeuvre, et je suis enchanté De l'Objet qu'en ces traits l'Art a représenté, Juge si sa beauté mérite qu'on l'adore. GUSMAN. Je reconnais les traits de la Princesse Aurore. ROGER. Ne dois-je pas aimer un Objet si charmant. GUSMAN. Mais vous ne l'avez vu qu'en Portrait seulement. La Princesse au berceau fut portée en Espagne, Lorsqu'on la rappela nous étions en campagne, Et depuis quinze mois qu'on la voit de retour L'on ne vous a point vu paraître en cette Cour. ROGER. L'Amour surprend nos coeurs, et sait plus d'une voie Pour y porter ses feux et troubler notre joie, Aurore a tous les droits comme tous les appas, Des Dieux que l'on adore et que l'on ne voit pas : Je sais qu'elle est aimable, et mon âme charmée Ainsi que sa peinture en croit la Renommée, Cette prompte courrière avecque soin m'apprit Les charmes de son âme et ceux de son Esprit, Quand les visibles traits dont le Ciel l'a pourvue Dans ce Portrait fatal s'offrirent à ma vue ; Et ce fut lors qu'Amour, ce Maître si savant, En forma dans mon coeur un portrait tout vivant, Juge dans son parti combien je m'intéresse, Elle est ma souveraine, et de plus ma maîtresse, Je suis à la servir engagé doublement, Et comme son sujet, et comme son amant. GUSMAN. Mais comme bon sujet, et comme amant fidèle Vous deviez moins tarder à vous rendre auprès d'elle. ROGER. Je n'ai pas dû partir qu'il ne me fut permis D'abandonner l'Emploi que l'on m'avait commis. Enfin j'arrivai hier sans me faire connaître Pour servir au repos des lieux qui m'ont vu naître, Et dedans Barcelone enfin j'allais entrer Alors que le hasard nous a fait rencontrer. GUSMAN. Vous arrivez un jour qu'on a conclu la trêve, Et venez justement quand la Guerre s'achève ; Enfin sachez. ROGER. Je sais que tu peux bien savoir Qu'en ce lieu les deux soeurs se doivent entrevoir ? Que la Paix ou la Guerre y doit être conclue : Mais Stelle vient ; dans peu nous en saurons l'issue. SCÈNE II. Stelle, Le Comte, Roger, Gusman. STELLE. Je connais ma soeur, Comte, et n'attends point d'accord : Il faudra que la Guerre explique notre sort, Je ne puis lui céder le rang de Souveraine, Et pour vivre sujette elle a l'âme trop vaine : Mais avant qu'en venir aux derniers démêlés, Je consens à la voir puisque vous le voulez. LE COMTE. Je n'abuserai plus de votre confiance, Si la paix n'est conclue en cette Conférence ; Nous l'obtiendrons par force, et tous les miens sont prêts De périr avec moi suivant vos intérêts. STELLE. Vos soins n'obligent pas une Princesse ingrate. LE COMTE. Le seul bien de vous plaire est l'espoir qui me flatte, Vous avoir pu servir, c'est avoir combattu Pour la même Justice et la même Vertu ; Votre seule beauté dont j'adore l'Empire, Peut prétendre à régner sur tout ce qui respire ; Et de tout l'Univers aurait le premier rang, S'il pouvait s'acheter au prix de tout mon sang. STELLE. [Note : Dans l'original, l'entête de réplique porte ROGER, nous corrigeons pour STELLE.]Formez d'autres souhaits, il n'est point de couronne Que je n'aime toujours moins que votre personne, Et si notre parti demeurait le vainqueur, Vous auriez une Place au trône et dans mon coeur : Mais Aurore s'approche et ce bruit m'en assure, Voyons si le succès suivra ma conjecture. ROGER. Gusman, que j'ai de trouble en voyant tant d'appas ! GUSMAN. Puisqu'ils vous font du mal ne les regardez pas. ROGER. Ce mal me semble doux, j'aime sa violence ? GUSMAN. Ah ! Vous extravaguez. ROGER. Observe le silence. SCÈNE III. Aurore, Lothaire, Stelle, Le Comte, Roger, Gusman. AURORE. Ma soeur, pour notre accord nos communs Députés Déjà sans aucun fruit on fait plusieurs Traités ; Je sais, quelque pouvoir qu'une Princesse donne, Que son meilleur Agent peut moins que sa personne ; Et j'ai cru qu'il fallait en ces lieux nous trouver, Soit pour rompre l'accord ou soit pour l'achever. Je ne cèlerai pas d'une adresse inutile Que j'ai beaucoup d'horreur pour la guerre civile, Je ne puis sans remords voir pour nous désunis Le frère, le Germain, et le père, et le Fils ; Et le Sceptre en ma main affermi par les Armes Ne peut coûter du sang sans me coûter des larmes ; Essayons d'étouffer notre division, Écoutons la justice et non l'ambition, Et fuyant des grandeurs par le sang affermies, Commençons d'être soeurs, cessons d'être Ennemies. STELLE. Je souhaite, ma soeur, ce que vous souhaitez, Pour moi comme pour vous la Paix a des beautés ; Ce fut avec regret que j'entrepris la guerre Contre ma propre soeur, et dans ma propre terre, Et ce sera toujours avec ravissement Qu'on me verra signer notre accommodement ; Cet État m'appartient par droit héréditaire, Vous savez les Amours du Comte notre père : Notre mère commune ayant su l'embrasser, Ils s'aimèrent longtemps avant que s'épouser ; Et chacune de nous sait bien qu'elle fut née, Vous pendant leurs Amours, moi depuis l'Hyménée, Ainsi, grâce au destin des choses d'ici-bas, Je me vois légitime et vous ne l'êtes pas ; Et vous savez qu'enfin nos Lois et nos maximes Donnent tout l'héritage aux enfants légitimes ; Cependant comme soeur, je sais ce que je dois De la seule amitié je veux suivre la Loi, Et bien que tout l'État doive être mon partage, Je vous offre la paix avec un apanage. AURORE. Cette offre est trop injuste, et je puis me vanter Que j'ai droit de la faire et non de l'accepter, Le trône du feu Comte appartient à l'aînée De votre mère propre avant vous je fus née ; Et l'Hymen succédant à leurs feux clandestins Autorisa nos droits et jugea nos destins : Vous condamnez à tort l'Auguste Marguerite De qui toute l'Europe admira le mérite, Et lui devant le jour, avez-vous bien l'orgueil [Note : Les vers 191 et 192 ne sont pas ceux de l'édition 1655 qui ne mimaient pas avec ORGEUIL, le version 1660, les vers retenus sont ceux de l'édition de 1660.]D'attaquer sa vertu jusques dans le cercueil ? J'étais encore à naître alors que notre mère, Reçut secrètement la Foi de notre père ; Et puisque sur la Foi l'Hymen se doit fonder, Je naquis légitime et dois lui succéder. Vous savez que ce Prince avait encore à peine Reçu le dernier coup de la Parque inhumaine, Que les Grands du pays de sa perte troublés [Note : Incontinent : adv. de temps. Aussitôt, au même instant, sur-le-champ. [L]]Furent incontinent au Palais assemblés. Là chacun de nos droits eut connaissance entière, Chacun du Prince mort me nomma l'héritière, Condamna votre brigue et vous dût enseigner Que je suis votre Aînée, et que je dois régner : Mais bien que vous sachiez que malgré l'artifice J'ai toute l'équité, vous toute l'injustice, Que par mes mains le Sceptre a droit d'être occupé, Que s'il était à vous il serait usurpé ; Et qu'enfin je ne puis vous souffrir qu'avec honte, Sur un trône où nos lois ordonnent que je monte, Quelque juste que ce soit ce point d'honneur fatal, Je l'immole au repos de mon pays natal, Je veux par ma tendresse étouffer votre haine, Et vous traiter en soeur, et non en Souveraine. Mon amitié s'accorde à ne plus contester Ce que mon droit d'aînesse a lieu de vous ôter, Enfin suivant les lois que le sang nous inspire Unissons nos Esprits, et partageons l'Empire. ROGER. Gusman, peut-on former de plus justes souhaits. GUSMAN. Pouviez-vous mieux venir pour voir faire la paix. STELLE. J'admire votre adresse et bien plus votre audace, Vous parlez d'un partage ainsi que d'une grâce ; Il semble que ce soit seulement par pitié Que de mon propre État vous m'offrez la moitié. Je suis de ce pays légitime Princesse, Il m'est indifférent que votre haine cesse, Votre amitié m'outrage, et je n'y prétends rien, Puisqu'elle doit coûter la moitié de mon bien, Je prétends disposer de tout mon héritage On brise une Couronne alors qu'on la partage, Le trône en me portant a le poids qu'il lui faut, Et s'il vous soutenait il tomberait bientôt, Ainsi que mon bon droit votre injustice éclate Dans cet injuste Arrêt dont votre orgueil se flatte, Votre puissante brigue et vos riches présents Des Juges assemblés firent vos partisans ; Et j'aurais obtenu les mêmes avantages, Si j'avais lâchement mendié leurs suffrages. AURORE. Vous accusez à tort des Juges innocents, Mes légitimes droits furent mes Partisans ; Et si leur jugement vous a peu satisfaite, Accusez-en le Ciel qui vous fit ma Cadette. STELLE. Le Peuple à qui le Ciel a concédé les droits D'interpréter les Dieux et de créer les Rois, Par ses émotions a bien dû vous apprendre Qu'il révoque l'Arrêt que vous avez fait rendre. Que votre soin ne sert qu'à vous faire haïr, Et que ce n'est qu'à moi que l'on doit obéir. AURORE. Sachez que si le Peuple à mon règne s'oppose, Ses mouvements font voir l'équité de ma cause ; C'est un Monstre privé de tout discernement, Qui cherche le désordre avec aveuglement, Et qui s'émeut toujours, tant son audace est grande, Contre les Souverains dont il faut qu'il dépende : Mais enfin son courroux ne doit pas m'alarmer, Avec un seul regard je puis le désarmer. STELLE. Dans votre injuste orgueil soyez moins obstinée : La Couronne jamais ne vous fut destinée : Mon père ainsi qu'un fruit d'une honteuse amour Dès vos plus tendres ans vous bannit de la Cour, Et comme son opprobre et non comme sa fille Vous fit secrètement enlever en Castille. Vous le savez, ma soeur, et m'osez disputer Ce pays dont la loi vous doit déshériter, Et qui par un instinct que le Ciel lui suggère, Ne vous peut regarder que comme une étrangère. AURORE. Ce pays m'a vu naître et me doit regarder Comme celle aujourd'hui qui lui doit commander : Qui saura que je fus en Castille élevée, Saura que pour le trône on m'avait réservée. C'est là que l'on peut voir sur un trône brillant Ce que la Politique a de plus excellent ; C'est là qu'avec la plume on force les murailles, Que dans un cabinet on gagne des Batailles, Et c'est là qu'on eut soin de me faire enseigner Des secrets pour vous vaincre et l'art de bien régner. STELLE. Chez cette nation qui se croit indomptable, Vous n'avez rien appris qu'un faste insupportable, Si vous pouviez régner en ces lieux justement, Mon père l'eût marqué dedans son Testament. AURORE. [Note : Traverser : signifie figurément en Morale, Faire obstacle, opposition, apporter de l'empêchement. [L]]S'il eut jugé qu'un jour vous m'eussiez traversée, Il eut mieux expliqué sa dernière pensée ; Mon droit sur la Couronne est si juste et si clair Qu'il n'a pas cru devoir seulement en parler, Et l'Arrêt survenu vous doit faire connaître Que c'est pour m'obéir que le Ciel vous fit naître. STELLE. De cet Arrêt le sort me pourra consoler, Ma main à mon épée en prétend appeler, Nous saurons qui de nous doit régir cette terre, Et nos Juges seront la Fortune et la Guerre. AURORE. Par ces Juges souvent contre toute équité, Le parti le plus juste est le plus mal traité ; Mais quoi qu'en ce dessein votre espoir se propose, Vous devez craindre encor de perdre votre cause ; Pour vous chasser d'ici je ne manquerai pas De fidèles Sujets ni de braves Soldats : J'engage en mon parti des Princes redoutables, Et je trouve des Rois qui me sont favorables. STELLE. N'avez-vous souhaité de me voir en ces lieux, Que pour faire éclater votre audace à mes yeux, Loin d'attendre de vous cet orgueil qui m'étonne, J'ai cru venir ici reprendre ma Couronne. Je prétends régner seule et régler votre sort, Si vous n'y consentez ne parlons plus d'accord. AURORE. Hé bien je vous déclare une Guerre mortelle, Je saurai vous punir, soeur ingrate et rebelle. LE COMTE. Vous concevez, Madame, un espoir bien hautain, Le succès de la Guerre est toujours incertain, Et lorsqu'on est réduit à garder une place, Il n'est pas temps d'user d'orgueil et de menace ; C'est à Stelle à présent que l'espoir est permis De ne voir plus la peur qu'entre ses Ennemis Je suis Prince, Madame, et je porte une épée Qui peut lui redonner sa Couronne usurpée. LOTHAIRE. Pour un Comte d'Urgel vous parlez un peu haut, Vous fûtes repoussé dans le dernier assaut, Et l'on pourra forcer votre valeur extrême À s'exercer bientôt dans votre Pays même. STELLE. Comte de Roussillon, aurez-vous ce pouvoir ? AURORE. Un jour à vos dépens vous le pourrez savoir ? GUSMAN. Ma foi, nous nous battrons ? ROGER. Coulons-nous dans la presse Pour entrer dans la ville avecque la Princesse. STELLE. Il faut nous séparer pour conclure la paix, Je vous irai trouver jusqu'en votre Palais. AURORE. Je viendrai vous revoir. STELLE. Vous n'avez qu'à m'attendre. AURORE. Songer à décamper. STELLE. Songez à vous défendre. LE COMTE. Nous nous verrons, Lothaire. LOTHAIRE. Oui, pour votre malheur. STELLE. Craignez notre pouvoir. AURORE. Craignez notre valeur. STELLE. Je puis vaincre aisément. AURORE. Tremblez, tremblez encore. LE PARTI DE STELLE. Vive Stelle, Soldats. LE PARTI D'AURORE. Vive plutôt Aurore. ACTE II. SCÈNE I. Aurore, Diane. AURORE. Diane, c'en est fait, il faut vaincre ou périr, Ce n'est plus qu'à la force où je dois recourir : J'ai trois mille chevaux, et Lothaire s'apprête Pour les faire sortir et combattre à leur tête. DIANE. Lothaire peut beaucoup, il vous aime et vous plaint, Vos malheurs et vos yeux l'ont doublement atteint, Et c'est un grand secours qu'un Prince magnanime Quand la pitié le touche et quand l'amour l'anime. Si j'ose toutefois vous parler librement, Vous le traitez, Madame, un peu bien froidement, Depuis que sa valeur à vous servir s'emploie J'ai bien vu que ses soins vous donnent peu de joie, Et qu'un Astre contraire à son affection Dans votre âme pour lui jette l'aversion. AURORE. Ma Cousine, entre nous je le dirai sans peine, D'une autre passion mon âme est toute pleine, Lothaire vient trop tard, ses soins sont superflus, On ne peut disposer de ce que l'on n'a plus, Et l'Amour plus souvent de nos Coeurs prend naissance Par inclination que par reconnaissance. Tu sais bien qu'à Madrid dans un âge charmant Le Prince d'Aragon fut mon premier Amant, Et je t'ai confessé que cette même flamme Qui prit dedans mes yeux, retourna dans mon Âme Je me trouvai sensible et reçus à mon tour Cette langueur qui plaît et qu'on appelle Amour. DIANE. Ce Prince est mort enfin, et sa mort vous convie D'éteindre votre flamme aussi bien que sa vie ; Laissez, laissez en paix le dépôt d'un cercueil, Six mois pour un amant sont un assez long deuil : Sur ce qui n'est plus rien que pouvez-vous prétendre, Voulez-vous conserver des feux pour de la cendre ? AURORE. Je sais son aventure, et je n'ignore pas Qu'en un combat funeste il reçut le trépas : Mais quand pour ses malheurs mes yeux versent des larmes L'amour veut que mon coeur brûle encor pour ses charmes. Deux mois après sa mort, dans un jour assez beau, [Note : Nous fûmes baignés : nous sommes allés nous baigner.]Où nous fûmes baigner au bord d'un clair ruisseau, Je trouvai ce Portrait dont la chère imposture Semblait du Prince mort exprimer la peinture ; Et rencontrant des traits qui m'avaient pu charmer, L'image de ce Prince eut droit de m'enflammer. Mais admire, Diane, en quelle erreur étrange De mon cruel destin le caprice me range ; Depuis que dans mes mains ce Portrait est venu, Cet Objet qui m'est cher, n'a pu m'être connu, Et tout ce qui me flatte, est qu'en cette occurrence D'un Prince que j'aimais, j'aime la ressemblance. Enfin voilà le charme où mon coeur s'est rendu. DIANE. Je connais ce Portrait. AURORE. Ô Dieux ! DIANE. Je l'ai perdu. AURORE. Toi, Diane. DIANE. Oui, Madame, et ce fut, ce me semble, Un jour qui fut choisi pour nous baigner ensemble. Je puis vous éclaircir touchant l'original ; Votre Empire, Madame, est son pays natal : L'éclat de sa naissance et de ses Destinées Peut donner jalousie aux têtes Couronnées. Il est fameux, et brave, autant qu'il est charmant, C'est un homme admirable. AURORE. Enfin c'est ton Amant, Et par une aventure imprévue et fatale Pour confidente ici j'aurai pris ma Rivale. Tu vantes sa conquête, et je dois présumer Que tu t'estimes trop pour ne la pas aimer. DIANE. De cet homme en effet la personne m'est chère. AURORE. Mais quel est-il enfin ? DIANE. Madame, c'est mon frère. AURORE. Ton frère ! Dis-tu vrai, me voudrais-tu flatter ? DIANE. Ce Portrait est de lui, vous n'en pouvez douter. Je l'avais pour le rendre avec un peu d'adresse Aux mains de Léonor autrefois sa Maîtresse. Mais j'en perdis l'envie ayant vu clairement Qu'elle avait partagé les feux d'un autre Amant ; Et que mon frère après cette atteinte imprévue, Était loin de son Coeur autant que de sa vue. AURORE. Mais l'aime-t-il encor ? DIANE. Je n'en ai rien appris, Il perdrait son Amour, s'il savait ses mépris. Il avait pris déjà quelque emploi dans la guerre, Quand vous vîntes revoir votre natale Terre ; Et depuis n'étant point revenu dans ces lieux, Il n'a pas eu l'honneur de paraître à vos yeux. AURORE. En quel lieu peut-il être ? DIANE. Il est près de Séville Qui commande un grand Corps des troupes de Castille. AURORE. Auprès de nous, Diane, il faut le rappeler, Je brûle de le voir ; mais qui vient nous troubler ? SCÈNE II. Elvire, Diane, Aurore, Roger, Gusman. ELVIRE. Dom Roger de Moncade à la Porte nous presse, De l'admettre à baiser les mains de votre Altesse. DIANE. Mon frère. AURORE. Quel bonheur ! Qu'il entre promptement, L'émotion se joint à mon ravissement. Il vient, à son abord mon trouble renouvelle : Qu'il est bien fait, Diane ! ROGER. Ah ! Gusman, qu'elle est belle ! Madame, avec respect je viens vous présenter Un Bras qui pour vous plaire osera tout tenter, Et qui, si vous souffrez de vous en voir servie, Pour servir votre État, négligera ma vie. Je dois rougir, Madame, en tenant ce discours ; Ce que je vous présente est un faible secours ; Si j'étais souverain j'aurais l'Âme charmée De vous offrir mon Bras en tête d'une Armée. Bien qu'à mes sentiments mes destins soient meilleurs De prendre ici des lois que d'en donner ailleurs. AURORE. Soyez le bienvenu, Guerrier incomparable, Dont j'ai tant souhaité le retour favorable ! J'ai du plaisir de voir mes souhaits exaucés, Plus que je ne puis dire, et que vous ne pensez. Vous dissiper ma crainte en prenant ma querelle. ROGER. Je ne fais le devoir que d'un Sujet fidèle. AURORE. Vous sortez de mon sang, et je sais vos exploits, Des Sujets tels que vous peuvent devenir Rois. Mais faites-nous savoir toutes vos Aventures : Nous en avons reçu des nouvelles mal sûres : Surtout n'oubliez rien depuis votre départ ; Je suis votre parente, et j'y dois prendre part. ROGER. Je résiste à l'honneur qu'il vous plaît de me faire, Si j'osais obéir je pourrais vous déplaire, De vous rien déguiser c'est mal faire ma Cour, Pour parler de ma vie il faut parler d'Amour ; Et vouloir à vos yeux étaler ma faiblesse, C'est perdre le respect qu'on doit à votre Altesse. AURORE, à Diane. Il aime Léonor. DIANE. Il la devrait haïr. AURORE, à Roger. C'est me bien respecter que me bien obéir. Est-ce un illustre Objet qui cause vos alarmes, Faites-nous par avance un récit de ses charmes. ROGER. Amour, en ma faveur daigne lui révéler Que c'est de ses appas que je vais lui parler. J'adore une Beauté si charmante et si rare, En ses moindres attraits mon jugement s'égare. On connait à son air doux et majestueux Que sans doute elle sort, ou des Rois, ou des Dieux. Son port seul doit ravir, jamais Reine Amazone Avecque tant d'éclat n'a paru sur le trône ; Sa taille est admirable, et son divin Aspect Inspire également l'Amour et le respect : Son teint, où la Nature a paru si savante, Est des plus belles fleurs la peinture vivante, Et porte en même temps avec trop de rigueur De la neige à la vue, et des flammes au Coeur. L'or de ses beaux cheveux qui tant de Coeurs enlace, Mêle agréablement le désordre et la grâce, Et s'émouvant parfois, vient baiser sans dessein Les Roses de sa joue, et les Lys de son sein. Ses yeux noirs et brillants par leurs vives lumières Trouvent l'art d'éblouir les âmes les plus fières, Et par des traits charmants qu'on ne saurait parer, N'ont qu'à se faire voir pour se faire adorer. AURORE. Léonor dans ces traits n'est que trop bien dépeinte, [Note : L'édition originale porte ardant, nous remplaçons par ardent tel qu'en l'édition 1660.]Mon dépit est ardent et ma flamme est éteinte. Ce merveilleux objet vous doit beaucoup charmer. ROGER. Mes fortes passions ne peuvent s'exprimer : Depuis que j'ai reçu ses atteintes charmantes, Les plus rares beautés me sont indifférentes. AURORE. Enfin ne parlez plus touchant cette beauté, Vous m'en avez plus dit que je n'ai souhaité. ROGER. Qu'ai-je dit ? Qu'ai-je fait ? AURORE. Ce qui me doit déplaire. ROGER. Quoi ? Mon Amour, Madame ! AURORE. A causé ma colère. ROGER. Vous connaissez donc bien de qui je suis épris. AURORE. Vos discours indiscrets me l'ont assez appris. ROGER. Il vous a fait, sans doute, un aveu téméraire, Mais qui sait bien aimer, ne sait pas bien se taire. AURORE. Roger pour votre bien vous feriez beaucoup mieux D'éteindre pour jamais ce feu pernicieux. ROGER. Jusques à le châtier je pourrais me contraindre, Mais je mourrai, Madame, avant que de l'éteindre. AURORE. Votre peu de respect me fâche au dernier point. ROGER. Arrêtez. AURORE. Je ne puis, toi, ne me quitte point. ROGER. Veuillez entendre encor deux mots en ma défense. AURORE. J'ai trop ouï parler d'un amour qui m'offense. SCÈNE III. Roger, Gusman, Lothaire, Lazarille. LAZARILLE. À ce que je connais, Roger est mal en Cour. LOTHAIRE. Sans doute à la Princesse il a parlé d'amour. GUSMAN. Nous voilà bien chanceux ! LAZARILLE. Voyez comme il soupire. LOTHAIRE. Observe avec quel art je lui ferai tout dire, Seigneur, dans un moment je tiens mon sort bien doux De m'avoir fait choisir même parti que vous, Vous connaîtrez dans peu jusqu'à quel point j'honore Le premier des Héros, et le parent d'Aurore ; Je sais votre valeur et votre qualité. ROGER. Je ne mérite pas cette civilité. LOTHAIRE. Votre voix et votre air marquent quelque tristesse, Serait-ce un déplaisir qui vint de son Altesse : La Guerre dont sans doute elle craint le succès, Rend son esprit souvent chagrin jusqu'à l'excès. ROGER. N'eût-elle rien pour moi que mépris et que haine, Je dois me souvenir qu'elle est ma Souveraine, Et quelque aversion qu'elle m'ait su montrer, J'en croirais être digne osant en murmurer ; Il n'éteint point mon zèle, et ma plus chère envie Est de sauver son Sceptre aux dépens de ma vie. LOTHAIRE. On voit peu de Sujets si fidèles que vous : Aurore vous devait un traitement plus doux ; Vous deviez être exempt des traits de son caprice, Et l'on peut l'accuser d'erreur et d'injustice. ROGER. Non, non, Aurore est juste et me doit mépriser, Ce sont mes seuls défauts qu'il en faut accuser ; Cet objet merveilleux d'erreur est incapable : Il ne fait jamais rien qui ne soit équitable, Et son juste mépris fait voir qu'assurément Je ne méritais pas un meilleur traitement. LOTHAIRE. Une si haute estime est sans doute admirable. ROGER. Aurore à mon avis est toute incomparable, Dans un objet mortel la Nature et les Cieux N'ont jamais renfermé des dons si précieux : [Note : L'original porte nompareille au lieu de pareille, retenu pour lédition 1660.]Ils ont en sa faveur d'une adresse pareille Fait un effort dernier pour faire une merveille, Et n'ont jamais uni par de plus doux accords Une âme si brillante avec un si beau corps. LOTHAIRE, bas. De ton caprice, Amour, la rigueur est extrême ! L'on entend à regret estimer ce qu'on aime ! Et soit que l'on en dise ou du bien ou du mal, Un Amant en conçoit un déplaisir égal. ROGER. Elle a des qualités qui font assez connaître Que c'est pour commander que le Ciel l'a fait naître, Et qu'un Sceptre adoré du reste des humains, Ne saurait mieux tomber que dans ses belles mains. Stelle devrait céder la suprême puissance Au mérite d'Aurore autant qu'à sa naissance, Et ses yeux où du trône on voit briller les droits, Trouveront des Sujets entre les plus grands Rois. LOTHAIRE, bas. Son amour dans ces mots trop clairement s'exprime, Tâchons par nos mépris d'amoindrir son estime. ROGER. L'offre que ce matin elle a faite à sa soeur De son Âme Royale a fait voir la grandeur ; Ce doit être à sa gloire une marque immortelle, Pour montrer qu'elle est juste autant comme elle est belle ; Enfin c'est un miracle, il le faut avouer. LOTHAIRE. Comme vous je l'estime, et je la veux louer. ROGER. Elle a mille vertus dignes qu'on les admire. LOTHAIRE. C'est en dire beaucoup. ROGER. L'on n'en peut assez dire, On doit être charmé de ses moindres appas. LOTHAIRE. Vous en parlez trop bien. ROGER. Vous, vous n'en parlez pas. LOTHAIRE. Je sais dessus ce point ce qu'il faut que l'on pense, Et veux bien vous en faire entière confidence, Vous êtes trop vaillant pour n'être pas discret, Pour un si noble ami je n'ai point de secret, Comme à vous dans l'abord Aurore eut l'avantage De me faire estimer son Coeur et son Visage : Mais je suis mieux instruit, et le Temps m'a fait voir Qu'un mérite apparent m'avait su décevoir. ROGER. Lothaire, ce mépris me paraît fort étrange ! LOTHAIRE. Il est juste pourtant plus que votre louange, Quand vous aurez cessé d'être préoccupé, Vous verrez clairement que vous êtes trompé, Qu'Aurore n'eût jamais de charmes invincibles, Et qu'elle a des défauts qui sont assez visibles. ROGER. J'y trouverai toujours de nouvelles beautés : Mais je ne puis souffrir l'air dont vous la traitez. Aurore est sans défaut, et pour ne vous rien taire Je ferai repentir qui dira le contraire. LOTHAIRE. C'est à tort, sur ce point, que vous vous offensez, Aurore n'est point juste au point que vous pensez, Et tant d'honnêtes gens qui combattent pour Stelle, Font voir que l'équité se trouve en sa querelle, Je soutiens qu'ils ont prix le plus juste parti. ROGER. Et moi je soutiendrai que vous avez menti. LOTHAIRE, sortant l'épée à la main. C'est trop, ma retenue est enfin dissipée. SCÈNE IV. Aurore, Roger, Gusman, Lothaire, Lazarille. AURORE sortant de sa Chambre. Comment devant ma chambre oser tirer l'épée ! ROGER. Si j'ose vous parler. LOTHAIRE. De grâce, écoutez-moi ! ROGER. Vous ne vous plaindrez point ? LOTHAIRE. Vous connaîtrez ma foi. ROGER. Madame. LOTHAIRE. En m'écoutant, vous serez mieux instruite. ROGER. J'ai... AURORE. Lothaire, parlez, vous parlerez ensuite. LOTHAIRE. J'ai voulu hautement louer votre beauté, Et de votre querelle exprimer l'équité ; Mais lui par des mépris, que par respect je cèle ; Dit que vous n'êtes point équitable ni belle, Je n'ai su plus longtemps vous entendre outrager, Et j'ai tiré l'épée afin de vous venger. GUSMAN, à part. Peut-on mentir jamais avec plus d'insolence ? AURORE. L'aveu de vos mépris éclate en ce silence. Mon visage, Roger, a beaucoup de défauts, Et votre jugement, sans doute, n'est point faux ; Mais je ne comprends pas, quoi que je me propose, Pourquoi vous condamnez l'équité de ma cause, Vous que l'honneur engage à défendre mes droits, Et qui de mon parti semblez avoir fait choix. ROGER. Vos soupçons me font tort ; l'audace de Lothaire Trouble mon innocence et la force à se taire, Lui-même insolemment vient de vous mépriser, Il m'accuse au moment que je dois l'accuser : Il m'impute un forfait dont je suis incapable, Et se fait innocent lorsqu'il est seul coupable. AURORE. Vos excuses, Roger, ont peu de fondement. LOTHAIRE. Je vous ai dit la chose, et fort ingénument. ROGER, mettant la main sur son épée. Si nous étions en lieu, tel que je le désire, Vous voyez un témoin qui vous ferait dédire. AURORE. Je vous défends, Roger, d'avoir prise avec lui ! Ce Prince de mon trône est le plus ferme appui ; C'est s'attaquer à moi, qu'attaquer sa personne, Et sa perte serait celle de ma Couronne. LOTHAIRE. Roger n'est pas homme à redouter si fort, S'il m'ose offrir la guerre, il recevra la mort. ROGER. Si vos ordres exprès ne réglaient mon envie, La menace dans peu lui coûterait la vie. AURORE. Ces éclaircissements seraient trop hasardeux, Sans croire aucun de vous, je fais grâce à tous deux. LOTHAIRE. Après une bonté si touchante et si rare, Qui peut vous mépriser, est sans doute un barbare : Et quoi que je me trouve innocent en effet, Pour jouir du pardon, je prends part au forfait : Oui ; bien qu'injustement un insolent m'accuse, J'accepte votre grâce. ROGER. Et moi je la refuse. Qui reçoit un pardon et se dit innocent, Produit contre soi-même un indice puissant ; Et bien qu'un imposteur m'accuse avec audace, Je n'ai point fait de crime, et ne veux point de grâce. AURORE. Vous refusez ma grâce ! Hé bien je la reprends, Je vois de vos mépris des indices trop grands, Quoi que dessus ce point votre orgueil me dénie, Je ne dois plus douter de votre calomnie, Vous m'avez méprisée, et j'ai trop bien compris Que vous voulez encor soutenir vos mépris ; Votre Âme qui se plaît à me voir offensée, Au moindre repentir ne peut être forcée ; Ma grâce assurément vous donne de l'effroi, Vous auriez du regret d'être bien avec moi, Et que de mes bontés un excès magnanime Vous forçât de changer vos mépris en estime. ROGER. Vous avez pris à tort ces injustes soupçons. AURORE. Vous prenez mal le temps pour faire des leçons. ROGER. Écoutez-moi parler contre cette imposture. AURORE. Non, non, vous me diriez quelque nouvelle injure. ROGER. Sachez... AURORE. De votre part je ne veux rien savoir ; Et vous m'obligerez de ne me jamais voir. LOTHAIRE. Le temps approche où Stelle aura beaucoup d'alarmes, Votre Cavalerie est toutes sous les armes ; J'étais ici venu pour vous en avertir. AURORE. Allons, conduisez-moi, je vous verrai partir. SCÈNE V. Roger, Gusman. ROGER. Vois comme elle me fait, cette chère inhumaine, Le coupable a le prix, l'innocent a la peine ; Et lorsque mon respect attire son dédain, Un insolent reçoit son coeur avec sa main. GUSMAN. Monsieur, consolez-vous, c'est chose assez commune Que la Vertu soit mal avecque la Fortune ; Il faut quitter ces lieux où nous sommes haïs, L'on n'est jamais, dit-on, Prophète en son pays. ROGER. Ne me parle jamais de m'éloigner d'Aurore ; Toute ingrate qu'elle est, il faut que je l'adore, Malgré tous ses mépris au fort de ma douleur, J'accuse seulement Lothaire et mon malheur. GUSMAN. Mais que prétendez-vous ? ROGER. Ou me perdre, ou lui plaire, J'opposerai ma flamme au bonheur de Lothaire, Et nous pourrons savoir avant la fin du jour ; Qui doit vaincre ou céder, la Fortune ou l'Amour. ACTE III SCÈNE I. Gusman, Roger, dans le Jardin. GUSMAN. Ah ! Que de biens, Seigneur, que d'honneur et de gloire. ROGER. Ce succès est si grand que j'ai peine à le croire. GUSMAN. Avec cent cavaliers rompre mille chevaux. ROGER. J'ai dans ce grand exploit, fait voir ce que je vaux : Lothaire avec trois mille a fait moins de carnage ; Et de tous ces travaux tiré moins davantage. Mais en ce grand succès d'où naîtra mon bonheur, La Fortune a plus fait pour moi que ma Valeur ; En cette occasion et si chaude et si prompte J'ai pénétré d'abord au Pavillon du Comte, Qui se verrait possible entre mes prisonniers, S'il avait tenu ferme et plié des derniers. Rien n'a pu résister à notre noble audace, [Note : Main basse : Terme de guerre. Faire main basse, tuer sans recevoir à merci. ]Et dans cette chaleur où nous faisions main basse, Un homme m'a crié pâle et tremblant d'effroi ; Je me rends en vos mains, Seigneur, conservez-moi. Je puis vous assurer qu'en sauvant ma personne Vous gagnerez un prix qui vaut une Couronne. Cette haute promesse a fait hâter mes pas Pour le tirer soudain d'un fâcheux embarras, Et comme ma valeur l'a tiré de la presse, Il a par ce Coffret accompli sa promesse, Mais comme il se sentait blessé mortellement, D'une voix faible et basse il m'a dit seulement Du grand Comte d'Urgel je suis le Secrétaire, Qui d'un si grand trésor me fit dépositaire. De grâce publiez pour adoucir mon sort, Que je l'ai pour le moins gardé jusqu'à la mort. En achevant ses mots il chancelle, il expire. GUSMAN. Après avoir tant fait, qu'avait-il plus à dire ? ROGER. J'ai servi ma Princesse avec assez de fruit, Et ce fameux exploit va faire assez de bruit. GUSMAN. En venant apporter cette heureuse nouvelle, Vous avez avec vous un témoin bien fidèle : Cet Écrin tout rempli de larges Diamants Confondra l'artifice et les déguisements. ROGER. Oui, si dans ce jardin, comme je me propose, Je rencontre ma soeur pour lui dire la chose, Je la veux informer de ce coup glorieux, Et mettre entre ses mains ce dépôt précieux. Aurore qui paraît de soucis accablée, S'appuyant sur ma soeur, passe dans cette Allée, La crainte me saisit, cachons-nous en ces lieux, Elle m'a défendu de paraître à ses yeux. SCÈNE II. Aurore, Diane, Elvire. AURORE. Diane vois-tu bien comme il fuit ma rencontre ? DIANE. Il se cache, il est vrai ; mais son respect se montre. AURORE. Ici l'aversion peut passer pour respect. DIANE. Et le vrai pour le faux à qui tout est suspect. AURORE. Mais il pouvait passer avec moins de vitesse. DIANE. Mais il voulait garder l'ordre de votre Altesse. C'est par commandement qu'il détourne ses pas, Et vous le blâmeriez s'il ne le faisait pas. Le ferai-je appeler sans tarder davantage ? AURORE. Plutôt mourir cent fois qu'il eût cet avantage. DIANE. Vous remettriez la joie en un coeur affligé. AURORE. Je ne veux rien du tout en un coeur partagé ! DIANE. Sans doute vos soupçons lui font un tort extrême. AURORE. Mais si j'étais sa soeur, je dirais tout de même, Je voudrais le servir, je voudrais l'excuser, Et porter tout le monde à le favoriser. Dans ses chers mouvements qu'inspire la Nature, On va jusqu'au mensonge et jusqu'à l'imposture, De Lothaire tantôt je n'ai que trop appris Que Roger n'a pour moi que haine et que mépris, Et tout son procédé trop clairement exprime, Qu'il n'a pour Léonor que tendresse et qu'estime. Ce que tu dis pourtant, passe en mon souvenir Comme un songe plaisant que je veux retenir ; Par obligation je dois aimer Lothaire, Par inclination, je penche vers ton frère ; Et cette émotion qui vient du Firmament Est plus forte cent fois que mon raisonnement. Mais le sommeil me presse, et de notre sortie Le soin jusqu'à présent m'a toujours divertie, Je veux un peu dormir dessus ce gazon frais, Sue qui ces verts rameaux font un ombrage épais. DIANE. Vous plaît-il que l'on chante un air qui soit capable D'introduire en vos sens ce sommeil agréable ? AURORE. Il est bien à propos, Diane, prends ce soin ! Qu'il n'entre ici personne et qu'on chante un peu loin. CHANSON. Amour détache ton bandeau Pour voir l'ouvrage le plus beau Qu'ait jamais formé la nature ; On y voit briller tant d'appas, Que les seuls traits de sa peinture Pouvaient ébaucher mon trépas. Ô vous ; dont la vaine splendeur Voudrait contester de grandeur Avec la beauté que j'adore, Vos travaux n'auront point de fruit, L'éclat d'une si belle Aurore Éteint tous les Feux de la Nuit. SCÈNE III. Aurore, Elvire, Lothaire. ELVIRE. Ha ! Seigneur, n'entrez point, la Princesse repose ! LOTHAIRE. Elvire ! De ma part ne crains aucune chose. ELVIRE. Vous lui pourrez tantôt parler plus à propos. LOTHAIRE. Laisse-moi, je saurai respecter son repos : Je ne troublerai point une beauté si chère, Mes souhaits les plus doux ne tendent qu'à lui plaire. J'attendrai son réveil, prenant ici le frais ; L'on excuse un Amant, avançons-nous plus près. Mais prenons-lui ses fleurs, afin que leur absence L'instruise à son réveil de notre diligence. Je veux écrire ici des vers sur ce sujet, Qui ne déplairont pas à ce charmant objet. Il écrit sur des Tablettes.Laissez-moi ces fleurs en partage, L'éclat de votre beau visage Ternit leurs plus vives couleurs, N'en trouvez point la perte étrange, Celui qui vous ôte des fleurs, Vous laisse son coeur en échange. Ces vers à mon avis ne sont pas mal tournés. Il n'est rien d'impossible aux coeurs passionnés, Il ne faut point tracer mon nom sous ces fleurettes, Elle reconnaîtra sans doute mes Tablettes ; Posons-les, et de peur de troubler son sommeil Dans ce beau promenoir attendons son réveil. SCÈNE IV. Aurore, Roger, Gusman. GUSMAN, sortant d'une allée. Je le vois. ROGER. Que vois-tu ? GUSMAN. L'objet de votre haine, Lothaire qui tout seul dans ces lieux se promène, Il cherche la Princesse. ROGER. Il n'en faut point douter.Je sens en le voyant mon courroux s'augmenter, Et s'il avait l'orgueil de m'aborder encore, Je pourrais oublier les défenses d'Aurore. GUSMAN. J'aperçois la Princesse. ROGER. Évitons son abord. GUSMAN. Elle est seule. ROGER. Il n'importe. GUSMAN. Arrêtez, elle dort. ROGER. Elle dort ? GUSMAN. Approchez. ROGER, regardant Aurore. Merveille que j'adore ! Vous qui réveillez tout, vous dormez belle Aurore ! Et toutes les beautés, les charmes les plus doux, Les Grâces, les Amours dorment avecque vous. Mais qui peut auprès d'elle avoir mis ces tablettes, Ces vers de mes soupçons seront les interprètes,Regardons ce que c'est. Après voir lu.Vers assez peu censés De ce feuillet ici vous serez effacés ! Et je suis obligé d'en mettre à votre place, Qui se présenteront avecque plus de grâce. Le plus fidèle des Amants Vous a donné ces diamants Qui brillent moins que sa flamme ; Et sans rien exiger de vous, Il borne ses voeux les plus doux, À vous donner encor son âme. Laissons avec ces vers ce coffret précieux, Afin qu'à son réveil elle y porte les yeux : Ma soeur qui connaîtra d'abord mon écriture, Lui pourra sur ce fait donner quelque ouverture ; Et nous viendrons après son commandement Lui conter en détail ce grand événement. Elle s'éveille ; ô Dieux ! Quelle rigueur extrême De se voir obligé de fuir ce que l'on aime. SCÈNE V. AURORE, éveillée. Aimable et doux sommeil qui me pressais les yeux, Tu n'es jamais d'accord avec l'Astre des Cieux ! Tandis qu'il rend les Monts et les Plaines fertiles, Il sèche ses Pavots et les rend inutiles. Je ne puis plus dormir, le chaud et la clarté Bannissent de mes sens le repos souhaité. Aussi bien ma grandeur se trouve intéressée Au succès de l'exploit qui règne en ma pensée. Mais qu'est-ce que je tiens, et qu'est-ce que je vois ? D'où me vient cet Écrin ? Fille qu'on vienne à moi ! Ce que je trouve ici, me surprend et m'étonne : Tandis que je dormais, n'est-il entré personne. SCÈNE VI. Elvire, Aurore. ELVIRE. Lothaire seul, Madame, a pris la liberté D'entrer en ce Jardin contre ma volonté. AURORE. Sans doute c'est à lui que je suis redevable D'un présent si galant et si considérable ; Je dois m'en assurer, c'est le fidèle Amant, Par qui les bons succès m'arrivent en dormant Ces Tablettes aussi me sont assez connues, Lothaire près de moi souvent les a tenues : Il faut les feuilleter, possible qu'à les voir, J'apprendrai de sa main ce que je veux savoir. Je ne vois que des vers, lisons à sa Princesse Lothaire veut partout faire voir son adresse. Le plus fidèle des amants Vous a donné ces diamants Qui brillent moins que sa flamme ; Et sans rien exiger de vous, Il borne ses voeux les plus doux, À vous donner encor son âme. Ô Fortune ! Il fallait que pour bien m'obliger Ces vers et ces faveurs me vinssent de Roger. L'offense qu'il m'a faite, en serait effacée, À suivre mes désirs je me verrais forcée ; Je perdrais des soupçons que je garde à regret, Je ne haïrais plus ce que j'aime en secret ; Cet Objet à la fois d'amour et de colère, Qui tout ingrat qu'il est, ne me saurait déplaire : Et je ne serais pas réduite à caresser Un Prince qu'on ne peut assez récompenser. Mais qui par un instinct qui n'est pas concevable, Tout obligeant qu'il est, ne peut m'être agréable, Ce charmant importun. Mais, ô Dieux le voici ! SCÈNE VII. Lothaire, Aurore, Elvire. LOTHAIRE. Madame, j'attendais votre réveil ici, À dessein de vous faire un récit véritable D'une expédition dont je suis responsable. Nos gens ayant d'abord enlevé deux quartiers, Avaient déjà battu des Régiments entiers. Quand le Comte suivi d'une troupe aguerrie, Rallia les trois parts de la Cavalerie, Lors les voyant marcher en un ordre meilleur, Opposant en tous lieux le nombre à la valeur : Enfin nous avons fait une retraite utile De peur d'être coupés du côté de la ville, Où nos gens par l'effort de votre heureux destin, Sont rentrés tous couverts de gloire et de butin. AURORE. Ce récit est rempli de trop de modestie ! Du succès de vos soins je suis bien avertie, Et d'illustres témoins m'ont déjà fait savoir Que pour m'en acquitter je manque de pouvoir. LOTHAIRE. Si le sort eût voulu seconder mon courage, J'eusse obtenu sans doute un plus grand avantage : Mais quand j'aurais pour vous su vaincre entièrement, Je serais trop payé d'un regard seulement. AURORE. Ne désavouez point le bien que vous me faites : Quoique vous en disiez, j'en croirai vos Tablettes. LOTHAIRE. J'ai pris la liberté d'y tracer quelques vers. AURORE. C'est par eux que vos soins m'ont été découverts ; Mais d'où vient que ces fleurs en vos mains sont tombées ? LOTHAIRE. Pendant votre sommeil je les ai dérobées. AURORE. Je souffrirai toujours des larcins à ce prix, Vous m'avez plus donné que vous ne m'avez pris : Je sais bien à quel point je vous suis redevable, Je dois nommer faveur cet échange agréable. LOTHAIRE, à part. Ô bonté sans égale ! Elle appelle faveur Le vol de son bouquet et le don de mon coeur. AURORE. Vous faites l'étonné. LOTHAIRE. Votre bonté m'étonne. Vous faites trop d'état du peu que je vous donne. AURORE. Ce que vous me donnez, a droit de me charmer. LOTHAIRE. Qu'entends-je ? Mon bonheur se peut-il exprimer ? AURORE, montrant l'écrin. C'est vouloir enchérir sur les Galanteries, Que de payer des fleurs avec des Pierreries, Elles viennent de vous ; ne me le celez plus. LOTHAIRE. Ô Dieux que vois-je ? AURORE. En vain vous faites le confus, Ce sont à mon avis des marques éclatantes Que vous avez forcé les principales Tentes. LOTHAIRE. Cet amas de brillants serait plus précieux, S'il avait tout l'éclat qui sort de vos beaux yeux. AURORE. Afin de m'obliger par des faveurs discrètes, Vous l'avez ici mis avecque vos tablettes, Le Butin est fort rare et le Trait fort galant, Toutes vos actions n'ont rien que d'excellent : Assurez-vous qu'Aurore est fort reconnaissante : Mais d'où vient que Roger à mes yeux se présente ? LOTHAIRE. Il approche, et votre ordre est assez mal gardé. SCÈNE VIII. Roger, Gusman, Aurore, Lothaire. AURORE. Qui vous amène ici ? Vous ai-je demandé ? ROGER. Madame, un attentat horrible vous regarde, Qui de m'offrir à vous fait que je me hasarde. Près du mur du Jardin marchant au petit pas, Je viens d'ouïr des gens qui parlaient assez bas : Le mur nous séparait et par une merveille, Ces mots plus élevés ont frappé mon oreille. Oui sur ce stratagème il se faut arrêter ; La chose est bien conclue, il faut l'exécuter, Par là, Stelle est vengée, et sa soeur est détruite, Il faut qu'elle périsse, elle et toute sa suite ; J'ai fait lors un effort pour voir les assassins Qui forment contre vous de si cruels desseins : Mais par un grand malheur la muraille ébranlée, S'est entre mes deux mains par le haut écroulée, M'a fait choir avec elle, et ne m'a pas permis De saisir ni de voir vos secrets ennemis. AURORE. Cet avertissement est si fort ridicule, Qu'il n'étonnerait pas l'esprit le plus crédule. Comment peut-on parer de pareils attentats, Et se garder de gens que l'on ne connaît pas ? Je serai redevable à vos amis fidèles Quand vous m'apporterez de meilleures nouvelles Lorsque vous aurez fait quelque grande action, Dont le récit réponde à notre attention. ROGER. Vous serez redevable à mes amis fidèles, Quand je vous porterai de meilleures nouvelles ; Et lorsque j'aurai fait quelque grande action Dont le récit réponde à votre attention ? Princesse je réclame ici votre Justice, Est-il rien de plus grand que mon dernier service ? Pendant votre sommeil près de vous j'ai remis Ce butin que j'ai fait entre vos ennemis ; Pourriez-vous démentir ce brillant témoignage, Qui fait voir où mon zèle a porté mon courage ? AURORE. Vous prétendez sans doute augmenter mon courroux, Ce présent m'est venu d'un plus vaillant que vous. Aux faciles esprits l'on peut tout faire croire : Mais ce n'est pas ainsi qu'on acquiert de la gloire. ROGER. Pouvez-vous soupçonner mon courage et ma foi ? En faisant tout pour vous, n'ai-je rien fait pour moi ? Et ce riche trésor où ma valeur s'exprime, N'a t-il pas mérité seulement votre estime ? AURORE. Pensez-vous m'abuser par ces déguisements ? GUSMAN, à part. Il est bien satisfait de tels remerciements. ROGER. Par quel charme faut-il que mes travaux pénibles Ne recueillent pour fruit que des douleurs sensibles : Et qu'enfin ma valeur ne reçoive autre prix Que les rigoureux traits d'un injuste mépris ? AURORE, à Lothaire. Hé bien qu'en dites-vous ? LOTHAIRE. L'insolence est extrême. ROGER. Ce que je dis, Madame, est la vérité même. J'ai pris ces diamants. AURORE. Et moi je n'en crois rien, Ils viennent de Lothaire, et je le sais fort bien : Ne vous obligez pas à dire le contraire, À moins que de vouloir redoubler ma colère. ROGER. Malgré votre injustice et mon ressentiment, Je vous obéirai, Madame, aveuglément ; Je souffrirai qu'un lâche en bonheur me surmonte, Et qu'il ait tout l'honneur et moi toute la honte : Mais s'il faut pour vous plaire être fourbe et sans coeur Je dois vous obéir sans espoir de faveur. Moi qui suis ennemi des moindres artifices, Et qui jusqu'à la mort vous rendrai des services. LOTHAIRE. Il croit que ces discours pourront vous décevoir. AURORE. Non, non, j'ai trop de joie à ne lui rien devoir. LOTHAIRE. Pour vous tromper sans doute, il prend mal ses mesures, Vous ne vous laissez pas surprendre aux impostures. ROGER. Quoi de tous mes travaux vous étant fait l'auteur, Osez-vous bien encor me traiter d'imposteur ? AURORE. C'en est trop, c'en est trop, ma patience est lasse De voir joindre à mes yeux le mensonge à l'audace. Sortez. ROGER. Cette rigueur m'étonne au dernier point. AURORE. Retirez-vous, vous dis-je, et ne répliquez point. ROGER. Ma valeur parlera, quand vous me ferez taire. AURORE. C'est trop perdre de temps, ramenez-moi, Lothaire. SCÈNE IX. Roger, Gusman. ROGER. Ha cruelle Princesse, à qui tout semble dû ; C'est pour moi seulement que le temps est perdu ! Ô rigoureux mépris ! Ô dures barbaries. GUSMAN. Ma foi l'on a fort mal payé vos pierreries. Aurore est mal apprise, et ces beaux Diamants Valaient bien tout au moins quelques remerciements : Mais il n'écoute point. ROGER. Poursuis divine Aurore ! Soit plus méconnaissante et plus injuste encore ; Donne plus d'étendue à cette cruauté Qui pour moi se rencontre égale à ta beauté. Et deviens, s'il se peut, plus fière et plus cruelle Que tu n'es à mes yeux noble, charmante et belle. Toutes ces cruautés ne m'empêcheront pas De te servir partout jusques à mon trépas ; De prodiguer toujours mon sang pour ta querelle, Et d'affermir enfin ton trône qui chancelle. Suis-moi, cherchons ma soeur, et faisons un effort Pour vaincre mon malheur, ou pour hâter ma mort. ACTE IV SCÈNE I. Roger, Aurore. ROGER, posant Aurore évanouie sur un gazon, après l'avoir retirée du Palais qui paraît embrasé. Enfin grâce à l'amour, j'ai sauvé de la flamme Celle qui fit entrer tant de feux dans mon Âme ! Mais, ô de tant de soins fatal événement ! Cette rare beauté reste sans mouvement, Et tous mes vains efforts dans ces débris funestes, D'un objet si charmant n'ont sauvé que les restes ; Les Astres de la nuit par leurs sombres clartés Ne me font que trop voir ces tristes vérités ; Ses appas ont perdu leur grâce accoutumée, Sa bouche sans couleur est à demi fermée, Ses charmes sont éteints, et la Mort à son tour Triomphe insolemment, où triomphait l'Amour ! Ô Destins ennemis, eût-on pu jamais croire Que vous m'eussiez réduit à détester ma gloire, Et sentir des douleurs pires que le trépas, Après m'avoir fait voir Aurore entre mes bras ! Faut-il qu'une beauté si charmante et si fière Dans un embrasement perde ainsi la lumière ? Elle qui savait l'art de s'émouvoir si peu Alors que ses beaux yeux mettaient les coeurs en feu : Mais c'est trop quereller les Destins de sa perte, On doit me l'imputer, puisque je l'ai soufferte ; J'ai dû pour conserver le fil de ses beaux jours, Prévoir mieux son péril et hâter mon secours, Et mon retardement qui lui coûte la vie, Est une trahison qui doit être punie : Je me suis fait coupable en la laissant périr, Pour elle j'ai vécu, pour elle il faut mourir, Et joindre avec ce fer pour signaler ma flamme, Mon trépas, à sa mort, et mon âme à son âme : Toutefois différons ce dessein d'un moment : Je n'ai fait de sa mort qu'un douteux jugement, Possible par bonheur qu'elle n'est que pâmée. Ce peut être un effet de la seule fumée. Aucuns de ses habits ne se trouvent brûlés, Et ses esprits pourront être encore rappelés : Mais je mettrais fort mal ce secours en usage, Cherchons quelqu'un des siens sans tarder davantage, Et venons dans ces lieux après, au gré du sort, Ou lui rendre la vie, ou me donner la mort. Il sort. SCÈNE II. Lothaire, Lazarille, Aurore. LOTHAIRE. Ton effort vainement s'oppose à mon envie, Puisqu'Aurore n'est plus, je dois perdre la vie ; Et pour me réunir au sujet de mon deuil, De ce Palais en feu faire au moins mon cercueil ; Ô Funeste accident. LAZARILLE. Qu'avez-vous à vous plaindre ? Dans ce Jardin, Seigneur, nous n'avons rien à craindre, Et de ce grand Palais l'embrasement fatal Ne doit point faire ici ni de peur ni de mal. LOTHAIRE. Ha ! C'est trop justement que la douleur m'emporte, Ne m'as-tu pas conté que la Princesse est morte ; Ne m'as-tu point appris que cet objet charmant Se trouve enveloppé dans cet embrasement ? Et que déjà partout le bruit vient de s'épandre, Qu'un chef-d'oeuvre n'est plus que de la cendre ? LAZARILLE. Seigneur c'est un malheur qu'on ne pouvait celer, Et dont le seul remède est de s'en consoler. LOTHAIRE. Peut-on se consoler d'une telle disgrâce ? Mais retourne à la ville et vois ce qui s'y passe, Sans doute que ce feu vient de nos ennemis, Et qu'on doit redouter quelque chose de pis. SCÈNE III. Lothaire, Aurore. LOTHAIRE. Enfin je me vois libre, et je puis sans contrainte Suivre le désespoir dont mon Âme est atteinte.Ne faisons point ici de regrets superflus : Il faut, il faut périr, Aurore ne vit plus. Le trépas fait ma perte, il faut qu'il m'en console : Qu'il joigne encor ma vie au trésor qu'il me vole, Et que pour assouvir pleinement sa rigueur, Il triomphe d'Aurore au milieu de mon coeur ! Ô Dieux ne vois-je pas l'ombre de cette Belle ! Qui vient de ses Amants revoir le plus fidèle. Non, je suis abusé : ce n'est que son beau corps, Et son Âme est déjà sans doute entre les morts ! Ô trop infortunée et trop aimable Aurore ! Console d'un regard un Amant qui t'adore : Mais en vain je lui parle, elle est sourde à ma voix, Je la recouvre ensemble et la perds à la fois ; Je la trouve, il est vrai : mais je la trouve morte. Quand je me crois guéri, ma douleur est plus forte, Et j'apprends à l'objet d'un si cruel trépas, Qu'il m'eût été plus doux de ne la trouver pas. Son malheur par mes cris ne deviendra pas moindre. Attends Aurore, attends, je m'en vais te rejoindre. Et ce fer par mes mains va punir ton Amant, D'avoir après ta mort vécu plus d'un moment. Aurore belle Aurore ! AURORE, revenant de sa pâmoison. Où suis-je et qui m'appelle ? LOTHAIRE. Celui pour qui vos maux sont une mort cruelle, Qui vient rendre vos jours non les siens assurés, Qui vit si vous vivez, qui meurt si vous mourez ; Et qui jusqu'au Tombeau s'obstinait à vous suivre, Vous croyant déjà morte, allait cesser de vivre. AURORE. C'est donc à vous Lothaire, à qui je dois le jour ! Vous ne pouviez jamais marquer mieux votre Amour ! Ô miracle inouï, que je ne puis comprendre ! Quel autre qu'un Amant aurait pu l'entreprendre ? Amour pour un dessein si grand, si périlleux, Il faut trouver un coeur échauffé de ses feux ! Vous qui pouvez prétendre à plus que vous ne faites, Apprenez qui je suis m'ayant dit qui vous êtes ; Je suis celle qui croit devoir tout à vos soins ; Celle qui donne plus quand on attend le moins, Dont le coeur est sensible à la reconnaissance, Qui s'impute à bonheur votre persévérance, Qui vous doit son salut, qui ne vit que par vous, Qui croît que votre amour a fait se si grands coups, Et confesse qu'après cette action sublime, Elle doit quelque chose au-delà de l'estime. LOTHAIRE. Elle se trompe fort, secondons son erreur. Un mensonge amoureux ne me fait point d'horreur. Ce discours obligeant paye avec trop d'usure, Ce que j'ai fait pour vous en cette conjecture. AURORE. Sachez que votre prix passera votre espoir. LOTHAIRE. Je sais que qui vous sert, ne fait que son devoir. AURORE. Mon salut ne vient pas d'une valeur commune. LOTHAIRE. Ma valeur a moins fait que ma bonne fortune : J'entends du bruit. SCÈNE IV. Diane, Lothaire, Aurore. DIANE. Madame, ô Dieux ! Par quel bonheur ? De vous baiser les mains ai-je encore l'honneur. AURORE. Diane, mon salut, de Lothaire est l'ouvrage, Admire son amour, admire son courage : Sitôt que cet horrible et prompt embrasement Commença d'éclater dans mon appartement, Dedans un cabinet, où j'étais renfermée J'aperçus tout à coup une épaisse fumée, Et surprise des cris qu'on me faisait ouïr La fumée augmentant me fit évanouir ; Et si Lothaire enfin m'eut lors abandonnée, La flamme eut achevé ma triste destinée : Juge avant qu'il ait pu jusqu'ici m'enlever Quels horribles périls il aura su braver. DIANE. Sa mort en ce dessein devait être infaillible. LOTHAIRE. Pour un homme amoureux il n'est rien d'impossible. AURORE. Je vous conjure encore en ce pressant besoin, D'empêcher que le feu ne s'étende plus loin, Joignez à mon salut la sûreté publique. LOTHAIRE. Lorsque vous commandez j'obéis sans réplique. AURORE. Ma perte était certaine en un si grand danger Si j'avais attendu le secours de Roger ; Et peut-être en lieu sûr d'une âme indifférente Il songe qu'à présent je suis morte ou mourante. SCÈNE V. Roger, Elvire, Gusman, Aurore, Diane. ROGER. Vous vivez, ma Princesse, et les Cieux courroucés Ont donc en cet instant tous mes voeux exaucés. Se peut-il que vivante encor jr vous revoie, J'allais mourir d'ennui, je vais mourir de joie. AURORE. Je vis encor, Roger, mais savez-vous comment J'évite la fureur de cet embrasement ROGER. C'est de moi seulement que vous pourrez l'apprendre. AURORE. Votre avis me surprend. ROGER. Il doit bien vous surprendre, Le feu comme vainqueur dans le Palais logé, Dans votre appartement avait tout ravagé ; Les plus riches lambris par cent gueules béantes Vomissaient vers le Ciel des flammes pétillantes, Lorsqu'étant accouru pour vous en dégager, Mon désir fut accru par l'horreur du danger, Malgré l'obscurité d'une épaisse fumée, Et le mortel effroi de la flamme allumée, Sans en être étonné que pour vous seulement Je me suis fait passage dans votre appartement. AURORE. Où m'ayant aussitôt trouvée évanouie, Et surpassant du feu la vitesse inouïe, Vos bras de ce fardeau s'étant voulu charger M'ont conduite en ces lieux éloignés du danger. ROGER. Il n'est rien de plus vrai. AURORE. Votre audace me fâche, Il n'est rien de si faux qu'un mensonge si lâche. ROGER. D'où vous naît ce courroux ? AURORE. Vous feignez assez bien À faire le surpris vous ne gagnerez rien. ROGER. Doutez-vous ? AURORE. Non, je sais que je serais sans vie Si j'avais attendu que vous m'eussiez suivie. ROGER. Quoi vous pourriez penser ? AURORE. Que vous m'estimez peu Que vous aimez la vie, et craignez bien le feu ? Que Lothaire est celui qui m'en a préservée. ROGER. Lothaire dites-vous ? AURORE. Oui, lui seul m'a sauvée Lorsque si lâchement vous me laissiez périr, Et sans vous émouvoir, et sans me secourir ; Lui qui n'est qu'étranger, et de qui la naissance Ne l'intéressait point à prendre ma défense, Qui sans paraître ingrat, lâche et mauvais parent, Pouvait voir mon trépas d'un oeil indifférent ; Lui seul bravant l'horreur d'une mort assurée M'a généreusement des flammes retirée : L'estime que j'en fais semble vous irriter, Puisqu'il brave la flamme, il est à redouter. ROGER. Quoique pour vous sauver mon courage ait pu faire Vous ne me devez rien. AURORE. Je dois tout à Lothaire, Je le reconnais seul pour mon libérateur, Vous pour mauvais parent, et pour lâche imposteur. ROGER. Est-ce lui qui le dit ? AURORE. [Note : L'original porte "Mon Roger", cette familiarité entre les deux personnages est peu vraisemblable.]Non Roger, c'est moi-même : ROGER. Je me tais ; car pour vous mon respect est extrême, À d'éternels mépris je me sens destiné, [Note : Nous retenons le version de l'édition 1660 qui substitue Lothaire à Roger en premier mot du vers.]Lothaire est trop heureux, moi trop infortuné. GUSMAN. Quoi, Seigneur, vous souffrez ce qu'on dit de Lothaire ! ROGER. La Princesse le dit, c'est à moi de me taire. GUSMAN. La Princesse le dit, mais la Princesse ment. ROGER. Je ne veux pas ici faire éclaircissement. Enfin Lothaire a su vous sauver de la flamme, C'est votre sentiment ; mais qui l'a vu Madame ? AURORE. Mes yeux sont les témoins de ce que je lui dois. ROGER. Des témoins si brillants sont des Juges pour moi, [Note : Vers 1201, l'original porte "reculés", nous préférons "récusés".]Pour être récusés, ils ont trop de lumière, Je leur immolerai ma gloire toute entière ; Je veux même oublier mon service rendu, Et souffrir que Lothaire ait l'honneur qui m'est dû ; Un si cruel mépris ne peut m'ôter l'envie De perdre encor pour vous et mon sang et ma vie. AURORE. Son respect m'attendrit, que ne peut-il prouver Que je suis abusée, et qu'il m'a pu sauver. SCÈNE VI. Lazarille, Aurore, Roger, Gusman, Diane, Elvire. LAZARILLE. Votre Altesse saura que l'ennemi s'avance, Que le feu du Palais rend les murs sans défense, Et que pour profiter de ce trouble fatal Stelle vient vous donner un assaut général. AURORE. Je lui ferai connaître en Princesse outragée, Que si je dois périr, je dois périr vengée. DIANE. Avant toute autre chose il serait à propos Que votre Altesse prit un moment de repos. AURORE. Non je veux donner l'ordre, et combattre en personne, Mon repos est moins cher que n'est une Couronne. ROGER. Madame en ce combat ma valeur fera foi, Qui sait mieux vous servir de Lothaire ou de moi. Malgré la rigueur et malgré votre haine Je vous suivrai partout. AURORE. N'en prenez pas la peine Dans cette occasion vous me servirez peu Si vous craignez le fer de même que le feu. SCÈNE VII. Diane, Roger, Gusman. DIANE. Mon frère désormais oserez-vous paraître ? Mais vois-je encor mon frère, et puis-je le connaître ? ROGER. Auprès de la Princesse un Rival me détruit, Et quand je l'ai sauvée, il en reçoit le fruit. DIANE. Osez-vous soutenir encor cette imposture ? De cette indignité ma tendresse murmure. Avez-vous fait dessein de tromper une soeur, Pour mieux tromper Aurore et regagner son coeur ? ROGER. C'est porter jusqu'au bout ma honte et mon martyre. DIANE. En lui parlant de vous, que lui pourrai-je dire, Quand je lui vanterai vos services passés ? Ceux de votre Rival les auront effacés : Et quand je lui dirai, favorisez mon frère, Elle me répondra, je dois tout à Lothaire. Je vois que votre esprit commence à s'irriter ; Mais apprenez enfin que je ne puis flatter. ROGER. Lorsque chacun m'outrage et me fait injustice Ma soeur veut-elle encor aggraver mon supplice ? DIANE. Ha ! Vous deviez agir en véritable Amant, Vous jeter dans la flamme avec empressement, Et par ce noble effort d'amour et de courage Ôter à vos Rivaux ce nouvel avantage ; Le danger était grand, mais mon frère en effet Vous pouviez achever ce que Lothaire a fait ; Une âme par l'amour aux feux accoutumée Pouvait moins s'étonner de la flamme allumée. Adieu. SCÈNE VIII. Roger, Gusman. ROGER. Fut-il jamais Amant plus malheureux ? Éprouva-t-on jamais un sort plus rigoureux ? A-t-on jamais reçu de plus vives atteintes ? Et poussa-t-on jamais plus justement des plaintes ? GUSMAN. Vit-on jamais Princesse en un pareil effet De la plus sotte façon reconnaître un bienfait ? Vit-on jamais Amant plus heureux que Lothaire Entre tous les Amants que le Soleil éclaire ? Jamais Maître fut-il mieux chauffé que le mien ? Jamais Valet fut-il moins content que le sien, Qui du matin au soir, quand la douleur le tue De ces plaintes d'Amour a la tête rompue ROGER. Par quel arrêt des Dieux et quel Destin fatal De faire rien de grand, qu'en faveur d'un Rival, Lorsque je sauve Aurore on dit que c'est Lothaire. GUSMAN. La Princesse le dit, c'est à vous de vous taire. ROGER. Pour vaincre mon Destin, ou le pouvoir fléchir Que faire ? GUSMAN. Aller au bain, et vous y rafraîchir. ROGER. Dans un tel embarras quel chemin dois-je suivre ? GUSMAN. Le chemin du logis. ROGER. Lothaire la délivre, Le croit-elle ? GUSMAN. Elle croit que vous l'estimez peu. Que vous aimez la vie et craignez bien le feu. ROGER. Dois-je encor lui parler, que faut-il que j'espère ? GUSMAN. Qu'elle vous répondra, je dois tout à Lothaire, Je le reconnais seul pour mon libérateur, Vous, pour mauvais parent et pour lâche imposteur. ROGER. Parles-tu bien ainsi sans craindre ma colère ? GUSMAN. La Princesse l'a dit, c'est à vous de vous taire. ROGER. La Princesse l'a dit, ah je m'en ressouviens, Dessus ses sentiments je dois régler les miens : Contre un Arrêt qui vient d'une bouche si belle La plainte la plus juste est toujours criminelle : Mais l'assaut se prépare et nous devons songer Que la Princesse y doit courir quelque danger : Allons suivre ses pas, et coure sa Fortune, Allons perdre pour elle une vie importune, Et ne nous plaignons point du Sort injurieux, S'il me permet au moins de mourir à ses yeux. ACTE V SCÈNE I. Elvire, Aurore, dans le Palais. ELVIRE. Dieux ! Se peut-il encor que votre Altesse vive ? AURORE. Sans un vaillant Guerrier j'étais morte ou captive, Le péril est si grand que je viens d'éviter, Que le récit tout seul te doit épouvanter : Déjà de l'Ennemi les Troupes avancéesAvaient de nos Dehors les défenses forcées ; Et déjà par mes soins nos gens de toutes parts Défendaient la Muraille et bordaient les Remparts Alors que pour lasser ou vaincre ma disgrâce Avec mille chevaux je sortis de la Place. La nuit régnaient encor, et l'ennemi d'abord Crut que notre Parti sans doute était plus fort, Et cessant d'attaquer afin de se défendre Il se trouva surpris lorsqu'il pensait surprendre ; Enfin les Assaillants en ce puissant effroi Laissaient la Place libre et fuyaient devant moi, Quand le Jour rallumant ses lumières éteintes Leur fit voir ma faiblesse, et dissipa leurs craintes. Ce fut dans ce moment que ma superbe soeur Revint fondre sur nous avec tant de fureur, Qu'après cent vains efforts je me trouvai réduite À ne plus espérer de salut qu'en ma fuite : Mais mon cheval sous moi blessé mortellement En tombant m'engagea dans son trébuchementEt sans un grand Héros, dont la valeur m'étonne, Cette chute attirait celle de ma Couronne, Il fit plus d'un miracle afin de me sauver, Seul faisant tête à tous il vint me relever, Et de sa qualité refusant de m'instruire, Il sortit de la ville ayant su m'y conduire. ELVIRE. Quoi ce libérateur ne vous est pas connu ? AURORE. J'ignore de que bras mon salut est venu, Ma Bague qu'il reçut après m'avoir sauvée Avec son Esse double en son écu gravée, Seront les seuls témoins à qui j'aurai recours, Pour connaître la main qui prolonge mes jours : Mais qu'est-ce que tu tiens ? ELVIRE. [Note : Miniature : Sorte de Peinture délicate qui se fait à petits points. [T]]C'est une miniature Dont la flamme a semblé respecter la peinture : Ce portrait est de vous et je l'ai ramassé Dans votre cabinet où vous l'avez laissé. AURORE. Que vois-je Elvire, ô Ciel ? ELVIRE. Vous voyez tous vos charmes : Mais qui pourrait causer vos soupirs et vos larmes ? AURORE. Ce n'est pas sans sujet que je verse des pleurs, Ces traits dans mon esprit retracent mes malheurs ; Cette boîte à Madrid dans ma seizième année Au Prince d'Aragon de ma part fut donnée, Et je ne comprends pas quel accident secret A pu faire en ces lieux rencontrer ce portrait : Mais l'état où je suis à d'autres soins m'oblige, Le péril se redouble alors qu'on le néglige, Sans doute que ma chute aura jeté l'effroi Dans le coeur des soldats qui combattent pour moi ; Et possible déjà que quelqu'un me vient dire Que Barcelone est prise, et que mon règne expire SCÈNE II. Diane, Aurore, Stelle, Elvire. DIANE. Voici Stelle, Madame, et mon frère a l'honneur D'avoir causé sa prise et fait votre bonheur ; Agréez ce service, et souffrez que j'espère Qu'il puisse en sa faveur calmer votre colère. AURORE. Tout criminel qu'il est, un si rare présent Pour obtenir sa grâce est plus que suffisant : Il faut vous consoler, ma soeur, vous devez croire Que je sais mieux que vous user de la Victoire ; La Fortune vous brave, et j'ai moins de rigueur, Elle est votre Ennemie, et je suis votre soeur : Le Sort trahit souvent la plus belle Espérance, Et n'a rien d'assuré que sa seule inconstance ; Mais ma Tendresse encor saura vous obliger, Votre Fortune change, et je ne puis changer. STELLE. C'est le plus grand des maux que j'ai pu jamais craindre Que de voir mon malheur vous forcer à me plaindre ; Ne vous contraignez pas, je ne souhaite rien D'une main ennemie, et qui vole mon bien : Et si mon infortune était moins incertaine Mon désespoir déjà vous eût tiré de peine. Mais vous devez savoir pour vous combler d'effroi Que le Comte-d'Urgel combat encor pour moi, Et que quelque pouvoir ici qui me retienne Votre captivité suivra de près la mienne : Sachez qu'au moindre bruit que fera mon malheur Son désespoir encor accroîtra sa valeur, Et qu'il viendra bientôt, en forçant Barcelone, Vous jeter dans les fers et m'élever au trône. Mais vous n'en doutez pas, et la feinte pitié, Qui cache la grandeur de votre inimitié N'est qu'un moyen adroit pour obtenir ma grâce Alors que ma fortune aura changé de face, Et lorsque vous trouvant réduite sous ma loi Votre sort n'aura plus d'autre arbitre que moi ; SCÈNE III. Lazarille, Le Comte, Aurore, Stelle, Diane, Elvire. LAZARILLE. Le Comte est pris, Madame. STELLE. Ah tout mon espoir cesse ! LAZARILLE. Et Lothaire vainqueur l'envoie à votre Altesse. LE COMTE. Ma Princesse je viens partager vos douleurs, J'ai combattu longtemps pour vaincre vos malheurs ; Mais de votre accident la nouvelle semée A fait lâcher le pied à toute votre Armée, Et vous pouvez penser qu'il m'est beaucoup plus doux D'être ici prisonnier, que libre loin de vous. AURORE. Ma soeur votre espérance enfin se trouve éteinte, Et vous allez savoir si ma tendresse est feinte ; Le Comte ainsi que vous est réduit sous ma loi, Et votre sort n'a plus d'autre arbitre que moi : Mais je me servirai de ce bonheur insigne, Pour faire seulement savoir que je suis digne, Je dois vous relever quand le sort vous abat, [Note : Devant : Préposition d'ordre par rapport au temps et marquant l'antériorité. [L]]Et n'offrirai pas moins que devant le combat : Je vous cède, ma soeur, la moitié de l'Empire, Mais aux conditions que je vais vous prescrire. STELLE. Quand on veut faire grâce en cette occasion ; On la fait toute entière et sans condition. AURORE. Qui veut la mériter en même conjoncture Doit montrer moins d'orgueil et céder sans murmure ; Ce que je veux est juste. STELLE. Et que prétendez-vous ? Je prétends vous donner le Comte pour époux : C'est la condition où vous serez forcée. La constance doit être enfin récompensée. LE COMTE. C'est me combler de gloire et me vaincre deux fois. STELLE. J'obéirai sans peine à de si douces lois. AURORE. Allons à nos sujets apprendre ces nouvelles, Allons faire cesser leurs soins pour nos querelles, Et faisons publier que suivant mes souhaits Notre Dissension a fait place à la Paix. LAZARILLE, seul. Retournons au combat pour rejoindre mon Maître, Mais il est de retour, et je le vois paraître. SCÈNE IV. Lothaire, Lazarille. LOTHAIRE. As-tu vu la Princesse ? LAZARILLE. Avec fidélité, De vos ordres, Seigneur, je me suis acquitté ; Vous pouvez tout prétendre. LOTHAIRE. Oui, mais cet avantage Me vient de la Fortune, et non de mon Courage. LAZARILLE. Le Mérite aujourd'hui vaut moins que le Bonheur, Quand on acquiert un Sceptre, on acquiert de l'Honneur ; Rendez-vous sans remords Comte de Barcelone, Tous les chemins sont beaux quand ils mènent au trône. LOTHAIRE. Voyons Aurore, allons. LAZARILLE. Ne vous pressez pas tant, Et recevez, Seigneur, un avis important : J'ai su qu'un inconnu que le Ciel favorise, Qui porte en son Écu deux Esses pour Devise, Après avoir sauvé la Princesse et l'État, Est sans se découvrir rentré dans le combat, Et par une aventure étrange et favorable En passant j'ai trouvé cet Écu remarquable, Et je ne doute point que si vous le portez, Les faits de l'inconnu vous seront imputés. LOTHAIRE. J'admire ton esprit. LAZARILLE. La chose est fort certaine. LOTHAIRE. Un autre événement me met beaucoup en peine : Tu rentrais dans la ville avec le Comte pris Quand l'Ennemi fit ferme avecque de grands cris, Et pour sauver ce Prince avec violence Mit encore une fois la victoire en balance Ce fut lors que Fernand, un parent de Roger, Reçut un coup de trait qui le mit en danger ; Et du sang qu'il perdait pour arrêter la course Roger prit son mouchoir, et fit choir cette bourse, À l'instant par bonheur marchant dessus ses pas, Je la vis amasser par un de nos Soldats ; Et quand les ennemis sans ordre et sans conduite Eurent été contraints de prendre enfin la fuite Je le fis appeler, et sus adroitement Que la Bourse enfermait un riche diamant : [Note : Les virgules précédant et succédant "surprise encore", ont été ajouté pour cette édition.]Je me le fis montrer et plus, surprise encore, Je reconnus d'abord le Diamant d'Aurore. Et connaissant mon nom, le Soldat m'a permis D'emporter ce butin pour mille Écus promis : Juge si l'aventure a lieu de me surprendre. LOTHAIRE. Elle cache un secret que je ne puis comprendre. LAZARILLE. Je le pourrai savoir de Roger que voici : Cherche le Bouclier et me rejoins ici. SCÈNE V. Lothaire, Roger, Gusman. GUSMAN. Encor que votre écu soit tombé dans la presse Cet autre vous fera connaître à la Princesse. ROGER. Je porte son anneau qui fera tout savoir. GUSMAN. Qui peut donc vous plonger dans un chagrin si noir ? ROGER. La perte du portrait de la divine Aurore. GUSMAN. Où l'auriez-vous perdu ? ROGER. Moi-même je l'ignore, Par quelque effort sans doute il m'est tombé du bras : Mais d'où vient que Lothaire adresse ici ses pas ? LOTHAIRE. Je crois que la Princesse attend de vos nouvelles. ROGER. Je lui ferai tantôt des récits bien fidèles. LOTHAIRE. [Note : L'édition originale tiens "mes combats", l'édition 1660 corrige par "vos", plus logique.]De vos combats. ROGER. Sans doute. LOTHAIRE. Ils ont eu de l'effet. ROGER. Ils pourront effacer ce que vous avez fait. LOTHAIRE. De vos exploits pourtant elle fait peu de compte. ROGER. Cependant j'ai pris Stelle. LOTHAIRE. Et moi j'ai pris le Comte. ROGER. Aurore maintenant me doit tout son Bonheur. LOTHAIRE. La prise d'une Femme apporte peu d'Honneur. ROGER. Du moins celle du Comte est un moindre avantage. LOTHAIRE. L'avantage est égal, mais non pas le Courage, D'une extrême valeur c'est un effort dernier Que d'avoir arrêté ce Héros prisonnier. ROGER. Quoique vous me disiez, je consens à vous croire, Je n'eus jamais besoin d'emprunter de la Gloire ; Je renonce à la vôtre, et j'espère aujourd'hui Que vous ne voudrez plus voler celle d'autrui. LOTHAIRE. Ce que vous avez fait de plus considérable Au moindre de mes coups n'a rien de comparable : Je tiens tous vos exploits indignes de mon bras, Et je veux bien volontiers ne les avouer pas : Sachez que sans mes soins et ma rare conduite Barcelone était prise, Aurore était détruite, Et vous et vos parents étire tous égorgés, Si mon bras du péril ne vous eût dégagés. ROGER. Toutes vos Actions n'ont rien que d'ordinaire, Et sont fort au-dessous de ce qu'on m'a vu faire. LOTHAIRE. Parlez avec respect de votre Général. ROGER. Il faudrait m'abaisser pour être votre égal. LOTHAIRE. J'ai sauvé cet État par ma valeur extrême. ROGER. Moi j'ai sauvé la vie à la Princesse même. LOTHAIRE. Vous ? ROGER. Oui de son salut j'ai droit de me vanter. LOTHAIRE. Mais ne craignez-vous point qu'elle en puisse douter ? ROGER. La Bague que je garde, et que j'ai reçu[e] d'elle D'un service si rare est le témoin fidèle. LOTHAIRE. Quoi, vous avez sa Bague ? ROGER. Elle est en mon pouvoir, Et je l'attends ici pour la lui faire voir : Ce discours vous surprend. LOTHAIRE. Oui, mais je conjecture Qu'il pourrait bien encor passer pour imposture. ROGER. Malgré votre artifice et tout votre Bonheur D'un service si grand j'aurai seul tout l'Honneur, Sitôt qu'aux yeux d'Aurore on me verra paraître Pour son Libérateur je me ferai connaître, Et l'Anneau que je porte a de vives clartés, Qui pourront mettre au jour touts vos lâchetés. LOTHAIRE. De quoi m'accusez-vous ? L'Âme la moins commune Peut faire son profit des coups de la Fortune, J'ai reçu quelque honneur qu'elle a su vous ravir, Mais devais-je me nuire afin de vous servir. ROGER. Ce sont de lâches traits d'un coeur comme le vôtre Que d'accepter le prix des services d'un autre ; Aurore a jusques ici retenu mon courroux. J'ai craint de l'affaiblir en perdant l'un de nous : Mais sachez maintenant que la Guerre est finie, Que votre audace enfin sera bientôt punie. LOTHAIRE. Quoi pour me menacer vous êtes assez vain ? Je vous satisferai les armes à la main. Alors que la Princesse aux yeux de la Province En me donnant la foi, m'aura fait votre Prince. Et qu'elle aura comblé mes souhaits les plus doux, Je vous ferai l'Honneur de me battre avec vous. ROGER. Lâche, ta mort de près suivrait ton insolence Si je ne respectais Aurore qui s'avance. SCÈNE VI. Aurore, Lothaire, Roger, Stelle, Diane, Le Comte. AURORE. Enfin tout est tranquille, et nos sujets unis Avec nos différents trouvent leurs maux finis ; Et mon propre intérêt maintenant me convie À chercher le Héros, à qui je dois la vie. Mais quoi l'Écu fameux que Roger me fait voir M'enseigne pleinement ce que je veux savoir, Et la devise Illustre en ces armes gravée, Me fait connaître en lui le bras qui m'a sauvée. LOTHAIRE. Madame, s'il vous plaît, de détourner les yeux, Ce bouclier encor vous en instruira mieux. ROGER. À croire un imposteur soyez plus réservée, Je portais cet écu quand je vous ai sauvée ! AURORE. Ô Ciel, qui de vous deux prétend me décevoir ! LOTHAIRE. Vous voyez que l'écu se trouve en mon pouvoir. ROGER. Oui : mais pour le Combat se trouvant inutile, Je l'ai laissé par terre assez loin de la Ville, Et c'est injustement qu'il se l'est imputé ! LOTHAIRE. Ô Dieux quelle impudence et quelle fausseté ! AURORE. Avant que d'en juger pour n'être pas surprise, Que chacun de vous explique la devise. LOTHAIRE. Cette devise apprend que pour se rendre heureux, Un Courtisan doit être, et subtil et soigneux. ROGER. Ces Esses font savoir qu'un Amant qui veut plaire, Doit être également et soumis et sincère. STELLE. Roger l'explique mieux incomparablement. AURORE. Enfin s'il m'a sauvée, il a mon Diamant. LOTHAIRE, montrant le Diamant. Sur cette question il va fort mal répondre, Ce témoin éclatant suffit pour le confondre ! ROGER. Ah ! C'est une imposture, et je puis l'avérer. J'ai le vrai Diamant que je vais vous montrer. GUSMAN. Cherchez dans l'autre poche. ROGER. Il faut qu'il s'y rencontre. GUSMAN. Tirez. ROGER. C'est mon mouchoir. GUSMAN. Le voici. ROGER. C'est ma montre. GUSMAN. Quelque avare Démon l'aura donc emporté. LOTHAIRE. Il est confus, jugez de ma sincérité : ROGER. Ô Destin trop cruel ! AURORE. Ô Ciel quelle injustice Empêche que Roger me rende aucun service ! DIANE. Si j'osais vous parler. AURORE. Vous parleriez en soeur, Laissez-moi rendre grâces à mon Libérateur. SCÈNE VII. Carlos, Lothaire, Aurore, Roger, Stelle, Le Comte, Gusman, Lazarille, Elvire, Diane. CARLOS, à Lothaire, à part. Monseigneur, s'il vous plaît, excusez la franchise : Je n'attends pour partir que la somme promise. AURORE. Que vous veut ce Soldat ? LOTHAIRE. C'est un extravagant. CARLOS. On extravague donc, quand on parle d'argent. LAZARILLE. Attendez. CARLOS. À quoi bon tant de cérémonie, Ai-je affaire en ces lieux où la guerre est finie ? LOTHAIRE. Sortez. CARLOS. Pour un Seigneur vous poussez lourdement : Il me faut mille écus ou bien mon Diamant. AURORE. Quel Diamant, qu'entends-je ? LOTHAIRE. Ha ! Ma peine est extrême ! CARLOS. Celui que vous tenez. AURORE. Quoi cet anneau ? CARLOS. Lui-même. LOTHAIRE. N'achève pas. CARLOS. Pourquoi, je dis la vérité ; C'est de moi que tantôt vous l'avez acheté. LOTHAIRE. Parle mieux. CARLOS. À mentir me voulez-vous contraindre ? LOTHAIRE. Si... CARLOS. Quoi vous menacez ? AURORE. Achève sans rien craindre. CARLOS. [Note : Rouiller : Terme aujourd'hui inusité qui ne s'employait qu'avec oeil et qui signifiait rouler les yeux, les faire aller çà et là. [L]]Comme il rouille les yeux ! Chacun me l'a bien dit, Qu'on ne doit point aux grands donner rien à crédit. Un Homme bien Armé dont j'étais assez proche, En tirant son mouchoir, l'a fait choir de sa poche. AURORE. Quel homme était-ce encor ? CARLOS. Je ne sais qu'en juger, Un de ses gens m'a dit qu'on l'appelle Roger. Mais il faudrait parler de me payer ma somme. AURORE. Elvire prenez soin de contenter cet Homme. LE COMTE. On ne peut soupçonner ce témoin ingénu. STELLE. Votre vrai défenseur cesse d'être inconnu. AURORE. Oui Roger, je vous dois ma vie et ma Victoire, Perdez de mes rebuts le honteuse mémoire : Par de justes faveurs dignes de votre prix, Je prétends réparer ces injustes mépris. LOTHAIRE. Ô Sort ! J'apprends ici quelle est ton inconstance. AURORE. Recevez de ma main cet Écrin par avance. ROGER. L'honneur de vous servir me rend trop satisfait, Je ne dois pas reprendre un présent que j'ai fait. AURORE. Ce coffret toutefois m'est venu de Lothaire. LOTHAIRE. Il veut faire un présent qui ne lui coûte guère. ROGER. Il vous pourrait coûter plus que vous ne pensez, Votre orgueil doit finir mes malheurs sont passés. AURORE. Roger, en sa faveur j'ai des remarques secrètes Je ne puis démentir ses Vers et ses Tablettes. ROGER. Ces témoins sont pour moi, Madame, il est certain Que ces vers rencontrés sont écrits de ma main. STELLE. De Lothaire en ce cas confrontez l'écriture. DIANE. Dans sa confusion l'on voit son imposture. LOTHAIRE. Ô ! Du cruel Destin revers trop rigoureux ! AURORE. Que ce succès, Diane, est conforme à mes voeux, Lothaire cependant m'a sauvé de la flamme : Cette obligation touchait beaucoup mon âme, Que pouvait-il prétendre en voulant m'abuser ? LOTHAIRE. Je suis Amant, Madame, et l'on doit m'excuser. AURORE, lui donnant son portrait. Sans doute le service est plus grand que l'offense, Jugez par ce présent de ma reconnaissance. ROGER. Ce portrait est à moi, Madame, assurément. AURORE, à Lothaire. Serait-il point à vous ? LOTHAIRE. Nullement, nullement. ROGER. Le Prince d'Aragon me l'a donné lui-même. DIANE. N'en doutez-point, Madame. AURORE. Ah ! Ma joie est extrême. ROGER. En vous sauvant du feu je l'aurai laissé choir, Et ces rubans brûlés vous le font assez voir. AURORE. Il suffit, il suffit, Héros incomparable, Je vois trop à quel point je vous suis redevable, Après ces grands effets d'Amour et de Valeur, Je ne vous dois pas moins que mon Sceptre et mon Coeur. STELLE. Il est juste ma soeur qu'un heureux Hyménée, Joigne à jamais son sort à votre Destinée. AURORE. Après ce que pour moi son Courage a tenté, Je confesse être un prix qu'il a trop mérité. ROGER. Dans l'excès de ma joie excusez mon silence. AURORE. Je m'offre avec plaisir pour votre récompense. LOTHAIRE. Quoi, Madame à mes yeux... AURORE. Quoi vous en murmurez, Vous m'obligerez fort si vous vous retirer, Aller porter ailleurs vos lâches artifices. LOTHAIRE, en se retirant. Fortune qui me perds ! Voici de tes caprices. AURORE. Allons tous dans le Temple, en ce Jour bienheureux De cet Hymen célèbre achever les deux noeuds ; Et bénir hautement, et d'une voix commune, Et LES COUPS DE L'AMOUR ET CEUX DE LA FORTUNE. ==================================================