******************************************************** DC.Title = LES CHARMES DE FÉLICIE, TIRÉS DE LA DIANE DE MONTEMAIOR, PASTORALE. DC.Author = MONTAUBAN, Jacques Pousset de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Pastorale DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:11. DC.Coverage = Portugal DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/POUSSETDEMONTAUBAN_FELICIE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES CHARMES DE FÉLICIE TIRÉS DE LA DIANE DE MONTEMAIOR. PASTORALE M. DC. LIV. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. Par Mr DE MONTAUBAN. À PARIS, Chez GUILLAUME DE LUYNE, au Palais, en la Salle des Merciers, sous la montée de la Cour des Aides.Achevé d'imprimer pour la première fouis le 3. Février 1654. Les Exemplaires ont été fournis. MADEMOISELLE, Je vous offre un Ouvrage que j'ai produit dans vos bois : vous y verrez des Bergers, et des Bergères, qui se soumettent à votre Empire : ils vous reconnaissent tous pour leur Souveraine, et pour leur Nymphe : ils n'en ont jamais eu une de si Illustre Maison que vous, et quand il vous plaira Félicie ne sera que votre Bergère ; elle vous rend les marques de sa Souveraineté, qui sont ses flèches, et son carquois, et je crois qu'en ce point elle est d'intelligence avec l'Amour, qui vous rend les mêmes armes ; mais en voyant l'Ouvrage, je vous prie de vous souvenir que j'ai emprunté de vous tout l'éclat, et toute la lumière qui y paraissent, que j'ai puisé chez vous tout le feu qui a été la source de mes Vers ; et que la fécondité de ma veine n'est pas tant l'effet de mon Art que l'Ouvrage de votre présence qui m'a animé : je vous ai mille fois rencontrée dans ces mêmes bois, où l'écho répondait aux paroles qui formaient vos Prières : je ne sais ce que vous direz de moi, d'en avoir fait un écho profane, et qui ne réponde qu'à des chansons ; mais je crois que depuis ce temps vous l'aurez purifié, et qu'en vain désormais je le solliciterai de redire mes Vers, et de répéter mes paroles : je verrai au premier jour ce qui en est : cependant je vous conjure de me mettre au nombre de mes Bergers, et de souffrir que je vous rende comme eux mes respects, et mes hommages, puisque je suis plus que personne du monde, MADEMOISELLE, Votre très humble, et très obéissant serviteur, DE MONTAUBAN. ACTEURS. THERSANDRE. THIMANTE. CLIDAMANT. PHILINTE. FABRICE. DIANE. PARTHÉNIE. ISMÈNE. FÉLICIE. LA DÉESSE. La Scène est dans l'île d'Érithrée en Portugal. ACTE I SCÈNE I. Fabrice, Philinte. FABRICE. Si vous voulez mander quelque chose à Séville,Demain pour la revoir je partirai de l'île. PHILINTE. Pouvez-vous bien partir et quittez notre bord,[Note : Passeport : Lettre ou brevet d'un Prince, ou d'un Commandant, pour donner liberté, sûreté, et saufconduit à quelque personne pour voyager, entrer, et sortir librement sur ses terres. [F]]Sans avoir vu la Nymphe, et sans son passeport. FABRICE. Non, je dois aujourd'hui lui porter ma cassette, Et sitôt que la Nymphe aura fait son emplette,N'ayant plus rien à vendre aux Bergers de sa Cour,Elle m'accordera, le congé du retour. PHILINTE. Avez-vous bien vendu ? FABRICE. Que servirait de feindre.Le commerce va bien, j'aurais tort de m'en plaindre, J'ai vendu des portraits, des diamants de prix,Quantité de corail, de perles, d'ambre gris,La Fête de Diane est toujours solennelle,Et comme tous les ans les Jeux qu'on renouvelle,Appellent en ces bois les Bergers d'alentour, Pour disputer les prix qu'on propose en ce jour :Je n'y viens point sans voir pour la gloire de l'île,Quelques nouveaux Bergers en cet illustre asile. PHILINTE. Ne vous étonnez pas de cet événement,La retraite qu'ils font marque leur jugement, Ici l'ambition, n'a rien qu'elle désire,Si l'on soupire ici, c'est d'amour qu'on soupire,Bien que de Portugal, cette île fasse part,Nous avons et nos Lois, et notre Empire à part,Celle qui nous régit, n'a point le nom de Reine : Nous sommes compagnons de notre Souveraine,Et sa vertu nous fait goûter tant de repos,Qu'elle a mis la houlette ès mains de cent Héros,Qui lassés de lauriers, et du bruit de la guerre,Des quatre coins du monde arrivent dans sa terre, Le crime seulement doit craindre son courroux,Elle exerce un pouvoir de tout autre jaloux,[Note : Zoroastre : Célèbre Législateur des anciens Perses. Il disait avoir un génie familier qui lui dictait les lois qu'il proposait ensuite aux Peuples. [T]]Et comme elle descend du sang de Zoroastre,Elle sait la vertu des herbes, de chaque astre,Même de la magie elle entend les secrets, Et les fait quelquefois servir ses intérêts.Il n'est Prince partout, ni Roi qui ne la craigne,Et qui pour son repos ne souffre qu'elle règne. FABRICE. Je sais que cet asile, et ce charmant séjourDu Roi du Portugal a déserté la Cour ; Qu'au bruit de ses douceurs, l'incomparable IsmèneQuitta pour les goûter, la faveur de sa Reine,Et que cette beauté par un prompt changementNe fait pas de ces lieux un petit ornement. PHILINTE. La voici qui paraît, Diane est avec elle, Il faut que sans témoins je parle à cette belle,Quelque intérêt d'amour m'oblige incessamment. FABRICE. Allez, je vais songer à mon embarquement. SCÈNE II. Diane, Philinte, Ismène. DIANE, sans avoir vu Philinte. Oui je hais ce grand bruit, et ma libre penséeD'un spectacle si long n'est plus embarrassée. PHILINTE, à Diane. Sortir sitôt des jeux, quel est votre souci ? DIANE. Je fuis des importuns, et j'en retrouve ici. PHILINTE. Quoi, donnez-vous ces noms à qui vous rend hommage ? DIANE. Ce qui ne me plaît point, m'importune et m'outrage. PHILINTE. Ne quitterez-vous point ces rigueurs quelque jour. DIANE. Oui, quand vous n'aurez plus ni d'espoir, ni d'amour. PHILINTE. Faites-vous cet accueil à quiconque vous aime ? DIANE. Quand il est comme vous je le traite de même. PHILINTE. Du Berger Clidamant le sort est bien plus doux. DIANE. C'est donc assurément qu'il n'est pas comme vous. PHILINTE. Il vous entretenait aux jeux tout bas. DIANE. Je le confesse,Nous nous entretenions de votre peu d'adresse. PHILINTE. Votre discours, sans doute était plus sérieux. DIANE. Le vôtre me déplaît, ôtez-vous de mes yeux.Votre présence enfin aigrirait ma colère. PHILINTE. Parlant de votre amant, saurait-on vous déplaire.Tu ménageais pour lui, cet entretien si doux. ISMÈNE. On sait bien que qui dit, Philinte, dit jaloux. PHILINTE. Ce qu'on pense de toi n'est pas chose secrète,On sait bien que qui dit, Ismène, dit coquette. ISMÈNE. Oui, de cet entretien tu te dois affliger,Clidamant le mérite, et je veux l'obliger. DIANE. Laissez-nous. PHILINTE. On l'attend, et je vous importune :Mais cherchons les moyens de troubler sa fortune. DIANE, à Ismène. Il croit que Clidamant a place dans mon coeur. ISMÈNE. Tu n'as point d'intérêt à le tirer d'erreur,Bergère, cependant ne veux-tu point te rendre,N'aimeras-tu jamais le fidèle Thersandre,Lui qui par ta présence animant ses espritsSeulement pour te plaire a gagné tant de prix, Qui pour ne point donner prétexte à ta colère,S'il sait beaucoup aimer, sait encore mieux se taire,Puisque l'ardent amour, dont il brûle pour toiN'est connu que de toi, de Thimante et de moi. DIANE. Ne m'en parle jamais. ISMÈNE. Et quoi toujours farouche ! Mais je te veux donner un avis qui te touche,Il faut quand on le peut prendre le temps qui fuit,Lui seul fait les beautés, et lui seul les détruitDans l'aimable saison que cette beauté dure.Use bien des présents que t'a faits la nature, Tu perdras cet éclat qui charme les esprits,Et tu seras un jour un objet de mépris. DIANE. Au contraire l'amour, dont tu sais peu l'usage,Fait l'office du temps, et ternit un visage :Les soins qu'il met au coeur, ses soucis, ses douleurs Effacent bien des traits, moissonnent bien des fleurs ;Il est comme le temps Tyran de toutes choses,Et sèche en peu de jours, et nos lys, et nos roses. ISMÈNE. Qu'une semblable crainte a peu de fondement,Pour ton propre intérêt quitte ce sentiment, Quand l'amour est au coeur, l'oeil a plus de lumière,Le visage en reçoit sa grâce toute entière,On s'estime, on se plaît, on sait ce que l'on vaut,On corrige par art jusqu'au moindre défaut,On consulte au miroir son port, sa bonne mine, On y prend ou l'air doux, ou l'oeillade assassine,Et fort, ou faiblement on mesure ses traits,Ou pour blesser de loin, ou pour blesser de près,Donc pour ton intérêt, je te le dis encore,Aime du moins un peu, Thersandre qui t'adore. DIANE. Certes tu me surprends de me parler ainsi,Toi qui n'as jamais eu d'amour, ni de souci,Toi qui fais tant d'amants seulement pour ta gloire,Sans que jamais pas un demeure en ta mémoire :Qui te plais tour à tour dedans leur entretien, Qui veut tout acquérir, et ne conserver rien.Tu souffres aujourd'hui Thimante qui t'adore,Mais dis-moi si demain tu l'aimeras encore. ISMÈNE. J'aime, mais j'eus toujours ma méthode en amour,L'Amant qui m'incommode est mon Amant d'un jour, Pour l'amour je ne brûle encor, ni ne soupire,J'en fais un jeu toujours, et jamais un Martyre,N'en rebutant pas un, n'ai-je pas chaque jourUne foule d'amants qui tous me font la cour,Qui tous pour m'aborder à l'envi font la presse, Et sur qui je commande, et je règne en Princesse,Ils pensent à me plaire, ils vantent mes appasLorsque je vais au Temple, ils suivent tous mes pas.Et j'ai plaisir à voir en des Bergers si braves,À ma suite pompeuse une troupe d'esclaves : Je les satisfait tous en flattant leurs désirs,Si j'en fais des jaloux j'y prends mille plaisirs,Pourvu que ces jaloux, pour l'honneur de mes charmesNe le soient pas aussi jusqu'à prendre les armes :Car enfin ce haut point des éclaircissements Pourrait effaroucher tous mes autres amants. DIANE. Ha ! Que tu connais mal, l'amour et ses maximes,Je vois tes changements, ainsi qu'autant de crimes,Pour moi si d'un objet mon coeur était épris,Je ne pourrais passer de l'amour au mépris : J'aurais attachement à ma première idée,Et toute de ce Dieu je serais possédée. ISMÈNE. Et bien aime Diane au-delà du tombeau,Fais naître sous ta cendre encor un feu si beau, DIANE. Hélas : ISMÈNE. Par ce soupir, et bien que veux-tu dire. DIANE. Ce que tu peux juger d'un coeur quand il soupire. ISMÈNE. Est-ce encor pour ton frère, ou bien pour un amant,À la fin aimes-tu Thersandre. DIANE. Nullement. ISMÈNE. Parle, je suis discrète. DIANE. Il faut que je le dieJ'ai reçu dans Séville et l'amour et la vie, Cléagenor, Ismène, est le nom du vainqueur,Dont j'ai la chère image emprunte dans mon coeur. ISMÈNE. Ô Dieux ! Que ce discours a trompé ma pensée,Pour faire des leçons j'étais bien adressée,Mais poursuis. DIANE. Nos parents approuvaient notre amour, Et déjà pour l'Hymen on avait pris le jour,Quand Néarque poussé par un désir infâmeMe vint solliciter en faveur de sa flamme :Après tous ses soupirs ce favori du RoiAppela ses présents au secours de sa foi : ISMÈNE. Mais enfin sans espoir il résolut ma perte,Et pour se satisfaire y vint à force ouverte,Il voulut m'enlever : ma mère en ce momentPour rompre le dessein de cet enlèvementMe fit prendre un breuvage, et sa ruse subtile Sema de mon trépas le bruit parmi la ville ;En effet sa vertu fit sur moi tel effort,Qu'un long sommeil parut le sommeil de la mort.Néarque épouvanté de ce triste messageLa vint voir dans mon lit peinte sur mon visage, Le remords dans son coeur querella son amour,Son désespoir l'arma pour le priver du jour,Et tandis que son âme en était agitée,Je fus dans un vaisseau secrètement portée,À peine avais-je encor achevé mon sommeil Que je me vis sur mer à mon premier réveil.Ma mère me contait encor cette aventure,Et de ma feinte mort la secrète imposture,Alors qu'un prompt orage en troubla les propos,La frayeur et la mort marchaient dessus les flots : Que te dirai-je, hélas ! Notre nef entrouverte,Quelques moments après, nous marquait notre perteQuand un écueil la brise, et n'en fait par morceauxQue des pièces de bois qui flottent sur les eaux :Je ne sais quel des Dieux prit soin de ma fortune, Et sous ma main tremblante en fit rencontrer une,Qui m'ayant fait passer sur ces tombeaux mouvants,Dans le trouble des eaux, et l'empire des vents,Me porta sur la grève apparemment sans vieDans l'île d'Érithrée où règne Félicie. Revenant de la chasse, elle aperçut un corpsQue la mer menaçait encore sur ses bords,Et ce Dieu qui voulut achever son miracle,Rendit son coeur sensible à ce triste spectacle :On me porta chez elle, et c'est à son secours Que je dois aujourd'hui le reste de mes jours :Là je changeai de nom pour assurer ma fuite,Et pour tromper ainsi Néarque et sa poursuite. ISMÈNE. Quoi ? Bergère, ton nom n'est pas Diane. DIANE. Non,Célie était mon seul et véritable nom, Et pour ma sûreté j'ai fait à FélicieUn rapport supposé des malheurs de ma vie :Depuis dans son Palais, j'ai trouvé mon séjour,Je demeure avec elle, et je suis de sa Cour,Et sept fois le soleil a fourni sa carrière, Que j'ignore où les flots auront porté ma mère. ISMÈNE. Et ce Cléagenor fut de tout éclairci ? DIANE. Hélas ! C'est un des points qui cause mon souci,Cléagenor surpris par la même impostureMe vint voir dans mon lit, comme en ma sépulture : Et mon étonnement, Ismène, est sans pareil,Que le bruit de ses cris ne rompit mon sommeil,L'ardeur de me venger sécha toutes ses larmes,Son rival attaqué tomba dessous ses armes,Il le laissa pour mort, et la fureur du Roi Força Cléagenor de partir devant moi.Dans ce départ, pressé par une juste crainte,Ma mère n'ayant pu l'éclaircir de la feinteDepuis sept ans entiers, en doute de son sort,Je ne sais si je plains le vivant ou le mort ; Cependant pour pleurer dans ma douleur amère,Et pleurer librement j'ai feint la mort d'un frère. ISMÈNE. Ton malheur m'est sensible, et j'allège tes soins,Si pour y prendre part il t'en peut rester moins ;Je ne condamne plus tes soupirs, ni tes larmes, Mais de ces déplaisirs enfin sauve tes charmes ;En ce doute fâcheux porte ailleurs tes désirs,Si ton amant est mort, tu perds trop de soupirs,Ou bien s'il est vivant est-il de l'apparence,Que pour toi qu'il croit morte il garde sa constance ; Mais mon amant paraît. SCÈNE III. Thimante, Diane, Ismène. ISMÈNE, à Thimante. Que viens-tu faire ici ? THIMANTE. J'y venais pour un peu divertir mon souci. DIANE. Quel souci ? THIMANTE. C'est un mal dont je ressens l'atteinte. ISMÈNE. Qu'est-ce donc ? THIMANTE. Tu le vas reconnaître par ma plainte.Aux jeux trop de Bergers ont eu pour ma douleur Trop longtemps ton oreille, et peut-être ton coeur ;Près de toi trop de monde, et se presse et s'assemble,Dorylas t'a parlé trop longtemps ce me semble,J'ai vu tant de Bergers assis à tes genoux. ISMÈNE. Que Thimante en un mot est devenu jaloux. Puisque tu veux m'aimer apprends à me connaître,Je suis libre, Thimante, et ne veux point de Maître,Je ne prétends jamais dépendre que de moi,Et t'avais-je promis de ne parler qu'à toi ?Penses-tu que tu sois l'amant seul qui me serve ? N'en ai-je pas encor qu'il faut que je conserve ?Et de tous les Bergers dont j'ai reçu la foi,Si je n'ouvre la bouche, et les yeux que pour toi,Et que l'un de ces jours je cesse de te plaire,Ou que je change aussi, comme tout se peut faire, Tous les autres jaloux de ces bons traitements,Quand je t'aurai perdu seraient-ils mes amants ?Et si ma liberté pour tous n'était soufferte,Qui d'entre eux me voudrait consoler de ta perte ?Je songe à l'avenir dont tu n'es pas garant, Du moins si l'un me quitte, un autre me reprend.Vois si l'humeur te plaît, vois si sans jalousieTu pourras me servir ainsi toute ta vie,Et si cela se peut, espère quelque jour,Et la bouche, et la main, pour flatter ton amour, Et peut-être le coeur, si mon humeur me change. THIMANTE. Cette façon d'agir me semble fort étrange ;[Note : Assignation : Ajournement, exploit de Sergent, par lequel on somme une partie de comparoir à certain et compétant jour par-devant un Juge, pour répondre à la demande, ou à la plainte qu'on a formé contre lui, ou pour venir déposer, prêter serment, ou faire un autre acte de Justice. [T]]Mais presque tous les soirs quelque assignationSemble assez m'assurer de ton affection,Et ne me flatter pas d'espérances frivoles. ISMÈNE. Jusqu'ici toutefois ce ne sont que paroles. THIMANTE. J'espère tout du temps, en attendant ce jour,Nos noms gravés partout marqueront mon amour,Ismène je promets. ISMÈNE. Mais j'aperçois Thersandre,Ce Berger dont tes yeux ont mis le coeur en cendre. DIANE. Ismène je te quitte. ISMÈNE. Ha ! C'est trop de rigueur.Donne au moins le visage en refusant le coeur SCÈNE IV. Thersandre, Diane, Thimante, Ismène. THERSANDRE, à Diane. Arrête, cher objet, qui cause mon martyre,Avant que de mourir je n'ai qu'un mot à dire,La Nymphe a de ces prix couronné ma valeur, Je les mets à tes pieds, j'y mets de plus mon coeur,Reconnais ton captif, si dans ce jour de FêteTu n'en veux triompher, souffre au moins ta conquête,Et sans rien accorder à cet ambitieux,À le voir seulement accoutume tes yeux. DIANE. [Note : Vain : Qui n'a point de solidité, de principes certains et assurez. [F}]Quoi, ton coeur, mon captif ? Je ne suis pas si vaine,Fais-le changer de maître, ou bien brise sa chaîne,Romps, ou change ses fers, si tu n'as le desseinDe le voir tout à l'heure affranchi de ma main. THERSANDRE. Hélas ! Sa liberté, n'est pas ce qu'il désire. DIANE. Qu'il vive donc toujours esclave, et qu'il soupire. THERSANDRE. Quoi ! Refuser un coeur, ce présent précieux,Qui se vit toujours digne, et du Temple, et des Dieux.Pensez-y bien, Bergère, il est de ta justiceDe ne pas mépriser ce noble sacrifice, Puisqu'enfin je ne donne à nos Dieux tous puissantsQue la même victime, et les mêmes encens ;Notre Déesse au Temple à mes yeux est moins belle,Et tu portes le nom de Diane comme elle. DIANE. Puisqu'il est d'un tel prix, ce présent précieux, Qu'il se vit toujours digne, et du Temple et des Dieux ;J'y pense bien Berger, il est de ma justiceDe ne pas accepter ce noble sacrifice,Et je ferais injure à nos Dieux tous puissantsDe partager leur gloire, et les mêmes encens : J'ai le nom de Diane, à tes yeux je suis belle,Mais je n'ai pas le rang de Déesse comme elle. THERSANDRE. Sans Temple et sans Autels tu te fais adorer,C'est ta Fête aujourd'hui qu'on m'a vu célébrer ;Je n'ai point d'autre culte, et point d'autre Diane, Le feu de mon amour n'est point un feu profane,Et si quelque rayon ne t'en échauffe un peu,Il faudra que je cède à l'ardeur de ce feu. DIANE. Avecques mes mépris ne saurais-tu l'éteindre,Sers-toi de ce remède, et cesse de te plaindre. THERSANDRE. Quel remède, bons Dieux ! Viens-tu m'offrir ici,Bergère, il faut mourir si tu guéris ainsi,Flatte au moins d'un seul mot l'amour que tu fis naître,Si je ne suis heureux fais que je pense l'être.Hélas ! Pas un seul mot ne me vient secourir, Oui, si tu guéris ainsi, Bergère il faut mourir. ISMÈNE. Pourquoi porter un coeur à l'amour si rebelle ? THIMANTE. Pourquoi méprises-tu ce Berger si fidèle ? DIANE. Il vaut mieux m'en aller. THERSANDRE. Pousse encor ton dédainSi tu veux épargner mon trépas à ma main, Achève de former le glaive qui me tue :Encor un mot de haine, et je meurs à ta vue :Parle-donc ! Réponds-moi. ISMÈNE. La Nymphe arrive ici. DIANE. Qu'elle me vient tirer d'un pénible souci. THERSANDRE. Et moi je vais toucher ces rochers et ces marbres, Et puis mourir au pied de quelqu'un de ces arbres. SCÈNE V. Félicie, Parthénie, Diane, Ismène, Thimante, Clidamant, Philinte. FÉLICIE. Depuis un lustre et plus, qu'au droit de mes aïeux,Par la mort de ma soeur je gouverne ces lieux,Et qu'ici de Diane on célèbre les Fêtes ;Jamais tant de lauriers n'ont couronné vos têtes, Et jamais dans un jour de divertissementJe n'occupai mes yeux plus agréablement,Chacun pour emporter le prix qu'on lui dispute,A fait voir son adresse à la course, à la lutteQue Thersandre a bien fait dans ce commun effort, Qu'il agit noblement, quelle grâce, quel port,Et s'il faut dire ici ce que j'en imagine,Ou des Rois, ou des Dieux, il a son origine,Que Thimante est heureux d'être de ses amis. THIMANTE. Ce n'est pas d'aujourd'hui que cet heur m'est permis, Ce nom m'est précieux, et pour mon avantage,J'en eus la connaissance à mon dernier voyage,Je le vis arriver de son pays natalDans la fameuse Cour du Roi du Portugal.La rencontre d'humeurs qui l'homme à l'homme assemble, D'une telle amitié nous vint lier ensemble,Que l'ayant rencontré triste et plein de souci,Je fis tant qu'à la fin il me suivit iciDans l'espoir, qu'en ces lieux où règne Félicie,Il perdrait sa douleur et sa mélancolie. FÉLICIE. En effet, quoiqu'ici ce Berger fortunéAit reçu tous les prix dont il est couronné,Je le trouve pourtant toujours mélancolique,N'est-ce point quelque soin d'un amour qui le pique ?Heureuse la Bergère, et trois et quatre fois En qui cet étranger aurait borné son choix :Il a tant de mérite au-dessus du vulgaire,Qu'une Nymphe en l'aimant ne s'abaisserait guère. CLIDAMANT. Il mérite beaucoup, et nous l'estimons tous,Nous aimons ses vertus sans en être jaloux. PARTHÉNIE. Clidamant ne doit rien, ce me semble à Thersandre. ISMÈNE. Thimante achève bien ce qu'il veut entreprendre. DIANE. Philinte une autrefois sans doute fera mieux. PHILINTE. Oui, quand de mon côté vous tournerez les yeux. FÉLICIE. Bergers préparez-vous, encore je vous prie, Pour l'Hymen de Thyrsis avecques Parthénie ;Ma nièce ce Berger est bien digne de vous,Et vous n'ignorez pas que j'en fais votre époux,Sitôt que son retour nous rendra sa présence. PARTHÉNIE, bas. Oui, si mon coeur enfin peut souffrir violence : FÉLICIE. Cependant dans le Temple en ce jour glorieux,Allons tous de ce pas rendre grâces aux Dieux. ACTE II SCÈNE I. Ismène, Thersandre, Thimante. ISMÈNE. Oui, Thersandre, j'ai fait ce que j'ai pu pour toi,J'ai fait voir tes soupirs, ta constance, ta foi ;Pour la persuader j'ai fait tout mon possible, Mais j'ai perdu mon temps, Diane est insensible,Et son coeur que l'amour ne saurait plus toucher,Parmi tant de rochers est devenu rocher. THERSANDRE. Que ferai-je, Thimante ? Ha ! Que ma peine est rude. THIMANTE. Quitte-la cette ingrate, et sors de servitude. THERSANDRE. Le moyen d'en sortir, je suis né malheureuxSous le funeste aspect d'un astre rigoureux,Qui malgré tous mes soins, afin de m'en défendrePoursuit Cléagenor sous le nom de Thersandre. ISMÈNE, bas. Qu'ai-je entendu, bons Dieux ? THIMANTE. Thersandre, qu'as-tu fait ? Est-ce ainsi que ta bouche a trahi ton secret,Regarde en quel péril te met ton imprudence,Ne redoutes-tu plus Néarque et sa puissance ? THERSANDRE. Non, je ne crains plus rien, je cherche le trépas,Et puisqu'il faut mourir, qu'importe de quel bras, Ici de tout conseil mon âme est dépourvue,Qu'importe que Néarque, ou Diane me tue. ISMÈNE, bas le demi Vers. Ô Dieux ! Qu'il est heureux : [Haut.]Celle pour qui tu meursN'a-t-elle point appris que ton coeur aime ailleurs,Si ta légèreté faisait naître ta peine, Tu lui donnes à tort le titre d'inhumaine. THERSANDRE. Cet amour, dont tu vois mon coeur inquiété,Au contraire est témoin de ma fidélité :Hélas ! J'aimais jadis un objet adorable,Les Dieux ne firent rien jamais de plus aimable, De roses et de lys ils formèrent son teint,Et dans ses yeux brillants le Soleil était peint,Pour te mieux exprimer ce que je t'en publie,Diane est son portrait, en elle on voit Célie,Elle eut comme Diane un port majestueux, Elle eut comme Diane, et la bouche et les yeux,Elle eut comme Diane un air fier, mais aimable,Enfin toute à Diane elle fut comparable :Mon coeur est donc constant ainsi qu'auparavant,Puisque je l'aime encor en son portrait vivant, Je crus lors que sa mort n'était point véritable,Et que Diane était cet objet adorable ;Mais quand je vis Diane avec tant de méprisTraiter l'ardent amour dont mon coeur est épris :Quand je vis ses rigueurs, et sa haine infinie, Je dis en même temps ce n'est pas là Célie,Et par ses cruautés je vis bien qu'en effet,Je suivais sa peinture, et n'aimais qu'un portrait. ISMÈNE. Quoi ? Célie est donc morte. THERSANDRE. Hélas ! C'est là ma peine ;Sur son funeste lit je la vis morte, Ismène, Et plus mort qu'elle encor je vis briller ces lieuxD'un reste de clarté qu'avaient lancé ses yeux :À l'instant un combat que j'eus pour cette belle,De Néarque, et de moi termina la querelle.Ce favori du Roi par d'infâmes désirs S'en formait un objet de ses sales plaisirs ;Cet outrage sanglant était fait à ses charmes,Je combattis Néarque, il me rendit les armes ;Mais la mort de Célie, et le courroux du RoiPour dérober ma tête aux peines de la loi, M'ont fait errer sept ans de Province en Province,Enfin lassé de voir le Cour de chaque Prince,Ici de tous périls j'ai cru me dégagerSous le nom de Thersandre, et l'habit de Berger,Et pour me cacher mieux pour un triste avantage, Les ennuis de mon coeur ont changé mon visage. ISMÈNE. N'as-tu rien de Célie ? THERSANDRE. Oui j'en reçu un jourCe gage précieux de sa fidèle amour,Regarde ce portrait, et juge je te prie,Ou si j'aime Diane, ou si j'aime Célie. ISMÈNE. Donne-moi ce portrait, ton mal en guérira,Diane le voyant pour toi s'adoucira ;Je vais lui faire voir. THERSANDRE. Que veux-tu faire, Ismène,Mais j'aperçois Diane ! Ô Dieux quelle est ma peine. SCÈNE II. Diane, Thersandre, Ismène, Thimante. DIANE, à Ismène. Je te cherchais partout. THERSANDRE, à Ismène. Si tu veux m'obliger Rends ce portrait, Ismène. ISMÈNE. Ha ! L'importun Berger,Entrons dedans ce bois, j'ai beaucoup à te dire. THERSANDRE. Lui montrer ce portrait ! Ha quel est mon martyre :Ha ! Déloyale Ismène, Est-ce là cette foiDont Thimante toujours m'a répondu pour toi. Oui, c'est par tes conseils que mon âme séduiteDe ma fidèle amour lui laissa la conduite ;Rien de toi, rien de moi ne la saurait toucher,Elle raille de tout, mais allons la chercher. ISMÈNE, revenant avec Diane. Je ne vois plus personne, et je te puis tout dire, Quelque maîtresse enfin pour Thersandre soupire,Oui quelqu'une en ces lieux moins cruelle que toiAccepte son service, et répond à sa foi ;Ce portrait que tu vois, et qu'il a reçu d'elle,De leurs feux mutuels est un témoin fidèle. DIANE. Que vois-je ? ISMÈNE. Ce portrait dont Thersandre est si vain. DIANE. Cléagenor en eut un pareil de ma main,Qui te l'a pu donner ? Ismène. ISMÈNE. C'est lui-même. DIANE. Ô Dieux ! Que dis-tu ? Ton erreur est extrême. ISMÈNE. C'est lui, te dis-je encor. DIANE. Ce discours est sans foi. ISMÈNE. Je le vois tous les jours, tu le vois comme moi. DIANE. En ces obscurités je ne puis rien comprendre. ISMÈNE. Il t'aime, et tu le fuis. DIANE. Je ne fuis que Thersandre. ISMÈNE. Et bien n'accuse plus que toi de ces ennuis,C'est ce Cléagenor qui t'aime, et que tu fuis. DIANE. Cléagenor, Ismène, ha cela ne peut être,Pourrais-je avoir été deux mois sans le connaître ;Car c'est depuis ce temps qu'il demeure en ces lieux. ISMÈNE. Ta douleur t'avait mis ce bandeau sur les yeux.Crois que depuis sept ans que tu vis ce rivage, Le temps qui change tout, change bien un visage :Le voici ce Thersandre, examine le bien,Cependant qu'avec lui j'aurai quelque entretien ;Feins d'entrer dans ce bois, et surtout ne te montreQu'alors que je t'aurai ménagé sa rencontre. DIANE, entrant dans le bois. Heureux gage d'amour. SCÈNE III. Thersandre, Thimante, Ismène, Diane. THERSANDRE, à Thimante. Tu vois ce qu'elle a fait,Dans les mains de Diane elle a mis ce portrait. THIMANTE. Elle entre dans ce bois. ISMÈNE. Thersandre un mot. THERSANDRE. PerfideAchève ici ton crime, et sois mon homicide,Frappe, frappe ce coeur qui n'espère plus rien, Mais par quel intérêt as-tu trahi le mien. ISMÈNE. Et de quoi te plains-tu ? THERSANDRE. Quelle grossière feinte !Oses-tu demander encor quel est ma plainte ? DIANE bas, le regardant d'où elle est cachée. Il a le même port. ISMÈNE. Donne-moi le loisir. THERSANDRE. Et quoi de feindre encor, et mentir à plaisir, Te suis-je point encor obligé de la vie. ISMÈNE. Que l'amour aisément dégénère en folie. THIMANTE. Thersandre écoute-la. THERSANDRE. Qu'est-ce qu'elle dira. ISMÈNE. Et bien que ton amour aille comme il pourra. THERSANDRE. Parles donc, que veux-tu ? ISMÈNE. Moi, je n'ai rien à dire. THIMANTE. Tu lui voulais parler. ISMÈNE. C'est que je voulais rire. THIMANTE. Parle-lui je te prie. THERSANDRE. Ismène, au nom des Dieux. ISMÈNE. Je me fais à mon tour aussi tenir à deux. THERSANDRE. Je t'écoute, dis-moi, que me veux-tu ? ISMÈNE. Te direQu'un rival a causé ton mal, et ton martyre. THERSANDRE. Un rival, à ce nom je suis tout animé. ISMÈNE. Oui, Thersandre, un rival, mais un rival aimé. THERSANDRE. Aimé, quoi de Diane ? DIANE, bas. Et de plus de toi-même. THERSANDRE. Je le hais cet ami, si ma maîtresse l'aime,Et quel qu'il soit enfin j'en veux mourir vengé. DIANE, bas. Si c'est Cléagenor ! Ô Dieux qu'il est changé. THERSANDRE. Où donc est ce rival ? ISMÈNE. Avecques toi Thersandre,Au prix de tout ton sang tu le voudrais défendre,Tu ne le quittes point. THERSANDRE, à Thimante. Sans rien dissimulerN'es-tu point ce rival, dont elle veut parler, Je te crois mon ami, ne feins-tu point de l'être,N'es-tu point ce cruel, ce perfide, ce traître. THIMANTE. Ismène réponds-lui. THERSANDRE. Que veux-tu dire encor. ISMÈNE. Thersandre a pour rival. THERSANDRE. Parle ? ISMÈNE. Cléagenor. THERSANDRE. Cléagenor, Ismène, ha ! Ma joie est extrême, Oui, j'aime ce rival autant comme moi-même,Et s'il peut être aimé de l'objet que je sers,Sans blâmer ses rigueurs j'adorerai mes fers. ISMÈNE. Va, tu n'as rien perdu, ton bonheur va faire envie,Diane s'est rendue au portrait de Célie. DIANE, bas. Qui l'aurait pu connaître à ses traits effacés,Mais mon amour enfin me les a retracés ;Abordons-les, cédons à mon impatience. THERSANDRE, à Ismène. Non, je ne crois point, mais Diane s'avance,Vois si ses yeux n'ont pas la même cruauté, Toujours le même orgueil, et la même fierté. DIANE. Ismène, je te cherche, et je te viens instruire. ISMÈNE. Et quoi Célie, as-tu quelque chose à me dire. THERSANDRE. Célie ? ISMÈNE. Oui Célie. THERSANDRE. Hélas ! C'est mon erreur,C'est son port et ses yeux, mais ce n'est pas son coeur. ISMÈNE. C'est elle tu la vois, oui Thersandre ; c'est elle. THERSANDRE. Quoi ? Du sein des tombeaux en est-il qu'on rappelle,Et ce Dieu qui préside à l'éternel sommeil,Par quelque privilège a-t-il fait son réveil. DIANE, à Thersandre. Et bien, quoiqu'à ta foi tu trouves cet obstacle, L'amour ne te peut-il faire croire un miracle ;Cléagenor me voit, et ne me connaît pas :Mon portrait est-il faux ? N'ai-je plus mes appas ?Vois si c'est ta Célie ; au moins si ce n'est elle,Ce n'est plus la beauté qui t'était si cruelle, Cléagenor. THERSANDRE. Célie. DIANE. Est-il possible, ô Dieux,Que je revoie ici ce que j'aime le mieux. THERSANDRE. Est-ce vous ? Ce peut-il enfin que je vous voie. ISMÈNE. Prenez bien garde à vous, on peut mourir de joie. THIMANTE. Sur cet exemple, Ismène, accorde en ce moment À mon impatience un baiser seulement :Vois que Diane enfin cesse d'être farouche. ISMÈNE. Quoi, l'objet te réveille ? Et l'exemple te toucheTu ne veux qu'un baiser ? THIMANTE. Je serai satisfait. ISMÈNE. Donne-moi donc des Vers, ou du moins un bouquet. THIMANTE. Je t'en apporterai, n'en doute point, Ismène. ISMÈNE. Je te le donnerai, ne t'en mets point en peine. THIMANTE. Voudrais-tu reculer encor ce qui m'est dû. ISMÈNE. Il en sera meilleur s'il est bien attendu. THERSANDRE. En peu de mots voilà toute mon aventure. DIANE. De mes malheurs aussi je t'ai fait la peinture,Tu vois comme en ces lieux pour pleurer librementJ'ai feint de plaindre un frère, en pleurant mon amant. THERSANDRE. Quelle félicité ! THIMANTE. Faites qu'elle vous dure,Et redoutez du sort le caprice, et l'injure. THERSANDRE. Avons-nous quelque chose encor à redouter ?Le sort n'est-il point las de nous persécuter. THIMANTE. L'amour est un enfant, il le faut bien conduire,Diane a des amants, Thersandre ils peuvent nuire,Philinte a l'esprit fourbe, et nous connaissons tous, Et qu'il aime Diane, et qu'il en est jaloux :Craignez de ce rival un trait de perfidie,Il gouverne à son gré l'esprit de Félicie,Et vous voyant servir d'obstacle à son amour,Il vous ferait donner l'ordre d'un prompt retour. THERSANDRE. Mais Diane après tout pour l'empêcher de nuire,Sur l'esprit de la Nymphe a-t-elle moins d'empire. ISMÈNE. Mais si la Nymphe t'aime ; oui je l'ai remarqué,Et tantôt à demi son coeur s'est expliqué,Quand au retour des jeux son aveu légitime Nous a fait voir à tous combien elle t'estime :Mais d'une estime enfin que l'amour suit de prèsEn termes fort précis, et qu'elle a dit exprès. THIMANTE. Son discours en effet revient à ma mémoire. THERSANDRE. Ô Dieux ! Que dites-vous ? DIANE. Je commence à le croire, Je m'en souviens aussi, j'en dois tout redouter,Et c'est là le seul mal qu'il nous faut éviter. ISMÈNE. Contre vos intérêts elle pourrait tout faire,Et ton refus enfin armerait sa colère :Sais-tu ce qu'elle peut, d'un clin d'oeil, de deux mots, Elle peut apaiser et mutiner les flots,Évoquer des tombeaux des corps en pourriture,Faire parler leur cendre, et marcher leur figure ;Ce sont là ces secrets que tandis qu'il régnaÀ sa postérité Zoroastre enseigna : Elle en est descendue, et pour se satisfaireElle ferait servir son art à sa colère. THERSANDRE. Je sais qu'à la magie elle étend son savoir,Oui, je crains son amour avec tant de pouvoir,Je me rends à ce coup, dites que faut-il faire. THIMANTE. Vous cacher sous les noms, et de soeur, et de frère,Cependant qu'en ces lieux sous ce déguisementNous sèmerons le bruit de cet événement. THERSANDRE. J'approuve cet avis. DIANE. Il importe à ma vie. ISMÈNE. Je vais pour commencer mentir à Parthénie. SCÈNE IV. Parthénie, Ismène, Diane, Thersandre, Thimante. PARTHÉNIE. Ismène, je voudrais te parler un moment. ISMÈNE. Quand vous aurez pris part à leur contentement,Diane désormais n'a plus de plainte à faire,Et le Ciel a permis qu'elle ait trouvé son frère,C'est cet heureux berger, ils se sont reconnus. PARTHÉNIE. D'un tel événement mon esprit est confus,Quoi Thersandre son frère ? DIANE. Oui, Nymphe, c'est lui-même,Lui pour qui ma douleur jusqu'ici fut extrême,Les Dieux ont à la fin écouté mes soupirs. THERSANDRE. Oui, Madame, les Dieux ont comblé nos désirs. PARTHÉNIE. J'en ai beaucoup de joie, et mon âme est ravieDe ce bonheur qui fait le bien de notre vie :Diane à son loisir me fera tout savoir,Mais avertissez-en la Nymphe, et l'allez voir. THERSANDRE. Nous devons cet avis à notre Souveraine. PARTHÉNIE. Je pourrai cependant entretenir Ismène,Thimante son amant n'en sera point jaloux. THIMANTE. Qu'un tiers n'y vienne point, je ne crains rien de vous. PARTHÉNIE. Ismène, je ne sais, si je te le dois dire.Hélas ! ISMÈNE. Je le sais bien, puisque le coeur soupire, Quand on veut dire j'aime, et qu'on ne l'ose pas,Le coeur à point nommé vous fournit un hélas !N'ai-je pas deviné ? PARTHÉNIE. Je le confesse, Ismène,Devine donc aussi l'objet qui fait ma peine,Que je ne parle point, épargne-moi ce soin. ISMÈNE. Je ne puis, un soupir ne porte pas si loin ;Vous aimez, mais le reste est pour moi lettre close,Si vous ne m'expliquez ce soupir par sa cause. PARTHÉNIE. Oui, j'aime. ISMÈNE. Mais qui. PARTHÉNIE. C'est. ISMÈNE. Achevez. PARTHÉNIE. Clidamant. ISMÈNE. Voilà bien des façons pour nommer un amant ; Ha ! Que vous avez peur que votre lèvre y touche,Il vous le faut tirer mot à mot de la bouche ;Vous n'avez qu'un amant, vraiment c'est bien de quoi,Si vous en aviez donc des listes comme moi,Qu'à toute heure du jour, et je nomme, et je compte, Il vous ferait beau voir avecques votre honte,L'amour est un beau fruit, mais il le faut cueillir,Et la honte le laisse, et tomber, et vieillir.Mais après tout enfin que dira Félicie,Qui prétend qu'à Thyrsis sa nièce se marie. PARTHÉNIE. Je le hais ce Thryrsis, et suis au désespoirSi la Nymphe m'oblige à suivre mon devoir,Je le suivrais pourtant sans en être alarmée,Si j'aimais Clidamant sans que j'en fusse aimée :Car enfin je suis fière où m'engage l'honneur, Pour cela je voudrais avoir sondé son coeur,Et suivant la pensée où je verrais son âmeJe prendrais de l'amour, ou j'éteindrais ma flamme ISMÈNE. Que ne lui parlez-vous, il n'est rien plus aisé. PARTHÉNIE. Ismène, ton esprit est encor peu rusé, Si j'osais lui parler il a peu de lumière,S'il ne me connaissait atteinte la première,Et je me commettrais à donner cet aveu. ISMÈNE. Vous lui pouvez écrire. PARTHÉNIE. Encor tout aussi peuCe même point d'honneur n'ose me le permettre, Ne connaîtrait-il pas mon amour par ma lettre,Et de ma honte enfin ne serait-il pas vain,S'il en pouvait avoir cette marque en la main. ISMÈNE. Qu'il le devine donc, s'il sait l'Astrologie. PARTHÉNIE. Ne traite point ainsi mon feu de raillerie. ISMÈNE. Il faut que je vous serve en votre passion,Je viens de m'aviser de cette invention,Je lui veux seule écrire, et par une amour feinteD'un mal qu'il n'a pas fait, lui faisant voir l'atteinte,Sitôt qu'il fera nuit l'inviter de venir À l'écho du jardin pour l'en entretenir. PARTHÉNIE. En mon absence ainsi tu verras ce qu'il pense. ISMÈNE. Cette affaire vous touche, et veut votre présence,Vous lui parlerez bas, et dans ces doux momentsVous verrez beaucoup mieux quels sont ses sentiments, Et vous pourrez ainsi pour découvrir s'il aime,Vous-même sous mon nom lui parler de vous-même. PARTHÉNIE. Et tu seras présente ? ISMÈNE. Oui, je ferai si bienQu'il croira me parler dedans cet entretien. PARTHÉNIE. Mais comment à l'écho lui pouvons-nous rien dire, Car sitôt qu'il est nuit la Nymphe se retire ;Et tu sais bien qu'alors nous n'y saurions aller,Quelle est donc ton adresse, et comment lui parler ? ISMÈNE. Ne lui pouvons-nous pas parler de la terrasse,Qui répond au jardin et sur la même place, Vous savez qu'à toute heure et fort commodément,Vous y pouvez entrer de votre appartement,Et c'est sur cela même et sur ces conjonctures,Pour mon intention que j'ai pris mes mesures. PARTHÉNIE. J'admire ton esprit, il est industrieux. ISMÈNE. J'en veux écrire ici le billet à vos yeux,En voici le papier. PARTHÉNIE. Quoi ce sont tes tablettes ? ISMÈNE. Elles savent parler des passions discrètes,Je m'en vais employer mon style le plus doux. PARTHÉNIE. Surtout, marque-lui bien l'heure et le rendez-vous, Ha ! Que ton rare esprit me rend un grand service,Que ne te dois-je pas pour un si bon office,Tu sais me redonner la vie et le repos. ISMÈNE. Voyez ce que pour vous je lui mande en deux mots,Ils sont assez pressants, et ce discours l'engage À venir sur les lieux en savoir davantage. PARTHÉNIE. Il est fort bien : il reste à lui faire tenir. ISMÈNE. Laissez m'en le souci ; mais je le vois venir. SCÈNE V. Philinte, Clidamant, Parthénie, Ismène. PHILINTE, à Clidamant. Oui, Diane est sa soeur, et je viens de l'apprendre. CLIDAMANT, à Parthénie. Madame, nous cherchons l'un et l'autre, Thersandre, Afin que de son heur nous soyons les témoins. ISMÈNE, bas à Clidamant. Thersandre est bien heureux, mais tu ne l'est pas moins,Et par ce qu'en ta main la mienne ose remettre ;Vois que de ton bonheur tu peux tout te promettreSans ce jaloux. PARTHÉNIE, à Ismène. Allons la Nymphe nous attend. ISMÈNE, bas à Clidamant. Ne pouvant te parler, lis tu seras content. CLIDAMANT. Lis, tu seras content, qu'est-ce qu'elle veut dire ? PHILINTE. Prends seulement la peine, et d'ouvrir, et de lire. CLIDAMANT. Je crois que j'en puis bien faire témoins tes yeux,Ce n'est rien de secret, ni rien de sérieux, Ismène aime à railler, et veut qu'on parle d'elle,Et c'est de sa façon quelque pièce nouvelle. PHILINTE. Que j'ai d'impatience, ouvre donc promptement. CLIDAMANT. Il faut voir, c'est autant de divertissement,Découvrons si pour moi quelque bonheur s'explique Il lit.Liste de mes amants par ordre alphabétique.C'est fort bien débuter, mais dans ce que je voisJe ne remarque encor, ni Philinte ni moi. PHILINTE. J'y renonce pour moi, tourne la feuille, avance. CLIDAMANT, lit. Stances de Dorilas sur la même inconstance. Ton inconstance, Ismène, et ta légèreté Égalent ta beauté, Aux traits de ton caprice un amant est en butte, À ton premier dédain il cherche le trépas, Et ne fait rien qu'un pas De sa gloire à sa chute. Avec tous ces défauts tu sais l'art de charmer, Et je te veux aimer ; Je trouverai tout bon, jusqu'à ton inconstance, Et n'imiterai point de peur de ton courroux Philinte le Jaloux Que toute chose offense. Philinte qu'en dis-tu ? PHILINTE. Je vois par quel dessein,Ismène t'a remis ces tablettes en main,Je l'appelais tantôt coquette, elle en enrage, Et croit bien repousser l'outrage par l'outrage. CLIDAMANT, continue de lire. Sonnet de Sylvio son plus fidèle amant,Madrigal de Thyrsis : Au Berger Clidamant.Cli... Philinte, dis-moi, n'ai-je pas la berlue,Vois si comme mes yeux ce nom frappe ta vue. PHILINTE, regardant dans les tablettes. Il n'est rien plus certain, cela t'est adressé,Et tu te vois heureux, plus que tu n'as pensé. CLIDAMANT, lit. À l'écho du jardin, ce soir et dans l'ombrage, Je veux t'entretenir ; On t'aime, si tu veux en savoir davantage Ne manque d'y venir ISMÈNE. PHILINTE, voulant prendre les tablettes. Que je voie, accorde-moi ce bien,Quoi, tu ne le veux pas ? Ne me déguise rien,Il est écrit Diane, et tu me lis Ismène. CLIDAMANT. Ha jaloux ! Jusqu'à quand veux-tu faire ta peine. PHILINTE. Montre-moi. CLIDAMANT. Pour guérir ton esprit agitéJe veux vaincre d'abord ta curiosité,Et puis l'amant discret, quelque ardeur qui te presseNe montre pas ainsi le nom de sa maîtresse. PHILINTE. Mais. CLIDAMANT. Quitte tes soupçons, sitôt qu'il sera nuit ; Je me rends à l'écho sans témoins, et sans bruit,Je brûle de savoir ce qu'on me veut apprendre,Cependant chez la Nymphe allons chercher Thersandre. PHILINTE, bas. Pour te croire, et pour mieux en informer ma foi,Je veux au rendez-vous aller avecque toi. ACTE III SCÈNE I. Félicie, Diane. FÉLICIE. Je te le dis encor, j'ai grand plaisir d'apprendreQue Diane est la soeur du généreux Thersandre,Il vient de m'informer de l'étrange malheur,Qui sépara sur mer le frère de la soeur,En quels lieux, sur un ais, échappé du naufrage, De la mer en courroux le vint pousser l'orage,Quels pays il a vus, ses peines, son souci,Et du bonheur enfin qui l'a conduit ici ;J'en rends grâces au Ciel qui te la fait connaître,Dans mon coeur comme au tien, la joie en vient de naître ; Il a des qualités dignes du nom de Roi,Vous trouverez tous deux un asile chez moi,Et l'un et l'autre ici vous n'aurez de fortune,Qui ne touche mon coeur, et ne me soit commune,Je crois que de sa part Diane en use ainsi, Et que ce qui me touche enfin la touche aussi. DIANE. Il me souvient toujours qu'étant sur le rivage,Un reste malheureux des flots et de l'orage,De moment en moment n'attendant que la mort,J'ai rencontré chez vous mon asile et mon port ; Pour toutes ces bontés que n'ai-je la puissanceDe vous montrer combien j'ai de reconnaissance. FÉLICIE. Tu le peux. DIANE. Et comment. FÉLICIE. N'attendant que la mort,Tu peux être à ton tour mon asile et mon port,Tu peux vaincre à ton tour l'ennemi qui me brave, Qui d'une souveraine en veut faire une esclave,Il est en ton pouvoir, tu peux le mettre à bas. DIANE. Quel est cet ennemi qui trouble vos États. FÉLICIE. Un qui des plus vaillants peut enchanter les armes,Qui des plus généreux peut arracher des larmes, Qui ne voit rien de fort dont il ne vienne à bout,Et sans rien respecter porte le feu partout. DIANE. Je ne le connais point encore par ces marques. FÉLICIE. Quoi ? Tu ne connais point ce tyran des monarques ?Des plus grands Conquérants ce fameux triomphant, Et qui n'est toutefois qu'un aveugle, un enfant. DIANE. Si j'osais m'expliquer, je pense le connaître. FÉLICIE. Ne crains rien. DIANE. Cet enfant, cet aveugle, ce maître,Il me semble avoir vu l'amour dépeint ainsi. FÉLICIE. Et c'est ce même amour dont je te parle aussi. DIANE. Quel est l'heureux amant qui fait votre martyre. FÉLICIE. Ne peux-tu m'épargner la honte de le dire,Ô nuit couvre bientôt pour plaire à mon ardeur !Et ces lieux, et mon front d'une même couleur ;J'aime, mais achevons puisque j'ai dit que j'aime, Thersandre est mon objet. DIANE. Quoi mon frère ? FÉLICIE. Lui-même.Si son coeur est un prix difficile à gagner,Il n'est rien que pour lui je voulusse épargner,J'armerais pour l'avoir, tout me serait possible,Et nul obstacle enfin ne serait invincible, Déjà par quelques mots qu'il n'a pas remarqués,Mon amour en passant s'en était expliqué. DIANE. Comme à ce grand honneur, il n'oserait prétendreIl serait criminel, s'il croyait vous entendre. FÉLICIE. Et bien sois donc ici la bouche de mon coeur, De mon âme timide explique la chaleur,Dis-lui que sous ses lois mon âme est asservie,Qu'il peut se présumer digne de Félicie,Que son ambition peut aller jusqu'à moi,Et qu'il peut soupirer mêmes soupirs qu'un Roi ; Ménage-moi ce coeur, à qui le mien aspire,Mais qu'il ne pense pas que je le fasse dire,À le penser ainsi mon honneur court hasard,Donne-lui seulement cet avis de ta part. DIANE. Il se doit ici rendre, et je veux l'en instruire. FÉLICIE. Sitôt qu'il paraîtra d'abord je me retire,Et d'un de ces endroits vous entendrai tous deux,Mot à mot, et répondre, et parler de mes feux. DIANE. J'agirais ce me semble avec plus d'assurance,Si seule avecques lui j'étais en confidence. FÉLICIE. Non, je veux écouter ce qu'il pense de moi,Mon oreille, et mes yeux m'en feront plus de foi. DIANE. Mais, Madame, après tout. FÉLICIE. La chose est résolue,Bergère, cependant jusques à sa venue,Viens d'un air, je te prie, entretenir ces bois, Et voyons si l'écho veut répondre à ta voix. DIANE. C'est un commandement qu'une telle prière,Quelques plaintes d'amour en feront la matière. CHANSON. Arbres, rochers, doux et charmants Zéphyrs, Ruisseaux, murmurantes fontaines, Dans votre sein, cachez mes déplaisirs, Seuls témoins de mes feux, confidents de mes peines, Dites-moi si mon coeur n'osant se déclarer, Au moins peut soupirer. L'ÉCHO. Peut soupirer. Et bien soupirs, ne faites point de bruit, Montrez mes sensibles atteintes, Mais seulement au coeur, qui vous produit Ne pouvant te parler, cher objet de mes plaintes, Que l'écho qui m'entend, puisse dire pour moi, Que si j'aime, c'est toi. SCÈNE II. Thersandre, Félicie, Diane. THERSANDRE. Diane est en ces lieux, et sa voix m'en assure. FÉLICIE, à Diane bas. Ton frère vient ici, prends cette conjoncture,Surtout parle-lui haut, toi seule es mon espoir, Je vais de cet endroit t'écouter, et te voir. DIANE, bas. Ô Dieux ! Tout est perdu, Thersandre va tout dire. THERSANDRE. Enfin il n'est plus temps que notre coeur soupire,Reprenons notre joie, et tarissons nos pleurs,Changeons dans ce grand jour nos épines en fleurs, Ne renouvelons plus nos disgrâces passées,Formons notre entretien de plus douces pensées,Et qu'un propos d'amour. DIANE. Laisse m'en le souci,Je veux sur ce sujet t'entretenir ici. THERSANDRE. C'est à moi d'en parler, et quand je considère De quels traits en mon coeur. DIANE. Je le sais bien mon frère,Ce n'est pas d'aujourd'hui que je lis en ton coeur,Et l'on ne vit jamais frère aimer tant sa soeur. THERSANDRE. L'amour dont je te veux faire voir les atteintesPasse celui d'un frère, il fait naître des plaintes, Il m'a fait soupirer, désespérer, mourir,L'amour pour une soeur ne fait point tant souffrir,Mais j'aime. DIANE. Je devine, et tu brûles d'envieDe me parler ici de l'amour de Célie. THERSANDRE. Oui, je prends grand plaisir d'en parler avec toi, Il me semble toujours la voir quand je te vois,Que mon amour te trouve à propos pour t'en faire,Comme j'ai toujours fait seule dépositaire,Assuré que je suis jusqu'ici sur ta foi,Que ton coeur m'est fidèle, et toujours tout à moi. DIANE. Tu n'en saurais douter. THERSANDRE. Ô ! Ma chère. DIANE. Mon frère,Je ne connais que trop bien je te suis chère. THERSANDRE. Tes beaux yeux. DIANE. Quoi ? Flatter ta soeur par ce discours. THERSANDRE. Je ne saurais parler, tu m'interromps toujours. DIANE. L'avis en vaut la peine, et je te veux apprendre, Que de l'estime on passe à l'amour pour Thersandre,Qu'à peine arrives-tu que ton propre bonheurTe donne sans travail la conquête d'un coeur,Mais d'un coeur qui des Rois pourrait faire l'envieD'un grand coeur, en un mot du coeur de Félicie. THERSANDRE. Ô Dieux ! Que me dis-tu ? DIANE. Ce qui doit t'étonner,Je vois qu'elle est ta peine à te l'imaginer ;Ce grand heur en ta foi ne trouve point de place,Pour t'en féliciter il faut que je t'embrasse. Elle lui dit bas en l'embrassant.La Nymphe nous écoute, et tu dois feindre ici. Elle dit haut.Oui, sans doute elle t'aime, il faut l'aimer aussi,Reçois donc de ma part ce conseil qui t'honore,Pour t'en mieux assurer que je t'embrasse encore. Elle dit bas.Je suis sa confidente, et t'en dois avertir. Elle dit haut.À ces excès d'honneur veux-tu pas consentir, Pense que ta Célie en cette conjonctureN'a rien qui contre toi dans son coeur en murmure. THERSANDRE. À cet excès d'honneur où tu me vois rêver.Je me cherche moi-même, et ne me puis trouver,Oser aimer la Nymphe, oser brûler pour elle, Non, mon ambition n'est point si criminelle. DIANE. Sous ces profonds respects je vois bien ton amour. THERSANDRE. Aussi puis-je autrement, ma soeur, le mettre au jour ?Si la Nymphe me tente, et m'en veut faire un crime,Il n'aura que le nom d'un respect légitime, Et pour m'en expliquer, si je vois quelque jourCe respect légitime aura le nom d'amour DIANE. Il a ce nom, mon frère, et je suis toute prêteDe lui vanter déjà son illustre conquête ;Mais enfin ce Soleil se plonge dans les eaux, Et l'ombre se saisit du sommet des coteaux.Je me ferai demain encore mieux entendre,Auprès de Félicie il est temps de me rendre,Mais la voici. FÉLICIE, sortant d'où elle était cachée. De quoi discourez-vous tous deux. DIANE. De maîtresse, d'amour, de soupirs, et de feux. FÉLICIE. Thersandre aurait-il fait déjà quelque maîtresse. THERSANDRE. Madame, j'ai trop peu de mérite, et d'adresse,Hors de vous obéir je ne demande rien,Et vos bontés pour nous faisaient notre entretien,Ce coeur y répondra de toute sa puissance, Et je mourrai plutôt que ma reconnaissance. SCÈNE III. Philinte, Félicie, Diane, Thersandre. PHILINTE, appelant. Clidamant. FÉLICIE. C'est assez, sortons j'entends du bruit,Je ne veux pas qu'ici l'on me voie, et de nuit. PHILINTE, continuant d'appeler. Ismène, Clidamant ; ma voix est entendue,Ils fuient, et la nuit les dérobe à ma vue ; Mais ce n'est point Ismène, et je me trompe fort,Ou j'ai vu de Diane, et la taille, et le port ;Oui, Clidamant me trompe, et m'en a donné d'une,Diane à mes dépens établit sa fortune,Et ce billet enfin qu'il m'a voulu cacher, Était souscrit d'un nom si charmant et si cher.Oui, c'était de Diane, il me lisait Ismène,Pour épargner un peu ma douleur et ma peine.Que je suis simple encor, et pourquoi n'ai-je pas,Et suivi Clidamant, et marché sur ses pas : Mais peut-être à ce bruit est-ce lui qui s'avance.Écoutons bien. SCÈNE IV. Clidamant, Philinte. CLIDAMANT, sans voir Philinte. Ô nuit ! Prête-moi ton silence,Fais taire tous ces bois en l'absence du jour,Et ne laisse parler ici que mon amour.Enfin je suis défait d'une troupe importune Qui voulait faire obstacle à ma bonne fortune,De ce Berger jaloux sans respect et sans foi. PHILINTE. Tu me fais grand honneur parlant ainsi de moi,Oui, malgré tous mes soins, et toute mon adresse,Tu viens de voir sans moi ton aimable maîtresse. CLIDAMANT. Moi, je viens de parler à quelqu'un en ces lieux ?Moi, j'ai vu ma maîtresse ? PHILINTE. Oui, si j'ai de bons yeux,Tu parlais à Diane, et voyant ma poursuiteTous deux en même temps vous avez pris la fuite,Ces bois vous ont cachés. CLIDAMANT. Que me dis-tu, bons Dieux ! PHILINTE. Mais je serai plus fin, et je vous suivrai mieux. CLIDAMANT. Je ne puis rien du tout comprendre en ce langage,Mais cette défiance enfin me fait outrage,Pourquoi souhaites-tu d'accompagner mes pas,Si l'objet qui m'attend ne me le permet pas ; Veux-tu produire au jour des passions secrètes,Ismène, toi présent m'a donné ces tablettes,C'est elle qui m'attend à l'assignation,Diane ne sait rien de cette invention :Possède si tu veux cette Bergère aimable, Et de ces trahisons ne me crois pas capable,Je cherche Ismène, et fuis les témoins et le jour ;Berger retire-toi, laisse en paix mon amour,Pourquoi veux-tu me rendre un si mauvais office ? PHILINTE. Cette assignation marque quelque artifice, J'ai remarqué tantôt au spectacle des jeuxDe Diane et de toi le commerce amoureux,Tant d'accueils, de souris, tant de mots à l'oreilleMe forment un soupçon qui toujours me réveille. CLIDAMANT. Cesse pour mon repos d'en être inquiété, Ce n'était un effet que de civilité ;Je te le dis encor, je te laisse Diane,Que je hais tes soupçons, et que je les condamne. PHILINTE. Ismène est assez libre, elle aurait pu le jour,Si c'est elle en effet, t'expliquer son amour, Pourquoi chercher la nuit afin de te le dire ?Pour quoi n'oser parler ? Et pourquoi te l'écrire ? CLIDAMANT. En vain, jaloux Berger, tu me l'as demandé,Ce que je te puis dire, est que je suis mandé,Je ne puis au surplus te rien dire de reste, Si c'est occasion favorable ou funeste,Et quand je te pourrais éclaircir sur ce point,Je te le dis encor tu ne le saurais point. PHILINTE. Je te suivrai partout. CLIDAMANT. Ha Dieux ! La peine extrême.Laisse-moi. PHILINTE. Je te suis. CLIDAMANT. Demeure donc toi-même. Je te quitte la place, adieu, perds ton souci. [À part.]Je feins de m'éloigner, pour l'éloigner aussi. PHILINTE. Quoi tu me laisses seul, et ta ruse me cacheCes secrets qu'après tout il faut bien que je sache ?Feins tant que tu voudras, je saurai malgré toi À qui des deux objets tu donneras ta foi,Je serais bien témoin de ton amour secrète,Mais un autre rendra mon âme satisfaite,Thimante m'apprendra toute l'invention,Je m'en vais l'avertir de l'assignation, Si Diane y paraît, il viendra m'en instruire,Si c'est Ismène aussi, je le fais pour lui nuire :Quand Thimante verra sa Maîtresse aujourd'huiDonner des rendez-vous à d'autres comme à lui,Et qu'à l'heure qu'il est l'inconstante s'engage, S'il ne cesse d'aimer il n'a point de courage,Ainsi j'aurai plaisir dans mon ressentimentD'affaiblir la fierté d'Ismène, d'un amant,Allons donc l'avertir. SCÈNE V. Parthénie, Ismène. PARTHÉNIE, sur la terrasse. J'entends du bruit, Ismène,N'est-ce point Clidamant. ISMÈNE. N'en soyez point en peine, Nous le saurons bientôt. PARTHÉNIE. Je n'entends plus de bruit,Et vois régner partout le silence, et la nuit. ISMÈNE. À ce coup j'ois quelqu'un, ménageons bien la feinte. PARTHÉNIE. Que de peur et d'amour, je sens mon âme atteinte. SCÈNE VI. Clidamant, Ismène, Parthénie. CLIDAMANT. Personne ne me suit, je suis en liberté, Et mon jaloux enfin n'est plus ici posté. ISMÈNE. Madame, c'est lui-même. CLIDAMANT. Avançons pour m'instruireDe ce qu'en ces jardins Ismène me veut dire ;Ismène. ISMÈNE, bas. Clidamant. CLIDAMANT. Est-ce toi ? ISMÈNE. Je t'attends. CLIDAMANT. Tu pourras m'accuser d'avoir trop tardé longtemps, Mais un jaloux. ISMÈNE. On t'aime, et n'en sois point en doute,Approche parlons bas, j'ai peur qu'on nous écoute,Mettez-vous, en ma place, et prenez ce moment. SCÈNE VII. Thimante, Clidamant, Parthénie, Ismène. THIMANTE, parlant à Philinte. Je te suis obligé de l'avertissement,Si je trouve à l'écho Diane, ou bien Ismène, Mon fidèle rapport te tirera de peine,Je le promets, Philinte, et je le veux tenir,Ismène fort souvent me fait venir ici,Où sa bouche en secret malgré son inconstance,D'une constante amour me donne l'espérance, Et personne en ces lieux pour gage de sa foi,À ces heures jamais ne l'entretient que moi :Je lui vais maintenant reprocher de s'y rendre,Sans qu'un mot de sa part soit venu me l'apprendre ;Approchons doucement, et sans faire de bruit, Et gardons de lui faire un scandale la nuit,Ismène. CLIDAMANT, quittant Parthénie. Quelque bruit a frappé mon oreille,Je reviens. PARTHÉNIE. Quelle peur à la mienne est pareille,Ismène, approche-toi. CLIDAMANT, parlant à Thimante qu'il prend pour Philinte. Philinte, en vérité,Je ne puis plus souffrir votre importunité, Pourquoi s'imaginer que je fais votre peine ?Je ne parle en ces lieux qu'à la Bergère Ismène ;Je vous le dis encor, je viens mandé, certainQue le mot est écrit, et signé de sa main :Oui, d'amour pour moi seul cette belle soupire, Sa bouche vient encor ici de me le dire,Je réponds à ses feux, et vous puis assurerQue Diane jamais ne m'a fait soupirer. THIMANTE, bas. Ha ! Perfide. CLIDAMANT. Voyez le mal que vous me faites,Pour vous en éclaircir voulez-vous ces tablettes ; Tenez, voyez son nom, examinez-le bienEt prenez du repos, sans plus troubler le mien.À me persécuter, mettez-vous votre gloire ? THIMANTE, bas. Honte de mes amours, va sors de ma mémoire,J'ai de quoi te convaincre, et quand je l'aurai fait Je te quitte esprit fourbe, et serai satisfait. CLIDAMANT. Philinte, qu'est-ce encor que votre coeur murmure,Il faut rompre avec vous si cette humeur vous dure,Vous n'aurez plus d'amis en agissant ainsi,Et votre esprit jaloux... mais il n'est plus ici, Je vais revoir l'objet qui me charme et qui m'aime. PARTHÉNIE, à Ismène. Voilà notre discours, achève-le toi-même. CLIDAMANT. Enfin je suis défait des yeux de mon jaloux,J'ai fait sortir Philinte. ISMÈNE. Adieu retirons-nous,Je te dis encor, je suis bien avertie Que ton ambition aspire à Parthénie,Ah qu'ainsi tu me tiens d'inutiles propos. CLIDAMANT. Et bien je veux encor te le dire en deux mots,Du haut rang qu'elle tient j'ai trop de connaissancePour oser élever si haut mon espérance : Ha ! Si j'osais l'aimer... mais moins ambitieux,J'écoute mon devoir, et je me connais mieux,Adieu jusqu'à demain. PARTHÉNIE, à Ismène. Que j'ai l'âme contente,Ismène, et qu'en amour je te trouve savante,J'admire ton esprit, et ton invention, Et la chose répond à mon intention. ISMÈNE. Voyez par ce discours qu'il nous a fait entendreL'amour sous ce respect, comme un feu sous la cendre,Ce n'est pas d'aujourd'hui, que vos charmes l'ont pris. PARTHÉNIE. Cependant. ISMÈNE. Cependant vive les beaux esprits, Sans moi vous étiez mal, et réduite au martyre,De mourir de douleur, et d'amour sans le dire. PARTHÉNIE. Il est tard, allons voir en l'absence du jourSi le sommeil viendra sur les pas de l'amour. ACTE IV SCÈNE I. Thimante, Ismène. THIMANTE. Quoi ? Perfide, de nuit, pour aigrir mon courroux, À quelque autre qu'à moi donner des rendez-vous :Oui, de nuit au jardin, sans lumière, et sans suite,Du Berger Clidamant recevoir la visite. ISMÈNE. Quoi ? Thimante en courroux, ô Dieux qui l'eut pensé. THIMANTE. Je me plains sans raison, et j'ai l'esprit blessé, J'ai de fort mauvais yeux, je n'ai rien vu paraître,Et jamais ce Berger ne m'a pu reconnaître :C'est trop longtemps, volage, arrêter tes esprits,Regarde ce témoin lui seul m'a tout appris,Je douterais encor que tu fusses coupable, Si ce témoin si fort n'était irréprochable ;Mais puisqu'en ce moment je dégage ma foi,Je te rends tes papiers, et ne veux rien de toi. ISMÈNE. Et bien si je n'avais su pourvoir de bonne heure,Quand l'un me quitte, au moins que l'autre me demeure, Dans ce moment fatal qui fait ton changement,J'aurais le déplaisir de n'avoir plus d'amant ;Mais grâces aux Dieux, plus d'un m'appelle sa maîtresse,Et je n'en aurai pas moins de cour, moins de presse,Ces tablettes font foi de ceux que j'ai soumis, Quitte pour te rayer du rôle où je t'ai mis. THIMANTE. Volage. ISMÈNE. Toutefois mon âme en est atteinte,Thimante, ta douleur est l'effet d'une feinte,Je t'en vais éclaircir, donne-toi seulementLe temps d'attendre ici le Berger Clidamant, J'ai l'ordre devant lui de découvrir la ruse,Et je sais qu'aussitôt tu me feras excuse ;Mais le voici venir. SCÈNE II. Clidamant, Ismène, Thimante. CLIDAMANT. N'ai-je point tôt tardé,Ne me soupçonne point, Thimante, on m'a mandé,Et bien que me veux-tu ? ISMÈNE. Ton malheur est extrême, Thimante ne saurait souffrir qu'un autre m'aime,Et prétend aujourd'hui dans le sort des combatsMesurer avec toi son épée et son bras. CLIDAMANT. Choisis qui de nous deux tu crois le plus fidèle,Et par ce choix enfin accorde la querelle. ISMÈNE, à Thimante. En êtes-vous d'accord. THIMANTE. Oui, mon coeur s'y résout. ISMÈNE, à Clidamant. Pour lui je l'aime un peu, mais pour toi, point du tout,Ma bouche est de mon coeur le fidèle interprète. CLIDAMANT. Ô du sexe inconstant ! Fille la plus coquette,Tu n'aimes qu'un moment, j'aime un moment aussi. ISMÈNE. D'un secret toutefois tu dois être éclairci. CLIDAMANT. Un secret en ton coeur sans doute est bien en vue. ISMÈNE. Tu crois bien hier au soir m'avoir entretenueÀ l'écho du jardin. CLIDAMANT. Oui. ISMÈNE. Si tu te trompais,Et qu'une autre en ma place eut contrefait ma voix. CLIDAMANT. Que me viens-tu conter ? ISMÈNE. Cela pourrait bien être. CLIDAMANT. Je n'y comprends plus rien, et ne te puis connaître,Tu ne fais que tromper, en tout temps, en tous lieux,Tu tournes en tous sens, et ton coeur, et tes yeux,Quoi ? Quelque autre en ta place ? ISMÈNE. Et si par cette adresse Je t'avais su gagner le coeur d'une maîtresse ;Mais belle, mais illustre, et d'un si noble rang,Qu'après la Nymphe enfin elle a le premier rang. CLIDAMANT. Et bien mens à loisir, parle, tu peux tout dire,Je ne suis désormais en humeur que de rire. ISMÈNE. Si je ne te dis vrai, si quelque autre que moiNe reçut hier au soir tes serments, et ta foi,Pour le plus grand serment où mon honneur m'engage,Que je ne sois jamais coquette, ni volage. CLIDAMANT. Après un tel serment, il faut bien t'écouter. ISMÈNE. Non, ce n'est point à moi que tu viens en conter,Parthénie empruntait mon nom, et ma figure,Et tes yeux ont souffert cette douce imposture. CLIDAMANT. Ne t'ai-je pas connue au seul son de ta voix. ISMÈNE. Quand on t'a parlé haut, c'était moi qui parlais, Puis soudain Parthénie en ma place avancéeTe découvrait tous bas son âme, et sa pensée :Après un tel objet que j'ai su t'asservir,Juge si je l'entends, et si je sais servir. CLIDAMANT. Quoi ? Celle où son haut rang me défendait d'atteindre Celle dont je n'osais, ni parler, ni me plaindre,Celle à qui mon respect cachait mon amitié,Aurait été pour moi sensible à la pitié :Ha ! Cela ne se peut, y penser est un crime. ISMÈNE. Tu verras si je mens, et comme elle t'estime, Je l'attends en ces lieux. CLIDAMANT. J'obtiendrais mon désir,Que je baise tes mains, et meure de plaisir. SCÈNE III. Parthénie, Ismène, Clidamant, Thimante. PARTHÉNIE, voyant Clidamant baiser les mains d'Ismène. Que vois-je ? Ismène ici jouit de ma fortune,Je me retirerai si je vous importune,Continuez toujours, rare est cette faveur, Et qui donne les mains, peut bien donner le coeur. ISMÈNE. Ha ! Certes en amour vous êtes bien novice,Je viens de l'informer de tout notre artifice,Et la joie où d'abord mon discours l'a porté,A demandé de moi cette civilité ; À quels soupçons jaloux cet objet vous emporte,Il m'a pensé baiser, et vous en seriez morte :Ne vous troublez donc plus ainsi mal à propos. PARTHÉNIE. Ismène, tu me rends la vie, et le repos.On t'aime, Clidamant, et ce jaloux martyre Me devrait épargner la honte de le dire. CLIDAMANT. Belle Nymphe, croyez. PARTHÉNIE. Entrons dedans ce bois. CLIDAMANT. Là je veux que l'écho vous redouble ma voix.Et vous disant que j'aime, et d'une amour parfaite,Qu'il réponde que j'aime, et qu'il vous le répète. PARTHÉNIE. Ismène, sois témoin de nos chastes amours,Et viens avecques nous entendre nos discours ;Thimante, sois discret, et garde de rien dire. THIMANTE. Que le mal d'un jaloux est un cruel martyre,Que Philinte se trompe, et croit sans fondement, Que Diane est l'objet des feux de Clidamant ;Mais je la vois paraître, elle entretient son frère,Laissons-les en repos. SCÈNE IV. Diane, Thersandre. DIANE. Voyons ce qu'il faut faire,Car enfin elle t'aime, et t'aime infiniment,Et je t'en parle encor par son commandement. THERSANDRE. Donne-moi le conseil que tu veux que je prenne. DIANE. Puisque la Nymphe t'aime, il fait flatter sa peine,Autrement mon espoir se voyant enlevé,Je te perdrais encor après t'avoir trouvé ;De la Nymphe irritée, il nous faudrait tout craindre. THERSANDRE. Tout nous réussira, puisqu'il nous faut que feindre. DIANE. Ismène cependant s'informe sur le port,Quand ce vaisseau marchand sortira de son bord,Partout où nous voudrons, il pourra nous conduire ;Empêchons jusques-là la Nymphe de nous nuire ; Elle se doit ici rendre dans un moment,La voici, dissimule, et fais-en bien l'amant,C'est de là seulement qu'il nous faut tout attendre. SCÈNE V. Félicie, Diane, Thersandre. FÉLICIE. Un mot, Diane un mot, vous, attendez Thersandre,Et bien as-tu levé cet obstacle fâcheux, Qui venait s'opposer à l'espoir de mes feux ?As-tu pour établir le repos de ma vie,De l'esprit de ton frère effacé sa Célie ? DIANE. Son coeur suit, où l'appelle, et sa gloire, et ma voix,Et se laisse fléchir à de si douces lois. FÉLICIE. Ô ! D'une ardente amour merveilleuse interprète,L'as-tu bien averti de la tenir secrète. DIANE. Ce point m'est échappé, mais j'y satisferai,Et même devant vous je l'en avertirai.Trouvez bon cependant pour vous montrer son zèle Que je l'aille quérir : [Bas à Thersandre.]Feignez bien auprès d'elle. THERSANDRE, bas à Diane. Je vais sans que son coeur en devienne jaloux,Ne parler à ses yeux que de vous, et qu'à vous. Puis il dit à Félicie, à côté de laquelle est Diane qu'il regarde.Avez-vous pu douter, et serait-il possibleQu'à ma félicité mon coeur fût insensible, Que mon sort est heureux, que l'orage m'est doux,Qui me donne ce port dont les Rois sont jaloux,Près d'un si rare objet et près de tant de charmes,Quel superbe vainqueur ne rendrait pas les armes,Un rocher insensible en serait consommé, Le marbre le plus froid en serait allumé ;Oui, Madame, un bel oeil ouvre ici sa paupière,Ces lieux en sont déjà tous remplis de lumière ;Il est jour, et ce n'est qu'au Soleil de ses yeuxQue les feux de la nuit ont pâli dans les Cieux. Je confesserai donc, Madame, que je l'aime,Je vis en cet objet beaucoup plus qu'en moi-même,Et d'un heur sans pareil mon esprit est charmé,Quand je pense que j'aime, et que je suis aimé. FÉLICIE. Ne feins-tu pas d'aimer, viens me le dire encore. THERSANDRE. Ô Dieux ! Que dites-vous ? J'aime, ou plutôt j'adore. FÉLICIE. Et ta Célie enfin qui régnait sur ton coeur. THERSANDRE. J'ai mis ses intérêts dans les mains de ma soeur,Elle m'a bien promis d'accorder ma querelle,Et pour tout dire enfin elle me répond d'elle. FÉLICIE. Tu m'as vanté ses yeux l'objet de ton amour.Ils chérissent pour toi la lumière du jour,Et voudraient se couvrir d'une nuit éternelle,S'ils cessaient de te voir, ou vivant, ou fidèle :Pense bien de ta part à ce que tu promets, Sois ferme, sois constant, et n'y manque jamais,Ne considère point cette grandeur suprême,Sois tout à ton objet, aime-le pour lui-même,Et sans t'intéresser pour ton ambition,Flatte-toi de l'honneur de sa possession, Vois seulement s'il t'aime, et non pas s'il te donne,La beauté que tu sers doit être ta couronne,Et tu ne dois jamais hors de ces deux liensChercher d'autres grandeurs, ni trouver d'autres biens. THERSANDRE. J'aurai ces sentiments, n'en doutez point, Madame, Et jamais les grandeurs n'aveugleront mon âme,De ce lâche intérêt je purge mon amour,Et brûle d'un feu pur comme l'astre du jour. DIANE, à Félicie. De ce que j'oubliais j'avertirai mon frère ; [À Thersandre.]Si tu sais bien aimer, sache de plus te taire, Comme les autres Dieux l'amour a ses secrets,Souvent pour le servir il veut des coeurs muets :Garde-toi d'irriter sa jalouse puissance,Adore à ses autels, mais adore en silence,Le silence fait part de sa Religion, Et souvent ce Dieu fier s'offense de son nom.Tu perds tout dans l'île on en sait quelque chose,Aime sans en parler, c'est la loi qu'on t'impose,On t'aimera de même, use bien du secret,Autrement Félicie en mourrait de regret, On connaît bien l'excès de l'amour qui te touche,Mais pour ton intérêt mets le sceau sur ta bouche. FÉLICIE, [à Thersandre]. Oui, prends garde en effet qu'on s'en puisse douter,Je veux prendre mon temps pour le faire éclater,Je songe à ton repos qui le fait de ma vie, Cet aveu maintenant ferait naître l'envie,Et pour te disputer ce que je t'ai promis,De nos plus grands Héros ferait tes ennemis :Juge donc de quel prix est ton obéissance,Puisque tout ton bonheur, dépend de ton silence. THERSANDRE. Les Dieux m'auraient puni d'un grand aveuglement,Si je n'obéissais à ce commandement ;J'obéirai si bien, Madame, que vous-mêmeDouterez, ou si j'aime, ou si c'est vous que j'aime. FÉLICIE. Cependant de ta soeur je ferai mon secours, Elle ménagera nos communes amours ;Crois ce qu'elle dira, puisque je la veux faire,Des secrets de mon coeur seule dépositaire. THERSANDRE. J'en userai de même. PHILINTE, [arrivant dit] à Félicie. Un Marchand de BijouxQui vient toujours aux jeux, voudrait parler à vous. FÉLICIE. Que l'on le fasse entrer ; ce Marchand de Séville.Pour vendre et trafiquer tous les ans vient dans l'île. SCÈNE VI. Félicie, Fabrice, Thersandre, Diane, Philinte. FÉLICIE. Serez-vous bien longtemps encore à notre bord. FABRICE. Je n'attends pour sortir que votre passeport.Mais tous les ans, Madame, en usant de la sorte Je ne remporte rien de tout ce que j'apporte ;Vous videz ma cassette, et je viens vous montrerCe qu'ailleurs qu'en mes mains, on ne peut rencontrer. FÉLICIE. Voyons. FABRICE. Ce diamant jette beaucoup de flamme. FÉLICIE. Je le trouve fort beau. FABRICE. Vous plairait-il, Madame. FÉLICIE. Je le dirai tantôt, voyons tout à la fois,Puis je verrai sur quoi j'arrêterai mon choix ;Montrez-moi ce corail. FABRICE. La pièce en est fort belle,Votre île jusqu'ici n'en a point vu de telle. FÉLICIE. Et cette autre qu'est-elle ? FABRICE. Un morceau d'ambre gris, Madame, cette pièce est rare, et de grand prix ;J'ai bien couru des mers pour en faire l'emplette,Seule elle vaut le prix de toute ma cassette. DIANE. Et moi ne puis-je rien découvrir de nouveau. FABRICE, à Diane. Bergère, ce filet de perles est fort beau, Elles vous feraient voir plus belle, et plus brillante. FÉLICIE. Sans ces beautés de l'art elle est assez charmante,Elle n'a pas besoin d'ornements étrangers,Elle ferait mourir ici tous nos Bergers ;Mais Diane après tout, quoique belle sans elles, Je vous les veux donner, si vous les trouvez belles. DIANE. Madame, vos bontés. FÉLICIE. Que l'on les mette à part. FABRICE. Mais, Madame, voyez chef-d'oeuvre de l'art,Ce portrait en petit du Roi d'Andalousie. FÉLICIE. Il est des mieux faits que je vis de ma vie, Et quel est celui-ci. FABRICE. C'est de son favori ;De Néarque, autrefois du Prince Pichery,Qui par une beauté fatale par ses charmes,Rendit à son Rival, et la vie, et les armes,Et par Cléagenor, enfin perdit le jour Dans l'éclaircissement que leur fit leur amour. THERSANDRE, bas le premier vers. Dois-je croire, bons Dieux ! À ce qu'il me remarque,Êtes-vous bien certain de la mort de Néarque. FABRICE. Il revint fort blessé comme chacun a su,Et mourut quatre jours après s'être battu. FÉLICIE. Sa valeur semble peinte encor en son visage. FABRICE. Celui qui le vainquit en eût bien davantage ;En voici le portrait. THERSANDRE. Que montre-t-il encor. FÉLICIE. Est-ce là ce vaillant, et ce Cléagenor. FABRICE. Oui, voilà son portrait. THERSANDRE, bas. Ô ! Rencontre funeste. FABRICE. De tous ceux que j'avais c'est le seul qui me reste,Le roi dans son courroux partout m'en fit porter,Pour le faire connaître, afin de l'arrêter,Ayant pour dérober sa tête à sa poursuite,Après ce grand combat sur l'heure pris la fuite. FÉLICIE. Thersandre, jamais rien ne vous ressembla tant,Et votre soeur sans doute en dira tout autant. THERSANDRE. La nature parfois se joue en ses ouvrages,Et peut faire à peu près ressembler deux visages. FÉLICIE. Je crois que ce marchand est de mon sentiment. FABRICE. C'est là Cléagenor, Madame, assurément. THERSANDRE. Sur la foi d'un portrait, la chose est peu certaine. FABRICE. Oui, vous l'êtes, Monsieur, je n'en suis plus en peine,Tout ce qui jusqu'ici m'empêchait d'en juger,Est le nom de Thersandre, et l'habit de Berger. THERSANDRE. Quoi moi, Cléagenor ? FABRICE. Ces dernières années[Note : Îles Fortunées : Nom que les Anciens ont donné à des Îles situées au-delà du détroit de Gibraltar, dans l'Océan Atlantique. Le sentiment commun est, que ce sont les Canaries. [T]]Je vous ai vu, Monsieur, aux îles Fortunées,Et depuis quatre mois encor en Portugal,Séville n'est-il pas votre pays natal ?Puisque vous rencontrez ici votre assurance, Il ne faut plus couvrir ces choses du silence. FÉLICIE. Thersandre, il ne faut point rougir de cet aveu. THERSANDRE. Je l'avouerai, Madame, oui je rougis un peu,Non que mon bras n'ait fait tout ce qu'il devait faire.Néarque mon rival était trop téméraire, De l'objet qui faisait mes plus chastes désirsIl s'en formait celui de ses sales plaisirs ;Je l'en fis repentir, et son trépas m'oblige.La chose seulement qui me touche et m'afflige,Et dont, j'ai dans le coeur, un sensible regret, Est de ne vous avoir rien dit de mon secret. FÉLICIE. J'en devine la cause, et sais votre pensée,Et je vois bien quelle peur la tient embarrassée,Et que d'un autre nom vous n'avez fait le choix,Que pour vous dérober à la peine des lois ; Mais ne redoutez rien, quand pour votre défenseIl faudrait opposer puissance pour puissance,Ce qui vous intéresse à mon coeur est si cher,Tout ce qui vous touche a droit de me toucher,Je serai votre paix : le Roi d'Andalousie Cessera de troubler une si belle vie,Ou pour votre intérêt, ainsi que pour le mien,S'il trouble mon repos, je troublerai le sien ;Oui, si par son refus il cause vos alarmes,Nous en viendrons pour vous de la prière aux armes. THERSANDRE. Que ne vous dois-je point pour toutes vos bontés. FÉLICIE. Mais achevons de voir les autres raretés. FABRICE. Madame, de Diane admirez la peinture. FÉLICIE. Que dis-tu de Diane ? DIANE, bas. Ô ! Funeste aventure. FABRICE. C'est la Divinité dont le Temple est ici. DIANE, bas. Je cesse de trembler. FÉLICIE. Quel portrait est ceci. FABRICE. Celui d'une beauté dont la grâce immortelleFit armer deux amants qui soupiraient pour elle ;De cette belle enfin dont je vous ai parlé,Pour qui Cléagenor, et Néarque ont brûlé, Et qui, de deux rivaux ardemment poursuivie,Coûte la fuite à l'un, comme à l'autre la vie,Quand Néarque fut mort j'achetai ses portraits,Celui-ci qu'il avait sans doute est des mieux faits,Mais quoi, Cléagenor peut mieux vous en instruire. FÉLICIE, à Thersandre. La reconnaissez-vous ? THERSANDRE. Je ne saurais qu'en dire. FÉLICIE. J'y remarque beaucoup de l'air de votre soeur. DIANE, bas. Ô Dieux ! Qui me voyez, détournez ce malheur. FÉLICIE. Diane, le miroir qui reçoit ton image,Représente bien moins ton air, et ton visage, Et quelque autre croirait que le Peintre en effet,Sur ta présence même acheva ce portrait. FABRICE. N'en doutez nullement, et par cette aventureAdmirez comme l'art imite la nature ;Oui, c'est elle pour qui Néarque a soupiré. THERSANDRE, bas. Où sommes-nous ? Ô Dieux ! Tout est désespéré. DIANE. Tu me connais ? FABRICE. Je suis de votre même ville,Mélisse est votre mère, et demeure à Séville,Qu'elle aura de plaisir d'apprendre à mon retourQue Célie en ces lieux respire encor le jour. FÉLICIE. Quoi ? Célie. FABRICE. Oui, Célie, et c'est son nom, Madame. DIANE. Quel nuage d'erreur aveugle ainsi ton âme,Celle que tu veux dire, et ta Célie enfinMourut avant Néarque. FABRICE. Ha ! J'en sais tout le fin,Séville est maintenant instruite du contraire, Et cette fausse mort, ne m'est plus un mystère ;Je sais, quoique chez vous, où on porta le deuil,Qu'on fit en votre place enterrer un cercueil,Et que de votre mort cette apparente marquePût seule nous sauver des desseins de Néarque ; Vous vous mîtes sur mer, le sais-je bien encor,Où vous ne soupiriez que pour Cléagenor,À votre mère, à vous, la mer fut infidèle,Que l'orage fut grand qui vous sépara d'elle, Ais : Pièce de bois de sciage longue, et peu épaisse. Ais de sapin. ais de bateau. on fait des planchers, des cloisons avec des ais. [F]Sur un ais échappée elle chercha partout, Elle a vu l'Univers de l'un à l'autre bout,Et de retour enfin elle croit à Séville,Que votre mort a fait la recherche inutile. DIANE. Tu connais des secrets qui me sont inconnus. FABRICE. Pourquoi dissimuler, on ne les cèle plus, Et quelqu'un de vos gens de ce secret complice,D'une telle imposture ayant donné l'indice,Néarque n'étant plus, Mélisse de retour,N'a pas désavoué cette adresse d'amour,Et ce que j'en ai su je ne le tiens que d'elle. THERSANDRE. Tout ce que tu nous dis est chose fort nouvelle. FABRICE. Vous faites bien le feint, et le dissimulé,Serait-ce point de vous tantôt qu'on m'a parlé,Alors qu'on m'a prié pour sortir de cette île,De mettre en mon vaisseau deux Bergers de Séville. THERSANDRE. Madame, ce Marchand compose des Romans,Et vous vient d'inventer tous ces événements. FÉLICIE. Son discours toutefois n'est pas sans apparence,J'y trouve de la suite, et de la vraisemblance,Si je m'en souviens bien, vous mettiez de bon coeur L'intérêt de Célie ès mains de votre soeur,Elle vous promet bien d'accorder sa querelle,Et pour dire en un mot, elle vous répond d'elle :Marchand une autre fois vous reviendrez ici.Quoi tous deux hardiment vous me tromper ainsi, Quoi tous deux sous des noms que forme l'imposture,Vous ménagez vos feux, cachez cette aventure,Et dedans mon palais, dans ma Cour, à mes yeux,Sous ces noms supposés vous me jouez tous deux,C'est donc là votre soeur : insolent, insolente Vous saurez si pour vous ma haine est impuissanteEt vous éprouverez. THERSANDRE. Ha, Madame. FÉLICIE. Imposteur,Va, tu me répondras des troubles de mon coeur,Avec impunité jamais on ne m'affronte.Vous serez l'un et l'autre immolés à ma honte, Et tous deux étonnés en me voyant agir,Vous vous repentirez de m'avoir fait rougir,Ôtez-vous de mes yeux. THERSANDRE. Quel malheur est le nôtre. FÉLICIE, à Philinte. Dans chaque appartement séparés l'un et l'autre.Qu'ils ne se parlent point : ô malheur sans pareil ! Que ferai-je, et de qui dois-je prendre conseil.Écouterai-je encor, mon amour qui murmure,Enfin dois-je souffrir, ou repousser l'injure.Non, faisons succéder à nos affections,Dans un coeur offensé ces noires passions, Ces fureurs, par qui l'âme en désordre et troublée,Rompt, et brise le joug dont elle est accablée,Ne se propose rien qu'elle n'en vienne à bout,Et pour plaire à sa haine, ose tout, et peut tout :Oui, perdons ses ingrats, et par expérience, S'ils ont vu mes bontés qu'ils sachent ma puissance,Qu'ils ne se moquent point de ma simplicité,Et ne reprochent rien à ma crédulité :Quoi ? Perfide Thersandre, Ha ! Ce nom de ThersandreSait combattre en mon coeur encor, et se défendre ; Mes esprits à ce nom, sont encore flottants,Mon courroux s'affaiblit, ma haine est en suspens,Je ne suis pas d'accord de ce que je demande,Ce que je veux le plus, c'est ce que j'appréhende ;Ha ! Perfide, faut-il pour me persécuter Que je sois pour te perdre en état de douter.Non, non, n'y pensons plus, un si sensible outrage,Arme mon désespoir, permet tout à ma rage,Essayons si mon art me sert fidèlement,Et punissons enfin, et l'amante et l'amant, Ce n'est pas mon dessein que l'un et l'autre expire ;Mais ils vont endurer quelque chose de pire,Par l'effet de mon art, et d'étranges efforts,Tous les jours sans mourir, ils auront mille mortsTous les jours, tour à tour, j'affligerai sans cesse, Et les yeux de l'amant, et ceux de sa maîtresse,Et tous deux pour se faire également souffrir,Se verront l'un et l'autre, et revivre, et mourir :Cette peine est cruelle, et ce supplice étrange ;Mais c'est comme j'agis, et comme je me venge, Allons exécuter ce que j'ai projeté,Et nous armons pour eux d'insensibilité. ACTE V SCÈNE I. Clidamant, Parthénie. CLIDAMANT. Jamais rien de pareil ne s'offrit à mes yeux,Les cris de ces amants remplissent tous ces lieux,À peine en ce moment, que je les viens d'entendre, Ai- je pu reconnaître, et Diane, et Thersandre,La mort sur leur visage, errante tour à tour,Ne les peut faire encor mourir à leur amour ;Mais, Madame, est-il vrai ce qu'ici l'on publie,Que cet enchantement vienne de Félicie ? Qu'à punir ces amants, son art ait réussi,Et qu'elle ait pris plaisir de se venger ainsi. PARTHÉNIE. Oui, cet enchantement sans doute est son ouvrage,Elle pourrait encore faire bien davantage :Son art lui permet tout, et le sort des humains Au gré de ses souhaits, semble être entre ses mains,Que ne fait-elle point quand elle est en colère,Le malheureux Tyrsis sait ce qu'elle peut faire,Pouvez-vous ignorer ses peines, son souci ? CLIDAMANT. Non, je les sais, Madame, et j'en suis éclairci. PARTHÉNIE. Et bien vous savez donc qu'il aimait Roselie,Qu'il trompa de la Nymphe, et l'espoir, et l'envie.Qui me l'a jusqu'ici destiné pour époux,Et ne sait pas les feux dont je brûle pour vous.À ces commandements ce Berger fut rebelle, Que ne fit-elle point ; Roselie était belle,Elle devient malade, elle pleure, et se plaint,L'éclat de ses beaux yeux en un moment s'éteint,La blancheur de ses lys, au même temps s'efface,Et de tant de beautés on ne voit que la place, Son amant qui la vit à ses yeux enlever,Depuis ce temps la cherche, et ne la peut trouver ;Ce fut un coup d'essai de son apprentissage,Mais celui-ci sans doute est bien un autre ouvrage,Si pour mon intérêt dans son ressentiment, Elle a fait de Thyrsis un malheureux amant ;Jugez jusqu'à quel point sensible à son offense,Pour son propre intérêt peut aller sa vengeance. CLIDAMANT. Si la Nymphe connaît l'amour que j'ai pour vous,Elle me traitera de même en son courroux, Et me faisant porter dans quelque île effroyable,Le reste de mes jours me rendra misérable ;Mais de quoi que son art se serve contre moi,Sa haine qui peut tout, ne peut rien sur ma foi :Pourrais-je me flatter de la même espérance, Que vous eussiez aussi, pour moi-même constance. PARTHÉNIE. Vous n'en sauriez douter, oui, je suis toute à vous,Mon amour est plus forte, et craint peu son courroux,Je vous la garderai toujours sincère et ferme,Et constante en mes feux, jusqu'à mon dernier terme, Dût sa haine me perdre, et me priver du jour,L'on me verra mourir plutôt que mon amour. CLIDAMANT. Que ne vous dois-je point ? SCÈNE II. Ismène, Thimante, Parthénie, Clidamant. ISMÈNE. Que venons-nous d'apprendre,Ha ! Madame, est-il vrai ce qu'on nous fait entendre,Que Diane et Thersandre en ce même moment, Par les effets du sort, et de l'enchantement,Pour pleurer leurs malheurs, qu'a fait naître l'envie,Et perdent tour à tour, et recouvrent la vie. PARTHÉNIE. Ismène, il est trop vrai, c'est un enchantement. THIMANTE. Si j'osais expliquer ici mon sentiment, On impute à la Nymphe une telle injustice. PARTHÉNIE. Il n'en faut point douter, et ce cruel suppliceMarque par ces effets de son autorité,Qu'on ne l'offense point avec impunité. CLIDAMANT. Quel que soit son pouvoir qui cause notre crainte, Allons tous de ce pas lui porter notre plainte,C'est un mauvais moyen de se faire obéir,Pensant se faire craindre, elle se fait haïr.Et ce secours fatal, qu'appelle sa vengeance,N'établit que son crime, et non pas sa puissance ; Mais je la vois venir. SCÈNE III. Félicie, Philinte, Clidamant, Parthénie, Thimante, Ismène. FÉLICIE, à Philinte. Quoi, ce coup te surprend ? PHILINTE. Madame, en vérité leur supplice est trop grand,Et dans l'île déjà tout le monde en murmure. FÉLICIE. Qu'en dites-vous, Bergers ? Sais-je venger l'injure ? CLIDAMANT. Oui, Madame, et l'état où vous les avez mis, De tous leurs envieux leur a fait des amis :Oyez notre prière, et leur rendez justice,Qu'ont-ils fait après tout digne de ce supplice,Pour avoir de vos yeux détourné leur amour,Pour avoir en parents vécu dans votre Cour, Trompé de leurs jaloux, et l'espoir et l'envie,Conservé leur honneur, et peut-être leur vie,Est-ce un crime si grand, qu'on le doive punirPar des enchantements qui ne puissent finir ;Faut-il faire mourir, et renaître sans cesse Tout à tour, tous les jours, l'amant et la maîtresse,Et que par un étrange, et trop indigne sortLe vivant tour à tour, plaigne toujours le mort.Leurs pitoyables cris, et leurs clameurs farouchesDonnent à ces rochers des âmes, et des bouches Pour se plaindre avec moi, que ces tristes proposÉtonnent cet asile, et trouble son repos. PARTHÉNIE. Daignez aussi, Madame, écouter ma prière,Épargnez de la foudre, et de votre colèreCe séjour où les Dieux versent à pleines mains Tant de félicités en faveur des humains,Et ne commencez pas à troubler la franchiseDe ces lieux bienheureux que le Ciel favorise,Pour plaire à ces Bergers, dont les voeux incertainsVoudraient un autre asile, ou d'autres Souverains. THIMANTE. Oui, Madame, empêchez ce funeste murmure,Assez et trop longtemps cet enchantement dure,Rompez, rompez le charme, et sur l'heure donnezLe calme à nos esprits qui sont tous étonnés. ISMÈNE. Si dans la liberté, qui m'est trop ordinaire, Ma bouche osait ici parler sans vous déplaire,Je vous avertirais, que parmi ces dangersVous n'aurez plus ici Bergères, ni Bergers,On n'y cherchera plus de retraite et d'asile,Tous comme d'un écueil sortiront de votre île, Et tous ces beaux pays, l'honneur de l'Univers,Ne seront que rochers, Madame, et que désertsPour avoir des sujets, réglez mieux votre haine,Et sur vos passions soyez plus souveraine. FÉLICIE. Bergers, votre discours m'étonne et me surprend, De tout ce que je fais mon art en est garant,Je pourrais entreprendre encore davantage,Et si ce que j'ai fait vous paraît un outrage,Avez-vous pour vous plaindre, et pour en murmurerLe droit de me reprendre, et de me censurer : Quoi ? Le Berger Thersandre, avec tant d'insolenceM'aura fait une injure, et choqué ma puissance,Aura mis le devoir, et le respect à bas,Et pouvant le punir je ne l'oserai pas,Ne le présumez point, le sang de Zoroastre N'est pas encore né sous un si mauvais astre,J'en sais mieux l'influence, et je sais l'appliquerÀ la perte de ceux qui m'osent attaquer :Oui, Bergers, je connais des herbes, des racinesQui sont, selon mon choix, poisons, et médecines, Et par qui quand je veux, et quand je l'ai prescrit,Je confonds la mémoire, et je trouble l'esprit,Mais j'en sais bien user, et n'en fais ma défenseQue pour le châtiment de celui qui m'offense ;N'ai-je pas intérêt de maintenir ainsi La dignité du rang que je possède ici,Ceux qui m'osent braver, sans doute se hasardent,Mon sceptre est embrassé de serpents qui le gardent,Dont le regard affreux défend d'en approcher,Et menace de mort ceux qui l'osent toucher. Thyrsis en a senti la force non commune,Mais pourquoi résister lui-même à sa fortune,Et dans ses intérêts se connaître si peu,Que refuser l'honneur du nom de mon neveu ;Je le veux élever, et je l'attends encore Pour le faire accepter ce titre qui l'honore,Et lui faire tirer ce fruit de mon courroux,Que d'être de ma nièce, et l'amant, et l'époux :Vous changez de couleur, mais sachez ParthénieQu'en vain vous me cachez votre amoureuse envie, Vous aimez Clidamant, et je n'ignore rien,Ni de votre dessein, ni de votre entretien ;Mais par ce que je puis, apprenez l'un, et l'autre,Qu'il me faut obéir, et qu'il y va du vôtre,Qu'il vous faut prendre garde à ne pas m'irriter, Et que si l'on ne m'aime, il me faut redouter. PARTHÉNIE. Madame. FÉLICIE. C'est assez, vous savez ma défense. CLIDAMANT, bas. J'espère la fléchir, mais gardons le silence. THIMANTE. Nous savons votre rang, et le respectons tous,Aussi nous n'employons que nos voeux près de vous, Pour vous persuader, ce sont nos seules armes,Soyez-en donc touchée, et dissipez ces charmes.Thersandre en son accès va marquer ces douleurs,Vous allez écouter ses plaintes, et ses clameurs,Son désespoir, ses cris pour sa fidèle amante, Voici l'heure où l'accès l'agite, et le tourmente,Sans doute en le voyant cet objet de pitiéFera dans votre coeur renaître l'amitié.Ses soupirs éteindront toute votre colère,Et feront beaucoup plus que nous ne saurions faire, Madame, le voilà qui semble s'éveiller,Vous en serez touchée, écoutez-le parler. SCÈNE IV. Thersandre, Diane, Félicie, Ismène, Clidamant, Thimante. THERSANDRE, auprès du corps de Diane. Pourquoi, pour ne point voir des objets si funèbres,N'ai-je je les yeux couverts d'éternelles ténèbres,Ha ! Que j'ai de sujet de me plaindre du sort, Que mon sommeil n'est-il, le sommeil de la mort,Dans la nuit des tombeaux, j'éviterais l'envie,Et ne me verrais pas mourir toute ma vie,Je ne serais que cendre, et ce spectacle affreuxN'aurait pas affligé, ni mon coeur, ni mes yeux. Oui, ma chère maîtresse, autrefois mes délices,Tu deviens à mes yeux le plus grand des supplices,Et dans ce triste état enfin où je te vois,Toi qui fus mon amour, n'es plus que mon effroi,Ton corps n'est plus qu'un tronc dont l'aspect m'épouvante, Ta tête est de ton sang encor toute fumante,Les grâces, les appas, n'y font plus leur séjour,Je vois la mort partout, où je voyais l'amour ;Quoi donc tu ne vis plus ? Et tu m'es enlevéeDans le même moment que je t'ai retrouvée ; Espoirs nés et détruits d'une immortelle amour,Fantôme de bonheur qui ne dure qu'un jour,Trésors sitôt perdus, clartés sitôt éteintes,Grande joie, où sitôt succèdent tant de plaintes.Pourquoi dans ce brillant dont vous flattiez mon feu, Me promettiez-vous tant pour me donner si peu :Beaux yeux jadis vainqueurs, qui malgré mes prièresDans d'éternelles nuits éteignez vos lumières,Ne m'appelez-vous pas au séjour du trépas,Puis-je voir ce qu'ici Diane ne voit pas : Non, non, à cet objet dont la douleur m'emporte,Je ne suis plus vivant, puisque Diane est morte,Mon coeur se meut encor, mais ce dernier effortN'est qu'un reste de feu qui luit après la mort,N'est qu'une exhalaison, un vent, une fumée, Et dernière mourante, et dernière allumée.Je vais donc te rejoindre, objet de mon désir,Te rendre âme pour âme, et soupir pour soupir,La mort est mon secours, je n'espère qu'en elle,Je te veux témoigner que je te suis fidèle, Et ne pouvant survivre à ton funeste sort,Que je mets ton amant dans les bras de la mort. CLIDAMANT. Madame, vous voyez la grandeur de sa peine,Vous voyez jusques où l'a réduit votre haine,Et sans proportion du crime au châtiment, Jusqu'où va le pouvoir de votre enchantement ;Ces bois en sont touchés, et ces rochers sensiblesPerdent leur dureté qui les rend impassibles,L'écho même s'en plaint, et vous seule aujourd'huiSerez-vous sans tendresse, et sans pitié pour lui. FÉLICIE. Oui, sans pitié pour lui : je me veux satisfairePuisqu'il a pris toujours plaisir à me déplaire,Par un juste retour afin de me venger,Je veux prendre toujours plaisir à l'affliger.Non, non, n'espérez pas que jamais je me rende, Je suis trop outragée, et l'injure est trop grande,Sa douleur fait ma joie, et je me plais à voirQue ce fameux supplice établit mon pouvoir. THIMANTE. Pour pleurer son amant, et sur l'heure le suivre,Par l'effet de votre art, Diane va revivre, En voici le spectacle, écoutez sa douleur,Ouvrez à cet objet vos yeux, et votre coeur. DIANE, sur le corps de Thersandre. Quoi donc mon cher amant, tu n'es plus que poussière,Ta bouche est sans parole, et tes yeux sans lumière,Mais malgré l'attentat, qui me fait soupirer, Je possède le bien encor de te pleurer :Coulez, coulez mes pleurs, que mon espoir réclame,Versez à cet objet des torrents tous de flamme,Il n'est rien de si froid dans le sein des tombeaux,Que ne puissent échauffer le feu de ces ruisseaux : Oui, par mes pleurs enfin, par mers cris, par mes plaintes,Je vous rallumerai chères cendres éteintes,Je veux vous faire vivre, et dans mon déplaisir,À force de soupirs vous former un soupir. THIMANTE. Madame, à cet objet n'êtes-vous point émue, Et pouvez-vous sans peine, en soutenir la vue. DIANE. Amour, ne saurais-tu répondre à mes souhaits,C'est un miracle d'amour, et n'en fis-tu jamais,N'es-tu plus dans le monde une source de vie,Ne saurais-tu la rendre à qui l'on l'a ravie, Des portes du trépas qui le rappellera,Et si tu ne le peux, qui des Dieux le pourra :Mon cher Cléagenor, réponds-moi je te prie,Par mes tendres soupirs, par le nom de Clélie ;Quoi ? Je puis prononcer, et ton nom, et le mien, Et toutefois, ô Dieux ! Tu ne me réponds rien,Je vois toujours fermés, et tes yeux, et ta bouche :Il est mort, et ces noms n'ont plus rien qui le touche,Amour qui dans ce point n'as pu me secourir,Si tu ne le fais vivre au moins fais-moi mourir ; Oui, mon fidèle amant, je ne puis te survivre,Et je sens qu'à la mort mon désespoir me livre,Mon coeur pour m'animer désormais sans pouvoir,A perdu les esprits qui le faisaient mouvoir ;Je n'en puis déjà plus, heureuse ta Célie, Si son trépas pouvait te redonner la vie,Si ton sommeil ici finissait par le mien ;Et si de tout mon sang je réparais le tien,C'en est fait, mon amour va rejoindre ta flamme,Et j'expire sur toi le reste de mon âme. CLIDAMANT. Et bien ce triste objet touche-t-il votre coeur,Êtes-vous insensible encor à sa douleur ?Permettez qu'une fois la pitié vous désarme,Ils ont assez souffert, Nymphe, rompez le charme. FÉLICIE. Oui, je me sens touchée, et je plains en effet, Par leur témérité le mal qu'ils se sont fait ;Mais quoique leur douleur apaise ma colère,Le charme que j'ai fait, je ne le puis défaire,Et pour vous dire tout, Bergers, il est si fort,Qu'une divinité seule en rompra le sort, C'en est le pacte exprès pour durer davantage,Et je n'y puis plus rien, quoiqu'il soit mon ouvrage. THIMANTE. Quoi vous n'y pouvez rien ? Ô Dieux, que dites-vous ?Non, non, vous n'avez point quitté votre courroux,Vous les voulez punir, et vengeant votre injure En faire aux yeux de tous un spectacle qui dure,Et pour mieux vous purger de cette cruautéVous relevez le sort d'une divinité :Mais les Dieux en effet, apaisez par nos larmes,Malgré votre entreprise, arrêteront vos charmes. Oui, Madame, les Dieux condamnent votre effort,Ils sont les souverains, et les maîtres du sort,Nous espérons tout d'eux, et qu'ici davantageIls ne souffriront point le crime, et son ouvrage.Déesse qu'en ces lieux adorent les humains, Qui tenez la fortune, et le sort en vos mains,Qui punissez le crime, et dont les soins conserventDans ce charmant séjour les Bergers qui vous servent,Voyez le triste état où l'amour a réduitDeux malheureux amants que la Nymphe poursuit, Et renversant son sort, rendez à cet EmpireLa liberté d'aimer, et celle de le dire. PARTHÉNIE. Ha ! Quel subit éclair me vient frapper les yeux,Et quel coup de tonnerre éclate dans ces lieux. ISMÈNE. De quel nuage épais le Ciel enfin se couvre. FÉLICIE. Je crois que le Ciel tremble, et que sa voûte s'ouvre,La Déesse descend, il n'en faut point douter,Elle nous fait signe, il la faut écouter. SCÈNE V. [Diane, Déesse, Thersandre, Diane, Félicie, Ismène, Clidamant, Thimante.] DIANE, Déesse. Vos voeux sont exaucés, que rien ne vous alarme,Célie et son amant s'aimeront à jamais, Leurs travaux sont finis, et j'ai rompu le charme,Sans qu'aucun accident les trouble désormais.Ils vous ont fait pitié, qu'ils vous fassent envie,Regardez s'il est rien d'égal à leur amour. THERSANDRE, à Diane. Par quel enchantement t'a-t-on rendu la vie ? DIANE. Par quel enchantement peux-tu revoir le jour ? [DIANE], la Déesse continue. Je veux récompenser leurs vertus sans exemple,Par le prix attendu de leur affection,Pour faire leur hymen, je vais ouvrir mon Temple,Et vous assure tous de ma protection. Je veux qu'en même temps par le noeud d'hyménée,Dont rien n'interrompra le plaisir, et le coursDu Berger Clidamant l'amour soit couronnée,Et qu'avec Parthénie il achève ses jours.Que désormais dans l'île il commande avec elle, C'est d'eux que pour régner ma justice a fait choix,Je déplace la Nymphe, elle est trop criminelle,Et vous dispense tous d'obéir à ses lois.Je rendrai de son art la puissance inutile,De crainte, et de danger j'exempterai ces lieux, Et je veux qu'en mon Temple elle trouve un asile,Pour se mettre à couvert de la foudre des Dieux.Son sexe assez longtemps a régi la province,Je veux changer la loi de son gouvernement,Et la voir désormais sous le pouvoir d'un Prince, Qui soit de père en fils du sang de Clidamant. FÉLICIE, voyant la Déesse remonter. Oui, Déesse, en effet vous me faites justiceEn approuvant mon crime on s'en rendrait complice,Et les Dieux souverains, et les maîtres du sortSans vous l'auraient puni par l'arrêt de ma mort. Je vais dans votre Temple employer d'autres charmes,Réparer s'il se peut mes crimes par mes larmes,Le reste de mes jours prier les immortels,Et désarmer ainsi les Dieux à vos Autels :Mais afin qu'en tout point la loi soit accomplie, Et bien Cléagenor aimez votre Célie. THERSANDRE. Que je suis redevable à vos rares bontés. FÉLICIE. Possédez, Clidamant, ce que vous méritez,Acceptez Parthénie, avecques la Couronne,Et succédez au rang que je vous abandonne. CLIDAMANT. Vous commandez encor, et gardez votre rang,Quand le droit de régner se donne à votre sang.Et de tous mes respects je vous ferai connaître,Que c'est sous votre nom que je serai le maître. PARTHÉNIE. Quoique la main du Ciel me choisisse un époux, Puisque vous l'accordez, je le tiendrai de vous,Et ne veux en ces lieux d'honneur, ni de puissance,Que pour vous témoigner plus de reconnaissance. THIMANTE. Ismène, il faut aussi que je sois ton époux. ISMÈNE. Oui bien, si la Déesse avait parlé de nous, Remettons notre hymen, je ne saurais me rendre,Tant qu'elle prenne encor la peine de descendre. CLIDAMANT. Je commande en ces lieux, Ismène, et je le veux. ISMÈNE. Puisque vous le voulez j'accepte donc ses voeux,Et si Philinte aussi n'a plus de jalousie, Il faut qu'avecques lui je me réconcilie. PHILINTE. Et bien j'en suis d'accord, demeurons bons amis. CLIDAMANT. Nous serons tous heureux, le Ciel nous l'a promis,Allons tous dans le Temple, achevons la journée,Faisons les doux liens de ce triple hyménée, Et désormais sans crainte en ce jour glorieux,Allons de ce bonheur rendre grâces aux Dieux. ==================================================