******************************************************** DC.Title = LE SOT VENGÉ, COMÉDIE EN UN ACTE DC.Author = POISSON, Raymond DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 10/05/2021 à 11:32:02. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/POISSON_SOTVENGE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE SOT VENGÉ COMÉDIE en UN ACTE M. DC. LXXIX. Avec Privilège du Roi. DE MONSIEUR POISSON À PARIS, Chez JEAN RIBOU, au Palais de la Salle Royale, à l'Image Saint-Louis Représentée pour la première fois en février 1661 à L'Hôtel de Bourgogne. PERSONNAGES LUBIN, ou le sot vengé. LUBINE, femme de Lubin. LE COMPÈRE, amoureux de Lubine. MONSIEUR RAGOT, amoureux de Lubine. CROQUILLON, valet du Compère. La scène est a Paris. SCÈNE PREMIÈRE. Monsieur Ragot, Lubine. LUBINE. Quoi ! Vous osez Maître Ragot,Maître importun, et maître sot,Me venir rendre encor visite,Moi qui vous hais et vous évite, Comme l'on évite la mort. MONSIEUR RAGOT. Ne vous emportez pas si fort,Lubine , voici la dernière :Vous êtes pour moi chaste et fière,Mais le Compère a tant d'appasQue pour lui vous ne l'êtes pas. LUBINE. Vous l'avez dit, qu'en peut-il être ? MONSIEUR RAGOT. Rien, car vous n'avez point de Maître :À dire vrai que craindriez vous ?Votre mari roué de coups,De vous et de l'heureux Compère, Qui mange chez vous d'ordinaire ?Et qui je pense y couche aussi ?J'en aurais fort peu de souci,Mais vous me traitez d'une sorte... LUBINE. Faites vos plaintes à la porte, Je suis lasse de l'entretienD'un homme plus sot que le mien. Elle rentre. MONSIEUR RAGOT. Ah ! C'est trop mépriser ma flamme ;Je m'en saurai venger, infâme,J'encouragerai ton mari, Je chasserai ton favori ;Enfin je m'en vais dans ma rageTe faire un diable de ravage,Dès aujourd'hui ton sot épouxTe donnera deux mille coups : Mais pour commencer cette affaire,[Note : Empaumer : serrer la main. Signifie figurément, se rendre maître de l'esprit de quelqu'un. [F]]Allons empaumer le Compère. SCÈNE II. Le Compère, Croquillon. CROQUILLON. D'où vient ce grand empressement ? LE COMPÈRE. Il regarde sa montre avec empressement.Il est huit heures justement,C'est l'heure qu'elle m'a donnée. CROQUILLON. [Note : Haquenée : cheval qui va l'amble. Si dit aussi en termes comiques du bâton que que portent ceux qui font des voyages à pied pour se soulager en marchant. [F]]Je ne sais point de haquenée,[Note : Amble : train ou certaine allure du cheval, lorsque les deux jambes du même côté se meuvent ensemble, et que les deux autres se meuvent après. [F]]Dont l'amble... LE COMPÈRE. Veux-tu m'obliger ?C'est ici l'heure du Berger ;La manquer ! CROQUILLON. Mon maître extravague. LE COMPÈRE. À propos donne-moi ma bague. CROQUILLON. [Note : Job : diminutif de Job, personnage de l'ancien testament exemple de fermeté et de patience mais réputé pauvre : on dit pauvre comme Job.]Mais Lubin ce pauvre Jobet,[Note : Barbet : chien à gros poil et frisé qui va à l'eau, et qu'on dresse à la chasse aux canards.]Qui va quérir comme un barbet,Et qui vous rapporte de même,Dont la patience est extrême ;Ce mari plus battu qu'un chien, Qui voit beaucoup, et ne dit rien ;Enfin ce plus sot que tout autre,Dont la femme est, je crois, la vôtre,N'est-il pas sur votre journalMarqué pour un original ? LE COMPÈRE. Donne donc, il est fort commode. CROQUILLON. Il n'en amène pas la mode,On le pratique en toutes parts :[Note : Cornard : cocu ; celui qui a une femme adultère, qui lui fait porter des cornes. Ce mot est bas. [F]]Diable la mode des cornardsEst une mode d'importance, On ne la change point en France,Les autres durent quinze jours,Mais celle-là dure toujours. LE COMPÈRE. C'est l'objet de ta raillerie. CROQUILLON. Il revient de la boucherie Quérir une tête de veau,Il vient de rentrer. LE COMPÈRE. Mon anneau :Que ta longueur me désespère ! CROQUILLON. Vous allez donc voir la Commère ? LE COMPÈRE. Oui, maudit traître, en cet instant Que tu jases, elle m'attend,Et c'est pour finir mon martyre... CROQUILLON. Il donne la bague.Courez, je n'ai plus rien à dire,Mais je crains pour le diamant. LE COMPÈRE. Il se donne en hâte un coup de peigne.C'est peu pour cet heureux moment. CROQUILLON. Monsieur, Ragot est à la porte. LE COMPÈRE bas en colère. Que veut-il ? Le diable l'emporte :Cours lui dire que d'aujourd'huiJe ne puis pas parler à lui,Et qu'une affaire d'importance... CROQUILLON. Il n'est plus temps, car il avance. LE COMPÈRE bas en colère. Le diable le puisse emporter ?Coquin, veux-tu pas l'arrêter ? CROQUILLON. Il vient, songez à lui répondre. LE COMPÈRE bas en colère. Que l'enfer le puisse confondre ! Un vautour lui mange le coeur ! SCÈNE III. La Compère, Monsieur Raogot, Croquillon. LE COMPÈRE haut. Ah ! Monsieur, votre serviteur. MONSIEUR RAGOT. Je vous ai détourné peut-être. LE COMPÈRE. Vous vous moquez, CROQUILLON. Ah qu'il est traître ? MONSIEUR RAGOT. Sans vous, ami, je suis perdu. LE COMPÈRE, bas. Fusse-tu mille fois pendu.Monsieur, allât-il de ma vie. Haut.Je ne perdrai jamais l'envieDe vous prouver ma passion. MONSIEUR RAGOT. Je suis dans la confusion. LE COMPÈRE, bas. Et moi, je suis dedans la rage. CROQUILLON. Cela ne va pas mal, courage. MONSIEUR RAGOT. Portez vous à deux pas d'ici,Vous m'allez ôter de souci. LE COMPÈRE. J'irais pour vous jusques à Rome Les pieds nus. CROQUILLON. Ah, le méchant homme ? LE COMPÈRE. Et je vous donnerais mon coeur. MONSIEUR RAGOT. Votre franchise et votre ardeur,Se trouve pour moi sans seconde. LE COMPÈRE, bas. Derechef l'enfer te confonde ; Haut.Je crains qu'on ne m'aille ravirL'avantage de vous servir. MONSIEUR RAGOT. Partons. LE COMPÈRE, à son valet. Tu le paieras, traître. SCÈNE IV. CROQUILLON, seul. Eh bien, vit-on jamais paraîtreUne plus grande trahison ? Si je rentre dans ta maison[Note : Chambrière : Servante qui nettoie la chambre. En terme de manège, est un long fouet fait d'une grande courroie de cuir attachée au bout d'un bâton, qui sert à fouetter les chevaux par derrière pour les faire obéir au cavalier.]Puissent toutes les chambrières[Note : Étrivière : Courroie de cuir, par laquelle les étriers sont suspendus. Donner les étrivières, c'est châtier des valets de livrée, les fouetter avec les étrivières. [F]]Me donner cent coups d'étrivières.Je ne puis pas trouver, je crois,Un plus méchant maître que toi. SCÈNE V. Lubin, Lubine. LUBIN. Diable soit ta chienne de vie ![Note : Carogne : terme injurieux, qui se dit entre les femmes de basses condition, pour se reprocher leur mauvaise vie, leurs ordures, leur puanteur. C'est la même chose que charogne quand on lui donne une prononciation picarde. [F]]Dis, Carogne, as-tu point envieDe me traiter plus doucement? LUBINE. Va : reporte la seulementAu boucher, et sans plus attendre. LUBIN. Il ne la voudra pas reprendre. LUBINE. Mais me veux-tu faire enrager ?Crois-tu que je puisse mangerDe cette tête ? Va la rendre. LUBIN. Il ne la voudra pas reprendre. LUBINE. Elle pue, ne la sens-tu pas,Dis-lui qu'on la sent de dix pas,Et qu'il joue à se faire pendre. LUBIN. Il ne la voudra pas reprendre. LUBINE. Si tu me fais prendre un bâton. Mais voyez son diable de ton.Il ne la voudra pas reprendre !Ma foi ! Si tu me fais te prendre !Je te donnerai du gros bout,Et dessus le ventre et partout Chien de cornard. LUBIN. Je le confesse,Quand tu n'étais que ma maîtresse >Voyant tout ce que tu faisaisJe vis bien que je le serais;Et le diable ayant l'avantage D'avoir fait notre mariage,Il n'a pas trop mal réussi,Car il le voulait bien aussi. LUBINE. Ah ! Que de t'avoir je suis lasse !L'on me montre au doigt quand je passe, [Note : Gueux : indigent, nécessiteux, qui est réduit à mendier, à demander l'aumône. [F]]Voilà la femme de ce gueux,Dit-on. LUBIN. Moi l'on me montre à deux. LUBINE. Moi, t'avoir pris ! Moi qui suis filleD'un bon tapissier de la ville. LUBIN. C'est pourquoi, l'on me l'a bien dit, Tu fais de si bons tours de lit. LUBINE. [Note : Jaser : parler beaucoup et sans nécessité de choses frivoles. Signifie aussi, parler indiscrètement, révéler un secret, une chose cachée. [F]]Quoi tu veux jaser, chien d'ivrogne ?Reporte donc cette charogne,Ou je te vais rompre les bras. LUBIN. J'y vais, ne me frappe donc pas : Mais comme il ne la pourra vendre :Il ne la voudra pas reprendre. LUBINE. Encore : tu le payerasAussitôt que tu reviendras :Ne suis-je pas bien misérable D'avoir pris un homme semblable ?Ce gueux était distributeurDe ces billets d'OpérateurIl gagnait deux sous la journée.Regardez combien c'est Tannée» Sans aller compter par ses doigtsC'est tout juste un écu par mois.N'est-ce pas pour faire grand chère.C'était un objet de misère,Il était tout déguenillé, Voyez comme il est habillé,Cependant depuis peu le traître !Voudrait je crois faire le maître !Il ne veut que ce qu'il lui plaît.Le sot, je l'ai fait ce qu'il est. SCÈNE VI. LUBIN, l'ayant écoutée. Est-ce une si belle besognePour t'en oser vanter, carogne Fais-moi, du moins, m'ayant fait sotLa grâce de n'en dire mot.Dans l'heureux âge d'innocence L'on était toujours dans l'enfance ;L'homme et la femme étaient heureux,Ils jouaient à de petits jeux,Comme à Pont-Neuf, à Climusette,[Note : Boulette : Les enfants jouent à la boulette, en poussant une balle dans une petite fosse. [F]]Ou bien à Ris-Ris Boullette, [Note : Osselets : Petit os qui est derrière du gigot de mouton, dont se servent les enfants pour jouer aux jeu des osselets. [F]]Au pied-de-boeuf, aux osselets,À d'autres plus beaux, ou plus laids,[Note : Corbillon : Est aussi un petit jeu d'enfants où il faut répondre ou rimer en "on". [F]]Au corbillon, à la pantoufle,En veux-tu plaider siffle-souffle.A Colin-maillard, aux combats, [Note : Cache-cahe-Mitoulas : C'est un jeu de jeunes gens, qui consiste à mettre quelque chose secrètement entre les mains, ou dans les habits de quelqu'un de la compagnie. [F]]À cache-cache-Mitoulas,Au combien, à la sage-femme,[Note : Trou-Madame : Est un jeu où l'on laisse couler les boules dans les trous, ou rigoles marquées diversement pour la perte ou pour le gain. [F]]A l'accouchée, au Trou-Madame :L'un d'eux disait changeons de jeu,[Note : Queueleuleu : Les enfants ont un jeu qu'ils appellent la queue-leu-leu, quand ils se tiennent l'un l'autre par la robe en marchant. [F]]Jouons à la queue-leu-leu, Il est bien plus beau, ce me semble,Car on se tient toujours ensemble.La femme après avoir bien riPrenait la queue à son mariEt le tout avec innocence, Mais nous sommes en récompenseDepuis ce temps-là qui n'est plusUn nombre infini de cocus :Ma femme a franchi la parole,Je le fuis et je me console, Et quantité qui sont ici S'en doivent consoler aussi.Je suis bien le plus misérable,Car je suis battu comme un diableD'un drôle qui fait les yeux doux Qui mange et qui couche chez nous :N 'est-ce pas pour être en colère ?Elle l'appelle son compère,Il est prés d'elle jour et nuit.Il couche dans notre grand lit, [Note : Roulette : Est aussi une petite couchette qui roule sur des roues pour la transporter, et la cacher sous un autre lit quand on veut. Un mari qui couche dans une roulette, tandis que sa femme couche au grand lit est un grand sot. [F]]Moi dessous dans une roulette.Ma femme dans une couchetteSous un pavillon chaudement,Le soir on me dit rudementCoupe du pain bis et du beurre: Et te va coucher de bonne heure,Quand j'ai soupé de mon pain bis.Que j'ai décrotté leurs habits,Que toute ma besogne est faiteJe me jette dans ma roulette, Mais elle et son passionnéSont jusques à minuit sonné... SCÈNE VII. Le Compère, Lubin. LE COMPÈRE. Est-elle au logis, ma Commère ? LUBIN. Oui, Monsieur : voila le Compère.Voyez s'il heurte ? Point du tout, Son diable de passe-partout,Sait ouvrir toutes nos ferrures :Que je m'en vais avoir d'injuresD'être à mettre le pot au feu !Nous allons, je crois voir beau jeu, Voici ma besogne ordinaire. SCÈNE VIII. Lubine, Lubin. LUBINE. Frotte les souliers du Compère:Hé bien, chien ? Ta tête de veau ! LUBIN. Il m'a redonné d'un morceauQui sera fort bon et fort tendre. LUBINE. Il ne la voudra pas reprendre ?[Note : Faquin : Se dit aussi en quelque sorte au figuré, pour un homme sans mérite, sans honneur, sans coeur, digne de toutes sortes de mépris. [F]]L'a-t-il pas reprise, faquin ? LUBIN. Vraiment oui. LUBINE. Va quérir du vin,Et que le rôtisseur nous bardeUne bonne et grasse poularde Pour dîner mon Compère et moi.Tu prendras, si tu veux pour toi,Ou des noix, ou bien du fromage :Redonne ces souliers. SCÈNE IX. LUBIN, seul. J'enrage,Et si Job en ma place était Je pense qu'il enrageraitEt qu'il dirAit en sa colèreLa peste étouffe le Compère,Le diable lui casse les os. SCÈNE X. Monsieur Ragot, Lubin. MONSIEUR RAGOT. L'occasion s'offre à propos ; Allons donc jeter par avanceLes fondements de ma vengeance :Je ne travaillerai point malSi je puis chasser mon rivalD'auprès cette impudente femme. Va n'as-tu point de honte infâme,Que les voisins entendent tousTa femme te rouer de coups ? LUBIN. Il est vrai, voisin, mais qu'y faire ?Faut-il que je m'en désespère ? Le maudit compère qu'elle aMe hait, et l'oblige à cela. MONSIEUR RAGOT. Que fait-il chez toi ce compère? LUBIN. Il fait ce que j'y devrais faire. MONSIEUR RAGOT. J'ai feint d'avoir adroitement Besoin de lui pour un moment ;Pour l'avertir que l'on le blâmeDe voir trop librement ta femme :Mais loin d'en être inquiétéEn se moquant il m'a quitté ; Il allait troussant sa moustache[Note : Panache : on dit proverbialement, qu'une femme a mis un beau panache sur la tête de son mari, quand elle lui a été infidèle. [F]]Te monter un vilain panache. LUBIN. Vous m'eussiez obligé beaucoupVoisin, de détourner ce coup. MONSIEUR RAGOT. Encor passe pour ce Compère, Car nos femmes ont d'ordinairePour notre plus grand ennemiQuelque Compère ou quelque ami ;Mais on te croit sans raillerieChef de la grande Confrérie. LUBIN. Voisin, je suis ce que je suis,Et d'être autrement je ne puis;Ma femme est, et coquette, et belle,Je m'en ri tout tombe fur elle»C'est son affaire, brisons-là : Mais le plus grand défaut qu'elle a,Au moins le plus insupportable,C'est qu'elle me bat comme un diable,Car ses coups me rendent la peauPlus noire que votre chapeau. MONSIEUR RAGOT. Vois-tu Voisin ? Je suis un homme... LUBIN. Je le sais, qui revient de Rome. MONSIEUR RAGOT. J'ai bien été dans d'autres lieux,Et si je ne suis pas trop vieux. LUBIN. Peut-on aller plus loin que Rome ? MONSIEUR RAGOT. Tu n'en as guère vu, pauvre homme ! LUBIN. Guère ? J'ai pourtant vu Paris,[Note : La basilique de Saint-Denis renfermait les tombes des rois de France.]Et le trésor de Saint-Denis. MONSIEUR RAGOT. C'est voir, sans voir toute la FranceCe qui s'y voit de conséquence. LUBIN. Mais peste. Je m'amuse bienJ'aurai tantôt du rot de chien,Je vais revenir. MONSIEUR RAGOT. Non demeure,Je m'en vais te ravir sur l'heure : T'entretenir, étant pressé De tous les lieux où j'ai passé,Ces récits seraient incommodes.Sache qu'étant aux AntipodesL'on me fit présent d'un trésor.Qui vaut plus d'un million d'or, Et si ce n'est qu'une racine ,Laquelle mise sur l'échineD'une femme fut-ce un Démon,La rend plus douce qu'un mouton. LUBIN. Peste ! L'admirable racine ! D'où peut venir son origine ? MONSIEUR RAGOT. Du pied d'un arbre que j'ai vuQu'avait planté Lusse-tu-cru,[Note : Faire Gilles : pour dire s'enfuir ou pour dire qu'il a fait banqueroute. [F]]À ce qu'on dit, et puis fit Gilles. LUBIN. Peste ? Il était des plus habilles : Ce bois a cette faculté ? MONSIEUR RAGOT. Si ta femme en avait tâté. LUBIN. Vraiment je veux bien qu'elle en tâte ;Mais une autre fois, car j'ai hâte. MONSIEUR RAGOT. Attend, dans un quart d'heure, ou deux. Elle en tâtera si tu veux ;Ce ne serait plus elle-même,Sa douceur deviendrait extrêmePar la faculté de ce bois. LUBIN. La baiserais-je quelquefois ? Pourrais-je coucher avec elle. MONSIEUR RAGOT. Hé quoi donc ? La grande nouvelle !N'y couches-tu pas quand tu veux ? LUBIN. Morbleu ! Que je serais heureux !Ce serait une bonne affaire ! Mais où coucherait le Compère ? MONSIEUR RAGOT. Qu'il couche au diable désormais. LUBIN. Elle ne le voudra jamais,C'est un homme qu'elle idolâtre. MONSIEUR RAGOT. Mais tu la battras comme plâtre Si tu veux, et tu lui ferasFaire tout ce que tu voudras.Elle viendra dans sa colèreTe traiter comme à l'ordinaire :Comme elle prendra son haut ton, Tu tiendras ferme ce bâtonQui vaut mieux que deux vertes gaules :Tu lui sangleras les épaulesSeulement de quinze ou vingt coups,Tu la verras à tes genoux. Plus souple et plus obéissanteQu'une jeune et neuve servante,Te dire en larmes, je prometsDe n'aimer que toi désormais,De ne plus souffrir le Compère. LUBIN. Ce serait bien là mon affaire :Mais l'homme qui l'avait trouvéCe bâton... MONSIEUR RAGOT. L'avait éprouvé :Mais connaissais-tu pas ma femme ? LUBIN. [Note : Lame : on dit proverbialement et bassement, "une bonne lame", une "fine lame", une personne fine, et adroite ; et ne se dit qu'en mauvais part, principalement quand on dit d'un ton admiratif : La bonne lame ! [F]]Qui, c'était une bonne lame. MONSIEUR RAGOT. Trois coups la rendirent d'abord Plus douce qu'un enfant qui dort :Mais il faut dedans ta mémoire[Note : Grimoire : livre qu'on a jamais vu, où on prétend qu'il y a des conjurations propres à évoquer les démons. [F]]Mettre quatre mots de grimoire,Et les dire, autrement, ma foi, Les coups retourneraient sur toi. LUBIN. Ah ! Je veux donc bien les apprendre.Avant que de rien entreprendre. MONSIEUR RAGOT. Oui, car il les faut prononcer.Auparavant que commencer. LUBIN. Elle va revenir, je meure :Apprenez-les moi tout à l'heureEt nous allons dans un momentVoir un diable de changementPour elle et pour moi fort risible ; Si le secret est infaillibleJe ne vous épargnerai rien,Prenez mon honneur et mon bien,J'ai fort peu de l'un et de l'autre,Mais disposez comme de vôtre. MONSIEUR RAGOT. Va je ne te demande rien,Voici les mots retiens les bien. LUBIN. Vraiment pour cesser d'être esclave... MONSIEUR RAGOT. Tasse vouzi driou titave. LUBIN. La peste ! Quels diables de mots ! Je ne trouve plus à proposDe les apprendre tout à l'heure,Il me faut deux-mots, ou je meureAvant que de les bien savoirAdieu, voisin, jusqu'au revoir. MONSIEUR RAGOT. Demeure, il n'est rien plus facile :Quand tu serais plus imbécileQue la même imbécillité,Je donne la facilitéD'apprendre en un jour une histoire.. LUBIN. Mais donnez-vous de la mémoire ?Il faudrait vite m'en fournirCar ma femme va revenir. MONSIEUR RAGOT. Dis donc, tu n'as que de la bave :Tasse vouzi driou titave. LUBIN. Tasse, roti.... MONSIEUR RAGOT. Quoi ! Quatre mots... LUBIN. Patience, un peu de repos. MONSIEUR RAGOT. Tasse... LUBIN. Je sais bien une tasseDans laquelle on boit. MONSIEUR RAGOT. Je me lasse. LUBIN. Dites-les moi plus posément. MONSIEUR RAGOT. Je parle assez distinctementTasse rouzi.... LUBIN. Disons ensemble. MONSIEUR RAGOT. Pourquoi m'interrompre ? LUBIN. Il me sembleQue quand nous parlerons toux deuxJe les dirai peut-être mieux. MONSIEUR RAGOT. Tasse. LUBIN. Tasse. Dis-je pas bien ? MONSIEUR RAGOT. Achève. LUBIN. Je ne sais plus rien. MONSIEUR RAGOT. Et comment donc prétends-tu faire ? LUBIN. Il faut achever notre affaire. MONSIEUR RAGOT. Mais quoi ! Si tu ne retiens pas. LUBIN. Mais que l'on parle mal là-bas !Le langage est bien incommodeDedans la ville d'Antipode !Cela me ferait détester. MONSIEUR RAGOT, à part. Je ne me veux point rebuter, Il faut s'armer de patiencePour bien assurer sa vengeance,Elle est tantôt en mon pouvoir. LUBIN. Écoutez, je crois les savoir :Tasse vouzi friou titave. MONSIEUR RAGOT. Les voilà, tu n'es plus esclave,Ils te rendront maître chez toi.Adieu. SCÈNE XI. Lubin, Lubine. LUBINE. Te moques-tu de moi ? LUBIN. Ne voilà-t-il pas la carogne ? LUBINE. Que fais-tu donc là, chien d'ivrogne ? LUBIN. Tasse rouzi friou... J'y fais...Il ne m'en souviendra jamais,Voisin. LUBINE. Dis sot, est-ce pour rire ? LUBIN. Il s'en est allé sans rien dire,Elle a raison, faute d'un mot Je ne suis encore qu'un sot.Il rimait ce me semble à cave :Tasse rouzi friou titave.Bon je l'ai retrouvé sans vous. LUBINE. Il faut le mettre au rang des fous. LUBIN. Des fous ! Pas tant fou que l'on pense :Allons, fais-moi la révérence.Et quelque joli compliment. LUBINE. Il a perdu le jugement.Comme ce coquin, fait le grave ! LUBIN. Il la frappeTasse rouzi friou titave. LUBINE. J'y vais, ne me frappe donc pas. LUBIN. La révérence, bas, plus bas,Ma foi, cette racine est drôle !Allons, qu'on joue un autre rôle. LUBINE. D'où peut venir cet enragé ?Dis donc, que diable as-tu mangé ! LUBIN. Il la frappe.Ah coquine tu m'injuries. LUBINE. Mon mignon, quitte ces furies. LUBIN. Mon mignon ! Hé mon chien de coeur : D'où diable me vient cet honneur ?Crois-tu parler à ton Compère ?Tasse rouzi friou, j'espère Il la frappe.Te reconnaître quelque jour. LUBINE. Hélas ! Pardon mon cher amour, Que veux-tu ? D'où vient ta colère ? LUBIN. Va mettre dehors ce compère,Et ne le regarde jamais,Va vite, et reviens : désormaisJe suis le mari de ma femme Tasse rouzi friou, mon âme. SCÈNE XII. Le Compère, Lubine, Lubin. LE COMPÈRE. Sortir si brusquement ! PourquoiDites donc. LUBINE. Pour l'amour de moi. LE COMPÈRE. Ah ! C'est en peu de mots tout dire,J'obéis, et je me retire. LUBIN. Voilà le Compère sorti,Bon. LUBINE. Mon amour, il est parti. LUBIN. Il est parti ! Ton coeur soupire !Allons, tout à l'heure il faut rire. LUBINE. Rire et pleurer, je ne puis pas. LUBIN. Ris ,ou je te romprai les bras,Ma racine est mal employée. LUBINE. Rirai-je à gorge déployée ? LUBIN. Oui-dà, bien fort ; bon, ne ris plus,Je trouve tes ris superflus ; Pleure à présent à chaudes larmes ;On dit que ta voix a des charmes ,Chante, éternue, auparavant. LUBINE. Moi que j'éternue, et comment ? LUBIN. Comme tu voudras, éternue, Éternue, ou bien je te tue. LUBINE. Mais je ne le puis pas, ma foi. LUBIN. Tasse friou titave, à moi. LUBINE. Mais cela n'est pas volontaire. LUBIN. Ah ! J'ai tort s'il ne se peut faire. Fais donc un feint éternuement ;Dieu t'assiste, je suis content. LUBINE. Je le crois tu le dois bien être,Tu voulais tant faire le maître,Tu l'es de la bonne façon. LUBIN. À propos, chante la chanson....Et là, cette chanson qu'on chante. LUBINE. Qui moi ? J'ai la voix trop méchante. LUBIN. Et la voix, l'esprit, et le corps,Tu n'es bonne que quand tu dors, Mais vois-tu , je veux être maître,Et c'est enfin mon tour de l'être :Chante pour charmer mes ennuis. LUBINE. Je suis malade et je ne puis. LUBIN. Il faut donc prendre médecine. Quatre prises de ma racinePurgent les mauvaises humeurs. LUBINE. Ah ! Je n'en puis plus, je me meurs. LUBIN. Que tu fais mal la décédé !Tu ferais mieux la possédée. LUBINE. Cesse tes coups, je n'en puis plus. LUBIN. Chante, tes pleurs font superflus ;Je suis fort content que tu meures,Pends-toi, si tu veux dans deux heures,Je veux avant que voir ta fin T'entendre dire : Ah ! Le bon vin,Tu as endormi ma mère,Mais jamais, jamais,Toure, loure, loure, loure,Mais jamais, jamais, Tu ne m'endormiras. LUBIN et LUBINE chantent. Ah, le bon vin ! Tu as endormi ma mère,Mais jamais, jamais,Toure, loure, loure, loure, Mais jamais, jamais,Tu ne m'endormiras. LUBINE. [Note : Dans l'édition de 1679, on lit "LUBIN" comme locuteur, il s'agit très probablement de LUBINE.]Mon mignon, mon friou titave,Commande, je suis ton esclave. SCÈNE DERNIÈRE. Monsieur Ragot, Le Compère sortants chacun d'un côté, Lubin, Lubine. LUBIN. Ah, voisin ! MONSIEUR RAGOT. As-tu réussi ? LUBIN, au Compère. Que venez-vous chercher ici ? LE COMPÈRE. Hen. LUBIN. Ne faites point tant le brave ;Tasse rouzi friou titave,Vous pourrait maltraiter, ma foi,Votre gîte n'est plus chez moi, Le temps est passé. LE COMPÈRE. Hé compère ! LUBIN. Il n'est compère ni commère,Vous devez être satisfaitDe tout ce que vous avez faitContez-le pour votre partage, Vous n'en ferez pas davantage.Car j'userai de mon pouvoir. LE COMPÈRE. Et moi je vous ferai savoir... LUBIN. Ah ! Vous voulez faire le brave.Tasse rouzi friou titave. Mon fils voici le coup d'honneurSers ton très humble serviteur,Et fais au moins sur le CompèreCe que tu fais sur la Commère,Comme diable il gagne le haut. MONSIEUR RAGOT. Mais suis-je vengé comme il faut ?Si vous menez Jean, Jacques ou Blaise,Enfin quelque ami qui vous plaise,Faire chez vous quelque repasQue votre femme n'aime pas, Et qu'elle vous fasse la mine,Venez emprunter ma racine. LUBIN. Par elle mon sort a changé. MONSIEUR RAGOT. Voilà, Messieurs, le sot vengé. ==================================================