******************************************************** DC.Title = LES CLAQUEURS, IDYLLE. DC.Author = NORMAND, Jacques DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 22/06/2022 à 06:08:53. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/NORMAND_CLAQUEURS.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9613575x DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES CLAQUEURS Idylle moderne 1882. Tous droits réservés. PAR M. JACQUES NORMAND PERSONNAGES DUBATTOIR, COQUELIN aîné. GALUCHAT, COQUELIN cadet. Tiré de "Théâtre de Campagne. Huitième série". 1882. pp 345-358. LES CLAQUEURS DUBATTOIR et GALUCHAT, assis côte à côte, face au public applaudissent vigoureusement. Bravo ! bravo ! bravo ! GALUCHAT, bas à Dubattoir, avec désespoir. Quel métier, tout de même,Claqueur ! DUBATTOIR, de même. Un beau métier, au contraire, et que j'aime !Bien que j'eusse eu du goût pour l'Université ! S'interrompant.Attention !... Le chef regarde de côté...La tirade finit... du coeur et de l'ensemble ! Applaudissant, ainsi que Galuchat.Bravo ! bravo ! bravo ! DUBATTOIR, reprenant la conversation. Tiens, ce soir, il me sembleQue le public est chaud : on applaudit un peu. GALUCHAT, de mauvaise humeur. Le public ! DUBATTOIR, avec un souverain mépris. Galuchat, il n'y voit que du feu !Si nous n'étions pas là, sur les plus hauts étages,Pour marquer les effets, souligner les passages, Pour lui dire, en un mot, quel est le bon endroit,Il ne comprendrait rien à la pièce qu'il voit. Lui montrant le public au-dessous.Regarde, là-dessous, ces têtes dénudéesQui, veuves de cheveux tout autant que d'idées,S'entassent crâne à crâne, à l'orchestre, aux balcons... C'est nous qui les menons, nous qui les convainquons !En vain l'on nous méprisé, en vain l'on nous diffame :Le public sans la claque est comme un corps sans âme !Pas vrai, dis, Galuchat ? GALUCHAT. J'écoute, laisse-moi ! DUBATTOIR. Quelle farce !... Écouter ? GALUCHAT, bourru. Parfaitement ! DUBATTOIR. Pourquoi ? Tu la connais, la pièce, et l'as déjà claquée ! GALUCHAT. N'importe, elle me plaît ! DUBATTOIR. Une pièce manquée,Presque un four ! GALUCHAT. Tais-toi donc ! J'écoute ! DUBATTOIR. Tiens, vois-tu,Galuchat, pour avoir une telle vertu,Il faut que ton esprit soit malade ou morose. GALUCHAT, soupirant. Hélas ! DUBATTOIR. Dieu !... Quel soupir !... Je devine la chose !Amoureux ? GALUCHAT. Eh bien oui ! Dubattoir, c'est l'amour !J'aime et je veux aimer jusqu'à mon dernier jour ! Applaudissant, ainsi que Dubattoir.Bravo ! bravo ! bravo ! DUBATTOIR. Voilà la grande scène !Avant le dénouement on n'applaudit qu'à peine Verse dans mon gilet le trop plein de ton coeur... GALUCHAT. Oui, je suis amoureux... amoureux et claqueur ! DUBATTOIR. Amoureux ! je le suis aussi !... mais je te jureQue l'amour à mes yeux n'est point une torture,Mais un sentiment doux, adorable, enchanté, Et qui me fait claquer avec plus de gaîté ! GALUCHAT. Ah ! Tu n'as point souffert, pour parler de la sorte,Dubattoir, toi dont l'âme est, comme la main, forte,Le terrible tourment d'un amour méconnu !Tu le veux ?... Devant toi je mets mon coeur à nu : De ce funeste amour apprends les origines.Il pleuvait... Elle avait de charmantes bottinesEt deux petits petons vifs, alertes et gais,Qui, sous un jupon blanc, trottaient le long des quais.Or, est-ce là l'effet du métier que j'exerce? Me servant de mes mains dans mon noble commerce,Senté-je plus qu'un autre, et par revirement,Tout ce qu'un petit pied peut avoir de charmant ?ne sais... mais voyant tout à coup ces bottinesS'agiter devant moi, suaves et mutines, Je fus féru d'amour... et j'emboitai le pas.Soudain... S'interrompant pour applaudir, ainsi que Dubattoir.Bravo ! bravo ! bravo ! DUBATTOIR, bas à Galuchat. Parle plus bas !Le chef a l'oeil sur nous et par ici regarde...Sans avoir l'air de rien continue et prends garde. GALUCHAT, reprenant. Je suivais donc, ému comme un provincial, Ces petits pieds foulant le sol municipal,Et cherchais un moyen adroit et peu vulgaireD'avouer mon ardeur à leur propriétaire...Quand l'adorable enfant s'arrêta brusquementAu détour du trottoir, devant l'encombrement Des voitures venant obstruer la chaussée.Alors, prenant courage : « Ô dame bien chaussée !Lui dis-je, je voudrais... si vous vouliez... il faut... »Soudain l'émotion me saisit : plus un mot.(Je fus, dès le berceau, timide avec les femmes.) Elle me regarda de ses yeux pleins de flammes :Alors tremblant, ému, les regards interdits,Ne pouvant pas parler, que fis-je ?... J'applaudis !Le métier, le métier me prenait à la gorge !Claqueur, j'applaudissais comme un forgeron forge, Et, voulant rendre hommage à ses attraits coquets,Enthousiaste, ardent, transporté... je claquais ! S'interrompant pour applaudir ainsi que Dubattoir.Bravo ! bravo ! bravo ! DUBATTOIR. Poursuis, tu m'intéresses. GALUCHAT. Devant l'effusion de ces brusques tendresses,Me prenant pour un fou, la dame au pied charmant Me foudroya de l'oeil et fila promptement.Comme tu penses bien, je volai sur ses traces...Mais, hélas ! échappant à mes regards voraces,Au milieu de la foule elle s'évanouit !Depuis lors, Dubattoir, ce rêve me poursuit... Sans cesse sur les qu'aïs tristement je chemine,Mais je ne trouve plus sa charmante bottine,Et la nuit seulement en songe je puis voirSous un jupon coquet trottiner un pied noir ! Applaudissant et riant, ainsi que Dubattoir.Ah ! Ah ! Bravo ! Bravo ! Bravo ! DUBATTOIR. Ton aventure Mon pauvre Galuchat, me peine, je te jure,Mais ne m'étonne point, car le plus grand des mauxPour un claqueur, ami, c'est de claquer à faux !Un applaudissement partant à l'improvisteD'un amour entrevu t'a fait perdre la piste : Un applaudissement à propos rencontré,M'a donné le bonheur dont je suis enivré.Comme tu fis pour moi, je veux t'ouvrir mon âme.Pour voisine, j'avais une charmante femme.Habitant tous les deux sur le même palier, Nous nous rencontrions souvent dans l'escalier...Bref, après plus d'un an de rencontres croisées,Et suivant le hasard du moment disposées,Un an de « Passez donc, Madame, s'il vous plaît ! »Je l'aimais d'un amour profond, ardent, complet ! Mais, malgré mes regards pleins de tendresse folle,Elle passait, glacée, et sans une parole,Les yeux toujours baissés dans un chaste embarras,Son rouleau de musique enchâssé sous le bras...Car - j'oubliais le point important de l'histoire ! - Elle suivait des cours pour le Conservatoire,Cet établissement à bon droit réputéPour grandir le talent et former la beauté !Mais, hélas ! la nature envers- elle barbare,Lui donnait une voix d'une fausseté rare. Ida, - c'était le nom de l'objet de mes voeux -Du matin jusqu'au soir secouant ses cheveuxDans un affolement de gammes régulières,Rivée au piano des heures tout entières,S'efforçait d'obtenir soit en haut, soit en bas, Une note possible... et ne l'obtenait pas. On entend un coup de sifflet. GALUCHAT, se levant et regardant en bas. On siffle ! DUBATTOIR, même jeu. C'est en bas ! GALUCHAT. De la poigne ! DUBATTOIR. À l'ouvrage ! Applaudissant vigoureusement ainsi que Galuchat.Bravo ! bravo ! bravo ! GALUCHAT, se rasseyant ainsi que Dubattoir. C'est fini ! Autre coup de sifflet. DUBATTOIR, se relevant ainsi que Galuchat. Non ! GALUCHAT. Courage ! Applaudissant vigoureusement, ainsi que Dubattoir.Bravo ! bravo ! bravo ! DUBATTOIR. Démoli, le siffleur ! GALUCHAT, se rasseyant ainsi que Dubattoir. Pas de conviction, cet homme ! DUBATTOIR. Quel malheur D'applaudir par devoir et-toujours et quand même !Cette pièce est vraiment d'une bêtise extrême ! GALUCHAT. Pas de situations... pas d'esprit... pas de traits... DUBATTOIR. Si je n'étais claqueur, comme je sifflerais ! GALUCHAT. Mais poursuis ton récit, mon cher, tu m'intéresses. DUBATTOIR, reprenant. Donc pour elle j'avais de sublimes ivresses,Et, bien que mon oreille en souffrît quelquefois,-Ses yeux étaient si purs que j'oubliais sa voix !Mais comment avouer cet amour ? Comme direA ma suave Ida quel était mon. délire ? Ayant un coeur timide et pur comme le tien,Frère, je me mourais... mais je n'avouais rien.Quand un soir... Il faisait un froid de Sibérie ;Me frayant un chemin dans la neige pétrie,Je revenais chez moi, transi, mais le coeur chaud. Ainsi que chaque jour, dans la maison, en haut,Retentissait sa voix aussi fausse que forte.Chère enfant !... Je sonnai deux fois, trois fois... La porteNe s'ouvrait pas. Sans doute, en sa loge endormi,Mon concierge, bercé par quelque songe ami, S'allongeant aux côtés de sa compagne austère,Rêvait qu'il devenait soudain propriétaire,Car la porte restait fermée obstinément.Ida chantait toujours. Un affreux tremblementM'envahit tout le corps, des pieds jusqu'à la tête... Deux fois, trois fois, dix fois, je tirai la sonnette...Le concierge, rêvant de soie et de velours,Demeurait insensible... Ida chantait toujours.Alors, gelé, tremblant et piétinant sur place,Sentant mes doigts raidis se convertir en glace, Et la terrible onglée atrophier mes mains,Je me mis à claquer comme un cent de Romains. Applaudissant, ainsi que Galuchat.Bravo ! bravo ! bravo ! DUBATTOIR, reprenant. Je claquais avec rage,Maudissant mon Cerbère et son sommeil sauvage ;Je claquais... quand soudain - ô miracle ! - la voix S'arrêta : puis deux doigts, deux charmants petits doigtsSoulevèrent un coin du rideau... la fenêtreS'entr'ouvrit... et je vis sa. chère ombre apparaître,Et son bras envoyer au malheureux transiUn geste gracieux voulant dire : « Merci ! » Ô bienheureux hasard ! Vénus m'était propice !Vénus avait permis qu'ainsi je l'applaudisseSans y penser moi-même, et que, pauvre claqueur,Je trouvasse en claquant le chemin de son coeur !Le Cerbère m'ouvrit enfin la porte close Et quand, le lendemain, voyant la vie en roseJe sortis, et trouvai dans l'escalier Ida...Sans détourner les yeux elle me regardaEn rougissant de joie et de reconnaissance !La glace était rompue... dors, plein d'assurance, Je lui dis mon amour en termes délirants,Et quelques temps après... Enfin, tu me comprends !Depuis ce jour béni mon bonheur est extrême...Je suis aimé d'Ida tout autant que je l'aime,Et j'ai pu me convaincre, ami, plus d'une fois Que la charmante enfant n'a de faux... que la voix ! GALUCHAT. Fortuné Dubattoir !... Ah ! comme je t'envie !Tu gagnas, en claquant, le bonheur de ta vie ! DUBATTOIR. Malheureux Galuchat ! que ton sort est cruel !Tu perdis en claquant le bonheur éternel ! GALUCHAT. Ah ! sous son jupon blanc, suaves et mutines,Comme vous trottiniez, adorables bottines ! DUBATTOIR. Ah ! sur le piano, malgré les faux accords,Combien les mains d'Ida me causent de transports ! GALUCHAT. Reverrai-je jamais, dans leur grâce menue, Vos petits pieds divins, ô ma belle inconnue ! DUBATTOIR. Oublierai-je jamais, ô ma charmante Ida,Le jour où ton amour a mon amour céda l GALUCHAT, l'interrompant. La fin... attention ! Qu'au rappel on s'apprête ! Ensemble.Bravo ! bravo ! bravo ! Coup de sifflet. DUBATTOIR. Le sifflet qui s'entête ! GALUCHAT. Enfonçons-le ! Bravo ! DUBATTOIR. De la poigne ! Ensemble.Tous ! tous !La toile ! Tous ! Bravo ! GALUCHAT. La toile ! Ou mes quat' sous ! La toile se lève. GALUCHAT et DUBATTOIR. Ah ! ah ! Bravo ! La toile baisse. GALUCHAT, se levant, ainsi que Dubattoir. Fini ! Bonsoir la compagnie ! DUBATTOIR, prenant Galuchat par le bras. Viens souper avec moi. GALUCHAT. Mais... DUBATTOIR. Sans cérémonie ! GALUCHAT, saluant le public. Qu'à présent le public, un tas de braves coeurs, Daigne applaudir la claque... DUBATTOIR, de même. Et claquer les claqueurs. ==================================================