******************************************************** DC.Title = NATALIE OU LA GÉNÉROSITÉ CHRÉTIENNE, TRAGÉDIE. DC.Author = MONGAUDIER DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:20. DC.Coverage = Grèce DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/MONTGAUDIER_NATALIE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** NATALIE OU LA GÉNÉROSITÉ CHRÉTIENNE TRAGÉDIE. M. DC. LIV. Par le Sieur de Montgaudier. À Paris, Chez Claude Calleville, au Mont S. Hilaire, À Paris, Chez Claude Calleville, au Mont S. Hilaire. MONSEIGNEUR, Je prends la liberté de vous présenter ce Poème, qui ne paraîtrait qu'à ma honte, si sa faiblesse n'était soutenue par une puissante protection, et qui ne peut manquer de bonheur si vous le favorisez de la vôtre. Ceux qui ne liraient point, s'ils n'espéraient de trouver des choses indignes d'être lues, et dont les yeux déréglés ne s'attachent qu'au mal, n'oseront mettre mes Vers à l'Inquisition après avoir vu qu'ils vous dont dédiés ; l'accueil que vous leur ferez les fera recevoir de tout le monde, et leurs plus grossières fautes cesseront de l'être si vous faites semblant de les excuser. Il n'y a point de termes si barbares qui ne deviennent Français quand vous voudrez les naturaliser, et les façons de parler les moins pratiquées seront à couvert de toutes les censures si vous leur donnez votre approbation. Car il est vrai, MONSEIGNEUR, que vous pouvez commander au langage aussi bien qu'aux armées, et Minerve toute entière s'est tellement donnée à vous, que vous possédez tout son savoir et tout son courage. Ainsi ma Tragédie attend le jugement universel du particulier que vous en ferez, et si je suis assez heureux pour contribuer par son moyen à votre divertissement, je croirai n'avoir pu faire un meilleur emploi de mon temps et de mon travail. Peut-être que mes Vers n'auront pas assez de bonheur pour vous plaire, mais je m'assure que la passion que j'ai pour votre service ne vous déplaira pas, et que vous ne ferez pas moins d'accueil à ce petit essai, par lequel je désire vous en donner le premier témoignage qu'à des ouvrages plus achevés, puisque ce que je vous présente est tout ce que je puis, et que pour être mauvais versificateur, je n'en suis pas moins MONSEIGNEUR, Votre très humble et très obéissant serviteur. MONTGAUDIER. ACTEURS. ADRIAN, l'un des premiers Officiers de Maximian. NATALIE, femme d'Adrian. FAUSTE, Valet de Chambre d'Adrian. THÉODORE, cousine de Natalie. MAXIMIAN, Empereur Romain. APOLLINAIRE, PLACIDE, Capitaines des Gardes de l'Empereur. MARTIAN, Maître de Camp, amoureux de Natalie. La Scène est dans Nicomédie. ACTE PREMIER SCÈNE PREMIÈRE. NATALIE. Jusques à quand Seigneur verrons-nous des épéesDans le sang des Chrétiens cruellement trempées,Et leurs membres pourris sous la charge des fersServir avant la mort de nourriture aux vers ? Et ne verrai-je point vos bras armés de foudre Donner sur leurs faux dieux et les réduire en poudre, Verrai-je point crouler par monceaux écartésLes temples abattus sur leurs divinités,À l'éclat de la Foi idolâtrie éteinte,Et l'Univers soumis la professer sans crainte ? Que si pour l'établir il faut encor du sang,À quelle fin Seigneur épargnez-vous mon flanc,Pourquoi retenez-vous mon âme infortunéeDans les tristes liens d'un cruel Hyménée ? Car enfin tout supplice a pour moi des appâts Au respect d'un époux qui ne vous aime pas.Quelque haute vertu dont l'éclat l'environne,Son erreur à mes yeux dérobe sa personne,Et ce fâcheux objet qui me suit en tout lieuNe me découvre en lui qu'un ennemi de Dieu. Source de vérités, Océan de lumières,Seigneur, vous lui pouvez faire ouvrir les paupières,Vous pouvez l'éclairer de ces rayons d'amourQui dissipent la nuit et ramènent le jour,Qui portent nos esprits au-dessus de nous-mêmes Qui nous traînent à vous par des douceurs extrêmesEt sans nous avertir se glissant dans nos coeursFont souvent des martyrs de nos persécuteurs. Je vous prie, ô Grand Dieu, Père de toute chose,De faire en Adrian cette Métamorphose, Qu'il soit Chrétien, Seigneur, car après cet effortJe verrai d'un même oeil et sa vie et sa mort :L'une et l'autre pour moi sera pleine de charmesOn versera son sang sans attirer mes larmes,Et tout événement me pourra sembler doux Apprenant qu'il expire ou respire pour vous. Généreux prisonniers invincibles esclavesQui bravez les tyrans au milieu des entraves,Vous dont le Ciel propice entend tous les soupirsJoignez des voeux pressants à mes justes désirs, De vos Saintes ferveurs... SCÈNE II. Natalie, et Théodore, fournies de linge et d'Onguents, vont visiter et panser les prisonniers Chrétiens. THÉODORE. Allons-nous ma cousine ? NATALIE. Allons je vous attends. THÉODORE. J'apporte une eau divineDont je veux faire essai, c'est un secret nouveau. NATALIE. Puisqu'il à votre aveu sans doute il est fort beau.Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on loue vos recettes On m'a fait grand récit des cures que vous faites,Et votre cabinet qu'un chacun m'a vantéAllume tous les jours ma curiosité ;Je le veux aller voir on en dit des merveilles. THÉODORE. Vous verrez seulement un amas de bouteilles, Des vases et sachets placés confusément ;S'il vous plaît toutefois d'y passer un momentAu sortir des prisons vous serez satisfaite. NATALIE. Ma satisfaction serait bien plus parfaiteEt je recevrais bien des plaisirs plus entiers Si vous marchiez un jour par de meilleurs sentiersUn motif différent dans la prison nous mène,Vous suivez les appâts d'une tendresse humaine,Et la compassion, qui vous touche le coeurAurait de sa cesse si vous n'étiez plus soeur, Tous ces empressements naissent de la nature ;La mienne a pour agir une cause plus pureAu-dessus des attraits de la chair et du sang,Elle a le coeur trop bon pour marcher en ce rang,Et tiendrait à mépris d'être estimée égale Au plus haut sentiment d'une vertu morale,Et est Chrétienne enfin, et voyant les liensQui pressent votre frère et les autres Chrétiens,Elle n'a pas pour lui de plus fortes atteintes,Tous lui sont aussi chers, tous réveillent ses craintes, Ces linges sont pour tous et tous égalementVont être secourus de ce médicament. THÉODORE. Ainsi mes sentiments sont conformes aux vôtres,Mon frère plus soigneux de la santé des autresQue de la sienne propre était incessamment À me solliciter pour leur soulagementMalgré la pourriture et puanteur extrême Je les servis en soeur et depuis je les aime,Et ne puis sans douleur perdre leur entretien. NATALIE. Courage cette humeur tient beaucoup de Chrétien, Il ne vous manque plus que d'être baptisée. THÉODORE. Railleuse. NATALIE. Je dis vrai. THÉODORE. Si j'étais moins ruséeVous pourriez me séduire ; hélas c'est bien en vainSi vous avez conçu ce criminel dessein,Mon frère à m'en parler a perdu ses escrimes, Je ris de ces leçons, je raille ses maximes ;Car vos songes plastrés ont trop de vanitéPour abuser jamais de ma crédulité. NATALIE. Un jour ces vérités que vous nommez des songes,Et qui passent chez vous pour de faibles mensonges Seront entièrement l'objet de votre amour. THÉODORE. Je crois que de long temps je ne verrai ce jour ; NATALIE. Non non quand Dieu nous veut, quelque combat qu'on fasse,C'est en vain qu'on résiste aux efforts de sa grâce ;C'est peut-être aujourd'hui, c'est peut-être demain Qu'il a déterminé de vous tendre la main,Mais Fauste vient à nous et pâtit ce me semble. SCÈNE III. Natalie, Théodore, Fauste. NATALIE. Quelle nouvelle Fauste ? FAUSTE. Ha Madame je tremble,La grandeur du péril étonne ma raison,Mon Maître ne vit plus ou respire en prison, Madame il est Chrétien, mais... NATALIE. Quel mais peux-tu dire ? Qu'à présent tout le monde assemblé pour nuireJoigne effort sur efforts, Adrian est Chrétien,Je n'ai plus rien à craindre et ne prétends plus rien,L'excès de ce bonheur a mon âme ravie ; Ha mon cher Adrian vous me rendez la vie ! FAUSTE. Ce transport me surprend, Madame, il va mourir,Et loin de vous en plaindre ou de le secourir,Loin de vous employer envers l'Impératrice... NATALIE. Dis plus, je voudrais même avancer son supplice, Irriter contre lui moi-même l'Empereur,Et si ce sentiment te donne de l'horreur... THÉODORE. Quoi vous doutez encor, cruelle, s'il en donne ? NATALIE. Oui j'en doute en effet, et la raison l'ordonne, Puisque je parle à Fauste, et qu'il ne doute pas Que l'immortalité ne suive un tel trépas,Qu'un moment de douleurs n'enfante pour la gloireDe trésors infinis. FAUSTE. Madame il faut le croire,Mais quand en perdant un maître on perd tout son soutien,Celui-là qui le pleure en est-il moins Chrétien ? NATALIE. Je sais bien que la Foi peut souffrir la nature,Mais qui pour l'affranchir et la rendre plus pureEtouffe des soupirs qu'il a droit de former,Arrête des transports que nul ne peut blâmer,Et voit la mort des siens du même oeil qu'un voyage, Ne témoigne-t-il pas en savoir mieux l'usage ?Essuie donc ces pleurs et loin de t'affligerPour la mort d'Adrian dont tu vois le dangerPorte tes yeux au Ciel sur la gloire éternelleDont Dieu couronnera sa constance et son zèle. THÉODORE. Comment s'est-il rendu ? fais-nous-en le discours. FAUSTE. Maximian, Madame, étant sorti du coursVoulut sur un Chrétien donner cours à sa rage ;En vain s'efforça-t-on s'ébranler son courage,Plus ferme qu'un rocher il brave les bourreaux, Il voit sans s'effrayer, son sang sous les couteauxCouler de toutes parts et sa chair entaméeRendre sur les charbons une épaisse fumée,Toute la cour s'étonne, et mon maître surtoutSemble souffrir sur soi le contrecoup des coups, Tant de soupirs pressés sortent de sa poitrine,Tant il verse de pleurs, tant sa face chagrineEst peinte de douleur, il a l'oeil attachéTantôt sur ce beau sang qui vient d'être épanché,Tantôt sur l'empereur, et toujours un nuage Couvre le teint vermeil de son triste visage.Il tient le front penché sur son bras raccourciPendant que son esprit flotte dans le souci,Que son coeur se partage, et ce rude divorceLe brise de soupirs, et l'épuise de force. Une moite fureur lui court par tout le corps,Et le feu qu'il couvait gagne enfin le dehors,Il embrase ses yeux, allume son teint pâle,Imprime sur son front une couleur plus mâle,Lui rassure le coeur, et l'anime si fort, Qu'il brave Jupiter, l'Empereur et la mort.Mais qui peut rapporter ses ardentes paroles ? Je suis Chrétien, dit-il, j'abhorre les Idoles,J'en déteste le culte, et je n'ai point de sangDuquel pour l'abolir je ne vide mon flanc ; Ô Généreux martyr qui m'en donnez l'exempleVous que sur les brasiers le fils de Dieu contemple,Les couronnes en main, jetez les yeux sur moiDu séjour de la gloire et soutenez ma foi.Cependant que sans crainte il découvre sa flamme Maximian l'entend et enrage dans l'âme,Il feint : mais le voici qui vous apprendra tout. SCÈNE IV. Adrian, Fauste, Théodore, Apollinaire. ADRIAN. Enfin votre constance en est venue à bout,J'abandonne les dieux et le soin de ma vie. NATALIE. Ha mon cher Adrian ! ADRIAN. Ma chère Natalie ! NATALIE. Source de mes plaisirs que ce nouvel étatÀ vos yeux détrompés donne un aimable éclat,Et que sur vous la grâce a répandu de charmes ;C'est vous, c'est vous Seigneur qui tarissez mes larmes,Qui m'avez exaucée et n'avez pu souffrir Qu'un mari tant pleuré vint enfin à périr.Vous prisez trop les pleurs d'une âme qui soupire,Et sur vous ne douleurs exercent trop d'empire,Pour être inexorable à mes justes désirsQuand votre seul amour enfantait mes soupirs. Enfin il est Chrétien, enfin l'enfer enrageDe le voir désormais hors de son esclavage,Et le Ciel et la terre au seul bruit de sa foiPrendront part à ma joie et diront avec moi. Béni soit le Seigneur que tout Chrétien adore, Que depuis l'astre froid jusqu'au rivage maure,Et de la mer d'Espagne aux peuples du LevantÉcho porte son nom sur les ailes du vent,Pour apprendre aux mortels que Dieu nous a fait grâceQue tous nos ennemis ont fui devant sa face, Qu'il a levé le bras et brisé nos liens,Et qu'il n'est point de Dieu que le Dieu des ChrétiensQu'il est Dieu d'Adrian et de sa Natalie,Qu'il est le Dieu de Rome et de Nicomédie. APOLLINAIRE. Monseigneur je vous ai dit avec sincérité Tout ce qu'un ami peut en cette extrémité,Et vous jugez assez que Maximian mêmeTout irrité qu'il est vous honore et vous aime,Et, sachant à quel point je vous suis serviteur,Qu'il ne m'aurait jamais fait votre conducteur Sans l'espoir qu'il a eu qu'enfin je vous ramèneEt qu'un prompt repentir vous dérobe à sa haine. ADRIAN. Monsieur n'en parlons plus, je veux mourir Chrétien. APOLLINAIRE. Monsieur encor un coup ne précipitez rien,Cette mort généreuse ou vous trouvez des charmes Vous paraîtra bientôt comme un sujet de larmes,Et cette prompte ardeur s'éteignant peu à peu,Plus elle approchera moins vous aurez de feu,Vous la verrez alors dans les atours funèbresDans l'effroi du silence et l'horreur des ténèbres, Dans le trouble, la crainte, et la confusion,L'oubli, le désespoir et la privation.Est-il à ces objets fermeté qui ne plie ? Jugement qui résiste à la mélancolie,Constance qui ne branle et courage assez fort Pour oser sans frayeur envisager la mort ? Non il n'en fut jamais, cette funeste imageNe frappe point les sens ou change le courage. ADRIAN. Je porte ma pensée encor plus loin que vous,Et sans faire à la mort un visage trop doux, Sans présumer de moi, j'avoue ma faiblesse,Et connais sa rigueur sans que mon zèle cesse ;Oui, quelque cruauté qu'on forge en mon trépas,Si Jésus me soutient je ne tremblerai pas,Puisqu'il est ma valeur je dois être invincible, Et s'il est mon appui ma chute est impossible. APOLLINAIRE. Votre ardeur vous séduit. ADRIAN. Ma puissance est mon Dieu. APOLLINAIRE. Et contre Jupiter croyez-vous qu'elle eut lieu ? ADRIAN. Jupiter fut un homme et le poids de ses crimesL'accable sans repos dans le fond des abîmes, Gémissant sous la main du Seigneur que je sersSans que tous vos encens adoucissent ses fers. APOLLINAIRE. Vous vous emportez trop, s'il avait pris sa foudreLa croix de votre Dieu serait réduite en poudre,Et tout Chrétien prendrait la terre avec les dents, Il roule dans le Ciel ses charriots ardentsGénéreux successeur de Saturne son père. ADRIAN. Si votre aveuglement n'était point volontaireVous auriez le Soleil tout entier dans les yeux,Quoi vous imaginer un Dieu chassé des Cieux Dont la race ait puni l'infâme gloutonnie,N'est-ce pas démentir la puissance infinieEt tous les attributs de la divinité ? Car si Saturne a su de toute ÉternitéLui devoir naître un fils qui ravirait son sceptre Et n'a pu l'empêcher... APOLLINAIRE. Il a dû le permettreEt n'a pu s'opposer aux volontés du sort,Qui souvent donnent aux dieux des souhaits pour la mort. ADRIAN. Quelle est donc leur grandeur ? s'ils ne font rien paraître Qui porte leur nature au-dessus de notre être Que leur vie immortelle et souvent dites-vous,Ils tiendraient à faveur de mourir comme nous.Je plains ces pauvres dieux qu'étonne la faiblesse,Que l'impureté souille et le désespoir presseOu l'ignorance règne et dont la cruauté Forme le dernier trait d'une divinité. APOLLINAIRE. Çà parlons d'autre chose, haïssez-vous la vie ? ADRIAN. J'attends avec plaisir qu'elle me soit ravie,Je sais qu'étant en Cour et du rang que j'y tiensOn voudra par ma mort effrayer les Chrétiens, Mais Dieu qui des mortels sait rompre l'entrepriseRendra mon sang second pour peupler son Église. APOLLINAIRE. Au moins considérez le genre du trépas,Mourir d'un coup de lance au milieu des combatsEst un sort glorieux, mais que la main barbare D'un infâme Bourreau votre tête sépareSur le sang des meurtriers, et aux yeux de la Cour,C'est ajouter la honte à la perte du jour. ADRIAN. Qui meurt innocemment meurt sans ignominie. APOLLINAIRE. Désobéir au Prince est une félonie Et vous mourrez toujours criminel en ce point. ADRIAN. Son édit est injuste, et ne m'oblige point. APOLLINAIRE. Est-ce à nous d'en juger ? ADRIAN. Oui dans cette occurrence,Où Dieu prend intérêt tout se met en balance,Mais nous perdons du temps et nous n'avançons rien ; Monsieur n'en parlons plus je veux mourir Chrétien. APOLLINAIRE. J'exécute à regret un ordre qui m'afflige. ADRIAN. J'accepte avec plaisir un arrêt qui m'oblige,Plus il a de rigueur d'autant plus il m'est doux. THÉODORE. Hélas mon cher cousin ayez pitié de vous, Ne vous obstinez point dedans cette humeur noireOù pensez-vous aller ? ADRIAN. Au martyre, à la gloire,À l'immortalité. THÉODORE. Je vois bien aujourd'huiQue c'est fait de mon frère et qu'il n'a plus d'appui.Hélas j'ai dit souvent en soulageant ma peine Par le récit flatteur d'une espérance vaine,J'espère en mon cousin, il a trop de créditPour ne modérer pas la rigueur d'un ÉditEt dans ce grand pouvoir que ne peut-il pas fairePour adoucir le Prince en faveur de mon frère, Mais votre désespoir vous va perdre tous deux. ADRIAN. Si le jour de la foi vous entrait dans les yeux,Bien loin de concevoir cette injuste tristesse,Vous et ma Natalie auriez même allégresse :Mais ce n'est pas le lieu de nous entretenir ; Entrons dans la prison. THÉODORE. Ce serait me punirD'une étrange façon s'il me fallait comme elle Suivre une folle erreur et devenir cruelle,Non non j'aurai toujours même ressentimentEt n'entrerai jamais dans votre aveuglement. ADRIAN. Éclatantes Maisons des Princes de la terre,Palais divertissants ou l'or couvre la Pierre,Cabinets enrichis, bâtiments enchantés, Vous n'avez rien d'égal parmi vos vanitésAux attraits de ce lieu cette voûte relente, Ces cachots empestés d'une haleine puante,Ces grottes à lions, ces manoirs de crapauds,Ces vieux paroirs fumés ces humides caveauxOnt des charmes secrets dont la douceur m'attire,Enfin à ce moment commence mon martyre, Je vous déjà les fers que j'ai tant souhaités,J'approche des liens dont furent garrottésTant d'Illustres martyrs, je touche leurs entravesEt baise avec respect les verrous de leurs caves. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. MARTIAN, seul. Brasiers ensevelis sortez de vos tombeaux, Rallumez-vous encore infortunés flambeaux,Et d'une prompte ardeur embrasez ma poitrine :J'aime encor Natalie et mon amour s'obstineÀ former des desseins où la raison se perd,Un rayon d'espérance à mes yeux s'est offert, Et comme si déjà Natalie était veuve,Ce feu précipité qui dans mon coeur s'élève,Me promet sa conquête et traîne puissammentMes sens ensorcelés dedans l'aveuglement.Arrête esprit trompeur qui flattes mon courage Dans l'espoir incertain d'un prétendu veuvage,Adrian vit encore et l'Arrêt de sa mort,N'adoucirait en rien les rigueurs de mon sort,Natalie à mes voeux toujours inexorablePaierait de mépris ma flamme impitoyable Et l'amour ne pouvait faire brèche à mon coeurCette ingrate beauté rirait de ma douleur ; Il me doit souvenir de mes premiers services,Et sans m'abandonner à de nouveaux supplices,Puisque son naturel est si contraire au mien, La plus grande finesse est de n'espérer rien,Cessez donc tout à l'heure indiscrètes penséesQui nourrissez de vent mes flammes insenséesEt n'importunez plus celui que la raisonVeut charitablement délivrer de prison. Hélas elle le veut, mais ma chaîne est trop forte,Et malgré ses Conseils ma passion l'emporte : Oui je refuse toujours à cet obstacle vainqueur,Je lui dresse un Autel dans un coin de mon coeur,Ou la secrète ardeur contre qui je m'irrite D'un culte opiniâtre adore son mériteJe me trahis moi-même, et je change en poisonCe dont les qualités rendent la guérison,Ma chaîne se grossit alors qu'on me l'arrache,Une main lie encor ce que l'autre détache, Et je trouve à la fin que je me suis lasséContre un torrent rapide et j'ai rien avancé. C'est bien plus à propos aimable NatalieD'obéir sans contrainte à votre tyrannie Et puisque Martian ne peut vivre sans vous De ne combattre plus contre un espoir si douxPar l'importunité d'une longue poursuiteOn obtient les faveurs qu'on refuse au mériteEt le temps grand ouvrier de mille changementsSoulage tôt ou tard les travaux des amants. Et pourrait-elle bien mépriser ma requête,Quand mon fâcheux rival aura laissé sa têteSous le fer des bourreaux et qu'elle pourra voirDe mon fidèle amour l'admirable pouvoir,Qu'elle envisagera sa constante durée Qu'un Hymen rigoureux n'aura point altérée,Et qui conserve encor de violents brasiersAprès un désespoir de treize mois entiers ? Non elle aura pitié des tourments que j'endure,Et j'ose présumer qu'en cette conjoncture Se voyant sans époux et sans élection Elle pourra m'aimer par inclination,Ou que l'ambition se glissant dans son âmeElle fera des voeux pour rappeler ma flammeEt joindre aux traits charmants de sa grande beauté L'éclat de ma fortune et de ma dignité,Mais si son coeur enfin refuse cette amorceJe pourrai me résoudre à la ravir de force,Et dussé-je irriter contre moi tous les dieux Contenter mon amour et mourir à ses yeux. SCÈNE II. Maximian, Apollinaire, Martian. MAXIMIAN. Et bien notre Adrian persiste-t-il encoreDans le mépris des dieux que mon empire honore,S'obstine-t-il toujours dans l'erreur des Chrétiens ? APOLLINAIRE. Oui Seigneur il triomphe au milieu des liens,Il rit de nos rigueurs il brave nos menaces, Ni l'espoir des faveurs, ni la peur des disgrâces Rien ne peut ébranler sa funeste vertu. MAXIMIAN. De divers mouvements mon esprit combattu Flotte entre la pitié la colère et la haine :Je ne puis sans regret perdre un tel Capitaine Et l'intérêt des dieux combat si fort le mien,Qu'il faut souffrir sa perte ou souffrir un Chrétien ;Triste nécessité, mais juste tyranniePuisque ma cruauté par soi-même est punieEt qu'un destin cruel me force à me ravir Un guerrier que j'estime et qui me peut servir. APOLLINAIRE. Seigneur il est à vous le pouvez-vous absoudre ? MAXIMIAN. Mais son impunité m'exposerait au foudre,Tout Chrétien me doit être un objet odieux,J'ai juré leur défaite et je la dois aux dieux. APOLLINAIRE. Les dieux seraient atteints d'une juste tristesseSi vous versiez du sang pour un trait de jeunesseEt priviez votre état d'un généreux appuiQui se rendra demain s'il s'obstine aujourd'hui,Qui condamne en son coeur le transport téméraire Qui l'expose aux rigueurs d'une haute colèreEt qui viendrait offrir l'encens aux immortelsS'il pouvait sans rougir s'approcher des Autels,Qui viendrait à vos pieds se déclarer coupableS'il pouvait échapper la honte inévitable Qu'après un changement si public et si promptUn retour trop hâté lui mettrait sur le front,Permettez-lui, Seigneur, un repentir honnête,Souffrez que sans opprobre il conserve sa têteEt fuie les soupçons qu'il craint plus que la mort D'un homme sans courage ou d'un esprit peu fort. MARTIAN. Ne trouvez pas mauvais Seigneur si je m'opposeAux dangereux Conseils qu'Apollinaire expose,Et si m'intéressant pour les dieux et pour vousJ'allume en votre coeur un généreux courroux. Adrian est Chrétien et nous venons d'apprendreQu'un heureux repentir le presse de se rendre,Mais que la honte seule en retarde l'effet ;Puissante conjecture ! après un tel forfaitQui le rend criminel aussi bien comme infâme La honte de changer peut entrer en son âme :Celui qui des bourreaux attend la cruautéPeut craindre les soupçons d'une légèreté ? Et dans le triste état où son orgueil le plongePressé de vrais dangers s'alarmer pour un songe ? Car enfin cette honte a peu de fondementL'inconstance est louable en cet événementEt l'obstination ne peut être suivieQue d'un long déshonneur et d'une courte vie.Mais ne présumons pas que le temps puisse rien Sur l'esprit endurci d'un superbe Chrétien,Dans son illusion d'heure en heure il s'obstineEt loin de s'ébranler son erreur prend racine.Je sais que la valeur qu'Adrian a fait voirDe mes fortes raisons affaiblit le pouvoir, Qu'un tendre sentiment vous présente l'imageDe sa force guerrière et de son grand courageEt fait sonner si haut les exploits de son brasQue son crime auprès d'eux ne se découvre pas.Considérez Seigneur combien est redoutable La téméraire ardeur d'un généreux coupableEt vous ressouvenez du destin solennelQui promet aux Chrétiens un empire éternel,Que peut être ces temps touchent l'heure fataleQui les doit assurer de l'aigle impérial Et que pour entreprendre un dessein si hardiAdrian chaque jour par vos soins agrandiEmbrassant le parti de cette infâme secteRend sa foi dangereuse et sa valeur suspecte. APOLLINAIRE. Vraiment vous nous contez d'agréables terreurs, Ignorez-vous encor quels sont nos Empereurs,Pour craindre les desseins d'une troupe impuissanteQue notre seul abord remplirait d'épouvante ? Mais vous ne savez pas l'interprétationDu glorieux sujet de leur ambition ; Ce Royaume éternel pour lequel ils soupirent,Dans l'attente duquel sans regret ils expirentN'est qu'une illusion de leur entendementQui se figure un Ciel dessus le firmamentOù de ce corps mortel leurs âmes délivrées Soient éternellement de nectar enivrées,Où des plus doux objets l'amas délicieuxContente leur esprit et recrée leurs yeux ;Ne leur envions point ce bien imaginaire. MAXIMIAN. Si faut-il qu'Adrian se résoude à me plaire Ou qu'en punition de sa témérité ;J'apaise dans son sang mon esprit irrité.Placide donnez ordre afin qu'on nous l'amène. SCÈNE III. Maximian, Apollinaire, Martian. MAXIMIAN. En quel étonnement en quelle horrible peineÔ dieux ! réduisez-vous mon coeur irrésolu ? Que me sert cette gloire et l'Empire absoluQue j'ai sur l'univers ? si j'entre en esclavageDe la haine, l'amour, la tendresse, et la rageAveugles possesseurs d'une âme sans clartéEt bourreaux insolents d'un coeur sans liberté ? APOLLINAIRE. Seigneur vous allez faire un coup irréparable,La raison d'Adrian n'est point encor traitable,La fureur le conduit et dans son entretienMêlera sans respect un sentiment Chrétien,Il peut dans sa chaleur lâcher quelque blasphème Et vous mettra sans doute en un courroux extrême :Différez de le voir. MAXIMIAN. Martian qu'en dis-tu ? MARTIAN. Qu'envers lui la pitié n'est point une vertu,Qu'on lui fait trop de grâce et qu'il faut tout à l'heureQu'il offre aux immortels de l'encens ou qu'il meure, Qu'il soit fait leur victime ou n'en refuse pas,Qu'il marche vers le Temple ou qu'il coure au trépas,Qu'il quitte son erreur ou qu'il perde la vie. APOLLINAIRE. Il est juste en effet qu'elle lui soit ravieSi pour le retirer de son aveuglement La bonté de César, l'effroi du châtiment,Les offres, les bienfaits, l'artifice, les larmesEt mille autres moyens sont de trop faibles armes ;Mais s'il nous reste encor quelque voie à tenterOn sait trop ce qu'il vaut pour rien précipiter, Sa vie a trop servi pour endurer sans honteQu'il la perde à nos yeux par une mort trop prompte,Et nous regretterions un sang si précieuxQu'on pouvait ménager sans offenser les Dieux.Souvenez-vous Seigneur qu'il n'est point de victoire Plus digne du triomphe et plus pleine de gloireQue celle qui s'obtient à quel prix que ce soitSur l'esprit d'un Chrétien que la fureur déçoit,Que le Ciel vous en offre un moyen favorable,Que pour y parvenir toute voie est louable Et que vous devez faire un généreux effortPour tirer Adrian des ongles de la mort.Mais il entre Seigneur. SCÈNE IV. Adrian, Maximian, Apollinaire, Martian, Placide. MAXIMIAN. Ô Ciel ! se peut-il faire Que l'ennemi des Dieux, l'objet de ma colère,Qu'Adrian, qu'un Chrétien se présente à mes yeux ? ADRIAN. Par vos ordres Seigneur on m'amène en ces lieux. MAXIMIAN. Misérable Adrian je plains ta destinéeQue ton funeste erreur va rendre infortunée Et dans le sentiment d'une tendre pitiéJe t'offre le pardon avec mon amitié. ADRIAN. Il faut que le pardon présuppose le crimeEt tout ce que j'ai fait me paraît légitime,On ne pardonne point une bonne action. MAXIMIAN. Chrétien n'abuse pas de ma compassion,Pense que tu me fais par un effort extrême Injuste envers le Ciel, injuste envers moi-même,Et que si ta raison ne veut ouvrir les yeuxJe me ferai justice aussi bien qu'à nos Dieux. ADRIAN. L'effet m'en sera doux mon âme est toute prêteD'affronter les bourreaux et leur offrir ma tête, Et ravi d'espérer un si précieux sortJe hais votre pitié qui retarde ma mort. MAXIMIAN. Prodigieux effet de ton extravagance. MARTIAN. Mais plutôt d'une vaine et insigne arrogance,Ha Seigneur c'en est trop, punissez, vengez-vous, Lâchez contre un ingrat les rênes au courroux,Et ne différez plus l'arrêt de son supplice. APOLLINAIRE. Puisque l'aveuglement le traîne au précipice,Loin de presser sa perte et lui hâter le pas,Nous devons malgré lui l'arracher au trépas, Le tirer de la voie ne laquelle il s'engageEt guider sa raison dont il n'a plus l'usage. MARTIAN. Qu'il meure ou sacrifie. MAXIMIAN. Oui j'ai trop pardonné :Il mourra l'inflexible, il mourra l'obstiné,Mais dans un long tourment qui tarissant ses veines Par des coups redoublés fera vivre ses peines,Et lui rendra la mort le moindre de ses maux. ADRIAN. Un homme armé de Dieu ne craint point les travauxRien ne peut ébranler son âme généreuse,Son courage est plus grand que la mort n'est affreuse, Et toutes vos rigueurs ne sauraient parvenirAu comble des douleurs que je puis soutenir. MAXIMIAN. Ha Chrétien ton orgueil te coûtera la viePlacide... APOLLINAIRE. Hélas Seigneur excusez sa manie,Ou puisqu'il voit le jour comme un objet d'ennui Ne le punissez pas pour vous venger de lui. MAXIMIAN. Moi souffrir un Chrétien ? qu'une insolente secteDe sa contagion toute la terre infecte,Et que dégénérant de mon aversion J'abandonne les Dieux à leur discrétion, Que je sois soupçonné d'être d'intelligence,Et devant signaler mon nom par ma vengeance,Devant noyer l'erreur dans des fleuves de sangSans respect d'amitié, de sexe, ni de rang ;Devant à la pitié tenir mon âme close : Qu'une lâche tendresse à mes désirs s'oppose,Séduise ma colère et désarme ma main. MARTIAN. Ô dignes sentiments d'un Empereur Romain !Ainsi toujours le Ciel à vos yeux favorableAux plus fiers ennemis vous rendra redoutable, Ainsi vous recevrez les titres glorieuxD'ennemi des Chrétiens et protecteur des Dieux. ADRIAN. Protecteur dites-vous ? il est donc nécessaireQu'un Empereur mortel soit le Dieu tutélaireDe vos divinités, et vous offrez l'encens Aveugles malheureux à des Dieux impuissants,Vous défendez des Dieux qui vous devraient défendre,Et leurs faites un bien qu'ils ne sauraient vous rendre,Car la protection qu'ils reçoivent de vousNous montre clairement qu'ils sont moins Dieux que nous, Ceux-là seraient des Dieux auxquels l'homme peut nuire,Que le moindre artisan peut forger et détruire,Qui n'ont point d'action et sans votre maintienSe verraient renversés par le bras d'un Chrétien ?Ha ! qu'ils sont éloignés de l'adorable essence Qui tira l'Univers du sein de sa puissance,Qui partage les temps à le nuit et au jourEt conserve pour nous des abîmes d'amour.C'est l'être souverain, l'être incompréhensibleQui sait tout, qui peut tout, dont l'esprit invisible Anime tous les corps et d'un concours égalDonne l'être à la pierre et l'âme à l'animal,Rend l'homme raisonnable et communique aux âmesL'amoureuse chaleur de ses divines flammes.Ô Dieu dans quels transports n'entrent point vos amants Quand vous leur découvrez des objets si charmants,Quand vous leur présentez ces attraits efficaces,Et abreuvez leurs coeurs des torrents de vos grâces ? Alors la vie pèse et pour s'unir à vousLes plus cruels trépas sont des liens trop doux, D'ineffables douceurs une âme possédéeVous aime, vous désire, et n'a plus d'autre idée. MAXIMIAN. Tu m'en apprendrais plus que je n'en veux savoir,Cesse de discourir et pense à mon pouvoir ; Je ne t'allègue point les preuves authentiques Qui combattent ta secte, et ces Temples antiquesQui pourraient contenir mille divinités,Il suffit que j'ordonne, et que mes volontésDoivent servir de règle à tout ce qui respireDans le vaste circuit qu'embrasse mon Empire, Obéis donc Chrétien, et ne t'obstine plus. ADRIAN. Seigneur pour m'ébranler vos soins sont superflusIl faut qu'avec la foi je conserve la vieOu que dans les tourments elle me soit ravie.Commandez l'un ou l'autre et j'obéis. MAXIMIAN. L'effet Diffère trop souvent des projets qu'on a faits,Et cette fermeté qui fait ta résistancePeut bien se trouver courte au fort de ta souffrance,J'attends que les douleurs qu'on te fera sentirT'arracheront enfin un triste repentir, Et que tu sois contraint dans ces tourments extrêmesD'implorer, quoiqu'en vain, les Dieux que tu blasphèmes. ADRIAN. Et moi j'attends que Dieu me vienne secourir,Que sa charmante voix m'encourage à mourir,Et que souffrant pour lui des peines sans pareilles Vous vous sentiez contraint d'en croire les merveilles. MAXIMIAN. J'en verrai le succès ; Placide approchez-vous. APOLLINAIRE. Seigneur encor un coup modérez ce courrouxQue votre Majesté... MAXIMIAN. Cessez Apollinaire,Ne m'importunez plus d'une injuste prière, Je l'ai trop supporté. Placide écoutez bienL'ordre que je vous donne et n'en omettez rien.Je veux que tout à l'heure on le mène à la halle,Où s'il est plus de peuple à la place Royale Qu'il y soit sans délai traîné par un bourreau, Là qu'il soit dépouillé, lié contre un poteau,Et tellement battu que sa chair toute ouverteDe gros bouillons de sang soit largement couverte.Pressez-le cependant d'obéir à mes lois,Et si ces cruautés pour la première fois Ne peuvent ramener son âme opiniâtre,Que quatre hommes puissants se lassent à le battreAvec de gros bâtons garnis de noeuds pressés,Qu'on lui brise les nerfs, et si ce n'est assezDe ce nouveau tourment pour guérir la folie Qu'on lui batte le ventre avec tant de furieQue ses boyaux sortis lui donnent de l'horreur. ADRIAN. Je vous suis obligé favorable EmpereurDu soin que vous prenez d'ordonner pour ma gloireLes combats dont j'espère une entière victoire. Un violent désir de signaler ma foiMe fait voir vos rigueurs bien au-dessous de moi,Et je meurs de plaisir lors que je considèreQue Dieu pour qui j'endure est mon riche salaire. APOLLINAIRE. Seigneur... MAXIMIAN. Ha je suis las d'en être importuné ; Placide exécutez l'ordre que j'ai donnéEt me délivrez tôt de cette inquiétude. PLACIDE. J'apporterai Seigneur toute la promptitudeQu'on saurait demander en cette occasion. APOLLINAIRE. Sors enfin malheureux de ton illusion Puisqu'il est temps encore et rentrant en toi-mêmeCrains pour l'amour de nous un déshonneur extrême,Si ton propre intérêt ne te peut émouvoir. Placide ramène Adrian en prison. MAXIMIAN. J'espère que les fouets auront plus de pouvoir,Que n'ont eu nos discours, et que les bastonnades Abaisseront l'orgueil de ses rodomontades. MARTIAN. Son courage et sa chair auront un grand procès. MAXIMIAN. Et tous les deux sans doute un fort mauvais succès. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Maximian, Placide, Apollinaire, Martian. PLACIDE. Sa constance, Seigneur, étonne tout le monde,Il n'a sur tout le corps qu'une plaie profonde, Les fouets et les bâtons ont épuisé son flanc,Mais il nage en la joie aussi bien qu'en le sang,Glorieux de souffrir il rit de son suppliceEt lasse les bourreaux. MAXIMIAN. Ha cruelle malice !Ha d'une âge enragée incroyable fureur ! Qu'un Chrétien en souffrant surmonte un Empereur,Que toutes les rigueurs cèdent à son courageEt que tout mon pouvoir soit moindre à sa rage.Ha l'obstination ; ha l'endurcissementQui fait mon désespoir et mon étonnement ! Sa mort sera pour moi trop tardive ou trop prompteS'il meurt en me bravant ou s'il vit à ma honte,Et de quelque côté que je tourne les yeuxTout combat mes desseins et l'honneur de nos Dieux. MARTIAN. Etouffez le venin dans le sang de la bête, Car l'unique remède est d'abattre sa tête,Aussi bien c'est en vain qu'on prétend l'ébranler,Dût-il voir sur un grill ses membres pétiller,Ou de bouillons de plomb arroser ses blessures,Dût-il finir sa vie entre mille morsures De tigres affamés et souffrir en un corpsToutes les cruautés des plus horribles morts,Toujours inexorable et tyran de soi-mêmeIl paraîtra joyeux dans un tourment extrême,Et vous reconnaîtrez après de longs combats Qu'on ne pouvait trop tôt l'envoyer au trépas. APOLLINAIRE. Seigneur sans vous priver d'un si grand CapitaineJ'ai trouvé le moyen de vous mettre hors de peine,La force ne peut rien contre un homme de coeur,Dans les plus grands assauts son courage est vainqueur, Mais la volupté seule a droit de le corrompre,Il n'est point d'escadrons qu'elle ne puisse rompre,Et quelque fermeté qu'il témoigne aujourd'huiSes attraits enchanteurs viendront à bout de lui.C'est elle qu'on a vu mettre Annibal en fuite, Qui vainquit Marc-Antoine avec toute l'Egypte,Et qui contre Adrian usant de trahisonDans son esprit charmé versera son poison,Qui fera voir vaincu par l'effort des délicesCelui qui surmontait les plus cruels supplices. MAXIMIAN. Tout ce raisonnement ne me satisfait pasEt la plus courte voie est celle du trépas,Car le moindre bourreau peut finir à ma vueLe travail importun qui m'accable et me tue. APOLLINAIRE. Mais sa cendre fertile en reproduira cent Et bien loin de finir un ennui si pressant Vous allez augmenter les sujets de vos peines. MAXIMIAN. Fallut-il des humains tarir toutes les veines,Ne faire qu'un tombeau de ce grand Univers,Et me perdre en perdant tant de peuples divers, Contre tous les Chrétiens j'étendrai ma colère. APOLLINAIRE. Je vous dirai Seigneur ce que je ne puis taire ;L'esprit comme le corps est sujet au poison,Les charmes sont puissants pour troubler la raison,Et celle d'Adrian est sans doute affaiblie Par les enchantements dont se sert Natalie,Cette magicienne adore Jésus-Christ,Et depuis treize mois assiégeant son esprit,L'a malheureusement attiré dans sa secte. MARTIAN. D'une pure chimère elle vous est suspecte, Je connais Natalie, et m'ose faire fortQu'on ne vous a pas fait un fidèle rapport,Mais qu'à peine Adrian aura laissé la têteQue l'encensoir aux mains on la trouvera prêteDe rendre aux immortels un culte solennel. MAXIMIAN. Placide amenez-moi ce couple criminel Placide sort.Qu'une dernière fois je leur offre mes grâces,Qu'une dernière fois je fasse des menacesEt leur donne le choix de la vie ou la mort.Misérable Empereur avec combien d'effort Poursuis-tu des Chrétiens l'assemblée séduite ? Et combien s'en fait-il nonobstant ta poursuite ?Et quand cesserez-vous, grands Dieux, de m'outrager,Et vous venger de moi quand je veux vous venger ? Donc que cette beauté pour qui Nicomédie Nourrissait dans les coeurs un public incendie,Cette image des Dieux par un complot fatalA déclaré la guerre à son original,Et je me sens forcé par un excès de zèleD'effacer pour jamais cette image infidèle. Au moins si tant de sang que je verse en tous lieuxAugmentait mon repos ou le respect des Dieux ;Mais ma dévote ardeur loin de leur être utileContre eux et contre nous aigrit toute la ville,Je prépare aux Chrétiens un char pour triompher, Et j'irrite le mal que je veux étouffer.N'importe, Natalie, il faut que je me venge. MARTIAN. Seigneur elle a changé sans renoncer au change,Le sexe la condamne à l'instabilité,L'erreur lui déplaira comme la vérité, Et pour l'en retirer le temps est un remèdeAuquel après l'amour tout autre moyen cède,L'un et l'autre est puissant, mais ce dernier iciEst pour y parvenir un chemin raccourci,Que votre Majesté va savoir tout à l'heure Moyennant qu'avec nous personne ne demeure,Car il n'est pas besoin de découvrir à tous Les mystères d'amour. MAXIMIAN. Et bien retirez-vousEt qu'on nous laisse seuls. SCÈNE II. Maximian, Martian. MARTIAN. Seigneur vous allez êtreMon plus cher confident aussi bien que mon maître, Et je ne craindrai point d'exposer à vos yeuxD'un coeur tout déchiré le portrait ennuyeux.Au temps que Natalie était encore filleEt l'objet des soupirs de cette ville,Parmi tous les amants qui vivaient sous la loi Elle ne fit état que d'Adrian et moi ; Son âme entre nous deux longuement balancéeÉtait tantôt vers lui tantôt vers moi poussée,Et dans une espérance égale à son amourUn chacun recevait des faveurs à son tour. Mais hélas je la vis tout d'un coup refroidie,Et quoique ma poursuite en devint plus hardie,Quoique ma passion fit un dernier effortElle me prononça ma sentence de mort.J'en appelle à l'amour, mais l'amour la révère, Et trahit mon bon droit de peur de lui déplaire.De sorte qu'Adrian est reçu dans son lit,Et moi plein de courroux, de honte, et de dépitD'un changement soudain dont la suite d'étonneJ'en cherche les motifs, je rêve, je soupçonne, Et d'un oeil espion examinant les moeurs Par un soin indiscret je nourris mes douleurs.La maison d'Adrian de Chrétiens toujours pleineMe découvrait assez le sujet de ma peine,Et j'aurais pu juger dans une autre saison Qu'ils s'étaient assemblés pour quelque trahison,Qu'ils avaient conspiré pour me dresser un piègeEt qu'enfin Natalie aimait par sortilège :Mais dans l'étonnement où l'amour m'avait misEt duquel pour ce coup je n'étais pas remis Je n'apercevais pas les choses les plus claires,Et les moindres objets me semblaient des mystères.Il n'est point de douleur si forte que le temps ; Ce grand consolateur de tous les mécontents,Adoucit la rigueur de mon sort déplorable Et le bonheur d'autrui me devient supportable. Déjà treize croissants ont assemblé leurs boutsDepuis que Natalie est avec son époux,Et sous le désespoir ma flamme ensevelieN'avait plus pour objet les yeux de Natalie, Lorsque de mon rival la juste adversitéA rallumé mes feux et ma témérité.J'attendais qu'il mourrait et que j'aurais sa femme,Et déjà cet espoir avait flatté mon âme,Déjà tout conspirait à mon contentement Lorsqu'on m'a menacé d'un triste événement,Et qu'en votre présence on a dressé contre elleUne accusation dangereuse et cruelleQui l'expose aux rigueurs d'un lamentable sortSi pour l'en garantir l'amour ne fait effort. Je ne viens pas Seigneur dans ce danger extrêmeDemander qu'elle vive à cause que je l'aimeContre tous les Chrétiens je suis trop irritéPour faire en sa faveur cette incivilité.Je demande un délai c'est toute la prière Que Martian vous doit et vous désire faire ; Différez quelques jours de la persécuterEt me donnez le temps d'agir et de tenter,Par votre autorité moyennez ma conquête,Et d'un commandement appuyez ma requête, Afin que possédant le comble de mon bienJ'efface de son coeur tout sentiment Chrétien,Je lui donne un dégoût du Dieu qu'elle respecteEt de justes mépris des fables de sa secte ;L'amour est mon docteur cet invincible enfant Des plus forts arguments me rendra triomphant,Et traînera bientôt d'une douce manièreJusqu'au pied des Autels sa belle prisonnière.Cependant n'employez ni fer ni cruautéContre cette superbe et charmante beauté, Laissez à mon amour un objet honorableEt souffrez un moment une telle coupable. MAXIMIAN. Oui je te le promets et ne permettrai pasQue la moindre contrainte altère ses appâts,Je suis en ta faveur résolu de l'attendre Je te dois cette grâce et ne m'en puis défendre. MAXIMIAN. Je n'espérais pas moins de votre MajestéQue l'ordinaire effet d'une extrême bonté,Et j'ose présumer que cette bonté mêmeAgira pour ma flamme envers celle que j'aime. MAXIMIAN. Oui si notre insensible est encor cette foisDans la haine des Dieux et le mépris des lois,Si son impiété n'entend à paix ni trêveJe ferai mes efforts pour t'obtenir sa veuve. SCÈNE III. Adrian, Natalie, Maximian, Apollinaire, Placide, Martian. MAXIMIAN. Etes-vous arrivés ? PLACIDE. Oui Seigneur nous voici. MAXIMIAN. Il est demi vaincu, la frayeur la transit. ADRIAN. Vous tournez sans raison à mon désavantageLes traits décolorés de ce pâle visage ;Si la perte du sang lui ravit l'embonpointLa force de l'esprit ne s'en affaiblit point, Mon âme invincible aux plus fortes atteintesEt dans une assiette inaccessible aux craintes,Et je viens derechef me présenter à vousPrêt de servir de blanc contre de nouveaux coups. MAXIMIAN. Et moi plus qu'attendri par ta misère extrême Te conjure d'ouïr un Empereur qui t'aime,Et que de ta valeur l'importun souvenirNe pouvant te sauver retarde de punir.Aie pitié de toi, rappelle en ta penséeLe glorieux état de ta vie passée, Les beautés de la cour, la faveur, les amis,Tout ce qu'à tes égaux la fortune a permis,L'honneur, la volupté, les richesses, la force ; Et ne refuse plus une si douce amorce.Je te ferai si grand par mes fréquents bienfaits Qu'ils pourront effacer les affronts qu'on t'a faitsEt toi-même surpris d'une si haute gloirePour la mieux posséder en perdras la mémoire ;Je veux que Natalie ait part à ce bonheurEt chez l'Impératrice une place d'honneur, Que mon exemple invite un chacun à lui plaireQu'on pardonne et punisse à sa seule prière,Et qu'ayant l'un pour l'autre une entière amitiéTa gloire par la sienne augmente de moitié. ADRIAN. Vous me faites Seigneur une offre inestimable. NATALIE. Quoi vous lâchez le pied Martyr inébranlable ?Modèle des Chrétiens, hôte du saint Esprit,Quoi vous parlementez soldat de Jésus-Christ ?Et renoncez sans honte aux palmes immortellesQue notre Dieu prépare à vos efforts fidèles. Ha fuyez cher époux, mais fuyez promptementDes Diables conjurez le fatal truchement,Fuyez le chant trompeur des traîtresses SirènesEt du premier serpent les mortelles haleines. ADRIAN. Oui Seigneur vos présents ont droit de m'éblouir, Mais jusques à quel temps m'en ferez-vous jouir, Jusques où s'étendra ma douce destinée ? MAXIMIAN. Jusqu'au terme commun dont la vie est bornée,Et ce terme est cent ans, quoique dans un besoin On trouve des vieillards qui sont allés plus loin. ADRIAN. Et pour vivre à souhait pendant si peu d'annéesJe me verrai réduit chez les âmes damnées ;Aux brasiers dévorants et une éternitéNe pourra terminer mon infélicité.Pour le temps incertain d'un plaisir périssable Je serai pour jamais sous l'empire du diable,Et gêné sans repos dans ces antres infectsOù le courroux de Dieu se venge des forfaits,Je perdrai pour si peu d'ineffables délices :Ha plutôt, ha plutôt redoublez mes supplices, Coupez, brûlez, brisez, déchirez sans pitiéDe ce corps tout rompu la sanglante moitié,De ces os ébranlés disloqués les jointuresEt foulez hardiment mes nerfs dans les tortures,Non, non je ne suis pas si peu judicieux De préférer la terre au Royaume des CieuxJe mourrai sans regret pour y vivre sans cesse,Et pour m'en détourner c'est en vain qu'on me presse. NATALIE. Ha je vous reconnais à ce noble discoursPour le digne sujet de mes chastes amours ; Courage cher époux poursuivez votre courseQuand notre âme est perdue on n'a plus de ressource,En un si grand affaire il n'est point de milieu,Il faut vivre infidèle ou mourir pour son Dieu,Et trouver en la mort la source de la vie Ou d'une mort sans fin voir la sienne suivie. APOLLINAIRE. As-tu soif de son sang monstre de cruauté ? MARTIAN. Monsieur respectez plus sa divine beauté ;Si dans les immortels le crime est vénérableOn doit tout supporter d'une telle coupable. APOLLINAIRE. Cette sorcière infâme a séduit son époux,Et je ne puis contre elle avoir trop de courroux. MAXIMIAN. Je désespère enfin qu'Adrian se repente,Et j'attends seulement que sa mort épouvanteSa complice obstinée, et qu'un sort plus heureux Lui fasse prévenir un décret rigoureux ;Elle aura cependant liberté de tout faire. NATALIE. Je ne crains point la mort, tant s'en faut je l'espère,C'est l'objet glorieux de mon ardent désir. MAXIMIAN. On te l'accordera prends un peu de loisir Si l'exemple d'autrui ne peut te rendre sageTu n'auras pas sujet de craindre un long veuvage.Enfin tu vas mourir infortuné Chrétien,Et voilà tout le fruit d'un si long entretien ;Ha perdons du passé la trop sensible image, Et changeons tout à fait nos tendresses en rage,D'un amour irrité suivons les mouvements,Immolons cet ingrat à nos ressentiments,Abandonnons sa tête aux bourreaux qui l'attendentEt rendons la justice aux Dieux qui la demandent. APOLLINAIRE. Entendez-moi Seigneur. MAXIMIAN. Il n'est plus à propos Que pour ce malheureux je trouble mon repos.Qu'on le mène en prison et là, si bon vous semble,Pour le mieux attaquer passez la nuit ensemble,Mais s'il résiste encore à ce dernier effort, Qu'on ne diffère plus de lui donner la mort. SCÈNE IV. Adrian, Natalie, Apollinaire, Placide. NATALIE. Enfin, ô cher objet de mes saintes délices,Je puis ne liberté baiser vos cicatrices,Et prendre dans ce sang qui coule à gros bouillons,Pour relever mon teint d'illustres vermillons, Je puis en recueillir les gouttes précieuses,Je puis en recevoir les taches glorieuses,Je puis me consoler de mes longues douleurs,Et jouir d'un bonheur qui coûte tant de pleurs.Ménagez cher époux cette haute fortune, Souffrez sans vous troubler la poursuite importanceDe ces fâcheux amis dont l'aveugle amitiéArmera contre vous une folle pitié,Au plus fort des combats pensez à la victoireEt regardez en haut le lieu de votre gloire, Priez les saints Martyrs, et de bouche et d'espritInvoquez à tous coups le nom de Jésus-Christ. ADRIAN. Dieu qui m'a jusqu'ici prêté son assistanceQuand ma douleur augmente, augmente ma constance,Et je ne doute point ayant un tel appui De triompher demain aussi bien qu'aujourd'hui. NATALIE. Voyez de quel bonheur cette gloire est suivieVous versez sans pour sang, donnez vie pour vie,Et vous sacrifiez à celui qui pour vousVictime de son Père est mort percé de clous, Mais adieu cher époux, allez dresser ma placeAux lieux où les Chrétiens verront Dieu face à face. ADRIAN. Non, non, je n'entends pas faire ici nos adieux,J'espère encor vous voir et mourir à vos yeux ; Je vous avertirai du temps de mon martyre. NATALIE. Et moi je vous embrasse et puis je me retire. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Natalie et Théodore, qui pour avoir entrée dans la prison s'étaient déguisées en hommes. NATALIE. Pouvions-nous souhaiter un plus heureux succès ?Pouvions-nous espérer un plus facile accès ?C'est au Dieu des Chrétiens... THÉODORE. Par ma foi ma cousine,Je ne vous ai jamais trouvé si bonne mine, Vous semblez un Hercule ou pour mieux dire un MarsTant de brillants éclairs partent de vos regards.Mais qui peut rassurer ma pudeur alarmée De me voir toute seule avec vous enfermée,Quoique je participe à ce déguisement ; J'en reçois je vous jure un peu d'étonnement,Et si vous me croyez nous reprendrons nos robes. NATALIE. Ha folle c'en est trop, en vain tu te dérobesDans ces amusements aux charmes amoureuxD'un Dieu qu'on ne peut voir sans devenir heureux. N'importe il te fera requête sur requête,Et tu ne peux manquer d'être un jour sa conquête. THÉODORE. Et bien je l'attendrai, mais vous ne pensez pointQue quelqu'un peut entrer et nous voir en pourpoint,Allons retirons-nous dans la chambre voisine. NATALIE. Entrez je vous suivrai. THÉODORE. Vite chère cousineMontrez-moi le chemin et vous déshabillez. Elles passent changer d'habits dans une autre chambre. NATALIE. Voulez-vous reposer ? je vois que vous bâillezPour nous autres Chrétiens nous sommes faits aux veilles. THÉODORE. Et contre le sommeil je résiste à merveilles. Ce collet a besoin d'être un peu raccourci,Il m'a blessé la gorge et ces chausses aussiOnt besoin du ciseau, pour cette houppelandeQuoique je la replie elle est encor trop grande,Je ne suis pas de taille à porter ces habits. Mais ou puis-je avoir mis ma jupe de tabis ? Hélas il est bien vrai qu'on s'oublie soi-mêmePour le seul intérêt des personnes qu'on aime. NATALIE. Vous me pressiez tantôt et vous n'avez pas fait. THÉODORE. Aidez-moi je vous prie à lacer mon corset ; Dieux qu'il est importun d'aller ainsi tondue,Je crois qu'en peu de jours j'en serai morfondueEt sans me repentir d'une bonne actionJ'eusse bien souhaité quelque autre invention,Mais je m'afflige à tort pour un mal sans ressource. NATALIE. Déjà l'astre du jour a commencé sa courseEt ses premiers rayons épandus dans les airsInvitent au travail tout ce grand univers,Si vous êtes d'humeur nous ferons quelque ouvragePour charmer le sommeil qui flatte mon courage Et se coule de force en mes yeux impuissants. THÉODORE. Tout ce que vous voudrez, aussi bien j'ai céansUn peu de broderie. Ayant repris leurs habits, elles reviennent dans la première chambre. NATALIE. Ha qu'elle est délicate,Que les traits sont hardis et que la soie éclate,Mais que prétendez-vous par ces divers combats ? THÉODORE. Représenter Hercule, et l'invincible brasDe cet illustre héros auquel je suis dévote,Et pour qui je fais faire une agréable grotte,Ou divers coquillages ornent le bâtiment ; Je destine aux parois ce divertissement ; Tous ces petits carrés qui servent de bordureFont de ses grands exploits une brève peinture,Et ce large milieu qui n'est pas encor pleinServira de théâtre à sa tragique fin. NATALIE. Votre Hercule me semble une belle figure Du grand Dieu des Chrétiens mort pour sa créature,Et leur conformité vous doit ouvrir les yeuxPour quitter sans regret vos fables et vos Dieux.Jésus dont le trépas est peint dans mon ouvrageFut bien le fort des forts, et le meilleur courage, À qui l'astre du jour ait prêté sa clarté.Ayant déterminé dans son éternitéPour sauver les mortels de prendre leur natureIl choisit dans les flancs d'une Vierge très pureLe sang que l'esprit saint anima de son feu Et fut fait fils de femme aussi bien que de Dieu.À peine était-il né qu'il déclara la guerreAux monstres conjurés pour ravager la terre,Il attaqua le diable, et le monde, et la chairEt tout ce dont l'enfer s'efforce d'allécher, Il arma contre lui sa puissance infinieEt détruisit enfin sa longue tyrannie.Alors ce Dieu vêtu de notre humanité Sentit le bras pesant de son Père irrité,Une fureur d'amour ouvrant toutes ses veines Donna son corps en proie aux plus cruelles peines,Son ardeur le porta sur un infâme boisEt dressa pour sa mort le bûcher de la Croix. Le Ciel le vit brûlant sur cette triste coucheEt déclarant son feu par la soif de sa bouche, Chacun de ses soupirs fut un souffle enflammé,Et sa mort nous apprend qu'il nous a trop aimés.Mais l'effort violent d'une amoureuse flammeQui déchirant son corps donna sortie à l'âmeRencontrant un rempart d'impassibilité Ne fit point de blessure à sa divinité,Sa nature Divine incapable de peineContemplait les tourments de sa nature humaine,Qui le troisième jour sortie du tombeauFit voir ce qu'en la gloire un corps a de plus beau. SCÈNE II. Fauste, Natalie, Théodore. FAUSTE. Ha Madame il est temps que vos tristes prièresMettent en liberté leurs larmes prisonnières,Et que votre coeur s'ouvre au bruit de ma douleurPour jeter des soupirs dignes d'un grand malheur. NATALIE. Je juge à ton discours qu'Adrian est sans vie, Mais, bien loin que sa mort d'aucun deuil soit suivie,Si le moindre soupir surprenait ma raisonTu me verrais rougir de cette trahison. FAUSTE. Ha rougissez plutôt d'une autre plus sensible,Mon Maître en est l'auteur ; ce courage invincible Se lasse de courir prêt d'arriver au blanc,Et proche de la mort ménage un peu de sang.Je suis au désespoir ce changement m'accable,Et j'en ai tout l'ennui dont une âme est capableSans que ma passion ait assez de pouvoir Pour vous rendre étonnée ou pour vous émouvoir. NATALIE. On n'est guère touché d'une chose incroyable. FAUSTE. Mes yeux sont faux témoins où je suis véritable,Je l'ai vu tout à l'heure il est hors de prison,Et tout brisé qu'il est se traîne en sa maison ; Vous l'allez voir venir. NATALIE. Une âme si sublimeAurait-elle bien pu consentir à ce crime ? SCÈNE III. Adrian, Natalie, Fauste, Théodore. NATALIE. Mais le voici le lâche il n'en faut plus douter,Lui qui n'ose mourir s'ose bien présenterIl peut bien sans rougir paraître dans la rue Et redoute un tyran sans redouter ma vue.Ha homme sans honneur éloigne-toi de moi,Porte ailleurs que céans le débris de ta foi,Va chercher dans quelque antre une retraite prompte,Et fuis d'une maison que tu remplis de honte, Tu ne dois plus jamais prétendre à mon amour,Et tu ne devrais plus envisager le jour.Le souvenir vengeur de ta faiblesse extrême Ne te permettra pas de te souffrir toi-même,Et ne pouvant fuir l'image de ton Dieu, Ton crime et ton enfer te suivront en tout lieu.Ha que ma vanité se trouve bien punieDu cruel contrepoids de ton ignominie,Moi qui me promettais avant ton repentirLe titre glorieux de veuve de Martyr Suis femme d'Apostat, et ton lâche courageNe conçoit point d'horreur d'un si sensible outrage. ADRIAN. Avec moins de transport vous me connaitriez mieux. NATALIE. Quoi tu prétends encore imposer à mes yeux,N'es-tu pas renégat, n'es-tu pas infidèle ? N'as-tu pas parfumé d'une main criminelleLes Statues des Dieux, et ta téméritéCensure les transports de mon coeur irrité.Va je ne reçois point un déserteur, un traître,Qui peut bien me trahir puisqu'il trahit son maître, Qui peut changer d'amour comme il a fait de foi. ADRIAN. Madame encor un coup de grâce écoutez-moi,Toutes les morts n'ont rien que mon âme redoute. NATALIE. Ta présence en ces lieux ne souffre point qu'on doute.Va flatter l'Empereur qui t'a mis hors des fers, Va donner de l'encens aux démons que tu sersObjet de ma colère, esclave d'une vieToujours d'inquiétude et de malheurs suivie. ADRIAN. Ha madame sortez de cet aveuglement,Je viens vous inviter à mon dernier tourment, Et par votre présence animer mon couragePour franchir sans frayeur ce glorieux passage,Dieu pour mon avantage a permis votre erreur,Et d'un si beau transport a troublé votre coeur ;C'est lui qui vous a mis j'injective à la bouche Afin que désormais votre exemple me touche,Me serve d'aiguillon si ma vigueur s'abatEt me donne assurance au milieu du combat,Les vingt et trois Chrétiens que la prison enfermePour arriver à Dieu n'auront pas plus long terme Les bourreaux sont tous prêts et on n'attend que vous. THÉODORE. Ha mon frère ! ADRIAN. Oui madame il endure avec nous. THÉODORE. Dieux que n'arrachez-vous cette vie importune Qui fait vivre avec moi ma mauvaise fortune,Filandières du sort impitoyables soeurs Coupez avec mes jours le fil de mes malheurs,Ne vous obstinez plus à traîner ma fuséeQue tant d'adversité devraient avoir usée,Et toi passe bientôt vieux nocher rigoureuxL'infortunée soeur d'un frère malheureux, Hélas je n'en puis plus la force m'abandonne. NATALIE. Fauste tiens-toi toujours auprès de sa personne,Tâche de rappeler sa première vigueur,Et d'adoucir l'ennui qui lui presse le coeur,Et vous mon cher Epoux excusez ma surprise. ADRIAN. Adieu mon cher valet, le Ciel te favorise ;Mon Ange avançons-nous, nous perdons trop de temps,Et je diffère trop le bonheur que j'attends. NATALIE. Oui généreux Martyr courez à la victoireAux palmes, aux lauriers, au triomphe, à la gloire. ADRIAN. Dites-moi, mon souci, car après mon décèsVos biens seront en proie ou du moins en procès,Quel ordre avez-vous mis pour prévenir leur perte ? NATALIE. À de trop bas pensers votre âme s'est ouverte,Magnanime Adrian, fermez ces yeux du corps, Et ne recevez plus ces objets de dehors.Dans l'espoir des trésors que le Ciel nous prépareEt desquels à bon droit l'homme peut être avare,On ne peut sans faiblesse indigne d'un ChrétienConcevoir des regrets pour la perte du bien. Portez, portez plus haut votre âme généreuseVers le souverain bien qui la doit rendre heureuse,Attachez votre idée à ce divin objet,Et ne vous troublez plus d'un soin lâche et abject. SCENE IV. Fauste, Théodore. THÉODORE. Ha Ciel inexorable, ha fortune contraire Qui m'ôtez pour jamais la vue de mon frère,N'espérez plus de moi ni victimes ni voeux.Hélas que m'a servi de couper mes cheveux ; Ne valait-il pas mieux que ma main toute prêteÀ venger ma douleur aux dépends de ma tête, Eût le soulagement d'en faire à son plaisirEt suture la fureur qui vient de me salir ? FAUSTE. Dans les plus grands malheurs la constance est plus belle. THÉODORE. Dans la perte des siens la constance est cruelle,Et d'un frère surtout qui n'avait point d'égal. Peut-être a-t-il déjà reçu le coup fatal,Et l'avare bourreau qui ravit sa dépouilleLe traîne encor mourant et dans son sang se souille.Ha frère malheureux ! ha malheureuse soeur ! FAUSTE. Mon destin n'agit pas avec plus de douceur, Et sans doute l'ennui m'arracherait des plaintesSi la foi n'arrêtait ses plus justes atteintes.C'est elle qui rend l'homme insensible aux douleurs,Qui de sa vive ardeur sèche toutes les pleurs,Et qui me découvrant la gloire de mon maître Fait avorter le deuil que sa mort eût fait naître. THÉODORE. Je ne m'étonne pas si vos coeurs endurcisNe donnent point d'entrée aux plus justes soucis ; Dans le sang des enfants dont vos Autels rougissentVous noyez la pitié ; vos fureurs s'établissent, Par ces objets d'horreur et votre fermetéTient moins de la vertu que de la cruauté.Barbares meurtriers d'innocentes victimesCessez de censurer mes transports légitimes,De vos fâcheux conseils je ne prends point la loi, Et le désespoir seul est écouté de moi. FAUSTE. Voilà de vos Docteurs les lâches calomnies,On ne voit rien d'impur dans nos cérémonies,Le sang des animaux en est même banni.Ô grand Dieu qui brûlez d'un amour infini Pour la nature humaine éclairez Théodore,Montrez-lui votre face, et qu'elle vous adore,Et par ces doux rayons qui pénètrent les coeursIlluminez son âme et tarissez ses pleurs. THÉODORE. Va laisse-moi pleurer je suis inconsolable. Je ne sais d'où provient cet éclat effroyable,Le visage du Ciel n'en semblait point parler. Elle entend un éclat de tonnerre. FAUSTE. Il ne procède point des qualités de l'airC'est une nouveauté dont j'ignore la cause. THÉODORE. Hélas mon triste coeur veut espérer et n'ose. Si le bon Jupiter attendri par mes pleursFaisait choir ses carreaux sur les exécuteurs,S'il ouvrait pour la suite un chemin à mon frère,Et combattait pour lui ; mais qu'est-ce que j'espèreMon frère est le plus grand de tous ses ennemis, Et quand même le Ciel à mes désirs soumisAurait voulu laisser sa fuite en sa puissanceSon courage brutal y ferait résistance,Et malgré sa faveur attendrait les bourreauxPour offrir derechef sa tête à leurs couteaux ; Ha ce n'est point pour lui que grondait la tempête,Sa colère plutôt éclatait sur la têteDes insolents Chrétiens qui de leurs échafaudsVomissaient à l'ennui des blasphèmes nouveaux,Et d'une bouche impie excitaient cet orage Dont la furie arrête et leur vie et leur rage,Le tonnerre est toujours messager des malheurs. SCÈNE V. Fauste, Natalie, Théodore. NATALIE. Quoi je vous trouve encor plongée dans les pleurs !Parmi tant de sujets d'une juste allégresseVotre âme sans raison s'obstine en la tristesse, À quoi bon ces soupirs ? THÉODORE. Et bien mon frère est mort. NATALIE. Il vit dans l'Empirée. THÉODORE. Ha faible réconfortPire que ma douleur ! mon mal est véritableEt pour le soulager on m'allègue une fable ;Allez porter ailleurs vos consolations Je ne me repais pas de superstitions,Votre force d'esprit n'a point pour moi de charmes,Et je trouve ma gloire à me noyer de larmes.La peine diminue à plaindre sa rigueur,Et l'âme par les pleurs décharge sa douleur. Pleurez doncques mes yeux malgré leur résistance,Vengez-vous de leur fière et barbare constance,Et dussiez-vous enfin souffrir l'aveuglementVidez toute l'humeur qui vous sert d'aliment,Je dois ce sacrifice aux mânes de mon frère. NATALIE. D'un tonnerre imprévu l'éclatante colèreN'a-t-elle point jeté l'alarme en vos esprits. THÉODORE. Ce changement de temps nous a tous deux surpris. NATALIE. En vain l'idolâtrie après cette tempêteD'un téméraire effort voudra lever la tête, Le Ciel d'un coup de foudre a renversé ses dieux,Et ses feux ont offert la lumière à vos yeux.Nul ne peut révoquer ce grand miracle en doute ;À la vue duquel l'enfer est en déroute,Mais avant sur ce point contenter vos désirs Sachez comment sont morts nos généreux martyrs. THÉODORE. Que j'écoute une histoire, et cruelle, et funesteQui m'arrache des yeux ce peu d'humeur qui reste,Ou que dégénérant dans votre cruautéJe repaisse de sang ma curiosité. Ha ! ne redoublez point mes sanglots et mes plaintes,Mon âme a ressenti d'assez vives atteintes,Et le moindre surcroît me mettrait au cercueil. NATALIE. Je n'ai pas fait dessein d'accroître votre deuil,Qui, loin de s'éveiller au bruit de mon histoire, N'osera plus paraître auprès de tant de gloire,Et se dissipera comme un nuage épaisQue le père du jour a battu de ses rais.Notre invincible Héros sans changer de courageVit les préparatifs d'un terrible carnage, Des échafauds de fer, d'horribles hachereaux,Et la cruauté peinte en les yeux des bourreaux :Tout était déjà prêt, les Chrétiens s'entr'exhortent,Et montent tous ensemble où leurs zèles les portent.Ha qu'il faisait beau voir ces martyrs étendus, Les mains jointes en croix, les yeux au ciel tendusAppuyer sans effroi les jambes sur l'enclume.Sur le front des bourreaux la colère s'allume,Ils retroussent les bras, et les haches en mainChassent à leur éclat tout sentiment humain. À peine eus-je aperçu le tranchant de leur lameQu'une injuste frayeur s'empara de mon âme.Je me représentai leurs effroyables coupsCapables d'arrêter l'ardeur de mon Époux,Et mon zèle accourant pour soustraire à sa vue Tout ce qui peut troubler une âme irrésolue,J'exhorte les bourreaux de commencer par lui ;Quand l'un d'eux retirant sa hache de l'étuiEn fait en se tournant une rude décharge ; Des troncs et des tronçons découle un ruisseau large. Courage cher Époux lui dis-je en l'embrassantLe ciel ne se prend pas d'un effort languissant,Jésus-Christ combattit pour avoir la victoire,Il lui fallut souffrir pour entrer dans sa gloire,Et frayer un chemin que son sang arrosa. Lui soudain s'élevant m'embrasse et me baisa,Puis me tendant la main ; je l'accepte lui dis-je,Ce présent cher Époux me console et m'oblige,Coupez dis-je aux bourreaux ce gage précieuxQue mon mari me laisse avant fermer les yeux. Et puis je l'enveloppe encor toute sanglanteCependant qu'Adrian d'une oeillade mouranteEnvisage le ciel et rend son âme à Dieu.J'entends ses compagnons qui me crient à dieu,Et me tournant vers eux ; lumière des fidèles, Oiseaux de paradis sans pieds, mais non sans ailesVolez dis-je à jamais vers l'objet désiré :Tout nage dans le sang et leur coeur altéréSe sèche et s'étrécit, la mort pâle et défaiteImprime sur leur front une image parfaite De ses funestes traits, leurs membres dispersésPar un barbare effort l'un sur l'autre entassésGrossissent un bûcher, la flamme impatienteSemble déjà baiser leur perruque sanglante,Les torches des bourreaux irritent sa chaleur, Quand le ciel se courrouce et changeant de couleurFait résoudre en torrents les vastes corps des nues :Tous les vents déchaînez vont parcourir les rues,Ébranlent les maisons et se chargeant d'éclairS'efforcent de chasser l'obscurité de l'air, Les tonnerres font bruit, les foudres et la grêleÀ l'entour du bûcher arrivent pêle-mêle,Les bourreaux effrayés cherchent à se sauverPendant que les Chrétiens se hâtent d'enleverLes corps saints des martyrs, et qu'encor hors d'haleine Je viens par ce récit soulager votre peine.Chassez donc désormais tout objet de douleur,Et prenez avec nous part à votre bonheur. THÉODORE. Oui malgré les refus de mon âme obstinéeJe goûte le bonheur de notre destinée, Un attrait inconnu s'empare de mon coeurEt remplit mon esprit d'un jour plein de douceur ; Vos mystères pour moi n'ont plus même visage,Leur éclat me surprend et leur beauté m'engage,Tous m'y paraît sublime et la mort des martyrs Qui vient de m'arracher tant d'injustes soupirsAu lieu de m'affliger me donne de l'envie,Et mon seul déplaisir est d'être encore en vie ;Mais que n'allons-nous rendre à leurs membres éparsTous les honneurs qu'on rend à ceux de nos Césars. Que n'allons-nous partout employer les orfèvres,Que n'allons-nous coller nos bouches sur leurs lèvresEt nous sanctifier par leur attouchement ; Avant mettre leurs corps dedans le monument Natalie découvrant la main de son mari.Commencez de ce lieu, je porte une relique, De mon cher Adrian présent si magnifique,Que le siècle présent et la postéritéVanteront à l'envi sa libéralité. THÉODORE. Ô main dont la présence excite mes tendresses ! FAUSTE. Ô main dont chaque jour éclaira les largesses ! Mais toujours employée aux grandes actionsCommence à recevoir des adorations. THÉODORE. C'est donc toi belle main qu'on voyait dans l'arméeD'un courage invincible aux combats animée,Faire tomber sous soi les plus hardis guerriers Et d'un louable effort arracher leurs lauriers. NATALIE. Mais plutôt qu'on verra dans le Ciel EmpiréeDes palmes des Martyrs à jamais honorée ; Ô glorieuse main traînez-nous après vousQuand vous serez remise au bras de mon époux, Qu'à ce moment heureux Dieu s'unisse à notre âme,Vous au bras d'Adrian, Adrian à sa femme,Et qu'en cette union nous rions des tyransEt contions sans vieillir un nombre infini d'ans.Mais vous, chère cousine, à qui Dieu fait la grâce De n'avoir plus ce coeur environné de glace,De n'avoir plus des yeux si rebelles au jour,Qui vous laissez surprendre aux traits de son amour,Qui détestez l'erreur de ces sales imagesQui naguère de vous recevaient des hommages, Et rompez les liens qui vous ont arrêtéQui croyez-vous auteur de votre liberté ? THÉODORE. Dieu seul en est l'auteur, son bras seul est capableD'abaisser nos esprits sous son joug adorable. NATALIE. Mais encore quelqu'un de vous moyenne ce bien. THÉODORE. Les jugements de Dieu sont au-dessus du mien. NATALIE. Quoiqu'en soi ses desseins soient incompréhensiblesSouvent dans leurs effets ils se rendent visibles,Et tous ceux qui sauront votre conversionDiront qu'on ne perd point une bonne action, Que l'âme des Martyrs pleins de reconnaissanceSollicite pour vous la divine clémence,Et fait de vos cheveux coupés en leur faveurDes liens auxquels Dieu laisse enchaîner son coeur.Mais ne nous lassons point de ces saints exercices, Dieu veut être le prix de nos moindres services,Et pour un verre d'eau qu'on donne à son honneurRend une éternité de gloire et de bonheur :Nos charités n'ont plus leur sujet ordinaire,Mais jamais la vertu ne manque de matière, Les pauvres sont partout et sans aller plus loinLes Martyrs en leurs corps exigent notre soin,Allons les assurer des mains des infidèles,Allons offrir nos biens pour bâtir leurs chapelles,Et passer notre vie assez proche du lieu À chanter leur victoire et la bonté de Dieu. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Natalie, Martian. MARTIAN. Madame, c'est à tort que vous versez des larmes,Si la mort d'un mari vous enlevait vos charmesVous auriez quelque doit de n'en plus retenir,Dans la perte d'un bien qui ne peut revenir. Le déplaisir est juste autant qu'inévitable,Mais votre mari seul s'est rendu misérable,Et sa mort aujourd'hui rompt les fâcheuses loisQui vont ont interdit la liberté du choix.Vous pouvez désormais aspirer au plus brave Et d'un léger effort en faire votre esclave,Ceux qui charment les coeurs se laisseront charmerEt vous captiverez tout ce qui peut aimer. NATALIE. Monsieur quoiqu'Adrian soit cher à ma mémoire,Si je pleurais sa mort je pleurerais sa gloire, Et semblerais douter de sa félicitéSi mes yeux s'abaissaient à cette lâcheté.Mais vous me faites tort de croire que mon âmePuisse si tôt brûler d'une nouvelle flammeEt qu'ayant enfermé mon époux au cercueil, L'espérance d'un autre en efface le deuil.Mais je n'en conçois point sa mort était trop belle,Ou plutôt il jouit d'une vie immortelle,Et l'amour conjugal qui le fait vivre en moiM'oblige à lui garder une éternelle foi. MARTIAN. Ne vous figurez pas qu'aucune jalousieInquiète d'une mort la froide fantaisie :Toutes ces passions portent bien leur flambeauAu travers des vapeurs qui sortent du tombeau.Ce sont des mouvements que le corps nous inspire Et que la mort aveugle exclut de son empire. NATALIE. La gloire et non la mort nous couvre de leurs coups,Mais quoique mon mari ne puisse être jalouxJe n'ai pas résolu d'en être moins fidèle,Natalie est à lui, lui seul est digne d'elle, La veuve d'un Martyr sans trop d'abaissementNe saurait recevoir un Prince pour amant.Quand le jeune César m'offrirait son serviceDe son affection je ferais mon supplice,Et je la combattrais avec tout mon pouvoir Par inclination autant que par devoir. MARTIAN. La mienne doit donc bien se résoudre au silence. NATALIE. C'est folie d'aimer quand on perd l'espérance. MARTIAN. Cruelle as-tu le coeur si vide de pitié ? Ou pour m'exprimer mieux si plein d'inimitié ? Que me voyant mourir dans des langueurs extrêmesTu ne puisses au moins feindre et dire que tu m'aimes,Tu peux en m'abusant me conserver le jourEt sans en recevoir contenter mon amour.Mais ô méchanceté digne d'une Chrétienne ! Je t'ai sauvé la vie et tu m'ôtes la mienne,Sans moi tu n'aurais plus tes funestes appâts,Et tu les fais auteurs de mon cruel trépas.Oui c'est en ma faveur que l'Empereur t'endureOn te verrait sans moi gémir dans la torture, Et répandre du sang au lieu de ces attraitsQui lancent dans mon coeur leurs homicides traits. SCÈNE II. Natalie, Maximian, Martian. MAXIMIAN. Et bien quel est le fruit de votre conférence ? A-t-elle de l'amour ou de l'indifférence,Et peut-on remarquer lequel est le plus fort De l'espoir du vivant ou du regret du mort ? MARTIAN. Seigneur sa cruauté ne peut être exprimée,Cette ingrate beauté s'irrite d'être aimée,Et met au désespoir un misérable amantQui ne peut ni mourir ni vivre qu'en l'aimant. MAXIMIAN. Aussi dans la douleur dont elle est transportéeJe trouve ta poursuite un peu précipitée, Et tu devais sans doute attendre quelques joursQue les pleurs s'écoulant fissent place aux amours. NATALIE. Il attendra longtemps s'il attend que je l'aime. MAXIMIAN. Ton humeur dans six jours ne sera pas la même,Et ton coeur n'étant plus ce qu'il est aujourd'huiS'offrira de soi-même à de moindres que lui,Tu ne sais pas encor quel mal est le veuvage,Mais bientôt sa rigueur t'abattra le courage, Et te fera former des souhaits superflusPour une occasion qui ne reviendra plus. NATALIE. C'est une occasion que je trouve importune. MAXIMIAN. Portes-tu tant de haine à ta bonne fortuneQue l'offre qu'on t'en fait te donne de l'ennui ? NATALIE. Le bonheur d'un Chrétien ne dépend point d'autrui. MAXIMIAN. Si dépend-il de moi de te voir malheureuse. NATALIE. Comme il dépend de vous de me voir amoureuse. MAXIMIAN. Je puis te mettre aux fers. NATALIE. Malgré leur cruautéJ'espère d'être heureuse et vivre en liberté. MAXIMIAN. Mais te faisant brûler... NATALIE. La flamme est impuissantePour rendre misérable une femme innocente,La misère n'a point sa source en la douleurEt le Chrétien a l'âme au-dessus du malheur. MAXIMIAN. Et cette vanité le remplit d'insolence, Elle fait éclater sa désobéissanceEt le porte au mépris des Princes et des Lois. NATALIE. On ne tient pas pour loi tous les désirs des RoisSouvent leur passion s'y trouve assez contraire. MAXIMIAN. Mais tu peux justement te résoudre à me plaire, Quelle loi te défend d'accepter pour mari D'un puissant Empereur le premier favori ? NATALIE. Quelle loi vous permet de m'y contraindre ? MAXIMIAN. AugusteQui fut également sage, vaillant et juste,Après beaucoup de gens perdus dans un combat, Fit publier la loi contre le célibat ;La veuve la plus triste était remariée,La plus chaste ceinture à l'envi déliée,Et les moins amoureux de leur tempérament Pour le bien de l'Etat prenaient le nom d'amant. Je veux que désormais cette loi rétablieSous le joug de l'hymen les plus revêches lie,Et que si dans ce soir tu n'as trouvé partiLe feu de Martian soit enfin amorti. NATALIE. Cette loi n'a plus lieu ; dans le siècle où nous sommes L'homme manque de terre et non la terre d'hommes,Et vous témoignez trop en nous faisant mourirQu'il vous importe peu de les voir tous périr.Mais qu'ils périssent tous avant que je m'engage Sous le joug importun d'un fâcheux mariage. MAXIMIAN. En peux-tu souhaiter un plus avantageux ? NATALIE. N'étant pas volontaire il doit être fâcheux. MAXIMIAN. Et bien il faudra donc le rendre volontaire,Si je n'ai pu porter Natalie à me plaire,Peut-être une Chrétienne a moins de fermeté ; Car je t'offre un époux en cette qualité ; Reçois-le ou résous-toi d'abandonner la vie. NATALIE. Le trépas d'Adrian me donne de l'envie,Et vous m'obligerez à vous vouloir du bienSi vous me préparez un sort égal au sien. MAXIMIAN. Je te prépare bien plus de rudes atteintesQui te feront changer tes bravades en plaintes,Et surpassant l'ardeur de tes voeux indiscretsMettront devant nos yeux tes déplaisirs secrets.Il n'est point de tourment si nouveau, si barbare, Il n'est point de rigueur dont je te sois avare ;Tout ce qu'un corps mortel peut souffrir sans mourirJe veux que mous courroux te le fasse souffrir,Et qu'après que ton âme aura trouvé sortieTu sois par un bourreau traînée à la voirie. NATALIE. Tout ce qu'un corps mortel peut souffrir sans mourirUn courage immortel peut bien mieux le souffrir,Donnez-moi promptement à vos bourreaux en proie,Plus ils seront cruels et plus j'aurai de joie. MAXIMIAN. Je n'attendais pas moins de ta présomption ; Mais avant commencer une exécutionQui par de longs tourments doit épuiser ta vie,Je veux que Martian contente sont envie,Et que pour assouvir un amour criminelTu sois avant la nuit conduite en un bordel, Et serves de matière aux débauches publiques. NATALIE. Quoi, Seigneur, que je serve... MAXIMIAN. En vain tu me répliques,Epouse Martian, ou sacrifie aux Dieux,Ou reçois cet affront. NATALIE. Ha Seigneur j'aime mieux...Oui l'horreur de ces lieux étonne ma constance, Mais s'agissant d'un choix d'une telle importancePermettez-moi Seigneur d'y penser mûrementEt me donnez délai de trois jours seulement. MAXIMIAN. J'approuve ta demande, elle est juste et j'espère Que ton obéissance éteindra ma colère, Que tu préféreras le beau feu d'un amantAux sales cruautés d'un honteux châtiment,Et que ton coeur épris d'une douce espéranceSe rira du veuvage et de l'indifférence.Va pèse avec loisir et sans affection Ce qui fait pour ou contre en ton élection ;Ressouviens-toi sur que Martian t'adore,Que malgré ta froideur sa flamme dure encore,Qu'il est dans ma faveur, qu'il peut tout à ma CourEt qu'un heur sans pareil doit suivre son amour. SCÈNE III. NATALIE, seule. Va barbare tyran, Dieu sera mon refugeEt punira ta rage avec sévérité ;Il sera ton témoin, ta patrie, et ton juge, Il sera le vengeur de ma pudicité.En vain pour échapper au tranchant de son glaive Tu tiens un monde auprès de toi ; Contre le berger et le Roi. Son bras redoutable se lève Et le méchant n'a point de trêve De la douleur et de l'effroi. Mais grand Dieu remettez mon âme en son assiette,Rendez à ma raison sa première clarté,Dissipez les brouillards de ma crainte inquièteEt me donnez conseil contre l'impureté.Faut-il qu'une Chrétienne épouse infidèle Et que tous les jours à ses yeux Les simulacres des faux Dieux, Par une offrande criminelle, Soient malgré l'ardeur de son zèle Préférées au Roi des Cieux. Elle s'agenouille devant le tableau de son mari.Faut-il ô cher époux dont j'adore l'imageQu'un de vos ennemis possède votre bien,Faut-il que je renonce à l'honneur du veuvagePour servir de victime à l'amour d'un païen ? Faut-il que je conçoive une flamme étrangèreAprès avoir brûlé pour vous, Quel celle qui fut entre nous Soit une flamme passagère, Et que vous sachant dans la bière, J'entendre encor parler d'époux.Hélas que ce destin serait insupportable,Et que la violence a bien moins de rigueur.Quoi que souffrent les corps, l'âme n'est point coupable,Tandis que leurs plaisirs font naître sa douleur. Plus le corps est forcé, plus l'âme a de mérite, Dieu la regarde en cet effort, Et comme l'esprit est plus fort Que la chair qui le sollicite, Quelque tempête qui l'agite, Il peut toujours gagner le port.Quoi lâche je consens à cette ignominie ?Cette pensée infâme a pu me décevoir,Et pouvant m'assurer contre la tyrannieMon courage vaincu s'oublie du devoir, Quiconque sait mourir, sait éviter sa honte, Le tyran ne peut rien sur moi, Il n'est point de se dure loi Qu'un beau désespoir ne surmonte, Et l'âme généreuse et prompte Ne veut d'autre secours de foi.Elle prend le poignard d'Adrian.C'est de toi cher poignard que j'attends ma défense,Tu fus de mon mari fidèle protecteurEt tu seras la clé qui pour ma délivrance Ouvrira sans effroi la porte de mon coeur.Mais puis-je sais forfait prévenir la nature, Suis-je maîtresse de ce corps, Et Dieu qui fit tous ses ressorts Ne recevrait-il point d'injure Si pour le garantir d'ordure Je mettais son portrait dehors ? Non il aimera mieux voir abattre son templeQue si l'impureté s'établissait dedans,Et cette région ne manque point d'exemple De celles dont la mort a trompé les tyrans.Toutefois ce projet me remplit d'épouvante Il n'est point de meilleur conseil Que celui qui suit le sommeil ; J'ai la paupière si pesante Qu'il faut enfin que j'y consente Dieu me console à mon réveil. SCÈNE IV. SAINT ADRIAN lui apparait en dormant. Ma soeur Dieu te regarde et ta douleur le touche,Aucune impureté ne souillera ma couche,Il va donner relâche à tes justes soupirs Et te faire bientôt compagne des MartyrsOn transporte par mer nos cendres dans ByzanceUne nef les va suivre, entre avec confianceDans ce logis flottant, et dès lors que le rocDe son ancre crochue aura reçu le choc, Va remettre ma main dans sa place première :Aussitôt le sommeil volant dans ta paupièreJe viendrai t'annoncer un agréable sortEt te déclarer l'heure et l'ordre de ta mort. NATALIE, s'éveillant. Que vois-je ou qu'ai-je vu ? suis-je encor dans ce songe Dont mon âme charmée adore le mensonge,Ou si mes sens remis se plaignent du réveilQui vient de leur ravir un si riche sommeil ? SCÈNE V. Fauste, Natalie. FAUSTE. Madame éloignons-nous, la colère divineMenace ce pays d'une entière ruine, Car le gage fatal de sa prospéritéSe va donner aux Grecs qui l'ont mieux mérité.Oui des Marchands Chrétiens enlèvent sa richesseEt vont de sa dépouille orner toute la Grèce ; Leurs vaisseaux sont chargés des corps de nos Martyrs, Et le vent attentif à régler ses soupirsLes pousse dans Byzance, on dirait que la flotteA quelque Ange établi pour servir de pilote,Votre cousine suit d'un regard empresséCe que l'éloignement n'en a point effacé, Et pour courir après retient sur le rivageUn Navire chargé d'un précieux bagage ; Elle n'attend que vous, ou pour vous dire adieu,Ou pour fuir ensemble un si malheureux lieu. NATALIE. Fauste c'est mon dessein, ainsi Dieu le désire, Ainsi dans mon sommeil un beau songe m'inspire,Un songe si rempli d'honnêtes voluptés Qu'à son seul souvenir mes sens sont enchantés.La veille et le travail m'avaient fait condescendreÀ prendre le sommeil qui tâchait de me prendre, Lorsqu'il me sembla voir mon époux glorieuxDans la pompe et l'éclat d'un citoyen des CieuxS'approcher de mon lit ; ce n'était plus le même,Ce teint si décharné, si languissant, si blêmeOù la mort avait fait ses plus tristes portraits, Ce teint était vermeil et plus vif et plus fraisQue l'incarnat naissant d'un rose encor tendre ; Ses yeux dont le beau feu fut caché sous la cendre,Rendaient un plus grand jour que le Soleil d'étéLorsqu'aucune vapeur n'affaiblit la clarté, Si le moindre zéphyr flattant sa chevelureOsait en secouer la brillante dorure,C'était autant d'éclairs, c'était autant de feuxQui de leur violence éblouissaient mes yeux ; Qui n'eut été ravi de sa taille céleste ? Sa parole, son port, sa démarche, son geste,Tout surprenait les sens, tout donnait du respectLes neiges et les lys noirciraient à l'aspectDe ses vêtements blancs. Enfin je suis banniePar son commandement loin de la Bithynie ; J'abandonne mes biens, je m'expose à la mer,Et pour tout entreprendre il me suffit d'aimer. FAUSTE. Madame j'ai dessein d'être de la patrie,Car sous quelque climat que je passe ma vieJe vivrai trop heureux servant mon maître en vous. NATALIE. Fidèle serviteur de mon aimable époux,Je connais tes vertus et loue ton courage ;Viens ne différons plus ce glorieux voyage. FAUSTE. Quoi vous partez, Madame, et nous n'emportons rien ?À qui prétendez-vous réserver votre bien ? Ou pensez-vous aller ? NATALIE. Que veux-tu que j'emporteJ'ai la main d'Adrian, c'est tout ce qui m'importe,Tout re reste est trop peu pour en prendre souci. FAUSTE. Si ne prétends-je pas partir vide d'ici. NATALIE. Prends ce que tu voudras tout est en ta puissance, Pour moi mon seul espoir est en la providence,Qui sait assaisonner des repas toujours prêtsAux hôtes sans souci des champs et des forêts.S'il me restait du temps, mes richesses vendues,Grand nombre de maisons se verraient secourues, Et mes soins s'étendant sur les pauvres honteuxJ'adoucirais le sort des plus nécessiteux. SCÈNE DERNIÈRE. NATALIE, seule. Grand Dieu dont l'oeil ouvert sur la nature humaineNe saurait sans pitié contempler notre peine,Qui faites succéder à la plus triste nuit Les plus brillants rayons du Soleil qui la suit,Qui portez le beau temps dans le sein de l'orageGrâces à vos bontés je suis hors d'esclavage,Et ce coeur que la crainte avait si mal traitéRespire avec douceur l'air de la liberté. Je ne révoque point vos volontés en doute,Je sais qui me conduit, je sais quelle est ma route,Et quitte sans regret le lieu de mon berceauPour aller dans la Grèce emprunter un tombeau.Un généreux désir forme en moi l'espérance Que vous allez changer la face de Byzance,Qu'un Empereur Chrétien renversera ses Dieux,Et dessus le débris de leur culte odieuxArborera la Croix ; que les saintes reliquesRecevront tous les jours des offrandes publiques, Et que tout l'Univers fléchira les genouxDevant le corps sacré de mon illustre époux. ==================================================