******************************************************** DC.Title = LA LETTRE ROSE, MONOLOGUE. DC.Author = LAUNAY, Alphonse de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Monologue DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 21/08/2024 à 08:18:21. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/LAUNAY_LETTRE ROSE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k931697f DC.Source.cote = BnF LLA 8-YTH-20921 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA LETTRE ROSE MONOLOGUE Dit par Mme MARGUERITE CONTI, des Théâtres de la Renaissance et de l'Ambigu-comique. PRIX : UN FRANC. 1883 Droits de reproduction, de traduction et de représentation réservés. Par Alphonse de LAUNAY Imprimerie Générale de Chatillon-sur-Seine, J. ROBERT. PERSONNAGES MADAME JEANNE DE CHAMPERTUIS. La scène se passe à Paris, dans le jardin des Plantes. LA LETTRE ROSE MADAME JEANNE DE CHAMPERTUIS. Mon Dieu, que les maris sont bêtes !... Elle s'arrête tout à coup, apercevant des habits noirs ; très confuse. Oh ! Pardon !... Je ne vous voyais pas, messieurs !... Riant. Je vous diffame... Mais je me croyais seule, et bavarde, étant femme, Je me parlais avec un fâcheux abandon, Me disant tout ce qui me passait par la tête.... Vousn bête ?... Que non pas !.... Quelques uns... rarement... Un cas... de temps en temps !... Je voulais seulement Dire : Mon Dieu, faut-il que mon mari soit bête !... Et, même, en vérité, « bête » est un bien gros mot !... Il m'aime, m'obéit, ne me rend pas esclave ; Cela, c'est de l'esprit... du meilleur !... Non, Gustave Est, comment dire ?... un peu... bébête... mais pas sot ! Moi, je l'aime beaucoup ; nous faisons un ménage Excellent... si cela peut vous intéresser... Non ?... Tenez, soyez bons, laissez moi jacasser Et vous conter un tout !... Un simple badinage !... Elle s'assied. Nous sommes mariés depuis bientôt trois ans. Vous peindre le bonheur divin des premiers temps, Je ne saurais jamais !... C'était, sans vaine emphase, Un beau rêve sans fin, une enivrante extase À nous faire envier par les anges du ciel ! Ô les beaux jours passés !... Ô la lune de miel !... Vous vous en souvenez, de ces ardentes flammes, Des effluves d'amour des coeurs épanouis ; Les oiseaux du printemps chantaient tous dans nos âmes, Et c'étaient des transports, des bonheurs inouïs Pour rien, pour une main qu'on presse, pour un signe, Pour un mot dit tout bas et qu'un baiser souligne, Et, pour un rien aussi, des subites douleurs, Pour un regard sévère ou bien pour une lèvre Boudeuse, pour un pli de sourcil... Cette fièvre Enfin, où le sourire est tout voisin des pleurs. Au public, confidentiellement. N'est-ce pas ?... Puis, le monde est ainsi fait. Tout lasse. Sur l'horizon trop dur on appelle l'autan ; Un vilainjour, tout part, tout s'échappe, tout passe, Les rêves, les baisers, et les bonheurs d'antan ! Adieu, poème, adieu, toutes ces choses douces, Adieu, lunes de miel, voici les lunes rousses !... Elle se lève. C'était ainsi chez nous, Gaston était d'un froid !... D'un froid à m'enrhumer !... Quand j'arrivais, sereine, Le soir, pour l'embrasse : - Pardon, j'ai la migraine, Chère enfant !... Moyen neuf et stratagème adroit !... Nous la connaissons bien, la migraine opportune Qui vient, impitoyable, au changement de lune ; Migraine de mari qui n'est plus un amant !... Mon Dieu ! J'exagérais. Ce n'est pas si grave, J'ai conjuré le mal... et je me sens plus brave !... Je savais, d'un ami très expérimenté, Que l'amour s'assoupit dans une paix profonde ; Que l'immuable azur d'un calme soir d'été Endort vite un époux mobile comme l'onde, Et que la jalousie est utile et féconde Pour ramener un coeur las de sérénité. C'était le cas exact. Le moyen est facile : Jetez un peu d'angoisse en ce coeur indocile, Aussitôt, regrettant son coupable abandon, Monsieur devient charmant et demande pardon. Ainsi fera demain Gustave, je suppose... Voilà depuis huit jours, au courrier du matin, Je reçois un billet écrit sur papier rose, Coquet et sentant bon, comme il sied pour la prose D'un amoureux. D'un geste inquiet, incertain ; Comme s'il s'agissait d'un billet clandestin Je le prends, et me sauve, émus et rougissante... Si de méchants soupçons tourmentent vos esprits, Rassurez-vous, messieurs, je suis bien innocente ! Ces coupables billets... c?est moi qui les écris !... Une enveloppe... et rien !... La lettre en est absente... Gustave me regarde avec étonnement Mais ne dit rien. Pourtant, hier, suivant ma piste, Il arrive, croyant me prendre à l?improviste ; Je l'attendais, lisant. Il entre. Vivement Je cache le billet ; lui , prenant un air triste, Sort, mais ne souffle mot. Le coup avait porté. Je le voyais songeur, inquiet, tourmenté, N'osant m'interroger, bien qu'en sentant l'urgence... Et moi, je savourais une sombre vengeance ! Elle s'assied. Comme je recevais le pli mystérieux, Ce matin, il m'a pris les deux mains dans les siennes : - Jeanne, dit-il d'un ton doux, triste, sérieux, Au nom de notre honneur, de tes fiertés anciennes, Repousse loin de toi ce billet odieux !... Eussiez-vous, cher ami, la voix d'une sirène Et les charmes vainqueurs du bel archer Amour, Je vous résisterais !... longtemps ?... Au moins un jour !... Il m'attire vers lui... je prends un air de reine Et me sauve en disant : - Mon cher, j'ai la migraine !... Ah ! convenez, messieurs, que c'était bien mon tour !... Ah ! ah ! le bon billet!... le joli billet rose !... Prenant le billet dans son corsage et jouant avec lui. Il est là, le trésor !... Ô message adoré, Ô poème charmant d'un coeur enamouré, Madrigal, élégie, en vers ou bien en prose ! N'est-ce pas lù, vraiment, une adorable chose Que ce roman à deux en secret dévoré ?... Eh bien ! non !... bien du tout!... Pas la moindre conquête !... Et lui croit... Je dis bien qu'il est un peu bébête !... Que va-t-il se loger en tête un tel souci ?... Tenez, voyez plutôt : À madame, Madame Jeanne de Champertuis... Regardant plus attentivement la lettre et la portant près de ses yeux. Non !... Ce n'est pas ainsi !... Lisant. « Monsieur, Monsieur Gustave!... » Se levant en sursaut, très agitée. Écriture de femme!... Tâtant la lettre. Une lettre dedans !... Que veut dire ceci ?... Elle rompt fiévreusement le cachet. - Lisaut. « Mon bon coco chéri, le chien-chien à sa mère... » À part. Ah ! Mon Dieu !... C'est signé ?... Regardaut au bas dd la page. « Cora! » Quel est ce nom ?... Lisant. « Tu crois que je te trompe ! Ah ! rassure-toi ! Non, » Non, mon amour n'est pas une flamme éphémère... » À part. Voyons, voyons, je suis folle ! J'aurai mal lu... Regardant de nouveau l'enveloppe. C'est bien à lui !... Lisant. « Gustave, ô mon coeur ! Mon élu! » Moi te tromper !... Mais toi, que toute femme envie, » À m'aimer à jamais es-tu bien résolu ?... » À part. La coquine!... Lisant. « Vois-tu, je ne sais pas la vie, » Moi, ni qu'à des serments bien folle est qui se fie... » Mais si je dois un jour, par cruauté du sort, » Te perdre, ah ! sûrement c'est mon arrêt de mort !... » Non ! Tu ne voudras pas ainsi creuser ma tombe, » Et qu'à ton abandon ma jeunesse succombe !... » À part, furieuse. Le bon billet !... Lisant. « Mais toi, mon cher coeur, tout d'abord, As-tu bientôt fini de me vanter ta femme ? » Vois-tu, je suis jalouse, et j'ai le coeur brisé » De t'entendre exalter ce nom... divinisé... » Elle est jeune, elle est pure, et belle, et grande dame... » À part. Allons, il a du bon encore, ce bigame ! Lisant. « Et, mon chéri, vois-moi la contradiction ! » Pourquoi la trompes-tu, cette perfection ?... » À part. Au fait, elle dit vrai, la croqueuse de pommes !... Lisant. « Tiens, tu ne vaux plus cher, toi non plus ! Oh ! Les hommes! » Tu sais pourtant quel sort je t'ai sacrifié !... » Le trésor de mon coeur, je te l'ai confié ! » À part, avec douleur. Mal placé, ton trésor ! Le mien aussi, folie ! Et mariez-vous donc jeune, pure, jolie ! Lisant. Si des convenances l'exigent, on peut supprimer ce qui suit, jusqu'à : Pour être ainsi trompée, etc. « Ah ! Que cet amour-là m'a déjà fait pleurer! Tu me fais du chagrin ; il faudra réparer !... À propos, hier, j'ai vu chez Ravaut, dans la rue De la Paix, tu sais bien, un croissant en brillants... Un rêve !... Je l'ai mis!... Des astres scintillants !... Mille éclairs !... - Ah ! Diane en vous m'est apparue ! M'a dit un vieux monsieur, très riche parait-il, Vert encore... 11 voulait me l'offrir... Lui, subtil !... Si le coeur t'en disait... Oh ! tu sais, rien ne presse!... Mais quand tu voudras voir Diane chasseresse... Je te coûte un peu cher, n'est-ce pas, mon bon chien ? En échange, dis-loi que je t'aime, oh ! Mais ferme !... Merci pour le loyer !... Vrai, je n'ai pas de terme Pour te remercier d'avoir payé le mien !... » Elle tombe presque affaissée sur une chaise. ? Avec mépris, jetant la lettre sur la table. Une femme qui fait des calembours atroces !... . . . . . . . . . . . . . . . Pour être ainsi trompée, ô ciel! qu'avais-je fait ?... Oh ! Pouah !... Ces trahisons, que c'est donc vil... et laid ! Et voilà le secret des migraines féroces !... Je crois bien qu'il disait : - Ne lis pas ce billet ? Regardant la lettre. De mon roman d'amour, c'est le dernier feuillet ! Le premier, tout rempli de sourires, de charmes... Tristement. Le livre a tourné mal et finit par des larmes !... C'est l'hiver sombre après le soleil de juillet !... Reprenant la lettre. L'abandon pour l'épouse, et pour... l'autre... les fêtes !... Et je pleure !... Se levant furieuse. Mon Dieu ! Que les femmes sont bêtes !... Mais je me vengerai ! J'entre en rébellion ! OEil pour oeil, dent pour dent, la loi du talion !... Je lui veux infliger des douleurs... déchirantes !... Quoi ! J'irais succomber sous le poids du souci, Et lui... Non! non! Je veux que l'on m'écrive aussi Des mots passionnés, des lettres délirantes... Je veux... je ne sais pas... mais je me vengerai !... Réfléchissant tristement, s'asseyant. Triste vengeance, hélas! la vengeance achetée Avec l'opprobre lourd d'un nom déshonoré ! Allons, non, ce moyen n'est pas à ma portée !... Agitant la lettre fiévreusement, la tournant, la retournant et enfin l'ouvrant. Cette lettre me brûle ! Regardant le revers. Eh mais! ce n'est pas tout ! Une page encor!... Bien ! Allons jusques au bout De la douleur !... Ce n'est pas la même écriture !... Regardant la signature. « Gustave. » Ah ! Ah ! Voyons la nouvelle aventure... Ce doit être, à coup sûr, d'un très piquant ragoût... Lisant. « Allons, ne pleure plus, ma Jeanne bien-aimée !... » À part. Ma Jeanne ?... Lisant. « Cela n'est que mensonge et fumée... Tu t'écris des billets, je m'en écris aussi. J'ai voulu me venger... n'ai-je pas réussi ?... Tu m'avais fait passer quelques heures jalouses ; J'ai suivi ton roman... ingénieux, ma foi ! J'étais mal inspiré; j'ai reconnu que toi, Ange de pureté, modèle des épouses, Par calcul féminin, tu créais cet émoi. J'ai compris le chagrin dont tu fus assiégée ; Tu m'en veux, chère enfant, de t'avoir négligée ; Eh bien ! Plus de soucis ni de pleurs superflus ! Jeanne, pardonne-moi, je ne le ferai plus ! Et souviens-toi qu'il n'est pas de Coras au monde Pour me faire oublier ta chère tète blonde Et tes beaux yeux profonds, par la pudeur gazés, Et ta lèvre de rose offerte à mes baisers !... » Moment de silence pendant lequel elld a peine à se remettre de son émotion. Elle embrasse la lettre et s'essuie les yeux. Quel rêve !... Le malheur sous lequel l'âme ploie Et sent venir la mort, a donc de ces réveils ?... Ô consolation, ô bonheurs sans pareils, Gais espoirs renaissants, c'est Dieu qui vous envoie !... Avec une grande émotion, entre rires et larmes. C'est bon d'avoir pleuré ! L'on ressent mieux la joie !... Ainsi le prisonnier qui revoit les soleils ! Ah ! Fuyez à jamais, nuages et tempêtes. J'entrevois rayonnant comme une étoile au ciel, Le joyeux renouveau de la lune de miel !... Elle va pour sortir. - A demi tournée vers le public. Mais... qui donc avait dit que les maris sont bêtes ? Elle sort eu riant. ==================================================