******************************************************** DC.Title = OMPHALE, TRAGÉDIE DC.Author = LA MOTTE, Antoine Houdart de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 31/08/2023 à 06:27:33. DC.Coverage = Turquie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/LAMOTTE_OMPHALE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1521051j DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** OMPHALE TRAGÉDIE. Représentée pour la première fois, par l'Académie Royale de Musique. Le dixième jour de Novembre 1701. Le prix ess de trente sols. Musique de M. DESTOUCHES M. D. CC. LI. par M. Houdart de La Motte de l'Académie française À Paris, Chez Christophe Ballard, seul imprimeur du Roi pour la Musique, rue Saint-Jean de Beauvais, au Montparnasse Représentée pour la première fois, par l'Académie Royale de Musique. Le dixi7me jour de Novembre 1701. MONSEIGNEUR, Je ne vous fais plus d'excuse sur la liberté que je prends de vous dédier mes Ouvrages ; Je sens qu'elle est tournée en habitude, et qu'il m'est désormais impossible de m'en corriger. Ainsi, MONSEIGNEUR, préparez-vous à tous mes hommages, et comptez-les parmi les fatigues où votre rang vous destine. C'est un des engagements d'un Prince, tel que Vous, de recevoir les respects des Auteurs, et de soutenir même les louanges, où le zèle les emporte. Ce n'est pas toujours pour plaire aux grands Hommes qu'on les loue, c'est quelquefois encore pour la satisfaction de dire d'eux, ce qu'on pense, et après la gloire d'avoir achevé de grandes choses, les Héros doivent laisser aux écrivains le plaisir de les publier. Quelle part n'a pas eu ce plaisir dans ce qu'on a écrit de LOUIS et de VOTRE AUGUSTE PÈRE ! Quelle part n'aura-t'il pas dans ce qu'on écrira de vous ! Laissez-nous en jouir, MONSEIGNEUR, et qu'il me soit permis de céder quelquefois au plaisir de vous louer, sans craindre de vous déplaire. Vos Vertus présagent des Exploits qui vous menacent de bien d'autres louanges ; elles seront sans doute plus délicates que celles que je puis vous offrir, mais elles ne seront jamais accompagnées de plus de zèle, ni d'un respect plus profond que celui avec lequel je suis, MONSEIGNEUR, Votre très humble et très obéissant serviteur. HOUDAR DE LA MOTHE. PERSONNAGES DU PROLOGUE. L'AMOUR. JUNON. PREMIÈRE GRÂCE. DEUXIÈME GRÂCE. CHOEUR de Divinités du Ciel. CHOEUR de Divinités de la Terre. CHOEUR de Jeux et de Plaisirs. LA JALOUSIE, et sa suite. DIVERTISSEMENT du PROLOGUE. GRACES. JEUX. PLAISIRS. FAUNES. ACTEURS DE LA TRAGÉDIE. ALCIDE. OMPHALE, Reine de Lydie. IPHIS, Fils du Roi d'AEcalie. MANTO, Fille de TIRESIE, sous le nom d'Argine. L'OMBRE de TIRESIE. CONFIDENTES d'OMPHALE. LE GRAND PRÊTRE DE JUPITER. UN THÉBAIN. UNE THÉBAINE. CHOEURS et TROUPES de Lydiens et de Lydiennes. PRÊTRES et PRÊTRESSES, Captifs, Héros, Magiciens, Prêtres et Prêtresses de l'Amour. DIVERTISSEMENTS de la Tragédie. LYDIENS et LYDIENNES. MORES et MORESSES. GRECS et GRECQUES. MAGICIENS. PRÊTRESSES DE L'AMOUR. La Scène est à Sardis, Capitale de Lydie. PROLOGUE L'Amour paraît dans sa Gloire, environné de Grâces et de Plaisirs. Les Divinités de la Terre sont assises sur les ailes du Théâtre, enchaînées de Fleurs ; et les Divinités du Ciel sont au-dessus, assises sur des Nuages. On voit au fond l'Antre de la Jalousie, où elle est enchaînée avec la Rage et le Désespoir. LA PREMIÈRE GRÂCE. Vous, qui suivez l'Amour, Grâces, Plaisirs, et Jeux,Célébrez avec moi sa puissance et ses charmes ;Chantez ses traits, chantez ses feux,Et que vos chants pour lui soient de nouvellesAccourez à nos sons, Venez, belle Jeunesse ;Que nos douces ChansonsSoient le trait qui vous blesse.Le plus fier à nos voixDevient le plus tendre ; Qui craint les tendres loisNe doit pas nous entendre. LES DEUX GRÂCES. Amants, qui souffrez dans vos chaînes,Ne regrettez point vos soupirs ;En amour les soins et les peines Sont le présage des plaisirs. LE CHOEUR. Amants, qui souffrez dans vos chaînes,Ne regrettez point vos soupirs ;En amour les soins et les peinesSont le présage des plaisirs. LA SECONDE GRÂCE. Faut-il qu'on diffèreD'aimer et de plaire,Dans les jeunes ans ?Marchez sur nos traces ;C'est l'âge des Grâces Que votre Printemps. LA PREMIÈRE GRÂCE. La vive jeunesseN'a pour la tendresseQue quelques instants ;Le vent qui s'envole Des Antres d'ÉoleFuit moins que le Temps. LA PREMIÈRE GRÂCE. Triomphe, Dieu charmant, règne avec les plaisirs ;À la douceur d'aimer joins le bonheur de plaire,Et ne fais naître de désirs Que pour les satisfaire. LE CHOEUR. Que sa gloire à jamais vole au plus haut des Cieux,Célébrons par nos chants le plus charmant des Dieux. On entend une Symphonie.Mais quel éclat frappe nos yeux ?C'est l'auguste Junon qui descend en ces lieux. JUNON. Dieu puissant, venge-moi d'un mortel qui m'outrage ;Son coeur dès le berceau triomphe de ma rage ;Ma honte et mon dépit croissent par ses travaux.Blesse Alcide ; il est temps de vaincre ce Héros.Mais choisi ces traits redoutables, Dont tu sus troubler mon repos :Je te pardonne tous mes maux,S'il en éprouve de semblables. L'AMOUR. Il aime : mais c'est peu d'avoir soumis son coeur,Je veux que ses tourments égalent ta fureur. Dépit cruel, jalouse rageAllez, allez troubler un coeur qui nous outrage.Allez, partez, déchaînez-vous;Allez servir notre courroux. La Jalousie et sa suite, brisent leurs chaînes, et s'envolent pour exécuter les ordres de L'Amour. LA SECONDE GRÂCE. Lancez, lancez vos traits, signalez votre gloire ; Jouissez à jamais d'un triomphe éclatant ;Enchaînez tous les coeurs, et marquez chaque instantPar une nouvelle victoire. LE CHOEUR. Lancez, lancez vos traits, signalez votre gloire,Jouissez à jamais d'un triomphe éclatant ; Enchaînez tous les coeurs, et marquez chaque instantPar une nouvelle victoire. LA SECONDE GRÂCE. Vole ; que ta puissance éclate,Amour ; arme-toi de tes feux ;Qu'en vain la gloire te combatte, Et que les plus grands coeurs soient les plus amoureux. LA PREMIÈRE GRÂCE. Lancez, lancez vos traits, signalez votre gloire. LE CHOEUR. Lancez,lancez vos traits, signalez votre gloire ;Jouissez à jamais d'un triomphe éclatant ;Enchaînez tous les coeurs ; et marquez chaque instant Par une nouvelle victoire. ACTE I Le Théâtre représente des Arcs de Triomphe, élevés à la gloire d'ALCIDE devant le Temple de JUPITER. SCÈNE RREMIÈRE. IPHIS. Calme heureux, agréable Paix,C'est en vain que je vous rappelle ;Calme heureux, agréable Paix,Non, ce n'est plus pour moi que vos plaisirs sont faits. Languissant sous le poids d'une chaîne cruelle,Je ne me plains qu'à moi de mes tourments secrets ;Mais malgré ma contrainte et ma douleur mortelle,Mon amour prend sans cesse une force nouvelle,Il se nourrit de mes regrets. Calme heureux, agréable Paix.C'est en vain que je vous rappelle ;Calme heureux, agréable Paix,Non, ce n'est plus pour moi que vos plaisirs sont faits. On entend ici un bruit de Trompettes.D'Alcide on va chanter la nouvelle Victoire, Ce bruit de son Triomphe est l'éclatant signal,Tout retentit, tout parle de sa gloire,Tandis que pour la Reine épris d'un feu fatal,Je perds le soin de ma mémoire.Lâche ! l'ai-je suivi pour l'imiter si mal ! SCÈNE DEUXIÈME. Alcide et sa Suite, Iphis. ALCIDE, à sa Suite. Les Rebelles soumis gémissent dans les fers ;Mais c'est assez des maux qu'ils ont soufferts,Rassemblez-les pour voir briser leur chaîne.Vous, allez ; que vos soins répondent à mes voeux.Que ceux qui m'ont suivi se préparent aux Jeux Que je dois offrir à la Reine. SCÈNE TROISIÈME. Alcide, Iphis. ALCIDE. Que servent les honneurs qu'on rend à mes exploits ?Malheureux ! Tout mon coeur s'ouvre au trait qui le blesse,Mille cruels transports m'agitent à la fois :Ô barbare ennemie ! Implacable Déesse ! Junon, tu t'applaudis du trouble où tu me vois, IPHIS. Au sein de la victoireVotre coeur laisse encore échapper des soupirs:Vous ne sauriez désirer plus de gloire ;Quel autre bien fait naître vos désirs ? ALCIDE. Apprends, cher Prince, apprends ma faiblesse secrète ;On vante mon Triomphe, et je sens ma défaite" IPHIS. Quoi, Seigneur ? ALCIDE. J'ai servi la Reine de ces lieux ;J'ai puni les mutins qui troublaient son EmpireJ'ai sauvé par la mort d'un monstre furieux Tout ce que sa fureur était prête à détruire,Que servent à mon coeur ces exploits glorieux ?Il se trouble, il languit, tu l'entends qui soupire ;L'Amour a bien servi la colère des Dieux. IPHIS. Vous aimez ! Eh ! Quelle est la beauté qui vous blesse ? ALCIDE. La Reine.. .. IPHIS. Ô Ciel ! ALCIDE. La Reine a surpris ma tendresse.Dès le premier moment que je vis ses attraits,Je sentis que mon coeur les aimerait sans cesse ;Je tâchai vainement d'en repousser les traits, IPHIS. Ah ! Vous aimez votre faiblesse. Si vous défendiez votre coeur,L'Amour ne s'en rendrait pas maître ;Et vous en seriez le vainqueur,Si vous ne craigniez pas de l'être.Mais redoutez, du moins, les transports furieux De la fille de Tiresie ;Elle tient à ses lois la Nature asservie,Ses charmes font pâlir la lumière des Cieux.Vous n'avez pu l'aimer : son art, sa jalousiePeuvent en un instant la conduire en ces lieux : Prévenez ses fureurs... Mais rien ne vous alarme,Et vous n'écoutez plus qu'un amour qui vous charme. ALCIDE. Quoi ! Je me plairais dans mes fers !Tu crois que mes soupirs, que mes maux me sont chers !Non, aide-moi toi-même à sortir d'esclavage ; Reproche-moi les feux dont je me sens brûler ;D'Argine au désespoir peins-moi toute la rage,Et l'Enfer contre Omphale, armé pour l'accabler.Fais-moi voir le péril extrêmeOù mon nom... Mais de quoi serviraient ces discours ? Ah ! Je me les suis faits mille fois à moi-même,Et je sens que j'aime toujours.L'Amour est sûr de la Victoire,C'est en vain qu'un grand coeur résiste à ses attraits.Les vains murmures de la gloire Donnent encore plus de force à ses traits. IPHIS. La Reine vient, et nous voyons paraîtreLes Ministres sacrés du Dieu qui vous fit naître.Voyez tous ces drapeaux ornés de vos exploits. ALCIDE. Omphale, cher Iphis, est tout ce que je vois. SCÈNE IV. Alcide, Omphale, Le Grand Prêtre, Iphis, Troupe de Lydiens portant des Drapeaux, où sons représentés les Travaux d'ALCIDE, et la dépouille du Monstre dont il vient de délivrer les États d'OMPHALE, Troupe de Prêtres et de Prêtresses de Jupiter. ALCIDE. Belle Reine, votre présencePayait tous mes travaux d'un assez grand bonheur.Fallait-il à ce bien ajouter tant d'honneur ? OMPHALE. Vous avez dans ces lieux rétabli ma puissance :Un monstre sur mon peuple exerçait sa fureur, Votre bras redoutable en a pris la vengeance.Je vous demande encor, pour dernière faveur,De souffrir ma reconnaissance.On célèbre aujourd'hui le jour de ma naissance.Je veux que tous les ans, au milieu de ma Cour Mon Peuple chante au même jourVotre gloire et sa délivrance.Chantez le digne fils du plus puissant des Dieux,Chantez, portez vos voix, et son nom jusqu'aux Cieux. LE GRAND PRÊTRE DE JUPITER. Sa voix en se formant appela la Victoire, Son premier pas fut pour la Gloire,L'Univers vit briller sa force et ses vertusPresqu'au moment de sa naissance.Les serpents étouffés, les monstres abattusÉtaient les Jeux de son enfance. LE CHOEUR. Chantons le digne fils du plus puissant des Dieux,Chantons, portons nos voix et son nom jusqu'aux Cieux . LE GRAND PRÊTRE. Ô vous ! Qui dans vos mains soutenez le tonnerre,Ne lancez plus ici ses terribles éclats.Aux coupables mortels, Alcide fait la guerre ; Dans le sein des tyrans il porte le trépas :Et pour en délivrer la Terre,Votre foudre vengeur est moins fort que son bras. LE CHOEUR, reprend. Chantons le digne Fils du plus puissant des Dieux,Chantons, portons nos voix et son nom jus qu'aux Cieux. LE GRAND PRÊTRE. Il arrache Cerbère au ténébreux rivage, De l'Hydre renaissante il étouffe la rage ;Il a fait de la Terre et des Enfers surprisLes Théâtres de son courage,Et le Ciel en sera le prix. Les Lydiens rendent leur hommage à Alcide. LE GRAND PRÊTRE et OMPHALE. Chaque instant redouble sa gloire,Il est digne de nos autels. LE GRAND PRÊTRE. Il ne veut sur ses pas enchaîner la victoire,Que pour le repos des mortels. LE CHOEUR. Chaque instant redouble sa gloire, Il est digne de nos autels. ALCIDE à Omphale. Vous pouvez mieux répondre au zèle qui m'en flamme,Ces honneurs n'ont pour moi que de faibles appas ;Pour prix de ce qu'a fait mon bras,Permettez-moi l'aveu de ce que sent mon âme. Déjà vous m'entendez, vous pénétrez mon feu ;Mes soupirs ont cent fois prévenu cet aveu. OMPHALE. Quoi ! Seigneur, lorsqu'en vain Argine vous adore,De si faibles attraits vous auraient enflammé ? ALCIDE. Mon coeur contre l'Amour se défendrait encore, Si vos regards ne l'avaient désarmé. OMPHALE. Songeons à terminer cette fête éclatante ;Sur les Autels des Dieux, auteurs de nos destinsAllons tous consacrer les armes des mutins,Et du Monstre vaincu la dépouille sanglante. LES PRÊTRES et LES LYDIENS entrent avec Alcide et Omphale dans le Temple de JUPITER, et répètent : Chantons le digne fils du plus puissant des Dieux ;Chantons, portons nos voix et son nom jusqu'aux Cieux. ACTE II Le Théâtre représente le Palais d'Omphale. SCÈNE PREMIÈRE. Omphale, Céphise, Doris. CÉPHISE. Alcipe vous a fait l'aveu de son ardeur,Rien ne manque à votre victoire ;Qu'il doit vous être doux de régner dans un coeur Qui n'a rien aimé que la gloire ! DORIS. Répondez à l'ardeur dont son coeur est épris,Qu'il partage votre couronne ;Les chaînes de l'Hymen doivent être le prixDe celles que l'Amour lui donne. CÉPHISE et DORIS. Jouissez du bonheur de l'avoir enflammé. OMPHALE. Le plus grand de mes maux est de l'avoir charmé. CÉPHISE et DORIS. Que dites vous ? Pourquoi vous en faire un supplice ? OMPHALE. Que de raisons pour m'alarmer !Je lui dois tout, il m'aime, et je ne puis l'aimer. J'éprouve de l'Amour le plus cruel caprice. CÉPHISE et DORIS. Eh ! Quel autre Mortel a su plaire à vos yeux ? OMPHALE. De tous les héros qu'en ces lieuxAttira la fureur d'un monstre redoutable,Vous savez trop qu'Alcide est le plus glorieux ; Savez-vous moins quel est le plus aimable ! CÉPHISE. Est-ce Iphis que vous aimeriez ? OMPHALE. En pénétrant mon choix, vous le justifiez.Il fut de ma fierté l'écueil inévitable,Mon coeur trop affaibli se laissa désarmer ; Et sans prévoir qu'Alcide dût m'aimer,Je sentis seulement qu'Iphis était aimable.Iphis ignore encor l'amour qu'il a fait naître.Mais c'est lui que je vois paraître.Avant qu'il sache mon ardeur, Pénétrons, s'il se peut, le secret de son coeur. SCÈNE II. Omphale, Iphis. IPHIS. Jouissez de votre conquête,Vous allez recevoir l'hommage le plus doux,Belle Reine ; je viens vous annoncer la FêteQu'Alcide prépare pour vous. De vos divins attraits il reconnaît l'empire ;Lui-même il me convie à servir son ardeur. OMPHALE. Iphis, c'est en vain qu'il soupire ;Un autre a prévenu ce Héros dans mon coeur. IPHIS. Ciel ! Quel funeste aveu venez-vous de me faire ! Et quel est cet Amant que votre coeur préfère ?Alcide seul devait vous enflammer. OMPHALE. N'en est-il point, Iphis, qui sache mieux aimer ? IPHIS. Il n'en est pas du moins de plus digne de plaire. OMPHALE. Celui qui m'a soumise au pouvoir des Amours, Méritait le mieux cette gloire ;Mes yeux me le disent toujours,Et mon coeur se plaît à les croire. IPHIS. Dieux ! Quels sont mes tourments ! OMPHALE. D'où naissent vos soupi[r]s ! IPHIS. À part.Quel trouble... À Omphale.D'un ami je plains les déplaisirs.Aimez un Héros qui vous aime ;Sa vertu, sa gloire est extrême ;Brisez vos premiers fers pour ce nouveau vainqueur. Quand, malgré moi, vos yeux auraient séduit mon coeur,Je trahirais mon amour mêmePour votre gloire et son bonheur. OMPHALE. J'ai tout tenté pour me défendre,Lorsque l'Amour a voulu m'enchaîner ; Mais mon coeur à la fin fut forcé de se rendre;Et je ferais en vain pour le reprendre,Les efforts que je fis pour ne le pas donner. IPHIS. Tout vous dit de changer quand Alcide vous aime. OMPHALE. Si vous aimiez, Iphis, changeriez-vous de même ? IPHIS. Je ferais pour ma gloire un généreux effort. OMPHALE. Mon coeur est plus tendre et moins fort.Vous vous troublez ! Quelle est cette douleur mortelle ? IPHIS. Ah ! C'est trop m'accabler, Cruelle.Vous voyez, malgré moi, mon crime et mon tourment, Mon coeur éprouve en ce momentLa douleur d'un ami fidèle,Et l'affreux désespoir d'un malheureux amant. OMPHALE. Que dites-vous, Iphis ? IPHIS. Ce que je ne puis taire,Je vous fais un aveu que je vais expier ; Et fi je vous apprends un amour téméraire,Ma mort vous aidera bientôt à l'oublier.Ah ! J'entends mon arrêt dans ce profond silence,Il faut céder à mon malheur.Mon coeur, en vous aimant, vous a fait une offense ; Mais vous avez dans ma douleurLe garant de votre vengeance. OMPHALE. Arrêtez... Mais,ô Dieux ! J'aperçois son rival.Quelle contrainte, hélas! Quel spectacle fatal ! SCÈNE III. Alcide, Omphale. Les rebelles enchaînés, conduits par des héros de diverses Nations qui ont servi Alcide, Troupe de sa Suite, portant la Peau du Lion de Némée, la massue et les armes d'Alcide, qu'on met, en dansant, aux pieds d'Omphale. ALCIDE. Je remets ces Mutins sous vos lois souveraines Reine, leur repentir vous répond de leur foi. OMPHALE. Je veux tout oublier ; qu'on leur ôte ces chaînes. ALCIDE. Ne pourrai-je à mon tour vous attendrir pour moi ?Mes transports, mes soupirs, seront mes seules armes ;Je veux par mille soins vous prouver mes ardeurs. Recevez dans ces jeux un essai des honneursQue je prétends rendre à vos charmes,Jamais on n'a senti des ardeurs si parfaites ;Faites-en par vos chants retentir ce séjour :L'objet qui m'a charmé règne aux lieux où vous êtes, Les Plaisirs et les Jeux doivent former sa Cour;Célébrez à l'envi dans ces belles retraitesLes plus brillants attraits,et le plus tendre amour.Joignez tous vos voix,Chantez votre Reine ; L'Amour sous ses loisPour jamais m'enchaîne.Ses yeux à l'Amour ont prêté des armes.Chantez tour à tourL'excès de ses charmes, Et de mon amour. UN THÉBAIN et UNE THÉBAINE à Omphale. Suivez l'Amour quand ce Dieu vous appelle ;N'écoutez plus la fierté :Non votre libertéN'est pas du prix d'une chaîne si belle. LE CHOEUR répète. ALCIDE, aux Rébéles. Chantez mille foisL'Amour qui m'enchaîne,Célébrez mon choix.Chantez mille foisVotre aimable Reine, Bénissez ses lois.Imitez l'ardeur si fidèleDont brûle mon coeur ;Imitez l'ardeur et le zèleDe votre Vainqueur. LE THÉBAIN et LA THÉBAINE, à Omphale. C'est l'Amour qui vous presse,Chérissez ses traits :Sans ce Dieu la JeunessePerdrait ses attraits; qLes Plaisirs sur ses pas Volent sans cesse ; Et qui fuit tant d'appas,Ne les mérite pas. LE CHOEUR, répète. C'est l'Amour qui vous presse,Chérissez ses traits : Sans ce Dieu la JeunessePerdrait ses attraits ;Les Plaisirs sur ses pasVolent sans cesse ;Et qui fuit tant d'appas, Ne les mérite pas. La Fête est troublée par des Démons qui volent de tous côtés avec des feux, et brisent tous les ornements du Palais. OMPHALE, ALCIDE et LE CHOEUR. Quel trouble ! Quelle horreur soudaine !Quel Dieu s'offense de ces jeux ?Le Ciel contre nous se déchaîne,Il vomit ici tous ses feux. ALCIDE. Ô Junon ! Est-ce toi qui viens troubler mes voeux !Est-ce toi, Déesse inhumaine ? OMPHALE et LE CHOEUR. Fuyons ces ravages affreux. Argine arrive sur un Dragon. SCÈNE IV. Alcide, Argine. ALCIDE. Que vois-je ! C'est Argine, ô Dieux !Que je crains sa jalouse rage ! ARGINE. Alcide, par l'horreur qui m'annonce en ces lieux,Conçois ce que je puis, pour venger mon outrage.Quoi ? Pour moi la Phrygie aura vu tes mépris ?En vain j'aurai brûlé d'une ardeur sans égale ?C'est donc peu que ta fuite en ait été le prix, Dois-je trouver encore une heureuse rivale ?Mais ta flamme est pour elle un inutile bien,Je romprai tous les noeuds que l'Amour vous destine.Je percerais plutôt et son coeur, et le tien :Et Junon est pour toi moins à craindre qu'Argine. ALCIDE. Pourquoi dans ce séjour répandre tant d'horreur ,La crainte est-elle ma faiblesse ?Tout l'Enfer en courroux ne pourrait sur mon coeurCe que n'a pu votre tendresse.Je voulais de l'Amour fuir à jamais la loi ; Mais les Dieux ennemis m'y rangent malgré moi,Et Junon a choisi le trait dont il me blesse. ARGINE. Va, ne fais point aux Dieux des reproches si vains,Ils ne t'embrasent point d'une ardeur invincible.Ingrat, c'est dans ton coeur, trop faible, et trop sensible, Qu'il faut chercher ces Dieux dont tu te plains?Ah ! Si l'Amour devait toucher ton âme,Que ne partageais-tu la flammeDont mon coeur était embrasé ?Tu croyais que l'Amour était une faiblesse ; Mais du moins mes soupirs, mes larmes, ma tendresse,Ne t'auraient que trop excusé. ALCIDE. Les Amours par vos mains m'offraient de douces chaînes,Les Plaisirs m'appelaient sous votre aimable loiMais le sort me condamne à d'éternelles peines, Les jours heureux ne sont pas faits pour moi.Un funeste feu me dévore,Malgré moi-même, Omphale... ARGINE. Inutiles discours.Que ne dis-tu, Cruel, sans tous ces vains détours,Que ton coeur me hait, et l'adore ? C'en est trop, et je veux te haïr à mon tour.Cédons au transport qui m'entraîne....Mais,hélas ! Ce transport est un transport d'amour ;C'est en vain qu'à tes yeux j'appellerais la Haine,Faut-il que notre coeur ne nous puisse obéir ? Ne saurais-tu m'aimer ? Ne puis-je te haïr ? ALCIDE et ARGINE. Amour ! Quelle Furie empoisonne tes flammes,Et quel Démon forge tes traits ?Dieu barbare, tu ne te plaisQu'à porter avec toi le trouble dans nos âmes. ALCIDE. Quittez, quittez ces lieux, et calmez vos transports.Loin de me reprocher l'amour qui me déchire,Plaignez un coeur, qui malgré mille efforts,Ne saurait s'affranchir de son cruel empire. ARGINE. Il me fuit, et pour lui mon lâche coeur soupire. SCÈNE V. ARGINE. Ô Rage ! ô désespoir ! ô barbare fureur !Venez venger l'amour, qui gémit dans mon coeur.On fait servir mes feux au triomphe d'une autre,Éteignez mon ardeur, allumez mon courroux,Armez mon bras, et conduisez mes coups ; Sur la rigueur d'Alcide il faut régler la vôtre.Ô rage ! ô désespoir ! ô barbare fureur !Venez venger l'amour qui gémit dans mon coeur.Mais Alcide se plaint de la fierté d'Omphale,Le hait elle !... Je veux pénétrer dans son coeur, Et si je reconnais qu'Alcide est son vainqueur,Frappons, n'épargnons pas une heureuse rivale. ACTE III Le Théâtre représente les Jardins d'OMPHALE. SCÈNE PREMIÈRE. OMPHALE. Digne objet d'une flamme éternelle,Viens suspendre mes maux, viens calmer mes douleurs ;C'est ma voix qui t'appelle ; En t'offrant à mes yeux, viens en tarir les pleurs.Hélas ? Ô contrainte cruelle !J'ai caché mes soupirs aux yeux de mon Vainqueur ;Hélas ! Que n'a-t-il vu mon coeur ! SCÈNE II. Omphale, Argine. ARGINE. C'est elle ; suspendons le courroux qui m'enflamme, Sachons le secret de son âme. OMPHALE, sans voir ARGINE. Je n'ai pu, cher Amant, te découvrir mes feux ;Ton péril m'a fait violence ;L'aveu de mon amour allait combler tes voeuxUn spectacle fatal m'a contrainte au silence. Pardonne-moi l'erreur qui nous rend malheureux.De ton destin je craignais de t'instruire ;Mon aveu t'exposait à des maux rigoureux ;Je t'aimais trop pour te le dire.Mais je dois voir les Jeux qu'en ces lieux on m'apprête ; Heureuse si l'Amour y conduit mon Héros :Mais, hélas ! Quelle triste fêteSi je n'y puis finir son erreur et mes maux. SCÈNE III. ARGINE. Non je n'en doute plus, c'est Alcide qu'elle aime,Elle me l'apprend elle-même : Au moment que mon art a fait cesser leurs jeux,Elle allait déclarer ses feux.Pour l'ingrat qui me fuit son amour l'intimide.Elle aime, elle est aimée, ô Ciel, quel désespoir !Qu'elle meure : il est temps que mon courroux décide. Elle ne verra plus Alcide :Que ne périssait-elle avant que de le voir !Démons, volez pour ma vengeance ;Contre Alcide mon art a trop peu de puissance,Que j'immole du moins Omphale à mon transport. On vient, on va chanter le jour de sa naissance ;Que ce soit celui de sa mort.Trompez les yeux, servez le courroux qui m'anime,Enchantez-la pour être ma victime. SCÈNE IV. Omphale, Céphise, Troupe de Grecs et de Grecques choisis pour chanter la naissance d'OMPHALE. OMPHALE se place sur un trône de fleurs pour voir la Fête. CÉPHISE. Célébrez le jour mémorable Où le destin d'Omphale a commencé son cours ;C'est de ce moment favorableQue dépendaient vos plus beaux jours. LE CHOEUR. Célébrons le jour mémorableOù le destin d'Omphale a commencé son cours ; C'est de ce moment favorableQue dépendaient nos plus beaux jours. CÉPHISE. Vos plaisirs sont nés avec elle,Unissez vos coeurs et vos voix.Que vos jeux, que vos chants signalent votre zèle. Puissiez vous aux regards d'une Reine si belleLes offrir encor mille fois. CÉPHISE et LE CHOEUR. Ah qu'il est doux de vivre sous ses lois ! CÉPHISE. Dans un si beau jour tout doit s'enflammer,Le temps heureux des jeux est le temps d'aimer. Le plus fier doit êtreSensible à son tour ;L'Amour nous fait naître,Vivons pour l'Amour.Dans un si beau jour, tout doit s'enflammer, Le temps heureux des jeux est le temps d'aimer.Que l'Amour nous lieDe ses plus beaux noeuds :De quoi sert la vieSans ses tendres feux ? Sans eux tout ennuie,Tout plaît avec eux.Dans un si beau jour, tout doit s'enflammer,Le temps heureux des jeux est le temps d'aimer. CÉPHISE. Inventons de nouveaux concerts, Que nos tendres accords inspirent la tendresse ;Faisons-en retentir les airs,Et que l'Écho charmé les répète sans cesse. LE CHOEUR. Inventons de nouveaux concerts,Que nos tendres accords inspirent la tendresse ; Faisons-en retentir les airs,Et que l'Écho charmé les répète sans cesse. OMPHALE. C'est assez, votre zèle a brillé dans ces Jeux ;Mais j'ai besoin d'un peu de solitude.Le Ciel seconde mal vos voeux. Laissez-moi m'occuper de mon inquiétude. CEPHISE et le Peuple se retirent, et des Démons sortent des Enfers qui secouent leurs flambeaux sur OMPHALE, et l'enchantent sur le trône de fleurs où elle est assise. SCÈNE V. Omphale enchantée, Argine. ARGINE, le poignard à la main. Sa mort va me venger du pouvoir de ses yeux ;Je vais jouir enfin de la douceur extrêmeDe verser ce sang odieuxQui brûle pour l'Ingrat que j'aime. Frappons ; rien ne peut plus retenir mon courroux :Quel plaisir !... Mais, hélas ! Mon amour l'empoisonne ;J'envie en la frappant la mort que je lui donne :Que ne puis-je être aimée, et mourir sous ses coups ?Mais on me méprise, on l'adore ; Quelle rage pour moi ! Je frémis d'y penser.Ne tardons plus, frappons ; que ne peut-elle encoreOffrir à ma fureur plus de sang à verser ? SCÈNE VI. Argine, Omphale, Alcide. ALCIDE, en arrachant le Poignard des mains d'Argine. Ciel ! Que vois-je ! ARGINE. Ah ! Cruel, c'est toi qui me désarmes,Tu m'arraches ce fer vengeur ! Achève, qu'il te serve à venger tes alarmes ;Puisqu'il est dans tes mains, plonge-le dans mon coeur. ALCIDE. Ô Dieux ! En vous cherchant que j'ai craint pour sa vie !Cruelle, quelle barbarie !C'est contre moi qu'il faut armer votre courroux ; Que cent monstres affreux évoqués par vos charmesContre mes jours se réunissent tous ;Je verrai sans effroi tous les Enfers en armes,Et je les combattrai, sans me plaindre de vous,Mais respectez l'objet qui m'a su plaire, Épuisez sur moi vos rigueurs. ARGINE. Est-ce en me faisant voir combien elle t'est chèreQue tu prétends désarmer mes fureurs ?Il faudrait la haïr, pour calmer ma colère :Mais, Barbare, l'Amour te fait une autre loi. Ma rivale t'inspire une ardeur trop fidèle ;Je ne puis t'inspirer que l'horreur et l'effroiVa, tu m'as trop appris à devenir cruelle :Vengeons-nous , vengeons-nous de ta haine pour moi,Et de ta tendresse pour elle. ALCIDE. Quelle est l'erreur où je vous vois ?Non, je ne vous hais point. ARGINE. Que fais-tu donc ? tu l'aimes ? ALCIDE. L'Amour soumet nos coeurs malgré nous-mêmes. ARGINE. Le tien brûle pour ses appas ;Barbare, eh ! C'est ce qui m'outrage. Quand tu me haïrais mille fois davantage,Mon sort serait trop doux, si tu ne l'aimais pas,Mais tu fais gloire, Ingrat, de l'amour qui t'engage :Voilà mon désespoir, ton crime et son arrêt. Elle veut reprendre le Poignard entre les mains d'ALCIDE.Donne, donne ce fer ; que l'objet qui te plaît. Expirant à mes yeux.. . ALCIDE. Ciel ! Quelle est votre rage ! ARGINE. Tu frémis, c'est l'Amour qui t'apprend à trembler.Eh bien, Cruel, c'est moi que tu dois immoler.Tant que ce coeur vivra, crains qu'elle ne périsse :Frappe, préviens par mon supplice Une main prête à l'accabler ;Frappe, que la mort me désarme,Offre mon coeur sanglant à l'objet qui te charme ;Éteins, pour la sauver, ma flamme et mon courroux :Frappe, le coup me sera doux S'il te coûte une larme. ALCIDE. Calmez cet affreux désespoir ;Vivez, vivez, Argine, et laissez vivre Omphale. ARGINE. C'est donc trop peu pour toi d'adorer ma rivale,Tu veux me condamner à l'horreur de le voir, Non, c'est trop la laisser triompher de mes charmes.Enlevez-la, Démons, et vengez mes alarmes,Annoncez-lui la mort pour prix de son ardeur. On enlève OMPHALE. ALCIDE. Ah ! Tant de barbarie irrite mon courage. ALCIDE et ARGINE. Je sens triompher dans mon coeur Le dépit, la haine, et la rageTremblez : dans un coeur qu'on outrageL'Amour au désespoir fait naître la fureur. ARGINE. Mes yeux vont, malgré toi, jouir de son supplice. ALCIDE. Je ne vous quitte point. S'il faut qu'elle périsse, Mous voyez son amant, vous verrez son vengeur. ALCIDE et ARGINE. Je sens triompher dans mon coeurLe dépit, la haine, et la rage.Tremblez : dans un coeur qu'on outrage,L'Amour au désespoir fait naître la fureur. ACTE IV Le Théâtre représente une Solitude. SCÈNE PREMIÈRE. IPHIS. Quoi ! Je vis malheureux ! Eh ! Qu'est-ce que j'espère ?Un autre a su charmer l'objet qui m'a su plairePourquoi traîner ici de misérables jours ?Ce fer devait éteindre une ardeur téméraire ;Faut-il que ma douleur me soit encor si chère, Que je n'ose, en mourant, en terminer le cours !Que nos jours sont dignes d'envieQuand l'Amour répond à nos voeux !L'amour même le moins heureuxNous attache encore à la vie. SCÈNE II. Iphis, Alcide. IPHIS. Que vois-je ! Où courez-vous, Alcide ! ALCIDE. Tu vois un malheureux que le désespoir guide.La Reine en ce moment fatalAux yeux d'Argine, prête à terminer sa vie,Vient de me déclarer le bonheur d'un rival. Ce mot, d'Argine a calmé la furie ;Mais en des maux affreux il vient de me plonger,Et mon amour a fait place à la rage. IPHIS. Ah ! Nommez le mortel dont l'ardeur vous outrage,Et laissez-moi l'honneur de vous venger. ALCIDE. Tout trompe, cher Iphis, ma fureur et ton zèle :Contre un rival caché que sert tout ce courroux ?Je m'en informe en vain, rien ne me le révèle,Et j'ignore où porter mes coups :Mais je saurai percer la nuit obscure Qui le dérobe à mon ressentiment ;Et je veux voir couler, pour laver mon injure,Et les pleurs de l'amante, et le sang de l'amant. SCÈNE III. Alcide, Argine, Iphis. ARGINE. Sur tes pas mon amour m'amène.T'offrirai-je toujours une tendresse vaine ? Tu viens de voir le fruit d'un odieux amour ; Omphale... ALCIDE. Vous savez sa haine,Je la hais moi-même à mon tour.La colère succède à ma tendresse extrême.Secondez mes sanglants projets ; Vous pouvez par votre art découvrir ce qu'elle aime. ARGINE. C'est donc ainsi, Cruel, que tu la hais !Ah ! Que ne me hais-tu de même ! ALCIDE. Vous prenez ma fureur pour un amour jaloux.Non, non ; la gloire seule anime mon courroux ; Je veux venger ici l'injure qu'on m'a faite,Il faut que mon rival y meure sous mes coups. ARGINE. C'est Omphale et non pas ton rival qui t'arrête. ALCIDE. Nommez-le, je me venge, et je pars avec vous.Hâtez-vous de répondre à mon impatience ; Je sens à chaque instant mon courroux s'allumer. ARGINE. Va, ne prends point d'autre vengeanceQue de partir et de m'aimer. ALCIDE. Non, si je vous suis cher, contentez mon envie. ARGINE. Est-ce à moi de servir ton amoureux transport ? ALCIDE. À la seule fureur mon âme est asservie.Consultez le Destin, faites vous cet effort.Que mon rival perde la vie ;Mon coeur est libre après sa mort. ARGINE. Sera-t-il libre, hélas ! Quand Omphale éplorée. ALCIDE. Ah ! Puisse-t-elle aussi mourir désespérée ! ARGINE. Je cède ; c'est pour moi que je fais cet effort.J'apprendrai mon destin, en apprenant ton sort. SCÈNE IV. Argine, Alcide, Iphis, Troupe de Magiciens. ARGINE. Que le jour pâlissant fasse place aux ténèbres :Et vous qui sous mes lois commandez aux enfers, Hâtez-vous, traversez les airs,Et venez célébrer nos mystères funèbres, CHOEUR de Magiciens, qui viennent sur des Monstres, et sur des Nuages enflammés. Nous obéissons à ta voix.Ordonne : nous suivrons tes lois. ARGINE. Que tout serve en ces lieux le transport qui m'inspire ; Qu'on élève un autel au Dieu du noir Empire ;Et vous, rendez Pluton propice à mes efforts. On amène deux Béliers noirs pour les sacrifier à PLUTON et à PROSERPINE.Que vos clameurs touchent les morts ;Que la terre ouvre ses abîmes ;Qu'ils laissent parvenir, jusques aux sombres bords Les cris et le sang des victimes. LE CHOEUR. Que nos clameurs touchent les morts ;Que la terre ouvre ses abîmes ;Qu'ils laissent parvenir, jusques aux sombres bords,Les cris et le sang des victimes. On fait ici des cérémonies magiques. ARGINE. Pluton répond à nos souhaits,Un mouvement secret m'en apprend le succès. Les Magiciens témoignent leur joie. ARGINE. Pour savoir les secrets que le sort veut nous taire,Évoquons l'ombre de mon père.Mânes de Tiresie à qui je dois le jour, Sortez de vos demeures sombres,Répondez à mes cris, marquez-moi votre amourS'il en en est encor chez les Ombres.C'est à vous que le sort révélait ses secretsTandis qu'un sang mortel a coulé dans vos veines ; Vous voyez chez les morts ses ordres de plus près,Venez, et puissiez-vous prononcer des arrêtsQui calment son trouble et mes peines,Mânes de Tiresie à qui je dois le jour,Sortez de vos demeures sombres ; Répondez à mes cris, marquez-moi votre amourS'il en est encor chez les Ombres. On égorge les Victimes. LE CHOEUR. L'air s'obscurcit, la terre s'ouvre ;L'Ombre à nos regards se découvre. L'Ombre de Tirésie paraît, avec les habits de prêtre, et le sceptre d'or à la main, comme Homère l'a peint dans l'Odissée. L'OMBRE, à Argine. En vain tes magiques efforts Ont troublé le silence et le repos des morts.Pour toi l'Amour est implacable ;Il n'est point de remède au tourment qui t'accable,Que l'éternel oubli, qui règne aux sombres bords. ARGINE. Ô Ciel ! Cruel amour ! Destin impitoyable ! Elle sort. L'OMBRE à Alcide. Alcide, ce jour voit, malgré ta colèreTon rival triomphant au temple de l'Amour,C'est trop soutenir la lumière,Et la mort me rappelle au ténébreux séjour. IPHIS, à part. Ah ! L'espoir de la mort est le seul qui me reste ! Je perds Omphale, allons expirer à ses yeux. SCÈNE V. ALCIDE. Qu'ai-je entendu, grands Dieux ! Quel funeste présage ?C'est donc le prix fatal que me gardait l'Amour !La Reine et son Amant malgré toute ma rageDoivent être unis dès ce jour ! Pour leur bonheur tout se prépare,Les flambeaux de l'Hymen sont prêts !Non, Sort cruel, Destin barbare,Je vais en me vengeant démentir tes arrêts.Monstre que j'ai dompté, renais, sors de ta cendre ; Ramène dans ces lieux le carnage et l'horreur,Embrase de tes feux l'objet de ma fureur,Et couvre toi du sang que je cherche à répandre.Toi, mon père, fini le trouble où je me vois ;Que mon rival frappé tombe réduit en poudre, Qu'il meure accablé de ta foudre,Ou par pitié fais-la tomber sur moi.Ô Dieux ! Que je me fais une image cruelleDu triomphe prochain de ces heureux amants !Tous deux volent au Temple où l'Hymen les appelle , Je vois tous leurs transports, j'entends tous leurs serments ;Que leurs âmes son attendries !Le flambeau de l'Amour brille devant leurs pas,Tandis que celui des FuriesPorte au fond de mon coeur la rage et le trépas, Ah ! Périsse avec moi l'ingrate et ce qu'elle aime.Allons à leur hymen opposer mon transport.Que l'Autel renversé, le Dieu brise lui-même,Que le Temple détruit dans ma fureur extrêmeNous unisse tous par la mort. ACTE V Le Théâtre représente le Temple de l'Amour. SCÈNE PREMIÈRE. OMPHALE. Amour, je viens ici t'offrir un sacrifice ;Daigne terminer mon supplice.Iphis ignore mon ardeur.Malgré le penchant qui m'entraîneDe son rival la présence inhumaine, M'a contrainte moi-même à nourrir son erreur,Éloigne ce rival ; qu'il brûle pour une autre ;Qu'Argine puisse enfin triompher de son coeur ;Qu'ils aillent loin d'ici jouir d'un plein bonheur,Et qu'ils ne troublent plus le nôtre. Mais on vient. À l'Amour j'ai préparé ces Jeux,Et je lui vais offrir mon hommage et mes voeux, SCÈNE II. Omphale, Troupe de prêtresses de l'Amour, portant des Corbeilles de fleurs qu'elles mettent sur l'Autel. OMPHALE avec LE CHOEUR. Chantez l'Amour, chantez sa flamme,Chantez le maître de votre âme.Faites retentir ce séjour Des doux plaisirs qui vous enchantent.Qui pourrait mieux chanter l'AmourQue ceux qui le ressentent ? OMPHALE. Amour, sois favorable aux voeux que je te fais ;Réponds au transport qui m'anime. Je te présente pour victimeMon coeur tout percé de tes traits. En sacrifiant :À me favoriser que mon zèle t'engage ;Reçois ce vin sacré, vois fumer cet encens,Mais regarde encor plus la flamme que je sens, Je ne saurAis t'offrir un plus parfait hommage. LE CHOEUR. Que l'Amour range tout sous ses lois souveraines ;Qu'il lance ses traits jusqu'aux Cieux ;Qu'il étende partout ses chaînes,Qu'il triomphe à jamais des mortels et des Dieux. SCÈNE III. Omphale, Iphis, Le Choeur. OMPHALE. Que vois-je ! C'est Iphis qui s'avance,Mon hommage a touché les Dieux; IPHIS. Omphale, pardonnez si je m'offre à vos yeux.Vous ne souffrirez pas longtemps de ma présence. OMPHALE. Cessez cet injuste discours, Iphis, il n'est plus temps de feindre ;Votre absence est pour moi le seul malheur à craindre,Et mon unique bien est de vous voir toujours. IPHIS. Quel discours ! Justes Dieux ! Est-ce à moi qu'il s'adresse. OMPHALE. Connaissez enfin ma faiblesse. J'ai caché malgré moi mes feux jusqu'à ce jour ;C'est pour vous seul que je soupire.Je sens croître encor mon amourPar le plaisir de vous le dire. IPHIS. Quel est l'excès de mon bonheur ? Quel plaisir enchante mon âme ?L'aveu de votre ardeurRedouble encor ma flamme. OMPHALE et IPHIS. Ah ! Répétez cent fois un aveu si charmant ! IPHIS. Se peut-il que l'Amour m'accorde tant de gloire! Quand vous cessez de le dire un moment,Je cesse de le croire. OMPHALE. L'Amour a dans mes yeux marqué votre victoire. IPHIS. Vous ne pouviez aimer un plus fidèle amant. OMPHALE et IPHIS. Ah ! Répétez cent fois un aveu si charmant ! OMPHALE. Que l'Hymen de ses noeuds nous unisse lui-même :Trompons les yeux d'Alcide, et malgré ses efforts... IPHIS. Quel nom prononcez-vous ? Dieux ! Mon trouble est extrême.En goûtant mon bonheur, j'oubliais qu'il vous aime :Que ce nom dans mon coeur a jeté de remords ! OMPHALE. On vient, c'est lui, que je crains ses transports ! IPHIS troublé s'appuie d'un côté sur une colonne, OMPHALE de l'autre. SCÈNE IV. Omphale, Iphis, Alcide. ALCIDE. Quels funestes apprêts ! Mon trouble s'en augmenteLa rage déchire mon coeur !Punissons mon rival et sa perfide amante ;Qu'ils rencontrent la mort, la vengeance et l'horreur, Au lieu du doux hymen qui flattait leur attente :De leur sang, de leurs cris repaissons ma fureur.Où sont-ils ? Mais que vois-je ! Ah ! C'est vous, Inhumaine,Barbare, c'est trop m'outrager !Mais quel charme suspend la fureur qui m'amène ? Ciel ! Je soupire encore en voulant me venger.Que je sens à la fois et d'amour et de haine.Vous pleurez, vous gardez un silence confus,Vous soupirez, Dieux ! Quel trouble est le vôtre !Mais ces pleurs, ces soupirs, ce trouble est pour un autre ; Vous m'en haïssez encor plus. OMPHALE. Pardonnez à deux coeurs... ALCIDE. Vous attendiez, Cruelle,Ce Mortel trop heureux qui vous a su toucher ;Mais sa mort... Ciel ! Iphis, Eh ! Que viens-tu chercher ? Il voit Iphis.Je le vois ; l'amitié dans ce Temple t'appelle. Tu venais m'immoler deux odieux amantsAh ! Reçois-en le prix dans mes embrassements. IPHIS. Arrête. ALCIDE. Que fais-tu ? IPHIS. Non, c'est trop me confondre. ALCIDE. Ciel ? Que viens-tu de me répondre !Iphis d'entre mes bras cherche à se dégager ? Il me fuit ? Le croirai-je ? Et n'est ce point un songe ?Serais-tu ce rival dont je dois me venger ?Ciel ! Est-ce dans ton sang qu'il faut que je me plonge ? IPHIS. Quand l'Amour m'a blessé j'ignorais ton ardeur ;L'amitié qui nous lie eût vaincu ma faiblesse, Je ne puis même encor soutenir ta douleur :Pardonne-moi ma flamme et sa tendresse,Je vais par mon trépas expier mon bonheur. ALCIDE. Non, tu m'es cher encor tout traître et tout perfide,N'ajoute point ta perte aux rigueurs de mon sort. OMPHALE. Ah ! Cher Iphis, quelle rage vous guide !Songiez-vous que ce coup m'allait donner la mort ? ALCIDE. Que dites-vous ? Vos jours dépendent de sa vie ?Ah ! Cruelle, ce mot rappelle mes fureurs ;VEngeons ma tendresse trahie : Mourez, Ingrats, mourez partagez mes douleursQue fais-je ? Arrête, Alcide, arrête ;Quoi ! Veux tu devenir l'horreur de l'Univers ?Quel trouble ! Quels objets à mes yeux sont offerts !Le tonnerre en grondant s'allume sur ma tête ; Je crois voir Jupiter au milieu des éclairs...Tremble, la foudre est toute prête :Moi trembler ! Non, bravons les Dieux et la tempête.Mais je trouve partout les remords que je fuis.Ciel ! Que veux-tu de moi dans le trouble où je suis ? Je t'entends, Dieu puissant j'allais céder au crimeTa voix vient dans mon coeur rappeler la vertu ?Hélas ! Faut-il calmer la fureur qui m'anime !Quel sacrifice exiges-tu ?Dieu barbare, mon coeur en sera la victime. À Omphale.Quoi ! Je vivrais sans vous ! Dieux ! Quel serait mon sort ! À Iphis.Non, perfide... Où m'emporte un indigne transport ?Un instant pour jamais va flétrir ma mémoire.Vivez plutôt heureux... Mais quel funeste effort !Amour, barbare Amour ! Impitoyable Gloire ! C'en est trop, la raison vient enfin m'éclairer,Elle éteint à la fois mon amour et ma haine.Allez, unissez-vous d'une éternelle chaîne,Je ne veux plus vous séparer.Aimez-vous, oubliez ma honte et votre peine ; Je ne vis plus que pour les réparer. OMPHALE, IPHIS et le CHOEUR. Quel triomphe ! Quelle victoire !Qu'il est beau de vaincre l'Amour !Célébrons à jamais le jourDe nos plaisirs et de sa gloire. ALCIDE. Reine, venez montrer aux Peuples de ces lieuxLe digne souverain que votre amour leur donne.Allons, qu'avec éclat il reçoive à leurs yeuxVotre main et votre couronne. OMPHALE et IPHIS sortent avec ALCIDE aux acclamations du Choeur. Quel triomphe ! Quelle victoire ! Qu'il est beau de vaincre l'Amour !Célébrons à jamais le jourDe nos plaisirs et de sa gloire. ARGINE. Arrête, Alcide, et ne suis point leurs pas ;Souviens-toi qu'avec moi tu dois fuir ces climats. ALCIDE. Ah ! Ne troublez point ma victoire.Je vais loin de vos yeux et loin de ce séjour,À force d'exploits et de gloire,Faire à tous les mortels oublier mon amour. SCÈNE DERNIÈRE. ARGINE, seule. Dieux, quels nouveaux mépris ! Et quel adieu barbare ! Le cruel me fuit sans retour.C'en est trop ; tout mon coeur contre lui se déclare,La haine et la vengeance en bannissent l'Amour.Va, que bientôt les EuménidesVomissent dans ton sein leurs poisons et leurs feux ; Que leurs serpents, que leurs mains homicidesTe plongent dans des maux et des crimes affreuxQue le courroux des Dieux t'accable ;Que bientôt en mourant tes cris troublent les airs.Puisse-tu terminer ton destin déplorable Dans des tourments inconnus aux Enfers.Toi, Dieu barbare, toi qu'en ces lieux on révère,Devais-tu m'enflammer si je ne pouvais plaire ?Cesse, cruel Amour, de troubler les mortels.Fureurs, venez servir un coeur qu'il désespère ; Détruisez à mes yeux son temple et ses autels. Des Furies brisent le Temple de l'AMOUR. ==================================================