******************************************************** DC.Title = LE NAUFRAGE, OU LA POMPE FUNÈBRE DE CRISPIN, COMÉDIE. DC.Author = LA FONT, Joseph de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 22/06/2022 à 06:08:51. DC.Coverage = Pays imaginaire DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/LAFONT_NAUFRAGE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE NAUFRAGE OU LA POMPE FUNÈBRE DE CRISPIN COMÉDIE 1710. par DE LA FONT Représentée, pour la première fois, le 14 juin 1710 au Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain. NOTICE SUR DE LAFONT. [1818] Joseph de LAFONT naquit à Paris eu 1686, et mourut à Passy le 20 mars 1725. Son père, procureur au parlement, voulait lui faire embrasser la même carrière; mais l'école de droit lui plut moins que celle du théâtre, et s'étant lié avec le célèbre comédien Pierre Lenoir de la Thorillière, il se mit dès l'âge de vingt ans à composer des comédies. La première qu'il fit représenter fut "Danaé, ou Jupiter Crispin", petite pièce en un acte, en vers libres, mise au théâtre le 4 juillet 1707. Elle eut huit représentations. "Le Naufrage, ou ta Pompe Funèbre de Crispin", comédie en un acte, en vers, suivie d'un divertissement, donnée pour la première fois le 17 juin 1710, eut treize représentations. On la donne encore de temps en temps. "L'Amour vengé", comédie en un acte, en vers, parut pour la première fois le 14 octobre 1712, et fut représentée dix-sept fois de suite avec le plus grand succès. Sa dernière reprise est du 7 février 1722. La dernière pièce donnée par de Lafont au Théâtre Français, est sa petite comédie en un acte, en vers, intitulée "les Trois Frères Rivaux". Cet ouvrage passe pour le meilleur de son auteur : joué pour la première fois le 4 février 17133, il est resté au théâtre. À compter de ce moment, de Lafont n'a plus travaillé que pour l'Académie royale de musique et pour l'Opéra comique. PERSONNAGES LE GOUVERNEUR de l'île de Salamandres. PIRACMON, habitant de l'île. ÉLIANTE, jeune Française, amante de Licandre. MARINE, suivante d'Éliante. LICANDRE, gentilhomme français , amant d'Éliante. CRISPIN, valet de Licandre. UN INSULAIRE. LE GRAND-PRÊTRE de l'île. LA GRANDE-PRÊTRESSE. GARDES et suite du gouverneur.. SUITE du gouverneur.. Plusieurs habitants de l'île, chantant et dansant.. La scène est dans l'île de Salamandros. Le théâtre représente une île sauvage. On y voit quelques habitations dans des rochers et escarpés ; dans l'enfoncement on découvre la mer dont le rivage est couvert de débris de vaisseaux. SCÈNE I. Éliante, Marise. MARINE. Vous avez beau compter, depuis notre naufrage, Depuis que nous restons chez ce peuple sauvage, Vous ne trouverez pas plus de huit jours. ÉLIANTE. Eh bien !Après huit jours entiers je n'espère plus rien... À part.Oui. Licandre a péri, malheureuse Éliante ! Et tu peux vivre encore! MARINE. Oui, la chose est touchante...Mais vous vivez, enfin... Dieu bénisse les joursDe celui qui sitôt nous a prêté secours !... À part.Il en est bien payé puisque je suis sa femme;Son bonheur a suivi de près sa grandeur d'âme... À Eliante, en la voyant en pleurs.Ce pauvre Piracmon !... Mais, quoi ! Toujours pleurer ?Il n'est pas temps encor de vous désespérer ;La mort de votre amant n'est pas encor certaine :Il peut s'être sauvé dans quelque île prochaine. ÉLIANTE. Ah ! Marine, huit jours sans paraître. MARINE. D'accord. ÉLIANTE. Je n'en puis plus douter, mon cher Licandre est mort.De mon père en courroux évitant la poursuite, Lorsque dans un lieu sûr il croit m'avoir conduite,Il faut que près du port il se trouve un écueil,Que de ce tendre amant la mer soit le cercueil ; Et, moi, que je me sauve en cette terre affreuse,Où, suivant du pays la loi trop rigoureuse.,On me force aussitôt à choisir un époux ! MARINE. J'ai trouvé cette loi moins terrible que vous.L'époux qu'on m'a donné n'est point trop haïssable ; Quoique né dans cette île, il est assez bon diable. ÉLIANTE. Que je trouve cruels les peuples de ces lieux !Quoi ! Tous les étrangers qui se sauvent chez eux, Ou de force ou de gré, d'abord on les marie !Que les lois de cette île ont de bizarrerie ! Hélas! MARINE. Comment ! De quoi vous plaignez-vous ? Crispin A feint, pour les tromper, de vous donner la main ; Ces barbares ont cru qu'il vous prenait pour femme. ÉLIANTE. J'ai peine la-dessus à rassurer mon âme.S'ils savent tôt ou tard, que pour les abuser, Un malheureux valet a feint de m'épouser,Voulant me réserver pour épouse à son maître... MARINE, l'interrompant. Comment diantre jamais pourront-ils le connaître ?Ils croient très fermement que Crispin a sur vousLes droits d'un véritable et légitime époux, Que l'hymen est parfait. Où pourront-ils apprendreQue vous vous réservez en secret à Licandre ?Madame, là-dessus n'ayez aucune peur.Crispin passe auprès d'eux pour un fort gros seigneur. La dépense qu'il fait... ÉLIANTE, l'interrompant. Que veux-tu qu'il dépense ? Il n'a rien. MARINE. Vous perdez la, mémoire, je pense :Avez-vous oublié tout ce qu'a fait Crispin ? ÉLIANTE. Eh ! Je ne songe a rien dans mon mortel chagrin. MARINE. Voyant notre vaisseau près de faire naufrage,Parmi les pleurs, les cris, il ne perd point courage : Il va du capitaine enlever le trésor.Se saisit d'un coffret rempli d'espèces d'or ;Puis, se jetant en mer, crie à perte d'haleine :« À moi, messieurs, à moi ! Sauvez le capitaine. »Ceux qui venaient du bord secourir le vaisseau S'en vont droit à Crispin, le retirent de l'eau,Et le vrai capitaine, ainsi que tout son monde,S'est vu dans ce moment enseveli sous l'onde...Mais vous me faites là répéter un récitQue Crispin vous a fait dix fois, à ce qu'il dit ; Et lorsque Piracmon nous sauvait dans sa barque,Vous-même avez pu voir... ÉLIANTE, l'interrompant. Est-ce que l'on remarque ?... MARINE, l'interrompant, à son tour, en voyant paraître Crispin. C'est bien dit... Mais voilà Crispin. SCÈNE II. Crispin, Éliante, Marine. MARINE, à Crispin. Bonjour, Crispin. CRISPIN, gaiment. Bonjour... À Eliante, d'un ton triste.Bonjour. MARINE. Qu'as-tu ? Tu me parais chagrin ? CRISPIN, avec embarras. Je suis chagrin... joyeux... j'appréhende... et j'espère... L'amour et le respect... par un effet contraire...Ainsi que la douleur... le plaisir... dans mon coeur... À Éliante.Enfin, voici le fait... Monsieur le gouverneur,Instruit, par quelques gens, que notre mariageN'était pas consommé... « Quel est ce badinage ? A-t-il dit fièrement. Se moque-t-on de moi ?Ainsi ces étrangers méprisent notre loi !Qu'on leur dise, à tous deux, qu'il y va de la vie,Si ce soir... » ÉLIANTE, l'interrompant. Ah ! Mourons... CRISPIN, l'interrompant, à son tour. Je n'en ai point d'envie. ÉLIANTE. Comment ?... CRISPIN, l'interrompant. Suivons plutôt l'ordre du gouverneur. MARINE, montrant Éliante. Quoi ! Son honneur, Crispin... CRISPIN, l'interrompant. Laissons là son honneur :Il y va de la vie. ÉLIANTE. Eh ! L'amour de ton maître ?... CRISPIN, l'interrompant. Les flots l'ont englouti... N'y pensons plus. ÉLIANTE. Quoi ! Traître !.. CRISPIN, l'interrompant. Est-ce ma faute, à moi, si mon maître a péri,Si vous m'avez prié d'être votre mari Pour ne pas épouser un de ces insulaires,Qui, ma foi ! N'aurait pas cherché tant de mystères,Et si le gouverneur veut qu'étant votre époux ...Est-ce ma faute, à moi? MARINE. Mais tu sais, entre nous... CRISPIN, l'interrompant. Je ne suis rien. MARINE. Tu sais qu'un pareil mariage... CRISPIN, l'interrompant. On dit qu'il est fort bon : que faut-il davantage ?Le grand-prêtre a formé cette belle union...Il ne nous reste plus que la conclusion. ÉLIANTE. Mais, scélérat ! Tu sais que c'était une feinte. CRISPIN. Oui, mais le gouverneur me donne de la crainte. Il est sévère en diable !... Et, d'ailleurs, certain feu...Pour vos appas me presse... un peu plus fort que jeu...Je vous aime, Ëliante,... et le ciel me foudroieSi cette passion ne fait toute ma joie !...Et votre amant, mon maître, a bien fait de périr... Je meurs d'amour pour vous et vous m'allez guérir. ÉLIANTE. Oses-tu devant moi tenir un tel langage ? CRISPIN. Pourquoi non, s'il vous plaît ?... Les noeuds du mariage... ÉLIANTE, l'interrompant et voulant le chasser. Ôte-toi de mes yeux. CRISPIN, faisant quelques pas pour sortir. Je vais au gouverneurQui saura soutenir ses lois avec vigueur. Il m'entendra lui dire, en parlant de son île,Qu'il ne tient pas à moi qu'elle ne soit fertile. MARINE, à Éliante. Madame, quel discours ! Avez-vous entenduL'exécrable dessein que le traître a conçu ?... À Crispin.Impudent ! ÉLIANTE, à Crispin. Jusqu'au bout tu pousses l'insolence, Misérable valet ! Effronté! CRISPIN. Patience !Monsieur le gouverneur va savoir tout ceci...Mais, par avance, moi, je vous déclare iciQue je suis votre époux que vous êtes ma femme...Que je veux... qu'il me plaît... Obéissez, madame. Il sort. SCÈNE III. Éliante, Marine. ÉLIANTE. Ô ciel ! Qui l'aurait cru, Marine ? MARINE. Le fripon !Je vois bien que lui-même a fait la trahison ;Que si le gouverneur est instruit du mystère, C'est par lui. ÉLIANTE, à part. Malheureuse ! Hélas! Que vais-je faire ?... À Marine.Que ferais-tu, Marine, en cette occasion? MARINE. Voyant paraître Piracmon.Je ne sais... Mais voici mon mari, Piracmon...S'il pouvait nous servir ! ÉLIANTE. Il faudrait donc l'instruire ? MARINE. Il sait votre secret, et j'ai dû le lui dire. ÉLIANTE. Quoi ! Marine, déjà ?... MARINE, l'interrompant. Bon ! Dès les premiers jours. SCÈNE IV. Piracmon, Éliante, Marine. MARINE, à Piracmon. Mon mari, nous avons besoin de ton secours. Crispin fait l'insolent. Il prétend que madame,Qui, comme je t'ai dit, a feint d'être sa femme... PIRACMON, l'interrompant. Oui, je sais le mystère. MARINE. Eh bien ! Ce faux mariPrétend, en se flattant que Licandre a péri,D'un véritable époux avoir le privilège. PIRACMON. Voyez-vous le pendard ! MARINE. Enfin, que te dirai-je ?Il va, dit-il, s'en plaindre à votre gouverneur. PIRACMON. La peste ! Il faut songer à parer ce malheur. MARINE. Oui, car madame et moi nous ne savons qu'y faire..Donne-nous là-dessus un conseil salutaire. PIRACMON, rêvant. Attendez... justement... J'entrevois un moyenQui pourrait réussir. Faisons-lui peur. MARINE. Eh bien ? ÉLIANTE, à Piracmon. Mais en lui faisant peur, qu'espérez-vous? PIRACMON. J'espèreL'intimider, madame ; et de telle manière.Qu'il se mordra tantôt les doigts d'avoir voulu Entreprendre avec vous ce qui vous a déplu. Mais secondez-moi bien. MARINE. Ne t'en mets point en peine. ÉLIANTE, à Piracmon. Pour sauver mon honneur si votre adresse est vaine,Je saurai me donner la mort. PIRACMON. Oh ! Doucement ;Nous n'en viendrons pas là. Suivez-moi seulement... Oui, madame, je veux que, dans cette journée,Le gouverneur, cassant ce honteux hyménée,Trouve un homme en Crispin trop indigne de vous,Et trop lâche, en un mot, pour être votre époux.Je vous aurai bientôt appris tout votre rôle... Voyant paraître le gouverneur avec sa suite et Crispin.Voici le gouverneur, suivi de notre drôle...Eh vite ! Éloignons-nous ; qu'il ne nous voie ici. Éliante, Marine et Piracmon s'éloignent. SCÈNE V. Le Gouverneur, Crispin, Gardes et suite du Gouverneur. CRISPIN, au Gouverneur. Seigneur, je ne mens point, et la chose est ainsi. LE GOUVERNEUR. Comment donc ! À nos lois faire une telle injure !Je vous rendrai justice, et je vous en assure. CRISPIN. Vous me ferez plaisir. LE GOUVERNEUR. Vous êtes son époux :Elle doit se soumettre et n'obéir qu'à vous.Qu'est-ce qui lui flait donc haïr votre personne ?D'où viennent ses dégoûts ? CRISPIN. Moi, c'est ce qui m'étonne. LE GOUVERNEUR. Vous n'êtes point affreux et laid à faire peur : Au contraire. CRISPIN. Fi donc ! Monsieur le gouverneur,Vous me rendez confus. LE GOUVERNEUR. Parlez. Est-ce qu'en FranceToutes les femmes font pareille résistance ? CRISPIN. Non, par ma foi ! Bien loin de se faire prierUne fille qu'on est longtemps à marier, Fort souvent se marie elle-même. LE GOUVERNEUR. Eh ! Le maître, En France, n'est-ce pas l'époux ? Cela doit être. CRISPIN. Oui, vraiment ; mais la femme est la maîtresse aussi. LE GOUVERNEUR. Votre femme voudrait faire de même ici ? SCÈNE VI. Piracmon, La Gouverneur, Crispin, gardes et suite du Gouverneur. PIRACMON, au gouverneur. Ah ! Seigneur, apprenez une étrange nouvelle. La femme de Crispin... CRISPIN, l'interrompant. Eh bien ! Qu'est-ce ? Qu'a-t-elle ? PIRACMON, au gouverneur. La pauvre femme, hélas ! a termine son sort : Elle vient, à nos yeux, de se donner la mort ; Et, pour se dégager de ce triste hyménée, Elle a pris un breuvage et s'est empoisonnée, S'affranchissant ainsi d'une odieuse loi. CRISPIN, au gouverneur. Ma foi ! Tant pis pour elle. Est-ce ma faute, à moi ? LE GOUVERNEUR. Non, vraiment. CRISPIN. Mais voyez quel vilain caractère !Je fais tout ce qu'on peut au monde pour lui plaire ;Je recule huit jours son plaisir et le mien, Et puis madame meurt !... Fi ! Cela n'est pas bien. PIRACMON. Une perte si grande et m'alarme et me touche. CRISPIN. Préférer le trépas à l'honneur de ma couche !Jeune, comme je suis, le teint frais, l'oeil charmant...Monsieur le gouverneur m'en faisait compliment... Ma figure a charmé plusieurs belles en France :Je les ai vu pour moi venir eu abondance.En voyant mon minois transporté de plaisir,Filles, femmes, chacune avait même désir.D'un seul geste, .d'un mot, à la cour, à la ville, J'en ai, foi de Crispin ! Enchanté plus de mille. LE GOUVERNEUR. Je suis ravi pour vous de ce petit malheur. CRISPIN. Pourquoi donc, s'il vous plaît, monsieur le gouverneur ? LE GOUVERNEUR. Ah ! Seigneur, vous allez acquérir ; une gloireQui doit éterniser votre illustre mémoire. CRISPIN. Comment ? LE GOUVERNEUR. On parlera de vous chez nos neveux.Encore un coup, Seigneur, vous êtes trop heureux. CRISPIN. Comment donc ? PIRACMON. Avant tout ; dites, savez-vous lire ? CRISPIN. Oui, vraiment. PIRACMON. Ainsi donc ne songez plus qu'à rire. CRISPIN, riant. Rions donc... Mais au moins, que je sache pourquoi ? LE GOUVERNEUR, à un garde de sa suite. Qu'on nous apporte ici le livre de la loi. Le garde s'éloigne un moment. SCÈNE VII. Le Gouverneur, Crispin, Piracmon, Gardes et suite du Gouverneur. CRISPIN, au gouverneur. Sans ce livre, en deux mots, dites, qu'ordonne-t-elle ?Faut-il que je reprenne une femme nouvelle ? LE GOUVERNEUR. Par le livre à l'instant vous allez être instruit. Voyant, revenir le garde qui s'était éloigné.On l'apporte. SCÈNE VIII. Le Gardes, Le Gopuverneur, Crispin, Piracmon, Gardes et suite du Gouverneur. LE GOUVERNEUR, à Crispin, en lui montrant le livre de la loi, que le garde lui présente. Lisez. C'est l'article dix-huit CRISPIN, prenant le livre, d'un air content, et lisant. « Quand le mari meurt, ou la femme,On allume de grands bûchers, Et le survivant doit se jeter dans la flamme, En montrant une grandeur d'âme Qui ne s étonne pas de semblables dangers, Et c'est un grand honneur pour tous les étrangers. » CRISPIN, au gouverneur, après avoir lu. C'est donc la le sujet qui doit faire ma joie ? LE GOUVERNEUR. Bénissez, bénissez le ciel qui vous l'envoie. CRISPIN. Moi, je le bénirais d'un pareil traitement ?Je dois plutôt songer à m'enfuir promptement... Moi, me laisser brûler ?... Ah ! Maudits insulaires!Plus cruels, mille fois, que turcs et que corsaires!De vous brûler ainsi vous êtes de vrais fous,Et je ne reste pas un quart d'heure chez vous...Adieu. Il jette loin de lui le livre de la loi, et veut s'enfuir. PIRACMON. N'espérez pas échapper de la sorte. LE GOUVERNEUR aux gardes. Holà ! Gardes... Quelqu'un ; qu'on l'arrête. Main forte ! Des gardes saisissent Crispin et l'arrêtent. CRISPIN, au gouverneur. Quoi ! C'est donc tout de bon ? LE GOUVERNEUR. Ceci n'est point un jeu ...Voulez-vous qu'on vous jette à force dans le feu ? PIRACMON, à Crispin. Croyez-m'en, avalez doucement la pilule. Périssez sans montrer de crainte ridicule : Car, enfin, il le faut, ou de force, ou de gré. CRISPIN, à part, et en pleurant. Malheureux que je suis ! Où me suis-je fourré ? LE GOUVERNEUR. Quoi ! Vous pleurez ? CRISPIN. Hélas! LE GOUVERNEUR. Remportez la victoire ;Songez à votre honneur. PIRACMON, à Crispin. Songez a votre gloire, CRISPIN. De l'honneur, de la gloire, ai-je de tout cela? LE GOUVERNEUR. Que diront nos neveux ? CRISPIN. Tout ce qu'il leur plaira. LE GOUVERNEUR. Jetez-vous, en héros, vous-même, dans la flamme. CRISPIN. Mais, messieurs, Éliante était-elle ma femme ?Notre hymen n'était pas seulement ébauché :Est-ce à moi, s'il vous plaît, d'en porter le péché ? LE GOUVERNEUR. Tout cela n'y fait rien, il faut mourir. CRISPIN, à part. J'enrage !Ah ! Que n'ai-je conclu mon chien de mariage !Si j'avais cru sitôt terminer mon destin,Avant que de mourir j'aurais fait un Crispin, PIRACMON. Voici l'ordre, à peu près, de la cérémonie. Je vais vous en instruire. CRISPIN, à part, et en pleurant. Ah ! Quelle tyrannie ! PIRACMON. Premièrement il faut ne point verser de pleurs.On vous entourera de guirlandes de fleurs.Au son des instruments on viendra vous conduireJusqu'au pied du bûcher. CRISPIN, à part. Juste ciel ! Quel martyre ! PIRACMON. Quand vous serez monté tout au hant du bûcher,À côté d'Éliante on doit vous attacher.Vous n'aurez jamais vu tant de réjouissances.Le peuple autour de vous viendra former des danses.Nos chants élèveront votre nom jusqu'aux cieux. Vous-même, j'en suis sûr, vous serez tout joyeux.Vous serez enchanté de notre symphonie.Enfin, pour terminer cette cérémoniePar les quatre côtés, quatre flambeaux ardentsMettront le feu sous vous ; puis, quand il sera temps ; On ira recueillir vos cendres dans une urne ;Et votre nom... Le voyant dans la plus grande consternation.Mais, quoi ! Vous voilà taciturne ? LE GOUVERNEUR, à Crispin. Marchez. CRISPIN, à Piracmon. Mais d'un instant ne peut-on reculer ? PIRACMON. Non, seigneur. Tout à l'heure on prétend vous brûler.;Nous n'avons pas besoin qu'un bûcher se prépare: Il en est de tout prêts. CRISPIN, à part. Précaution barbare ! PIRACMON. Oui, dans tous les marchés, de toutes les façons,On en trouve, qu'on roule au-devant des maisons.À quatre pas d'ici j'en sais un magnifique. CRISPIN. Ah ! Morbleu ! Ce n'est pas cela dont je me pique : De la magnificence ! LE GOUVERNEUR. Eh ! Cela fait honneur. CRISPIN, se jetant à ses pieds. Ayez pitié de moi, monsieur le gouverneur. LE GOUVERNEUR. Peut-on être attaché de la sorte à la vie ? CRISPIN. C'est mon faible. LE GOUVERNEUR. Fi donc! Quelle badinerie ! CRISPIN. Vous mourez donc gaiement, vous autres ? PIRACMON. Fort gaiement ? Et surtout quand on meurt dans ce noble élément. CRISPIN. Mais en mourant ainsi que pouvez-vous attendre ? LE GOUVERNEUR. Nous croyons qu'on renaît aussitôt de sa cendre ; CRISPIN. Pour moi, qui n'en crois rien, seigneur, dispensez-moi... LE GOUVERNEUR, l'interrompant. Coeur bas!... Ah ! C'est trop faire injure à notre loi... À Piracmon.Vous, Piracmon... PIRACMON, l'interrompant. Seigneur. LE GOUVERNEUR. Ayez soin de la fête.Que la cérémonie en un instant soit prête...Puis-je compter sur vous ? PIRACMON. Seigneur, tout ira bien. LE GOUVERNEUR, aux gardes, en montrant Crispin. Gardes... conduisez-le... À Piracmon.Surtout, n'oubliez rienPour rendre la musique et la danse célèbre. CRISPIN, à part. Ciel ! On va me donner un opéra funèbre !...Ah ! Le maudit pays !... Ah ! La maudite loi ! PIRACMON. Venez vous préparer : il est temps ; suivez-moi. CRISPIN, à part. Je vais me préparer à périr dans la flamme...Allons, c'est fait de moi... Dieu veuille avoir mon âme ! Il s'éloigne avec Piracmon et quelques-uns des gardes du gouverneur, qui l'emmènent. SCÈNE IX. Le Gouverneur, Gardes, Suite. LE GOUVERNEUR à part. L'insensé ne voit pas la gloire de son sort :Il a le coeur si bas que de craindre la mort !Puisse le ciel sur lui répandre ses lumières,Et lui donner aussi les forces nécessairesPour pouvoir surmonter cette vaine frayeur !... Voyant paraître un insulaire, qui vient a lui.Mais, quelqu'un vient à moi. SCÈNE X. Un Insulaire, La Gouverneur, Gardes, Suite. LE GOUVERNEUR, à l'insulaire. Que me veut-on ? L'INSULAIRE. Seigneur, Un cavalier français vient vous rendre une lettre.Il voudrait vous parler. Voulez-vous le permettre ? LE GOUVERNEUR. Qu'il approche. L'insulaire s'éloigne, et fait paraître Licandre. SCÈNE XI. Licandre, Le Gouverneur, Gardes, Suite. LICANDRE, au gouverneur. Seigneur, je suis un étranger ; Sans secours, sans espoir, dons un pressant danger, Triste jouet des vents, échappé du naufrage,Et dans l'île voisine entraîné par l'orage;Je viens du gouverneur, qui me renvoie ici,Vous apporter, seigneur, le billet que voici. Il lui présente une lettre. LE GOUVERNEUR, prenant la lettre. Donnez. Je vous promets que, quoi qu'il me demande, Je ferai tout pour lui. Voyons ce qu'il me mande. Il ouvre la lettre et la lit haut. « Le gentilhomme que je vous envoie a été jeté par la tempête dans mon île. Son nom est Licandre ; et il a fait naufrage depuis peu avec une personne, nommée Éliante, dont il était éperdument amoureux. Si, par hasard, vous aviez des nouvelles de cette aimable personne, vous rachèteriez la vie à son amant en la lui faisant retrouver. Informez-vous-en, je vous prie.Il n'est point impossible que l'orage l'ait jetée dans votre port. Donnez-y vos soins; j'en aurai une éternelle reconnaissance. BRISAPH, gouverneur de l'île de Santoriada. » LE GOUVERNEUR, après avoir lu. Oui, je puis contenter vos désirs curieux ;Je puis vous informer d'Éliante. LICANDRE. Ah ! grands dieux !Quoi ! Je pourrais ici revoir celle que j'aime ?Que mon coeur est content ! Que ma joie est extrême ! Montrez-la moi, de grâce ! Achevez mon bonheur. LE GOUVERNEUR. Si je vous là fais voir, vous mourrez de douleur.Elle vient d'expirer tout à l'heure. LICANDRE. Elle est morte ? LE GOUVERNEUR. Je connais la grandeur du coup que je vous porte ;Mais, enfin, puisqu'il faut sans feinte vous parler, Elle, avec son mari, nous allons la brûler. LICANDRE. Ah ! Que m'apprenez-vous ? Elle était mariée ?... À part.Cruelle ! Ma tendresse est-elle ainsi payée ?...Hélas ! LE GOUVERNEUR. Mais, cependant, il faut vous dire tout.L'hymen n'a pas été terminé jusqu'au bout. L'époux, du moins, le dit : même je le présume,Et, suivant du pays la louable coutume, Nous brûlons les époux sur des bûchers ardents. LICANDRE. Permettez qu'avec eux je me jette dedans.Vous voyez bien qu'après cette perte funeste, La mort est désormais le seul bien qui me reste :Et ce sera pour moi le bonheur le plus doux. LE GOUVERNEUR. Le mari ne prend pas la chose comme vous ?Un sort si glorieux l'alarme et l'épouvante. LICANDRE, à part. Que j'éprouve, grands dieux ! La fortune inconstante ! En trouvant ce que j'aime on m'apprend en ces lieuxQue la mort m'a ravi ce trésor précieux. LE GOUVERNEUR. Je vous plains. SCÈNE XII. Un Insulaire, Le Gouverneur, Licandre, Gardes, Suite. L'INSULAIRE, au gouverneur. Tout est prêt pour la cérémonie ;Le bûcher, les flambeaux, le deuil, la symphonie.Le mari, cependant, ne se peut consoler. LICANDRE, à part. Je succombe... À ces mots je me sens accabler.Une vapeur secrète, en mes sens répandue,Me ravit tout à coup l'usage de la vue. Il reste sans connaissance. LE GOUVERNEUR, à l'insulaire, en montrant Licandre. Il tombe évanoui... Qu'on l'ôte de ces lieux;Il ne faut point offrir ce spectacle à ses yeux ; Sa trop vive douleur l'interromprait peut-être... Voyant paraître de loin le cortège qui arrive.Le deuil s'approche... Allons au-devant du grand-prêtre. L'insulaire et l'un des gardes du gouverneur emportent Licandre dans un lieu éloigné, et le gouverneur va au-devant du cortège avec, ses gardes et sa suite. SCÈNE XIII. Marine, Piracmon. PIRACMON. Oui, c'est dans cet endroit MARINE. Où va le gouverneur ? PIRACMON. Au-devant du grand-prêtre. Il lui doit cet honneur. MARINE. Mais tu n'y songes pas, au moins. PIRACMON. Que veux-tu dire ? MARINE. Ce bûcher, cet apprêt, cela n'est que pour rire, N'est-il pas vrai ? PIRACMON. Sans doute. MARINE. Et cependant iciMonsieur le gouverneur ne l'entend pas ainsi.Le grand-prêtre, d'abord, mettra le feu lui-même; Et que deviendrons nous avec ton stratagème ? Par ton ordre Éliante est au haut du bûcher. PIRACMON. Quand il en sera temps, j'irai l'en détacher. MARINE. Il faudrait prévenir le gouverneur. Peut-être... PIRACMON, l'interrompant. Il est plus scrupuleux encor que le grand-prêtre : Il ne badine point sur cet article-là. MARINE. Si le feu... PIRACMON, l'interrompant. Laisse-moi conduire tout cela.De ce qu'elle doit faire Éliante est instruite. MARINE. Je ne te comprends point. PIRACMON. Tu verras, dans la suite...Si le drôle en revient, je veux que, de longtemps, Entendant le bruit des instruments.Il n'ait dessein... Mais, chut... j'entends les instruments... Il regarde du coté par où vient le cortège, et le voit approcher.La victime paraît, couverte de guirlandes...Viens-t'en, et joignons-nous à ces joyeuses bandes. Il va se réunir, avec Marine, aux insulaires de l'un et de l'autre sexes qui accompagnent le cortège. SCÈNE XIV. Le Grand-Prêtre, La Grande-Prêtresse, Le Gouverneur, Éliante, sur le bûcher, Crispin, Piracmon, Marine, Gardes et Suite du Gouverneur, Troupe d'Iinsulaires, de l'un et de l'autre sexes, chantant, dansant, jouant de plusieurs instruments ,et portant des flambeaux allumés. Le fond s'ouvre et laisse voir le bûcher sur lequel Éliante est placée, vêtue d'une mante couverte de fleurs. Ce bûcher est élevé au pied d'un mausolée galant, où l'Amour est représenté portant le portrait de Crispin. Le grand-prêtre, la grande-prêtresse , le gouverneur, ses gardes, sa suite, et une troupe d'insulaires, de l'un et de l'autre sexes, parmi lesquels Piracmon et Marine se sont mêlés, et qui portent tous des flambeaux allumés, conduisent Crispin, en cérémonie, au pied du bûcher, au son des instruments, et avec l'appareil le plus galant et le plus gracieux. CRISPIN, à part, et pleurant. [Note : Ces quatre vers sont parodiés du premier couplet de Chimène, dans la troisième scène du troisième acte de la tragédie du Cid, de Pierre Corneille.]« Pleurez, pleurez, mes yeux, et fondez-vous en eau ;La moitié de Crispin mettra l'autre au tombeau :Mais je plains beaucoup moins, dans ce malheur funeste, La moitié que je perds que celle qui me reste...»Je dois être brûlé tout vif... Ô sort affreux !...Mon maître, quoique mort, est, ma foi, plus heureux. LEGRAND-PRÊTRE et LA GRANDE-PRÊTRESSE chantant ensemble. Crispin, il faut braver le sort.Par lui ta femme t'est ravie : Rejoins-la par un noble effort.Pour elle tu brûlais, brûlais, pendant sa vie,Brûle, brûle, avec elle, après sa mort, LA GRANDE-PRÊTRESSE chantant seule, à Crispin. D'un long veuvage on n'a point l'amertumeEn suivant sa femme au tombeau. De ce pays bénissez la coutume :Brûlez, brûlez d'un feu nouveau.Ici quand l'Hymen éteint son flambeau,L'Amour aussitôt le rallume. MARINE, chantant, seule, montrant Crispin. Crispin, en mourant dans la flamme, Doit se louer de son bonheur.Il va jouir de l'honneurD'être brûlé pour sa femme.Est-il une plus belle mort?Chantons, dansons, et célébrons son sort. CHOEUR D'INSULAIRES, de l'un et de l'autre sexes, montrant Crispin. Chantons, dansons, et célébrons son sort. LA GRANDE-PRÊTRESSE, chantant seule, montrant Crispin. Dans ses yeux sa joie est bien peinte.Qu'il est content ! Qu'il est heureux !Nous l'allons voir dans les feux,Sans qu'il pousse aucune plainte. Est-il une plus belle mort ?Chantons, dansons, et célébrons son sort, MARINE, chantant seule, montrant Crispin. Maris, de lui venez apprendreÀ suivre une femme au tombeau ;Et de ce phénix nouveau Venez chercher de la cendre. Est-il une plus belle mort ? Chantons, dansons, et célébrons son sort. CHOEUR DES INSULAIRES, de l'un et de l'autre sexes, montrant Crispin. Chantons, dansons, et célébrons son sort. CRISPIN, à part. Ô ciel ! Vit-on jamais une rigueur pareille ? Ils viennent me corner leur musique à l'oreille,Célébrer mon bonheur, rire, danser, sauter !... À tous ceux qui formait le cortège.Je vous conseille encor de me faire chanter. SCÈNE XV. Licandre, La Grand-Prêtre, La Grande-Prêtresse, Le Gouverneur, Éliante sur le bûcher ; Marine, Crispin, Piracmon, Gardes et suite du Gouveneur, Troupe d'insulaires de l'un et de l'autre sexes. LICANDRE, à quelques gardes, qui veulent l'empêcher d'approcher. Ne me retenez plus Dans ma douleur mortelle,Je veux voir Éliante, et brûler avec elle. L'époux n'aura pas seul ce funeste plaisir. CRISPIN à part, et sans reconnaître d'abord Licandre. Vous pouvez là-dessus suivre votre désir. LICANDRE, à part, en reconnaissant Crispin. Que vois-je ? Juste ciel ! Ma surprise est extrême...Je ne me trompe point... Oui, vraiment, c'est lui-même. À Crispin.C'est Crispin!... Toi, maraud ! Cet époux fortuné, Qui m'as ravi l'objet qui m'était destiné ! CRISPIN, reconnaissant Licandre. Eh quoi ! Monsieur, c'est vous ?... À part.Ô ciel, je te rends grâce... À Licandre.Vous venez à propos pour prendre ici ma place... À tous ceux qui forment le cortège, en leur montrant Licandre.Messieurs, au moins, voilà le véritable époux. LE GOUVERNEUR. Nous n'en connaissons point ici d'autre que vous. CRISPIN, montrant Licandre. Pour lui faire plaisir, j'ai feint ce mariage. LE GOUVERNEUR. Que de discours !... Allons, sans tarder davantage,Montez sur le bûcher. Des gardes prennent Crispin et veulent le jeter dans le bûcher. CRISPIN. Que l'on attende un peu. LE GOUVERNEUR. Non, non, point de délai. CRISPIN. Je vais crier au feu. LICANDRE, à part, en s'approchant du bûcher et regardant Éliante. Ô ciel ! Que de beautés vont se réduire en cendre !... Voulant monter sur le bûcher.Je ne la quitte point. ÉLIANTE, l'entendant sur le bûcher, et se relevant. Ah ! Licandre, Licandre ! CRISPIN, à part, avec surprise. Miracle ! LICANDRE, à part, également étonné. Juste ciel ! LE GOUVERNEUR, à Crispin. Que veut dire ceci ?Votre épouse est vivante encore ? CRISPIN, avec joie. Oui, Dieu merci !Le poison a raté. LE GRAND-PRÊTRE, au gouverneur, avec sévérité. Que vois-je ici paraître ?Avez-vous prétendu vous moquer du grand-prêtre, Monsieur le gouverneur ? ÉLIANTE, en descendant du bûcher. Pardonnez à l'amour,Qui nous a fait tenter cet innocent détour,Qui, pour me réserver toute entière à Licandre, M'a fait, blessant vos lois, un peu trop entreprendre. Il était mon époux. LE GRAND-PRÊTRE. Votre époux ? Eh ! Pourquoi Ne me pas confier un tel secret, à moi ?Je n'aurais pas permis ce second hyménée, Ou j'en aurais, du moins, retardé la journéeMais, puisqu'il est ainsi, je vous rends cet époux ; Aussi bien le second est indigne de vous. De mon autorité je romps ce mariage, Et vous rends à présent au noeud qui vous engage... Au gouverneur.N'est-ce pas votre avis, monsieur le gouverneur ? LE GOUVERNEUR. Oui, sans doute; LE GRAND-PRÊTRE, à Licandre et à Éliante. Ainsi donc, vivez heureux. ÉLIANTE. Seigneur,En me rendant Licandre on me rend à la vie. CRISPIN, à part. Voyez-vous la malice et la friponnerie ! LE GOUVERNEUR. Taisez-vous, lâche !... À Licandre et à Êliante.Et vous, trop généreux époux !Dans mon île goûtez les plaisirs les pins doux.Ce mépris de la mort mérite trop la vie ;Qu'à tous deux de longtemps elle ne soit ravie : J'en fais tous mes souhaits. ÉLIANTE. Seigneur, que de bontés ! LE GOUVERNEUR. Je n'en puis tant avoir que vous en méritez... Et regardant Crispin.Pour le seigneur Crispin... LICANDRE, l'interrompant. C'est mon valet. LE GOUVERNEUR, à Crispin. Quoi ! Traître !Me tromper, me jouer, en trahissant ton maître ?... À Licandre.Il faut qu'il soit puni. CRISPIN. Pardonnez-moi, seigneur : Je ne le suis que trop d'avoir eu tant de peur ; J'ai souffert diablement, et vous pouvez m'en croire. LE GOUVERNEUR, à Licandre et à Éliante. Avec plus de loisir j'apprendrai votre histoire ;Marine et Piracmon sauront m'en informer.Heureux amants, toujours puissiez-vous vous aimer !... Aux insulaires de l'un et de l'autre sexes.Vous autres, par vos chants, prenez part à leur joie,Qu'à les bien réjouir chacun de vous s'emploie ; À Crispin.Et, selon notre loi, nous ferons, dès demain.Pour surcroît de plaisir, les noces de Crispin. CRISPIN. Soit ; mais je ne veux point terminer cette affaire Que par un bon contrat et par devant notaireLa dame ne s'oblige, en mourant devant moi,Que je ne serai point sujet à votre loi. Les insulaires des deux sexes forment des danses. LE GRAND-PRÊTRE, chantant seul, à Licandre, à Éliante et à Crispin. Étrangers, qui trouvez ridiculeQu'ici l'on brûle Le survivant avec le mort,Vous avez tort.Ce tourment, qui paraît terrible,Fut inventé parmi nousPour rendre une femme sensible À la mort de son époux. Les insulaires, des deux sexes, reprennent leurs danses. LA GRANDE-PRÊTRESSE, chantant seule, à Licandre, à Éliante et à Crispin. Si vous voulez, malgré l'orage,Voguer encore en ce beau jour,Que ce soit sur la mer d'Amour :Il est beau d'y faire naufrage. L'Amour en quittant le rivagePromet toujours un heureux sortAvec lui, jusque dans le port,Il est beau de faire naufrage. CRISPIN, chantant seul, au parterre. Messieurs, notre nouvel ouvrage Peut couler à fond aujourd'hui ;Mais, en lui prêtant votre appui,Vous le sauverez du naufrage. ==================================================