******************************************************** DC.Title = L'EUGÈNE, COMÉDIE. DC.Author = JODELLE, Estienne DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:19. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/JODELLE_EUGENE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'EUGÈNE COMÉDIE M. D. LXXIIII. Avec Privilège du Roi. D'ESTIENNE JODELLE PARISIEN. À PARIS, Chez Nicolas Chesneau, rue saint Jacques à l'enseigne du Chesne verd ; ET Mamert Patisson, rue saint Jean de Beauvais, devant les Escholes de Decret.Ce volume a été achevé d'imprimer le 6ème jour de Novembre 1574. PERSONNAGES EUGÈNE, Abbé. MESSIRE JEAN, Chapelain. GUILLAUME. ALIX. FLORIMOND, Gentilhomme. ARNAULT, Laquais. PIERRE, Homme de Florimond. HELENE, Soeur de l'Abbé. MATTHIEU, Créancier. PROLOGUE PROLOGUE. Assez assez le Poète a pu voir L'humble argument, le comique devoir, Les vers demis, les personnages bas, Les moeurs repris, à tous ne plaire pas : Pour ce qu'aucuns de face sourcilleuse Ne cherchent point que chose sérieuse : Aucuns aussi de fureur plus amis, Aiment mieux voir Polydore à mort mis, Hercule au feu, Iphigène à l'autel, Et Troie à sac, que non pas un jeu tel Que celui-là qu'ores on vous apporte. Ceux-là sont bons, et la mémoire morte De la fureur tant bien représentée Ne sera point : mais tant ne soit vantée Des vieilles mains l'écriture tant brave, Que ce Poète en un poème grave, S'il eût voulu, n'ait pu représenter Ce qui pourrait telles gens contenter. Or pour autant qu'il veut à chacun plaire, Ne dédaignant le plus bas populaire, Et pour ce aussi que moindre on ne voit être Le vieil honneur de l'écrivain adextre, Qui brusquement traçait les Comédies, Que celui-là qu'ont eu les Tragédies. Voyant aussi que ce genre d'écrire Des yeux Français si longtemps se retire, Sans que quelqu'un ait encore éprouvé Ce que tant bon jadis on a trouvé, A bien voulu dépendre cette peine, Pour vous donner sa Comédie Eugène ; À qui ce nom pour cette cause il donne, Eugène en est principale personne. L'invention n'est point d'un vieil Ménandre, Rien d'étranger on ne vous fait entendre, Le style est nôtre, et chacun personnage Se dit aussi être de ce langage : Sans que brouillant avecque nos farceurs Le saint ruisseau de nos plus saintes Soeurs, On moralise un conseil, un erscit, Un temps, un tout, une chair, un esprit, Et tels fatras, dont maint et maint folâtre Fait bien souvent l'honneur de son théâtre. Mais retraçant la voie des plus vieux, [Note : Oblivieux : Néologisme tiré du latin. Qui produit l'oubli. [L]]Vainqueurs encor' du port oblivieux, Celui-ci donne à la France courage De plus en plus oser bien davantage : Bien que souvent en cette Comédie Chaque personne ait la voix plus hardie, Plus grave aussi qu'on ne permettrait pas, Si l'on suivait le Latin pas à pas. Juger ne doit quelque sévère en soi, Qu'on ait franchi du Comique la loi, La langue encore faiblette de soi-même Ne peut porter une faiblesse extrême : Et puis ceux-ci dont on verra l'audace, Sont un peu plus qu'un rude populace : Au reste tels qu'on les voit entre nous. Mais dires-moi, que recueilleriez-vous, Quels vers, quels ris, quel honneur, et quels mots, S'on ne voyait ici que des sabots ? Outre, pensez que les Comiques vieux Plus haut encor on fait bruire des Dieux. Quant au théâtre, encore qu'il ne soit En demi rond, comme on le compassait, Et qu'on ne l'ait ordonné de la sorte Que l'on faisait, il faut qu'on le supporte : Vu que l'exquis de ce vieil ornement Ore se voue aux Princes seulement : Même le son qui les actes sépare, Comme je crois, vous eût semblé barbare, Si l'on eût eu la curiosité De remouler du tout l'antiquité. Mais qu'est-ce ci ? Dont vient l'étonnement Que vous montrez ? Est-ce que l'argument De cette fable encore n'avez su ? Tôt il sera de vous aperçu, Quand vous orrez cette première Scène. Je m'en tairai, l'Abbé me tient la rêne, Qui là-dedans devise avec son prêtre De son état qui meilleur ne peut être. Jà jà marchant, enrage de sortir, Pour de son heur un chacun avertir : Et se vantant, si sa voix il débouche : De vous brider désire par la bouche : Et qui plus est sous la gaye merveille De dérober votre esprit par l'oreille. ACTE I SCÈNE I. Eugène, Abbé, Messire Jean, Chapelain. EUGÈNE. La vie aux humains ordonnée Pour être si tôt terminée, Ainsi que même tu as dit, Doit-elle, pour croire à crédit, Se charger de tant de travaux ? MESSIRE JEAN. Le seul souvenir de nos maux, Qui jà vers nous ont fait leur tour, Ou de ceux qui viendront un jour, L'appréhension incertaine Empoisonne la vie humaine : Et d'autant qu'ils la font plus griève, Ils la font aussi plus briève. Mais qui sait mieux en ce bas-ci Que vous, Monsieur, qu'il est ainsi ? EUGÈNE. Il ne faut donc que du passé Il soit après jamais pensé, Il faut se contenté du bien Qui nous est présent, et en rien N'être du futur soucieux. MESSIRE JEAN. Ô grand Dieu, qui dit onques mieux ! EUGÈNE. Comment donc ne consent-on point De s'aimer soi-même en ce point, De se flatter en son bonheur, De s'aveugler en son malheur, Sans donner entrée au souci ? MESSIRE JEAN. C'est abus, il faut faire ainsi. EUGÈNE. En tout ce beau rond spacieux, Qui est environné des Cieux, Nul ne garde si bien en soi Ce bonheur comme moi en moi : Tant que soit que le vent s'émeuve, Ou bien qu'il grêle, ou bien qu'il pleuve, Ou que le Ciel de son tonnerre Fasse peur à la pauvre Terre, Toujours Monsieur moi je serai, Et tous mes ennuis chasserai. Car serais-je point malheureux D'être à mon souhait plantureux, Et me tourmenter en mon bien ? Je ne vouerai jamais à rien, Sinon au plaisir, mon étude. MESSIRE JEAN. Ce serait une ingratitude Envers la fortune autrement, Qui vous pourvoit tant richement : Car qui est mal content de soi Il faut qu'il soit, comme je crois, Mal content de fortune ensemble. EUGÈNE. Fortune assez d'heur me rassemble Pour me plaire en ce monde ici, Esclavant en tout mon souci : Sans travail les biens à foison Sont apportés en ma maison, Biens, je dis, que jamais n'acquirent Les parents qui naître me firent, Et qui ainsi donnés me sont Qu'à mes héritiers ne revont, Ains pour rendre ma seule vie En ses délices assouvie, Ce que nous pratiquons assez, Tant qu'il semble que ramassés Tous les plaisirs se soient pour moi. Les Rois sont sujets à l'émoi Pour le gouvernement des terres : Les Nobles sont sujets aux guerres : Quant à Justice en son endroit, Chacun est serf de faire droit. Le marchant est serf du danger Qu'on trouve au pays étranger : Le laboureur avecque peine Presse ses boeufs parmi la plaine : L'artisan sans fin molesté, À peine fuit la pauvreté. Mais la gorge des gens d'Église N'est point à autre joug soumise, Sinon qu'à mignarder soi-mêmes, N'avoir horreur de ces extrêmes, Entre lesquels sont les vertus : Être bien nourris et vêtus, Être curés, prieurs, chanoines, Abbés, sans avoir tant de moines Comme on a de chiens et d'oiseaux, Avoir les bois, avoir les eaux De fleuves ou bien de fontaines, Avoir les prés, avoir les plaines, Ne reconnaître aucuns seigneurs, Fussent-ils de tout gouverneurs : Bref, rendre tout homme jaloux Des plaisirs nourriciers de nous. Mais que servirait t'expliquer Ce que tu vois tant pratiquer, N'était que je me plais ainsi En la mémoire de ceci, Voulant les plaisirs faire dire. Où d'heure en heure je me mire ? Au matin, quoi ? MESSIRE JEAN. Le feu léger, De peur que le froid outrager [Note : >Tendrelet : Un peu tendre. [L]]Ne vienne la peau tendrelette, Le linge blanc, la chausse nette, Le mignard peignoir d'Italie, La vêture à l'envi jolie, Les parfums, les eaux de senteurs, La cour de tous vos serviteurs, Le perdreau en sa saison, Le meilleur vin de la maison, [Note : Flume : installations hydraulique pour transporter par flotaison le bois d'abattage.]Afin de mettre à val vos flumes : Les livres, le papier, les plumes, Et les bréviaires cependant Seraient mille ans en attendant Avant qu'on y touchât jamais, De peur de se morfondre : mais Au lieu de ces sots exercices, De la musique les délices Avant que monter à cheval, Et puis et par mont et par val Voler l'oiseau, se mettre en quête [Note : Rousse bête : Bêtes rousses ou carnassières, les loups, les renards, les blaireaux, les fouines, les putois, etc. [L]]Bien souvent de la rousse bête : Ou bien par les plaines errant Suivre le lièvre bien courant, Pendant que moi Messire Jean [Note : Ahan : Grand effort, tel que celui que fait un homme qui fend du bois ou soulève un fardeau pesant. [L]]Je sue auprès le feu d'ahan, De tâter les molles viandes, Pour vous les rendre plus friandes : Vous arrivez tous affamés, [Note : Chaudeau : Sorte de brouet ou de bouillon chaud que l'on portait autrefois aux mariés. Toute boisson chaude. [L]]Les chaudeaux sont soudain humés, De peur de vicier nature : On fait aux tables couverture, On rit, on boit, chacun fait rage De babiller du tricotage. On est saoul, on se met en jeu, Et puis s'on sent venir le feu De la chatouillarde amourette, Soudain en la quête on se jette, Tant qu'on revienne tous taris Par ces pisseuses de Paris. EUGÈNE. Tout beau Messire Jean, tout beau, Demeure là, d'un cas nouveau, Puisqu'à l'amour tu es venu, M'est à cette heure souvenu, Pour lequel appelé t'avais. MESSIRE JEAN. Quoi ? Comment ? D'où vient telle voix ? Avez-vous reçu quelque offense ? EUGÈNE. Non non, tout beau, seulement pense De me prêter ici tes sens. Tu sais bien que depuis le temps Qu'Henry magnanime Roi, A mené ses gens avec soi Jusques aux bornes d'Allemagne, Amour qui se met en campagne Pour faire quête de mon coeur, S'est rendu dessus moi vainqueur, Me venant d'un trait enflammer, Pour me faire ardemment aimer Cette Alix, mignarde et jolie, Bague fort bonne et bien polie, Pour qui, ô serviteur fidèle, Tu me vaux une maquerelle. MESSIRE JEAN. Ô que je me tiens en repos, Pour voir où cherra ce propos. EUGÈNE. Jusqu'ici tant bien m'a servi, Que du tout en elle je vis : Et pour être bon guerdonneur Lui voulant couvrir son honneur, Comme tu es bien averti, Lui ai trouvé le bon parti De Guillaume le bon lourdaud, Qui est tout tel qui nous le faut, Et les ai mariés ensemble. MESSIRE JEAN. Ô fort bien fait. EUGÈNE. Mais que te semble ? J'ai feint que c'était ma cousine. MESSIRE JEAN. La parenté est bien voisine, Il n'y fallait épargner rien, Ce sont trois cents écus : et bien Qu'est-ce pour votre dignité, Sinon qu'oeuvre de charité ? EUGÈNE. Mais maintenant j'ai si grand' peur, Que Guillaume sente mon coeur Avec les cornes de sa tête. MESSIRE JEAN. [Note : Ventrebleu : Espèce de juron euphémique pour ventre de Dieu. [L]]Ha ventrebieu il est trop bête, Son front n'a point de sentiment, Ni son coeur de bon mouvement : Ho ho, quoi ? Craignez-vous en rien En cela un Parisien ? Le bon Guillaume sans malice Vous est couverture propice, Pour sûrement brider l'amour. Si fussiez allé chaque jour Cependant qu'Alix était fille, Planter en son jardin la quille, À l'envi chacun eût crié : Mais depuis qu'on est marié, Si cent fois le jour on s'y rend, Le mari est toujours garant : On n'en murmure point ainsi. Et puis en cette ville-ci On voit ce commun badinage, De souffrir mieux un cocuage, Que quelque amitié vertueuse. EUGÈNE. Après, mon amour est douteuse : Et je crains que cette mignarde D'aller autre part se hasarde. Car ses femmes ainsi friandes, Suivent les nouvelles viandes. Et puis qui ne serait jaloux D'un entretien qui m'est tant doux ? Dès lors que fais chez elle entrée, Je la trouve exprès apprêtée, Ce semble, pour me recueillir : Elle me vient au col saillir, Elle me lace doucement, Et puis m'étreint plus fortement, J'entends si Guillaume est dehors, Bonjour mon Tout, dit-elle alors : Mais si quand elle entend ma voix, Elle sent le cocu au bois, Ou bien en quelque lieu voisin, Bonjour (dit-elle) mon Cousin. MESSIRE JEAN. Et quoi plus ? EUGÈNE. Nous entrons dedans, Et jà d'un désir tous ardents Nous mirons nos affections Au miroir de nos passions, Qui sont les faces de nous deux : Souvent mollement je me deulx Du temps, elle se complaint Que l'amour assez ne m'atteint. MESSIRE JEAN. Ô dueil heureux ! EUGÈNE. Elle s'apaise, Elle accourt, et plus fort me baise : Puis s'arrêtant elle se mire Dedans mes yeux. MESSIRE JEAN. Ô doux martyre ! EUGÈNE. Et folâtrant elle rempoigne Mes lèvres, qui font une trogne, Afin que d'elle elles soient morses : Et quant est des autres amorces, Pense que peut en cela faire Celle qui se plaît en l'affaire. MESSIRE JEAN. Qui pourrait être homme tant froid, Qui ne s'émeut en cet endroit ? EUGÈNE. Mais où me suis-je promené ? Où l'amour m'a-t-il jà trainé ?Ore donc sache en cette affaire Comment il te faut me complaire Au long discours de cette chose. Deux points tous seuls je te propose : La peur que j'ai que ce sottard Découvre la braise qui m'ard : Et la peur que j'ai qu'en ma Dame Ne s'allume quelque autre flamme. Au premier tu remédieras, Quand ce lourdaud gouverneras, L'assurant que j'ai bonne envie De lui aider toute sa vie : Quand tu le mèneras au jeu, Quand l'amadouant peu à peu, Tu le rendras ami de toi, Autant que sa femme est de moi, Afin qu'ayez l'entrée sûre. Quant est du second, je t'assure Qu'il te faudra prendre cent yeux, Afin de me la garder mieux ! Qu'on épie, que l'on regarde, Qu'on s'enquière, qu'on prenne garde De n'être en embûche trouvé, Après avoir bien éprouvé. Pour le loyer de ton office Je te voue un bon bénéfice. MESSIRE JEAN. Grand merci Monsieur, c'est de grâce : Ne vous souciez que je fasse, N'ayez de ces deux points émoi, Dès ores je prends tout sur moi. SCÈNE II. MESSIRE JEAN. Ainsi, Dieu m'aime, on voit ici Maints aveuglés, qui sont ainsi Que les flots enflés de la mer, Qu'on voit lever, puis s'abîmer Jusques au plus profond de l'eau. Ceux-ci se fichant au cerveau Un contentement qu'ils se donnent, Dessus lequel ils se façonnent Le portrait d'une heureuse vie, Voyent soudain suivre l'envie Du sort bien souvent irrité, Rabaissant leur félicité. Songez à celui qu'avez vu, Ce brave Abbé tant bien pourvu Moins en l'Église qu'en folie : Songez dis-je, au mal qui le lie, Ains l'étrangle tant doucement D'un folâtre contentement : Il se fait seul heureux, en tout Il n'imagine point de bout, Il ne prévoit, et ne prévient Au malheur, qui souvent advient : Et qui pis est, voir il n'a su Qu'il est journellement déçu. L'aveuglement est le moyen De tourner un beaucoup en rien. Il est si fol, comme je vois, De penser, Alix est à moi, Et me tient seul ami certain : Alix dis-je plus grand putain Qu'on puisse voir en aucun lieu, Et qui veut sans crainte de Dieu Se bâtir aux cieux une porte, Par l'amour qu'à tous elle porte Exerçant sans fin charité. Assez longtemps elle a été À un Florimond, homme d'armes, Qui par avant sous les alarmes, Pae qui son amour l'asservit, Longtemps à Hélène servit, Soeur de ce bel Abbé mon maître, Sans par son pourchas jamais être Reçu au dernier point de grâce. Tant qu'étant vaincu de l'audace De sa maîtresse impitoyable ; Pour passer l'amour indomptable, Et amortir sa fantaisie, Fût par lui cette Alix choisie, Laquelle il entretint toujours, Non pas seul maître des amours, Jusques à ce camp d'Allemagne, Pour lequel se mît en campagne : Mêmes on m'a dit qu'un grand zèle Florimond avait envers elle. Mais qui veut bien aimer, ne fasse Aux Parisiennes la chasse : Et puis notre Abbé, notre brave Fol masqué d'un visage grave, [Note : Coyon : De l'Italien coglione. Coglione, c'est celui que les Athéniens appeloient lakkoskheas : cui semper laxus est testiculorum sacculus. Le Français dit couille-molle. [M]]Ce sot, ce messer coyon pense Avoir eu seul la jouissance, Et l'a mise en son mariage Afin qu'il fît un cocuage De mari et d'ami ensemble. Mais, je vous prie, que vous semble Des morgues, que je tiens vers lui ? S'il dit oui, je dis oui : S'il dit non, je dis aussi non : S'il veut exalter son renom, Je le pousserai par ma voix Plus haut que tous les cieux trois fois. Ainsi je fais un hameçon Pour attraper quelque poisson En la grand' mer des bénéfices, Sont mes états, sont mes offices, Et qui n'en sait bien sa pratique, Voise ailleurs ouvrir sa boutique. SCÈNE III. Guillaume, Alix. Messire Jean. GUILLAUME. Hé Dieu quelle heureuse fortune M'eût été plus heureuse qu'une, Ou quelle plus douce rencontre En toute la terre se montre, Que celle-là qu'ores j'ai faite De cette femme tant parfaite, À qui Dieu m'a joint pour ma vie ? Hé mon Dieu que j'ai bonne envie De t'en rendre grâce à jamais ! Ah ! Je t'en irai désormais Souvent présenter des chandelles, Et à la Reine des pucelles, Qui m'a donné si chaste femme, Sa beauté tout le monde enflamme : Car je vois bien souvent passer Maints amourets que trépasser Elle fait en les regardant : Mais aucun n'y va prétendant, Accablé dessous sa vertu : Moi-même je suis abattu Bien souvent de sa chasteté. Car alors que suis excité De faire le droit du ménage, Elle me dit d'un saint courage, Écoute mon mignon, contemple Du bon Joseph la sainte exemple, Qui ne toucha sa sainte Dame. Notre chair est vile et infâme : Ces actes sont vilains et ords : Et qui nous damne, que le corps ? Alors je me mets en prière, Et lui tourne le cul arrière : Car hélas (bon dieu) tu ne veux Que l'on blesse les chastes voeux. ALIX. Qui est celui j'oy compter, Er tellement se contenter ? Ha mananda, c'est mon badault, Écouter ici me le faut, Pour savoir qu'il dira de moi. GUILLAUME. Bon Dieu, je suis tenu à toi ! Outre cela elle est tant douce, Jamais ses amis ne repousse : Elle est à chacun charitable, Et envers moi tant amiable Que le monde en est étonné. Quantes fois m'a-t-elle donné De l'argent pour m'aller jouer ? Cil qui veut à Dieu se vouer Ne sera jamais indigent : Alix a toujours de l'argent, Elle est sainte dès ce bas lieu : Car c'est de la grâce de Dieu, Que cet argent lui vient ainsi. ALIX. Je suis en paradis aussi, D'avoir un mari tel que j'ai : Par ainsi sainte je serai. GUILLAUME. Même quand je me vais ébattre, Si j'y étais trois jours ou quatre, Elle n'en dit rien au retour Non plus que d'un seul demi jour : Et quand je me veux excuser, Et de tels mots vers elle user, Pardon je vous suppli, ma femme, Vraiment ce m'est un grand diffame D'avoir demeuré jusqu'à ores : Je voudrais qu'y fussiez encores, Mon ami, c'est votre santé. ALIX. Hé benêt, que c'est bien chanté. GUILLAUME. Et quand je me trouve en malaise, Je sens que sa prière apaise La maladie que je sens, Elle s'en court par ces couvents De saint François, saint Augustin, De l'abbaye saint Martin, De saint Victor, de saint Magloire, Pour faire prier. ALIX. Voire voire, On y prie à deux beaux genoux. GUILLAUME. Elle m'apporte à tous les coups De ces saints couvents quelques choses : Ou bien de quelque pain de roses, Ou bien des eaux, ou bien du flan, Aucunesfois de leur pain blanc, Et me dit que par les mérites Du bon saint, ces choses petites Ont pouvoir de guérir la fièvre. ALIX. Serait perte s'il était lièvre, Les cornes lui seyent fort bien. GUILLAUME. Elle ne me moleste en rien, Même quand malade je suis Elle ferme soudain mon huis, Et de crainte de me fâcher En autre lieu s'en va coucher : Mais bien souvent je sens de peur Dedans moi débattre mon coeur, Quand ma partie me deffaut, Car j'entendis un jour d'en haut Un esprit qui fort rabâtait, Lorsqu'en mon lit elle n'était. ALIX. Je retiens d'un sermon ces mots, Qu'un esprit n'a ni chair ni os. GUILLAUME. Puis quand elle est malade aussi, Vraiment je lui fais tout ainsi Et me couche en quelque chambrette : Mais hélas ! Elle est tant fluette, Qu'elle est bien souvent en malaise, Ou elle feint, ne lui déplaise, Pour accomplir en sainteté, Quelque beau voeu de chasteté : Non fait non, elle souffre peine : Car la nuit bien fort se démène. ALIX. Ô que je sens un doux martyre ! Je crève ici quasi de rire, Je ne saurais m'y arrêter : Mais je vais ore l'accoster. GUILLAUME. Mon Dieu que je serais marri. ALIX. De quoi parlez-vous, mon mari ? GUILLAUME. Ha notre femme, Dieu vous gard. Je meure si votre regard Ne m'a servi d'allègement Contre mon fâcheux pensement. ALIX. Quel pensement ? GUILLAUME. Le créancier M'a fait ore signifier Qu'il veut que je paye aujourd'hui. ALIX. Aujourd'hui : c'est un grand ennui, C'est donner bien peu de répit, Il n'en faut point être dépit, Il faut prendre patiemment Ce que notre Dieu justementPour nos commises nous envoie. GUILLAUME. Il est vrai, c'est la droite voie Patience est d'Honneur la porte. ALIX. Patience est toujours plus forte. GUILLAUME. Ses dons sont à tous bien séants. Mais comment ? Qui entre céans ? Avez-vous laissé l'huis ouvert ? ALIX. Tout beau tout beau, j'ai découvert Un des plus grands de nos amis, C'est le Chapelain, le commis, Le factotum de mon cousin. MESSIRE JEAN. Et puis quoi ? Comment ? Votre vin Est-il jà là-bas mis en broche ? ALIX. Il est trouble, car on le hoche Trois ou quatre fois tous les jours. GUILLAUME. Monsieur faites deux ou trois tours Par le jardin en attendant : M'amie envoie cependant Au meilleur sans craindre les frais. MESSIRE JEAN. Je vais donc là prendre le frais. ACTE II SCÈNE I. Florimond, Gentilhomme. Pierre, Laquais. FLORIMOND. Ores que je suis de retour, J'ai consumé quasi ce jour À contempler en cette ville De plusieurs la pompe inutile : Ceux qui naguères en la guerre Faisaient leur chevet d'une pierre, Et qui du long chemin grevés Avaient leurs harnois engravés À longues traces sur le dos, À qui presque on voyait les os, Ayant une face dépite, Du Soleil quasi demi cuite, Mêler en sueur et poudrière, Oubliant leur face guerrière Se sont parés si mollement, Qu'ils semblent venir proprement Des noces, et non de la guerre : Mêmes aucuns vendent leur terre, Les autres engagent leur bien, Les autres trouvent le moyen De recouvrer quelques deniers Pour enrichir les usuriers : Les autres vendent l'équipage, Harnois, chevaux, et attelage, [Note : Dépendre : v. Dépenser, consommer, dissiper. [SP]]Et tout pour dépendre en délices : Et au lieu des bons exercices Pour toujours assurer leur main, Le palais muguet en est plein, [Note : Civette : Quadrupède carnivore semblable à une martre, dit aussi chat musqué. Substance onctueuse, d'une forte odeur de musc, sécrétée par des glandes situées au-dessous de l'anus de la civette. [L]]Où leurs parfums, et leurs civettes, Chose propre à leurs amourettes, Tirent les dames aux devis, [Note : Envi : ou Devis. Autrefois, propos, discours, entretien familier. [L]]Qui presque y courent aux envis, Au velours, au satin, à l'or, Et aux broderies encor, Nonobstant tout édit donné, Il est autant peu pardonné Qu'il serait même entre les Princes ; En pleine paix de leurs provinces. Mais quoi ? Comment ? Où est l'enseigne, Où est la bataille qui saigne De tous côtés en sa fureur. Où sont les coups, où est l'horreur, Où sont les gros canons qui tonnent, Où sont les ennemis qui donnent Jusques aux tentes de nos gens ? Ha nous deviendrons négligents, Et chasseront hors de mémoire Le désir qu'avons de la gloire. Je confère cette cité, À ce que l'on m'a récité Jadis de l'antique Capoue : Car sa friandise nous tue, Comme les soldats d'Hannibal. Quittons l'amour, laissons le bal, Oublions ces folles rencontres, Faisons tournois, faisons des monstres, Et pendons encores les prix [Note : Guerdonner : Terme vieilli. Récompenser. [L]]Pour guerdonner les mieux appris. Estimez-vous l'ennemi mort ? Sachez que pour un temps il dort, Pour veiller plus longtemps après : Mêmes de jour en jour plus près Tâche s'approcher de nos forces : Et après les douces amorces, Penseriez-vous les maux souffrir Qui se viendront à nous offrir. Endureriez-vous seulement Les maux qu'eûmes dernièrement, Par trois jours le défaut de pain, Maint fâcheux mont, âpre et hautain, Ces gros brouillards, cette gelée, Et puis cette pluie écoulée Qui souvent servait de breuvage : Ce flux de sang qui fît outrage Sans épargner soldat ni Prince. Je trépigne, et les dents je grince, [Note : Braver : Choquer, mépriser quelqu'un, le traiter de haut en bas, l'insulter, le gourmander. [T]]Quand je vois l'excessif et brave D'avoir un bel habit et grave, Bien découpé : ne passons pas Des Gentilshommes les états. Pour voir quelque dame connue Qu'on a devant la guerre vue : C'est raison de se rafraîchir Mais depuis qu'on vient à franchir, Fi fi de superfluité Mais jà trop me suis excité : Puis je vois mon homme venir, À lui voir ses gestes tenir Il querelle en soi quelque chose, Au fond de sa cervelle enclose. Ici le vais guetter de loin, Attendant que j'aie besoin D'aller avec ma bonne Alix Éprouver le branle des lits. Laquais, vois-tu pas bien les mines ? PIERRE. Oui Monsieur, sont des plus fines. SCÈNE II. Arnault, homme de Florimond. Florimond. ARNAULT. Combien que mille fois et mille, J'aye vu et revu la ville De Paris, où suis à cette heure : Si est-ce qu'après la demeure Que j'ai faite au camp d'Allemagne, Après mainte et mainte montagne, Dont le souvenir maintes foisMe fait souffler dedans mes doigts. Après la soif, après la faim Qui vint par le défaut du pain : Et après m'être vu moi-même Bien dessiré, bien maigre, et blême, Paris ville mignarde et belle Me semble une chose nouvelle : Aussi l'on dit qui veut choisir Le plus doux du plus doux plaisir, Il faut avoir premier été Au mal avant qu'il soit goûté. Puis-je bien laisser la maison, Sans que je voie grand foison De choses braves et pompeuses : Et mêmement tant de pisseuses, Qui se font rembourrer leur bas, Promettent que je n'aurai pas Le défaut que j'avais au camp : Mais au fort, en si grand ahan Je n'en avais pas grand envie. Mais que fais-je, malgré ma vie ? En babillant trop je demeure, Monsieur m'a chargé qu'à cette heure Je ne faillisse à le trouver, Il s'en veut aller relever Contre son Alix les discords, Pour voir si lutter corps à corps Vaut mieux que de combattre aux armes Ô les doux pleurs, hélas ! Les larmes, Desquelles Alix parlera Quand son amant elle verra. Mais, ô fort heureuse rencontre ! Je le vois, je vais à l'encontre, Peine n'aurai de le chercher. FLORIMOND. J'avais beau ma face cacher, Mon Arnault me connaît trop bien Et bien Arnault, de nouveau ? ARNAULT. Rien Que ne sachiez comme je crois. FLORIMOND. As-tu entendu que le Roi Nous rappellera bien soudain ? ARNAULT. Le bruit est tel. FLORIMOND. Mais quel dédain : Les plaisirs qu'Alix ma mignonne, Quand je suis à Paris me donne,À cette fois me seront courts. Et bien après fais-moi discours De ce que tu as ouï dire ? ARNAULT. L'Empereur remâche son ire, Et grinçant les dents s'encourage, Tant qu'on dirait voyant sa rage, Et son appétit de vengeance, Qu'il est toujours en celle danse Qu'il fait à l'envers sur un lit. FLORIMOND. Où est-il ore ? ARNAULT. À ce qu'on dit Il a déjà le Rhin passé. FLORIMOND. Serait-il bien tant insensé De venir mettre siège à Metz ? ARNAULT. On lui servirait de bons mets, Et si n'y ferait pas grand tort. Car outre le nouveau renfort, Les braves gens qui sont dedans, Le feront mieux grincer les dents Que jamais il ne fît encor. FLORIMOND. Pour le moins il ne tient à l'or, Qui est le nerf de toute guerre, Qu'il ne prenne toute la terre Que cette année avons fait nôtre. ARNAULT. Il attendra fort bien à l'autre, Et à l'autre an encor après : Je pense qu'il vient tout exprès Pour Thionville envitailler. Mais vous ne faites que railler, Vous savez le tout mieux que moi. FLORIMOND. Je m'enquiers seulement à toi, Pour voir si ce qu'on dit de lui Accorde à cela qu'aujourd'hui On m'a par missives mandé : Et tu l'as fort bien accordé. Puis donc que de peu de loisir Se donne ainsi à mon plaisir, Je veux récompenser le peu Par l'accroissement de mon feu, Qui jà me rend mort en vivant. Mais Arnault compte moi devant Que vers ma mignonne je voise, Qu'elle était cette forte noise Que tu mouvais tantôt en toi Je te voyais mouvoir le doigt, Et marmonner en tes deux lèvres, Comme un qui frissonne des fièvres. Songeais-tu ainsi seul à part À l'outrageuse amour qui m'ard ? ARNAULT. Rien moins, Monsieur. FLORIMOND. Et à quoi donc, Dis-moi. ARNAULT. Je me plaisais adonc Aux gentilles délicatesses, À l'heur, aux ébats, aux caresses Que l'on reçoit ici, au prix Des maux où nous étions appris. FLORIMOND. Je meure, c'est chose terrible Qu'il est presque au monde impossible De trouver un, qui ne peut être Contraire au penser de son maître : En cela je me déplaisais Où te plaire tu t'amusais. ARNAULT. Pourquoi Monsieur? FLORIMOND. Car cette pompe Et bravade mollement trompe Les plus enflammés de courage : Et nos Gentilshommes font rage D'excéder même l'excessif, C'est ce qui me rendait pensif, Et en moi-même me plaignant, Quand tu t'en venais trépignant Pour me trouver. ARNAULT. Pourtant Monsieur, Sauf toujours votre avis meilleur, Il me semble que c'est à ceux Qui n'ont point été paresseux De maintenir le droit de France, Opposant leur vie à l'outrance De ces aiglons Impériaux, Après tant et tant de travaux, D'avoir pour rafraîchissement En volupté contentement : Non pas à ces pourceaux nourris Dedans ce grand tect de Paris, Qui n'oseraient d'un jet de pierre Éloigner les yeux de leur terre : Non à plusieurs larrons honnêtes, Qui n'étant faits que pour des bêtes D'un visage humain emmasquées, Par pratiques mal pratiquées Despendent encor aujourd'hui Et le leur et celui d'autrui, En banquets, pompes, et délices, Pour souvent être appui des vices. Cependant même que le Roi Ayant ses Princes avec soi, Souffre maintes et maintes choses Pour garder ces bêtes encloses. Non à ces petits mugueteaux, Ces babouins advocasseaux, Qui pour deux ou trois lois rouillées De je ne sais quoi embrouillées, Chevauchent les ânes leurs frères, Avec leurs contenances fières, Mêlant la morgue Italienne, Afin qu'un gros sourcil s'en vienne Les demander en mariage. Ha ventrebieu quel badinage. Non pas, dis-je, à ces mercadins, Ces petits muguets citadins, Ces petits brouilleurs de finances, Qui en banquets, et ris, danses, En toutes superfluités Surmontent les principautés. Mais quant est de nos Gentilshommes, Qui est le propos où nous sommes, Bien qu'on croye toutes bravades Rendre les courages plus fades, Si celui-là qui est plus brave Entendait le battement grave D'un tambourin quasi tonnant, Ou bien d'un clairon étonnant, Il serait mieux encouragé, Et plus tôt en ordre rangé. FLORIMOND. Ainsi le Ciel me soit ami, Si tu ne m'a mis à demi Par ta parole hors de moi . Quoi ? Comment ? Qu'est-ce que de toi Quand tu vas ainsi contestant ? Un docteur n'en dirait pas tant : As-tu tant l'école suivie ? ARNAULT. La meilleure part de ma vie, Et si étais des mieux appris : Mais ores les meilleurs esprits Aiment mieux soldats devenir Qu'au rang des badauds se tenir. Mais comment est-ce que la chose Qu'en venant je tenais enclose, Dont vous m'avez interrogué, Nous a si fort poussés au gué ? Où sommes-nous venus ainsi ? FLORIMOND. Nous nous sommes tous deux ici Oubliés de notre entreprise Toutefois cet oubli je prise : Car l'une est bien plus recouvrable, Que l'autre toujours n'est comptable : Mais tournant bride à tous les dits Reviendrons-nous à notre Alix, Que mon coeur follement adore ? Faut-il que j'y voise desore, Ou bien s'il vaut mieux que par toi Soit faite l'entrée avant moi, Pour voir si tu surprendras point Quelque muguet, qui se soit joint À mon Alix par mon absence ? ARNAULT. Elle est fidèle, que je pense. FLORIMOND. Et quand aucun n'y trouveras ; Au ménage regarderas Pour voir s'elle n'a rien acquis, Si ses habits sont plus exquis Que n'étaient quand je départis. ARNAULT. Sont témoins du nouveau parti. FLORIMOND. Tu noteras bien le visage, Le froid, ou le chaud du courage, Le parler, la joie, ou le dueil, Les caresses, et le recueil Qu'elle montrera. ARNAULT. Laissez faire, Reposez-vous de cette affaire, J'espère encor de faire mieux. FLORIMOND. Et ore que suis ocieux À notre Dame m'en irai, Où pendant me promènerai Faisant la cour à mes pensées. ARNAULT. Qu'elles soient bien caressées : Car c'est le lieu où se retire L'amant, qui serf de son martyre Fait maint regret, comme maint tour. FLORIMOND. Va va. ARNAULT. Je suis jà de retour. SCÈNE III. HÉLÈNE, soeur de l'Abbé. Si l'oeil trompé ne me déçoit, Par la rue au matin passait Florimond, ainsi qu'il me semble : Dont ainsi Dieu m'aime, je tremble, Ayant peur que quelque fortune Soit à quelques-uns importune : Car je connais bien son courage, Impatient de quelque outrage. Il m'avait par longtemps servie, Et me vouait quasi sa vie Mais vaincu par mon chaste coeur De son amour s'est fait vainqueur. Combien qu'outre le dernier point Florimond ne me déplût point ; Et me laissant, comme j'ai su, D'une Alix a été déçu, Fille qu'il pensait avoir seul, Qui faisait de plusieurs recueil : Mêmes avant qu'il eût été Deux jours hors de cette cité, Piquant à la guerre d'Allemagne, Cette maraude, cette cagne, Énamoura l'Abbé mon frère, Si bien qu'elle trouva manière D'arracher de lui mariage. Ô quel horreur, quel cocuage, Un seul mot jamais n'en parlai À mon frère, et toujours celai Qu'il me semblait de l'entreprise. Car je n'étais tant mal apprise Qu'il ne me dût bien faire part De ce qu'il brouillait à l'écart, Pour lui compter la fable toute : Mais ores je suis en grand doute Que de cette badinerie Se naisse aucune fâcherie, Et je vous jure en bonne foi, J'aime mon frère mieux que moi. Or ne lui faut celer rien. Ho ho anda, je le vois bien : La rencontre est tout à propos. SCÈNE IV. Eugène, Hélène. EUGÈNE. J'ai toujours cherché le repos : Mais puisque l'amour est passible, De l'avoir il m'est impossible, Car de mon amour m'absenter Ce me serait la vie ôter. HÉLÈNE. Mon frère, Dieu vous doint bon jour, Vous êtes toujours sur l'amour : Amour vous court par les boyaux, Amour occupe maints cerveaux, Que bien aveuglément démène. EUGÈNE. Ho ho, Ma soeur, qui vous amène ? HÉLÈNE. Puisque sur l'amour étions ores, L'amour que j'ai vers vous, encores Que n'ayez en ce mérité, Que mon coeur soit sollicité De survenir à vos dangers : Car si nous étions étrangers, Vous ne m'eussiez celé vos choses, Tant que vous les avez tenu closes. EUGÈNE. Qu'y a-t-il donc ? HÉLÈNE. N'aimes-vous pas ? EUGÈNE. Et que vous allez pas à pas Me voulez-vous prendre au filet. HÉLÈNE. Vous me l'aviez toujours celé, Mais je l'ai bien su nonobstant : N'aimez-vous pas Alix pourtant ? Sauvez-vous du prochain danger. EUGÈNE. Qu'est-ce donc ? Faut-il tant songer ? HÉLÈNE. Florimond que bien connaissez, Qui mes amours a pourchassés, L'avait aimée devant vous, Mais elle se change à tous coups : Car dès lors qu'il fut départi Elle choisit votre parti. Maintenant il est retourné, Il lui avait beaucoup donné Pour à lui seul la maintenir : Regardez qu'il pourra venir Des amours qu'avez assoupis Pour les vôtres, et qui est pis Du mariage qu'avez fait. EUGÈNE. Ô grand ciel, que t'ai-je forfait ? Veux-tu faire si brave coeur Esclave de quelque malheur ? HÉLÈNE. Ce que je vous dis est certain. EUGÈNE. Ha maugrébieu de la putain. HÉLÈNE. Ne crions point tant en ce lieu, Il faut supplier au grand Dieu Que par lui soit remédié. EUGÈNE. Ah ah vertubieu c'est bien chié. HÉLÈNE. Comment ? Qu'est-ce ci ? Quelle guise ? Voilà un brave homme d'Église. EUGÈNE. L'amour et la douleur extrême Me font absenter de moi-même. HÉLÈNE. Voyez comme il sert les dents : Tout beau, tout beau, entrons dedans, On y pourra remédier : Que gagnez-vous d'ainsi crier, Sinon faire un simple mal double ? Ceci n'est pas un si grand trouble : Florimond s'apaisera bien, Quand il verra qu'il n'y a rien De constance en cette femelle : Il mettra son amour hors d'elle, Ou il en prendra comme une autre Pour l'argent : quant à l'amour vôtre Voudriez-vous aimer désormais Celle-là qui n'aima jamais, Prenez qu'ayez au jeu perdu Ce que vous avez dépendu, Nr soyez pour si peu marri : Quant à Guillaume son mari Il est si très homme de bien, Qu'il ne se souciera de rien. EUGÈNE. Quelque peu soulagé me sens. HÉLÈNE. Entrons. EUGÈNE. Entrons, entrons, le temps Nous offrira quelque remède. HÉLÈNE. Celui vainq' qui au mal ne cède. EUGÈNE. Si est-ce que le coeur en moi Me prédit quelque grand émoi. ACTE III SCÈNE I. Arnault, Florimond. ARNAULT. A a Dieux, qui de notre entreprise, Par celle que notre maître prise, Sommes ores bien détournés ! Nous pourrait-on plus étonnés Rendre jamais tous deux ensemble ? Ô Ciel, ô terre, que te semble De chose tant mal ordonnée ? Toi-même maudit Hyménée Conducteur de trois cocuages Au lieu de tes saints mariages, N'as-tu rougi d'autoriser Ces noces tant à mépriser ? Ô vous, quelconques soyez-vous, Dieux célestes, qui entre tous L'ardeur des pauvres embrasés, De votre ciel favorisez, Voulez-vous ores vous garder De votre foudre en bas darder, Vu que meurtrir il conviendrait Ces transgresseurs de votre droit, Ces moqueurs de votre maîtrise, Laissant la femme mal apprise, Laissant cette infidèle dame ? Dame, mortbieu, vu tel diffame Le nom de dame n'y convient, Laissant la pute qui ne tient Compte de l'amant tant aimable, Lequel d'un vouloir immuable Lui avait dédié sa vie : Mais, peut-être, avez cette envie, Faisant tort au premier lien, Faire tort à l'aise et au bien De ce mien maître gracieux. Mais j'en renie tous les cieux, Si je ne fais tomber en bas Tant de jambes et tant de bras, Que Paris en sera pavé. [Note : Despect : Perte du respect. [L]]En despecte, je suis crevé De dépit qui ne le serait Quand son maître on offenserait ? Ladre Abbé, meurtrier de vertu, Si je m'y mets. Mais quoi ? Veux-tu Pauvre Arnault, sans ton maître faire Ce qui lui pourrait bien déplaire ? En te fâchant tu es venu Jusqu'au lieu où il s'est tenu. Pendant ce malheureux voyage Je gage que nulle autre image, Étant même en ce dévot temple, Que celle d'Alix, ne contemple : Mais quand il saura la nouvelle, [Note : Charbieu : Ce mot désigne une espèce de jurement. [SP]]Ha charbieu qu'il la fera belle, Il m'épouvantera des yeux. FLORIMOND. Je vois entrer tout furieux Mon Arnault. Oy oy, que serait-ce ? On lui a fait peu de caresses, Il en hennit comme un cheval. Et bien Arnault ? ARNAULT. Et bien, mais mal. FLORIMOND. Comment mal ? ARNAULT. Le plus mal du monde. FLORIMOND. Si faut-il que ce mal je sonde, Pour voir s'il est ainsi profond. ARNAULT. Assez pour vous noyer au fond, Si vous ne prenez patience : Mais faites au mal résistance, Et me laisser venger du tout. FLORIMOND. Mortbieu qu'est-ce ? ARNAULT. De bout en bout Je vous compterai le malheur, Moyennant que votre douleur Prenne le frein de la raison. Je suis allé à la maison De votre Alix, où je l'ai trouvée Dès l'heure assez bien abreuvée : Car j'ai bien connu au répondre Que de crainte de se morfondre Elle avait coiffé son heaume, Elle était avec un Guillaume, Ainsi là-dedans on l'appelle, Et autrement le mari d'elle. FLORIMOND. [Note : Sanbieu : Jurement pour sang de Dieu. [SP]]Mari sangbieu. ARNAULT. Laissez-moi dire: Si de tout ne bridez votre ire, Contenez un peu pour le moins : Ils étaient assis aux deux coins De la table, et au bout d'en haut [Note : Brifaud : Gourmand ; enfant mal élevé. Populaire. [L]]Un gros maroufle, un gros brifaut, Dont Messire Jean est le nom. FLORIMOND. Dieu m'y perde j'y vois. ARNAULT. Non non, Laissez-moi de tout souvenir : À ce que j'ai pu retenir, C'est cet Abbé, ce brave Eugène. FLORIMOND. Qui? Le frère de mon Hélène, Que j'ai si longtemps promenée. ARNAULT. C'est lui-même, il l'a donnée À ce Guillaume en mariage. FLORIMOND. Ha Dieu, ha grand Dieu, quel outrage ! Qui me pourra faire enrager, Afin que je puisse venger Cette injure de sorte telle, Qu'il en soit mémoire immortelle ? Ah ah faux amour trop incertain, Ah ah fausse et trop fausse putain, Ah ah traître Abbé, Abbé méchant, [Note : Punais : Qui sent mauvais. Particulièrement. Qui rend par le nez une odeur infecte. [L]]Moine punais, ladre, marchant De tes refrippés bénéfices, A a puant sac tout plein de vices, M'as-tu osé faire ce tort ? T'avais-je fait aucun effort ? Ne m'avait pas sa soeur Hélène Assez tourmenté, sans qu'Eugène Son frère, ains son paillard, je crois, [Note : Desroi : désarroi.]Me vint redoubler ce desroi, Séduisant un pauvre cocu, Pour avoir toujours part au cul Sous une honnête couverture ? Hou que la fin en sera dure. Auquel dois-je premier aller, Il faut aller désétaler De la maison ce qui est mien, Par le grand ciel j'aurai mon bien, Et si serez bien frottés ores, Si bien pis vous n'avez encores, Si je devais fendre la porte J'irai, j'irai de telle sorte Que le mur tremblera d'horreur. ARNAULT. A a que je conçois de fureur, Je suis gros de donner des coups, Si je ne les échine tous Je veux être frotté pour eux. Allez Monsieur. FLORIMOND. Allons tous deux. SCÈNE II. Messire Jean, Eugène, Hélène. MESSIRE JEAN. Tu Dieu je l'ai réchappé belle ! Sentit-on jamais frayeur telle Que ce brave nous la donnait ? Par ses paroles il tonnait, Et mêlant son Gascon parmi Nous faisait pâmer à demi. Encore tant ému j'en suis, Que presque parler je ne puis, Tant qu'il me faudrait emprunter Une autre voix pour raconter À notre Abbé telle vaillance. Mais encor en moi je balance Si je dois faire ce message : Florimond fera beau ménage, Si vers l'Abbé vient une fois. J'aimerais mieux tenir ma voix [Note : Renclore : Il se conjugue comme clore. Enclore de nouveau, ou, simplement, enclore. [L]]À tout jamais en moi renclose, Que de dérober quelque chose : Je suis aux coups trop mal appris. Et ceux-ci seront tous épris, Qu'ils ne pourront être qu'à peine Désenvenimés de leur haine, Que par l'épée vengeresse. [Note : Tromperesse : trompeuse.]Ô espérance tromperesse ! Pourquoi m'avais-tu jusque ici Allaité de ton lait ainsi, Pour tout soudain t'évanouir ? Pourquoi me faisais-tu jouir De tes promesses si longtemps ; Pour me mettre après hots du sens, Et me faire au désespoir proie, M'étranglant d'un cordon de soie ? A a pauvre et deux fois pauvre prêtre, N'eusses-tu pas trouvé bon maître, Qui t'eût nourri, qui t'eût vêtu, Qui t'eût fait ami de vertu, Sans le patelin contrefaire, Et en plaisant à Dieu déplaire, Pour tourner enfin en ma chance Si pauvre et maigre récompense. Adieu les complots et finesses, Adieu adieu larges promesses, Adieu adieu gras bénéfices, Adieu douces mères nourrices, En l'Abbé je n'ai plus d'espoir, Mais que tardai-je à l'aller voir ? «Qui se fait compagnon de l'heur, Se le fasse aussi du malheur.» Mais quoi ? Comment ? D'où vient cela ? Qui a-t-il de nouveau ? Voilà Notre malheureux maître Eugène Qui sort avec sa soeur Hélène. Je pense que si les hauts cieux S'apaisaient des larmes des yeux, Qu'Hélène plus en jettera Qu'il n'en faut quand ell' le saura. EUGÈNE. Mon coeur s'est pris à tressaillir, Je sens quasi ma voix faillir, Ma face est jà toute blêmie, Hélène, soeur et bonne amie, Quand j'ai regardé contreval, Voici l'ambassadeur du mal, Voici mon Chapelain qui vient : À voir la face qu'il nous tient Le malheur jure contre nous. HÉLÈNE. Las mon frère que ferez-vous. Mais las que ferai-je ô fluette ? Que deviendrai-je moi pauvrette ? Resterai-je en ce monde ici, Voyant mon frère en tel souci ? Mon esprit fuira comme vent : Mais je vais courir au-devant, Je veux l'infortune savoir. Messire Jean je puis bien voir Que quelque chose est survenue. MESSIRE JEAN. Les Dieux ont promesse tenue : Après l'heur on sent le malheur, Après la joie la douleur, Et la pluie après le beau temps. HÉLÈNE. Ô Dieu retiens en moi mes sens, Ou je chérrai en pâmoison. EUGÈNE. Que la douleur est grand' prison, Je me sens presque aussi faillir. MESSIRE JEAN. Et vous souliez si bien saillir En votre aise contre les cieux, Et disiez qu'être soucieux En rien ne convenait à vous. EUGÈNE. Ô Jupiter que sommes-nous ! Pouvons-nous rien de nous promettre ? MESSIRE JEAN. Et vous souliez sous le pied mettre Toute inconstance et changement, Vous vantant qu'éternellement Non autre que vous, vous seriez, Et tous les ennuis chasseriez ? Mais il vaut mieux un repentir, Bien qu'il soit tard, que d'amortir La connaissance que Dieu donne Par le malheur de la personne. EUGÈNE. Mais encores laissons nos pleurs, Retenons un peu nos douleurs, Ne donnons point tant à la bouche Que les oreilles on ne touche. Qui a-t-il, dis ? MESSIRE JEAN. Tantôt j'étais Chez Alix où je banquetais Avec Guillaume pour vous plaire, Comme me commandiez de faire, Quand à un instant est entré Un soldat fort bien accoutré D'équipage requis en guerre, Qui voulait mettre tout par terre, Blasphémant tous les cieux, marri D'ouïr nommer ce mot mari. HÉLÈNE. Elle qu'a-t-elle répondu ? MESSIRE JEAN. Toute tremblante elle a rendu Ces réponses, et bien Arnault La plus sainte plus souvent fault : Mais on apaise de Dieu l'ire Quand du deffaut on se retire : L'Abbé mon cousin me voyant En paillardise fourvoyant M'a mise avec cet homme-ci, Avec lequel je vis ainsi Que doit faire femme de bien. Pute (dit-il) je n'en crois rien, Il n'y a point de cousinage, Il t'a mis en ce mariage Pour sûrement couvrir son vice : Mais nous donnerons tel supplice À toi, à ton Abbé Eugène, Et à sa pute soeur Hélène, Qui se venge ainsi de mon maître Que la mémoire pourra être Jusqu'à la bouche des neveux ? Il faisait dresser les cheveux À moi et à Guillaume aussi. HÉLÈNE. Et Guillaume quoi ? MESSIRE JEAN. Tout transi, Étonné de ce cas nouveau Ne sonnait mot non plus qu'un veau : Et l'autre branlant sa main dextre, Enragé va quérir son maître. Et puis votre Alix de crier, Et Guillaume de supplier, Alix détranche ses cheveux, Et Guillaume fait de beaux voeux À tous les saints de paradis. Je suis sûr que les étourdis Vous donneront après l'assaut. HÉLÈNE. Las mon frère le coeur me faut ! EUGÈNE. Las je ne puis rien dire aussi ! Pensons un peu tous à ceci. HÉLÈNE. Mais quel penser ? MESSIRE JEAN. Il ne faut pas Même prochain de son trépas, Abandonner du tout l'espoir. HÉLÈNE. Mais quel espoir ? MESSIRE JEAN. On peut bien voir Que votre coeur n'est point viril. HÉLÈNE. Quel coeur aurais-je ? MESSIRE JEAN. Quel ? Faut-il Tant obéir à la douleur, Qu'on se laisse vaincre au malheur ? Pensons : peut-être que les Dieux Nous conseilleront. EUGÈNE. Il vaut mieux, Puisqu'ainsi le mal nous affole, Qui blesse et l'âme et la parole, Dedans la maison nous retraire Pour mieux éplucher cette affaire. SCÈNE III. Alix, Florimond, Guillaume, Arnaud, Pierre. ALIX. À l'aide. FLORIMOND. Je suis au secours. GUILLAUME. Tout beau, bellement je m'encours, J'en arracherais bien autant. FLORIMOND. Je périsse, tu seras tant Et tant et tant de moi battue. Qui me tient que je ne te tue, Pute, m'as-tu fait tel outrage ? Me fais-tu forcener de rage ? ALIX. Hélas Monsieur pour Dieu merci ! FLORIMOND. Tu n'es pas quitte pour ceci, Toujours se renouvellera La plaie, et en moi saignera : Mais laissons ici la vilaine, Arnault cette maison est pleine De mes biens, qu'il faut emporter. ALIX. Monsieur voulez-vous tout ôter ? ARNAULT. Il aurait même bonne envie De t'ôter ta méchante vie, S'il y pouvait avoir honneur. FLORIMOND. Sus en haut. ARNAULT. Sus donc Monseigneur. FLORIMOND. Laquais trouve des crocheteurs. PIERRE. J'y vais Monsieur, et quant à eux Ils voleront bientôt ici, N'ont-ils pas des ailes aussi ? ALIX. Ô que je suis au monde née Pour être au malheur destinée ! Quel malheur aurait bien envieSur le grand malheur de ma vie ? A a fausse marâtre nature, Pourquoi m'ouvrais-tu ta clôture Pourquoi un cercueil éternel Ne fis-je au ventre maternel ? Mais, las ! Il faut que chacun pense Que toujours telle récompense Suit chacun des forfaits, qui traîne Pour s'acquerre sa propre peine. Sus donc Esprit, sois soucieux : Sus donc, sus donc pleurez les yeux, Ôtez le pouvoir à la bouche De dire le mal qui me touche. ACTE IV SCÈNE I. GUILLAUME. S'il y a eu personne aucune Plus envié de la fortune Et du bonheur, que je suis ores, Je veux être plus mal encores. Hélas, qui eût ceci pensé ! Je ne le crois pas : offensé M'ont en cela des gens de guerre, Et pendant de çà de là j'erre, Que l'on bat ma pauvre Innocente. Suis-je tant sot que je ne sente Quand je suis toujours avec elle Si elle m'est tant infidèle ? Mais quoi ? Elle a jà confessé Que Dieu elle avait offensé Avec Monsieur le gentilhomme : C'était de grand' peur, ainsi commeCeux-là que l'on gêne au palais, Confessent des forfaits non faits. Je ne sais, je n'en sais que dire, Sinon que rendre mon mal pire, D'autant plus que j'y penserai : Par devant l'Abbé passerai, Qui sera, peut-être, à sa porte, À telle fin qu'il me conforte, Encore qu'il soit aujourd'hui La cause de tout mon ennui. SCÈNE II. Matthieu, Créancier, Eugène, Guillaume, Hélène, Messire Jean. MATTHIEU. On m'a maintenant rapporté Qu'on avait à Guillaume ôté Tous les meubles de sa maison : Depuis que l'on prend la toison Il convient au mouton se prendre. Mais où est-il ? Il lui faut rendre Aujourd'hui ce que j'ai prêté, S'il ne voulait être arrêté Dedans l'enfer du Châtelet. Est-il rien au monde si laid Que de frauder ses créditeurs ? Je suis troublé, ces transporteurs Ore m'ont rendu étonné. Aurait-il bien tout façonné Craignant une exécution : Aurait-il fait vendition ? Où le trouverai-je à cette heure, Puisqu'il n'est pas où il demeure ? Chez son Abbé, comme je crois. J'y vais, j'y vais. EUGÈNE. Mais répons-moi, Ont-ils dit qu'ils viendront chez nous Incontinent ? GUILLAUME. Défendez-vous : Car je suis sûr qu'ils le feront, Et s'ils peuvent outrageront. EUGÈNE. Las que dirai-je ? HÉLÈNE. Et que ferai-je ! MESSIRE JEAN. Le malheur prend bientôt son siègeDedans ceux qui n'y pense point. GUILLAUME. Ils me mettront en piteux point, Si lors m'y rencontrent aussi. EUGÈNE. Les Sergents sont-ils près d'ici ? HÉLÈNE. Quoi Sergents ? Laissons ce moyen. MATTHIEU. À la bonne heure je vois bien Mon Guillaume devant la porte De son Abbé, qui le conforte, Peut-être, des biens emportés. Je m'approche. GUILLAUME. De tous côtés Le malheur est mon devancier : Hélas ! Voici mon créancier. HÉLÈNE. Hé qu'il vient à heure opportune Pour soulager votre fortune. MATTHIEU. Et bien Guillaume de l'argent ? HÉLÈNE. Poursuivez-vous un indigent, Êtes-vous forclus d'amitié ? MATTHIEU. La raison chasse la pitié, Il faut payer. HÉLÈNE. Et s'il n'a rien De quoi payer ? GUILLAUME. Il paiera bien :Le corps est de l'argent le pleige. HÉLÈNE. Mais s'il n'a rien ? MATTHIEU. Comme aussi n'ai-je. HÉLÈNE. Son cercueil est-ce la prison ? EUGÈNE. Bien bien, entrons en la maison, On pourra faire quelque chose : Ou bien si rien ne se compose Soyons tous en tout malheureux. MATTHIEU. Je ne suis pas tant rigoureux : Que je n'entre bien avec lui, Pour l'attendre tout aujourd'hui. SCÈNE III. Florimond, Arnault. FLORIMOND. Ô Ciel gouverneur, quel édit Dresses-tu au pauvre interdit De sa liesse coutumière ! Ou quelle ordonnance meurtrière, Quelle bourrelle destinée A ce jour pour moi ramenée ! Le haut Soleil, qui pour couronne, Son chef de mille feux couronne, M'apportait-il jà cet édit, Lorsque laissant le jaune lit A par la grand' lice ordonnée Commencé sa sèche traînée ? Mais quoi ? La fureur me transporte, Mes ennuis m'ouvrent une porte Inconnue à tous mes esprits : Tant que je suis du dueil épris. Je suis mort, je péris, c'est fait, Ma vie avec tout son effet Dépendait de cette amour mienne : Et faut-il ore que je vienne Perdre ce qui me faisait vivre ? Puis après si je veux poursuivre Et venger telle cruauté, La justice est d'autre côté, Qui jà, ce me semble, me chasse, Et mes biens et mon chef menace. Si j'assoupis cette vengeance, Je viendrai sentir telle outrance Que dépit me fera crever. ARNAULT. Ne vous veuillez ainsi grever, Tous ces mots auront guérison. Premier quant est de la poison, Qui tellement vous a déçu, Que, comme vous dites, n'avez su En ce monde vivre sans elle, La contrepoison infidèle A cette poison hors poussée : Quant à la justice offensée, Qui contre vous se lèverait, Quand le faux tour on vengerait : De cela n'ayez peur aucune, Je me hasarde à la fortune. Tout seul demain je m'en irai, Et notre Abbé je meurtrirai. Si je fuis ignorez le cas ; Si je suis pris, dites que pas N'étiez de ce fait consentant. J'aime mieux seul mourir que tant En vous voyant souffrir, souffrir. FLORIMOND. Vraiment c'est bravement s'offrir. ARNAULT. Ainsi l'ire n'assoupirez, Et de dépit ne crèverez. FLORIMOND. Baste baste, laissons ceci, Le mal toujours croît du souci, Fasse la justice du pire, Il me faut dégorger mon ire, Il faut que ce brave mâtin J'occie demain au matin, Me faisant au mal qui me mine Par son sang une médecine. SCÈNE IV. Eugène, Messire Jean. EUGÈNE. Est-il possible que ma bouche Pour me complaindre se débouche ? Est-il possible que ma langue Tire du coeur une harangue, Pour devant le ciel mettre en vue Le mal de l'âme dépourvue ? Non non, la douleur qui m'atteint Toutes mes puissances éteint, Et l'air ne veut point s'entonner, De crainte de s'empoisonner Du dueil en ma poitrine enclos. MESSIRE JEAN. Ô vrai Dieu quels horribles mots ! EUGÈNE. Pour ce qu'il semble que malheur Ait remis toute la douleur De chacun des autres sur moi : Je porte de ma soeur l'émoi, Tant pour sa petite portée, Que pour ce que déconfortée Elle est à tort : car ce monsieur La nomme cause du malheur. De Guillaume non seulement Il me faut porter le tourment, Mais à ce que je vois sa dette. Et combien qu'Alix soit sujette À tromper ainsi ses amis, Mon coeur n'est pas hors d'elle mis ; Je soutiens encor ces travaux, Et puis je porte tous mes maux, Dont l'un est tel que le guérir N'en sera que le seul mourir : Je connais trop bien Florimond. MESSIRE JEAN. Premièrement étonné m'ont Avec leurs mots, comme estocades, Caps de dious, ou estafilades, Ou autres bravades de guerre. Sont de ceux, dont l'un vend sa terre, L'autre son moulin à vent chevauche, Et l'autre tous ses bois ébauche Pour faire une lance guerrière : L'autre porte en sa gibecière Tous ces prés, de peur qu'au besoin Son cheval n'ait faute de foin :L'autre ses blés en vert emporte Craignant la faim, ô quelle sorte Pour braver le reste de l'an ! Vous fâchez-vous des mots de camp : Il faudra pourtant éprouver Tous les moyens pour paix trouver. EUGÈNE. Il le faudra, c'est chose sûre, Ou bien de la mort je m'assure, Je le sais bien. MESSIRE JEAN. Pourvoyez-y. EUGÈNE. Mais laisse-moi tout seul ici Pour quelque peu, j'y rêverai, Retourne après. MESSIRE JEAN. Je le ferai. ACTE V SCÈNE I. Messire Jean, Eugène. MESSIRE JEAN. Déjà trop ici je séjourne, Vers Monsieur ores je retourne, Qu'à son vueil j'ai tantôt laissé À demi, ce semble, insensé, En si triste et malheureux soin : Il ne le faut laisser de loin, De peur que dueil se tourne en rage. EUGÈNE. Ô fortune à double visage, Prospère à ce que j'ai pensé ! MESSIRE JEAN. Avez-vous en vous compassé Moyen de ces maux amortir ? EUGÈNE. Fort bien fort bien, si consentir À son presque mourant Eugène Ne refuse ma soeur Hélène. MESSIRE JEAN. D'elle je m'assure si fort Que jusqu'à l'autel de sa mort S'étend l'amitié fraternelle. EUGÈNE. Tout cet accord ne gît qu'en elle, S'ell' le fait, tant qu'elle vivra Sa vie à elle se devra, Et si je lui devrai ma vie. MESSIRE JEAN. Déjà je brûle tout d'envie De savoir ce que voulez dire/ EUGÈNE. Il faut secrètement conduire Cette chose, afin que l'honneur Offensé, n'offense mon heur : Et n'était que bien je m'assureQue ton oreille sera sûre, Je ne décèlerais la chose Que d'exécuter je propose. MESSIRE JEAN. Une chose à moi récitée, C'est comme une pierre jetée Au plus creux de la mer plus creuse. EUGÈNE. Ô que ma pensée est heureuse, Si ma soeur ébranler je puis ! MESSIRE JEAN. En cela son pleige je suis. EUGÈNE. C'est que comme tu sais assez, Deux ans se sont déjà passés, Depuis que Florimond quitta L'amour qui tant le tourmenta, À l'objet de ma soeur Hélène, Et le quitta à si grand' peine, Qu'il eût voulu que sa santé Eût en la seul mort été. Mais il avait été confus D'un et d'un renfort de refus : Puis l'amour qui tant le pressa, À l'égarade se passa, Las, comme en mon dam j'ai bien su, Avec Alix qui l'a déçu. Mais ore si on lui parlait De ma soeur, dont tant il brûlait, Je suis sûr que non seulement Ensevelirait ce tourment, Mais qu'il rendrait toute sa vie À mon commander asservie . Par quoi je veux prier ma soeur, Que sans offense de l'honneur, Elle le reçoive en sa grâce, Et jouissant elle le fasse. Son honneur ne sera foulé. Quand l'affaire sera celé Entre quatre ou cinq seulement, Et quand son honneur mêmement Pourrait recevoir quelque tache, Ne faut-il pas qu'elle m'arrache De ce naufrage auquel je suis, Et qu'elle-même ses ennuis Elle tourne en double plaisir ? MESSIRE JEAN. Saurait-elle mieux choisir ? Ô que chacun eût ce bonheur, De faire toujours son honneur Un bouclier pour sauver sa vie. EUGÈNE. Elle sera bien ébahie, Quand de ce la viendrai prier. MESSIRE JEAN. Point, laissez la moi manier. Mais quant au créancier comment ? EUGÈNE. Ce m'était tourment sur tourment : Mais cestui est bien plus facile. [Note : Croix : Le côté d'une pièce de monnaie opposé à la face et marqué autrefois d'une croix. Croix ou pile. [L]]Si n'ai-je pourtant croix ni pile. MESSIRE JEAN. Quoi donc ? Il ne faut délayer, C'est cas raclé il faut payer, Ou que Guillaume entre en prison. EUGÈNE. Une Cure en fera raison, On trouvera bien achetant. MESSIRE JEAN. Que trop que trop, il en est tant Par ci par là dans cette ville, Qu'il faudrait mille fouets et mille Pour chasser les marchands du temple. EUGÈNE. Le marché de Rome est bien ample. MESSIRE JEAN. Mêmes il pourrait être ainsi, Que si ce bon créancier-ci Avait enfants, il la vaudrait, Mieux qu'une terre elle vaudrait, Et ne lui coûterait si cher. EUGÈNE. Or sus donc, il faut dépêcher Le premier point : je vais devant. MESSIRE JEAN. Allez donc, je vous vais suivant. SCÈNE II. Guillaume, Matthieu, Hélène, Eugène, Messire Jean. GUILLAUME. Encores que les maux soufferts, Et ceux qui sont encore offerts Me soient griefs, Sire, mon ami, Si est-ce que presque à demi Je suis en ce lieu soulagé. A a que je suis bien allégé D'être sous la tutelle et garde D'un homme tant saint qui me garde. Sire vous ne pourriez pas croire De quel amour il m'aime, voire Jusques à prendre tant d'émoi De venir même au soir chez moi Pour voit si je me porte bien, Il ne souffrirait pas en rien Qu'on nous fît ou tort, ou diffame : Il aime si très tant ma femme, Que plus en plus la prend sous soi. MATTHIEU. Sus donc, courage éveille-toi Mon bon ami, et ne te fâche, Je te ferais quelque relâche, S'il était en moi volontiers : Mais j'ai affaire de deniers. GUILLAUME. Payer faut, ou tenir prison. MATTHIEU. C'est bien entendu la raison : J'aime ces gens qui quand ils doivent, Volontiers le quitte reçoivent. HÉLÈNE. Vos raisons ont tant de pouvoir Sur ce mien débile savoir, Que répondre je ne saurais : Et quand encore je pourrais, Que gagne-t-on de contester Quand on s'y voit nécessiter ? L'amour, Frère, que je vous porte, À ma honte ferme la porte, Voulant contregarder ce jour Nos deux vies par fol amour : Et quand malheur m'en adviendra, Et que tout le monde entendra Que par deux hommes, voire deux, Que chacun estime de ceux Qui sont déjà saints en la terre, Contre ma renommée j'erre, On me tiendra pour excusée, Comme ayant été abusée, Ainsi que femme y est sujette : Et puis l'on dira, la pauvrette N'osait pas son frère éconduire. EUGÈNE. Votre honneur n'en sera point pire. Ceci révélé ne sera : Et au pis quand on le saura, Laissez le vulgaire estimer. Est-ce déshonneur que d'aimer ? HÉLÈNE. Non, comme j'estime en tel lieu : Mêmement ainsi m'aide Dieu, Si Florimond ne m'eût laissée, Et qu'il n'eût Alix pourchassée, La course du temps eût gagné Sur ce mien courage indigné, Et tout ce trouble eût été hors. MESSIRE JEAN. Il vaut mieux maintenant qu'alors : Car après une longue attente Une amour en est plus contente : Et, peut-être, il aura courage De faire après le mariage : Ce vous est un parti heureux. EUGÈNE. Puisqu'il en est tant amoureux, Quand nous serons amis ensemble, J'en serai moyen, ce me semble. HÉLÈNE. Mais de quoi servent tant de coups Pour gagner ce qui est à vous ? Faut-il que gaiement je die, Je suis en même maladie : Il n'y a rien qui plus me plaise, Ore je me sens à mon aise. EUGÈNE. Ô Amour que tu m'as aidé, Aveugle tu m'as bien guidé, D'aise extrême mon coeur tressaut. MESSIRE JEAN. [Note : Parbieu : Sorte de serment burlesque, et cependant inventé par une espèce de modestie pour éviter le véritable serment, Par Dieu. Voir Parbleu. [T]]Parbieu j'en vais faire ce saut. Que reste plus ? EUGÈNE. Rien qu'à cette heure Te transporter en la demeure De Florimond, et l'avertir De cet amour se divertir, Qu'il laisse envers nous toute haine, Qu'il laisse Alix, et qu'on ramène Chez elle ce qu'on lui a pris, Et que s'il a gagné le pris Sus une amante damoiselle, Qu'au moins son aventure il cèle. Après chez Alix t'en iras, Et la faiblette avertiras, Que sommes ensemble rejoints, Sans lui déclarer par quels points. Car quand femme a l'oreille pleine, Sa langue le retient à peine HÉLÈNE. Vois vois. EUGÈNE. Tu n'oublieras aussi Qu'elle vienne souper ici, J'y ferai pourvoir à cette heure. MESSIRE JEAN. Je ferai bien courte demeure. Je vous pri' notez la manière. Mais ne voilà pas un bon frère. Ô Dieu qu'on se frottera bien, Si est-ce que je me retiensQuelque lopin à cette fête. Il faudra que je mette en tête À mon Abbé, de me ranger À quelque osselet pour ronger. SCÈNE III. Eugène, Matthieu, Guillaume. EUGÈNE. Si les prisonniers des enfers Avaient tous débrisé leurs fers, Si Sisyphe était déchargé, Ou si Tantale avait mangé Ce qu'en vain poursuit son désir, Ils n'auraient point tant de plaisir Qu'a maintenant Monsieur Eugène. Ha voilà voilà bonne Hélène, La fraternité se ressemble. Si faut-il que j'assemble ensemble [Note : Anglais : Dans le XVIe siècle, anglois signifiait créancier. [L]]Guillaume et son anglais Matthieu, Pour les accorder en ce lieu. Guillaume, et vous Sire venez, Vous êtes-vous point démenés D'avoir été tous seuls autant ? MATTHIEU. Nenni. EUGÈNE. Vous voulez du content, Je l'entends bien. MATTHIEU. C'est la raison. EUGÈNE. Avez-vous en votre maison Grand nombre de fils ? MATTHIEU. Trois. EUGÈNE. Je prise Ce nombre qui est saint : l'Église En aura-t-elle quelqu'un d'eux. MATTHIEU. J'en ferai de l'Église deux : Car je veux tendre aux bénéfices. EUGÈNE. Toutes choses me sont propices. Or ça si j'avais d'aventure Quelque petite cure Valant six vingt livres de rente. MATTHIEU. Dites-le moi, mettez en vente, Je mettrai dessus mon denier. GUILLAUME. Comment, Monsieur, il est banquier, Il en fait tous les jours trafique. EUGÈNE. Il en entend mieux la pratique. Que me voulez-vous donner or' ? MATTHIEU. Deux beaux petits cent écus d'or, Sur lesquels je me payerai. EUGÈNE. Allez les quérir, je ferai Tandis au souper donner ordre. Mon ami Guillaume il faut mordre, Et mon argent était failli. Or ça tu étais assailli Ce jour de tous côtés sans moi, Je t'ai mis hors de tout émoi : Tes meubles rendus te seront, Tes créditeurs se payeront, Ta femme fera paix aussi À Florimond. GUILLAUME. Hé grand merci Monsieur, je suis du tout à vous. EUGÈNE. Il faut maintenant qu'entre nous Tout mon penser je te décèle : J'aime ta femme, et avec elle Je me couche le plus souvent. Or je veux que dorénavant J'y puisse sans souci coucher. GUILLAUME. Je ne vous y veux empêcher, Monsieur je ne suis point jaloux, Et principalement de vous : Je meure si j'y nuis en rien EUGÈNE. Va va tu es homme de bien. SCÈNE IV. Florimond, Arnault. FLORIMOND. Ô Dieux, quel astre en ma naissance Me reçut dessous sa puissance ! Mais astre le plus gracieux Qu'il soit (ô Dieux) en tous vos cieuxDe quel lieu prendrai-je la voixPour louer mon heur cette fois ? N'ai-je peur que mon coeur se noie En l'abondance de ma joie ? Rien plus au monde ne me fault : Mais las, voici mon bon Arnault : Ô Dieux quelle chère il fera, Ô Dieux comment il vous louera. Arnault, ho Arnault. ARNAULT. Qui est l'homme ? FLORIMOND. Arnault viens cà, viens voir la somme De tous mes malheurs mise au bas. ARNAULT. Monsieur je ne vous voyais pas. Qui a-t-il de nouveau ? FLORIMOND. Tout bien. Tu pétilleras de l'heur mien Quand tu le sauras une fois. ARNAULT. Je pétille jà. FLORIMOND. De ma voix Il ne pourrait être exprimé. ARNAULT. Mais tâchez-y. FLORIMOND. Je suis aimé. ARNAULT. De qui ? FLORIMOND. D'Hélène ma maîtresse. ARNAULT. [Note : Idalien : Appartenant ou issu du nom de montagne. Ida. Il y a eu anciennement deux montagnes célèbres de ce nom, l'une en l'Asie mineure, près de la ville de Troie, célèbre par le jugement de Paris. [T] Il s'agit de Vénus, la déesse de l'amour.]Ô Idalienne Déesse, Saintement je t'adorerai. FLORIMOND. Avec elle je souperai Nous coucherons tous deux ensemble. ARNAULT. De crainte et de joie je tremble : De joie pour ce bonheur-ci : De crainte, qu'il ne soit ainsi. FLORIMOND. Si est : l'Abbé m'a fait ce tour ARNAULT. Jamais n'ait un seul mauvais jour. Le discord s'est bien tôt tourné À l'amour d'en haut destiné. FLORIMOND. A a que ne suis-je mort ! Disais. Hé que n'ai-je servi de proie À d'Anvilliers ou à Ivoye ; Comme deux serviteurs du Roi, D'Estauge et son frère d'Angluse ! Plus en tels mots je ne m'abuse : Ains sans fin vivre je voudrais (Ô Amour) dessous tes saints droits. Mais quoi ? Déjà la nuit s'approche, Le souper se met hors de broche : Allons, ne faisons point attendre. SCÈNE V. Alix, Messire Jean, Florimond, Arnault, Eugène, Hélène, Guillaume, Matthieu. ALIX. Tout ce que me faites entendre Messire Jean, est-il certain ? MESSIRE JEAN. Rien n'est plus sûr. ALIX. Ô Dieu hautain, Tu m'as bien tôt mieux fortunée, Que je ne me disais mal née ! Mais puisque chose tant heureuse Survient à moi peu vertueuse, À jamais ma foi je tiendrai, À nul autre ne me rendrai, Sinon qu'à l'Abbé votre maître. MESSIRE JEAN. Vous ferez bien, et foi de prêtre Vers vous quasi serf il se rend, Son propre vouloir enserrant Prisonnier pour le vôtre suivre : Mais marchez d'un pied plus délivre. FLORIMOND. Voilà l'Abbé et mon Hélène Devant la porte, mais à peine Ai-je pu mon Hélène voir. Sans m'absenter de mon pouvoir. Saluons-les, bonsoir Monsieur. ARNAULT. Bonsoir à tous. FLORIMOND. Et vous mon heur, Si fort je me sens embraser, Que je voudrais que ce baiser Me dût durer jusqu'à demain. EUGÈNE. Çà ma soeur baillez-moi la main, Et vous Monsieur avecques elle, Jurant une amour éternelle À qui le temps ne fera rien. FLORIMOND. A a Monsieur je le veux trop bien. HÉLÈNE. Le voilà donc tout arrêté. EUGÈNE. Je vois venir de ce côté Notre Alix. GUILLAUME. Ô qu'elle est joyeuse. HÉLÈNE. Elle rit de sa paix heureuse Avec Messire Jean. EUGÈNE. Voici Matthieu qui vient de cestui-ci. HÉLÈNE. Hâtez-les. EUGÈNE. Venez ho venez, Que lâchement vous promenez. ALIX. Dieu vous donne le bon soir à tous. MESSIRE JEAN. Bon soit Messieurs. MATTHIEU. Bon soir. EUGÈNE. À vous. Voici une gentille bande. ALIX. Monsieur quelle faveur trop grande Vous m'avez fait en ce pardon. FLORIMOND. Merciez Monsieur de ce don, Et lui vouez pour désormais Un fidèle amour à jamais. GUILLAUME. Monsieur pour elle grand merci, M'amie faites bien ainsi. EUGÈNE. Sus entrons, on couvre la table, Suivons ce plaisir souhaitable De n'être jamais soucieux ; Tellement même que les Dieux À l'envi de ce bien volage, Doublent au Ciel leur saint breuvage. Adieu, et applaudissez. ==================================================