******************************************************** DC.Title = PAUL ET PAULINE DC.Author = HERVIEUX, Léopold DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/06/2023 à 06:10:57. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/HERVIEUX_PAULPAULINE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57145050 DC.Source.cote = BnF LLA YF-11519 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** PAUL ET PAULINE COMÉDIE EN UN ACTE, EN VERS. 1867. par Léopold HERVIEUX. PARIS, Typ. Morris et COmp. rue Amelot, 64.. PERSONNAGES MONSIEUR VALBRAY. PAULINE. PAUL. Texte extrait de "Théâtre Complet", Léopold Hervieux, Paris, Libraire Dramatique, 1867, pp 272-305 PAUL ET PAULINE SCÈNE PREMIÈRE. Monsieur Valbray, Pauline. MONSIEUR VALBRAY. Ma fille, il faut aller refaire ta toilette. PAULINE. Pour ce matin je crois qu'elle est assez complète. MONSIEUR VALBRAY. C'est vrai, ma chère enfant, et tu n'as pas besoin,Pour éblouir mes yeux, d'y mettre tant de soin ;Mais, comme moi, le monde a-t-il les yeux d'un père , PAULINE. Le monde ! Êtes-vous bon de songer à lui plaire ?Moi, de ses jugements je ne prends nul souci. MONSIEUR VALBRAY. Je ne t'entendrai pas parler toujours ainsi. PAULINE. Et moi, je crois qu'avant de changer de langage,De jamais en changer j'aurai dépassé l'âge. MONSIEUR VALBRAY. De semblables propos ne te conviennent pas.Va t'habiller. PAULINE. J'y vais, mon père, de ce pas.Mais pourquoi ce matin faut-il que je m'habille ?Attendez-vous déjà des amis ? MONSIEUR VALBRAY. Non, ma fille.J'attends tout simplement un peintre de portraits, Que, pour faire le tien, je fais venir exprès. PAULINE. Mon portrait ! Je le vois, dans votre amour extrême,Il vous faut mon image à défaut de moi-même.Et me couvant toujours dEs yeux comme un trésor,Absente? vous voulez me contempler encor. Ah ! Que vous êtes bon, et quelle douce ivresseRépand dans tout mon être une telle tendresse ! MONSIEUR VALBRAY. Oui, ma fille, je t'aime, et ta félicitéEst le seul bien que j'aie ici-bas souhaité.Mais fais trêve un instant à ton élan candide ; Car tu n'as pas compris le motif qui me guide. PAULINE. Quel est donc ce motif ? MONSIEUR VALBRAY. Je veux te marier. PAULINE. Avez-vous donc juré de me contrarier,Mon père ? Et,quand, depuis trois mois, je vous répèteQue pour me marier je ne me sens point faite, Pourquoi sur ce sujet sans cesse revenir ? MONSIEUR VALBRAY. C'est qu'un peu mieux que toi je lis dans l'avenir.Un homme peut toujours songer au mariage ;Mais une fille est loin d'avoir cet avantage. PAULINE. Et qu'est-ce que cela peut lui faire, après tout, Quand pour le mariage elle n'a point de goût ? MONSIEUR VALBRAY. Le goût change à ton âge ; aujourd'hui ce qui charmeNe sera plus demain qu'une cause d'alarme.Écoute mes conseils et tu m'en sauras gré. PAULINE. Non, moi père, jamais je ne me marierai. MONSIEUR VALBRAY. Mais que feras-tu donc, et quelle est ton envie ? PAULINE. Sans souci, près de vous je passerai ma vie. MONSIEUR VALBRAY. Pourquoi former ainsi des projets superflus ?Tu seras jeune encor, quand je ne serai plus ;Et si je te laissais, en mourant, vieille fille, Tu serais condamnée à rester sans famille ;Tu n'aurais après moi nul parent qui pourraitDiminuer le vide où ma mort te mettrait. PAULINE. Que voulez-vous me dire ? Expliquez-vous, mon père. MONSIEUR VALBRAY. Tu connais la moitié de ce triste mystère ; Je dois t'en achever la révélation.Écoute-moi, ma fille, avec attention. PAULINE. J'attends. MONSIEUR VALBRAY. Je suis ton père, et dans mon coeur je trouvePour toi des sentiments qu'un père seul éprouve.Mais de la parenté qui nous unit tous deux La nature a formé toute seule les noeuds.Pour apprendre le droit et voir la capitale,À vingt ans je partis de ma ville natale ;Je rencontrai ta mère ; elle avait les attraitsQue je retrouve encore aujourd'hui dans tes traits ; Et lorsque je te vois ou pleurer ou sourire.Pour moi c'est elle encor qui rit ou qui soupire.Je l'aimai, je lui fis l'aveu de mon amour ;Elle y crut et bientôt le paya de retour.Ma famille, en faisant épier ma conduite, De cette liaison fut promptement instruite ;Elle voulut la rompre, et fit tous ses effortsPour me faire cesser ces coupables rapports.Ta mère, sans murmure, offrant de s'y résoudre,De mon amour pour elle ainsi se fit absoudre, Et depuis ce moment, pendant près de neuf ans,Nous vécûmes tous deux sans autre contre-temps.Auprès d'elle j'aurais passé ma vie entière ;Mais il fallait enfin choisir une carrière.Ma famille y songea : par un ordre fatal Elle me rappela dans mon pays natal ;J'obéis, et, n'osant voir sa douleur amère,La nuit, furtivement, j'abandonnai ta mère...Sans pleurer aujourd'hui je ne puis y penser. PAULINE. Mon père, je suis là pour vous la remplacer ; Calmez votre chagrin. MONSIEUR VALBRAY. J'aurais mieux fait peut-êtreDe garder le secret que je t'ai fait connaître. PAULINE. Non, mon père, achevez ; car le temps est venuDe ne plus me laisser ce secret inconnu. MONSIEUR VALBRAY. Je poursuis : à Rouen mon père était notaire ; Son office était bon ; je le pris pour lui plaire,Et peu de temps après, j'eus beau me récrier,Pour lui complaire encor, je dus me marier.Entre les mains de Dieu je mis mes destinées,Je m'armai de courage, et pendant dix années Je remplis chaque jour avec un soin jalouxMes devoirs de notaire et mes devoirs d'époux.Mais, tout en demeurant à mes devoirs fidèle,Je pensais à ta mère et n'aimais toujours qu'elle. PAULINE. Enfin qu'arriva-t-il ? MONSIEUR VALBRAY. Ma femme, après ce temps Mourut subitement, sans me laisser d'enfants.Depuis longtemps déjà j'avais perdu mon père ;Rien ne m'empêchait plus d'aller revoir ta mère.À mon principal clerc aussitôt, à vil prix,Je cédai mon étude, et partis pour Paris... Mais ce soir seulement je t'apprendrai le reste ;En parlant, j'oubliais que l'heure fuit sans cesseEt que, s'il est exact, ici dans peu d'instantsNous allons voir entrer l'artiste que j'attends. PAULINE. Quoi ! Vous n'achevez pas? MONSIEUR VALBRAY. Non ; mais, tu peux me croire, Je te dirai tantôt la fin de cette histoire.Va donc t'habiller. PAULINE. Soit. Mais je n'irai qu'autantQue vous m'expliquerez pourquoi vous tenez tant,Quand vous me possédez près de vous en nature,À voir encor mes traits reproduits en peinture. MONSIEUR VALBRAY. Je n'en ai vraiment pas maintenant le loisir ;Mais bientôt je pourrai me rendre à ton désir. PAULINE. Non, ce n'est pas bientôt, c'est sur-le-champ, mon père,Que de vous je désire apprendre ce mystère. MONSIEUR VALBRAY. Mais, quand je te promets... PAULINE. Non, c'est un parti pris ; Je ne bougerai point que je ne l'aie appris. MONSIEUR VALBRAY. Eh bien, puisqu'il le faut, je m'en vais te te dire. PAULINE. J'écoute. MONSIEUR VALBRAY, à part. Que le ciel en ce moment m'inspire ! PAULINE. Vous dites ? MONSIEUR VALBRAY. À Rouen, grâce à mes fonctions,Je m'étais fait jadis maintes relations. J'en ai gardé beaucoup, et je pense, ma fille,Que pour toi dans le sein d'une bonne famille,J'ai, grâce à Dieu, trouvé le mari qu'il te faut. PAULINE. Ne vous ai-je pas dit déjà mon dernier mot ?Faut-il vous répéter ?... MONSIEUR VALBRAY. Avant de rien conclure, On veut par ton portrait connaître ta figure.Rien n'est plus naturel. PAULINE. Faut-il donc vous crierQue je ne me sens point prête à me marier ? MONSIEUR VALBRAY. Par ton entêtement à la fin tu m'obsèdes ;Bon gré mal gré, ma fille, il faudra que tu cèdes. À ne plus t'écouter je suis bien résolu ;Quatre ou cinq bons partis déjà ne t'ont pas plu ;À tes caprices vains je ne veux plus me rendre ;Un dernier se présente, il te faudra le prendre. PAULINE. Je ne le prendrai pas. MONSIEUR VALBRAY. Et je te réponds, moi, Qu'il te faudra le prendre, ou bien dire pourquoi,Et tout à l'heure ici, lorsque viendra l'artiste,Devant lui tu feras un visage moins triste. PAULINE. Vous vous moquez de moi, je ne poserai pas. MONSIEUR VALBRAY. Tu poseras, te dis-je, et tu me céderas. PAULINE. Non. MONSIEUR VALBRAY. Tu lui souriras. PAULINE. Non. Je ferai la moue. MONSIEUR VALBRAY. De moi je n'entends pas que ma fille se joue. PAULINE. Moi, j'entends n'écouter que mon goût. MONSIEUR VALBRAY. Le voici !Ne songeons plus à rien. PAULINE. Je m'en vais. MONSIEUR VALBRAY. Reste ici. SCÈNE II. Les mêmes, Paul. MONSIEUR VALBRAY, rappelant sa fille. Pauline ! PAULINE, apercevant Paul. Ah !... MONSIEUR VALBRAY, à Pauline. Qu'as-tu donc ? Bonjour, Monsieur l artiste. PAUL. Monsieur, je vous salue. MONSIEUR VALBRAY. Une nouvelle tristeTout à l'heure nous a tous deux mis en émoi.Nous en sommes encor troublés, ma fille et moi;Vous nous excuserez ? PAUL. Non, c'est moi qui regretteDe rendre ainsi chez vous ma présence indiscrète. Mais si vous le souffrez, je puis me retirer. MONSIEUR VALBRAY. Vous n'êtes point de trop, et pouvez demeurer.Permettez seulement que, pour changer de robe,Un instant à vos yeux ma fille se dérobe.Va t'habiller, Pauline, et reviens promptement. PAULINE. J'y vais. PAUL. Il n'est besoin d'aucun ajustement ;- Restez, Mademoiselle. MONSIEUR VALBRAY. En ce cas, à l'ouvrage Bas à Pauline.Et toi, ma chère enfant, désormais sois plus sage,Et, puisque je ne cherche et ne veux que ton bien,Laisse-toi diriger, sans t'alarmer de rien. PAULINE, bas à monsieur Valbray. Je voudrais à vos voeux être toujours docile. MONSIEUR VALBRAY, bas à Pauline. En moi sois confiante, et ce sera facile.Allons, n'en parlons plus. Haut.Vous pouvez commencer,Monsieur. PAUL. Dans ce fauteuil voulez-vous vous placer,Mademoiselle ? - Bon ! - Tenez-vous sans contrainte. PAULINE. De cette façon ? PAUL. Oui. - Regardez-moi sans crainte. PAULINE. Ainsi. PAUL. Très bien. - Donnez à vos yeux plus de feu.- Tout en me regardant, veuillez sourire un peu.- C'est cela; sans effort gardez cette posture. MONSIEUR VALBRAY, à Pauline. Que l'art peut ajouter de charme à la nature! Jamais je n'avais vu tes attraits gracieuxSi bien qu'en cette pose où tu ravis mes yeux. PAULINE. Ne parlez pas, mon père, ou parlez d'autre chose;Autrement vous allez me gêner dans ma pose. MONSIEUR VALBRAY. Oui-dà ; quel changement vient de se faire en toi ? Te voilà maintenant plus sage encor que moi.Au fait, je ne dois pas y trouver à redire,Et, pour ne point parler du tout, je me retire.Au surplus, voici l'heure où mon courrier m'attend ;Je vais le faire, et suis à toi dans un instant. SCÈNE III. Paul, Pauline. PAUL. Si vous vous sentez lasse, il n'est rien qui s'opposeÀ ce que nous fassions une légère pause. PAULINE. Je suis infiniment sensible à tant de soin,Monsieur ; mais de repos je ne sens nul besoin. PAUL. Si je me suis trompé, veuillez, Mademoiselle, Excuser une erreur qui vous prouve mon zèle. PAULINE, baissant les yeux. Vous êtes excusé, Monsieur ; ne craignez rien. PAUL. J'ai vu que vous quittiez votre premier maintien,Et j'ai cru que c'était un peu de lassitudeQui vous faisait ainsi changer votre attitude. Mais, puisque j'avais pu me faire illusion,Reprenez, s'il vous plaît, votre position. PAULINE. Suis-je ainsi comme il faut ? Veuillez bien me le dire. PAUL. Vous n'êtes pas encor comme je le désire. PAULINE. Comment donc me tenir ? PAUL. Je vous trouverais mieux, Si vous vouliez lever davantage les yeux.- Vous les baissez toujours ? Se levant. De votre résistanceHélas ! Je comprends trop ce qu'il faut que je pense.Mais depuis trop longtemps je sens brûler mon coeur,Pour que je puisse encore en étouffer l'ardeur, Et dussé-je à jamais encourir votre blâme,Il faut que je me livre aux élans de mon âme,Je me confie enfin à vous entièrement. PAULINE, se levant. Que veut dire, Monsieur, un tel égarement ? PAUL. Me le demandez-vous ? Devant un tel délire Ne comprenez-vous pas ce que cela veut dire ?Et ne savez-vous pas que, depuis six longs mois,Je ne puis m'empêcher de frémir chaque foisQu'à travers les carreaux de ma pauvre fenêtreJe vous vois vers le soir à la vôtre paraître. PAULINE. Vous oubliez, Monsieur, en me parlant ainsi,Le but qui seul a dû vous amener ici. PAUL. Ce but était fictif; je n'en ai point eu d'autreQue de pouvoir enfin ouvrir mon coeur au vôtre.Je savais que le ciel, par un arrêt cruel, Avait mis entre nous un abîme éternel,Et qu'alors que j'étais sans argent ni famille,Un père fortuné vous appelait sa fille.Mais ce profond abîme, existant entre nous,N'a pu me détourner de venir jusqu'à vous. Souvent de ma fenêtre en vos yeux j'ai cru lireQue vous étiez sensible à mon affreux martyre,Et je n'ai point voulu décider de mon sortAvant d'avoir été par vos mains mis à mort. PAULINE. Vous parlez de mourir. Ce n'est point à votre âge Qu'il est permis, monsieur, de tenir ce langage. PAUL. Et, moi je vous le jure ici sur mon honneur,Si mon amour a pu pénétrer votre coeur,Il n'existera point au monde de barrièreQue pour vous posséder je ne mette en poussière. Mais, si vous me laissez juger que mon amourNe doit être par vous payé d'aucun retour,Il faudra, toute joie alors m'étant ravie,Que de mes propres mains je m'arrache la vie.Vous m'avez entendu : décidez de mon sort. PAULINE. Eh bien, je ne veux point vous livrer à la mort ! PAUL. Ciel ! Ai-je bien compris ? Vous m'aimez ? C'est vous-mêmeQui me le déclarez en cet instant suprême ?Vous m'aimez ? PAULINE. Hé bien, oui. PAUL. J'étouffe de bonheur. PAULINE. Lorsque l'amour est pur, une fausse pudeur Ne doit pas arrêter les élans qu'il inspire.Je sais que j'aurais dû, sans hésiter, vous direDe quel amour mon coeur se sentait possédé :Au préjugé commun, malgré moi, j'ai cédé,Et maintenant encore, tandis qu'à vous je m'ouvre, J'ai peine à surmonter la honte qui me couvre.Près de mon père ayant vécu jusqu'à ce jour,Je n'ai jamais parlé la langue de l'amour.Vous m'excusez, Monsieur ? PAUL. Que parlez-vous d'excuse,Lorsqu'en me dévoilant un coeur exempt de ruse, De plus parfait bonheur vous me faites jouir ? PAULINE. Il ne faut pas pourtant vous laisser éblouir ;Il va contre vos voeux surgir bien des obstacles. PAUL. Pour en venir à bout, je ferai des miracles ;Faites-les-moi connaître, et j'en triompherai. PAULINE. Mon père a disposé de moi contre mon gré,Et ce portrait, qu'ici vous êtes venu peindre,Il est pour un rival que vous avez à craindre. PAUL. Un rival ! PAULINE. Calmez-vous. Je ne souffrirai pasQu'un autre unisse aux miens ses jours jusqu'au trépas. PAUL. C'est peu que votre père à vos dégoûts se rende,Il faut qu'à nos désirs encore il condescende.Mais comment parvenir à son adhésion ? PAULINE. Nous songerons plus tard à cette question.Pour le moment, je crois, le parti le plus sage Est d'aller sur-le-champ nous remettre à l'ouvrage :Mon père à tout instant peut revenir ici,Et tout serait perdu, s'il nous voyait ainsi. PAUL. Soit ! - Alors reprenez votre ancienne posture.Je vais pour mon rival peindre votre figure. Mais, puisque je me vois maître de votre coeur,Je puis vous assurer aujourd'hui, sur l'honneur,Qu'avant même d'avoir achevé de vous peindre,Cet homme pour nos voeux ne sera plus à craindre. PAULINE. Puisse votre serment du ciel être entendu ! Mais réparons le temps que nous avons perdu. PAUL. Oui. Une pause. PAULINE. Vous ne faites rien ? PAUL. Non. C'est que sans colère,En le représentant l'aveuglement d'un pèreQui, lorsque pour sa fille il choisit un mari,Regarde s'il est riche et non s'il est chéri. PAULINE. Que voulez-vous ? Mon père aux préjugés se fie ;Il faut n'accuser qu'eux, lorsqu'il me sacrifie.Le voici ; ne laissez surtout paraître rien. SCÈNE IV. Les mêmes, Monsieur Valbray. MONSIEUR VALBRAY. Eh bien ! Ma chère enfant, as-tu par ton maintienDe ton peintre rendu la tâche plus légère ? PAULINE. J'ai fait tout mes efforts à cet effet, mon père. MONSIEUR VALBRAY. Et vous, mon cher monsieur, m'en direz vous autant,Et de votre modèle êtes-vous bien content ? PAUL. Certes, Mademoiselle, au cas de réussite,Pourra s'attribuer presque tout le mérite. MONSIEUR VALBRAY, regardant la toile. Le portrait cependant n'est pas très avancé. PAUL. Ah ! C'est que par trois fois je l'ai recommencé.Mademoiselle m'offre un rare caractère ;Je voudrais bien le rendre, et je n'y parviens guère ;Mais j'y réussirai, j'en suis sûr. MONSIEUR VALBRAY, se refroidissant. Je vous crois ; Mais en voici, Monsieur, assez pour cette fois.Pour ne pas abuser de votre complaisance,Je renvoie à demain la seconde séance. PAUL. Ne craignez pas, Monsieur, d'abuser de mon temps ;En ce moment je suis maître de mes instants, Et, si l'achèvement presse le moins du monde,Je pourrai dès ce soir vous donner la seconde. MONSIEUR VALBRAY. Je vous suis obligé, Monsieur ; mais, entre nous,Je songeais à ma fille en même temps qu'à vous ;Je songeait qu'éprouvant un peut de lassitude Elle n'eut plus ce soit toute son aptitude. PAULINE. Vous pensez trop, mon père, à ma tranquillité ;Je peux poser encore avec facilité.- Monsieur peut revenir ce soir, s'il le désire. PAUL. À ce que vous voudrez je suis prêta souscrire. MONSIEUR VALBRAY. D'accord ! - Monsieur, à moins de quelque contre-temps,Vers quatre heures, ce soir, monsieur, je vous attends. SCÈNE V. Monsieur Valbray, Pauline. MONSIEUR VALBRAY, à part. J'entrevois un secret qu'il faut que je pénètre ;Tâchons de l'éclaircir sans laisser rien paraître. Haut.Mon récit, lorsqu'ici l'artiste est arrivé, A dû, tu t'en souviens, rester inachevé PAULINE. C'est vrai ; j'avais, mon père, oublié cette histoire. MONSIEUR VALBRAY. Tu ne me parais pas avoir bonne mémoire. PAULINE. J'en conviens, mais... MONSIEUR VALBRAY. Mais quoi ?... PAULINE, à part. Je suis folle vraiment.Qu'allais-je dévoiler ? MONSIEUR VALBRAY. Parle-moi nettement, Ma fille ; que dis-tu ? PAULINE. Je dis que c'est ma poseQui d'un pareil oubli doit seule être la cause. MONSIEUR VALBRAY. Soit. - Comme pour ma part je n'ai pas oubliéQue tantôt ma promesse envers toi m'a lié,Je me fais un devoir d'y demeurer fidèle. Puissé-je, à cet égard, te servir de modèle ! PAULINE. Ce reproche m'afflige ; aussi, pour l'éviter,Veux-je dorénavant ne plus le mériter. MONSIEUR VALBRAY. Je vais mettre bientôt ta constance à l'épreuve. PAULINE. De ma constance alors vous acquerrez la preuve. MONSIEUR VALBRAY. C'est ce que nous verrons. PAULINE. Soit. Mais j'attends toujoursQue de votre récit vous repreniez le cours.D'en connaître la fin je serais bien contente. MONSIEUR VALBRAY. Et moi, je ne veux pas prolonger ton attente ;Écoute donc. PAULINE. J'attends. MONSIEUR VALBRAY. De retour à Paris, Je courus, sans tarder, aux lieux toujours chérisOù j'avais savouré, dans les bras de ta mère,Un bonheur pour tous deux beaucoup trop éphémère.Pauline (elle portait ainsi que toi ce nom)Avait depuis longtemps déserté la maison. Du portier d'autrefois un autre avait la place ;De ta mère il ne put me donner nulle trace.Il m'apprit seulement que son prédécesseurAvait aux Quinze-Vingts l'asile du malheur.Cette indication me rendit l'espérance : Je dirigeai mes pas vers ce lieu de souffrance.Mon vieux concierge était encore à l'hôpital.Il m'apprit que, huit mois après le jour fatalOù j'avais délaissé furtivement ta mère,Par elle à mon insu j'étais devenu père. C'est à toi que son sein avait donné le jour... PAULINE. À moi ! C'est moi qui fus le fruit de cet amour ?De ces tristes liens c'est moi que Dieu fit naître ?Quel terrible secret vous me faites connaître !Achevez cependant : grâce à votre récit, L'énigme du passé devant moi s'éclaircit. MONSIEUR VALBRAY. Réduite au désespoir par ma conduite lâche,Ta mère se sentit trop faible pour sa tâche.Elle te déposa dans le séjour d'horreurOù se jettent les fruits du vice et de l'erreur. Puis, après quelques mois passés dans la détresse,Elle-même finit par mourir de tristesse.Ma fille, excuse-moi de ta laisse tout voir :Je ne puis maintenant encore, sans m'émouvoir,Me rappeler la peine et la fin de ta mère... PAULINE. Mon père, je comprends votre douleur amère.De ma mère à jamais il faudra vous passer ;Que ne suis-je pas là pour vous la remplacer ? MONSIEUR VALBRAY. Que tu me fais de bien et que tu me consolesPar l'essor spontané de tes bonnes paroles ! Tu me rends, cher enfant, la force d'achever. PAULINE. Parlez ; il ne faut pas craindre de m'éprouver. MONSIEUR VALBRAY. À peine avais-je pu découvrir cet indice,Que déjà je prenais le chemin de l'hospiceOù vivent ces enfants que, par un saint effort, La charité publique a sauvés de la mort.Je t'y cherchai : bientôt ton âge, ta figure,Ton nom, peut-être aussi le cri de la nature,Tout sans peine me fit voir en toi mon enfant.Dans mes bras aussitôt je te pris triomphant ; Je t'emportai chez moi ; là, pendant dix années,Le soin de ton bonheur a rempli mes journées,Et dans le vif amour, au mien par toi rendu,J'ai presque retrouvé ce que j'avais perdu. PAULINE. C'est donc là le secret de ma triste naissance ! Je puis donc maintenant lire dans mon enfance,Et j'y distingue enfin ce que toujours mes sensÉtaient à pénétrer demeurés impuissants ! MONSIEUR VALBRAY. Il ne faut pas qu'au moins cela te désespère ;Rien n'est changé pour toi : je suis toujours ton père. PAULINE. J'ai du coeur, et je n'ai besoin d'aucun effort,Pour m'aider à lutter contre les coups du sort :Je songe uniquement à la reconnaissance,Que m'inspire l'excès de votre confiance.Sur l'heure je voudrais pouvoir vous le prouver. MONSIEUR VALBRAY. Puisqu'il en est ainsi, je m'en vais l'éprouver. PAULINE. Dites. MONSIEUR VALBRAY. Ce que de toi je désire en revanche,C'est qu'à son tour ton âme en la mienne s'épanche,Et qu'elle veuille bien à moi se laisser voir.Conte-moi tes secrets. PAULINE. Quels secrets puis-je avoir ? Vivant auprès de vous, je n'ai point de penséeQui par moi ne vous soit à chaque instant versée. MONSIEUR VALBRAY. Tu t'abuses, ma fille, ou tu veux m'abuser ;À ton âge le coeur ne sait se maîtriser. PAULINE. Rien ne vous autorise à me croire si folle, Mon père. MONSIEUR VALBRAY. Mon enfant, tu tiens mal ta parole. PAULINE. Que vous ai-je promis ? MONSIEUR VALBRAY. Tu m'as fait le sermentDe ne plus oublier aucun engagement. PAULINE. À quel engagement ai-je omis de me rendre ? MONSIEUR VALBRAY. À celui que je t'ai tacitement fait prendre, Quand tout à l'heure encor, ton coeur, en m'entendant,De mes plus chers secrets s'est fait le confident.Ne vous faites jamais le confident d'un autreSi vous ne voulez pas qu'il devienne le vôtre ;Si vous n'avez pas cru devoir vous récuser, Vous n'êtes plus en droit de lui rien refuser. PAULINE. Lorsque le confident est sans pensée intime,Il devient malaisé d'appliquer la maxime. MONSIEUR VALBRAY. Sans doute ; mais ce cas est loin d'être celui,Que je te crois, ma fille, applicable aujourd'hui. Si tu voulais avoir un peu de confiance,Tu me confirmerais bientôt dans ma croyance.Parle sincèrement. Que peux-tu redouter ?Un père n'est-il pas fait pour tout écouter ? PAULINE. Je ne crains rien, mon père, et cependant je n'ose. Malgré tout mon désir, vous avouer la chose. MONSIEUR VALBRAY. Si c'est moi par hasard qui te gêne, en ce cas.Pour me la raconter, ne me regarde pas. PAULINE. Vous me l'ordonnez donc ? MONSIEUR VALBRAY. Non ; mais je t'y convie. PAULINE. Apprenez que mon coeur est lié pour la vie. MONSIEUR VALBRAY. À qui donc ? PAULINE. À celui que, par un jeu du sort,Malgré vous, ce matin, je voulais fuir d'abord. MONSIEUR VALBRAY. Tu ne veux pas parler du peintre ? PAULINE. De lui-même. MONSIEUR VALBRAY. Tu plaisantes, je crois ? PAULINE. Non, mon père, je l'aime,Et je n'hésite pas à vous dire aujourd'hui Que je n'en aimerai jamais d'autre que lui. MONSIEUR VALBRAY. Mais tu n'y songes pas ? À moins d'être insensée,Tu ne peux pas nourrir dans ton coeur la penséeDe voir tes jours unis à ceux d'un malheureux,Qui ne pourra jamais satisfaire tes voeux, Et qui, pour vous la rendre à tous les deux commune,Ne saura t'apporter rien que son infortune. PAULINE. L'aisance avec un autre est pour moi sans appas ;La misère avec lui ne me déplaira pas. MONSIEUR VALBRAY. Tu parles, mon enfant, comme on parle à ton âge ; Mais ton père, à ta place, est forcé d'être sage. PAULINE. Croyez-vous être sage, en combattant mes voeux ?Et pensez-vous que l'or suffise pour rendre heureux ? MONSIEUR VALBRAY. L'or est pour bien des maux un merveilleux remède ;S'il ne fait le bonheur, presque toujours il l'aide. PAULINE. De deux êtres unis par les liens du coeurIl peut, sans aucun doute, augmenter le bonheur ;Mais, lorsque l'un pour l'autre ils n'ont que de la haine,Il ne les aide pas à supporter leur chaîne. MONSIEUR VALBRAY. Tu parais oublier que tu n'es pas du tout En état de pouvoir n'écouter que ton goût. PAULINE. Qu'est-ce donc qui s'oppose à ce que je l'écoute ? MONSIEUR VALBRAY. La raison, que tu dois suivre, coûte que coûte. PAULINE. La raison ne veut pas qu'on brise l'avenirPar un noeud sur lequel on ne peut revenir. MONSIEUR VALBRAY. As-tu donc oublié ta malheureuse histoire ? PAULINE. Non, mon père, j'en ai conservé la mémoire. MONSIEUR VALBRAY. Ne comprends-tu donc point, en ce cas, qu'il te fautTrouver dans ton mari ce qui te fait défaut ! PAULINE. Et que me manque-t-il ? MONSIEUR VALBRAY. Il te manque, ma fille, Un nom qui soit celui d'une bonne famille,Et qui puisse effacer, au moins par son éclat,Le ténébreux reflet de ton premier état.Je l'ai trouvé : tu dois l'accueillir avec joie,Comme un bien merveilleux que du ciel Dieu t'envoie. PAULINE. Je dois vous avouer qu'un tel raisonnementNe me fait point du tout changer de sentiment.Pour avoir un beau nom il suffit d'être honnête ;Sans être riche et noble, on peut lever la tête.Le nom d'un honnête homme, à mes yeux, vaut celui D'un homme dont l'éclat n'émane pas de lui. MONSIEUR VALBRAY. Sans être noble et riche, un homme exempt de faute,Peut, comme tu le dis, marcher la tête haute ;Mais, quelque pur qu'il soit, son nom ne pourra rienPour effacer la tache empreinte sur le tien. Au contraire, il suffit que ton futur, ma fille,Soit pauvre et ne soit pas d'une bonne famille,Pour que, dans ta naissance enfonçant son scalpel,Le monde y mette à jour le principe mortel.Je reconnais qu'il a des préjugés étranges ; Mais je ne pense pas que jamais tu les changes. PAULINE. Je m'inquiète peu qu'il ait des préjugés, Et qu'ils puissent ou non être par moi changés.Si, pour m'y conformer, je me rends malheureuse,Croyez-vous qu'il me tende une main généreuse ? MONSIEUR VALBRAY. Qu'il ait ou qu'il n'ait pas pitié de nos revers,Nous n'en devons pas moins respecter ses travers. PAULINE. Ce n'est pas mon avis. MONSIEUR VALBRAY. C'est le mien, et je pensePouvoir m'en rapporter à mon expérience. PAULINE. Elle peut vous donner d'assez mauvais avis. MONSIEUR VALBRAY. Qu'ils soient mauvais ou bons, j'entends qu'ils soient suivis,Et pour faire cesser toutes paroles vaines,Tu prendras le mari que je veux que tu prennes. PAULINE. Et moi, je vous réponds que je le choisirai,Ou que plutôt jamais je ne me marierai. MONSIEUR VALBRAY. C'est ce que nous verrons. PAULINE. C'est déjà vu, mon père. MONSIEUR VALBRAY. Une telle impudence à la fin m'exaspère :Je te déclare ici pour la seconde foisQue tu n'épouseras qu'un homme de mon choix. PAULINE. Pour la seconde fois, je vous l'affirme en face Je n'en épouserai qu'un qui me satisfasse. MONSIEUR VALBRAY. C'est trop fort ! PAULINE. C'est ainsi. MONSIEUR VALBRAY. Tu m'obéiras ! PAULINE. Non ! MONSIEUR VALBRAY. De ton entêtement tu me rendras raison,Et tu ne riras pas longtemps de ma faiblesse. PAULINE. La colère vous trouble ; il faut que je vous laisse. SCÈNE VI. MONSIEUR VALBRAY, seul. L'infâme! Oser fouler à ses pieds toute loi,Me manquer de respect, s'insurger contre moi !Quelle conduite affreuse et quelle ingratitude !Est-ce donc là le prix de ma sollicitude,Et n'ai-je répandu sur elle tant d'amour Que pour être payé d'un si triste retour ?Parce que j'ai toujours été trop bon pour elle,Elle croit à mes voeux pouvoir être rebelle.Mais, pour la faire agir selon ma volonté,J'userai, s'il le faut, de mon autorité, Et j'empêcherai bien, en dépit de sa flamme,Que d'un chétif artiste elle ne soit la femme ;Et quant au malheureux qui vient de m'outrager,Il apprendra bientôt que je sais me venger.L'impudent ! Le voici ! SCÈNE VII. Monsieur Valbray, Paul. PAUL. Monsieur, je vous salue... Vous voyez que j'arrive à l'heure convenue. MONSIEUR VALBRAY, froidement. Vous ne pouviez, Monsieur, venir plus à propos ;J'avais précisément à vous dire deux mots. PAUL. À moi, Monsieur ? MONSIEUR VALBRAY. À vous. PAUL. Parlez, Monsieur, de grâce. MONSIEUR VALBRAY. Je veux vous consulter sur un fait qui se passe Et sur lequel je tiens à votre sentiment.Un jeune et pauvre artiste avait son logementEn face de celui d'un bourgeois honorable,Qui chez lui possédait une fille adorable.Douée au plus au haut point des qualités du coeur, Cette enfant de son père était tout le bonheur ;Elle lui tenait lieu d'amis et de famille.Le père, un jour, voulut le portrait de sa fille ;Il dut choisir un peintre, et son coeur généreuxDonna la préférence au voisin malheureux... PAUL. C'en est assez, Monsieur, et je crois vous comprendre. MONSIEUR VALBRAY. Pour mieux comprendre encore, achevez de m'entendre.De son coeur n'écoutant que l'inspiration,Le père avait donc fait une bonne action.Du peintre savez-vous quelle fut la conduite ? Par lui? du bienfaiteur la fille fut séduite,Et par lui, pour toujours, le trouble est désormaisAux lieux que le bonheur n'aurait quittés jamais. PAUL. C'est trop fort ! MONSIEUR VALBRAY. Quand un homme est sans nulle ressourceEt que de son semblable il dérobe la bourse, Il est répréhensible, et, malgré son malheur,L'acte qu'il a commis est l'acte d'un voleur.Mais lorsque, n'ayant pas, pour voler son semblable,De la nécessité l'excuse misérable,Il lui prend le bonheur, son plus précieux bien, Et commet un larcin, qui ne lui sert en rien,Et que, par conséquent, nul motif ne colore,Cet homme, répondez, n'est-il pas pire encore ? PAUL. Vous m'insultez, Monsieur. MONSIEUR VALBRAY. Vous ne répondez point,Et vous êtes d'accord avec moi sur ce point ? PAUL. Non, et sans le respect que m'inspire votre âge,Je vous aurais déjà puni de cet outrage. MONSIEUR VALBRAY. De cet excès d'audace à la fin je suis las.Sortez, Monsieur, sortez. PAUL. Je ne sortirai pas. MONSIEUR VALBRAY. Sortez, vous dis-je. PAUL. Non. MONSIEUR VALBRAY. Quel comble d'impudence PAUL. Puisque je suis privé de toute autre vengeance,À votre tour, Monsieur, vous m'entendrez aussi.Eh bien ! Sur mon honneur je vous l'atteste ici,Si j'ai pour votre fille une amour insensée,L'intérêt n'a jamais traversé ma pensée. C'est sans aucun calcul que mon coeur est épris,Et je puis vous jurer que je me suis surprisÀ souhaiter de voir votre enfant ruinée,Pour pouvoir à la sienne unir ma destinée.Quand elle serait pauvre, et moi tout couvert d'or, D'une aussi pure amour je l'aimerais encor,Et pour rendre à tous deux l'existence commune,Je courrais à ses pieds déposer ma fortune. MONSIEUR VALBRAY. Ce langage est celui que tient tout suborneur. PAUL. Monsieur, sachez-le bien, je suis homme d'honneur. Jamais les sentiments que mes lèvres exprimentNe sont en désaccord avec ceux qui m'animent ;Et pour vous faire croire à ma sincérité,De la position où le sort m'a jetéJe ne veux maintenant vous faire aucun mystère : Je n'ai jamais connu mon pire, ni ma mère. MONSIEUR VALBRAY. Vous êtes orphelin, PAUL. Je suis moins que cela.Malgré tous mes efforts pour en arriver là,J'ignore le secret qui couvre ma naissance ;Du nom de mes parents je n'ai point connaissance, Et tout ce que je sais, c'est qu'encor nouveau-né,Par ma mère une nuit je fus abandonné. MONSIEUR VALBRAY. Comment ! Vous n'avez pas de nom ni de famille,Et vous osez prétendre à la main de ma fille ?C'en est trop, et je sens ma patience à bout ! PAUL. Attendez, s'il vous plait ; ce n'est pas encor tout. MONSIEUR VALBRAY. De grâce, hâtez-vous. PAUL. La charité civileMe recueillit mourant, me fit donner asile,Et croyant rendre ainsi mon destin moins fatal,Me conserva la vie au fond d'un hôpital. Lorsque de le quitter j'eus enfin touché l'âge,De ma mère on voulut me rendre l'héritage :J'avais été trouvé porteur d'un anneau d'or ;On me restitua ce modique trésor... MONSIEUR VALBRAY. Un anneau ? Se peut-il ? Montrez-la-moi bien vite. PAUL. Regardez. À le voir c'est moi qui vous invite. MONSIEUR VALBRAY. Dois-je en croire mes yeux ? Est-ce une vision ?Mais, non... je ne me fais aucune illusion ;Cet anneau, c'est de moi que le reçut ta mère...Mon fils, mon cher enfant, viens embrasser ton père. PAUL. Mon père ! Vous, mon père ? Ah ! Que je suis heureux! SCÈNE VIII. Les mêmes, Paul. PAULINE. Que vois-je? Quel spectacle apparaît à mes yeux ? MONSIEUR VALBRAY. Viens, Pauline, viens voir ici mon fils unique ;Viens admirer le sort, qui, par un coup magique,M'apprend de quel enfant fut payé mon amour Par celle à qui j'ai cru que tu devais le jour !Tu ne te trompais pas, quand ton âme inspiréeVers lui si vivement se sentait attirée.Et tu comprenais bien qu'il possédait en soiQuelque chose de noble et de digne de toi. Au lieu de ressentir une crainte illusoire,À la sagacité d'abord j'aurais dû croire. PAUL, à Pauline. Et vous, puisque le sort seconde mon amour,Laissez-moi de nouveau vous l'offrir en ce jour. PAULINE. Monsieur, ne tenez plus désormais ce langage ; Il ne peut entre nous s'agir de mariage.Toujours le même obstacle existe entre nous deux ;C'est vous qui tout à l'heure étiez le malheureux,C'est moi qui maintenant deviens la misérable.La situation reste toujours semblable : Aujourd'hui, comme alors qu'il se croyait le mien,Votre père entre nous n'admettra nul lien. MONSIEUR VALBRAY. Pauline, est-ce bien toi qui parles de la sorte ?Que les liens du sang n'existent plus, qu'importe !Si nous ne sommes plus réunis par le sang, Ne nous reste-t-il pas un lien plus puissant ?Crois-tu sincèrement que, depuis dix années,À veiller sur ton sort j'ai passé mes journées,Pour qu'une découverte arrivée aussi tardMe fasse tout à coup changer à ton égard ? Non, ces dix ans d'amour et de soins réciproquesNe sont point à mes yeux des liens équivoques.Tu demeures ma fille, et c'est en triomphantQue je te vois par eux être encor mon enfant. PAULINE. D'épouser votre fils je suis donc toujours digne ? PAUL. Et moi, vous m'accordez cette faveur insigne ? MONSIEUR VALBRAY. Vos désirs, mes enfants, comblent mes propres voeux ;Soyez tous deux unis, tous deux soyez heureux. ==================================================