******************************************************** DC.Title = LE PETIT-MAÎTRE EN PROVINCE, COMÉDIE. DC.Author = HARNY DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:08. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/HARNY_PETITMAITREPROVINCE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE PETIT-MAÎTRE EN PROVINCE COMÉDIE EN UN ACTE ET EN VERS AVEC DES ARIETTES M. DCC. LXV. Avec Approbation et Privilège du Roi. Par M. HARNY. La Musique est de M. ALEXANDRE. Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens Ordinaires du Roi, le 7 Octobre 1765. PRÉFACE. Je ne dois sans doute qu'au jeu des acteurs le succès de cette Pièce. Je saisis avec plaisir l'occasion de leur en marquer ma reconnaissance. Quelques personnes cependant ont trouvé mauvais que j'aie fait représEnter cette Comédie sur le Théâtre Italien. Il faut me justifier. Les Acteurs de ce Théâtre se font un devoir d'accueillir, d'encourager les Auteurs ; on n'y connaît point l'usage de faire désirer pendant deux ans l'honneur d'une lecture, l'Homme de Lettres n'est point obligé de jouer le rôle de suppliant dans l'antichambre d'un Semainier. Ces raisons sont suffisantes pour un homme qui né se sent point d'humeur à  souffrir les tracasseries, et sur-tout l'humiliation. On peut y joindre cependant des vues particulières. La Musique paraît aujourd'hui tenir le premier rang dans nos Spectacles ; serait-ce déplaire au Public que de tâcher de l'allier avec la peinture de nos moeurs ? Pourquoi nous borner aux Paysans ? Pourquoi ne pas essayer tous les tons ? Quittons le village, la ville nous offrira plus d'un tableau intéressant. J'espère que l'on ne prendra point ceci pour un trait de satyre contre les Auteurs qui n'ont travaillé que dans le premier genre. Un talent en annonce toujours un autre. L'Auteur de la CHERCHEUSE D'ESPRIT a fait l'ANGLOIS A BORDEAUX. Chacune de ces Pièces est un chef-d'oeuvre. On me pardonnera aisément de citer par préférence M. FAVART. Il est permis à un Écolier d'avoir quelque prédilection pour son Maître. C'est lui qui m'a donné Les premières leçons de l'Art Dramatique. BASTIEN a été fait sous ses yeux. Il est facile de s'en apercevoir, et cette dernière pièce vaudrait sans doute beaucoup mieux, si j'avais pu profiter de ses avis pendant le cours de la composition, Quelques critiques m'ont accusé d'avoir copié le MECHANT dans la Scène où le Marquis tourne en ridicule le Baron et la Baronne. Ils se sont trompés. Cette situation est tirée du Conte des REMOIS de LA FONTAINE. ACTEURS LE BARON. M. Cailleau. LA BARONNE. Mde. Favart. JULIE, leur Fille. Mde. Laruette. LE MARQUIS. M. Clerval. DAINVAL, Amant de Julie. M. Le Jeune. MARTON, Suivante de Julie. Mlle. Beaupré. LEPINE, Valet du Marquis. M. Dehesse. BLAISE, Jardinier du Baron. M. Laruette. DEUX COCHERS. Personnages muets. LAQUAIS. Personnages muets. La Scène est dans une Salle du Château du Baron. SCÈNE PREMIÈRE. Le Marquis, Lépine, Laquais, Cochers. Le Marquis est en frac fort simple. Lépine et les Laquais ont des habits gris galonnés en argent, et des chapeaux avec des plumets blancs. LE MARQUIS, tenant un dessein. ARIETTE.De ma voiture nouvelleEst-ce-là  le modèle ?Il est assez bien.Je veux, pour mon mariage,Avoir cet équipage ; Que l'on n'épargne rien. À un Laquais.Vite, à  Paris, allez, la France ;Que l'on travaille en diligence,Et rapportez, en revenant,Ces Magots pour le Président. À un second Laquais.Vous, la Fleur, passez chez Hortense,Chez Cydalise, chez Constance,Dites-leur qu'au premier moment,Je les verrai certainement.Mais qu'on abrège les mystères : De ce tracas,Je suis, si las !J'ai trop d'affaires,Je n'y tiens pas. Au troisième Laquais.Qu'on mette les chevaux.... Lépine, Où donc est ce cocher, qu'on dit des plus adroits ? LEPINE présente au Marquis un homme d'une taille ordinaire. Le voici, Monsieur. LE MARQUIS. Quoi ! Tu plaisantes, je crois. LEPINE. C'est un très bon cocher. LE MARQUIS. Il est petit, sans mine... LEPINE présente au Marquis un grand homme bien fait. Peut-être celui ci vous conviendra-t-il mieux ? LE MARQUIS, d'un air de satisfaction. Ah ! passe encor. Voilà  du moins un homme. Je le retiens. LEPINE. Il n'est pas trop fameux. LE MARQUIS. Il est grand et bienfait. Sais-tu comme il se nomme ? LEPINE. Brillant. LE MARQUIS. Le nom est heureux.Là -bas prends soin de le conduire,Et quand tout sera prèt, tu viendras me le dire. SCÈNE II. Le Marquis, Dainval. DAINVAL, à  part, en entrant. Ah ! Voici le Marquis. On le dit mon rival.Sachons s'il est aimé. LE MARQUIS. Bonjour, mon cher Dainval ;Qui t'amène en ces lieux ? DAINVAL. J'y suis pour quelque affaire ;Mais toi, Marquis, qu'y viens-tu faire ? LE MARQUIS. Tu connais à  Paris la Comtesse Dorgé, Soeur d'un certain Baron, Seigneur de ce village.Pour me donner sa nièce, elle a tout arrangé,Et j'ai, sur sa parole, entrepris le voyage ;Mais je n'ai pu trouver en arrivant ici,Que la mère et la fille avec beaucoup d'ennui, Le Baron, m'a-t-on dit, est un homme sauvage,Amateur de ses prés, de ses eaux, de ses bois,Et qui de son château n'est sorti qu'une fois.Ce doit être, je pense, un plaisant personnage ! DAINVAL. C'est un homme sensé, qui ne vit que chez lui. LE MARQUIS. Absent depuis un mois, il arrive aujourd'hui.Sa femme peut passer comme on passe en province ;Car tout est en ces lieux d'un mérite si mince ! DAINVAL, avec inquiétude. Et la fille ? Elle est belle. Épris de ses attraits,Sans doute en arrivant, dès la première vue, Tu fixas tes désirs. LE MARQUIS. Je ne l'ai pas trop vue. DAINVAL. Et tu vas l'épouser ? LE MARQUIS. Que m'importent ses traits ?Je ne viens point adorer ma bergère,Et filer à  ses pieds les sentiments parfaits.Ma femme me sera toujours fort étrangère. DAINVAL. Se marier ainsi, c'est assez l'ordinaire.Sans trop examiner, l'époux, comme un joueur,Des effets du hasard attend tout son bonheur. LE MARQUIS. Air : n° 1.Le mariageN'est plus un esclavage Dont on redoute les rigueurs.S'il nous offre encore une chaîne, Ce n'est qu'une chaîne de fleurs,On la brise sans peine.La liberté, l'âme de ce lien, Ôte à  présent l'épine de la rose.De soi-même chacun dispose,Et chacun s'en trouve assez bien. SCENE III. LEPINE, LE MARQUIS, DAINVAL. LEPINE, au Marquis. Monsieur, votre voiture est prête, on vous attend. DAINVAL. Ah ! Ah ! Quelle magnificence ! L'habit de tes valets est tout-à-fait brillant. LE MARQUIS. Il n'est pas des plus mal, je pense. DAINVAL. Très bien. LE MARQUIS. Et le chapeau ? DAINVAL. Tout en est élégant. LE MARQUIS. Cet habit n'est-il pas mille fois plus galantQue les sombres couleurs d'une triste livrée ? DAINVAL. Peut-être est-il moins noble. LE MARQUIS. Aujourd'hui les Seigneurs,Pour de bonnes raisons, ont quitté les couleurs. DAINVAL. La Province bientôt, par tes soins éclairée,Va prendre tout un autre ton ;Mème on dit que tu veux, sensible aux ridicules, Sur l'honneur, la vertu, le mépris, la raison,De nos Provinciaux dissiper les scrupules,Et de tout préjugé l'aveuglement fatal. LE MARQUIS. On ne voit tout ici qu'à  travers un cristal.Le mépris est un mot ; l'honneur une chimère ; L'innocence, un beau titre auquel on ne croit guère :La raison, un masque empruntéPour cacher la difformité :La vertu, le talent de vendre sa défaire :Le sentiment, le fard d'une vieille coquette, Qui de ses yeux éteints veut bien donner avis :Et la fidélité, terme du vieux langage,Un droit fort incertain, vanté par les maris ;Mais dont aucun encor n'a pu trouver l'usage. SCENE IV. DAINVAL. Quel fat ! Voilà  pourtant nos hommes du bel air. Avec ce persiflage on se fait adorer. SCÈNE V. Julie, Dainval. DAINVAL. Ah ! Vous voilà , belle Julie !Rassurez un coeur incertain. JULIE. Que craignez-vous, Dainval ? DAINVAL. Excusez, mais enfinIl y va du bien de ma vie. Le Marquis vous voit tous les jours,Peut-être est-il fait pour séduire. JULIE. Pouvez-vous me tenir un semblable discours,Et dans mes yeux ne savez-vous plus lire ? Air.Les dehors les plus séduisants Ne touchent pas toujours une âme.Ce n'est que pour les coeurs constantsQue l'Amour fait briller sa flamme.Je ne connais point l'art trompeurD'abuser l'Amant que j'engage ; Et je laisse parler mon coeur.C'est mon plus cher langage. II. COUPLET.Bannissez tout soupçon jaloux :Ne suis-je pas toujours la même ?Pour moi, c'est un plaisir bien doux De vous dire que je vous aime.Mon bonheur serait assuréSi je pouvais faire le vôtre.Le bonheur d'un objet aiméDevient toujours le nôtre. SCÈNE VI. Julie, Marton, Dainval. MARTON entre en riant. Ah, ah. JULIE. Qu'avez-vous donc, Marton ? MARTON. Pardonnez ; mais je ris de Monsieur le Baron.Les grands airs à  la mode ont peu l'art de lui plaire. DAINVAL. Est-il de retour ? MARTON. Oui, vraiment.À faire grand tapage il s'occupe à  présent. JULIE. Qui peut attirer sa colère ? MARTON. Vous savez qu'il est surprenantÀ quel point la Baronne au Marquis s'intéresse :Ce qu'il dit, ce qu'il fait, tout lui paraît charmant.Monsieur n'a point la même politesse. Madame, à  certains changementsQue le Marquis nommait des embellissements,S'est prêtée avec complaisance.Monsieur a peu goûté toute cette élégance,Et d'abord en entrant s'est mis fort en courroux. SCÈNE VII. Marton, La Baronne, Julie, Le Baron, Dainval, Blaise. LE BARON, à Blaise. QUINQUE.[Note : Maraud : Terme injurieux qui se dit des gueux, des coquins qui n'ont ni bien ni honneur, qui sont capables de faire toutes sortes de lâchetés. [F]]Maraud, je te rouerai de coups. BLAISE. Morgué, je n'y pouvais que faire. JULIE. Ah ! Mon père,Que j'ai de joie à  vous revoir ! LE BARON. Je vais t'apprendre ton devoir. DAINVAL. Baron, calmez votre colère. LA BARONNE. Eh ! mais, Monsieur, y pensez-vous ? LE BARON. Laissez-moi l'assommer de coups. LA BARONNE. Continuez, Monsieur ; de votre humeur bourrueFaites sentir les traits à  toute la maison. LE BARON. Les femmes ont toujours raison. À Dainval.Tu connais, mon ami, cette belle avenueQui conduit à  mon bois par trois chemins égaux.Madame, sur l'avis d'un fat rempli d'audace,L'a fait jeter en bas, pour en faire une place Où Monsieur à  présent exerce ses chevaux.Ma maison aujourd'hui me paraît étrangère.Ma basse-cour n'est plus qu'un manège à  présent.Ma grange une remise, et d'un clos excellentOn a pris la moitié pour en faire un parterre. À Blaise.C'est ce coquin. BLAISE. C'était bien malgré moi, Monsieur.Nous avions là  des choux d'une si bonne meine !Quand je les arrachais, ça me fendait le coeur. LA BARONNE au Baron. On voudrait embellir votre triste domaine.Mais vous avez si peu de goût ! LE BARON. Trêve à  vos ornements. Pensons au nécessaire.Corbleu, si l'on vous laissait faire,Nous pourrions avant peu manquer ici de tout.Je ne prends point, pour me conduire,L'avis d'un élégant si pressé de détruire. ARIETTE.Dans ma maisonCe Petit-MaîtrePrétend-il êtreEn droit de donner le ton ?Pour former des salles nouvelles ; Il fait abattre mes tourelles,Et changer mon pavillon.Ici tout est au pillage :Des valets insolents,Pour dresser leurs chevaux fringants, Sans penser au dommage,Courent à  travers champs,Et portent par-tout le ravage.Mes prés sont écrasés ;Mes bleds sont renversés. Morbleu, quatre tonnerres,Poussés par un vent orageux,Pour mes terresSeraient moins dangereux. LA BARONNE. Osez-vous regretter deux mauvaises tourelles, D'une antique chaumière enseignes éternelles.Votre nouveau Château pourra vous faire honneur.Voulez-vous avoir l'air d'un campagnard stupide,De ses fossés bourbeux défenseur intrépide,Et de son pont-levis superbe admirateur ? LE BARON. Comment donc ! ce petit Monsieur,Que je ne connais point et ne connaîtrai guère,Dans ces lieux adressé par ma folle de soeur,Chez moi de prime abord fait le réformateur ; Et prétend corriger une province entière !.... Mais j'entends des chevaux ; je pense que c'est lui.Je vais lui parler net, et je saurai lui direSans façon ma pensée. LA BARONNE. Et moi, je me retire.Je ne veux point rougir de votre air impoli. Elle sort avec Julie et Marton. LE BARON. À Blaise.Tant mieux. Toi, prends le soin d'observer aujourd'hui Ma fille, et le Marquis. BLAISE. Il suffit ; laissez faire,Je vous rendrai de tout un compte fort sincère. Elle sort. SCÈNE VIII. Le Marquis, Dainval, Le Baron, Lépine. LE MARQUIS, à Lépine, en entrant. Le Marquis en frac, un fouet à la main.Ces chevaux sont si vifs qu'on craint de les toucher. LE BARON, à  part. Il est avec son cocher.Il faut encor par déférence Ne lui rien dire en sa présence. À Lépine.Monsieur, votre humble serviteur. Au Marquis.Mon ami, laissez-nous. À Lépine.Passez donc, je vous prie. LEPINE. Ah ! Monsieur. LE BARON. Sans cérémonie. LEPINE. Ah ! LE BARON. Point de façons. LEPINE. Ah ! Monsieur. LE BARON regardant le Marquis qui rit de la méprise. Ce Cocher m'a tout l'air d'un insolent rieur. À Lépine en mettant son chapeau.Faites ainsi que moi, mettez-vous à  votre aise. Au Marquis.Laissez-nous donc. À Lépine.Voulez-vous une chaise ? DAINVAL. Vous vous trompez, Baron. LE BARON. Quoi ? DAINVAL. Voilà  le Marquis. LE BARON. Le Marquis ! DAINVAL. Oui, vraiment. LE MARQUIS. Cette erreur est divine ! LE BARON, en montrant Lépine. Et ce Monsieur ? DAINVAL. Ce Monsieur, c'est Lépine,Un Valet. LE BARON. Un Valet ! Je me suis bien mépris. Au Marquis.Sous un tel attirail qui pourrait vous connaître ? À Dainval.Cet homme porte donc les habits de son maître ? DAINVAL. Non. C'est le sien. LE BARON. Le sien ! DAINVAL. C'est le goût d'à  présent. LE BARON. Je ne m'étonne plus s'il a l'air insolent. DAINVAL. La raison lutte en vain, la mode est la plus forte. LE MARQUIS. Tout vous surprend ici. Il donne son fouet à  Lépine. LE BARON. Sans se rendre indiscretPeut on demander qui vous porteA vous masquer ainsi sous un dehors peu fait Pour un homme de votre sorte ? LE MARQUIS. Le plaisir. LE BARON. Le plaisir ? LE MARQUIS. Je viens dans le momentD'essayer six bidets, qui font un attelageÀ se mettre à  genoux devant. LE BARON. C'est donc un plaisir bien charmant Que de conduire un équipage ? LE MARQUIS. Un plaisir ! je dis plus, un devoir. A présentParaître sur les Cours dans un diable élégant ;Tout droit, et sans appui, d'un air fier, avec grâce,De cent détours nouveaux tracer le court espace, Modérer ses chevaux, les presser faiblement,Animer tout-à -coup leur fougue impatiente,Serrer le fantassin culbuté d'épouvante,Dans un passage étroit courir rapidement,Près d'un char renversé voltiger d'un air libre, Et malgré les cahots soutenir l'équilibre,D'un jeune homme éduqué c'est le premier talent. LE BARON. J'aperçois d'un coup d'oeil que ces gens que l'on cite,Qui dans Paris sont des héros,Doivent souvent tout leur mérite A la vigueur de leurs chevaux. LE MARQUIS. J'ai connu longtemps, je vous jure,Une femme charmante, et d'un esprit divin,Qui pour Amant jamais ne voulut d'un Robin,Quoiqu'il fût très-bien de figure : Mais il ne savait pas conduire une voiture,Et surtout il tenait ses guides et son fouetComme une pièce d'écriture. LE BARON. Que m'importent les torts d'un petit freluquet ?Traitons ensemble un fait de plus grande importance. LE MARQUIS. Je veux vous montrer un chef-d'oeuvre d'élégance,Le plus joli diable chinois. LE BARON, impatienté. Écoutez-vous les gens par fois ?Paris ne forme pas des tètes bien parfaites.Excusez, je suis franc, un Campagnard tout rond. LE MARQUIS. Je le vois bien, Monsieur. LE BARON. Pour plaire à  des caillettesOn immole à  l'éclat ses biens et sa raison. LE MARQUIS. Le seul homme du jour jouit de l'avantageDe fixer tous les yeux. LE BARON. Le brillant apanageÀ troquer contre du bon sens ! Nous savons en Province employer mieux le temps. LE MARQUIS. Dans le monde veut-on paraître un personnage :Il faut par les dehors subjuguer les esprits,Prendre un ton décisif, l'afficher sans scrupule,Pour se faire admirer parcourir tout Paris, Sur chacun en passant jeter un ridicule,Au Spectacle du jour arriver à  grand bruit,Dans chaque loge entrer, quoiqu'on n'ait rien à  dire,N'y rester que le temps de montrer un habit,Au milieu des foyers ameuter la satyre, Tout haut sur l'escalier confier ses secrets,D'un ton impatient appeler ses valets,Annoncer en partant quelque réduit commode,Où l'on voit tour à  tour les Beautés à  la mode ;Les jouer, les tromper toutes également, D'un changement heureux se réserver la gloire,D'un jaloux que l'on dupe éterniser l'histoire,Forger même au besoin un triomphe saillant ;Le plaisir est un Dieu que la contrainte atterre.À de brillants succès l'aimable homme attendu, Doit chercher le grand jour, doit rougir de se taire.Il est anéanti, perdu,Si dans la foule une fois confonduOn peut le forcer au mystère. LE BARON. Adieu, Monsieur. Je vois que vos gens merveilleux, S'ils étaient moins connus, en vaudraient beaucoup mieux. SCÈNE IX. Le Marquis, Dainval. LE MARQUIS. L'Aimable Seigneur ! ah ! j'enrage !Qu'on doit être flatté de vivre en un village !On assure pourtant que, follement épris,Tu viens dans ce canton filer l'amour champêtre. Je ne te croyais pas aussi dupe. DAINVAL. Marquis,S'attacher en ces lieux, c'est éviter de l'être.Un objet raisonnable et des Grâces chériApporte à  son époux le bonheur de la vie. LE MARQUIS. Tu la prends donc un peu jolie ? DAINVAL. Elle est belle. LE MARQUIS. Tant mieux. DAINVAL. Comment ? Tant mieux. LE MARQUIS. Eh ! oui.Abondance de bien est l'âme du commerce. DAINVAL. Propos d'avantageux dont la langue s'exerce. LE MARQUIS. Tu crois aux feux constants. Je ne te savais pointNovice encore à  pareil point. ARIETTE.Badinons la tendresse,C'est le vrai moyen de jouir ;Le plaisirToujours intéresse.On rit des époux amants : Toutes nos BellesSavent depuis long-tempsQue l'Amour porte des ailes. DAINVAL. Je rends plus de justice à  ce sexe charmant.Du monde, en ces beaux jours, le premier ornement. La vertu, la douceur, forment son caractère,Et l'air décent pare encor sa beauté.La femme vertueuse, avec le don de plaire,Est un rayon de la Divinité. LE MARQUIS. Adieu. DAINVAL. Quoi donc ? LE MARQUIS. Je fuis, pour sauver ma défaite. Si je restais encor quelques instants,Tu me déciderais à  prendre une houlette. DAINVAL. Ne crains rien ; je ne puis demeurer plus longtemps.La Baronne paraît. Je lui cède la place. SCÈNE X. Le Baronne, Le Marquis. LA BARONNE. Marquis, irons-nous promener ? LE MARQUIS. Vous obéir, pour moi c'est une grâce ;Et c'est à  vous, Madame, d'ordonner. LA BARONNE. Ferons-nous quelque visite ? LE MARQUIS. Comme il vous plaira. Mais... LA BARONNE. Ah ! Je vous en tiens quitte.Nos Campagnards ne sont pas amusants. LE MARQUIS. Pardonnez ; quelquefois ils sont assez plaisants.J'aime l'air affairé, les manières discrètesD'un conteur suranné, qui des vieilles gazettesDaigne dix fois par jour vous détailler les faits :Ou le feu d'un Chasseur qui vous dira l'histoire De ses lévriers, de ses bassets,Et vous donnera le mémoireDe tous les exploits qu'ils ont faits. LA BARONNE. Il est charmant ! LE MARQUIS. Surtout rien n'est plus admirable, Que l'air et sublime et capableD'un Bel-esprit l'honneur du nom provincial,[Note : Logogriphe : enigme de vocabulaire.]Par quelque logogriphe arrivant à  la gloire,Et se croyant inscrit au Temple de Mémoire,Quand il est enterré dans un triste Journal. LA BARONNE. Et les femmes, Marquis ? J'en connois d'excellentes,D'insipides beautés, des graces nonchalantes :L'éternelle Clarice aux yeux tendres et doux,Qui veut à  quarante ans ètre encor adorée ;Laure, qui vit très-bien avec son cher époux, Depuis qu'elle en est séparée ;La précieuse Eglé, qui ditQue les hommes bien faits sont toujours pleins d'esprit ;Et la bigote Arténice,De tous nos jeunes gens la bonne protectrice. Vous riez ! Il est vrai pourtantQu'à  parler mal d'autrui, j'ai très peu de penchant...Ah ! voici le Baron. LE MARQUIS. Souffrez que je vous quitte.Par amitié pour moi, sauvez-moi sa visite ;Je reviendrai bientôt en habit plus décent. SCÈNE XI. La Baronne, Le Baron. LE BARON. Il me fuit. Ah ! tant mieux ; je serais trop contentS'il pouvait pour toujours éviter ma présence.À ma fille, surtout, il ne faut plus qu'il pense.En faveur d'un ami, je vais en disposer. LA BARONNE. Quoi ! Monsieur, dans l'instant que prêt à  l'épouser... LE BARON. Pour relever son nom, s'il compte sur Julie,Il peut bien renoncer à  sa postérité :On pourrait à  bon droit me taxer de folie,Si j'acceptais pour gendre un pareil éventé. LA BARONNE. Et moi, Monsieur, je vous déclare Que ma fille jamais n'aura que le Marquis. LE BARON. Ah ! Ah ! Ce procédé me paraît neuf et rare. LA BARONNE. Le fait sera pourtant comme je vous le dis. LE BARON. Ne vous figurez pas que votre ton m'arrète. LA BARONNE. C'est ce que nous verrons. LE BARON. Corbleu, tout est tout vû. LA BARONNE. Vous croyez donc, Monsieur, que je n'ai pas de tète ? LE BARON. Je ne me suis que trop du contraire apperçu. SCÈNE XII. La Baronne, Blaise, La Baron. BLAISE. Monsieur, je vians charcher mon congé tout à  ç't'heure. LE BARON. Pourquoi donc ? BLAISE. Y n'est pas moyen que je demeure :Votre Marquis me fait trop enrager. LA BARONNE. Que dit donc ce nigaud ? BLAISE. C'est bian pis qu'un parterre.Y va, si l'on le laisse faire,Ranvarser tout le potager. LE BARON. En voici bien d'un autre ! BLAISE. Y s'est mis dans la tèteCertain micmac auquel je n'entends rien, tout net ; Il vient de m'assurer qu'il faut que je m'apprêteÀ travailler demain afin d'en voir l'effet.J'aime mieux m'en aller. LE BARON. Quel est donc ce projet ? BLAISE. ARIETTE.Morgué, pour moi c'est un grimoire :De mon esprit j'use eu vain les ressorts. Je ne sais ce que j'en dois croire ;Il faut qu'il ait le diable au corps.Il prétend que je lui donneDes pèches dans le Printemps,Des cerises en Automne, Et des fraises en tout temps.J'ai beau lui faire entendre,Qu'il faut attendreLa saison de chaque fruit :Il en rit. Quelque jour il mettra le jardin dans la cave.Le Soleil, selon son dicton,Pour mûrir n'est pas assez bon.Pour faire pousser une rave,Une asperge, un melon, Il ne lui faut que du charbon.Enfin tant est qu'il dit que les fruits de l'AutomneNe sont faits que pour un manant,Et que toute honnête personneDoit en manger six mois devant. LE BARON, à la Baronne. Vous voyez. LA BARONNE. Oui, je vois que le travail étonneUn lâche, un paresseux. BLAISE. Pargué, suis-je sorcier ? SCÈNE XIII. La Baronne, Julie, Le Baron, Marton, Blaise. LE BARON. Approchez un instant, Julie....Ce soir avec Dainval vous devez être unie.À recevoir sa main il faut vous disposer. LA BARONNE. Le Marquis est celui que mon coeur vous destine.Il faut vous préparer, ma fille, à l'épouser. LE BARON. Prétendez vous, au gré de votre humeur mutine,Me conduire ? LA BARONNE. Selon vos voeux extravagants,Avez-vous cru pouvoir me mener plus longtemps ? LE BARON. TRIO.Madame la Baronne. LA BARONNE. Monsieur le Baron. LE BARON ET LA BARONNE. Prenez-le sur un autre ton. LE BARON, à Julie. Je vous ordonneD'épouser Dainval dès ce soir. LA BARONNE. Je vous ordonneD'épouser le Marquis ce soir. LE BARON ET LA BARONNE. C'est ce qu'il faudra voir, JULIE. Ah ! Mon père ! LE BARON ET LA BARONNE. Ne me mettez point en colère, Je vous en ferais repentir. JULIE. Ah ! Ma mère ! LE BARON ET LA BARONNE. C'est à  moi qu'il faut obéir. SCÈNE XIV. Julie, Marton, Blaise. MARTON. Ah ! Voilà  pour le coup du bien en abondance.Deux maris au lieu d'un ! Mais rien n'est plus heureux. JULIE. Ah ! Ne plaisante point ; je perds toute espérance. MARTON. Pour les mettre d'accord, épousez-les tous deux. JULIE. Il n'est qu'un seul moyen pour me tirer de peine ; À Blaise.Employons-le. Va-t-en. BLAISE, à  part. Ah ! Oui-dà  ! Jarniguenne,De nous on se méfie ! Observons-les de loin, Allons nous mettre dans ce coin. Il sort. Julie se place pour écrire. MARTON. ARIETTE.L'Amour, à notre âge,N'est qu'un vrai tourment.C'est pourtant grand dommage,Car il est bien charmant. Sitôt quelle aime, une filletteA toujours lieu d'être inquiète.Par les désirs,Par les soupirs,La pauvre enfant achète Fort souventLe faux espoir d'un bon moment.L'Amour, etc. JULIE. Tiens, Marton ; au Marquis tu rendras cette lettre. MARTON. Le voici justement. JULIE. Paix. Ne la montre pas. Mais quand il sera seul, tu la lui remettras. SCÈNE XV. Le Marquis, Julie, Marton. LE MARQUIS. Peut-on vous interrompre, et voulez-vous permettreQu'on vous fasse sa cour ? JULIE. Monsieur. LE MARQUIS. Eh ! Quoi ! Déjà.Vous rougissez. Mais pourquoi donc cela ?Quittez ces manières bourgeoises ; On ne rougit que dans le tiers-état.Ces airs déconcertés, antiquités Gauloises,De deux beaux yeux éteignent tout l'éclat.Encor !... Depuis un mois que je vous gronde,Quand prendrez-vous le ton du monde ? JULIE. Ce monde, selon vous, est donc bien merveilleux ? LE MARQUIS. Certainement. JULIE. J'en connais peu l'usage.Je voudrais cependant que l'on pût à  mes yeux,Sous des traits ressemblants en présenter l'image. LE MARQUIS. On peut vous satisfaire. Ah ! Passe pour cela : J'approuve fort ce désir-là .Vous devenez intéressante. JULIE. Des Dames de Paris la vie est si charmante,Si l'on en juge d'après vous,Que je voudrais peser leur destin et le nôtre, Sans avoir pourtant lieu d'en souhaiter un autre :Le mien me paraît assez doux. ARIETTE.La Nature,Chez nous simple et pure,Méconnaît tout art, Abjure le fard,Et fuit l'imposture.La Nature,Chez nous simple et pure,Sans réserve assure D'un tendre coeurLe bonheur.Non, non, la vaine apparence,N'est pas un bien :On ne compte pour rien Tout l'éclat de l'opulence :Et l'on penseQue la félicitéEst dans la vérité.La Nature, etc. LE MARQUIS. Cette vie uniforme, entre nous, est peu faitePour fixer les désirs ; mais daignez un instantM'écouter, et bientôt une leçon complèteSaura vous mettre au fait des grands airs d'à présent. ARIETTE.Les premiers moments d'une belle Sont dits au plaisir de se voir.La gaieté doit briller chez elle ;L'ennui fuit devant un miroir :A tout ce qu'alors on peut dire,Elle répond par un sourire : Femme qui sourit joliment,A de l'esprit infiniment.Dès que la toilette est finie,On prend un air plus nonchalant.Quand on reçoit la compagnie, On est malade absolument.Une petite maladieSied toujours à femme jolie.Quelque mode, un petit chien,Font tous les frais de l'entretien. Dans le souper, vive et légère,Elle prend tous les tons pour plaire.Les liqueurs, dans tous les yeux,De l'Amour font passer les feux ;Les plus laides sont embellies : C'est l'instant des bonnes folies.On parle, on badine, on rit,On boit, on chante, et l'on médit.Le Bal enfin devient pour elleLe moment heureux du plaisir. Elle y paraît toujours nouvelle,Et l'air mutin sait l'embellir.Partout sous le masque elle obsède,Raille, poursuit, lutine, excède ;Chacun fuit en l'admirant. Est-il un plaisir plus charmant ? JULIE. De vos bontés, Monsieur, je suis reconnaissante.Je vous en remercie, et je sors très contente.Rien ne m'a paru si plaisant. Elle sort. SCÈNE XVI. Le Marquis, Marquis, Blaise. MARTON, au Marquis. Que dites-vous de son air d'innocence ? LE MARQUIS. C'est un enfant. MARTON, lui montrant le billet de Julie. Voici ce que cet enfant-là M'a donné pour vous rendre. BLAISE, dans le fond. Ils sont d'intelligence.J'ons bian fait d'acouter. LE MARQUIS, prenant le Billet. Elle se formera. BLAISE. Appelons notre maître ; il n'est pas loin, je pense. LE MARQUIS. Voyons ce que dit le Billet. Il lit.La Nature, Monsieur, vous forma très aimable.Ah ! Il le met dans sa poche. MARTON. Vous n'achevez pas. LE MARQUIS. Bon ! Bon ! Je suis au fait. MARTON. Vous en avez tant vu !... Il serait raisonnable... LE MARQUIS. Je ne finirais pas, si je les lisais tous. SCÈNE XVII. Le Marquis, Marton, sur le devant du Théâtre, Le Baron, Blaise dans le fond. LE MARQUIS, à  Marton. Parlons de toi. Sais-tu que ta beauté m'étonne ? BLAISE, au Baron. Eh bien ! Morgué, qu'en dites-vous ? LE BARON. Cours vite chercher la Baronne. BLAISE. Je l'aperçois. Il sort. LE MARQUIS. Il faudra qu'avec nousTu viennes à  Paris. Je te trouve jolie :Je t'y ferai bientôt le destin le plus doux. MARTON. Au moment d'épouser Julie,Pouvez-vous me tenir un semblable discours ? LE MARQUIS. Va, va ; l'Hymen n'est plus l'ennemi des Amours.Mais laissons-là  ce badinage :Est-ce donc avec un Seigneur De ma figure et de mon âge,Que l'on doit avoir de l'humeur ? La Baronne entre pendant ce dernier couplet. Le Baron la fait placer auprès de lui, et lui fait signe d'écouter. SCÈNE XVIII. Le Marquis, Marton, sur le devant du Théâtre, Le Baron, La Baronne, Blaise, au fond. MARTON, au Marquis. Votre façon d'aimer est tout-à-fait commode ;Mais croyez-vous, Monsieur, qu'en suivant cette mode,Vous plairez à  Julie ainsi qu'à ses parents ? LE MARQUIS. De plaire à son épouse on a toujours le temps.Quant au Baron, que m'importe ?Un franc Provincial. LE BARON. Comment ! Morbleu. LA BARONNE. Paix donc.Faut-il, pour un seul mot, se cabrer de la sorte ? LE MARQUIS. Un campagnard épris de son petit canton, Ayant pour ses lapins une estime profonde,Et surtout admirant, d'un air toujours surpris,Le goût de son Château bâti sous Charles-VI. LE BARON. Je vais... LA BARONNE. Écoutez donc ? LE MARQUIS. Sans usage du monde,Tout fier de sa récolte et par-tout étranger Hors de sa ferme et de son potager. LA BARONNE, arrêtant le Baron qui veut interrompre le Marquis. Doucement ; ce qu'il dit est assez véritable. LE MARQUIS. Pour sa chère moitié, qui veut faire l'aimable,C'est une folle. LE BARON. Ah ! Bon. LA BARONNE. Comment ! LE BARON. Paix. LE MARQUIS. D'un sourisLa Belle quelquefois veut flatter ses amis ; Mais par malheur se trompe, et fait une grimace. LA BARONNE. Peut-on plus loin pousser l'audace ? LE BARON. À votre tour, parbleu. LE MARQUIS. Qui, d'un coup de pinceau,Pense sur ses voisins jeter un ridicule,Et ne s'aperçoit pas, tant la Dame est crédule, Qu'elle-même devient le sujet du tableau. LE BARON, arrêtant la Baronne qui veut interrompre le Marquis. Doucement ; ce qu'il dit est assez véritable. LE MARQUIS. Oh ! c'est un couple admirable !L'un est un bavard éternel ;[Note : Tortu : se dit au figuré, mais ne terme bas, pour signifier, pervers, malin, méchant, corrompu. [F]]L'autre, un esprit tortu. LA BARONNE. Sortez, Marton. MARTON. Ah ! Ciel ! Elle sort. LE MARQUIS. QUATUOR.Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! LE BARON. Vous nous peignez de la belle manière. LE MARQUIS. Ah ! ah ! quoi ! vous étiez donc là  ?Rien n'est si plaisant que cela. LA BARONNE. Votre crayon ne flatte guère. BLAISE. Ah ! Vous n'aurez pas de chalands ;Vos portraits sont trop ressemblants. LE MARQUIS. Ah ! L'aventure est singulière ! LE BARON, LA BARONNE, BLAISE. Je pense encor qu'il en rira ! LE MARQUIS. Rien n'est plaisant que cela. SCÈNE XIX et dernière. Le Marquis, La Baronne, Le Baron, Julie, Dainval, Blaise. DAINVAL, à Julie en entrant. Laissez-moi lui parler. Il faut qu'on se décide.Vous m'arrêtez en vain et rien ne m'intimide. Au Baron.Baron, vous connaissez les désirs de mon coeur ;J'adore votre fille, et j'en fais mon bonheur.Mais toute incertitude est pour moi trop pesante ; Je n'en puis soutenir l'amertume accablante.Du Marquis ou de moi, choisissez à l'instant. LE MARQUIS. Tu deviens mon rival. Le trait est excellent ! DAINVAL. J'ai cette audace. LE MARQUIS. Bon ! Pure plaisanterie ! DAINVAL. Non. J'aime et c'est pour la vie. LE MARQUIS. Tant pis, et je te plains. DAINVAL. Comment ? LE MARQUIS. Sans contredit.Prends ton parti, crois-moi ; quelque espoir qui te flatte.Tiens, lis, je te remets ton congé par écrit. Il lui donne le billet de Julie. DAINVAL. Ah ! Ciel ! Qui l'aurait cru ? LE BARON, à Julie. Quoi ! Vous osez..... DAINVAL. Ingrate !Lisons : je veux assurer mon dépit. Il lit.La Nature, Monsieur, vous forma très aimable. À Julie.Très aimable ! LE MARQUIS. Eh ! Mais oui. DAINVAL. Ce style est admirable ! Il lit.Embellissez Paris, qui sans vous plairait moins. À Julie.Fort bien. Il lit.Continuez à  lui donner vos soins. À Julie.De mieux en mieux. LE MARQUIS. Lis donc ? DAINVAL. Oui, oui. LE MARQUIS. Sois raisonnable. DAINVAL. Il lit.Continuez à  lui donner vos soins ;Mais de les partager je me sens incapable.Par des noeuds plus chers à  mon coeurEn ces lieux mon âme est liée ; Et je vous devrai mon bonheur,Si de vous je suis oubliée.Ah ! Julie ! Ah ! Marquis, je te suis obligé. LA BARONNE, au Marquis. Vous nommez cela son congé. LE BARON. En termes clairs et nets ce billet-là  s'explique. LE MARQUIS. Voilà , sur ma parole, un tour charmant, unique ! À Dainval.Tu me connais altéré J'ai tant vu de ces traits !Par humeur on écrit ce qu'on dément après. À Julie.Sans adieu, belle Dame. Au premier jour j'espereRecevoir de vos mains un billet plus sincère. Il sort en riant. LE BARON. Je lui conseille encor de faire le plaisant ! LA BARONNE. Dainval, ma fille a su vous plaire.Avec plaisir à  l'aveu de son père,Pour vous voir son époux, je joins mon agrément.Un fat peut quelquefois nous séduire un moment ; Mais il n'obtient jamais un aveu légitimeEt l'honnête homme seul a droit à notre estime. VAUDEVILLE.L'éclat est le moyen de plaireDans ce siècle colifichet ; La raison semble roturière, Et devant le faste se tait : Un brillant, un leste équipage; Refrain.D'un sot fait un grand personnage ; Rien de vrai, beaucoup de clinquant ;Voi-là  les hommes d'à pré-sent. Au refrain. LA BARONNE. Le petit Marchand, le Dimanche,En cabriolet se fait voir.A rendre la peau fine et blancheLe Médecin met son savoir.Le Vieillard donne à  des Grisettes, Et l'homme à  talents fait des dettes.Rien de vrai, beaucoup de clinquant ;Voilà  les hommes d'à  présent. JULIE. Le joli Robin en épéeSiffle la petite chanson. L'Abbé, droit comme une poupée,Chante à  son tour sur plus d'un ton.Tous deux s'annoncent sans mystèrePour les vrais héros de Cythère.Rien de vrai, beaucoup de clinquant, Voilà  les hommes d'à  présent. BLAISE. L'Avocat Babille babille ;L'homme de cour promet beaucoup ;Sans cesse le Savant compile :Le Journaliste écrit sur tout. Par le crédit brille un Notaire ;Un Juge par son sécretaire.Rien de vrai, beaucoup de clinquant :Voilà  les hommes d'à  présent. ==================================================